Interdits | Ril-Vywen [MdO 2015]

Si désormais, Linaëh était loin, Fort Ellyrion n'était pas pour autant proche. Et elle avait besoin d'une petite pause. Au bout de plus d'une demie journée de monte à allure soutenue, elle avait besoin de se détendre, elle avait besoin de se rafraîchir, et si possible, de s'octroyer un court moment de détente. Elle se surprit à rêver de massages et de relaxation. Oui, cela faisait longtemps qu'elle n'avait pas sentit des mains sur son corps, cela faisait longtemps qu'elle n'avait pas apprécié la chaleur d'un autre corps contre le sien. Mais elle chassa rapidement ces pensées de sa tête. Elle n'avait avec elle que sa louve et son étalon, et pas de compagnon potentiel. Ne serait-ce que pour dénouer ses muscles et redonner des sensations à peu près humaines à ses jambes.

Enfin, elle finit par mettre pied à terre, au niveau d'un arbre qui lui parut d'abord démesurément large. Mais une fois lorsqu'elle s'approcha du tronc, elle put constater qu'il n'en été rien. Ses sens étaient donc émoussés. Magnifique. Elle doutait de sa réaction à une attaque surprise, là, maintenant, et remercia Kÿria d'avoir encore sa louve à ses côtés et de savoir qu'elle avait toujours sa dague à son flanc. Elle se laissa tomber dos contre l'écorce et balança sa tête en arrière. Dans l'état d'épuisement physique où elle était, elle savait ne pas être capable de se relever, que ce soit brusquement ou lentement. Le bas de son corps ne répondait plus très bien à ses injonctions. Elle ferma les yeux un moment, goûtant à la douceur de la torpeur, mais fut rapidement rappelé à l'ordre par son étalon qui s'ébroua.

Bon, elle n'allait pas sérieusement s'écrouler là et dormir comme une masse. Non. Elle allait au moins faire l'effort de s'occuper de sa monture et de vérifier qu'Aralaurë avait bien mangé. Ensuite, elle verrait. Oui, elle allait d'abord s'occuper d'eux, puis elle s'occuperait d'elle. L'elfe se releva avec moultes difficultés et peu d'élégance, mais qu'importait, elle était de nouveau en position verticale. Elle marcha tout d'abord avec difficulté, mais réussit à reprendre une démarche qu'on pourrait qualifier de normale au bout d'un petit temps. Mais la douleur, l'engourdissement était toujours là, présent comme un cailloux dans une chaussure. Elle nuisait au bon fonctionnement de son corps, et elle n'appréciait pas ça. Oui, elle avait vraiment envie d'un massage. Elle soupira dans l'air frais et put observer le petit nuage qui se forma alors.

L'hiver était là, et pourtant, elle avait plus chaud que jamais. Fort heureusement pour elle, elle trouva rapidement un ruisseau qui coulait par là et s'aspergea d'eau froide. Elle défit sa cape, ouvrit son gilet et sa chemise et fit délicieusement frapper l'eau fraîche contre sa gorge. Elle resta un instant à genoux, les mains aux bords du ruisseaux, trempée, le souffle court. Quand elle releva la tête, tentant de calmer sa respiration, elle remarqua un mouvement de l'autre côté de la rive. Une elfe. Une autre elfe. Normal. On était en Anaëh. Mais sur le moment, elle resta bouche bée, comme si son cerveau se refusait à lui faire entendre la chose suivante : il y a avait une elfe devant elle. Une inconnu dont elle ne connaissait rien, et qui était un danger potentiel. Alors qu'elle était dans un état mine de rien assez proche de l'ébriété.

La fille de la Mère était fatiguée. Le poids des années, jusqu’alors léger comme la plume de la colombe, se faisait désormais lourd. La chape de plomb avait su trouver ses épaules, voûtant son échine, érodant lentement sa patience. Elle n’avait jamais été vraiment patiente, mais des ennéades à siéger au Conseil avait terminé de la rendre agressive. Que n’eut-elle pu les réduire aux silences, tous ! Les gagner à sa cause comme elle avait pu le faire auprès des tributs. Mais ils étaient de la pierre et s’ils la respectaient, véritablement, il ne lui faisait pas assez confiance pour lui abandonner la survie des terres d’Ardamir. Qu’importait, elle n’était plus sûre désormais de le vouloir. Chaque jour, l’appel de l’Œuvre se faisait plus pressant, les hauts murs de pierre plus oppressants.

Il l’avait prévenue. Il lui avait dit que cela arriverait. Qu’à partir du moment où elle s’engagerait sur la voie qu’elle avait choisi, il n’y aurait plus de retour possible. Ni pour Ardamir, ni pour Almugkarka, ni pour personne sinon ses frères les arbres. C’était sans doute pour cela que personne au Conseil n’avait jamais parlé de l’élever au rang de Dame Protectrice, alors même qu’on en parlait dans leurs rues. Ils étaient sages, eux aussi, ils savaient. Elle n’aurait jamais accepté l’honneur, de toute façon. Mais pendant cette guerre, elle aurait voulu pouvoir incarner la voix unique d’une création menacée. Elle aurait voulu être l’unité qui faisait souvent défaut aux siens. Elle ne le pourrait.

C’était la raison qui l’avait poussée dans les bras de l’Œuvre, quittant sans un mot ou explication les Conseillers. Personne n’avait cherché à l’arrêté. Personne ne l’aurait pu. Elle était Ril-Vywen et Ril-Vywen faisait ce qu’elle voulait.

L’ours qui résidait au plus profond d’elle-même l’avait encouragée et elles s’étaient élancé toutes deux, sous le regard indifférent des deux lunes, entre leurs frères les arbres. D’un même pas. Mues par une même volonté. Elles avaient été des Gardiennes vigilantes, s’abandonnant à leurs rôles. Là, un arbre éventré par la guerre avait reçu de leurs mains le baume de la Mère. Plus loin, leurs griffes avaient su trouver la gorge d’un frère loup mourant, lui offrant ainsi le repos du chasseur, amplement mérité. Au loin, finalement, la gronde avait su trouver leurs oreilles et elles avaient suivi la trace, les cœurs battants la chamade. Ainsi la colère de la Mère s’étaient-elles abattu sur un fils perdu, à la peau noire comme la foi qu’il offrait à ses faux dieux. Ainsi le sang avait rougi la première terre, lui offrant la vie qu’il lui prenait plus au sud. Mais le carmin ne venait pas que de la gorge arrachée du guerrier sombre. Leurs flancs aussi avaient été touchés, tranchés par la lame brandie avec la force du désespoir. Alors l’ours se retira, abandonnant l’elfe au pied d’un arbre.

Quand Ril-Vywen porta ses doigts face à ses Manaahen, elle sourit doucement avant de peindre, d’une main tremblante, le masque vengeur sur son front, sous ses yeux, sur ses joues et son menton. Puis elle se laissa sombrer dans l’inconscience, son bras gauche pressant toujours sa blessure, plus impressionnante que véritablement mortelle. La grande lune eut le temps de danser autour de la petite avant qu’on osât l’approcher.

Passant rapidement une main sur son visage, pour enlever l'eau qui s'évertuait à couler toujours et encore de ses cheveux, elle se remit rapidement de sa première impression. Qui était celle d'un danger imminent. Elle se redressa douloureusement et réajusta sa tenue, avant d'observer de plus près celle qui lui avait fait une étrange impression. Grande, plus grande qu'elle, elle ne portait qu'en tout et pour tout une peau animal, celle d'un ours certainement. Eliwa put remarquer une blessure assez fraîche à son flanc. Mais ce qui la frappa le plus, ce fut le sang étalé sur son visage. Ce brun qui avait du être carmin, autre fois, et qui formait désormais une croûte sur son visage, lui rappelait étrangement une chose qu'elle voyait chaque jour. Il lui rappelait celui qui tâchait le pelage immaculé de sa louve après une partie de chasse. Et ce devait être ce rapport inconscient qu'elle avait fait qui l'avait, de prime abord, effrayé.

Un peu soulagé, d'abord d'avoir trouvé la cause de son affolement, puis ensuite d'avoir retrouvé les plus gros réflexes moteurs, elle enjamba le ruisseau et s'approcha doucement de l'elfe. Elle lui faisait tellement penser à un chasseur qu'elle en devenait presque proie. Impression fugace mais dérangeante, dans le sens où elle la reconnaissait. Comme si elle l'avait déjà éprouvé. Comme si elle avait déjà été proie. Bien sûr, elle l'avait été. Mais si bassement, si bestialement... Elle en trembla intérieurement. Par réflexe, elle porta deux doigts à sa bouche lorsqu'elle arriva à distance raisonnable. Elle arrêta d'avancer et tergiversa un moment sur ce qu'elle devait faire. Parler et s'approcher ? Parler et attendre ? S'approcher et parler ? Ou juste rester là, à la regarder ? Elle n'en savait strictement rien, et ça l'embêtait. Alors, elle décida de s'approcher encore.

- Avez-vous besoin d'aide ? Je peux regarder votre blessure si jamais vous le souhaitez...

Elle ne savait pas sur quel pied danser, et l'autre devait très certainement le ressentir. Ce qui la mit plus mal à l'aise encore. Elle ne savait même pas à qui elle avait à faire, mais n'osait demander. Elle craignait déjà d'être allé trop loin dans son approche, encore plus dans la mise à disposition de son aide, alors elle ne se sentait pas de lui demander qui elle était. Surtout qu'elle avait oublié de la saluer.

Derrière le voile ténébreux qui la gardait du monde extérieur, la fille de la Mère crut entendre une chanson. Une délicieuse sérénade qui ne lui promettait rien d’autre que le repos. Alors elle tendit la main et écarta le tissu vaporeux, laissant la lumière de la lune l’aveugler à nouveau. Elle ouvrit un œil et l’éclat émeraude se posa sur des lèvres pulpeuses. Sans savoir pourquoi, elle s’en sentit troublée et l’auburn se dévoila à son tour. Le monde autour d’elle retrouva sa profondeur, son immensité, sa douleur aussi. Sa main gauche serra par reflexe son flanc blessé et la douleur irradia dans tout son corps, comme pour lui rappeler qu’elle n’était pas morte.

La mélodie claironna une nouvelle fois et Ril-Vywen comprit qu’elle provenait des lèvres en face d’elle. Ses Manaahen accrochèrent l’éclat sombre d’une chevelure et elle en suivit la chute, jusqu’à parvenir à son front. Sentant un vertige la prendre, elle s’affaissa légèrement et se perdit un instant dans l’éclat opale du regard de la créature. Ensuite seulement elle comprit que c’était à elle qu’on parlait et fit de son mieux pour chasser le brouillard qui lui embrumait les pensées. Sans s’en rendre compte, elle détailla la fille de la mère qui lui faisait face des pieds à la tête, s’attardant sur ses formes, son cou et revenant sur ses yeux.

« Qui es-tu ? » lui demanda-t-elle finalement, mettant ainsi fin au silence qui s’était installée entre elles. Combien de temps avait-elle mis pour revenir pleinement à elle ? Elle n’en savait rien, même si elle penchait sur plusieurs longues minutes qui étaient d’ailleurs peut-être responsable du regard paniqué de sa Gardienne.

L’écorce sur laquelle elle s’appuyait lui faisait mal au dos, elle était percluse et épuisée. L’ours qui résidait au plus profond d’elle-même demeurait étrangement silencieuse ; elle lui donnait l’impression de lécher ses blessures en silence, attendant que vinssent les soins ou les ramages sombres de la Voilée. La druide, quant à elle, ne pouvait se résoudre à s’abandonner aux fils du Prisonnier, qui pouvait la conduire vers l’une ou l’autre des voies qui s’ouvraient à elle. Alors elle tenta de se redresser, lentement d’abord, puis plus brusquement quand elle sentit que son corps ne répondait pas comme elle le voulait. Sa vaine tentative n’eut que deux conséquences malheureuses : le sang se remit à s’échapper de ses chairs tranchées et elle échoua dans les bras de la rôdeuse, car elle devait être rôdeuse, cette fille de la mère venue à son secoure.

« La Mère veille sur toi… » murmura-t-elle avant de sombrer une nouvelle fois dans l’inconscience.

Elle n'avait put répondre avant que l'elfe s'écroule dans ses bras, inanimée. Il ne manquait plus que ça. Elle était fatiguée, courbaturée et les muscles de ses jambes la faisaient souffrir, et voilà qu'elle devait s'occuper d'une autre fille de la mère. Elle passa de nouveau une main sur son visage, comme si elle voulait retirer toute trace de fatigue. Effort inutile bien sûr, mais elle avait besoin de se réveiller elle même pour tenter de s'occuper de celle qui gisait dans ses bras. Eliwa savait ne pas avoir la force pour la porter au moins jusque là où elle s'était affalée un moment plus tôt. Elle ne fit donc que l'amener plus près de la rivière. A genoux, elle soutenait d'une main sa tête, et de l'autre, elle trempait un morceau de tissu qui lui servait ordinairement de bandage dans le ruisseau. L'eau était toujours aussi fraîche et le corps de la sylvaine se raidit lorsqu'elle appliqua le linge sur son front.

La croûte brune disparaissait doucement, découvrant un visage dont on ne pouvait nier la beauté. Malgré ses traits assez brutaux et marqués, elle était belle. Elle savait que derrière ses paupières fermées se cachaient des yeux comme elle n'en avait jamais vu. Et peut-être qu'au fond d'elle, elle n'était pas seulement motivée par le fait de sauver cette fille de la mère, mais qu'elle l'était aussi par le fait de revoir ces iris si étranges. Elle s'appliquer dans la toilette qu'elle lui donnait, et lorsqu'elle eut finit avec son visage, elle descendit les yeux sur son corps, jusqu'au flanc blessé. Même dans son inconscience, elle était toujours agrippée à sa blessure. Eliwa retira doucement sa main pressa aussitôt la plaie avec le tissu qu'elle avait mouillé. Dans cette position, elle eut du mal à trouver une autre bande dans sa ceinture, mais elle y parvint tout de même. Une fois qu'elle eut nettoyé la blessure, elle s'escrima à faire un semblant de bandage. Bon, ce n'était pas parfait, loin de là, mais au moins, ça devrait arrêter toute grosse saignée.

Peut-être qu'elle aurait du recoudre, peut-être qu'elle aurait du s'appliquer à faire un onguent avec les herbes qu'elle pouvait trouver autour d'elle. Peut-être. Mais elle en avait marre, elle était épuisée, et elle n'avait plus la force. Cependant, prise dans un regain d'énergie, elle se releva péniblement et souleva l'elfe dans ses bras. Plus grande qu'elle, et sûrement autant musclée, elle épuisa ses dernière force pour lui faire traverser le cours d'eau et rejoindre sa louve et son étalon. Oh, il aurait été largement plus simple de les faire se déplacer, eux, mais elle avait repéré un endroit, là bas, où elle pourrait s'enfoncer dans le sommeil sans trop être exposée. Un arbre avait comme un creux dans son tronc, et c'est là qu'elle s'affala pour la seconde fois de la journée, l'elfe dans les bras. La déposant à côté d'elle, elle la mit sur le dos, position qu'elle jugeait la plus appropriées, et la moins difficile à tenir. Réarrangeant sa peau autour d'elle, elle retira sa cape et la couvrit avec en supplément. Parce que bon, se promener en hiver avec une simple peau, sa ne tenait pas chaud, de surcroît si son corps était plus occupé à la soigner qu'à la réchauffer.

Eliwa se pelotonna ensuite contre l'elfe. L'espace réduit ne laissait pas tant de choix, et elles auraient bien plus chaud comme ça. Elle pouvait entendre sa respiration, discerner les battements de son cœur. Et bien qu'elle pensa un instant ne jamais pouvoir s'endormir tant elle grelottait, elle sombra rapidement dans une douce torpeur.

Le deuxième réveil fut moins pénible que le premier. Avant même d’ouvrir les yeux, la fille de la Mère put pleinement apprécier le doux cocon de chaleur dans lequel elle était blottit et qui lui rappelait les Varya'aldas que savaient chanter les Nyellos. Elle s’y sentait tellement bien qu’elle replia doucement les jambes vers son torse, retrouvant la position fœtale qu’elle affectionnait particulièrement lorsqu’elle s’abandonnait à ses frères les arbres. Contrairement à ses habitudes, cependant, son corps trouva certaines résistances et elle eut très vite l’impression qu’un poids mort était appuyé contre elle. Il n’en fallut pas plus pour la ramener à la réalité et ses Manaahen dardèrent leurs étincelles tout autour d’elle, alors qu’elle cherchait à deviner où elle pouvait se trouver. C’est alors qu’elle la vie ; la mèche opale de la veille vint caresser sa joue, ballotée par le mouvement inconscient d’une rôdeuse dérangée dans son sommeil par une blessée un peu trop remuante.

Ainsi donc, la chaleur qu’elle avait senti ne provenait pas d’un Varya’aldas mais de sa peau d’ours, à laquelle il fallait ajouter une cape de tissu plus traditionnelle et… Ril-Vywen mit plusieurs secondes avant de le comprendre, les bras de sa compagne d’une nuit. Si la druide prit conscience de sa nudité et de ce qu’elle impliquait, elle n’en laissa rien paraître et se surprit même à laisser glisser un doigt pensif sur la peau — douce, ainsi qu’elle le découvrit — de sa surprenante bienfaitrice. Car il fallait bien qu’elle le fût, sinon comment expliquer autrement la présence du bandage qui serrait désormais sa taille et protégeait sa blessure ? La rôdeuse remua doucement le bras sous la caresse, toute innocente fut-elle. Cette constatation arracha un sourire à une Ril-Vywen ayant retrouvé la pleine possession de ses moyens.

Avec une douceur étudiée, elle se libéra de l’étreinte qui l’avait maintenue au chaud ; elle s’y prit assez bien pour ne pas la réveiller, ce qui laissait à penser que la rôdeuse avait pu manquer de sommeil dans un passé pas forcément lointain. Par la suite, la druide hésita quelques secondes avant de récupérer sa peau d’ours, mais le fait était que le manteau était une part d’elle-même. L’ours qui résidait au plus profond d’elle-même grognait de la voir couvrir un autre corps que le sien et elle finit par céder à ses instincts, non sans une pointe de remords rapidement étouffés. Elle était une fille de la Mère, que diable ! Ce n’était pas la rosée du matin qui la tourmenterait.

Dans un premier temps, Ril-Vywen prit le parti de vérifier les soins qu’on lui avait prodigués. Elle palpa le bandage et eut la bonne surprise de le voir rester propre : le sang n’avait pas coulé durant la nuit et il semblait que la plaie commençait déjà son long périple sur la voie de la cicatrisation. C’était une bonne chose, car la druide n’était pas une patiente très… patiente, justement, et ne savait jamais respecter ses périodes de convalescence. Le coup d’épée n’avait de toute façon entraîné aucun dommage véritablement sérieux et il n’y avait eu que la perte de sang pour la mettre en danger. Maintenant que le tout avait été nettoyé et pansé, il n’y avait plus de raison de s’inquiéter ; ce qui ne l’empêcha pas de grimacer plusieurs fois quand elle tenta d’esquisser quelques petits pas. Avec un soupir contrarié, l’Almugkarka s’adossa à l’arbre le plus proche et observa la jeune fille de la Mère qui lui avait porté secoure. Avec une certaine surprise, elle lui trouva quelques ressemblances avec Hidia, l’Anaarooma avant elle, son ancienne mentor qui avait péri quelques ennéades plus tôt à peine, lors des razzias féroces des guerriers noirelfiques. Peut-être avait-elle ressemblé à cela, plus jeune, à une époque où son élève n’était pas même encore née, ni même espérée.

La vision était si inattendue, la ressemblance plus flagrante chaque seconde qu’elle passait à l’observer, que Ril-Vywen sentit son cœur se serrer alors qu’elle prenait pleinement conscience de combien la vénérable Almugkarka lui manquait. Elle n’était pas la seule à avoir péri, cette nuit-là. Si bien que la druide repensa, pêle-mêle, aux chasses partagées avec son père ou aux conflits nombreux qui avaient empoisonné sa relation avec son frère. Elle adressa une prière à la Voile, espérant ainsi participer aux repos de leurs âmes. Ses doigts signèrent, selon un rituel complexe qu’elle tenait d’Hidia elle-même et quand elle repensa au mal qu’elle avait eu à les retenir, elle esquissa un sourire empreint de nostalgie. Ce fut ce moment-là que choisit sa protégée, anciennement protectrice, pour émerger à son tour des torpeurs du sommeil. Se traînant à ses côtés, Ril-Vywen planta ses Manaahen dans ses yeux opales et son sourire s’accentua légèrement.

« La nuit fut-elle douce, fille de la Mère ? » demanda-t-elle d’une voix chantante, mais qui trahissait en partie son autorité. Ce n’était pas une question qui resterait sans réponse.

Cela faisait un moment qu'elle n'avait pas été si bien. Qu'elle ne s'était pas sentie tant en sécurité. Et son repos avait été des plus calme et des plus doux. Bien qu'elle eut assez de mal à s'endormir. Lorsqu'elle sentie de nouveau le froid caresser sa peau, elle se refusa tout d'abord à s'éveiller, ne demandant qu'à dormir encore, qu'à n'être plus rien sinon esprit. Mais elle n'eut pas tellement le choix quand elle ouvrit les yeux malgré elle. Etendue sur le sol, là où elle s'était effondré la veille, elle tenta de conserver encore un peu la chaleur dont elle avait profité durant la nuit. Cependant, elle remarqua que celle qu'elle avait porté jusqu'à ses côtés s'était éveillée avant elle. Et qu'elle la regardait désormais, un sourire sur les lèvres en attente de sa réponse. Eliwa cligna plusieurs fois des yeux et s'assit, étirant ses bras devant elle. Elle sentit les muscles de son dos se tendre délicieusement et regarda ensuite ces yeux si étranges qu'elle avait voulu revoir avant de s'endormir.

- Très agréable. Sûrement une des plus douces.

Elle marqua une pause et arracha son regard des iris à contre cœur pour le porter sur le flanc droit. Le bandage avait l'air d'avoir tenu, et ne semblait trop en mauvais état. Il n'était ni imbibé de sang, ni abîmé par un quelconque frottement.

- Vous avez toujours autant mal ?

Parce que bien sûr, elle aurait put mieux faire, elle aurait put plus. Et si elle le pouvait hier, elle le pouvait aujourd'hui. Le tout étant de ne pas défaire ce pansement qu'elle avait eu du mal à mettre en place, et qui paraissait plus efficace qu'elle ne le pensait, pour rien. L'esprit encore un embrumé, elle se redressa et sortit de l'espace où elle avait dormit un long moment pour secouer sa cape. Ses pas furent douloureux, et elle sentait toujours aussi bien l'assise de la selle sous ses fesses. Ses cuisses se refusaient à se fermer pour adopter une démarche moins arquée. Quand elle essayait, ses jambes tremblaient avant de l'obliger à reprendre une position plus adaptée pour ses muscles. Elle soupira et enfila sa cape. Elle n'irait pas bien loin aujourd'hui, aussi, elle siffla longuement et attendit un moment avant de siffler à nouveau, cette fois brièvement.

Son étalon ne tarda pas à se montrer, suivit de près par sa louve. Farfouillant dans une de ses sacoches, elle en sortit des baies, fruits de sa cueillette de la veille, ainsi qu'un morceau de viande qu'elle avait pris soin de sécher. Elle attrapa sa gourde au passage et retourna au creux de l'arbre. Au chaud. S'asseyant en face de l'elfe, elle déposa ce qu'elle avait récupéré par terre.

- Je ne sais si vous avez faim, mais si c'est le cas, servez-vous. Je regrette seulement de ne pas être en état de chasser pour nous ramener de la viande plus fraîche que celle-ci.

Elle lui souriait doucement, et fut de nouveau happée par son regard. Comment était-il possible d'avoir de tels iris ? Enfin, son ventre la rappela rapidement à son souci premier. Elle tendit une main vers le morceau de viande qu'elle partagea en deux, tendant la moitié à celle qu'elle avait soignée. Elle envia presque Aralaurë qui était sûre de se dénicher un lapin à déchiqueter joyeusement.

Les Manaahen de Ril-Vywen suivirent le mouvement des yeux de sa bienfaitrice et elle esquissa un rictus quand elle lui demanda où en était sa blessure. La druide ne manquait pas de qualités, mais ses défauts n’étaient pas moins rares et sa fierté n’était pas le dernier d’entre eux. L’idée d’avoir été blessée par un drow, seul et pris par surprise, alors qu’elle avait affronté et vaincu parfois des dizaines de ses semblables sans sourciller la mettait en rage. Elle se força au calme, pourtant, et tempéra la réplique cinglante qu’elle avait sur le bord des lèvres. Son interlocutrice n’était pour rien dans ses soucis. Elle n’avait pas guidé la lame du guerrier d’Elda, pas plus qu’elle n’avait exacerbé les vindictes du Conseil à son égard. Et puis, il y avait son regard, miroir parfait de celui d’Hidia.

« Je survivrai. » Elle voulut ajouter quelque chose, mais les mots restèrent scellés entre ses lèvres.

Plutôt que de s’en lamenter, elle préféra admirer le spectacle que lui offrait la rôdeuse. Sa silhouette arquée était toute dévouée à la monte ; c’en était tellement visible que le sourire fleurit une nouvelle fois sur des lèvres d’ordinaire froides. Une idée lui vint, napée d’une nostalgie dont elle ne savait se défaire, et elle se promit de la mettre en exécution le plus rapidement possible.

C’était sans compter l’invitation dont elle fit l’objet. Attirée par l’odeur de la nourriture, l’ours qui résidait au plus profond d’elle-même s’agita, réveillant par la même occasion sa propre faim. Se redressant souplement, elle rejoignit la jeune fille de la Mère et la remercia en inclinant légèrement la tête avant de saisir délicatement une baie à ses lèvres. L’ours qui résidait au plus profond d’elle-même ne l’entendait pas de cette oreille, pourtant, et les deux se retrouvèrent bientôt à saisir avec envie une tranche de viande séchée pour la porter à leur bouche. Ainsi Ril-Vywen offrit-elle pendant quelques secondes une image pleine de sauvagerie et de voracité, alors que ses dents se refermaient avidement sur cette source d’énergie bienvenue. Le tout allait très bien avec sa peau d’ours qui l’entourait complètement ; comme pour terminer de passer le message, la gueule de l’ours glissa sur sa tête, se faisant couvre-chef menaçant.

Sa faim fut vite assouvie et elle retrouva dès lors sa dignité, redressant un dos qu’elle avait voûté par reflexe et arrangeant l’air de rien une coiffure malmenée. Alors seulement, elle dit ce que son orgueil avait retenu quelques minutes plus tôt.

« Merci. »
Et ce fut tout. Pas de grandes envolées, mais un seul mot pour témoigner sa gratitude, c’était tout ce qu’elle avait pour elle. Ril-Vywen avait perdu l’habitude qu’on l’aidât, trop habituée que le secoure vînt d’elle. Ses Manaahen s’attardèrent pensivement sur les cuisses de la rôdeuse et son sourire fureta une nouvelle fois sur ses lèvres, fugace.

« Je m’appelle Ril-Vywen, se présenta-t-elle finalement, et j’ai désormais une dette envers toi. Je peux commencer à la payer, si tu le souhaites. Tes jambes parlent pour toi, tu suis un long chemin depuis très longtemps. On m’a souvent vanté mes talents de masseuse, je peux détendre tes muscles noués si tu le souhaites. »

L'elfe n'eut pas l'air de regretter l'ancienne fraîcheur de la viande, contrairement à Eliwa, qui mâcha avec beaucoup moins d'envie et d'entrain. Bon, elle n'avait pas forcément faim, ce qui devait beaucoup jouer en fin de compte. Elle regarda avec envie sa louve passer, une carcasse dans la gueule, mais elle fut rapidement arrachée de cette contemplation par celle qui avait engloutit sa viande sans demander son reste. Elle lui avait dit merci. Comme si elle l'avait sauvé de quelque chose, comme si elle l'avait arraché à un destin moins favorable. Elle n'y avait pas réellement réfléchit, elle n'en avait pas pris conscience avant qu'elle ne le lui fasse remarquer. Un sourire s'étira sur ses lèvres lorsqu'elle finit par lui proposer un massage.

- Tu peux m'appeler Eliwa. Et si on a plusieurs fois vanté tes talents, je ne vois comment je pourrais refuser sans t'offenser.

Et puis, il était vrai qu'elle avait envie de sentir ses muscles se dénouer sous les pressions plus ou moins fortes exercées par des mains plus ou moins habile. Autant dire qu'elle avait de la chance, elle aurait droit à des mains habiles. Elle avait cependant moyennement envie de se déshabiller en pleine hiver, mais cette barrière qu'était la température ne pesa pas longtemps contre l'envie de se faire masser. Elle étala sa cape par terre et retira ses bottes et son pantalon. S'allongeant sur le ventre, elle ferma les yeux. Cela lui rappelait les soirs où elle et les autre filles profitaient de l'absence de Père pour s'adonner à des petits plaisirs féminins, dont le massage était la pièce centrale. Elle faillit ouvrir la bouche puis se ravisa. Elle ne savait si ses questions seraient bien accueillies, et elle n'avait pas envie de le savoir de suite.
Elle entendait nettement en bruit de fond, la mâchoire de sa louve écraser les os de sa proie, et broyer la chaire tendre. Enfin, elle s'imaginait plus cette dernière qu'elle ne la voyait. Mais elle chassa bien vite ces pensées lorsqu'elle sentie les doigts froids de l'elfe se poser sur ses jambes.

Avec une douceur qui contrastait son habituelle tempérament enflammé, Ril-Vywen entreprit de détendre les muscles harassés par plusieurs journées interminables de chevauchés. Elle n’avait pas menti, quand elle avait vanté ses talents. Ses doigts trouvaient les nœuds douloureux, s’y attardaient et les amenaient lentement à rendre les armes. Elle commença par les mollets, sachant pertinemment qu’ils n’étaient pas les plus avides d’attentions, puis remonta progressivement vers les cuisses. Le tout en gardant le silence, car chaque geste la replongeait toujours un peu plus dans un passé à jamais perdu. Parfois, elle tournait légèrement la tête et ses Manaahen accrochaient les cheveux sombres d’Eliwa. Hidia les avait eu plus longs et plus sombres encore, elle s’en rendait compte à présent mais elle continuait de trouver la ressemblance frappante.

Combien de fois avait-elle massé l’ancienne Anaarooma ? Elle avait perdu le compte. Séquelles de vieilles blessures, sa mentor avait toujours eu les cuisses et le dos douloureux et Ril-Vywen avait très tôt été mise à contribution. Un rituel s’était peu à peu installé, un moment de tendresse que partageaient maître et apprentie après une dure journée passée à préparer la cadette à son destin. Sans surprise, Hidia s’était révélé être une masseuse hors-pair et c’était ses gestes que son héritière reproduisait désormais. Étrangement, cela prenait presque une forme d’hommages et Ril-Vywen était entièrement concentrée sur sa tâche.

Elle se souvenait. Des rayons lumineux du soleil ricochant sur la neige. Du froid hivernal caressant les peaux hérissées. Du chant timide des oiseaux chassés par l’hiver. Elle était allongée à même la neige, pourtant son front ruisselait de sueur. Elle avait travaillé toute la matinée à perfectionner son escrime, entraînée personnellement par son père. Ils avaient échangé les passes d’arme, les unes après les autres, et l’adolescente qu’elle avait été avait dû survivre autant à l’avalanche de coups que de conseils de son instructeur. Ils avaient manié de vraies armes, comme il était de coutume chez les Almugkarkas, si bien qu’elle avait récolté plusieurs estafilades inoffensives mais douloureuses. Son père était parti depuis dix bonnes minutes déjà, non sans l’avoir chaudement félicitée. Il était fier d’elle et cette seule pensée la remplissait de joie, mais la fatigue avait vaincu son enthousiasme et elle s’était effondrée dès qu’il s’était éloigné.

Hidia était venue, non sans cacher sa réprobation de voir son apprentie s’adonner à un art qui n’était pas le sien. Elle n’avait pu s’empêcher, néanmoins, d’esquisser un sourire attendrie devant la grimace de souffrante de sa protégée et s’était agenouillée à ses côtés. Quelques minutes plus tard, ses mains s’attaquaient aux douleurs de Ril-Vywen exactement de la même façon que Ril-Vywen s’attaquait, plusieurs siècles plus tard, aux douleurs d’Eliwa. Inconsciemment, la druide calqua ses gestes sur ceux de son aînée, s’immergeant dans ce souvenir pratiquement oublié. Le redécouvrant, aussi, avec un regard plus mature. Elle n’avait pas vu quarante printemps au moment des faits, certaines taquineries d’Hidia lui avaient complètement échappé mais elle les comprenait pleinement, désormais. Quand Eliwa retenait soudainement son souffle alors que sa main effleurait la forme rebondie de ses fesses. Quand elle la sentait trembler subrepticement alors que ses doigts s’attardaient sur la naissance de ses cuisses. Elle-même s’était trahie de la même façon, sans comprendre pourquoi. Quatre-vingt années ne lui avaient pas suffi à discerner dans son souffle accéléré les traces latentes d’un désir coupable mais il semblait qu’Eliwa avait vu assez pour ne pas s’y tromper.

Ses doigts agirent seuls, guidés par ses souvenances plus que par son esprit. Elle avait oublié comment s’était terminée la scène. Comment, taquine et peut-être un brin cruelle, Hidia avait finalement remonté la courbe de sa cuisse et laissé ses doigts s’égarer sur l’intimité de sa protégée. Comment son corps s’en était retrouvé électrisé. Comment elle avait laissé échapper un petit cri de surprise. Comment le rire d’Hidia était venu ponctuer l’incident. Et alors qu’elle caressait ainsi Eliwa, elle crut sentir elle-même l’écho de ses premiers pas sur la voie du plaisir. Le regard qu’elle posa ensuite sur la rôdeuse avait totalement changé.

Elle sentait avec joie les doigts habiles de Ril-Vywen défaire les nœuds qui s'étaient formés dans ses jambes. Elle sentait de nouveau la chaleur moite qui emplissait la pièce lors de ces soirées qu'elle appréciait tant. Les yeux à demi clos, elle voyait la lumière tamisée des bougies, elle savait la pièce devenue orangée, avec ces recoins si sombres mais si plaisants. L'ambiance aidait fortement à créer cette intimité, cette proximité des corps. Elle poussait le corps à se livrer sans crainte à ses désirs les plus enfouis. Mais elle n'avait jamais succombé aussi loin que certaines de ses camarades. Père ne l'aurait jamais pardonné. Si jamais il était venu à l'apprendre. Et bien qu'elle vivait avec ces filles, elle ne leur faisait pas confiance. Elle connaissait leur comportement, elle savait comme elles étaient. Et jamais, jamais elle ne se serait aventuré sur cette voie.

Les mains de l'elfe remontait lentement sur ses cuisses, et un frisson la traversa lorsque ses doigts se posèrent sur ses fesses, puis qu'ils descendirent sur la naissance de ses cuisses. Oh, elle savait très bien ce qu'elle ressentait à ce moment, elle n'était pas dupe, ni même idiote, et elle n'avait pas l'intention de nier non plus. Pas l'intention de se mentir. Eliwa sentait avec délice la pression se faire plus forte, les gestes se faire plus lents. Elle se surprit tout de même à soupirer d'aise. Ces sensations faisaient écho dans son esprit, dans sa mémoire. Oui, elle avait déjà ressentit cet état de plaisir innocent, elle avait déjà ressentit quelque chose de semblable. Et quand elle eut fait le rapprochement, elle ne put se cacher plus longtemps ce qui allait arriver ensuite. Parce qu'elle en avait envie, parce qu'elle avait le sentiment que c'était là le prolongement, la suite logique des choses. Parce que c'était instinctif, que ça allait de soi.

Elle reconnaissait ce changement, elle reconnaissait la différence entre caresses et massage. Bien que la barrière soit fine, elle ne put douter que l'autre se soit égaré, lorsqu'elle croisa son regard une nouvelle fois. La tête sur ses coudes, elle n'avait plus froid. Loin de là. La chaleur l'envahissait peu à peu, même si elle n'était pour le moment que latente, que douce moiteur. Elle était bel et bien présente. Eliwa bougea son bassin, comme pour se mettre dans une position plus confortable, bien qu'inconsciemment, elle voulut dans ce geste guider les mains de Ril-Vywen. Elle frissonna encore lorsqu'elle sentit de nouveau ses doigts remonter, et elle ne put s'empêcher de clore les yeux pour se concentrer exclusivement sur cette sensation. Pour ne plus sentir rien d'autre.

Le souvenir du passé rencontrait l’instant présent. L’aînée abusait de la cadette, s’égarant dans des contrées qui auraient dû demeurer interdites. La caresse se faisait promesse de plaisir charnel. Ril-Vywen s’attendait à un cri, elle se voyait repoussée et préparait déjà son rire cristallin. Hidia avait-elle ressenti la même chose quand elle avait senti la petite souris lui échapper ? Avait-elle dû ignorer la chaleur naissante de son bas-ventre et faire bonne figure ? La druide en doutait sincèrement, tant les situations n’étaient pas comparables. Tout lui semblait si lumineux, dans ses souvenirs, presque parfaits. Les Almugkarkas étaient en paix et vivaient en harmonie, que ce fut entre eux ou avec leur environnement ; le onzième cycle, quant à lui, se faisait plus cruel. L’Œuvre était plongée dans la pénombre, les feuilles tombées durant l’automne tapissaient un sol gorgé de sang. La discorde agitait un peuple en perte de repère et la zizanie s’insinuait jusque dans son clan. Ril-Vywen sentait peser sur ses épaules un devoir si grand qu’elle n’en mesurait pas toute l’immensité, pas encore. Elle voyait bien les attentes. Dans les regards voilés de désespoir des plus faibles. Dans les lèvres plissées des Conseillers. Dans les cris hargneux des enfants de la Mère protégés par le métal. Jusqu’alors, elle avait tenu bon, gardant le dos droit et le menton relevé. Ses Manaahen avaient tenu en respect les contestations des uns et des autres et elle pensait avoir réussi à les garder tournés tout entier vers la protection de l’Œuvre, au mépris de leurs différences. Mais elle sentait l’hostilité monter à mesure que le front s’installait. On lui reprochait de prendre parti ; jusqu’à ses frères et sœurs Almugkarkas qui ne comprenaient plus pourquoi elle passait tant de temps entre quatre murs de pierres. Elle avait vu la déception briller dans leurs iris, à tous.

Sa main épousa la forme des fesses de la rôdeuse et la fille de la Mère vit les secondes devenir des heures. Son cœur battait la chamade. Ses oreilles souffraient d’un silence qu’elle s’attendait à voir déchiré par le refus. Le dos d’Eliwa s’arqua légèrement et elle redressa légèrement son bassin, s’offrant aux caresses. Elle tourna la tête et planta son regard opale dans le sien. Il n’y avait aucune attente, aucune déception dans ces iris-là. Il n’y avait que du désir, timide encore mais grandissant. Eliwa la regardait d’un regard neuf et la désirait sans honte et ce regard était tellement éloigné de son quotidien que Ril-Vywen suspendit son geste. On put croire un instant les rôles s'inverser, tant la druide se trouvait démunie. Tout s’effaçait lentement, jusqu’au fantôme d’Hidia qui avait guidé ses mains jusqu’ici. Elle avait besoin de ce qui allait suivre. Pas de consommer un désir physique sans fondement, elle n’aurait eu aucun mal à trouver satisfaction avant. Non, elle avait besoin de s’épanouir sous un regard bienveillant. Elle avait besoin de sentir des bras la saisir et la protéger du monde, tant elle était lasse de protéger son peuple d’un monde trop sombre. Elle recherchait soudainement une étreinte ;  non pas pour la jouissance de son corps mais pour l’apaisement de son âme.

Abandonnant un instant le plaisir naissant de sa bienfaitrice, elle s’approcha d’elle et, d’une main, l’invita à s’allonger sur le dos. Elle s’appuya ensuite sur ses bras tendus, de chaque côté de sa tête et sentit un tiraillement douloureux remonter de sa hanche jusqu’au sommet de sa tête. Elle n’en tint pas compte et se pencha lentement, l’esprit ankylosé par ses lèvres qu’elle avait déjà remarqué pulpeuses mais qu’elle redécouvrait sous un nouveau jour.

Le baiser lui fit un bien fou, tant il était plein de douceur. Elle garda un premier temps ses lippes scellées, profitant seulement de la sensation de les sentir contre celles d’Eliwa. Puis elle entrouvrit doucement la bouche et sa langue se fraya un chemin. L’adrénaline fouetta son sang quand elle sentit l’autre lui répondre et elle s’allongea très lentement sur elle avant de commencer à caresser ses cheveux. Ses cheveux noirs, comme ceux d’Hidia. Mais pour la première fois depuis longtemps, elle ne pensait plus à Hidia.

Contrairement à ce qu'elle aurait put penser, la chaleur ne disparut pas lorsque les caresses s'arrêtèrent. Le désir qu'elle avait alors conçu ne s'évapora pas. Il était toujours là, bien présent, enserrant sa gorge et appuyant sous ses poumons, chauffant doucement son bas ventre et rendant l'air toujours aussi moite. Mais il ne s'étendait plus, il n'allait plus grandissant. Il attendait seulement, comme si on l'avait seulement dérangé pour un instant. Elle avait roulé sur le dos, sur l'invitation de Ril-Vywen. Et ce qu'elle pouvait désormais lire dans ses yeux la surprenait. Elle avait l'impression de se voir, plus jeune, plus innocente, mais moins triste. Elle voyait seulement ce besoin, cette nécessité d'être autre, ne serait-ce qu'un instant. De passer d'adulte à enfant, parce que c'était plus facile. Parce qu'il était nécessaire de n'être pas toujours celui qui guide. Celui qui dicte. Ou celui qui sait. Elle devenait donc celle qui savait.

Quand elle lui donna ses lèvres, purement et simplement, un frisson parcourut l'échine d'Eliwa. Pas tant un frisson de désir que de plaisir. Elle s'étonnait de la douceur de ce baiser, elle s'étonnait de la profondeur, de la signification qu'il portait, au delà-même du simple contact physique, au delà même de la recherche du plaisir purement physique et bestial. Il touchait à quelque chose d'infiniment plus grand. Mais elle n'eut pas le temps de saisir la teneur de cet infiniment grand avant que leurs langues se mêlent. Avant qu'elles ne se lancent dans un lent ballet qui fit revenir son désir plus ardent, plus vif qu'avant, plus éveillé et plus directif. Elle sentit la peau nue de ses jambes frôler la sienne lorsqu'elle s'allongea sur elle.

Elle posa une main sur son épaule dépourvue de tout tissu et massa doucement ce creux qu'elle savait particulièrement sensible, tandis que son autre main glissait dans son dos. Ses doigts se baladèrent lentement le long de sa colonne vertébrale, comme si elle voulait en compter les vertèbres, puis se fut sa paume qui se posa sur la peau électrisée. Elle pressa son corps contre le sien, avide de tendresse plus que de plaisir. Avide d'évasion, avide de chaleur, avide de proximité. Dans les bras de l'elfe, elle se sentait autre, elle se sentait forte, elle se sentait bien. Ce n'était pas son corps qu'elle caressait, ce n'était pas son corps qu'elle découvrait. C'était son âme. Ses mains se perdant dans ses cheveux, elle sentait le désir monter en elle, toujours et encore, répandre sa douce chaleur dans chaque partie de son corps. Bientôt, la simple friction entre leur peau lui ferait l'effet d'un coup de fouet. L'adrénaline allait progressivement atteindre le cœur pour être redistribuer dans son corps entier.

Il s'affolait d'ailleurs dans sa poitrine, frappant ses côtes de plus en plus violemment. A mesure que les caresses s’accentuaient, à mesure qu'elle goûtait à la peau de Ril-Vywen, à mesure qu'elle se rendait compte qu'il s'agissait là de bien plus que ce qu'elle ne connaissait déjà. Oui, son cœur battait sa cage thoracique, et elle ne doutait pas que celle qu'elle étreignait le ressentisse. Eliwa posait ses lèvres sur sa mâchoire, sur ses épaules et dans le creux de son cou. Le goût de sa peau explosait dans sa bouche lorsqu'elle osait sortir sa langue. Elle resserra alors de nouveau son étreinte, se contentant un moment de la sentir si proche d'elle. Si elle s'était au début remémoré la maison et les filles de Père, elle avait désormais effacé toute trace de ces souvenirs, qui avaient volés en éclat. Ne comptait plus que Ril-Vywen. Ne comptait plus qu'elle-même. Ne comptaient plus qu'elles.

Lentement mais sûrement, la peau de l’ours glissait des épaules de Ril-Vywen et avec elle c’était l’ours qui résidait au plus profond d’elle-même qui s’effaçait. La Symphonie des Arbres perdait de sa superbe, jusqu’à se réduire à un léger tintement complice. Ne restait plus qu’une fille de la Mère semblable à toutes les autres. Chaque baiser était une fuite en avant, chaque caresse un appel à l’aide, chaque frisson un remerciement. La druide ne réfléchissait plus, ne pensait plus. Il n’y avait ni passé ni avenir, seulement cette main qui lui massait l’épaule et cette autre qui courait sur son dos. Déjà, son rythme cardiaque s’accélérait de concert avec celui de sa compagne, mais elle retenait encore sa respiration ; comme si une bouffée d’air eut pu suffire à briser leur entente tacite.

Eliwa avait fini par délaisser ses lèvres, s’attaquant à ses joues et son cou. Il ne lui avait pas fallu longtemps pour arracher un premier gémissement étouffé à sa « victime » qui cherchait là plus à encourager son amante qu’à vraiment témoigner son plaisir. Ce dernier demeurait encore trop discret et ne demandait qu’à croître et dictait à son corps engourdi de se lover plus encore. Elle commença à remuer doucement ses jambes pour mieux profiter de la nudité encore partielle de la rôdeuse et sa cuisse vint épouser la courbe de son intimité. Ses doigts, quant à eux, se perdaient toujours un peu plus dans les cheveux de sa cadette. Parfois, un mouvement trop brusque faisait naître une vague de douleur et elle regrettait que sa hanche blessée vînt gâcher l’instant ; elle repoussait la souffrance comme elle l’avait toujours fait et à part un souffle haletant, rien ne trahissait jamais de ses inconforts passagers. Il devint pourtant rapidement évident qu’elle ne pourrait rester indéfiniment dans cette posture, aussi confortable que put être le corps chaud d’Eliwa. Aussi se laissa-t-elle lentement glisser sur le seul sans jamais briser leurs embrassades. Elle en profita pour abandonner la peau de l’ours qui s’affaissa de l’autre côté de la guerrière. La fraicheur de l’herbe arracha un frisson plus violent que les autres à l’échine de la druide, qui encouragea sa compagne à prendre la place qui avait jusqu’alors était la sienne. Elle nota bien les efforts que cette dernière fit pour ménager son côté blessé, s’appuyant sur ses bras pour ne pas peser de tout son poids, mais ce détail fut rapidement effacé par un besoin plus impérieux.

Ses doigts s’attaquèrent aux nœuds, lassés et attaches de son amante et son cœur battait plus fort chaque fois qu’elle parvenait à dévoiler une nouvelle parcelle de peau. Elle y déposait le plus souvent un léger baiser, parfois une caresse quand son corps ne lui permettait pas de faire autrement. Bientôt, à force d’efforts, elle put complètement dévêtir une Eliwa qui s’offrait nue sous ses Manaahen. Elle prit le temps de l’admirer, suspendant souffle et gestes pour mieux profiter de ses courbes offertes. C’était la première fois qu’elle s’attardait sur le corps d’une fille de la Mère qui ne fut pas le sien et elle doutait en avoir trouvé un si beau. Elle caressa d’abord le ventre parfaitement plat, soulignant le tracé d’éventuelles cicatrices, puis palpa le galbe de ses seins. Elles étaient face à face, chacune allongée sur un côté, désormais et Ril-Vywen profita de cette position pour se pelotonner complètement contre elle, insérant une nouvelle fois sa cuisse entre ses jambes. La moiteur de son intimité fouetta son sang et elle saisit à pleine main ses fesses musclées par la monte et l’escrime avant de plonger du bout de ses lèvres à l’assaut de son cou offert.

Entièrement libérée de sa peau d'ours, son corps s'offrait à ses yeux dans toute sa splendeur. Elle en avait vu, des corps, mais comme celui-là, elle ne se rappelait pas. Elle dévorait du regard son ventre parfaitement plat, la courbe de ses hanches et le galbe de ses seins. Ses courbes formaient un ensemble si harmonieux qu'elle eut du mal à croire qu'elle ne rêvait pas ce qu'elle vivait en ce moment. Mais la cuisse de Ril-Vywen venant frapper de nouveau son intimité détruisit entièrement ce semblant de doute. Cette fois, elle sentit son désir s'accroître et un frisson remonta le long de sa colonne vertébrale avec violence lorsque celle qui était étendue à côté d'elle se saisit de ses fesses, la plaquant plus encore contre elle. Ainsi serrée contre elle, Eliwa sentit son souffle se faire plus court, à mesure que ses mains descendaient le long de son corps. Sa peau était douce sous sa paume, et elle sentait son corps frissonner sous ses sollicitations.

Les lèvres de l'aînée se perdaient dans sa gorge, et elle l'encourageait à aller plus loin, à aller plus fort, à aller plus vite. Enfin, non, elle ne voulait pas qu'elle aille plus vite, elle ne voulait pas elle-même aller plus vite, parce qu'elle voulait sentir le désir monter en elle, et arriver à ce summum sans être encore satisfait. Elle cherchait ça, elle cherchait la douceur, elle cherchait la tendresse. Et même si désormais, leurs gestes devenaient plus entreprenant, si leurs mains exploraient de nouvelles courbes et de nouveaux creux, et si leurs corps leur intimer toujours plus, ce besoin d'être et de se sentir être était toujours présent. Ce besoin de l'autre, ce besoin de se rassurer en quelque sorte, et c'est ce qui arrêta sa main sur la hanche de Ril-Vywen. Sa cuisse toujours entre les siennes, elle entreprit lentement un mouvement du bassin, goûtant avec délice la sensation que lui procurait sa peau nue contre son intimité.

Eliwa remontait sa main le long de son ventre, s'attardant un instant autour de son nombril, et goûtait à la délicatesse de son épiderme. Elle finit par atteindre sa poitrine, plus douce encore que son ventre, et la caressa doucement. Elle sentit son sein se durcir au creux de la paume de sa main, et cette simple sensation lui procura un plaisir qu'elle n'avait jamais éprouvé si vivement auparavant. Elle sentait qu'elle donnait du plaisir, plus même qu'elle ne le savait. Elle l'éprouvait, et c'était comme si elle lui donnait le sien, comme si, dans un échange de caresses et d'envies, elle lui transmettait ce qu'elle ressentait, au plus profond d'elle même. Eliwa sentait son corps électrisé, excité par les baisers, par les caresses de plus en plus fortes, de plus en plus aventureuses.

Dans un mouvement de hanche, elle se rapprocha plus encore de Ril-Vywen, passant la main sous sa cuisse pour sentir plus encore cette sensation qu'elle avait ressentit lorsqu'elle avait fait bouger son bassin la première fois. Pour être toujours plus proche, pour être toujours plus envahie par le désir, un désir qu'elle voulait voir satisfait, mais un désir qu'elle voulait garder le plus longtemps possible, tant la chose était agréable. Sa main ne quitta pas sa place. Eliwa entreprit alors de caresser du bout des doigts l'intérieur de sa cuisse, se perdant parfois sur la courbe de ses fesses. Mais elle revenait bien vite à ce qui lui procurait pour le moment un certain plaisir, n'allant jamais trop loin. Elle voulait la sentir frissonner dans ses bras, elle voulait l'entendre soupirer et elle voulait lui donner cette étrange sensation qu'était la montée progressive du désir. Le sentir, toujours plus fort, toujours plus grandissant, sans jamais être satisfait. Oui, c'était ce qu'elle voulait.

Pour accueillir cette main qui, enfin, venait cueillir son plaisir, Ril-Vywen gémit. Elle vibrait des pieds à la tête et son bassin accompagnait les doigts curieux d’Eliwa à chacun de leur mouvement. Ses gestes ralentissaient à mesure que son émoi croissait et bientôt, elle s’abandonna totalement aux bons soins de la rôdeuse. Se lançant rouler sur le dos, elle attira son amante contre elle, non sans lui signifier clairement de continuer ses attentions en s’arquant outrageusement. La jouissance se mêla à une nouvelle douleur et elle se laissa retomber, le souffle coupé.

Eliwa était sur elle, désormais, et elle sentait sa main appuyer sur son bas-ventre alors qu’elle continuait son entreprise. Soulevant ses paupières, elle planta ses Manaahen dans ce regard opale et glissa ses bras autour de son cou. Ils étaient beaux, ces yeux. Elle l’attira contre elle et l’embrassa. Qu’était la guerre ? Qu’était la mort ? Qu’était la souffrance de perdre un être cher sous les coups d’ennemis honnis ? Tout se mélangeait, s’effaçait, emporté toujours un peu plus à chaque vague brûlante de plaisir. Elle le sentait venir, tandis qu’il enflammait son intimité. Elle sentait sa chaleur la gagner toute entière, jusqu’à dresser ses cheveux sur sa tête. Elle voulait réagir, rendre à sa compagne ce qu’elle était en train de lui offrir, mais se découvrait parfaitement incapable du moindre geste. Jamais elle ne s’était abandonnée ainsi, jamais elle n’en avait eu tant besoin. Quand Eliwa s’aventura plus avant dans ses chairs, elle gémit une nouvelle fois. Ses lèvres se firent plus pressantes et ses jambes s’écartèrent d’elles-mêmes pour mieux lui faciliter la tâche. Parfois, elle sentait une caresse furtive sur l’une ou l’autre de ses fesses et c’était un délicieux supplice car aussi agréable fut-elle, son corps voulait plus.

Elle fit prise de tremblements incontrôlables et son souffle lui fit une nouvelle fois pris. Ses bras serrèrent plus encore la jeune fille de la Mère contre elle et elle se retint avec peine de la griffer. Son dos se souleva une première fois et elle comprit ce qui allait arriver. La seconde fois, elle se crut libérée mais une troisième et même une quatrième secousses vinrent la détromper. Un murmure rauque et inintelligible franchit la barrière de ses lèvres et ses morts se perdirent entre sa bouche et les oreilles pourtant si proches d’Eliwa. Se soulevant légèrement, elle les mordilla puis laissa sa langue souligner leur forme effilée. Elle n’avait pas atteint la pointe que l’orgasme vint.

Pressées toujours plus fortement par les vagues successifs de plaisir, les digues rompaient finalement et la jouissance prit possession de ses veines, se mêlant à son sang, irriguant chaque parcelle de son être épuisé. Elle ne tremblait plus, bougeait à peine, respirait encore moins. Ses Manaahen fixaient le ciel qu’ils voyaient à peine ; il était trop chargé de vert et de roux, de brun et d’émeraude. L’Œuvre était magnifique. Sa tête retomba faiblement sur le côté et elle suivit des yeux  un sentier et eut la surprise de croiser le regard d’un lapin qui les observait en silence. Se sachant repéré, l’animal détala sans demander son reste et Ril-Vywen sourit malgré elle. Elle se redressa légèrement, toute douleur oubliée pour un court instant, et attira une nouvelle fois Eliwa contre elle. Ses doigts étaient parcourus de légers frissons tandis qu’elle s’imaginait déjà lui rendre ces délices dont elle avait bénéficiés. Elle n’eut aucun mal à la faire basculer par-dessus elle, quelques baisers suffirent. Elle souriait, soudainement mutine, alors que ses yeux vairons s’attardaient une nouvelle fois sur sa nudité. La guerrière était allongée sur le dos, désormais, et elle s’était gracieusement remise à genoux. Elle la dominait de sa hauteur et pouvait à loisir imaginer les supplices qu’elle pourrait lui faire endurer. Ses doigts tournèrent cruellement autour de son nombril, comme s’ils hésitaient sur la marche à suivre. Tout le contraire de Ril-Vywen qui, se penchant, cueillit du bon de ses dents le mamelon durcis d’un sein de son amante. La suite fut un concert de baisers savamment distribués ; sur le ventre, les épaules, le cou, les jambes même elle laissa l’empreinte de ses lèvres. Jusqu’à même effleurer le fruit interdit, l’aguicher, le préparer pour ce qui allait suivre.

Elle laissa vite ses mains prendre le relais, cependant, et ne s’arrêta qu’au point d’orgue de cette seconde danse endiablée.

Elle la sentait frémir et trembler sous elle, elle la sentait fourmiller sous ses doigts, et elle sourit lorsqu'elle écarta plus encore ses cuisses pour lui indiquer la voie. Ses doigts s'activaient, toujours plus vite, toujours plus loin, frappant son intimité de temps à autres, sans pour autant s'y attarder. Puis elle s'aventura plus loin, parce qu'elle ne pouvait plus sentir cette attente, ce désir enfoui qui ne demandait qu'à sortir. Qu'à être satisfait, une fois pour toutes, parce qu'elle savait, parce qu'elle sentait que l'envie n'était plus la seule motivation, elle sentait qu'il était temps pour elle de se délivrer de cette douleur, si agréable pouvait-elle être. Eliwa prit alors pleine possession de son amante, se plaisant à la voir ainsi démunie, tremblante et soumise à son désir, au plaisir dont elle était la source. Et quand elle sentit son corps être traversé par un frisson plus grand que les autres, quand elle sentit l'extase de la jouissance se répandre en elle. Eliwa trembla de paire avec Ril-Wyven et roula sur le dos, libérant une elfe pantelante de son étreinte.

Elle ne mit pas longtemps à se remettre, bien que les doigts qu'elle posa ensuite sur son corps étaient encore agités de tremblements. Eliwa retint son souffle quand elle sentit les lèvres de son amante s'emparer de sa poitrine et ferma les yeux dans un léger soupir quand elle ouvrit ses cuisses. Mais elle ne sentit la chaleur l'envahir pleinement que lorsqu'elle sentit ses lèvres remonter l'intérieur de ses cuisses pour atteindre enfin le but tant désiré. Parce qu'elle n'avait pas de prise sur son désir, parce qu'elle n'avait pas de prise sur elle même, pas de moyen sur et certain d'arrêter cette montée enivrante. Elle n'avait pas assez de volonté, même plus du tout de volonté, elle voulait seulement que l'elfe ne s'arrête jamais, qu'elle continue toujours de lui faire ainsi courber le dos, et de la rendre esclave de ses propres envies. Il était bon de se sentir ainsi, sans penser à rien sinon l'autre, sans trier, sans n'avoir aucune logique dans le déroulement de ses pensées. Se sentir si vivante en étant si peu concernée par le reste... Plus de souffrance, plus de doute et plus de contrainte. Seulement son amante et son plaisir. Leur plaisir.

A mesure qu'elle la sentait allez plus en avant dans ses caresses, à mesure qu'elle la sentait allez de plus en plus loin en elle, les vagues de plaisir s'intensifiaient, lui faisant arquer légèrement le dos de temps à autres, tentant d'intensifier ses sensations. Et quand elle sut qu'il était enfin temps, qu'elle allait pouvoir goûter ce qu'elle avait d'ors et déjà donné, elle poussa un gémissement qu'elle ne put contrôler. Qu'elle ne voulu pas contrôler. Non, parce que c'était bon, et parce que c'était juste. Le frisson qui parcourut son échine fut rapide, et intense, et lorsque Ril-Wyven revint son côté, elle était incapable de bouger. Vidée de ses forces, vidée de ce désir qui avait guidé ses gestes jusque là. Vidée de la force qui l'avait animée depuis un certain temps, elle ne pouvait s'empêcher de sourire, et elle ferma les yeux un moment, pour garder ces sensations, pour garder cet état si extraordinaire encore un peu plus avec elle. Et quand elle eut enfin l'envie, elle tourna la tête vers son amante, plongeant ses yeux dans les siens. Elle avait des yeux si beaux qu'elle cru ne pouvoir soutenir plus longtemps la vue de tels iris, mais elle ne faiblit pas. Parce qu'elle était hypnotisée, et parce qu'elle ne pouvait détacher son regard de ce qui lui renvoyait celui de Ril-Wyven. Elle n'en avait pas envie. Ainsi étendue, elle sentit bientôt la fraîcheur hivernale caresser sa peau. Et alors, elle se recroquevilla contre celle qui avait été la source de tout ses plaisirs, goûtant seulement à la douce chaleur de son corps.

Tendrement, Ril-Vywen accueillit le corps encore secoué de frissons de son amante contre elle. Elle s’était allongée sur le dos, le souffle court et la hanche douloureuse. Chassée par le plaisir, la souffrance revenait désormais à la charge et maintenant que leurs ébats étaient terminés, elle ne trouvait plus aucun rempart pour la freiner. Avec un soupir, la druide ferma les yeux et commença à caresser délicatement la crinière corbeau d’Eliwa. Elle sentait son bandage s’imbiber lentement de sang mais ne s’en inquiétait pas outre mesure ; elle avait suffisamment récupéré pour devenir l’ours et la bête, dès lors, saurait la ramener en sécurité. Les mains de la rôdeuse s’égaraient parfois en attentionnées caresses et l’Anaarooma savourait la conclusion de ce délicieux intermède. La fille de la Mère contre elle se laissait doucement aller au sommeil et son aînée l’encouragea l’air de rien, massant tour à tour cuir chevelu, épaules et dos. Aucune d’elle n’avait plus parlé depuis qu’Eliwa avait consenti à recevoir son massage et aucune d’elle ne parla une fois leurs respirations apaisées. Comme si les mots n’avaient pas leur place ; il était vrai que la scène, aussi spontanée qu’irraisonnée, se passait plutôt bien de vaines paroles.

Quand le souffle régulier de la guerrière chatouilla le cou de la druide depuis assez longtemps, cette dernière s’arracha à regret à son étreinte. L’opération fut périlleuse, tant il semblait qu’Eliwa ne désirait rien de plus que se réveiller, mais Ril-Vywen parvint néanmoins à s’en défaire sans déranger sa compagne. Elle se remit lentement debout, testant par la même occasion une blessure qui, si elle s’était rouverte, ne la préoccupait plus. Elle se tourna ensuite vers le corps endormi et un nouveau sourire se dessina sur ses lèvres qui, déjà, regrettaient la peau douce qu’elle était sur le point d’abandonner. Les fesses de la rôdeuse la narguaient et elle laissa ses Manaahen dévorer du regard cette silhouette qui l’avait enchanté. Mettant un genou à terre, la fille de la Mère se pencha jusqu’à frôler son oreille découverte et après lui avait déposé un baiser plus léger encore qu’une plume, elle  lui murmura quelques mots d’adieu. Et ce fut tout. Quand elle se réveilla, Eliwa était seule en plus d’être nue. De Ril-Vywen, il ne restait aucune trace.

Autour de la rôdeuse, des fleurs par dizaines avaient fleuri, en autant de remerciements muets.

Les caresses de Ril-Wyven, lentes et douces sur sa peau nue, la firent rapidement tomber dans le sommeil. Un sommeil innocent et bienvenu, parce qu'elle ne sentait plus rien d'autre qu'une immense satisfaction, et ne voulait ressentir rien d'autre. Mais avait-elle réellement le choix ? Même s'il elle n'y pensait pas de suite, sa vie allait continuer, ce passage, si agréable fut-il, n'aurait été finalement qu'un court instant de sa vie. Un battement de cils.
Quand, au milieu de la nuit, elle roula sur le dos et ouvrit les yeux avec peine, elle eut du mal à se remettre en tête ce qui avait mené à cette sieste. Puis, baissant les yeux sur son corps, elle sut. Elle se rappelait. Elle soupira lorsqu'elle s'aperçut que son amante d'un instant l'avait quitté, mais elle sourit aux fleurs qui étaient apparues autour d'elle. Elle s'étira dans la nuit, et mit un moment avant d'enfiler de nouveaux ses vêtements. Elle attendit de grelotter complètement, voulant garder encore un peu ses sensations, voulant immortaliser l'instant. Mais elle dut se rendre à l'évidence : un instant n'était qu'éphémère. Et même si elle se sentait bien, là, nue au milieux d'Anaëh, elle enfila tout de même de nouveau ses vêtements. Esquissant un sourire sur ses lèvres, elle abandonna le lieu de leurs ébats pour continuer sa route, les souvenirs de leur étreinte plus vifs que jamais dans son esprit.