Récupérer une épouse volage et un chevalier félon [Loup]

[pnj : capitaine Lenroy de l’armée d’Ysari]

Assar, enfin !

Le capitaine Lenroy pouvait exprimer une satisfaction bien naturelle une fois arrivé à destination. Le chemin était long d’Ysari à Assar, et ses fesses exprimaient fortement leur mécontentement. Maudite selle, il aurait du en changer avant son départ mais les ordres du baron ne souffraient aucun retard. Il lui fallait aller à Assar, arrêter Denys de la Vallière, récupérer la baronne, et ramener tout ce petit monde à la maison.

Simple non ?

Moi venir, moi arrêter, moi récupérer, moi rentrer… telle était la conception de la diplomatie selon Lenroy [source : « La diplomatie pour les nuls », chapitre 3, relations extérieures et traités d’extradition].

En bon soldat, il ne voulait pas s’interroger sur les dessous de cette sombre affaire, sans se douter que cette discrétion était la raison de son choix par Harnyll. Savoir pourquoi Lucrèce s’était enfuie avec Denys, savoir ce qu’ils avaient pu faire pendant toutes ces semaines, voilà des questions auxquelles il ne cherchait pas à répondre. Il avait des ordres donnés par le baron, il les exécuterait sans sourciller, point final de la discussion.

Pour mener à bien cette mission, Lenroy s’était fait accompagné d’une bonne dizaine de vétérans et avait récupéré un carrosse peu avant d’arriver à Odélian. Pour Denys de la Vallière, un cheval et une paire de menottes suffirait. Mais pour la baronne, un moyen de transport plus confortable et une escorte digne de ce nom s’imposait. Noblesse oblige…

Soit dit en passant, ramener un chevalier comme un vulgaire criminel ne lui déplaisait pas. Cela leur apprendrait, à ces jeunes godelureaux, à respecter les vrais militaires. En garnison à Ysari, Lenroy voyait souvent des courtisans dans leurs habits de soies et avec leurs braguettes proéminentes s’avancer fièrement dans les couloirs comme si le monde leur appartenait. Lui, homme de la plèbe devenu capitaine à la force du poignet allait enfin pouvoir rendre la monnaie de sa pièce à l’un d’eux.

Lorsque la petite troupe arriva dans la cour du château, le capitaine sauta lestement à terre et se concentra pour parler comme un émissaire et non pas comme un soldat au valet qui venait s’enquérir de l’origine de ces visiteurs inattendus.

Veuillez prévenir votre seigneur que le capitaine Lenroy, envoyé du baron d’Ysari, demande à être reçu en audience privée.

On ne s’ennuyait pas, à Assar. Soudainement devenu le point de ralliement de l’armée Odélianne contre les forces du Prophète, la ville frontalière jouissait d’une activité sans précédent… Ce qui n’était pas pour plaire au maître de céans. Devoir accueillir Grégoire de Dens était une humiliation supplémentaire pour Loup, qui prenait bien garder à rappeler au frère du Gras que s’il devait l’assister, il n’avait aucune obligation de se soumettre à ses ordres, le maître d’Assar et de sa garnison ne pouvant être qu’un Rochefort. La cohabitation était donc tendue, quoi que fructueuse. Il fallait avouer que les chars se relevaient utiles pour disperser – et massacrer – les foules abêties par les promesses du Prophète.

Recevoir une missive du baron d’Ysari n’avait pas été une surprise, Loup l’avait même trouvée tardive au regard des événements. Il avait espéré sans trop y croire ne rien lire au sujet de Lucrèce, mais le suderon réclamait son épouse, et il était dans son droit. Si Harnyll n’avait pas mentionné explicitement le retour de la jeune femme, le chevalier au faucon aurait pu aller outre les « recommandations » de son suzerain, mais retenir contre le grès de son seigneur et maître une dame de la Péninsule était un acte fort, et des guerres avaient été déclenchées pour moins que cela. Les dés étaient jetés, Lucrèce quitterait Assar escortée par ses propres sujets.

L’autre demande du baron était cependant plus problématique. D’une part parce qu’il n’aurait pas du être au courant, et d’autre part parce que de Hetalia semblait oublier à qui il s’adressait. Que de Vallière soit impliqué dans de sordides histoires en Ysari, Loup voulait bien le croire, mais lire qu’on espérait le voir oublier l’affront qui lui avait été fait était nettement plus surprenant. Si l’épouse était innocente, et repartirait sans heurt, le Seigneur d’Assar entendait bien vendre la Vallière au prix fort. Si la demande avait été formulée autrement, peut-être aurait-il consenti à le rendre en « signe d’amitié », mais l’homme avait sa fierté et son arrogance, et il lui était déjà difficilement supportable de recevoir des ordres d’un suzerain tel que le Gras. D’amis, il avait cruellement besoin, mais d’amis intéressants seulement, et tout aussi puissant que soit Hetalia en ses terres, il n’avait pas plus de pouvoir au Nord qu’un fermier Odélian. Restait à savoir ce que valait le chevalier et en quelle monnaie Loup souhaiterait être payé.

Loup avait fait prévenir la garde de l’arrivée imminente d’une troupe Ysaroise, si bien que la dizaine d’hommes qui se présentèrent en abordant les couleurs de la baronnie suderone purent entrer sans être inquiétés. On les observa néanmoins avec défiance, comme il était de coutume, mais ce fut un valet et non un homme d’arme qui vint les interroger.

« La bienvenue aux hommes d’Ysari, répondit-il. Sire de Rochefort n’est malheureusement pas apte à vous recevoir sur l’heure, les fidèles du Prophète pullulent la bonne plaine Odélianne et il est parti ce matin tenter de mettre fin aux méfaits d’une bande particulièrement belliqueuses. Néanmoins… » L’homme leva à moitié les yeux, tentant d’estimer la position du soleil masqué sans exposer ses prunelles. « J’ai cru comprendre que sa troupe était revenue l’heure passée. »

Une façon de dire que l’attente ne devrait pas être trop longue, et en effet, à peine avait-on pris en charge les chevaux ysarois que Loup de Rochefort pénétrait à son tour dans la cour, entourait de quelques soldats. Repérant bien vite les bannières méridionales, il s’approcha d’eux, faisant s’arrêter sa monture quand il parvint à leur hauteur. On n’aurait pas cru qu’il revenait d’une bataille, et pour cause, il était resté en retrait. Sans être couard, Loup avait trop conscience de son rang pour se jeter aveuglément dans la mêlée en temps normal, et la perspective de massacrer des paysans, aussi fanatiques soient-ils, ne l’avaient jamais enchanté.

« Votre Dame vous attendait, annonça-t-il sans les saluer. Mais vous avez fait un long voyage pour venir jusqu’ici, et difficile en ces temps troublés, aussi accepterez-vous sans doute de passer la nuit en nos murs. »

Démontant, il tendit les rênes de son destrier au palefrenier qui venait vers lui. A l’aise dans sa cotte de maille, on ne pouvait guère se méprendre sur la valeur de l’homme : Rochefort était un militaire depuis son enfance, et cela se voyait.

« Surtout que les désirs du baron ne se limitent pas à son épouse, si j’en crois sa missive. »

Ainsi donc il y avait des troubles dans la région ? Bah, avec cette éclipse et la venue des dieux, pas étonnant que le Nord se soit transformé en vaste bourbier. Déjà qu'en temps normal ces contrées pâlissaient devant la grâce et la noblesse du Sud. Pourtant Odélian était sous la coupe du comte Gaucelm, un homme connu pour ne pas aimer faire dans la dentelle. Surprenant que des troubles secouent Assar , oui surprenant. Le seigneur des lieux était-il un mou ?

Enfin bon, on s’en fiche de toute façon ! Ce sont les problèmes de Loup que de massacrer les fanatiques du prophète, pas ceux de Lenroy. Concentres toi mon garçon, et rappelles toi que le gugusse en armure face à toi n’est pas un de tes hommes mais le seigneur des lieux.

La réponse dudit seigneur fut tout d’abord incomplète. Ainsi donc la baronne se trouvait effectivement en ces lieux, et aucune objection ne se soulevait quand à son retour parmi les siens. Rien de très étonnant après tout, Lucrèce dépendait entièrement des volontés de son époux et cette demande relevait de la pure politesse. Encore que… peut être aussi relevait-elle d’une certaine insistance visant non pas Loup lui-même mais la baronne.

Sans être un diplomate ni un curieux, Lenroy se doutait bien que le départ de la baronne et la colère du baron pouvaient fort bien être liées. Il se murmurait, loin des oreilles des espions d’Harnyll, que l’épouse volage n’avait pas reçu l’accord de son époux pour cette petite escapade à l’autre bout du royaume. S’inclinant rigidement, à la manière militaire, le capitaine tenta de reprendre la main :

Seigneur, je vous remercie de votre hospitalité, le voyage est long d’Ysari jusqu’ici. Et sachez que mon maître vous est infiniment gré d’avoir bien voulu accueillir sa femme chez vous.

Ca va comme remerciement ? Probablement que oui. L’idée de passer la nuit sur place le réjouissait, car franchement Lenroy ne demandait dans l’immédiat rien de plus qu’une bonne pièce de viande et un lit. D’ailleurs… avec un peu de chances les soubrettes locales seraient girondes et pas trop farouches. Après tout, ne s’agirait-il pas là de nouer des contacts entre les peuples ?

Chassant les pensées lubriques qui le traversaient, le capitaine se concentra de nouveau. Le seigneur d’Assar laissait planer un doute sur le reste de la lettre du baron d’Ysari, celle concernant Denys. Par les dieux, pourquoi donc ? Ce chevalier dépendait d’Ysari après tout. Lenroy ne savait même pas pourquoi le gaillard avait été emprisonné en ces lieux, son maître ayant «　omis　» de le renseigner à ce sujet. Sans doute avait-il violé quelques stupide coutume locale ? Attends un peu Denys, c’est autre chose de plus sérieux qui t’attend à Ysari…

Soucieux de clarifier ce point et de lever les malentendus, Lenroy reprit :

Mais en effet, mon maître désirerait également récupérer Denys de la Vallière. De fort graves accusations ont été portées à son encontre à Ysari, accusations auxquelles il lui est demandé de répondre devant une cour de justice.

Confortablement installée dans mes appartements, du bruit dans la cours vint à me sortir de mes pensées. Me levant du fauteuil dans lequel j'étais installée, je me dirigeai alors en direction de la fenêtre qui donnait sur la cours. Je ne m'étais pas trompée, j'avais bien entendu le bruit des sabots sur la pierre. Je pensais que Loup était de retour...
Quel ne fut pas ma surprise quand mon regard se porta sur l'étendard de ces cavaliers. Cette rose surmontée du Sirfon, emblème d'Ysari. Mon époux avait du dépêcher ses hommes de mains pour me ramener. Mais je ne voulais pas partir, bien au contraire. Mon sel désir était de rester en ces lieux où j'avais trouvé une certaine quiétude à l'abri de la violence de mon époux.

De la cours, on pouvait apercevoir grâce à la lueur de la chandelle que je tenais une forme féminine à la fenêtre sans pour autant distinguer plus sur la personne qui épiait la scène. D'autres bruits de sabots vinrent. Cette fois, il s'agissait de Loup qui revenait de sa battue au prophète. Mon coeur ne fit qu'un bon dans ma poitrine en le voyant. Avec le temps que j'avais passé ici, des sentiments étaient nés à son égard.
Si les gardes étaient ici, c'était pour moi. Et nul doute que demain, je devrais prendre la route qui me ramènerait en Ysari sous le joug d'un époux odieux et infidèle. Aussi faisant triste mine, je m'écartai de la fenêtre ne laissant plus qu'un fin halo de lumière dans mon emplacement. Camille me regarda, elle avait un mauvais pressentiment en me voyant.

Tout se passe bien, dame Lucrèce?

J'acquiesçai à sa question avant de me diriger vers la porte. La main sur la clenche, je lui dis d'un ton qui se voulut détaché.

Je vais juste à la bibliothèque chercher un nouveau livre, reste ici, je n'en ai pas pour longtemps.

Camille continua donc son point de croix quand son regard se porta sur le chevet où se trouvait le livre que je lisais actuellement. Elle comprit alors que je lui avais menti et se dirigea alors à la fenêtre pour voir ce qui aurait pu me pousser à quitter la chambre. Elle vit alors les bannières flottantes d'Ysari.
Pendant ce temps, mes pas ne m'avaient point conduite vers la bibliothèque mais vers les appartements du seigneur des lieux : Loup de Rochefort. Entrant sans permission, je refermai soigneusement la porte après mon passage. Rien pas la moindre lumière car j'avais soufflé la bougie, je prenais place sur l'édredon. Il passerait bien par sa chambre à un moment ou un autre. Et je serai là pour l'y attendre.

« Le contraire aurait été étonnant, n’est-ce pas ? » demanda Loup à brûle-pourpoint.

L’idée de remettre une épouse à un mari violent – aussi légitimé soit-il – n’était toujours pas pour lui plaire, mais il avait déjà assez d’ennuis pour ne pas se rajouter l’ire d’un baron méridional. Poussant un léger et discret soupir, il invita d’un signe de la main le capitaine à le suivre, tandis que des valets s’approchaient déjà des soldats Ysarois pour les prendre en main. Entrant dans le vieux château d’Assar, il fit remarquer que Hetalia n’était apparemment pas uniquement intéressé par Lucrèce, ce à quoi l’homme acquiesça, expliquant que la Vallière était soupçonné de quelques félonies dans sa terre natale.

« J’imagine que vous ignorez tout de ces accusations. »

Ce n’était pas réellement une question. Il était clair que le Baron d’Ysari souhaitait garder secret ses griefs envers son chevalier, sinon il lui en aurait fait part, soit par le biais d’une missive ou de l’homme venu le chercher. La chose relevait-elle de l’honneur bafoué plus que de la réelle justice ? Harnyll craignait-il que son vassal ait fauté avec son épouse ? Esquissant un léger rictus, Loup poussa une porte et invita le capitaine à entrer dans ce qui était son cabinet de travail. Une pièce sobre, ne contenant que trop de parchemins, les armoiries familiales pour seule décoration et un bureau trônant au centre de la pièce.

« Assoyez-vous. Nous serons plus à l’aise pour discuter. »

Suivant son propre conseil, Loup fit le tour du lourd meuble et se laissa tomber sur sa chaise. Oubliant un instant son invité, il défit ses gantelets, goûtant au plaisir simple de sentir l’air frais caresser ses doigts.

« Votre homme est accusé d’avoir porté la main sur ma personne, m’accusant de maltraitance envers votre suzeraine. Si l’envie vous pique, vous pourrez vérifier que la seule marque que gardera Lucrèce de Hetalia de son séjour parmi nous est une vilaine cicatrice que la magie d’un de mes serviteurs aura déjà bien atténuée. » Il esquissa un léger sourire sans joie, au souvenir de la scène. « En temps normal, je me serai fait un plaisir de lui faire regretter son arrogance moi-même, mais le garçon ne se préoccupait que du bien-être de sa baronne, aussi ai-je décidé de me montrer clément. »

Il passa une main dans ses cheveux, que la sueur avait rendus gras et la poussière rêche.

« Harnyll de Hetalia a-t-il quelque chose à m’offrir pour sa repentance ? »

Par les Cinq, ce qu’ils pouvaient être chicaneurs dans le Nord. Honneur, repentance, que de concepts creux bien typiques des nobles. Décidément, Loup devait lui aussi être un de ces gusses nés avec une cuillère en argent dans la bouche. Il devrait aller plus souvent sur les champs de bataille et se salir un peu au lieu de rester à regarder les gueux se battre avant de rentrer triomphant dans son castel.
Le capitaine Lenroy venant de classer Loup de Rochefort dans la catégorie des « sales aristos » où se trouvait l’immense majorité des nobles de ce monde, il pouvait passer à l’étape suivante : répondre à la question piège posée par le seigneur des lieux.

En tout cas, l’attention que portait Denys à la baronne semblait désormais évidente puisqu’il avait été jusqu’à porté la main sur un châtelain pour cela. Querelle d’amoureux ? Bon sang, si la donzelle venait à être mise enceinte, le capitaine n’aurait pas donné un sou de sa jolie tête à son retour à Ysari. Sans être cruel, Harnyll avait été poussé à bout mois après mois et ne serait pas enclin à pardonner éternellement les errements de sa femme.

Mais ca, c’était le problème du baron, pas du capitaine.

De toute façon, le baron n’avait fait mention d’aucune récompense afin de satisfaire la faim du Loup. Alors comment se sortir de ce piège ? S’il refusait en bloc, Denys risquait de rester croupir à Assar, s’il acceptait, rien ne prouvait que le baron d’Ysari validerait son engagement. L’avantage de traiter avec les truands, se dit Lenroy, c’est qu’à ce stade la conversation on peut sortir sa dague et les en menacer.

Réfléchissant plus vite qu’il ne le faisait d’habitude, et maudissant une nouvelle fois cette mission qui l’obligeait à agir à contre-courant de ses convictions, le capitaine répondit d’une voix aussi conciliante qu’il put :

Je crains seigneur de ne pas réussir à vous suivre. De quelle repentance parlez-vous puisque vous venez d’affirmer avoir fait preuve de clémence du fait que Denys protégeait la baronne ? Votre clémence est votre grandeur, il n’y a de plus belle récompense qui soit. Descendre dans de basses considérations matérielles n’est pas pour un homme comme vous, porteur d’un aussi noble nom que celui des Rochefort.

Et vlan, déguste ca mon gaillard ! Pour une fois qu’un plébéien retournait son honneur contre un noble, cela valait le déplacement. Lenroy avait du se mordre la langue pour ne pas rigoler à la fin de sa phrase, car le nom des Rochefort, pour être honnête, il s’essuyait les fesses avec après une colique causée par un excès de pruneaux. Le capitaine ne respectait qu’un seul noble : Harnyll de Hetalia.

Et encore, c’était juste parce qu’Harnyll lui payait sa solde !

Si la réponse du capitaine avait pour dessein de mettre le Seigneur d’Assar en porte-à-faux, alors la manœuvre échoua lamentablement. Plutôt que de s’empourprer et de tenter de se justifier maladroitement, Loup se contenta d’esquisser un sourire cynique.

« Je vous remercie, Capitaine, de vous soucier de la noblesse de mon nom, mais à l’avenir, je vous en prie, intéressez vous plutôt à ce qu’Harnyll est prêt à me céder pour récupérer son félon. »

Que le suderon ne l’appréciât pas, il était bien forcé de le reconnaître et de s’en accommoder. Fort heureusement, Loup n’était pas du genre à s’attarder très longtemps sur ce genre de détail. Dans un jour, deux tout au plus, il repartirait pour ne plus jamais revenir, et avec lui s’en irait son avis sur son hôte. A moins qu’il ne commette les mêmes erreurs que l’homme qu’il était venu chercher bien entendu, auquel cas Loup serait forcé d’admettre que le raffinement du Sud n’était, au fond, rien de plus qu’une légende sans réels fondements.

« Un homme aussi intelligent que vous comprendra fort aisément que je ne peux pas simplement relâcher sire de la Vallière. Pas après qu’il ait insulté mon hospitalité en m’accusant de torts fallacieux et en m’attaquant. »

A terme, Loup serait obligé de céder le chevalier, il le savait. Il ne pouvait pas prendre le risque d’attirer une nouvelle fois l’attention de Gaucelm, chose qui arriverait forcément s’il avait vent de tensions entre Assar et Ysari. Fort heureusement, le militaire en face de lui ignorait tout de ces considérations bassement politiques, qu’il semblait avoir en horreur. Au fond, le chevalier au faucon n’avait rien à gagner à un bras de fer avec un baron suderon, ni gloire ni prestige, seulement des ennuis. Mais, outre son orgueil qui lui dictait de ne pas simplement céder à l’ordre d’Harnyll, il demeurait que Loup avait besoin de soutien, ses alliés certains se limitant pour l’heure à la famille de feu sa femme. Et pour gagner des alliés, il devait donner à Assar l’image d’un fief puissant. Les choses auraient été différentes, si Ysari avait été un proche voisin.

« Quoi qu’on en dise, la Vallière abordait les couleurs d’Ysari quand il est arrivé en ces murs. En ces temps troublés, entre les drows qui grouillent à Ellyrion et les fanatiques de Néera qui germent comme la peste en hiver, Assar a besoin de tous les bras disponibles. Je garderai un de vos hommes avec moi, jusqu’à la fin du Voile. Il intégrera l’armée odélianne le temps que se statue le sort du chevalier. Si ce dernier survie, son honneur lui dictera sans doute de revenir prendre la place de celui qui resta en arrière par sa faute. »

Il marqua un temps d’arrêt, observant les réactions de son interlocuteur. S’il désirait tant la Vallière, Harnyll ne s’opposerait pas à une telle proposition, et son capitaine pas plus. Sinon, eh bien… Il ne verrait pas d’un mauvais œil qu’Assar garde en ces murs l’impudent qui avait pu croire se jouer de son hospitalité encore quelques temps.

Mais c’est qu’il résiste le petit bonhomme là ? Il manie l’ironie comme un nain manie une choppe de bière, c’est-à-dire avec adresse mais aussi avec la certitude que cela finira par traverser la taverne pour rebondir sur un crâne. Pardon ? Cette métaphore est peu évidente ? Eh bien réfléchissez, je ne vais pas non plus vous donner toutes les clés.

Le capitaine se sentait de plus en plus mal à l’aise au fur et à mesure que le Loup parlait, car ce langage compliqué des nobles ne lui venait pas naturellement. Si seulement le gaillard pouvait en venir clairement au fait au lieu de palabrer sur les problèmes du Voile. Que les fanatiques et les drows soient excités était désormais de notoriété publique, quel rapport tout cela avait-il avec Lucrèce et Denys ?

Ah d’accord…

Laisser un de ses homme sur place ? Hmm, pourquoi pas ? Parmi sa dizaine d’homme, il pouvait bien en laisser un à Assar, le baron ne le remarquerait sans doute même pas, plus préoccupé par les frasques libertins de son épouse. Et laisser un œil vigilant à Assar ne ferait sans doute pas de mal. Au pire cela ne servirait à rien, ce pari valait donc la peine de se tenter.

Seigneur, j’accepte votre proposition. L’un de mes hommes restera à Assar jusqu’à ce que le sort de Denys soit décidé. Sur ce, et avec votre autorisation, je vais me retirer. La route a été longue et je compte partir à l’aube afin de ramener nos deux égarés au bercail. Enfin… à ce qui serait l’aube dans d’autres circonstances bien sur.

Le Loup des Vosges (pardon d’Assar) lui ayant d’un signe de tête donné son congé, le capitaine Lenroy reprit le chemin de la caserne en espérant que ses hommes ne s’étaient pas déjà égayés dans le château. Il lui fallait trouver un volontaire pour rester dans cette boue nordique… et également lui laisser quelques instructions relatives à ce qu’il lui faudrait faire tant qu’il demeurerait en ces lieux.

J'avais quitté ma chambre avec une précipitation en mentant à Camille quand par la fenêtre j'avais vu les étendards aux couleurs d'Ysari. J'avais pris instinctivement la direction des appartements de Loup de Rochefort dans lesquels j'avais pénétré sans autorisation. J'étais donc assise sur son lit à l'attendre.
Loup n'arriva pas de suite car il devait discuter avec le chef de la garde que lui avait envoyé mon époux, le baron. Pour le moment, je demeurai seule dans le noir de la pièce car j'avais soufflé toutes les bougies, même la mienne.

Obscurité, tension nerveuse et fatigue eurent bien vite raison de moi car très vite je m'endormis sur le lit du seigneur des lieux. Ma tête reposait sur l'oreiller délicatement alors que mes blonds cheveux vagabondaient sur l'édredon. Les yeux clos je rêvais à tout autre chose que ce qui pouvait bien arriver.
Je ne sais pourquoi mais mon rêve n'en était pas vraiment un, c'était plutôt un souvenir venu du passé. Aussi insignifiant que cela pouvait paraitre, ce souvenir avait beaucoup d'importance car il était la clef de ma transformation. Une phrase revint alors à mon esprit: « Que le reflet s'inverse. Lorsque l'amour revêt les atouts de sa jumelle et qu'ainsi valse les reflets opposés, alors ici commence le rire d'Arcamenel. Sachez verser le sel de l'amer sur la froideur de sa grandeur... Ou subissez ce joug qui n'est pas vôtre. »

Ce fut sur cette phrase des plus mystiques que je rouvris des yeux rougis par les larmes. Des larmes? Pourquoi m'étais je mise à pleurer durant mon sommeil? Je l'ignorai, je n'avais pas la réponse à cette question et encore moins la solution à ces paroles sybilliennes...

Que Lenroy acceptât sa réponse ne surprit pas Loup outre mesure. Qu’il n’y mit aucune condition, par contre… Espérait-il vraiment pouvoir choisir l’heureux élu ? Certainement. Cette pensée donna envie au Seigneur d’Assar de porter son choix sur le capitaine, mais ce dernier demandait déjà son congé. Esquissant un léger sourire amusé, il le laissa s’en aller, décidant de reporter sa décision au lendemain.

« En espérant qu’Assar vous apportera tout le repos dont vous avez besoin, en ce cas. »

Une fois seul, il prit le temps de mettre un peu d’ordre dans ce qui était devenu un véritable taudis. D’ordinaire ordonné, il avait laissé les choses s’entasser un peu partout par manque de temps, et comme le sommeil ne lui venait pas, il en profitait. Cela lui permettait, au passage, de chasser les Ysarois de sa tête, ces derniers ne lui apportaient rien d’autre que des maux de tête… Enfin, surtout Lucrèce, bien qu’il put concevoir que ce ne soit pas de sa faute. Tout aurait été plus simple, pourtant, si elle avait accepté son rôle d’épouse et s’était faite une raison, comme tant d’autres avant elle. Le chevalier au faucon esquissa un sourire moqueur en essayant de l’imaginer à la place d’Elanore. Gaucelm était sans doute un époux bien moins agréable qu’Harnyll, ne serait-ce que d’un point de vue purement esthétique.

Sa côte de maille commençant à lui peser, il décida d’être raisonnable. Il avait beaucoup à faire, le lendemain, et la « journée » commencerait tôt. Croisant une servante sur le chemin de sa chambre, il lui demanda de la suivre, afin qu’elle l’aide à se dévêtir de ses pièces de métal. Il n’avait en effet pas le courage d’effectuer la besogne seule, et le hasard avait voulu que la demoiselle et lui se connaissent plutôt bien. Si les circonstances avaient été différentes, sûrement ne se serait-elle pas arrêtée à ses habits de guerre, mais la fatigue du maître de céans en avait décidé autrement. La présence d’une Dame dans le lit du dit Seigneur aussi. Ce fut l’obscurité, inhabituelle, qui attira l’attention de Loup. Fronçant les sourcils, il supputa que les bougies qu’il faisait toujours allumer le soir venu s’était entièrement consumée, mais le frottement léger d’une robe lui indiqua rapidement que la cause était autre.

« Qui est là ? » Grâce à la faible lumière du couloir, Loup cru reconnaître… une chevelure blonde. Néera lui vienne en aide. Il lança un regard à la servante, regrettant soudainement son manque de courage. Si on commençait à raconter qu’on avait retrouver la femme du baron d’Ysari dans son lit… « Rallume les chandelles, ordonna-t-il à la jeune femme avant de se retourner vers Lucrèce. Que me vaut l’honneur, ma Dame, de votre présence dans mon lit ? »

Le ton était froid, assez pour que la servante, qui le connaissait bien, ne se méprenne pas. Heureusement, il n’avait pas pu voir que la dame avait pleuré, sinon il aurait sans doute fait preuve d’une douceur mal interprétée par la suite. Maudite suderone, quand il avançait qu’elle était au fond, la source de tous les problèmes ? Quelques secondes plus tard, l’assaroise revenait, les chandelles à nouveau allumées, et la pièce retrouva sa clarté.

Lucrèce avait intérêt à avoir une bonne explication.

Alors que je me réveillais peu à peu dans un désarroi le plus complet face à ce souvenir revenu en songe, la porte de la chambre du seigneur Loup de Rochefort s'ouvrit faisant pénétrer dans la pièce la lueur des chandelles du couloir. Un léger mouvement de ma part en me redressant fit entendre le froissement de ma robe.
Les paroles du maitre céans se firent entendre demandant qui se trouvait dans ses appartements. Je ne répondis pas à la question, préférant d'abord sécher ces larmes qui coulaient sur l'ovale de mon visage. La voix de Loup résonna à nouveau qui demanda à ce qu'on rallume les chandelles. Ainsi il n'était pas seul. J'étais alors perdue si cette personne ne tenait pas sa langue...

Cette fois, les paroles qui sortirent de sa bouche furent à mon attention. Ces mots étaient froids et cinglants. Loup désirait ou plutôt ordonnait connaître la raison de ma présence dans son lit. J'avais le regard baissé et encore un peu humide. Quelques secondes passèrent et la lumière revint doucement dans la pièce me dévoilant aux regards du seigneur et de la servante.
Les yeux toujours baissés, fixant mes mains qui se crispaient sur la soie de ma robe, je finis par prononcer quelques mots remplis de remords.

Je sais que je n'aurai pas dû m'introduire de la sorte dans vos appartements mon seigneur. Mais il fallait que je vous vois...

Doucement je relevais les yeux pour laisser voir un regard rougi par les larmes alors que la servante finissait de rallumer les dernières chandelles. La voix remplie d'une certaine crainte, je dis.

Est ce bien les couleurs ysaroises qui flottent dans votre cours? Dites moi que je me trompe, je vous en prie... Dites moi qu'ils ne sont point là pour me ramener...

Je pris une posture autre que celle à demi allongée sur le lit, me redressant avec une certaine fébrilité. Mes jambes mal assurées me firent chavirer quelque peu mais heureusement que l'une de mes mains demeurait sur l'édredon pour me soutenir dissimulant que très légèrement cette maladresse.

Lucrèce faisait, décidément, peine à voir. Était-ce la peur, qui affaiblissait ses jambes ? Loup aurait ainsi juré qu'elle s'était complètement remise de son accident, mais à la voir manquer de s'effondrer, il n'en était plus certain. Qu'importait, au fond, il ne pouvait plus rien pour elle, et n'en avait plus aucune envie. A cause de son inconscience, elle l'avait mis en danger. Que se serait-il passé, si elle avait été découverte par un autre que lui ? Cette femme avait un pouvoir sur sa survie et en usait à tort et à travers, sans même s'en rendre compte.

« Vous ne vous trompez pas. »

Il n'était pas insensible à sa détresse, loin de là, et malgré l'égoïsme – involontaire, pensait-il – de son invité, il l'aurait sans doute consolée d'une manière ou d'une autre s'ils avaient été seuls. La présence de la servante lui empêchait cependant de telles familiarités.

« Sylvie, ramène la Dame de Hetalia jusqu'à ses appartements. Elle y sera bien plus confortablement installée pour se reposer. »

Et, après un dernier regard qu'il voulut froid et insensible, il se détourna, faisant comme si la jeune femme n'existait plus, alors que la susnommée Sylvie s'approchait de Lucrèce et lui proposait son aide, attendrie et sincèrement compatissante. Quand il fut enfin seul, le seigneur d'Assar poussa un soupir et quitta sa chambre, prenant la direction de celle de sa sœur.

**********
Avec douceur, Marion de Rochefort toqua à la porte des appartements de Lucrèce. La mine légèrement fatiguée, elle aurait sans apprécié de pouvoir aller se coucher, ce qu'elle aurait déjà fait si son frère ne l'avait pas arrêtée. Elle avait été surprise de sa requête, mais n'avait pas protesté. Si Loup pensait que Lucrèce avait besoin de parler à une femme plus âgée et mature qu'elle, elle n'avait rien à y redire, bien au contraire.

« Je suis Marion de Rochefort, se présenta-t-elle à la jeune femme qui lui ouvrit. Je suis venue prendre des nouvelles de votre maîtresse. »

Se disant, elle se remémorait sa conversation avec Loup. Son aîné avait décrite Lucrèce comme une enfant encore maladroite et au bord du gouffre. Il avait regretté de ne pas pouvoir tenter de l'en tirer lui-même et lui avait demandé si elle pouvait lui faire la grâce d'essayer. N'ayant jusqu'alors pas eu l'occasion d'échanger plus de quelques mots avec leur invité surprise de ces dernières semaines, Marion se demandait encore comment elle pourrait trouver les mots qui viendraient apaiser l'adolescente.

Elle ne perdait rien à essayer, cependant.

Ainsi donc, j'avais raison. C'était bien les couleurs d'Ysari que j'avais vu flotter dans la cours. Et ils étaient là pour moi, pour me ramener. Non... Je ne voulais pas partir d'Assar et pourtant je n'aurai aucunement le choix. J'étais bien consciente de cela. Ni Loup ni les gardes ne mettraient leur position en danger pour les volontés égoïstes d'une jeune femme. Je n'avais pas d'autres choix que d'obtempérer bien que cela soit à contre coeur.
Les ordres du seigneur venaient de tomber, demandant à la servante de me raccompagner à mes appartements. Je ne dis rien, laissant Sylvie m'aider et me raccompagner à mes appartements. Le peu de temps que dura le trajet, un profond silence s'était installé. Elle ne me laissa qu'une fois que Camille eut ouvert la porte et que celle ci se soit refermée sur mon passage.

Vous n'êtes pas raisonnable, madame. Votre comportement déshonore votre rang et votre nom. Je ne cautionne pas vos actes mais je passerai cela sous silence à votre époux. Vous aurez suffisamment d'ennuis à votre retour pour ne pas rajouter cela à la liste des griefs du baron, ne pensez vous pas?

Me dit Camille d'un ton qui se voulut presque désespéré. Elle m'avait vu grandir et mon comportement de ces derniers temps l'inquiétait plus qu'autre chose. Je ne relevai point ses paroles mais le regard noir que je lui avais lancé avait suffit pour la faire taire. L'heure étant tardive, Camille me dévêtit et après avoir brossé mes cheveux me poussa au repos.
M'endormant aussitôt que ma tête effleura l'oreiller de plumes, ma servante prit place dans un fauteuil et fit quelques points de croix à la lueur d'une chandelle afin d'observer une certaine obscurité dans la pièce.

Quelques instants plus tard, on frappa à la porte. Camille cessant son activité, alla ouvrir. Se tenait devant la porte une femme brune d'environ le même âge que la servante. Elle se présenta sous le nom de Marion de Rochefort. Sachant alors où se trouvait sa place, Camille salua la dame comme il se devait.
Cette dernière demandait des nouvelles de ma personne. Camille lui répondit alors à voix basse afin que le bruit de la conversation ne vienne pas à gêner mon sommeil. Mais Camille savait que si la dame de Rochefort était venue en personne aux appartements de leur invitée, ce n'était pas pour discuter avec une simple servante.

C'est aimable de votre part que de vous soucier de ma maitresse, madame. Dame Lucrèce s'est endormie il y a peu. Désirez vous que je l'éveille et que je vous annonce?

Malgré toutes les précautions de Camille pour éviter de faire trop de bruit, ces quelques paroles réussirent à me réveiller. Voyant ma servante à la porte en pleine discussion, je demandai alors d'un ton encore à demi endormi.

Camille, que se passe t-il?

Dame Marion de Rochefort vient prendre de vos nouvelles. Puis je la faire entrer?

Oui! Et laisse nous, veux tu...

Camille s'exécuta et fit entrer la dame alors que je me redressai dans mon lit tout en me frottant les yeux. Une fois Marion entrée, ma servante nous laissa toutes deux. Camille se dirigea vers les chambres des domestiques pour profiter de ce maigre repos qui lui était accordé. La dame de Rochefort était là, elle n'avait pas de raison de craindre au pire...
D'un geste de la main, j'invitai la soeur de Loup à prendre place dans le fauteuil à présent vacant. Elle y serait bien plus à l'aise. De plus si elle s'était dérangée en pleine nuit, c'est qu'il y avait une raison.

Alors, c’était elle, la douce enfant qui tourmentait tant son frère ? Le pauvre Loup n’avait jamais su rien refuser à une larme féminine, et on disait que la jeune Lucrèce en avait versé encore et encore, depuis son arrivée.
Esquissant un sourire qu’elle voulait sincère, Marion pénétra dans la pièce dès qu’on l’y invitât, auréolée de son assurance habituelle. Elle était une digne Rochefort, et si elle n’imposait pas par la force, si sa voix s’élevait rarement au dessus de celles des autres, elle était souvent entendue. C’était cela, être la Dame d’Assar, et depuis que sa mère n’assurait plus ce rôle, elle s’en sortait à merveille. Elle était l’ombre tranquille du Loup, et parmi la maisonnée, elle était tout autant appréciée.

« Je suis navrée de vous déranger si tard, commença-t-elle quand elles furent seules. Mais j’ai pensé qu’à la veille de votre départ, vous voudriez peut-être un peu de compagnie. »

Tout du moins, Loup avait pensé, mais la baronne n’avait pas besoin de connaître ce détail. Elle connaissait assez bien le chevalier au faucon pour savoir que s’il ne s’en chargeait pas lui-même, c’était que sa situation l’en empêchait. Inutile, donc, de pousser la suderonne dans ses bras. A la place, elle comptait bien tirer les sentiments de leur invité au clair. Elle craignait son époux, certes, mais pourquoi ? Cela, Loup n’avait pu le découvrir, trop occupé à chasser les fidèles du Prophète de ses terres. Elle avait toute la nuit devant elle, et un avantage de taille : Lucrèce ferait tout pour retarder l’inévitable, et si dormir signifiait s’en approcher encore, elle parlerait.

« On m’a dit que vous vous remettiez mal de vos blessures, la faute à un repos par trop de fois négligé. »

Acceptant l’invitation de la baronne, elle s’assit sur le fauteuil proposé ; son fauteuil, d’une certaine façon, et il était étrange pour la Rochefort de se conduire en invité dans sa propre demeure.

La demoiselle de Rochefort s'excusa pour ce dérangement à une heure si tardive, une fois que nous fûmes seules. L'heure qu'il était m'importait guère, je ne me souciais pas de ce détails car il était sans importance aucune depuis que le lune et le soleil ne faisaient plus qu'un. Aussi je lui pardonnai bien volontairement cette visite nocturne.
Elle avoua ensuite avoir penser que la veille de mon départ, je ne désirai peut être pas rester seule. Elle n'avait pas tord sur ce fait, je me sentais comme une prisonnière que le lendemain on allait mener à l'échafaud. Car c'était ce que j'étais, prisonnière de mon rang, prisonnière de mon époux...

Je vous remercie de votre sollicitude. Il est vrai qu'un peu de compagnie en cette sombre heure me fera sans doute le plus grand bien.

Il est vrai que je broyai un peu du noir ces derniers temps et encore plus avec la vision de la garde d'Ysari venue pour me chercher et me ramener. La voix posée de la demoiselle était réconfortante, comme si une aura bienveillante se dégageait d'elle. Malheureusement je ne la connaissais pas pour savoir si cette impression était véridique ou non.
Comme partout les rumeurs circulaient et visiblement Marion de Rochefort avait eu vent que ma convalescence n'était pas au mieux. Elle avait vu juste en disant que je négligeai mon repos. Baissant alors le regard sur mes mains posées sur les draps, la voix un peu nouée je lui dis ces mots.

Il est vrai que ma faible constitution et mon entêtement n'aident en rien à ma convalescence. Mais je dois avouer que cela n'est pas pour me déplaire car cela repousse le moment où j'aurai à quitter Assar pour rejoindre Ysari...

Confession à mi mots que je ne désirai pas retourner à Ysari et que si une maladie ou une blessure m'en empêchait, bien au contraire je serai satisfaite de cet état. Je m'étais ma santé en jeu pour fuir et cela n'était guère intelligent car je pouvais y laisser la vie. Loup m'avait fait comprendre que cela était faire offense à ceux qui m'avaient sauvé et qui risquaient leur vie pour moi.
D'ailleurs cela me fit penser que depuis notre arrivée, je n'avais pas revu Denys. Camille ne m'avait rien dit sur ce qui s'était déroulé entre le chevalier et le seigneur. Je m'étonnai juste qu'il ne se soit pas soucié de mon état car s'il était venu avec moi dans cette escapade c'était pour me protéger lors du voyage.

Marion avait du mal à se faire une idée. Impassible d’apparence, elle écoutait attentivement Lucrèce avec une politesse non feinte. Ce qu’elle entendait était à la fois très instructif et très déconcertant, et elle ne savait pas vraiment rétorquer à l’aveu terrible de la jeune baronne. Terrible et effarant, car il était désormais certain pour la Dame d’Assar que sa jeune protégée était prête à mettre sa vie en danger si cela lui permettait de demeurer un peu plus loin encore de Hetalia. Elle ne le connaissait pas, mais à entendre les paroles de l’Ysaroise, elle avait du mal à le considérer autrement que froidement et avec mépris. Fallait-il être un rustre, pour mettre une si jeune épouse dans un état pareil ?

« Vous vous trompez, Baronne. Quoiqu’il arrive, vous partirez demain », asséna-t-elle avec douceur.

Il était grand temps que la jeune femme ouvre les yeux. Se voiler plus longtemps la face était dangereux, plus elle attendrait, et plus la déconvenue serait grande. Et elle ne voyait plus qu’une seule façon d’apaiser les craintes de Lucrèce, elle ne savait cependant pas si la suderone y serait réceptive. Se levant, elle s’approcha du lit, avec une familiarité qui aurait pu frôler l’arrogance si l’attitude avait été autre. Mais à l’instant, Marion de Rochefort n’était que sollicitude.

« Ce château abrite un Temple en l’honneur des Cinq, et une statue pour chacun. Je m’y rends souvent, quand mes perspectives s’assombrissent et que je doute sur la marche à suivre. »

Ses prières allaient à Vie et à Amour, la plupart du temps, mais elle priait aussi Guerre quand ses frères partaient sur le champ de bataille. Même Mort avait eu ses suppliques, quand elle avait prit son père. Ce jour là, elle n’irait pas pour elle, mais pour la paix de sa jeune protégée… Aussi le choix reviendrait-elle au Sud.

« Une torche éclaire la nef constamment, il en allait ainsi avant le Voile et si les Dieux le veulent, il en ira ainsi après. » Elle sourit. « Mais peu nombreux sont ceux qui s’y rendent à cette heure de la nuit, nous ne serons pas dérangées. »

Amour semblait un bon choix. Après tout, c’était dans le mariage que naissait les tourments de Lucrèce. La statue du Dieu trônait avec celles de ses frères et sœurs, et Marion lui avait toujours trouvé quelque chose de majestueux… et de terrible à la fois.

« Je vous guiderai. »

Lucrèce n’avait plus vraiment le choix.

La dame d'Assar écouta mes paroles qui parurent certainement déconcertantes. En même temps, il y avait de quoi car entendre une jeune fille préférer être blessée que retourner auprès de son époux devait laisser supposer que cet homme était un monstre dans l'intimité. Et effectivement, c'était la façon dont je voyais mon époux depuis le début de l'été: un monstre, mon bourreau...
Avec une certaine douceur dans la voix, Marion m'informa que quoiqu'il arrive, je repartirai demain. Malgré la délicatesse qu'elle avait usé dans ses propos, je ne pus me retenir de verser des larmes. Non, je ne voulais pas partir et encore moins pour le rejoindre lui.

Le bruit que fit la robe de la dame en se levant du fauteuil se fit entendre. Il était à peine perceptible mais il fut néanmoins entendu. Je pensais qu'elle allait me laisser seule à ma tristesse, mais non … Le bruit de ses pas se rapprochant du lit vinrent à se faire entendre ensuite. Le calme de sa voix posée prit le relais du bruit de ses pas quand elle fut au niveau du lit.
Marion me parla d'un temple en l'honneur des cinq dieux qui se trouvait au château. Ayant mis que peu de fois le nez en dehors de ma chambre durant mon séjour, j'ignorai ce fait. A Ysari, on avait un autel dédié à Néera dans la roseraie mais il fallait se rendre en ville pour le temple. La dame me proposa alors de nous y rendre afin de prier les dieux.

Cette idée n'était pas des plus mauvaises. Si quelqu'un pouvait faire quelque chose dans mes malheurs, il s'agirait bien des dieux. Je ne les avais plus priés depuis un certain temps... Faisant basculer le drap alors que je séchais du revers de ma main les larmes qui coulaient sur mes joues avant de relever la tête et d'offrir un regard rougi à mon hôtesse.

Je vous suis Dame Marion.

Me levant du lit, je saisis un châle posé sur le dossier d'une chaise et le passai sur mes épaules. La fraicheur nocturne risquait de me faire tomber malade si j'attrapais froid dans un courant d'air. Et je dois bien avouer que je n'aimais pas le fait d'avoir de la fièvre... Cela peut paraître paradoxale avec mes propos mais il y a une différence entre ce qu'une femme dit de ce qu'elle veut...
Suivant alors Marion dans les couloirs du château d'Assar, je ne dis mot durant tout le trajet. Finalement nous arrivâmes au temple. Celui ci était éclairé et désert en cette heure tardive comme l'avait annoncé Marion. Je ne voulais pas que l'on puisse me voir dans un tel état d'autant plus que je me trouvais vêtue d'une simple chemise de nuit et d'un châle.

Le temple était de petite envergure et circulaire. Il y avait cinq alcôves dans lesquelles une représentation d'un des Cinq trônait. On avait Néera, Kÿria, Tyra, Arcamenel et Morgar. Chacune de ces statues ne laissaient aucun doute quant à leur représentation. Mais à présent, je me trouvais devant un grand dilemme. Lequel prier?
Morgar et Kÿria furent facilement oubliés car il ne correspondait en rien à mes attentes. Néera était ma déesse tutélaire, mes prières devaient normalement lui être tournées mais c'était avant tout mon coeur et mes sentiments qu'il fallait apaiser, Arcam serait peut être bon conseiller. Cependant Tyra malgré le fait qu'elle représente la mort était une femme bafouée comme je le suis. Peut être devrai je m'adresser à elle?

Finalement je m'avançai vers Arcamenel. M'agenouillant devant sa statue, joignant les mains et fermant les paupières, je lui adressais ma prière. Point besoin de parler, intérieurement mes paroles seront également entendues du dieu.

Arcam, si je m'en retourne vers toi c'est par ce que tu es le seul à connaître mon coeur. Je te supplie de me venir en aide. Je ne veux pas retourner auprès de mon époux. Je le hais, je le déteste...Je le déteste... Je le déteste... Je le déteste...

Je déversais ma colère. Mes mots dépassant le simple stade de la pensée, Marion put entendre tout d'abord un murmure, une parole puis une clameur. Les larmes vinrent bien vite une nouvelle fois gorger mes yeux. Je ne pus empêcher ce flot de sortir. M'appuyant sur les pieds de la statue, mes larmes coulaient sur le marbre.

La force du cri la surprit, tant et si bien que Marion ne put que sursauter quand, l’arrachant à ses propres prières, il résonna dans l’humble nef. Redressant la tête, qu’elle avait ployé face à Vie, elle lança un regard perçant à la pauvre enfant en pleur.
Quelque chose clochait. Elle en était certaine, désormais. Elle avait longuement parlé avec son frère, et ce dernier lui avait appris que de l’aveu même de la concernée, le couple baronnial ysarois s’épanouissant en parfaite harmonie quelques mois plus tôt à peine. Ce qui avait jailli du creux de la gorge de Lucrèce n’était pas anodin, la Dame d’Assar ne pouvait y voir que l’expression d’un profond désarroi. De la haine, oui, mais pas seulement. Se relevant lentement, elle s’épousseta la robe que la poussière avait pâli, avant de s’approcher lentement du corps secoué de sanglots.

Faisant fi de la distance des rangs et de la chape de la bienséance, elle s’agenouilla aux côtés de la jeune femme, avant de lui caresser doucement les cheveux. Ce n’était pas d’un respect faussé par un protocole séculaire dont avait besoin Lucrèce, mais d’une présence et d’une écoute. Elle avait aussi besoin qu’on lui ouvrît les yeux.

« En êtes-vous seulement certaine ? Pensez-vous vraiment le haïr ? »

La voix résonna avec douceur sur les voûtes silencieuses et curieuses. Elle continua, avec lenteur, avec affection même. Cette petite la touchait.

« Ce n’est pas de la haine que vous ressentez. La haine n’arrache pas des larmes, la haine ronge le cœur, l’étouffe tant et si bien qu’il ne reste rapidement plus aucune larme à verser. Vous avez aimé votre époux, je le sais, maintenant vous le craignez, pour une raison dont j’ignore tout. Mais le savez-vous seulement ? »

Elle marqua une pause, laissant les seuls sanglots de Lucrèce briser le silence du lieu.

« Je crois que vous-même l’ignorez. Je crois que vous détestez votre mari sans savoir seulement pourquoi, et que c’est cette ignorance qui vous ronge. Soyez honnête, regrettez-vous les jours révolus ? »

Je déversais ma colère et ma haine au pied de la statue d'Arcam alors que mes larmes se répandaient sur le marbre froid. Mes plaintes avaient dérangé Marion dans ses prières. Seule la dame d'Assar fut importunée par mes lamentations car nous étions seules dans l'enceinte du temple. La nuit plus qu'avancée couvrait notre présence en ce lieu de recueillement.
Je ne fis pas attention au fait que Marion se redresse bien trop perturbée par l'expression de mes propres sentiments. Je sentis à peine sa main se poser sur ma chevelure blonde qui cascadait le long de mon échine. Puis une voix doucement s'éleva sous la nef.

Marion me demanda alors si j'étais vraiment sure et certaine de haïr mon époux. Honnêtement je l'ignorai, j'éprouvais énormément de colère, de frustration et bien d'autres sentiments qui se mêlaient dans mon être déchiré.
Comme si elle était la voix de la raison, de ma conscience, elle avait trouvé la clef de mon coeur et doucement elle arrivait à l'ouvrir pour en extraire le venin. Ses paroles résonnaient dans ma tête comme mes cris avaient retenti sur les murs de la nef. Une pause se fit dans ses propos, me laissant alors pleurer encore aux pieds d'Arcamenel.

Elle reprit de sa voix douce alors que lentement je me rendais compte que les souvenirs passés même s'ils n'étaient pas toujours heureux me manquaient. Je regrettais cette période que je pensais révolue. Levant la tête, une larme tomba sur le marbre statuaire au même moment où un fin filet de voix rempli de sanglots s'extirpa de ma gorge.

Oui, je regrette...

Suite à la prononciation de cet aveu, le déclic se fit en moi. La porte que Marion n'avait fait qu'entrouvrir se trouva grande ouverte et tous mes anciens sentiments revinrent. Les liens qui les gardaient bridés étaient désormais brisés. Je retrouvais une partie de mon âme qui avait était si longtemps enfermée au fond de mon coeur.
Bien que je me sente apaisée dans un certain sens, une terrible douleur m'assaillit. La perte de mon enfant, le comportement le plus affreux que j'avais pu donné à voir, ma froideur, ma fuite... Tout... Tout ce que je fus depuis cet été me revint en pleine face tel un boomerang.

Me noyant dans ma détresse, je levais un regard rempli de larmes et d'incompréhension vers le visage de la statue comme si j'attendais une réponse de sa part. Marion qui se trouvait agenouillée à mes côtés fut bien vite la personne vers qui je me tournais pour pleurer.
M'abandonnant alors à cette douleur qui fut mienne à cet instant précis, je m'affaissai sur Marion. Les bras croisés sur les genoux de la demoiselle, j'enfouissais mon visage à la mine désespérée où mon chagrin vint à souiller les jupons de la robe de la dame d'Assar. La voix chargée de regrets et de détresse, étouffée par le tissu, elle put néanmoins entendre mes paroles.

Qu'ai je fait? J'ai détruit ce qui comptait le plus à mes yeux et à mon coeur... Jamais il ne me pardonnera...

Les larmes allant bon train, les tensions dans mon corps se relâchèrent peu à peu me plongeant dans le sommeil. Epuisée, j'étais vidée de mes forces après avoir versé toutes les larmes de mon corps. Je reposai à présent, telle une enfant allongée sur le sol et la tête reposant sur les genoux de Marion.

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