Devine qui vient diner ce soir!

Dans le langage des mercenaires, on appelait ça faire une commission. Finn avait pris une tangente en passant par Soltariel, vaqué à ses petites affaires en ville, prit ses mesures et complété ses achats. Pour certaines choses, le capitaine DuSaule pouvait se montrer particulièrement retors et méfiant. La correspondance, entre autre, était quelque chose qu’il prenait au sérieux. Peut-être parce que ne sachant ni lire ni écrire, il avait néanmoins assez vécus pour reconnaitre le pouvoir des mots. Finn devait porter discrètement une lettre, recueillir la réponse, en prendre connaissance et pour le cas d’une réponse positive, aller récupérer ce qu’on lui indiquerait pour le laisser en dépôt à Diantra, là où le capitaine le récupérerait. C’était compliqué mais les ordres étaient simples. Finn savait lire, savait surtout se montrer poli, semblait doté d’une honnêteté au-dessus de la moyenne et avait une solide excuse pour ne pas compliquer d’avantage les choses. On pouvait lui poser des questions mais il n’y répondrait pas.

Finn s’était débarrassé de ce qui l’empêcherait de passer inaperçu, c’est-à-dire de Sickert, avait attendu que la ville s’éveille, avait attendu encore que les mieux nanti s’éveillent aussi et s’était présenté à la porte décrite. Il s’était assuré d’avoir trouvé la bonne personne et s’était vu étrangement accueillit par un mélange d’étonnement, d’avidité et de froideur.

Une femme. Décidément… Elle devait avoir 10ans de plus que finn. L’éclaireur chercha en vain une ressemblance avec le capitaine. Ceux qui joignaient la troupe de mercenaire le faisaient habituellement sous un pseudonyme. Ils réglaient leurs comptes, abandonnait leur passé et prenait une nouvelle identité pour se dédier à la troupe. Seul le capitaine connaissait l’origine de chacun. Si c’était une parente, ce n’était pas évident. Si c’était une relation, leurs relations étaient bien tièdes. Elle avait pris connaissance de la lettre, l’avait relu plusieurs fois et après avoir longuement dévisagé le messager, l’avait prié de revenir le lendemain… Finn avait la curieuse impression d’avoir été jugé. Mais à quel sujet? Bonne question. Mais la véritable question était : Qui avait écrit la lettre si le capitaine était illettré et que ce n’était aucun des 2 frères?

Sickert devait revenir le chercher... Étant donné les qualités de pisteur de son frère, Finn allait devoir se rendre très visible. Il avait déjà bien assez admiré la ville alors il prit la décision de se rapprocher du manoir. Le manoir de Solaria était un manoir d’agrément situé au centre d’un lac… Trouver sa route ne devrait pas être très difficile!

Il avait déjà dépassé le village. Un éclaireur aime repérer les environs d’une situation stratégique. Finn savait passer inaperçu mais celui qui l’avait suivi connaissait ses habitudes. L’adolescent descendit de son perchoir, glissant de branche en branche d’un grand pin. Finn aimait les pins. Ils présentent une abondance de branche basse et domine généralement l’horizon. Finn posa les pieds au sol sur un lit d’aiguille et se retourna vivement, surprenant son agresseur. Quelque chose griffa son bras, le cuir épais dont était cousu son manteau le protégea avant que la pointe d’une lame bien affilée vienne s’appuyer sur son sternum. Finn fit un pas en arrière mais l’homme qui le menaçait suivit son mouvement en secouant négativement la tête, décourageant une nouvelle tentative.

- Murmure…
Barbaque
- Où est ton frère?
Au manoir avec une fille
- Et il t’a laissé tout seul?

Finn haussa les épaules.

- Tu sais que si j’étais Elow je t’aurais déjà tranché la gorge? Ensuite j’aurais dissimulé ton cadavre sous ces aiguilles de pin et je serais allé m’installer en ville pour observer en rigolant Sick te chercher partout.
Une chance que tu ne sois pas Elow!

L’homme sourit. Il avait des dents parfaites, droites et blanches. Il ne les montrait pas souvent. Le lieutenant possédait ce fin vernis de civilité soigneusement altéré par une longue vie de mercenaire.

- Ah Murmure! J’ai toujours apprécié ton sens de la politesse.

Il rangea sa lame et agrippa l’adolescent en posant la main sur sa nuque. Finn roula des épaules pour lui signifier qu’il n’appréciait pas le contact mais le lieutenant affermit sa prise. Barbaque avait l’habitude d’être trop proche. Finn détestait ça. Sickert s’en moquait. Évidemment Sickert était rarement sous examen…

- Allons, ce n’est pas comme si on ne se connaissait pas nous deux! De vieux amis!

Le lieutenant avait les mains épaisses et des doigts puissants. Il ne se contentait pas de le tenir par le cou comme un pauvre chaton sans défense, il lui tâtait les vertèbres. Finn n’avait aucune illusion sur sa capacité à lui broyer la nuque d’une torsion. D’une certaine manière, Barbaque lui faisait d’avantage peur que Elow. Un peu à la manière dont il est bien pire d’admirer une mer d’huile que de suivre un aileron des yeux. Les intentions de Barbaque étaient difficiles à définir. Les gradés, Larch, Silène et Corbeau, agissait avec lui avec déférence. Cette attitude donnait à réfléchir. Sickert avait bien essayé de les faire parler, mais tous le commandement de la compagnie datait d’avant leur arrivé et personne n’avait rien voulu évoquer. Et ça, c’était équivoque.

Et qu’est-ce que mon vieil ami fait ici?
- Je ne comprends rien à ce que tu dis…

C’était faux. Il devenait de plus en plus habile à lire sur les lèvres et ça agaçait prodigieusement l’adolescent. En sa présence, ce qu’il disait à son frère pouvait être déchiffré. Et ce qui l’agaçait encore d’avantage, c’était qu’il était impossible de savoir à quel point. Mais ce qui l’agaçait vraiment, pour vrai, c’est qu’il avait fait l’effort de l’apprendre.

- Allez, viens, mène-moi à ce joli manoir… On y mange bien au fait? Il secoua un peu sa prise, déséquilibrant Finnegan… Parce que tu aurais vraiment besoin de te remplumer si tu veux finir par devenir un homme!

Une allusion subtile… Sickert et Finnegan avait rejoint la compagnie des mercenaires il y avait 3ans. Et si Finn pouvait encore parfaitement passer pour un adolescent, on s’étonnerait bientôt que celui-ci n’atteigne jamais la puberté. C’était temporaire… Ils n’étaient pas supposés rester avec eux. Ou l’était-il? Difficile à dire. Qu’est-ce qu’il fichait là, celui-là?

Il avait réussit à calmer la situation, mais ça restait une situation délicate. Ils se méfiaient de lui, avec raison, parce qu'il ne pouvait rien leur révéler et s'il se mettait à mentir, ça n'en finirait jamais. Il avait pourtant l'habitude de mentir. Il mentait tout le temps. il mentait sur lui, il mentait sur Finn, il mentait pour avoir des informations, il mentait pour tout. Mais il mentait à des gens qu'il ne reverrait probablement jamais. Il mentait aussi aux mercenaires, mais il n'était pas vraiment avec eux. Il était avec Finn. Il ne mentait pas vraiment à Finn. Il avait seulement omis de lui parler d'une grande part de sa vie. Et une partie de cette part oblitérée, se trouvait à Soltaria. Il pouvait bien mentir à tous les domestiques et gardes de Solaria, mais mentir à Agnès en particulier, lui était pénible. Sans doute parce que la vieille dame avait été une complice durant quelques mois, il y a huit ans. Sans doute qu'il y avait de cela aussi dans la rancoeur qu'elle lui tenait. Il préférait lui dire qu'elle ne saurait rien de plus. Ça ne mettait pas les choses au clair, mais ça ne les mettait pas dans l'embarras. Il s'était arrangé pour qu'on fiche la paix à son Ange durant son absence et maintenant, il marchait d'un bon pas sur la route. Un cheval ? Pas question. Pas tout seul du moins. Il préférait de loin marcher. C'était plus long, mais beaucoup plus sur. Il en avait fait des kilomètres, à pied, Sickert, depuis huit ans. Et il en fera encore des tas.

Il n'avait pas mentit pour son rendez-vous. Il allait chercher son petit frère. Et son petit frère allait séjournéer au manoir avec eux durant quelques jours. Enfin, il avait mentit, mais personne, excepté Finnegan, ne le savait. Même son Ange ne le savait pas. Parce que c'était le secret de Finnegan, pas le sien. Si Finnegan décidait de le révéler, et bien soit, mais lui, il ne dirait rien.

L'avancée allait bon train et il atteindrait bientôt le village, mais sur la route, il remarque un peu plus loin, deux silhouettes qu'il reconnaît sans peine. C'est Finnegan.... et Barbaque. Mais qu'est-ce qu'il fout ici celui-là ? Il devrait être sur la route vers Ydrill ! Pas sur une route de Soltariel, et encore moins sur la route qui mène à Solaria. C'est le genre de situation qui ne plaît pas à Sickert. Il n'aime pas quand ses loisirs entrent en contact avec ses sa vie. Mais pas du tout. Il n'aime pas non plus voir Barbaque si près de Finnegan. Ça ne lui dit rien de bon. Sickert ne fait confiance à personne, ou presque, même si personne ne le sait.

Il se rapproche du duo, d'un pas assuré et franc. Il se demande à quelle distance ils vont le reconnaître. Si Finnegan le remarque rapidement et le reconnait peu de temps après, pour Barbaque, ça prend plus de temps. Il est presque devant eux lorsque le mercenaire le reconnait.

- Barbaque ? Mais qu'est-ce que tu fiches ici ? On a oublié quelque chose ?

Ne jamais laissé voir qu'on se méfie. Du moins pas plus que d'habitude. Et Sickert laisse souvent voir une parfaite non méfiance. Et le voilà qui se rapproche, jusqu'à s'insinuer entre Finnegan et Barbaque, avec un naturel innocent, et leur passe chacun un bras autour des épaules, tactique parfaite pour séparer deux belligérants avant que ça ne dégénère.

Les deux lieutenants de la troupe de mercenaire de DuSaule étaient aussi contrastés que le jour et la nuit. Elow n’arrêterait jamais d’être un gamin qui arrache les ailes aux mouches. Barbaque était d’un genre moins grossier et plus difficile à définir mais tout aussi méchant. Seulement, sous la crasse des campagnes et la poussière de la route, la différence entre les deux devenait difficile à discerner.

Les doutes de Finnegan prenaient de la consistance alors que Barbaque le bousculait. Parce que Barbaque n’était pas inutilement violent habituellement. Et parce que même s’il faisait des allusions subtiles, il les faisait pour ses seules oreilles. Comme un homme chez qui le mensonge entre en conflit avec sa nature profonde et qui ne peut s’empêcher de le dénoncer. Comme un homme pour qui le mensonge et la dissimulation est intolérable mais qui en reconnait la nécessité et a appris à en user. Barbaque était un lieutenant compétent… Et alors qu’il bousculait l’adolescent, Finn se fit la réflexion qu’il donnait l’impression d’essayer de le convaincre qu’il devait le craindre…

Finnegan s’immobilisa sur la route, les yeux écarquillé. Euh? Toute sa silhouette exprimait la perplexité.

- Alors? Fit barbaque d’un ton cinglant, tu bouges, qu’on arrive? Murmure?? Questionna-t-il, sa voix s’adoucissant. Murmure?

L’adolescent tendit la main devant lui, désignant un homme qui venait dans leur direction. Le lieutenant tourna la tête et le regarda venir sans le reconnaitre. Seule son élocution caractéristique permit à la lumière de se faire dans son esprit. Il se figea si bien qu’il laissa le cartographe s’immiscer entre lui et l’éclaireur et le prendre par l’épaule.

- Ce que je fiche ici? Bon sang! Il était au-delà de la surprise. Tu peux me dire ce qui t’es arrivé, cette fois? Parce que les histoires de Sickert étaient connues pour être ahurissantes. T’es quand même pas un noble de la région, je le saurais si c’était le cas! Il le détailla de haut en bas. T’as laissé Murmure en ville pour aller détrousser un seigneur du coin? C’était plausible, c’était connu que le petit éclaireur avait des principes.

Finnegan aurait voulu parler à son frère. Il parlait toujours en même temps que les autres. Sickert lui accordait toujours la priorité de son attention. Il faisait cependant preuve d’une retenue inhabituelle. Le lieutenant pouvait le comprendre, mais ce qui l’arrêtait c’était ses propres questions et… Qu’est-ce qu’il venait de dire là? Il le saurait si c’était le cas? ARGL!!

Si la surprise de Finnegan est amusante, celle de Barbaque est un pur plaisir. Il est surpris. Il n'en croit pas ses yeux. Il essaie même de trouver une raison à la situation. Sickert, lui, ne s'embarrasse pas d'explications. Du moins il n'en a pas l'air, mais il doit absolument se débarrasser de lui. Il ne peut pas le laisser s’immiscer dans leur vie privée. Mais tout d'abord, chercher à savoir ce qu'il fiche ici. Il doit nécessairement y avoir une raison. Comment a-t-il trouvé Finn et est-ce qu'il les suivait. Que des questions dont il devait avoir les réponses sous peu, autrement, il allait devoir agir. C'était le pire endroit où il aurait pu rencontrer Barbaque. C'était le point de jonction de son passé, de son présent et de son avenir. Et il n'allait laisser personne gâcher ça.

- Bah oui, qu'est-ce que tu fiches ici, je te croyais en route pour Ydrill avec les autres. Nous sommes en mission je te rappelle, dit-il aussi familièrement qu'à son habitude, alors je glane des renseignements, comme le veut le capitaine. Et c'est toujours plus pratique de le faire bien vêtu, surtout si ça implique de découvrir ce que les nobles planifient, non ? Il secoue la tête. J'ai détroussé personne, seulement une malle, avoue-t-il, tout en amorçant un demi-tour pour les éloigner du manoir.

Ce n'était pas vraiment un aveu, c'était surtout un mensonge, parce que ces vêtements, c'était à lui. Il les avait fait faire lui-même, et il avait même payé pour. Il se souvenait également où se trouvaient toutes ses cachettes de pièces éparpillées un peu partout. En fait, il comptait aller en ville pour aller en récupérer quelques unes. Finnegan avait de toute évidence contrecarré ses plans en prenant de l'avance. À moins que ce soit Barbaque qui l'avait poussé en avant ? Oui, il devait découvrir ce que Barbaque fichait là, pourquoi et comment il les avait trouvé. Il n'aimait pas savoir qu'il ait pu les suivre, depuis le début et ensuite suivre Finnegan. Normalement, c'est son cadet qui suivait les gens... pas les gens qui suivaient Finn. Enfin, oui, les gens suivaient naturellement Finnegan... mais pas comme ça.

- Est-ce qu'il s'est passé quelque chose pour que le capitaine envoie son lieutenant nous rejoindre ? interroge-t-il, bien innocemment, surtout pour détourner l'attention de sa propre présence ici. Et aussi détourner leurs pas de la direction du manoir.

- Toi t’es en mission renseignement. Acquiesça-t-il en se laissant entrainer pour un demi-tour mais en poursuivant la rotation jusqu’à ce qu’ils se trouvent à nouveau sur la route du manoir. Lui par contre, fit-il d’un ton goguenard, il n’est pas ‘seulement’ en mission renseignement.

La mission secondaire de Murmure était habituellement de tempérer les emmerdes que Sickert savait si bien attirer. Du jugement et du discernement! Il leur évitait que les événements prennent des proportions dépassant l’épique pour atteindre le légendaire. Sickert attirait l’attention. Finnegan se fondait dans l’attention.

Et là, l’attention était entièrement sur lui.

Écœuré, finn se dégagea de l’étreinte de son frère, les épaules basses, sa figure exprimant un mélange de lassitude et de contrariété. Il se planta devant les 2 hommes pour que son frère puisse voir ce qu’il disait et parce que Barbaque n’aurait pas toléré de messe basse.

Avant notre départ, le capitaine m’a confié une lettre pour une adresse à Soltariel… Je devais récupérer la réponse et peut-être récupérer quelque chose à laisser en dépôt à Diantra.
- T’as livré la lettre?
Oui…
- Et la réponse?

Finnegan lui adressa un regard noir. À l’évidence la présence de Barbaque s’expliquait par la nécessité de vérifier que le gamin avait bien accomplit sa mission. Quelque chose de beaucoup plus important que prévu se jouait là. Finn croisa ses bras sur sa poitrine, l’air boudeur, et prit le temps de réfléchir à la formulation de ce qu’il allait dire. Barbaque eut soudainement l’impression d’avoir perdu l’initiative. Sickert le senti se raidir sous sa main.

Alors dis-moi, mon vieil ami, le nargua l’adolescent en refusant de lui répondre, parce que je me pose la question depuis un bon moment déjà. Si ce n’est ni moi ni lui qui a écrit la lettre, qui l’a fait? Certainement pas Doc…

Barbaque ne prenait jamais ouvertement leur parti, mais c’était évident pour les membres de la troupe qu’il n’approuvait pas les petites persécutions dont Elow abreuvait l’adolescent. En retour de quoi, Finn se montrait habituellement affable avec le lieutenant. Sur la route du manoir, il le défia carrément, insinuant toutes sortes de choses.

Barbaque franchement énervé se contenait cependant. Comme si les hypothèses énoncées recelaient un pouvoir. Si Barbaque avait déduit certaine chose, Finn en avait fait autant. L’équilibre de leur relation était en train de changer et ils auraient besoin de temps pour en redéfinir les limites. Et comme si ce n’était pas suffisant, il en rajouta une couche.

C’était qui cette fille? Demanda-t-il d’une intonation légère en inclinant la tête sur le côté. Parce que j’ai l’impression que tu connais drôlement bien la région et ses gens si tu as pu m’y suivre et m’y surprendre. Finn s’adressa à son frère, sa diction beaucoup plus directive alors qu’il changeait d’interlocuteur. Je ne sais pas ce qu’il y avait dans la lettre… Mais c’est lui qui l’a écrite. Et si je dois y retourner demain pour avoir la réponse, je voudrais bien savoir dans quoi je suis impliqué.
- Les ordres! Tu as des ordres et je suis là pour m’assurer que tu les suives, espèce de sale petite raclure! assena le lieutenant du ton de celui qui a l'habitude d'être obéi.

Finn sourit. Un sourire enjôleur digne de son frère qui établissait leur parentèle hors de tous doutes.

Oh, vraiment?!? se moqua l'adolescent. Sickert? Il est loin le manoir? Si nous allions nous y reposer, Ange serait d'accord? Je ne suis pas certain, après tout, d'avoir envie demain de retourner chercher la réponse...

Et adressant un regard noir au lieutenant, son supérieur hiérarchique, il tourna les talons et marcha résolument dans la direction qu'il avait suivit au commencement.

- Sickert? fit le lieutenant d'un calme inquiétant en soulevant la main qui était encore posée sur son épaule. Je te suggère, pour son propre bien, de l'encourager à se montrer très coopérative.

Oui, il est en mission de renseignement, mais avant tout en vacances. Il s'est offert des vacances, parce qu'il connaît déjà l'essentiel de ce qu'il doit savoir et qu'il sait qu'il devra remonter par Diantra pour avoir le reste des infos. Prétendre trouver des infos à Soltariel, c'était pour la frime, uniquement pour se donner une raison d'être à Solaria. Personne ne devait le savoir. Et encore moins Barbaque. Qu'est-ce qu'il fout là ? Alors Finnegan avait une mission parallèle ? Oui, bon, d'accord, c'était possible, il n'avait pas écouté tout ce que le capitaine lui avait dit. C'était normal. En fait le capitaine, comme beaucoup de monde, croyait qu'il valait mieux aller à l'essentiel avec Sickert et éviter les détails, comme s'ils avaient peur de l'embrouiller et d'oublier la mission principale. Habituellement, aussitôt qu'ils étaient seul, Finn réexpliquait les détails, à moins bien sûr qu'ils aient préféré croire que Sickert n'allait rien écouter de la suite et ils menaient la mission à bien. Alors, dans ce cas-ci, Finn avait reçu une lettre à remettre, puis récupérer une réponse et possiblement un colis à laisser à Diantra. D'accord. La lettre avait bien été livrée. Pas de problème. Et la réponse ? Et quoi la réponse ?

- Quoi la réponse, elle sera pour la capitaine, de quoi tu te mêles ?

Non, Sickert ne comprenait pas encore ce que Barbaque faisait là. Enfin, il avait une petite idée, mais ça ne lui plaisait pas que le capitaine demande à son lieutenant d'espionner ses éclaireurs. Barbaque n'appréciait pas la situation. Sickert le sentit se crisper sous son bras. Pas question de le lâcher avant d'avoir eu le fin mot de l'histoire. Mais Finnegan semblait en savoir beaucoup plus que lui. Non, il n'avait pas écrit de lettre pour le capitaine et Finnegan prétendait que ce n'était pas lui. Doc ? Doc écrivait des liste habituellement, pas des lettres. Qui d'autres savait écrire ? Le capitaine les gardait aussi parce qu'ils écrivaient... et parce que Sickert était aussi cartographe. Est-ce que Finnegan voulait insinuer que... oh...

- Barbaque ? Tu sais écrire ?
- Va te faire voir, Sick !
- Quoi ? Tu sais écrire depuis tout ce temps et tu me laisse me taper ces interminables écrits ? Et moi qui croyait qu'on était amis !

Mais Barbaque est beaucoup plus concentré sur Finnegan que sur lui et c'est une situation qui ne manque pas d'intérêt. Habituellement, il a toute l'attention de tout le monde. De toute évidence, Finnegan a mis le doigt sur quelque chose et Barbaque en est contrarié. Cette fille ? Barbaque sait qui est " cette fille " ? Quelle fille ?

- Quoi ? Le capitaine envoie son lieutenant favoris pour s'assurer qu'on a bien obéit aux ordres ? Depuis quand ? Il a jamais fait ça !

Finnegan a de toute évidence le gros bout du bâton et il s'en sert pour avoir des infos. Habituellement, c'est lui qui parle mais il semble que Finn ait décidé de parler aujourd'hui. Et à bien y réfléchir, depuis quand Barbaque comprend ce qu'ils racontent ? Il y a anguille sous roche et il est hors de question de ne pas en savoir plus. Finn annonce qu'ils retournent au manoir, à la bonne heure, mais le ton menaçant utilisé par Barbaque empêchent Sickert de ne pas au moins prévenir Barbaque de ne pas pousser trop loin son attitude de dominant. Il retire sa main de l'épaule de Barbaque et donne une légère secousse pour lui faire lâcher prise.

- Je te suggère également de te montrer très coopératif, Barbaque, parce que j'ai pas vraiment l'impression que c'est le capitaine qui t'envoie nous espionner. Il aurait envoyé Elow, pas toi, s'il avait le moindre doute sur notre obéissance aux ordres.

De toute évidence, c'était le jour des révélations, parce que ce genre de conversation aurait normalement été source de confusion chez Sickert. Mais là, s'il ne semble pas avoir tout compris, il n'a rien de confus. Il semble même très alerte. Dangereusement alerte.

- Et t'avise pas de traiter à nouveau Murmure de petite raclure, dit-il d'un ton lourd de menaces. Il le pointe du doigt, avec une autorité surprenante pour un bouffon comme lui, d'autant plus qu'il a l'air convaincant. Tu bouges pas. Oui, étonnamment convaincant. En quelques pas, il a rejoint Finnegan et passe devant pour stopper son avancée. Se passe quoi, là ? C'est quoi cette histoire de lieutenant qui vient nous surveiller ? Le capitaine a jamais fait ça...

Sickert est soucieux, ça parait à ses sourcils froncés et à sa moue boudeuse. Mais c'est pas tant de penser que le capitaine leur envoie une baby-sitter, c'est parce qu,il pourrait découvrir que effectivement, le séjour de Sickert à Soltariel est du bon temps et non faisant parti de la mission.

C’était comme attraper un chat par la queue et réaliser qu’il s’agit en fait d’un tigre. Non, le lieutenant n’était pas préparé à ça.

Ces deux-là était inséparable, indissociable. Ils restaient toujours un peu à l’écart des autres et faisaient leurs petites affaires. C’était normal. Ils étaient frères et seul Sickert pouvait communiquer avec Murmure. L’aîné était un irrésistible menteur, plutôt innocent dans tous les sens du terme, mais on s’y attachait pour ses compétences et sa bonne humeur proverbiale. Son cadet était un adolescent délicat et docile qui restait dans son ombre. Oui? NON!

Le lieutenant entretenait depuis longtemps ses doutes personnels. Pourtant, ça, il ne l’avait pas vu venir. À l’évidence, Murmure n’est ni docile ni effacé. À l’évidence, Sickert n’est pas aussi stupide qu’il avait l’habitude de le montrer. Protecteur? Oui, il l’était. Menaçant, c’était bien la première fois. Et ce type cherchait des réponses chez son cadet comme s’il avait l’habitude de les trouver là? Il suivait Murmure? À ce stade, traiter l’éclaireur de raclure était presque un compliment!

Je ne sais pas ce qui se passe… Mais je veux le savoir! Et lui, fit-il en pointant le lieutenant dans son dos, Il le sait. Finnegan aimait savoir où il allait. C’était un esprit organisé. Il n’oubliait jamais ses objectifs. Il se retourna, fixant sur Barbaque immobile un regard méfiant et scrutateur. Le capitaine ne l’a pas envoyé nous surveiller. Il a confiance… En moi au moins. Et Barbaque aussi. Si ce n’était pas le cas, il m’aurait tué dans la forêt. Finnegan frissonna alors que la solution à l’énigme se refusait à lui. Non, il sait ce que contenait la lettre, il sait ce qui se passe et je refuse de retourner là-bas sans le savoir!

- Bon! Ça suffit vous deux! Sickert, qu’est-ce qu’il dit? s'impatienta leur supérieur hiérarchique.

Finn eut un sourire. Quelque chose qui illumina sa figure pâle et qui fit danser les reflets dans ses yeux.

On l’emmène? Parce que je trouve le lieutenant subitement très intéressant. Pour l'immédiat et pour le futur.

hj:

Ils le virent venir de loin. Enfin ce n’était pas étonnant puisque murmure était l’éclaireur…

Lorsque Sickert arriva à leur hauteur, Barbaque le salua civilement d’un signe de tête alors que son frère bottait des cailloux avec application sous l’œil amusé du lieutenant. L’un avait l’air frais et dispos alors que l’autre, le gamin, semblait avoir passé une nuit difficile. L’humidité et le savon de la veille faisait frisoter ses cheveux blond dans le soleil. Il avait la tête pleine de brindille et d’aiguille comme s’il s’était roulé par terre toute la nuit ou s’il s’était faufilé dans les fourrés. Des cernes foncés marquaient sa peau pâle.

Finn et Sick n’avaient pas grandi ensemble mais leurs errances des dernières années leur avait permis d’établir une forte complicité. Finn avait une empathie particulière qui lui permettait de jauger n’importe qui mais plus encore pour son frère dont il dépendait en grande partie. Oui, Finn devina son état d’esprit et ses mauvaises dispositions au premier coup d’œil. Mais voilà, chacun avait ses propres problèmes.

Avant de se mettre en marche vers Soltariel, Finnegan se permit un bref avertissement : La prochaine fois que tu es tenté de me laisser avec cet énergumène, ramène-moi plutôt dans les Wandres… fit son frère sans plus de détail, en lui tournant le dos.

Ce qui était agaçant avec Barbaque, c’est qu’il faisait encore semblant de ne pas comprendre. Sa maitrise était excellente. Depuis quand l’était-elle, là était la question. Il pouvait feindre l’ignorance avec aplomb mais il avait prouvé qu’il ne perdait pas une miette de ce que Finnegan énonçait.

- Alors Sick? Fit-il en lui mettant familièrement un bras sur les épaules. Tout à coup moins bavard n’est-ce pas? Ça s’est mal passé hier soir? Il pouvait y avoir une pointe de solidarité virile sous cette approche familière… Les femmes! Allons, tu vas t’en remettre, il y a pire que ça dans la vie… Pronostiqua-t-il comme une mauvaise diseuse de bonne aventure. Et pour citer un exemple, il poursuivit sur un ton anodin : Tu veux que je te raconte ce que j’ai fait à ton petit frère la nuit dernière? Des insinuations, toujours. Je blaguais!! Allons ne fais pas cette tête! Tu n’imagines quand même pas que je sois le genre de type à en profiter? C’était une très jolie lame que tu lui as refilé soit dit en passant. Il farfouilla dans son pourpoint négligemment déboutonné. Tiens, je te la rends. Fit-il en lui tendant Marion. Allons, dans le noir, je ne pourrais même pas l’entendre crier… Quel intérêt y aurait-il à m’en prendre à elle? Cette fois c’était une pointe de reproche. Un reproche aussi aigu que la pointe de la dague. Il faut faire attention avec ce genre de chose. Elle aurait pu se blesser. T’as déjà remarqué à quel point Finn a la peau douce?? Dégoulinant de sarcasme. Enfin, elle ne mange pas assez. Tu devrais y voir, on sent tout ses os… Mais elle a la peau douce… Toutes les filles ont la peau douce…

Tout ce que Barbaque disait avait un double sens. Poser la question c’était y répondre. Il apparaissait tout à coup beaucoup plus évident comment il s’était hissé à la position de lieutenant et pourquoi il était craint. Il était vicieux…

Finnegan qui marchait quelques pas devant eux ne perdit rien de l’échange. Seulement tout se passa très vite, il n'eut pas le temps de les prévenirs. [/quote]

Sickert n'avait pas vraiment dormi depuis deux jours. Il avait somnolé, contre son Ange, durant quelques heures la nuit... enfin, le matin précédent, mais c'était loin d'être suffisant. Et lui qui avait naïvement cru pouvoir dormir tout son saoul quelques nuits de suite depuis des années, et bien il s'était royalement planté. Non, il n'aurait pas encore droit à une nuit de sommeil en tout quiétude avant la guerre. Tant pis. Non, les événements ne se passaient pas comme il l'avait prévu, et bien qu'il n'était pas vraiment du genre à prévoir à long terme, tout ça ne lui avait même jamais effleuré l'esprit. Il ne s'attendait pas à ce que ce soit facile. Mais il ne s'attendait pas à se faire jeter sans pouvoir y faire quoi que ce soit. Du coup, quand lui il avait pensé durant les huit jours de voyages, de Diantra à Soltariel, comment faire la transition et comment adapter sa vie actuelle et celle qui lui avait échappé il y a huit ans, son Ange, elle, semblait avoir réfléchit à la manière la plus cruelle possible de l'évincer. Ses réflexions étaient exagérées, peut-être, mais à froid comme ça, il ne pouvait réfléchir autrement.

Oui, Barbaque et tout d'abord Finn, l'avaient vu de loin. Il ne se précipite pas à leur rencontre, il continue de marcher calmement, d'un pas beaucoup plus lourd qu'il ne l'aurait voulu. Il se sert de ce court laps de temps pour se recomposer une mine normale. Enfin, normale pour lui, mais l'effort est considérable pour lui à qui ça vient si facilement. Déjà, le reproche lancé par Finnegan le heurte nettement plus qu'il ne l'aurait du. Oui, il n'aurait pas du la laisser seule avec Barbaque. Mais il croyait pouvoir ensuite se débarrasser de Barbaque, une fois la mission accomplie pour passer quelques jours paisibles avant la guerre. Non seulement il avait obligé Finn à se coltiner Barbaque, mais en plus il n'avait rien à lui offrir pour la peine. Certes, la veille Finn lui avait dit que ça allait aller, mais de toute évidence, ça n'avait été ni pour l'un ni pour l'autre. Sickert n'avait pas plus fière allure que son cadet, il avait le traits tirés et des cernes sous les yeux. Oui, chacun ses raisons d'avoir eu une mauvaise nuit.

Il aurait probablement seulement remis Barbaque à sa place, il lui aurait probablement répliqué quelque chose dont lui seul avait le secret, des âneries, des inepties, puis il lui aurait collé une droite, ou une gauche, juste pour le faire taire. Mais Sickert avait quelque chose à digérer. Quelque chose qu,il n'arrivait effectivement pas à prendre. Du moins pas tout de suite. Sickert était un peu inattentif. Enfin, non, il était très attentif aux propos de Barbaque, mais il ne dit rien. Pourtant, le fait qu'il fixe droit devant lui, la mâchoire serrée aurait du être un indice explicite. Barbaque aurait du comprendre qu'il poussait le bouchon trop loin. Il aurait du comprendre que si on cherche Sickert, tôt ou tard, on finit par le trouver. Et Barbaque finit par trouver Sick de manière brutale au moment où il insinua que Finn avait la peau douce. Sickert eut un spasme qui se répercuta de son cerveau à tout son corps. Si jamais on lui demande ce qui s'est passé, il ne saura probablement pas l'expliquer. Et franchement, il s'en moque. Il ne sait pas trop comment il se retrouve à rouler sur le sol avec Barbaque, mais reste qu'il se retrouve à prendre le dessus et que méthodiquement et avec une application terrifiante, il se met à rouer Barbaque de coups. Il n'est pas du genre à s'acharner. Il est plutôt du genre à frapper rapidement, vicieusement, là où ça fait mal, pour avoir le dessus tout de suite. Mais là, c'est différent. Il a déjà le dessus et pourtant, il frappe toujours.

On ne peut pas dire que Barbaque opposa une franche résistance. Il souriait encore lorsque le cartographe se jeta sur lui. Sickert avait le dessus. Il bataillait surtout pour ne pas se laisser submerger, encaissant les coups mais veillant à ne pas se faire tuer. Un peu comme s’il était conscient qu’il le méritait, un peu comme s’il l’avait cherché. Parce que Sickert frappait vraiment pour le tuer. C’était intéressant. Il se battait probablement pour plusieurs raison… Il avait probablement beaucoup de frustration à évacuer… Mais c’était à force de s’en prendre à Finn qu’il l’avait fait réagir. Vraiment très intéressant!

Arrête!! Finnegan enjamba les corps des deux hommes et s’arc-bouta aux épaules de son frère pour dégager Barbaque. Il ne m’a rien fait! Ne l’écoute pas! Tout ce qu’il veut c’est que tu lui tapes dessus! Tu vois bien qu’il te provoque! Et lui passant un bras autour de la gorge dans une prise qu’il lui avait lui-même enseigné, Finn tira de toutes ses forces mais Sickert avait toujours été un bagarreur. D’un coup d’épaule malencontreux il le fit basculer entre eux et se trompa de cible. HUMPFF!

Ça allait rapidement tourner au vinaigre. Barbaque n’était pas de taille à résister à un type de la taille de Sickert mais c’était un homme d’opportunité. Il saisit l’occasion, saisi Finn à bras le corps et s’en fit un bouclier. Il lui fallut un instant pour reprendre son souffle et se dégager de la mêlée en trainant Finnegan contre lui. Mais Sick n'allait pas s'arrêter là, certainement pas.

Laisse-le tranquille Sick… C’est pas le lieutenant!! C’est PAS LE LIEUTENANT!!! L’avertit-elle en le voyant revenir à la charge.

Barbaque la secoua sans ménagement.
- Et toi, si tu répètes ça, t’es morte. menaça-t-il.
Mais j’ai raison!
- Et alors? Fit-il en affermissant sa prise.
Alors si tu m’embête encore, moi ou mon frère, je dirai tout!
- Tout?
Tout! Affirma-t-elle en se tortillant pour retrouver sa liberté de mouvement. Finn s’arracha à sa prise pour lui faire face.
- Tu ne sais pas tout…
J’en ai deviné autant sur ton compte que tu en as deviné sur le mien… Ce sera suffisant.
- Ah tu crois? Fit-il en se campant sur ses talons, les bras croisés sur sa poitrine, évaluant le gamin d’un air supérieur.
PARFAITEMENT! Articula finn en redressant le menton…

Il y eut un moment de silence et de tension alors qu’ils se confrontaient du regard. Finalement Barbaque sourit, découvrant ses dents très blanches et régulières. Un sourire de loup.

- Ma fois, c’est qu’elle en serait capable. Fit-il en prenant Sickert à témoin. Il renversa pensivement la tête en arrière, se laissant gagner par la conviction de ce petit bout de femme. Vous avez de la chance que DuSaule vous apprécie. Ça va… Je continuerai à te protéger, toi et ton frère… fit-il d’un ton amusé. Même si vous n’êtes pas engagé. Je n’imposerai qu’une seule condition : Je veux savoir pourquoi il est supposé te tuer?

Ce n’était que de la curiosité personnelle. Finnegan sembla se rappeler de la présence de son frère à ce moment-là. Elle le chercha du regard.

Parce que notre mère le lui a demandé.
- Pardon?
C’est la réponse à ta question. Et C’est qui DuSaule?
- Un vieil ami. Et ça aussi ce sera la réponse à ta question en attendant que j’ai d’avantage de détail à la mienne.

L’adolescent l’ignora et offrit une leçon de rattrapage à son ainé : Dans une demi-heure, il aura la figure tellement tuméfiée que plus personne dans Soltariel ne le reconnaitra quand nous entrerons en ville.

Barbaque se torcha le nez sur le revers de sa manche.

- Sick, tu frappes comme une fille…
Ta gueule Bénédicte… Dégoupillant sa gourde, l’éclaireur humecta son mouchoir et en banda les poings de son aîné. Il grimaça en constatant les dégâts. Finn passa son bras sous celui de son frère et l’entraina vers la ville. Il n’avait échangé qu’un regard mais ils s’étaient compris. Un regard torve qui disait 'je suis désolée'. Ange l'avait repoussé.

Sickert, durant le trajet, croyait bien s'être raisonné. Il s'était efforcer de laisser ce qui s'était passé, son Ange, toutes ces émotions nuisible à la survie, au manoir. Il croyait bien avoir réussit, ou du moins en partie, le plus possible. Il pensait bien avoir reprit, en version contrariée, peut-être, son humeur et son air habituel. Il croyait avoir réussit, mais Barbaque avait, de toute évidence, balayé le fragile rempart qu'il avait construit durant la nuit. Il aurait du être capable de se retenir et de rester lucide, mais Sickert avait parfois tendance à s'emballer, ce qui était loin d'être viable à long terme. Sickert n'a jamais été raisonnable, mais il restait lucide. Mais pas à ce moment. Il ne réfléchit pas beaucoup tandis qu'il frappe Barbaque, seulement à l'idée que ce salopard doit la fermer. C'est la seule chose à quoi il pense, jusqu'à ce qu'il se sent tiré vers l'arrière, puis ensuite, c'est Finn qui se retrouve entre eux. Le temps de se rendre compte, il n'a que le temps de retenir toute la hargne qu'il mettait à frapper Benedicte. Le temps pour Sickert de réaliser qu'il n'a pas à frapper Finn, le lieutenant s'est dégagé et il traîne Finn avec lui, le mettant entre eux. Il ose se servir de Finn comme bouclier ? OH LE SALOPARD ! Les raisons de son agressivité changent soudainement et cette fois, s,il se rue sur Finn et Barbaque, ce n'est pas pour la même raison, c'est pour les séparer. Mais il n'en a pas le temps, puisque Finn lance une phrase qui le stoppe brusquement dans son élan.

- ... quoi ?

Personne ne lui répond, sur le coup et il porte une attention au dialogue qui se produit. Il n'y comprend rien, mais il sait reconnaître un moment décisif quand il y assiste. Son attention retenue par ce dialogue, son agressivité gratuite s'envole et il reprend son calme plus habituel.

- Qui n'est pas le lieutenant ? interroge-t-il, mais on ne lui répond pas tout de suite.

C'est une conversation bizarre à laquelle il ne comprend pas grand chose, mais sa curiosité est attisée, pas de doutes. Mais Sickert est patient et il les laisse discuter. Il remarque avec une certaine contrariété que de toute évidence, Benedicte comprend aisément ce que raconte Finnegan. Et ça, c'est vraiment contrariant. Depuis quand lui est-il si aisé ? Il fronce les sourcils et secoue la tête lorsque Finn avoue sans plus de précision, tout de même, que s'il dit vouloir le tuer, c'est que leur mère l'a demandé. Sa mâchoire se serre, pas d'accord avec cette divulgation de renseignement, mais il suppose que Finnegan sait ce qu'il fait.

Il semble être revenu au calme et rien chez lui, sauf quelque écorchures aux jointures et la douleur associée peuvent trahir de son excès de violence des minutes précédentes. De toute évidence, un trop plein d'émotions et une violence refoulée ont réussit à s'exprimer et il est revenu au calme. S'il ne sourit pas comme il le fait habituellement, il est moins renfrogné et il semble moins misérable.

Il hoche la tête lorsque Finn l'informe que Barbaque sera méconnaissable dnas quelques minutes. C'est vrai. Vu les renseignements donnés par Barbaque lors du dîner de la veille, ça reste une bonne manière, mais Sickert connaît des manières nettement plus facile et moins douloureuses d'arriver à cette même fin. Quel profiteur quand même ce Benedicte...

- Sick, tu frappes comme une fille…
Ta gueule Bénédicte…
- Ta gueule Benedicte, réplique-t-il en même temps que Finnegan, sinon je recommence, menace le bagarreur avec un sérieux qu'on ne lui reconnait pas.

Épuisé, parce qu'il n'a pas dormi depuis presque trois jours, ou si peu, il n'oppose aucune résistance lorsque Finegan lui bande les poings, mais il dévisage Barbaque d'un air perplexe. Ouais, dnas pas long, il sera effectivement méconnaissable. Ce serait peut-être le bon moment de le faire disparaître pour de bon. Ils pourraient toujours plaider qu'ils n'avaient absolument aucune idée que le lieutenant les suivait. Il se doutait, par contre, que Finnegan ne serait pas d'accord et peut-être que son petit frère ne croirait pas au "malencontreux" accident. Mais il se détourne du lieutenant sans méfiance apparentes lorsque Finnegan prend les devants en l'entraînant avec lui.

- Pourquoi ce n'est pas le lieutenant ? interroge l'aîné à voix basse lorsqu'ils ont prit un peu d'avance. Qu'est-ce qui s'est passé cette nuit ? ajoute-t-il d'un ton lugubre.

Ils avaient de toute évidence passé une mauvaise nuit tous les deux, pour des raisons différentes. Mais pour Sickert, il était trop tard. Il n'y pouvait rien en ce moment et peut-être même jamais plus. Il devait chasser tout ça de son esprit et endiguer ce qui pouvait lui être fatal. Il devait se concentrer sur autre chose que lui-même et c'est Finnegan qui allait hériter de toute son attention.

C’est pas le lieutenant… Répéta son petit frère en escamotant l’autre partie de la question. Il pressa le pas pour distancer le ‘lieutenant’ et se ménager un peu d’intimité avec son frère. Oh! Benedicte ne leur refuserait pas ça… Il avait eu sa part d’intimité la veille. Son frère continua :

Je ne crois pas qu’il soit ce qu’il a prétendu être devant Ange. Il lui a laissé croire qu’il est le mouton noir d’une famille de noble parti s’encanailler. Ça ne lui ressemble pas. Surtout que c’est pas le lieutenant. Ça fait trop longtemps qu’il est dans la compagnie. Il y a toujours été. C’est pour ça que les gradés ne parlent pas de lui… S’il est prêt à puiser dans sa bourse pour renflouer la compagnie, c’est parce qu’il est plus qu’un lieutenant.

Ils étaient frère d’arme dans la compagnie. Des liens très forts se tissaient entre les mercenaires. Ils étaient solidaires, oui. Mais il aurait fallu être fichtrement excentrique pour un acte d’une pareille générosité. Benedicte, un excentrique? Non, il n’était pas un excentrique.

Et puis si c’était seulement une canaille, il se ferait discret et il irait voir sa sœur lui-même. Il est bien plus qu’une canaille. Non ce qu’il a fait est pire que de se faire mercenaire… Je crois qu’il a monté une troupe de mercenaire et qu’il la finance. Tu as vu la réaction d’ange quand elle a su comment on gagnait notre vie? Elle pense que c’est pire qu’être pirate! Je crois que ça reflète bien ce qu’on penserait de lui…

La femme que j’ai rencontrée hier n’était pas une écervelée. Elle a traité sa requête avec sérieux et elle m’a considéré avec respect. Tu comprends? Elle ne m’a pas traité comme un simple messager ou pire comme un collecteur de fond mais plutôt comme un homme de confiance… Elle avait l’air d’une femme d’affaire. Elle avait l’air de quelqu’un qui, par exemple, administre les finances d’un frère pas recommandable. Mais quelque chose de vraiment pas recommandable… Quelque chose sur quoi elle ne peut pas fermer les yeux. Comme Ange… Je paris que si tu te renseignais sur un Benedicte de Nils Klemens, on te dirait que c’est un décadent parti dieu sait ou dilapider sa fortune… C’est pour ça qu’il passe par moi et que tu viens de lui foutre une raclée.

Je suis à peu près certain qu’il savait mieux que toi comment allait réagir Ange au Manoir… Je crois qu’il savait exactement comment la prendre pour nous faire mettre à la porte. Je crois qu’il l’a fait exprès. Finn jeta un regard par-dessus son épaule. Barbaque crachait des caillots dans la poussière de façon très satisfaisante. Il te provoquait depuis le départ. Il cherchait à te faire réagir et il y est parvenu. T’as fait exactement ce qu’il voulait… Sale manipulateur. Il obtient toujours ce qu’il veut… ajouta son petit frère sombrement. C’était la chose la moins gentille qu’il eut jamais dite.

Ce que Finn n’arrivait pas à comprendre, c’est pourquoi Barbaque avait souhaité les tirer de là. Comme s’il avait désiré se débarrasser d’Ange. En quoi était-elle embarrassante? On aurait dit qu’il avait voulu les soustraire à son influence. Bon sang! Un lit propre avec des draps bien blanc, avait promis Ange. Finn n’en avait même pas vu la couleur. Benedicte s’était débrouillé pour partir avec lui, certain que Sickert suivrait.

On ne s’est jamais engagé. DuSaule nous a à la bonne et ça correspond à sa personnalité de s’en accommoder. Benedicte n’est pas le genre d’homme à se contenter de demi-mesure. Il n’approuve certainement pas nos ‘libertés’… Alors, je ne comprends pas pourquoi ça avait tellement d’importance qu’on reste avec lui.

L’adolescent réfléchissait à haute voix, se tournant vers son frère chaque fois qu’il ouvrait la bouche pour qu’il partage ses élucubrations. Ça aurait été tellement plus facile sous la pleine lune…

Et puis il y a la commission. Je ne sais pas ce que je dois récupérer mais est-ce qu’il ne serait pas opportun qu’on disparaisse ensuite? Barbaque avait toujours été curieusement protecteur à sa manière brutale. Essayerait-il de les tuer ensuite? Est-ce que ce ne serait pas une aubaine qu’on quitte la compagnie pour Ange? Est-ce qu’il a eu peur qu’on quitte avec Ange et la commission?

Non… Tu vois, Benedicte, c’est pas le lieutenant. Fit Finnegan en secouant la tête pour appuyer sa certitude. C’est le capitaine! Ronchonna-t-il comme si c’était une évidence tellement évidente.

Il était entré dans la ville depuis quelques temps déjà et Barbaque s’était rapproché des deux frères silencieusement. Quand Finnegan se retourna pour voir où était leur supérieur hiérarchique, il sursauta, surpris de le trouver juste derrière eux. Depuis combien de temps il était là, lui?

- Sick, restes avec moi… Murmure, t’y vas seul… Oh ne me fais pas ces yeux-là, je t’ai fait une promesse tout à l’heure n’est-ce pas? Je la tiendrai.

Barbaque était méconnaissable. Il gagna le centre de la place où Finnegan les avait mené et s’installa sur la margelle d’une fontaine, invitant Sickert à venir s’assoir avec lui comme deux citadin profitant du soleil de l’après-midi de Soltariel.

- L’est méfiant… commenta Barbaque alors que le gamin était parti.

Le lieutenant trempa son mouchoir dans l’eau claire et tapota délicatement ses plaies et les ecchymoses qui commençaient à décorer les bosses les plus évidentes qui fleurissaient sur sa figure.

- On ne peut pas le lui reprocher, je ne l’ai pas épargné la nuit dernière… Aucune insinuation cette fois. Il avait testé les limites et c’était trouvé satisfait de ce qu’il avait trouvé. Le ton d’un homme raisonnable; une constatation de pure forme. J’ai dit à Finn que je vous couvrirais… Mais c’est irréaliste. Il le sait et tu dois t’en rendre compte toi aussi. Il hocha la tête avec une expression de regret. Vous devez quitter la troupe de DuSaule… La façon dont le lieutenant s’exprimait était différente. C’était sa voix, mais ce n’était ni sa diction, ni son rythme… L’homme qui était là avait une manière sinueuse de parler. Il peut encore très bien passer pour ce qu’il n’est pas… Mais pas indéfiniment. Elow n’est pas une lumière mais il ne survivrait pas s’il le découvrait. Je peux vous aider à préparer votre sortie… Ilva y avoir une guerre et il se passer des tas de choses horribles. Qu'en penses-tu, ami Sickert?

Finnegan est silencieux. Ce n'est pas par sa voix qu'on pouvait le comprendre. Ayant prit les devants, Finn pouvait parler et s'exprimer à son aise, puisque Sickert n'avait qu'à tourner la tête. Sickert, lui, ne répondait pas. De un parce que Finnegan parlait et que ce qu'il racontait était fichtrement intéressant. Et de deux, parce que lui, il parlait avec sa voix et Barbaque n'était pas assez loin pour qu'il n'entende pas ses réponses. Sickert n'avait pas à parler et franchement, il ne savait pas trop quoi en penser. Il n'était pas certain de savoir si c'était une bonne ou une mauvaise nouvelle. Il voyait Barbaque du coin de l'oeil, c'était suffisant. Il n'a pas besoin de se tourner vers lui pour le voir, ni pour le jauger. Finn a probablement raison. Ça expliquait pourquoi il avait précisé avec gravité le fait que Sick et Finn n'étaient pas engagés. Il s'en inquiétait parce que la troupe de DuSaule était peut-être la sienne, voir une des siennes.

Sickert ne quitta pas son air renfrogné de tout le trajet. De toute façon, il ne se sentait pas vraiment en état de réfléchir à ce genre de truc. Mais il encaissait pourtant les informations à mesure que Finnegan les dévoilait. Il se contentait d'hocher la tête de temps en temps, l'air boudeur. Il aurait eu exactement le même air si Finn avait passé tout le trajet à lui faire la morale et lui expliquer les relations hommes femmes et les raisons de son échec de la veille au soir.

Quand ils se rendirent compte que Barbaque était plus proche qu'ils ne le croyaient, Sickert se contenta de lui décocher un regard assassin teinté de glace, mais encore, il ne dit rien. C'était pas son genre. Vraiment pas une attitude normale venant de Sick, lui qui était habituellement si enthousiaste et si amusé. Et il afficha le même air tout le temps, sauf un hochement de tête lorsque Barbaque annonça que Murmure devait y aller tout seul. C'était à prévoir. Si ça devait être discret, Finn était le mieux placé. Sick et Finn se connaissaient assez pour savoir que Sikc allait garder un oeil sur Barbaque le temps que le cadet serait en mission. Sick n'était pas du genre à se laisser tuer et même s'il avait habituellement l'air désinvolte et distrait, c'était qu'une façade.

Une fois à la fontaine, Barbaque s'assoit, mais Sickert reste debout. Il semble toujours boudeur et contrarié, mais tout de même, il garde les yeux sur Barbaque et écoute attentivement ce qu'il raconte. Et écouter, ça lui va très bien pour le moment, mais le lieutenant peut-être pas si lieutenant que ça semble vouloir le faire participer à son monologue et ça contrarie Sickert peut-être un peu plus.

- J'suis pas ton ami, annonce Sick sans douceur. Pourtant, on air renfrogné disparaît. Mais je pense que ça doit faire mal quand tu parles, tu zozotes un peu. Un sourire sans joie transforme les traits du cartographe, mais qui s'efface aussitôt. Je suis déçu, je pensais bien t'avoir péter une dent ou deux. Il hoche la tête et il semble répondre sérieusement. On est pas engagés, je vois pas pourquoi on aurait besoin d'une sortie. Il semble avoir une idée et cette fois, le sourire qu'il esquisse est nettement plus joyeux, il éclaire presque ses yeux bleu. Quoiqu'une grande fête, avec de l'alcool, de la bouffe et des femmes, ça tu pourrais le préparer pour notre sortie. Je suis sûr que ça plairait même à Elow. Si ça se trouve, il va tellement apprécier que ça va le tuer.

L'idée semble franchement lui plaire.

Barbaque était un homme qui avait peu d’expression, se contentant d’un air sinistre. Il sourit pourtant, découvrant deux rangées de dents très blanches, droites et régulières. Non, il n’en manquait aucune même s’il avait les lèvres tuméfiées et fendues.

- Tu sais Sickert, je te connais depuis 3ans… Et jamais je ne t’ai trouvé plus effrayant que là maintenant.

Et il approuvait. Le lieutenant tapota encore la margelle de la fontaine à côté de lui, insistant…

- Et je t’assure que tu es mon ami… Tu es mon ami, Sickert, parce que ton petit frère est mon ami, maintenant…

Maintenant quoi? Maintenant depuis quand? Maintenant? Tout en insinuation. Il attendit que le cartographe prenne place où une alternative.

- Tu sais Elow n’est pas si mal. C’est le lieutenant le plus vachard que j’ai engagé mais il est bon parce qu’on sait comment il est mauvais. Elow agira toujours comme Elow : il ne cessera jamais d’être un gamin qui arrache les ailes aux mouches, tu comprends? Il est sans surprise.

Tout le contraire de lui… Personne n’avait deviné avant Finn…

- Et puis, on ne l’aurait jamais laissé s’en prendre à Murmure, n’est-ce pas?

Non, ça il se le réservait… Le lieutenant échangea un long regard avec le cartographe. Parce qu'il savait, peu importe la manière dont il l'avait appris, que Sickert avait pour mission d'assassiner Finnegan. Et Finnegan revenait sur les entrefaites. Ça avait été rapide. Très rapide. Le gamin arborait un air satisfait, content de soi qui changea radicalement l’humeur de Barbaque. À sa vue, Barbaque commenta d’un :

- Eeeeh merde… particulièrement cinglant. Et alors?
Elle dit que si tu veux la réponse, va falloir monter la voir toi-même…
- Et comment elle a su que j’étais là?
Oh je crois qu’un plein panier de pêches m’a convaincue… expliqua Finnegan en repêchant par son collet quantité de fruit qu’il remit entre les mains de son frère.
- Sale raclure!
À ton service… J’ai laissé la porte de derrière ouverte pour toi… rétorqua l'adolescent avec un sourire désarmant.

Et cavalièrement, il lui fit signe de dégager la place qu’il occupait auprès de son frère. Après quelques instants d’indécision, Benedicte se décida et s’en alla en pestant abondamment. Finn s’installa au soleil et farfouilla dans son gilet pour en sortir les derniers fruits, ses yeux d’un brun chaud couvant le lieutenant d’un regard évaluateur. Il les lui mit une à une dans les mains et finalement sorti une lettre cacheté.

Alors voyons ce que ça dit, fit-il en en brisant le sceau. C’est… c’est quoi ça? Une lettre de charge? L’éclaireur eut un sifflement appréciateur. Si c’est ce que je pense, Benedicte de Nils Klemens est plus riche que je le croyais… Et enfin, Finn réalisa ce qu’il avait fait.

Sickert? Tu crois que Benedicte nous aime bien à quel point? S’informa cliniquement l’adolescent. Parce que probablement que la seule chose qui va l’empêcher de nous tuer, maintenant, c’est que la lettre est à mon nom. fit-il en tapotant la lettre.

Maintenant… Encore ce maintenant…

Jamais plus effrayant que maintenant ? Pourtant, Sickert ne se sent pas du tout effrayant. Il se sent surtout misérable. Et il l'est probablement, parce que c'est pas son genre d'être effrayant quand sa vie n'est pas en danger. Et même encore, même si sa vie est en danger, il n'est effrayant qu'au dernier moment. Au tout dernier moment, mais c'est habituellement une question de point de vue. Ça lui avait bien réussit jusqu'à maintenant. Du moins jusqu'à un certain point. Il est toujours vivant, c'est bon signe, non ? Pourtant Sick ne répond pas. Son air boudeur et renfrogné revient et il réagit à peine lorsque le lieutenant peut-être pas si lieutenant lui indique qu'il est maintenant ami avec Finn. Mais il se renfrogne peut-être un peu plus, serrant la mâchoire pour bien marquer le coup. Mais Sickert ne prit pas place sur la margelle de la fontaine. Il reste debout, obstinément debout.

Elow sans surprises ? Ce n'est effectivement pas une surprise. C'est pour cette raison que Sickert arrivait toujours à si bien le désamorcer, que ce soit avec l'appui plus ou moins intéressé de Barbaque ou non. Les gens prévisible sont nécessaire, Sickert est bien placé pour le savoir. Pourtant, le seul commentaire qu'il émet n'est pas parlé, il se contente d'hausser les épaules. Lui, si loquace ne dit absolument rien. De toute évidence, il boude encore. Et non, jamais il ne laisserait Elow s'en prendre à Finn. Et il ne laissera pas Barbaque non plus.

Sur ces entrefaites, Finnegan est de retour. Tout comme Barbaque, tous les eux changent d'air en voyant Finnegan approcher. Si Barbaque se renfrogne, Sickert, lui se met soudainement à rayonner. Il n'a absolument aucune idée du pourquoi l'air de Finnegan, mais ce qu'il a apprit depuis ces quelques années avec son cadet, c'est de toujours avoir l'air complice ou du moins avoir l'air d'en savoir plus. Jusqu'à maintenant, ça lui avait toujours bien fait. Et cette fois n'échappe pas à la routine.

- Eeeeh merde… Et alors?
Elle dit que si tu veux la réponse, va falloir monter la voir toi-même…
- Et comment elle a su que j’étais là?
Oh je crois qu’un plein panier de pêches m’a convaincue…

Finnegan lui remet quelques fruits, qu'il s'empresse de récupérer, avide.

- Chic !
- Sale raclure!
- Sois poli, Barb', t'as une collation, se moque-t-il.
À ton service… J’ai laissé la porte de derrière ouverte pour toi…

Barbaque semble hésiter tandis que Finnegan s'assoit à la place qu'il occupait et que Sickert a déjà mordu dans un fruit.

- Je t'en garde une, promis, mon ami, lance-t-il, la bouche pleine.

Puis aussitôt que Barbaque a disparu, il s'assoit à côté de Finnegan. Il ricane.

- Bien joué, tu as généreusement réunit une famille, se moque-t-il en prenant les fruits que lui tend Finnegan, mais il ouvre grand les yeux lorsque Finnegan en tire aussi une lettre. OOoooh, alors elle sait pas du tout qu'il est là ? Il pouffe de rire, ravie de cette diversion, jusqu'à ce que Finnegan siffle. Aussitôt, Sickert reprend un brin de sérieux et arrache la lettre des mains de Finnegan. Il marque une mine étonnée. Wo, en effet, c'est une petite fortune... et ouais, c'est à ton nom. Il réfléchit un instant et fronce les sourcls. Tu sais, on pourrait ficher le camp et couler des jours heureux avec tout ça.

Ils pourraient même s'armer pour la chasse à la sorcière et en avoir ensuite assez pour le reste de leurs. Il jette un coup d'oeil à son frère. Il sait très bien ce qu'il ferait, lui. Il rebrousserait chemin et il n'hésiterait pas. Le hic c'est que c'est le premier endroit que fouillerait Barbaque. Et même s'ils filaient ailleurs, Barbaque finirait tôt ou tard par repasser par Solaria et il doute que cette fois, il soit seul. Il redonne la lettre à Finnegan et il se lève. Il fait quelques pas, puis dévisage Finnegan. Même si Finnegan ne parle pas, ils n'ont pas toujours besoin de parler. Finnegan est rusé et il s'était bien vengé de ce qu'avait pu lui dire ou faire Barbaque durant la nuit. Le hic c'est que Finnegan n'avait pas encore assez d'expérience pour prendre toute la mesure de ce que sa ruse pouvait ouvrir comme possibilité. Et fouille rapidement dans son sac, pour en sortir un papier grossier qu'il plie et tend à Finnegan.

- Mais faut pas non plus sous-estimer le pouvoir de ceux qui ont une longueur d'avance. Met la lettre dedans et donne moi l'enveloppe. Cache-la soigneusement, dit-il en parlant de la lettre tandis qu'il glisse un papier quelconque dans l'enveloppe. Je connais pas sa relation exacte avec DuSaule, mais avec tout ce que t'as découvert, il a déjà probablement en tête de nous tuer ou de nous asservir. Faut lui donner une raison de faire ni l'un ni l'autre. L'enveloppe en main, il s'appuie contre une statue près de la fontaine et il attend. On va voir si Benedicte de Nils Klemens a vraiment besoin d'amis pour vrai ou si des types comme Elow lui suffisent.

Oui, parce que Elow, lui, aurait disparu. Quelques secondes plus tard, Barbaque se fait de nouveau voir dans la rue. Il est furieux, ça se voit. Sickert le voit tout de suite et fait opposition en affichant une mine réjouie et enthousiaste. Il tient l'enveloppe nonchalamment entre ses doigts et quand il est certain que Barbaque l'a vu, il la range soigneusement à un endroit impossible à dérober sans affronter d'abord et Sickert n'est pas du genre facile à affronter.

- Ça été court comme retrouvailles fraternelles, tu sais, on t'aurais attendu si tu avais voulu étirer les réjouissances, mon ami.

Rarement le terme "mon ami" n'a semblé si menaçant.

À l’instant où Benedicte croisa le regard de sa sœur, il sut… Elle se tenait très droite derrière son secrétaire, tournant le dos à une fenêtre. Elle consignait dans un grand livre de compte la lettre de charge qu’elle avait vraisemblablement déjà remis à Finnegan. Parce qu’aucune lettre ne se trouvait sur le bureau. Les pêches? Le gamin était passé par la porte de derrière qui donnait sur les cuisines.

- Benedicte? C’est toi? Qu’est-ce que tu fais là? S’étonna Alice de Nils Klemens, à la fois surprise et alarmée. Ils ne s’étaient pas rencontrés depuis près de 10ans… En outre le traitement esthétique de Sickert avait fait des ravages. J’ai déjà remis ce que tu m’as demandé au jeune Finnegan Sidhe, je…
- Tout va bien, c’est parfait! Tempéra Benedicte en l’interrompant d’un geste. Et sans s’attarder d’avantage, il tourna les talons dévalant les 3 étages de la petite maison du faubourg pour faire irruption sur la place.

Benedicte avait confiance en Finn. Il croyait en son honnêteté. Ce gamin était loyal, fidèle, il avait une conscience, il n’était pas corruptible, toute chose qui en faisait un très mauvais mercenaire. Sickert c’était autre chose. Mais Finnegan avait toujours semblé suivre son libre arbitre. On lui avait déjà confié de nombreuses commissions. L’aurait-il mal jugé?

La lettre était au nom de Finnegan. Un vol simple aurait été un moindre mal. Quand il réalisa que les deux frères l’attendaient près de la fontaine, il comprit que la situation lui échappait. Sickert gérait la situation, comme toujours. Trois pas en avant, flamboyant, essayant manifestement de le détourner de l’objet de sa colère. Finn, dans son dos, manquait singulièrement d’assurance et descendit de la margelle comme s’il s’apprêtait à encaisser la charge. Il avait vraiment confiance en Finnegan. Jamais il ne l’aurait soupçonné de chercher à tirer avantage de la situation.

Benedicte se rua sur Finnegan, brièvement entravé par le cartographe qui essayait de protéger son frère. D’habitude Sickert ne s’interposait pas vraiment. Ce n’était pas nécessaire, Benedicte ne dépassait jamais la limite imprécise qu’il s’était fixé. Le lieutenant ressentit une certaine satisfaction à voir Sickert essayer de tempérer la situation, de gagner du temps. Peut-être réalisait-il qu’il avait dépassé les bornes, peut-être le craignait-il encore un peu… La réaction des deux frères galvanisa sa rage. Il repoussa Sickert et mit la main sur le plus jeune.

Attend je peux t’expliquer!!! S’empressa de justifier Finnegan, apeuré à défaut d’avoir de réel remords.
- C’était vraiment pas très malin… Toi! Gronda-t-il avec une intensité inhabituelle, t’as aucune idée de ce que tu viens de faire… Et d’un tour de main, parce qu’il était convaincu que Sickert était en possession de la lettre, il fit basculer le gamin dans la fontaine.

FLOUSH!

Il se retourna, désarmé, les mains sur les hanches, défiant Sickert de l’approcher.

- De quelle partie de cette plaisanterie tu es responsable, mon ami? Questionna-t-il en détachant chaque syllabe. Barbaque avait la réputation d’un homme qui n’aime pas être contrarié. Rends la lettre, ce n’est pas à toi qu’elle a été confiée. Il ne savait pas ce qui le contrariait le plus… Que Finn ait remis la lettre à Sickert ou que l’homme y cherche manifestement un avantage. Oui parce que sinon, pourquoi? Allez, mon ami, je ne vais pas devoir te menacer j’espère?

Une chose étrange se produisit alors. Finnegan sorti de la fontaine, dégoulinant, et s’immisça entre les deux hommes.

Ce serait gênant autant pour toi que pour lui! Et appuyant son épaule contre son abdomen, l’adolescent s’arc bouta pour le faire reculer. C’était pas son idée!
- Alors à quoi vous jouez merde!
Ça c’est à toi de nous le dire… Et il lui balança ce qu’il avait à l’esprit sans finasser le moindrement. Un coup à prendre n’importe qui par surprise. Qu’est-ce que tu feras ensuite? Parce qu’avec ce qui est écrit la d’dans, j’imagine pas du tout ce qui va t’empêcher de nous tuer pour garder tes secrets.
- Je ne vais pas te tuer, je vais te sauver la vie! se renfrogna le lieutenant.

La conversation que Benedicte et Sickert avait eu plus tôt prenait tout son sens. Il avait confiance en Finnegan et il lui offrait une porte de sortie…

Benedicte semblait furieux, Furieux et contrarié, peut-être un peu déçu de s'être fait avoir comme un blanc-bec. Et c'est Finn qu'il fixe en arrivant. Oh, il a vu l'enveloppe, mais c'est sur Finn qu'il se dirige. Sickert le dévie, brièvement de sa route, avant de le laisser faire. Mais il est prêt, Sickert est toujours prêt. Il a une légère grimace lorsque Benedicte pousse Finnegan dans l'eau. Ce serait dommage. Le défi est lancé, mais Sickert ne bouge pas. Il se contente de fixer Benedicte de Nils Klemens, un sourire amusé sur les lèvres.

- De quelle partie de cette plaisanterie tu es responsable, mon ami?
- De celle qui fait mal, avoue Sickert sans paraître le moindrement embarrassé.
- Rends la lettre, ce n’est pas à toi qu’elle a été confiée. Sick secoue la tête, bien décidé à ne pas lui faire ce plaisir. Allez, mon ami, je ne vais pas devoir te menacer j’espère?

Et Sickert émet un bref ricanement amusé. Les menaces passaient habituellement des mètres au dessus de sa tête. Dans ses bon jours, il ne semblait même pas les comprendre et se contentait de sourire bêtement.

Ce serait gênant autant pour toi que pour lui!
- Je suis pas gêné, proteste Sickert.
C’était pas son idée!
- Alors à quoi vous jouez merde!
Ça c’est à toi de nous le dire… Qu’est-ce que tu feras ensuite? Parce qu’avec ce qui est écrit la d’dans, j’imagine pas du tout ce qui va t’empêcher de nous tuer pour garder tes secrets.
- Je ne vais pas te tuer, je vais te sauver la vie!

Encore une fois, Sickert ricane.

- En effet, tu ne tuera pas Finn, mais personne ne va lui sauver la vie, commente Sickert, l'air de rien. Mais raconte-nous, Barb' comment tu essaie de lui sauver la vie.

Son ton fait penser à celui qui essaie d'en savoir plus pour pouvoir frapper plus fort.

Et ça faisait mal…

N’importe quel homme lui aurait déjà sauté à la figure… Pas seulement à cause de ce sale petit sourire insolent. Surtout à titre préventif; pour la transfiguration de mouton en loup. Mais voilà, Benedicte n’était pas lieutenant pour rien. On ne peut pas commander une troupe si on n’est pas capable de maîtriser une situation, de se maîtriser soi-même. Il savait se contrôler.

Face à Sickert, le lieutenant n’était pas de taille. Pas s’il n’essayait pas de le tuer. Le seul levier connu sur cet imbécile heureux, c’était par personne interposées : son petit frère. Hors, l’attitude relâchée du cartographe montrait qu’il ne le croyait pas menacé. Sickert avait renoncé à défendre Finnegan. Il l’avait laissé s’en prendre à lui parce qu’il savait que le gamin ne risquait rien de vraiment fâcheux Tout l’ascendant qu’il avait eu sur la situation, il l’avait perdu en se contentant de balancer Finnegan dans la fontaine. Benedicte réalisa avec douleur qu’il n’avait effectivement aucune prise sur Sickert. Il regretta de ne pas lui avoir fait vraiment mal.

C’était gênant. Menacer qqn qu’il se proposait de sauver? Aucune crédibilité. Sickert soulignait la contradiction avec un plaisir pervers en le forçant à expliquer ses intentions. Le scélérat!

J’ai pas besoin d’être sauvé! Se rebella l’adolescent.
- Ouais? Parce que c’est lui qui va te tuer?
C’est inéluctable et c’est pas tes affaires!
- C’est mes affaires tant que tu fais partie de ma compagnie!

Sous la colère, Benedicte s’était commit. La figure de l’adolescent s’éclaira, il tapa dans ses mains et pointa le lieutenant du doigt. Finalement, il l’admettait! Finnegan jubilait.

Je le savais! Je le savais!!!
- Vous allez quitter la compagnie de DuSaule… Vous n’êtes pas engagés. Vous allez disparaitre… On dira que vous avez déserté pour ne pas aller à la guerre. Gronda Benedicte, les dents serrées, s’efforçant avec succès de ne pas se faire remarquer.
Et par quelle autorité tu vas nous imposer ça?
- Par celle du capitaine. Fit-il en détachant chaque syllabe.

Cette fois, ce fut au tour de Finn d’avaler sa chique. Qu’est-ce qu’on pouvait opposer à ça? Il était en position d’autorité. Et Benedicte poursuivait, lui faisant la morale, protecteur d’une manière distordue, alors que Finn prenait conscience qu’il avait vraiment le pouvoir de les foutres dehors.

- T’es pas ce que tu prétends être. Tu vieillis mais tu ne changes pas. Tu ne peux pas continuer à jouer les adolescents au nez et à la barbe d’Elow… Il est pas si con. Mais la vrai raison pour laquelle il te tuera quand il l’apprendra, ce sera pour se venger d’avoir été trompé. Et s’il le faut, pour être bien certain que tu déguerpisses avec cet olibrius avant cette guerre, fit-il en pointant sickert du doigt, je me chargerai moi-même de te dénoncer.

Finnegan fit un pas en arrière, décontenancé. La guerre… C’était sa volonté. Une dernière solde et on s’en va. Sickert ne voulait pas y aller. Et c’était avant Ange… Mais Sickert faisait toujours ce que Finn voulait.

- Messieurs! Les interrompit une voix profonde, habituée à commander et à se faire entendre en haussant simplement le ton. Ma maitresse, Dame Alice de Nils Klemens, désire savoir à quelle heure le diner doit être servi?

L’homme les avait rejoints à leur insu. Le lieutenant grimaça et prit un instant pour retrouver ses marques.

- Remerciez la Dame de Nils Klemen mais nous… Quoi? Fit Benedicte alors que Finnegan tirait sur sa manche.
C’est à moi qu’il parle, crétin!

Ce majordome, s’il l’avait jamais connu, ne le reconnaissait pas. C’était au jeune homme qui s’était présenté à 2 reprises chez sa maitresse que l’homme parlait.

Accepte… On a trop attendu après Sick et on a lambiné sur le chemin. Le soir tombe… Récupérer la commission à cette heure nous rendrait suspect aux yeux du voisinage et attirerait l’attention sur nous. Demain matin ce sera mieux.
- Ah… c’est juste… Mon ami muet ici présent propose un diner au clair de lune…
Non!
- Il aimerait savoir, puisque nous n’avions pas prévu de loger en ville, s’il vous serait également possible de nous héberger? s'informa le lieutenant en jouant les interprètes...

***

En présence du majordome, Benedicte s’était montré d’une civilité trompeuse. Une main possessivement posée sur l’épaule de Finnegan, il traduisait à sa convenance. L’adolescent se tenait sur ses gardes, convaincu qu’ils ne s’en tireraient pas à si bon compte. La lettre était théoriquement en possession de Sickert… Le lieutenant se gardait donc de l’ascendant sur le seul levier qui pourrait convaincre Sick de se montrer coopératif.

Ils se firent conduire par la porte de derrière et après un court conciliabule entre l’intendant et la maitresse des lieux, on mit à leur disposition une chambre pour eux trois. La pièce était petite, utilitaire et bien entretenue. On en sorti le mobilier pour y faire entrer 2 couchages supplémentaires, une réserve de bois et un grand baquet rapidement remplit d’eau fumante. L’opération fut exécutée avec promptitude à défaut de bonne humeur : Les usages veulent qu’on s’annonce à l’avance pour demander l’hospitalité.

Un bain? Releva l’adolescent en voyant une servante se décharger d’une pile de linge sur l’un des lits.
- T’as été invité à un diner ce soir… Et la Dame de la maison a même été assez magnanime pour nous faire porter des vêtements… Alors tu te laves…
Mais je me suis lavé hier chez Ange… Protesta Finn, incrédule…
- Tu as plein d’aiguille de pin dans les cheveux…
À qui la faute?
- Personne n’est jamais mort de s’être lavé deux jours d’affilé… lui rétorqua le lieutenant avec humeur en lui jetant une sélection de vêtement à la tête.

Finn les examina en faisant la grimace :

Je ne peux pas porter ça…
- Et pourquoi pas? T’auras l’air d’un coquet écuyer de noblar Soltarien…
Si j’étais un garçon, peut-être… Ces trucs sont trop ajusté…
- Sickert? Fais quelque chose avant que je la plonge moi-même dans le baquet…

En entendant Barbaque énoncer la menace, Finn fit un rapide pas de côté pour se mettre à l’abri. Peine perdu, le lieutenant avait anticipé son geste. Une expression vicieuse sur la figure, il lui mit la main au collet et le bouscula jusqu’à ce que les talons de l’adolescent percute le bac et d’une bonne secousse, il le fit plonger tout habillé.

- T’étais prévenu! fit-il avec une joie sauvage.

Cette situation était amusante. Non, divertissante serait plu juste. Regarder et entendre Barbaque et Finnegan discuter, c'était marrant. Et intéressant aussi, parce que l'air de rien, si Finnegan savait très bien que son frère était attentif, même s'il se curait les ongles de la pointe de Marion, Barbaque, lui, devait encore se concentrer pour comprendre Murmure et du coup, oubliait presque la présence de Sickert. L'ex pirate en apprenait beaucoup ainsi, tout en ayant l'air de ne pas y toucher. Il n'intervenait que lorsque c'était nécessaire. Mais si les consignes de Barbaque le poussent à intervenir, un type guindé approche, le gardant silencieux. Plus tard.

Oh, une invitation à dîner. Merveilleux ! Un potentiel lit ? Encore mieux ! Oh oui, il était bien prêt à y passer la nuit. Avec plaisir, même. La sourire qui s'étend sur son visage lorsque Finnegan dit d'accepter est éloquent. Mais il proteste tout de même, pour la forme.

- J'étais parfaitement à l'heure convenue ! Mais c'est vrai que vous avez lambiné en chemin.

Mais ça valait la peine s'ils pouvaient se quêter un repas et un lit pour la nuit. Sickert aurait même mit des sous sur la table s'ils n'avaient pas été si cordialement invités. Ça tombait bien, parce que franchement, ils risquaient de mieux manger et mieux dormir que n'importe ou ailleurs. Du moins c'est ce qu'il essaie de se faire croire. Sickert endosse donc sa peau de type qui se fait des amis comme il respire et, marchant juste à côté du majordome, engage la conversation. Et, si le type résiste du mieux qu'il peut, le charme opère et l'employé succombe à l'effet Sickert. En quelques minutes, Sickert apprend qu'il se nomme Nestor, qu'il a des enfants, qu'il est marié pour la seconde fois, qu'il joue du luth à temps perducequinarrivepassouventjedoislepréciser et qu'il adore le parfum de la jacinthe.

En arrivant, le majordome est enthousiaste et joyeux, ce qui change du majordome de Solaria, mais Sickert a la politesse de le laisser reprendre contenance aux portes de la demeure de Nils Klemens. Ils sont introduit dans la demeure, puis laissés à eux -même dans une chambre, avec trois lits tout collés et une grande bassine d'eau fumante. Tandis que Sickert se débarrasse de son sac et débute son propre effeuillage, il écoute, amusé, Murmure protester contre le second bain en autant de jours. Barbaque lui demande d'intervenir, mais il n'a pas le temps de le faire avant que Barbaque le plonge, pour la seconde fois de la journée, Finnegan dans l'eau. D'une poigne de fer, l'aîné récupère son cadet mouillé et le met au sec, relativement. Sickert soupire en vidant ses poches.

- Barb, arrête ça, dit-il, familier, tu vas rapidement regretter de l'avoir mouillée si souvent aujoud'hui, prédit-il, calmement. Et puis que va dore notre hôte quand elle vera l'eau partout ! Et en plus, ses vêtements vont salir l'eau plus assurément que sans les vêtements. Nous nous sommes lavés hier, nous ne sommes pas si sale de corps. Pour la peine, tu vas te baigner le dernier, décide-t-il. Et pendant que Murmure se baigne, toi et moi on va discuter face à face... non, côté à côte et on fixe le mur, là, dit-il en se plaçant de manière à ce que Barbaque et lui tournent le dos à Finnegan. Et il débute sa conversation sans détour. Il est hors de question de déserter. On est bien des choses, mais pas des déserteurs. C'était vrai. Ils n'étaient pas engagés, mais ils accomplissaient toujours leurs missions et ils ne s'étaient jamais dérobés. On a une réputation à garder, note-t-il. Il hausse les épaules. Eh, oh, c'est moi qui te parle, c'est le mur que tu regardes, pas Murmure.

Barbaque eut un reniflement méprisant.

- Ne joue pas les vertueuses, Sickert... Si tu n'as pas voulu de ma proposition, ce n'est pas parce que ça heurte ta morale. Tu n'en a aucune. La morale de votre duo, c'est tout Finn qui l'a, mais parce que tu as d'autres projets en tête... et j'aimerais bien savoir lesquel !
- N'y compte pas.
- N'espère pas trouver une meilleure opportunité, je te l'ai proposé en toute bonne foi.

Contredisant sa propre consigne, mais sans tricher, puisque c'est sur Barbaque qu'il darde le regard, Sickert tapote l'épaule du lieutenantpassilieutenant.

- Le problème, Barb, c'est que t'as aucune imagination, dit-il lui adressant un clin d'oeil. Oui, pas de doutes, personne n'a autant d'imagination que Sickert. Après la guerre, on empochera notre solde et on fichera le camp. C'est la guerre, Elow sera occupé à gueuler des ordre, torturer les prisonniers et voler les morts. Si tu veux te rendre utile, assure-toi que l'autre "lieutenant" reste loin de nous et moi je ferai en sorte que Murmure garde son secret et reste en vie. Ou pas, ajoute-t-il en souriant. Faudra trouver un autre moyen de quitter la compagnie, mais on ne déserte pas. Et puis, c'est pas un truc à faire à ses amis quoi. Non, je parle pas de toi, mais j'aime bien corbeau. C't'un type bien.

***

Baignés et habillés, ils sont descendu au salon, Barbaque devant, parce qu'il est chez lui et qu'il a prit la position de tête peut-être par réflexe. Si Barbaque avait hérité des vêtements fournit par sa soeur, il avait partagé avec Finnegan, mais Sickert avait complété en lui glissant un petit plus qui masquait les vêtements trop ajustés. Sickert avait ses propres vêtements et s'il savait que dans quelques ennéades, ça ne ressemblerait plus à rien de convenable, pour le moment, il avait de loin l'air le plus distingué des trois. La seule chose qui lui donnait l'ai négligé, c'était la barbe qu'il avait rasé de près la veille. Mais ce petit défaut lui donnait un attrait tout particulier. Tandis qu'ils attendaient au salon, Sickert se métamorphosait en parfait dandy. L'illusion fut totale au moment ou Dame Alice de Nils Klemens fit son entrée. Baise-main de circonstance, il engagea ensuite la conversation avec la dame, sans même se soucier des deux autres. Le charme Sickert opère plus rapidement qu'avec le majordome et en moins de temps qu'il en faut pour prononcer leurs nom, Alice de Nils Klemens et Jameson Sickert bavardent avec enthousiasme et rigolent avec entrain. Ils en sont déjà à partager des anecdotes passées et des faits cocasses. Impossible pour personne, excepté lui-même, de savoir si les histoires qu'il racontent sont véridique ou s'il invente à mesure. Franchement amusée, la Dame tente bien de savoir si c'est vrai, mais personne ne le sait. Sickert, lui sourit, le regard brillant posé sur la Dame.

Finn se retrouva encore une fois le cul à l’eau… Ça devenait une habitude? Il avait fait trempette 4 fois en 24h. Son humeur oscillait dangereusement entre la frustration et une réelle colère. Lorsque Sickert annonça qu’il se laverait encore une fois, Finn vint bien près de lui faire avaler le savon. La seule chose qui l’en empêcha fut l’intéressante conversation que son frère tint au lieutenant.

Barbaque est nerveux. Il se contrôle mais il n’a pas le contrôle de la situation. Le lieutenant n’a pas le contrôle de ces deux-là… Et pendant que Sickert discute, son regard est attiré par quelque chose dans le fatras que le cartographe a sorti de ses poches… La lettre… Posée là comme si elle n’avait aucune importance… Et pendant que Finnegan prend son bain sans plus se faire entendre, il étend la main pour ramasser l’enveloppe. Sick ne fit pas le moindre geste pour l’en empêcher, babillant à son habitude… Barbaque n’eut pas besoin de l’ouvrir pour comprendre l’avertissement : C’était Finn qui avait la lettre, la vrai. Il risqua un coup d’œil en arrière mais Sickert le rabroua. Il s’intéressa donc au mur, docilement, se disant que c’est effectivement alors que l’éclaireur avait le moins de vêtement sur le dos qu’il serait le plus facile à fouiller.

- Ça ne me convient pas, Sickert. Je ne veux pas vous voir participer à cette guerre. Du pied il tenta de ramener vers lui les vêtements sales de Finnegan mais l’adolescent mit fin à ses tentatives en mettant ses vêtements hors de portée. Et tu n’as pas besoin d’imagination pour comprendre pourquoi. Cette guerre ne sera pas une bête escarmouche. Ce qui se prépare est une grande guerre. Nous n’aurons pas besoin d’un éclaireur pour trouver nos ennemis et nous n’aurons pas besoin d’un cartographe pour reconnaitre le terrain.

Et ceux qui n’avaient pas de qualification particulière dans une troupe de mercenaire étaient des combattants. Faire combattre ces deux-là dans les rangs d’une armée serait l’équivalent de les sacrifier comme chair à canon.

***

Alice de Nils Klemens était une femme du monde. Elle était capable, avait du jugement et des idées nuancées. En pleine possession de ses moyens mais déjà beaucoup trop âgée pour se marier. Pourquoi ne lui avait-on jamais demandé sa main? La réponse venait d’entrer dans son salon après une absence de près d’une décennie. Bénédicte de Nils Klemens était son cadet d’à peine une année. Ils avaient toujours été très proches et ne s’étaient jamais rien caché.

Elle se leva lorsqu’ils entrèrent dans la pièce. Pas pour leur faire honneur mais parce que c’était son impulsion première de bondir vers lui, impulsion vite réprimé parce qu’il n’était pas seul.

- Benedicte! S’exclama-t-elle avant de reprendre contenance et de poser dignement une question pouvant expliquer son émotion : Ton visage! Qu’est-ce qui t’es arrivé?
- Mon ami Sick, mon cartographe, m’a offert une leçon de camouflage… Non, pas celui-ci… L’autre, celui aux airs de gros matou… redirigea son frère alors que Sickert passait devant pour entreprendre sa sœur. Alors c’est Jameson Sickert ou peut-être Ekaitz Teleostei… le présenta-t-il d’un geste vague de la main. Il ment comme il respire… Et l’autre bavard, c’est Finnegan Sidhe. Juste ça… On l’appelle Murmure dans la compagnie. C’est notre éclaireur et lui, jusqu’à preuve du contraire, il ne ment pas. Ils sont frères… Enfin, pas vraiment… Finn est une fille… Bref, ils sont apparentés, aussi bizarre que ça puisse paraitre…

Et à mesure qu’il les présentait, la dame ouvrait de plus largement les yeux et la bouche, ses lèvres s’arrondissant en un ‘O’ surpris. Et voilà Sick qui bavarde et qui fait du charme à Alice. Bien. Très bien… Alice avait bien besoin de divertissement. Du coin de l’œil, Benedicte observe l’adolescent. Il a la lettre quelque part sur lui… Il ne l’a pas donné à son frère. Même s’il n’a pas obéi aux ordres, il est resté loyal. Pensa-t-il avec une certaine satisfaction.

Finn remarqua le regard évaluateur du lieutenant et préféra prendre ses distances. Il fit mine de s’écarter pour s’intéresser à une maquette de la péninsule quand le lieutenant lui mit la main au collet. Barbaque adorait bousculer l’éclaireur… Juste un peu, ludiquement, pour le déséquilibrer. Sa sœur à lui n’avait pas ce mélange de ferveur et de douceur. Alice était comme Sickert; toutes en charme et en élégance.

- Assez de verbiage Sick… C’est Finn qui devrait être recevoir toute l’attention de ma sœur. Oui parce que c’est celui-ci qui nous a réuni. Et d’une bonne poussée dans le dos, il projeta l’adolescent devant lui. Allez Finnegan, explique à la dame comment tu m’as poussé à venir chercher en personne une lettre que tu avais déjà récupéré.
- Benedicte! Je t’interdis de brutaliser ce gamin sous mon toit! S’opposa-t-elle, les sourcils froncés. Enfin… Cette gamine… Elle détailla Finnegan des pieds à la tête comme si elle la voyait pour la première fois. Oh! Et c’est moi qui vous ait infligé cette tenue! Pardonnez-moi!

Alice délaissa la main et le bras de Sickert, sur lequel elle s’était appuyée jusqu’alors, et saisit celui de Finn sous le sien pour l’entrainer sur un fauteuil.

- Je suis bien heureuse que vous nous ayez réuni, n’en doutez pas. Et je le suis également de vous recevoir chez moi… Elle eut un sourire pour Sickert. Mais j’aimerais effectivement savoir à quelle nécessité je dois ce péril, questionna-t-elle d’un ton plus cassant. Parce que Benedicte ne dois pas être reconnu à Soltariel.
- Elle entretient le mythe que je vis à Thaar… Ainsi mes agissements n'entache pas la réputation de notre famille.
- Et je lui fais régulièrement parvenir les sommes nécessaires à sa vie là-bas par des intermédiaires de son choix..
Alors j’avais raison? Sur toute la ligne?
- Presque… Maintenant explique-toi… Sickert, montre toi aimable et traduis pour Alice…

Sickert s'amusait follement. Bavarder avec la Dame de Nils Klemens était divertissant. Elle est agréable, contrairement à son frère. Mais Barbaque les coupe de manière assez cavalière. De quoi il se mêle celui-là ? Ils bavardaient, tranquillement, ce que lui n'a pas eu la délicatesse de faire chez son Ange. Oui, bon, il devait avouer que Dame Alice était plus accueillante à son égard que son Ange ne l'avait été pour Barbaque, mais il s'était invité lui-même. Ce qui n'était pas son cas. C'est Dame Alice qui les avait invité. Mais tout de même, c'était gonflé de les interrompre comme ça. D'un autre côté, rare était ceux qui pouvaient donner des ordres tout en restant souriant et gentil. Sickert, lui, y arrivait. La plupart du temps, on ne savait même pas que c'était un ordre.

- Traduire ? Traduire quoi ? Finn n'a dit que quelques mots. Et pi t'as dit que j'étais un menteur, mieux vaut que tu traduise tout seul, non ? Après tout, t'as bien apprit, dit-il d'un ton de reproche avant d'enchaîner, ne le laissant surtout pas traduire. Eh oui, mon frère, enfin, ma soeur, a découvert les dessous de Barbaque et ses quelques petits secrets et manigances, ce qui fait de lui un menteur également. Et vlan, dans les dents. Mais il semble que ces lieux soient propice à la vérité, donc si nous sommes ici, c'est parce que votre frère est beaucoup trop méfiant et qu'il est le seul responsable de ce péril. S'il nous avait laissé accomplir notre mission comme elle nous a été confiée, nous ne serions pas ici en ce moment. Non, il se la coulerait douce chez son Ange, avec Finnegan, mais il ne termine pas cette phrase, bien que son regard ne s'assombrisse légèrement. Et, de plus, il se permet de molester régulièrement ma soeur, ce que je trouve particulièrement désagréable et un jour, lieutenant ou pas, je l'abîmerai bien davantage que cette fois-ci pour cette raison. Et il adresse un sourire ravi à Dame Alice. Heureusement, Finn aura quelques heures de répit sous votre toit, dit-il, accentuant le rôle de gros méchant de Barbaque.

Oui, ça restait tout de même une situation pas si désagréable, même si Sickert ne dirait surement pas toute la vérité. Haize Sepiida resterait encore caché et il savait que Finnegan n'en savait pas assez pour raconter quoique ce soit. Oui, Barbaque avait raison sur un point. Il mentait à tout le monde, ou presque.

C’était plus qu’une présentation, c’était un avertissement et un sévère. Finn le vit à la manière dont Alice dévisagea son frère en écoutant Sickert. Apparemment Benedicte et sa sœur avait autre chose à cacher qui n’avait pas encore été abordé. Elle détourna rapidement les yeux pour ne pas montrer qu’elle avait surpris leur échange.

- Oh j’ai confiance en Finn… Et je ne serais pas intervenu si tu ne l’avais pas laissé à la traine à Soltariel pour aller courir une demoiselle à solaria. J’aurais pu la tuer et tu ne l’aurais jamais retrouvé.
- Je ne me serais pas laissé faire…
- J’aurai eu ta peau parce que tu ne te méfie pas de moi.

À ce sujet, Finn observa le silence mais le toisa d’un regard courroucé.

- Barbaque? Interpella sa sœur avec une douceur trompeuse, dois-je t’aviser que ce genre de propos est particulièrement malvenu dans cette maison?
- Ça ira…
- Merci Barbaque… C’est joli ce sobriquet… je me demande bien ce qui te l’a inspiré…

L’adolescent pouffa.

- Oui, je crois bien que vous valez bien l’un l’autre, Monsieur Sickert… La dame prit la chose avec élégance. Vous savez, dans notre société, admettre qu’on est un menteur est déjà d’une grande honnêteté!

Voilà probablement l’une des raisons pour lesquelles elle n’était pas mariée.

- Alors… Si je comprends bien, tu as chargé finn de faire ta commission. Qu’est-il arrivé à DuSaule?
- Il était occupé… Une guerre se prépare… J’ai dû trouver une alternative.
- Oh! Et il va bien le vieil homme? Tu me feras penser à vous faire rapporter une bonne bouteille de ce vin qu’il aime tant. Alors c’est ainsi que nous allons vous présenter. Vous êtes les associés de DuSaule… Vous voyez Sickert, les meilleurs mensonges sont des vérités bien présentées…

Elle lui sourit. Pas le sourire enjoleur d’une jeune fille mais un sourire serein comme un ciel d’été.

- Alors je comprends, étant donné l’ampleur de la commission et l’indisponibilité de DuSaule que tu te sois montré plus prudent…
- J’ai été inquiété lorsqu’ils se sont séparés à Soltariel. Je comptais sur Sickert pour la protéger une fois qu’elle aurait récupéré la commission…
- Mais voilà, j’ai été prise de cours et il m’a fallu lui demander de revenir le lendemain… C’était une vraiment commission… Inhabituelle?
- Une guerre se prépare… Alors découvrant finn seule et cherchant son chemin, je l’ai abordé.
- Il a failli m’ouvrir la gorge oui…
- Et m’ayant révélé, j’ai malheureusement éveillé sa suspicion…
- Qu’est-ce qu’elle a dit?
- Rien d’important…
- Benedicte, j’ai posé une question, fit sa sœur sans que sa voix ne subisse la moindre altération.
- J’ai dit qu’il avait failli m’ouvrir la gorge en m’’abordant’.
- Alors?
- Je l’ai abordée d’une manière un peu brutale.
- Un peu?
- D’accord! J’ai pointé une lame sur elle et j’aurais pu la blessée. T’es contente?
- Oui!
- Elle n’était pas en danger, je sais ce que je fais.
- Je vois… Vous avez confiance les uns en les autres mais pas complètement. Et vous? Où étiez-vous donc? Laisser cette pauvre enfant seule avec Benedicte! Enfin! Ça ne se fait pas!
- Il faisait les yeux doux à la femme la plus prude, bégeule et collet montée que j’ai vu de ma vie!
- Benedicte! Ce n’est vraiment pas très aimable!
- Angelina de Solaria…
- Oh… Et bien elle a des qualités certaines… Ne la mésestime pas.

Alice prit Sickert par le bras et le guida vers les marches d’un escalier. Elle faisait mine de prendre appui sur lui mais cette femme n’avait besoin de l’aide de personne. Sa main était ferme et assurée. Ils montèrent à l’étage supérieur et elle l’abreuva de remontrance quant à ce qu’il convenait de faire lorsqu’on avait une petite sœur. Premièrement, on ne les emmène pas loin de leur foyer sans la moindre infrastructure, ou sans l’appui de la famille éloignée. Ensuite, on ne les laisse pas livrée à elle-même dans une ville, et encore moins dans les bois. Et finalement on ne les confie pas à des hommes tel que Barbaque. Et sur ce dernier argument, elle n’élabora pas.

Poussant Finnegan derrière, Benedicte souriait sans aucune affectation, guettant les réaction de l’éclaireur. Cette femme ne cachait pas l’opinion qu’elle avait de lui. Et pourtant elle était sa sœur. Son comportement donnait envie de prendre ses distances d’avec le lieutenant. Juste au cas.
Au haut de l’escalier, ils passèrent dans une petite pièce, très lumineuse dans le coucher de soleil. Une verrière où s’attardait les derniers rayons de soleil et la chaleur de l’après-midi. La lune, pleine, montait déjà dans le crépuscule. Alors qu’Alice assignait chacun des convives à un siège, Finn s’immobilisa sur le seuil.

C’était pour cette nuit. L’occasion ne se présenterait que dans 28 jours… Si la météo le permettait. Pour quelques heures seulement la malédiction se levait. La déception de ne pas pouvoir laisser libre cours à sa nature profonde était douloureuse. Pourtant il lui répugnait d’avouer ce secret-là devant le lieutenant.

- Alors ensuite? Après que vous vous soyez tous retrouvé? Finnegan est venu chercher la lettre, pourquoi être revenu par toi-même? Tu ne dois pas être vu en ville! Surtout ici! On aurait pu te reconnaitre.
- Ils m’ont piégé…
- Pourquoi?

Elle les avait assis, l’un à sa droite, l’autre à sa gauche. Ses yeux clairs passèrent de l’un à l’autre, sollicitant une réponse.

Finn resta obstinément muette, elle qui avait naturellement la langue si bien pendue. Elle fixait Sickert de l’autre côté de la table, le regard vide.

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