Retrouver un frère [Jérôme]

Jérôme tournait en rond dans son bureau comme un lion en cage. Lorsqu'il avait reçu la lettre de Guillaume annonçant que sa sœur était de retour, le soulagement s'empara de lui à un point tel qu'il faillit en pleurer, toute la tension du moment et emmagasinée retombant à la lecture de cette bonne nouvelle. Heureusement, il était seul lorsqu'il avait ouvert le parchemin et il sut résister à la tentation. Il avait aussitôt répondu et demandé à sa sœur de le rejoindre à Bastylle. Il avait lu et relu la lettre et il avait bien comprit dans les mots de son cadet qu'il y avait un soucis avec Mathilde. Il avait reçu une seconde lettre qui disait qu'elle était en chemin pour le rejoindre. La durée du voyage pouvait être variable selon le temps et les conditions mais normalement elle devrait arriver sous peu, en fait depuis la veille jusque demain, ce serait des plus normal. Il avait mit de côté toutes ses obligations, allant contre sa nature, afin de focaliser toute sa attention sur la plus importante tâche que lui avait confié leur père, à savoir de veiller sur sa famille. Il avait prit la fugue de Mathilde très mal, non à son encontre à elle mais contre lui même devant son échec flagrant. Un malaise s'était emparé de lui et ne l'avait plus quitté depuis et il était obligé de vivre avec tout en essayant de l'oublier pour ne pas manquer à ses obligations. Peut être qu'aujourd'hui il allait enfin la retrouver mais apparemment dans un autre état que celui ou il l'avait vu pour la dernière fois. Que s'était il donc passé durant son périple ? il savait la raison de son départ imprévu mais pas les évènements qui avaient ponctué les jours ou elle avait été absente.

A chaque fois qu'il entendait du bruit à l'extérieur, il se précipitait à la fenêtre qui donnait sur l'entrée. Puis lorsqu'il se rendait compte que ce n'était pas sa sœur, il recommençait à marcher en cercle, usant le tapis qui était posé sur le sol. Finalement un bruit de carrosse se fit entendre, une fois de plus il se rendit à la fenêtre, la pluie tombait, faisant écho à son humeur du moment. Le véhicule s'immobilisa et la porte s'ouvrit et enfin il la vit. C'était bien elle, sa sœur était la et elle était en train de descendre les quelques marches qui l'aidait à sortir du carrosse. Elle tenait son fils dans ses bras et la fille qu'elle avait adopté, Lyse, la suivait. Il se recula afin de ne pas être vu et son cœur manqua un battement. Il avait beau être l'ainé, ses sentiments n'en étaient pas moins exacerbés en ce moment ou il retrouvait un membre de sa famille qu'il croyait perdu.

Il sortit de la pièce et se rendit au temple du bâtiment afin d'adresser une prière muette à Néera. Pendant ce temps, Mathilde fut introduite dans son bureau. Jérôme s'y rendit et lorsqu'il fut devant la porte, il tendit la main pour l'ouvrir mais arrêta son mouvement, gardant sa main levée. Il prit une grande inspiration, souffla et tenta d'éviter le tremblement qui s'était emparé de lui. Il poussa la porte et s'avança dans la pièce, la refermant derrière lui. La fillette était assise et Mathilde debout, tenant Kiel dans ses bras. La peau des deux frères et sœurs se firent échos, tous les deux halés par le soleil d'été alors qu'ils baroudaient. De même que leurs yeux d'un bleu encore plus profond vu la peau assombrie. Un silence pesant s'installa et ils restèrent la à se regarder sans bouger, ni rien dire. L'émotion était palpable mais aucun n'arrivait à faire le premier pas. Mathilde finit par demander pardon en balbutiant puis ses yeux s'emplirent de larmes. Jérôme céda alors à ses émotions, se moquant de fait qu'il soit un noble, un homme et un parangon de virilité, il s'avança précipitamment vers sa sœur, tomba à genou face à elle entoura les jambes de Mathilde avec ses bras. Les larmes perlaient de ses yeux sur ses joues et il ne faisait rien pour les retenir

"Ne t'excuse pas, tout est de ma faute. Je suis tellement navré. Comment est ce que j'ai pu ne pas voir que tu allais si mal. Me pardonneras tu mes erreurs un jour. Quel frère indigne je suis."

Le flot de paroles était rapide, l'inverse de Mathilde, le tout sortant comme s'il était pressé d'obtenir le pardon de son unique sœur.

Mathilde posa d'abord ses mains sur les épaules de Jérôme, elle se baissa et l'enlaça, le serrant contre elle. Jérôme avait les yeux fermés et il laissait les larmes couler le long de ses joues. Tout le stress emmagasiné ces derniers mois, que ce soit politiquement ou sur le champ de bataille, profitait du trop plein d'émotions suite aux retrouvailles tant souhaités, pour ressortir. Elle repoussa doucement son frère, ce qui lui fit ouvrir les yeux et il rencontra le regard de sa sœur, preuve indubitable d'un lien de parenté entre les deux. Elle se releva et, se faisant, fit de même pour le baron qui s'était rabaissé sans la moindre hésitation. Elle lui expliqua qu'il était un excellent frère et que les fautes étaient siennes. Elle s'excusa a son tour et s'invectiva de la même façon que son ainé. Elle se blottit contre lui et il l'accueillit dans ses bras qu'il resserra autour d'elle. Il lui avait manqué, disait elle et elle avait eu peur de sa réaction si elle lui faisait parvenir de ses nouvelles. Il passa doucement ses doigts dans la chevelure de sa sœur, un simple geste mais si attendrissant.

Son fils pleura, appelant l'attention de sa mère. Mathilde sortit de l'étreinte et se rendit auprès du fruit de ses entrailles. Elle le prit dans ses bras et se retourna, souriante. Elle le présenta à Jérôme et lui proposa maladroitement de le prendre. Il avait en effet bien grandit, c'était indéniable. Le petit bout d'homme se mordillait la lèvre en regardant fixement celui qui se trouvait être son oncle. En ce moment, la polémique était fort loin, tout comme l'idée d'honneur. La famille était ce qu'il y avait de plus important, c'était l'éducation qu'il avait reçu et même si l'honneur se portait très haut dans sa façon de voir les choses, sa famille serait l'une des choses qui pourrait le pousser à rompre avec cet idéal. Il renvoya un sourire à sa sœur, les larmes ne coulant plus mais les sillons d'eau salée bien présente sur ses joues et il tendit ses bras

"Il est robuste, c'est certain. Avoir voyagé aussi longtemps à son âge n'est pas chose courante et il semble en bonne santé."

Il donna son index à Kiel qui le prit et le serra très fort. Jérôme le regarda d'un œil attendrit. Après tout le pauvre n'était pour rien dans la façon dont il avait été conçut et il faisait maintenant parti de la famille, entrant dans le cercle restreint des personnes dont Jérôme avait la charge. Lyse, elle, avait été adopté et ne faisait pas partie de la famille par le sang. Toutefois, Jérôme avait décidé de ne pas faire de différence car elle non plus n'avait rien demandé et elle méritait de prendre sa revanche sur la vie qui ne l'avait pas épargnée, faisant d'elle une orpheline. Tout en laissant son doigts dans la main de son neveu, il s'approcha donc de la petite fille, laissant sa sœur de côté pour le moment. Il savait qu'elle comprendrait qu'il ne la boudait pas mais qu'il prenait son rôle d'oncle très au sérieux

"Toi aussi tu as bien grandit, tu n'es plus une petite fille maintenant, j'espère que tu ne m'as pas oublié ?"

Mathilde était en effet parti rapidement après l'adoption et bien que déjà en âge de se rappeler les choses, peut être qu'elle avait d'autres pensées qui l'avaient repoussé de ses souvenirs. Il lui ébouriffa les cheveux de sa main gauche, Kiel se trouvant dans le creux de son bras droit. Il parla à Mathilde tout en restant en face de Lyse

"Tu les élève très bien, j'en suis certain. Je te remercie d'être revenu en tout cas, tu me manquais cruellement également. J'ai remué ciel et terre mais tu es très forte. Mathilde, tu es mon unique sœur et tu sais que jamais je ne te ferais de mal ?"

Il ne repartit pas non plus dans les questions qu'il se posait encore et encore. Le temps était à la joie et il ne voulait pas gâcher ce moment

"Alors dites moi, Lyse, Mathilde, vous devez avoir faim ? qu'est ce que vous voudriez manger. Je ferais servir ici même les plats que vous voulez et nous pourrons discuter tout le temps qu'on le voudra."

Tant que les enfants étaient présent, en particulier Lyse qui comprenait tout ce qu'il se disait, il devint clair que Mathilde ne pourrait pas parler. Toutefois il n'était pas question de la congédier. Dès lors que l'on parla de manger, elle demanda très poliment si elle pouvait avoir un morceau de tarte et un verre de lait. Jérôme sourit à celle qui était devenue sa nièce et la benjamine lui demanda de se rendre en cuisine afin de les obtenir. Une fois libre de discuter, il ne fallut pas longtemps pour que Mathilde commence. Elle débuta par son questionnement sur ce que Guillaume avait indiqué dans sa lettre et sur le fait que vu la position de Jérôme qui devenait de en plus puissante, il pourrait être amené à lui faire du mal par contrainte. Il demeura silencieux, ne voulant pas prendre l'initiative et risquer de couper sa sœur dans son élan mais il se rappela une rencontre avec Aline de Montévlin lorsqu'elle parlait du mariage arrangé. Se pourrait il que sa sœur pense cela de lui ? Elle continua donc, expliquant les raisons de son départ, le déshonneur qui se tenait telle une épée de Damoclès au dessus de la tête de Jérôme à cause de ses agissements et qu'elle n'avait pas trouvé d'autre solution que celle de fuir, surtout après la lettre reçue de leur mère. Elle n'était revenu que parce qu'elle avait entendu une rumeur qui annonçait la mort de Guillaume, cela voulait donc dire qu'elle ne serait pas la si le cadet n'avait pas été blessé.

Mathilde fit quelques pas dans la salle avant de clôturer son monologue. Elle parla de l'amour fraternel et de l'honneur, de la famille et des sacrifices qu'elle n'était pas prête à envisager. Elle se plierait aux décisions de Jérôme mais ne voulait pas être séparée de ses enfants, sa voix devenant un râle alors qu'il était clair qu'elle luttait afin de ne pas pleurer. Jérôme, Kiel toujours dans ses bras, commença à arpenter lui aussi la pièce, il avait les sourcils froncés, non pas de colère mais par la réflexion alors qu'il cherchait les mots qu'il allait dire. Il parla d'une voix très calme, ne voulant pas qu'elle pense qu'il la sermonnait. Il s'agissait d'une conversation importante que celle-ci ils discutaient entre adultes et non en tant que chef de famille voulant imposer son point de vue

"Tu veux savoir ce que Guillaume m'a dit ? il m'a écrit que tu n'étais plus la même, que tu dissimulais des choses et qu'il avait l'impression que tout lien entre vous deux semblait rompu. Il avait peur que tu ne l'aime plus comme par le passé et que tu sois perdu après les épreuves que tu as traversés."

Il marqua une première pause afin de lui faire comprendre que Guillaume était plus meurtrit par le fait de ne plus avoir de connivence avec sa sœur que de la blessure qu'il avait eut et qui était des plus sérieuse.

"Tu as raison sur un point, c'est que tu as eu tord de partir comme tu l'as fais, sans avertir personne. Tu avais d'autres choix possibles, le premier étant de venir en discuter avec nous ou juste moi si tu préférais. Ensemble nous aurions pu trouver des solutions. N'est ce pas ce que nous avons fait lorsque tu es arrivée à Etherna, toute retournée par ton état ? Mère n'aurait pas du écrire tout ça, oui nous avons lu la lettre. Maintenant tu ne dois pas non plus oublier qu'elle est celle qui t'a mise au monde et qu'elle t'a élevé du mieux quelle a pu. Tout le monde commet des erreurs dans la vie et elle n'est pas exempt de cela. Je lui ai envoyé une lettre afin de lui dire ce que je pensais de ce qu'elle t'a dit."

En effet, Jérôme avait écrit à sa mère et bien que le faisant avec tout le respect qu'il lui devait, il n'avait pas été tendre sur les mots qu'il avait employé. Il avait également rappelé que dorénavant c'était lui le chef de famille et qu'il comptait bien sur son appuie et non sur sa défection à le soutenir ainsi que toute la famille dont il avait la charge. Il était temps maintenant de dire les mots si simple mais qui étaient très fort

"Je t'aime aussi, petite sœur et il en sera ainsi tant que je vivrais. Ces derniers mois j'ai compris une multitudes de choses et en partie grâce à toi. L'honneur que je met toujours en avant est important, tu le sais, c'est ainsi qu'on nous l'a enseigné. Toutefois la famille l'est encore plus, c'est indéniable. Aussi, aujourd’hui, si je devais choisir entre l'honneur et la famille, je ne perdrais pas une seconde à réfléchir. Je suis prêt à perdre mon honneur et tout ce que j'ai entrepris et gagné afin de soutenir ma famille envers et contre tous."

Il n'avait pas lâché sa sœur des yeux afin de lui montrer toute la sincérité dont il faisait preuve à son égard.

"Et sinon je pense que tu faisais allusion à un mariage arrangé lorsque tu parlais de ma position ? si c'est cela, je pense qu'inévitablement il y aura des demandes de mariage te concernant mais n’ai crainte je ne compte pas te forcer à une union arrangée. Je t'en parlerais bien évidemment, sait on jamais, peut être que tu en auras envie après tout et si ton plaisir va dans le sens de l'arrangement alors pourquoi s'en priver. Mais je te promet que je ne t'obligerais jamais à cela."

Inévitablement, on en arrivait toujours aux questions

"Qu'est ce qui t'es arrivé durant ton absence ? est ce que tout va bien ? personne ne t'a maltraité ? s'il te plait, ne nous tourne pas le dos, tu sais que Guillaume et moi seront toujours la pour toi."