Les grâces d'Arcam [Privé]

Daewl se tenait à ses pieds, la tête posé dans sa paume tendue, ses cheveux inhabituellement court pour une drow noué en un chignon. Elle lui était entièrement obéissante et May'Inil le savourait à chacune de leurs brèves rencontres. Le pouvoir qu'elle avait sur cet être lui donnait des frissons. D'autant plus que cela n'avait pas été facile. La prêtresse était arrivée à Sol'Dorn, sûre de ses capacités et bouffie de sa prétendue supériorité eldéenne, depuis quelques mois seulement. Et bien que May'Inil s'estimait une sérieuse candidate au titre de meilleure manipulatrice d'Ithri'Vaan, elle n'aurait jamais pus réussir ce coup là sans l'aide du président du jury en personne.
Renier les dieux n'est que rarement une bonne idée.
Renier les dieux dans le périmètre de leur incarnation mortelle du moment, aussi pompeusement appelé Gardien ou de façon plus réaliste vaisseau, en est une bien moins bonne encore.
Le faire à Arcam relève du suicide. Tout au moins sur le plan mental.
C'est pourtant ce qu'avait, totalement inconsciemment, fait Daewl. Elle s'était en effet opposée à de nombreuses reprises avec force véhémence aux efforts de May'Inil visant à lier les cultes d'Isten et d'Arcam dans la cité libre. Elle n'était du reste pas la seule, d'autres prêtres d'Isten, notamment soutenus par d'autres dirigeants plus extrémistes, pestaient. Mais ils le faisaient à voix basse, préparant sans l'ombre d'un doute un putsch. Daewl n'avait pas estimé nécessaire que sa grandeur soit réduite à des tels subterfuges et avait donc clamé haut et fort ce qu'elle pensait de ce dieu de pacotille qu'était Arcam. Malheureusement pour elle, Il l'avait entendu. Et Il s'était vexé. Il s'était donc vengé. Depuis, Daewl avait cessé d'être l'arrogante merdeuse qu'elle avait toujours été pour devenir, en présence de May'Inil, aussi rebelle et prompte aux initiatives qu'une plante en pot. La vengeance était complètement démesurée mais Arcam était dans son mauvais jour. May'Inil avait mis trois jours à cesser de trembler suite à ce qui l'avait traversé. Et une semaine pour marcher de nouveau normalement. Mais elle y avait gagné un très pratique pantin.
Daewl lui obéissait désormais à volonté, elle avait elle-même mis plus d'un mois à parachever les sorts un peu bruts d'Arcam pour leur donner une finition plus discrète et subtile qui convenait mieux à ses propres intentions. Mais, dès qu'elle cessait de lui imposer sa volonté, elle redevenait l'arrogante prêtresse eldéenne. Seuls restaient les ordres qu'on lui avait donné, comme gravé dans son crâne. Elle n'avait quasiment aucune chance d'y désobéir. Il aurait fallut des maîtres de la magie spirituelle pour voir la supercherie sans examen approfondi. Mais Sol'Dorn n'en comptait aucun sur lequel May'Inil n'eut pas suffisamment de moyens de pressions pour s'assurer de son silence.
Depuis ces événements, elle disposait de toutes les informations qu'elle le voulait sur la face caché de son propre temple. Quasiment plus aucun secret dans la maison d'Isten ne pouvait lui échapper, ceux que l'on cachait à May'Inil étaient bien volontiers dévoilé à Daewl. Car, par quelques scènes montées de toute pièce, elle avait sus transformer l'importune en maillon essentiel du complot. Elle l'avait forcé à se faire un peu plus subtile, juste moins orgueilleuse pour que l'on suppose qu'il ne s'agissait que de retenue temporaire... D'ennuyante, elle était devenu un porte-étendard sacrifiable aux yeux de chacun. Mais, ce qui présentement intéressait beaucoup May'Inil, ce n'était pas tant les possibilités d'espionnage de son jouet -elle n'avait pas forcément besoin de ça pour connaître ce qui se passait au sein de son temple, en particulier depuis que ses pouvoirs se développaient lentement, probablement dus à la présence d'Arcam. Cela lui rendait seulement la tâche incroyablement aisée, ce qui était appréciable mais dispensable. Non, ce qui était le plus intéressant, c'était le fait que chacun sache, dans le temple et possiblement dans toute l'élite de Sol'Dorn, que Daewl avait été envoyée par la haute-prêtresse eldéenne d'Isten. Les raisons qui l'y avait poussée n'étaient pas connues et n'importaient guère. Ne comptait que le fait que chacune des actions de Daewl pouvait être imputée à la haute-prêtresse Ssinssrin, avec un minimum de savoir faire.

Elle repensait à tout cela tandis qu'elle finalisait le plan qui devait la débarrasser des gêneurs internes et de la potentielle menace que représente l'autorité eldéenne -elle doutait que Ssinssrin se préoccupe d'elle mais d'autres pouvait se servir de son image pour la gêner-. Finalement tout cela était simple. Empoisonner le vin légèrement psychotrope qu'ils utilisaient habituellement pour communier avec la déesse. Le faire offrir par Daewl et disséminer quelques preuves -factices bien entendu- que Ssinssrin était derrière tout ça. Elle avait déjà acheté la loyauté d'un marchand puysard, négociant en boissons, pour qu'il confirme avoir reçus une telle commande. Elle s'était depuis longtemps attiré la sympathie de la plupart des officiers de la garde, qui s'assureraient que les investigations ne prennent pas un tour trop gênant. Et d'autres petites mesures qui devrait permettre de discréditer la dirigeante théorique du culte d'Isten. Pas assez pour réellement l'attaquer ou que cela ne lui remonte aux oreilles -la dernière chose dont elle avait besoin était d'attirer son attention- mais suffisant pour effacer définitivement sa présence sur l'échiquier dornien.
Le plus complexe, en réalité, avait été de faire de Daewl son pantin sans attirer l'attention. Leurs rencontres était soit secrète soit maquillé sous un faux air d'opposition. Le fait que Daewl n'ait même pas réellement conscience de jouer un rôle avait grandement aidé. Elle n'avait qu'à lui dire qu'elles s'étaient contredites pendant toute leur entrevue pour que cela devienne sa réalité. Et, par conséquent, la réalité de tous en dehors de May'Inil elle-même. Seuls ses plus intimes serviteurs et alliés étaient au courant. Daewl se releva, May'Inil procéda aux derniers ajustements de ses sortilèges et la prêtresse soumise quitta la pièce, la laissant seule. Elle s'enfonça un peu plus dans le fauteuil et savoura une orange. Bien qu'extrêmement pratique, la magie qu'elle utilisait ne manquait pas de puiser ses réserves. Quelques adeptes lui avaient même fait remarquer qu'elle tremblait parfois. Elle s'épuisait trop, il était temps que tout cela prenne fin. Le sort de Daewl restait l'incertitude de son plan, elle n'avait pas d'intentions d'influer particulièrement dans un sens ou dans l'autre. Elle ne lui serait plus utile après ça, et il faudrait de toute façon lui rendre un jour sa pleine liberté sous peine de commettre un impair tôt ou tard. Qu'elle soit exécuté l'arrangerait bien. Si elle avait pus elle l'aurait empoisonné. Mais elle avait besoin qu'elle soit vivante pour avouer ses fautes et ses ordres. Ou du moins, ce qu'elle penserait intimement être ses ordres. Elle alla dormir en s'interrogeant vaguement sur le destin de Daewl. Arcam ne lui donna aucune réponse. Seulement des rêves informes dont elle ne garda en mémoire qu'une lancinante mélodie.


Ils étaient attablés et, malgré les épaisses tentures qui masquaient les fenêtres et ne laissaient entrer qu'un minimum de lumière et de chaleur, suffoquaient pour la plupart. Même May'Inil se sentait ruisselante de sueur, ce qui la gênait au plus haut point, n'aimant guère à paraître négligée. Dehors, le soleil était au zénith et les toits blanchis cuisaient sous son assaut malgré la saison encore précoce. L'hiver en ces terres étaient passé depuis longtemps et les prémisses de l'été étaient déjà là. Ce qui n'empêchait nullement une foule d'esclaves, d'ouvriers et d'autres de s'activer dans les rues de la ville, tandis que les toutes premières récoltes étaient pour bientôt. Et dans l'ombre des bâtiments, ceux qui possédaient les moyens que l'on travaille à leur place se préparaient à la saison à venir, leurs alliances et leurs projets.
La réunion de cette fois-ci avait cela de particulière qu'elle ne comportait quasiment aucun drow de sang pur, hormis elle. Et que les quelques uns qui étaient là n'y était qu'en second plan, acteurs de moindre importance ou simples conseillers. Le devant de la scène était occupé par huit autres personnes, pratiquement toutes de sang-mêlé bien que de divers importances. Celui à droite de la prêtresse aurait presque été plus drow qu'elle même, si ce n'était sa longue barbe tissée de perles, tandis que l'un à deux sièges sur sa gauche n'avait guère plus que des oreilles assez effilées pour lui donner crédit. Leur principal point commun était que chacun d'eux était soit à la tête d'une part conséquente du marché de la ville, soit dépêchés ici par des intérêts commerciaux extérieurs, majoritairement thaarie.
Ils étaient en quelque sortes des modèles d'intégration à la société doeben mais, malgré leur importance croissante, aucun d'eux ne siégeait encore au conseil de la ville. Et tous désiraient que cela change. Mais ils ne constituaient pas un ensemble assez influent pour le faire eux-même. C'était à ce moment que les projets de May'Inil avaient trouvés un écho bienvenu. Le contrat était simple, ils lui assuraient leur soutien, ce qui faisait bien souvent penché la balance en sa faveur au conseil, et en échange elle s'assurait que les décisions leur convienne au mieux.
Le contrat avait tenu, ils avaient appris à se connaître et, à défaut d'une réelle amitié, avait tissé un respect mutuel qui scellait plus ou moins leur alliance. C'était grâce à eux que May'Inil avait pus lier si facilement au culte d'Arcam, qui sans cela se serait probablement méfier d'elle. C'était de son fait si le conseil avait juger bon d'allouer des ressources à la création d'un port, qui favoriserait nettement le commerce. Et puisqu'elle ne manquait jamais une occasion de se faire, tous étaient des fidèles d'Isten convaincus. Et tous accordaient donc une grande place à leur ambition. Assez pour qu'ils se décident à la suivre lorsqu'elle leur exposa ses intentions. C'était osé, et ils se montrèrent dur à convaincre, mais elle finit par y parvenir. Ils discutèrent des détails pendant un certain temps, jusqu'à ce qu'une acolyte d'Isten ne vienne les déranger. Elle glissa quelques mots à son oreille et un sourire dénué de compassion s'épanouit sur le visage de May'Inil. Elle se leva, s'excusa auprès de ses partenaires, expliqua que des affaires urgentes requéraient sa présence et quitta la pièce.


« Je suis... scandalisée. »
Et de fait elle en avait l'air. May'Inil savait jouer de sa voix avec une adresse rare et faisait une actrice très convaincante. Il était difficile de ne pas se laisser prendre au piège. Mais les drows qu'elle avait en face d'elle était loin d'être des novices, et qui plus est ils la connaissaient. Ils restaient donc dubitatifs mais semblait quand même enclin à la croire.
« Sait-on pourquoi elle a fait cela ?
-Pas encore, mais la garde a réussit à trouver un marchand qui aurait amené le vin souillé. Avec une grande promptitude d'ailleurs... »
Ainsi les soldats avaient manqués de subtilité. C'était assez prévisible. Et ce n'était pas la première fois qu'elle se les mettait dans la poche pour ses affaires. Elle avait déjà empêché quelques situations de dégénérer en se servant de petits cadeaux et d'attentions flatteuses.
« Un habitué de votre temple d'ailleurs il me semble.
-Peu importe ce genre de détails. Nous arracherons la vérité de la bouche de cette traîtresse, dussions nous peler chaque centimètre carré de sa peau pour ça. »
Le prêtre de Kiel, toujours aussi subtil. Le pauvre n'avait pas beaucoup à faire dans une ville comme Sol'Dorn, et il était de la vieille époque. Il n'avait pas su s'adapter et regardait désormais les choses en spectateur impuissant. Elle avait un peu compté sur son empressement à sauter sur une occasion de prendre un peu d'importance, aussi temporaire soit-elle, d'ailleurs. Et il ne la décevait pas le moins du monde jusque là.
« Je suis certaine que vous ferez un travail remarquable. »
Pauvre Daewl. Un grand rire spirituel lui répondit. Elle avait faillis l'oublier avec tout ça.
« Ce genre d'actes ne doit pas rester impuni. »
Si elle n'avait été aveugle, elle aurait pus remarquer les yeux du prêtre de Meingal qui se plissaient en la jaugeant. Mais elle sentit très distinctement au ton de sa voix le doute qui était en lui. De son avis, il était le seul à risquer de la percer à jour, ses pouvoirs étaient suffisamment exercés pour découvrir la vérité au sujet de Daewl. Mais il n'était pas idiot. Il savait qu'elle comptait parmi ses alliés les plus sûrs. Il viendrait la trouver, monnayerait son silence. Elle avait même hésité à le mettre dans l'affaire dès le début. Mais il aimait de toute façon découvrir les choses cachées, c'était son passe temps principal.
« Je suis on ne peut plus d'accord. Chaque acte a un prix qu'il faut payer tôt ou tard. »
Il comprendrait.
« Bien, je pense que nous n'allons pas vous importuner plus longtemps. Je suppose que ces tragiques événements vont vous tenir occupé pour les prochaines heures.
-En effet. Il convient de rendre hommage à la mémoire de ces victimes lâchement assassinées. »
Et de rappeler à tous ce qui pouvait attendre chacun d'eux, au passage. Les deux prêtres quittèrent le manoir de May'Inil, qui laissa un large sourire s'épanouir sur son visage lorsqu'elle entendit la porte se refermer. Elle se servit une large coupe de vin clair et léger, puis monta dans son boudoir où elle demanda à ce qu'on lui trouve un barde, si possible mignon.