L'homme et la mer [Pv Enrico]

5e jour de la 1ere ennéade de Barkios. 8e année du 11e cycle

Tout le Langecins avait encore le cœur a la fête, mais pour combien de temps encore ? Cette ennéade avait été chargée en événement et Oschide commençait à ressentir les effets de la fatigue, tant physique que psychologique. Mine de rien, il ne s’était pas encore remis totalement de sa campagne dans le nord et les séquelles resteraient à jamais gravé. Faire le tour des nobles et tenter de les convaincre avaient surement était le plus fatiguant de tout. A l’heure qu’il était, le neveu de Tall était déjà en route pour Diantra et son détachement armé devait aussi l’être pour Estaria. Tôt dans la matinée on lui avait envoyé une missive portant le seau du dragon d’Ydril. La lettre lui annonçait qu’une délégation Ydrilote avec à sa tête le régent, son père, était en route pour Langehack. Depuis, Oschide n’avait eu de cesse d’organiser les préparatifs pour les accueillir, ainsi que pour les multiples banquets qu’il prévoyait. En plus de cela, il avait demandé à tous les forgerons du duché de travailler sur des heaumes aux allures de têtes de dragon. Il prévoyait d'ores et déjà d'équiper tous les vétérans du nord pour la cérémonie d'accueil qu'il voulait faire.

Langehack était riche et le montrer ainsi en temps de guerre ne pouvait vouloir dire qu’une chose, que Langehack était prête ! Néanmoins, la santé de son épouse bien que stationnaire l’empêchait encore de pouvoir se mouvoir. Il lui rendait visite le plus souvent possible, mais ces obligations en tant que nouveau duc l’obligeaient à passer le plus clair de son temps dans la grande salle du trône ducal ou dans ses bureaux avec les membres du conseil.

Depuis son arrivée, Oschide n’avait pas eu de répit pour entrer dans les bonnes grâces de ses nobles, mais il savait cependant que s’il ne pouvait parvenir à conquérir les cœurs de tous ses bannerets, au moins essaierait-il d’avoir à ses côtés ses propres hommes de confiance. Jusque-là, Ignazio avait tenu ce rôle, mais son envoi auprès du comte de Velteroc avait été plus judicieux que de le garder à ses côtés. Ainsi, Oschide était en quête de nouveaux venus, mais les candidats se faisaient encore trop rare…

Lors d’un conseil avec ses principaux officiers, Oschide leur demanda les effectifs précis de l’armée du Langecins. Langehack n’avait pas été en guerre depuis longtemps, il était donc inévitable qu’un certain encroûtement ait eu lieu au sein des hommes. Si le duché pouvait se targuer d’avoir un nombre conséquent de chevalier, les effectifs restaient moindre par rapport aux grands du nord qu’il avait côtoyé. Pour ce qui était de la flotte… il restait encore beaucoup à faire. Notamment par remplacer l’amiral Rodrik Vellencour qui était sur son lit de mort. Gerald d’Ernoss, l’amiral de la flotte marchande prenait la relève depuis quelques ennéades déjà, mais qu’adviendrait-il d’eux si une guerre venait à éclater…

Langehack devait être forte et imposer sa supériorité dans le duché, trop de laxisme avait sévit sur ces terres. Toute la soirée, Oschide cogita et se demanda comment faire. Maintenant que son père était de nouveau à la régence, peut-être tenterait-il de le convaincre pour donner l’amirauté à son frère Oscario, mais cela ne ferait qu’attiser la jalousie des nobles qui le voyaient comme un arriviste.

Le lendemain matin, lors de la séance des doléances, on l’informa de la venue d’un nouveau personnage dans le duché. Il se présentait comme un ancien capitaine de Soltariel, un certain di Montecale. Ce nom lui disait vaguement quelque chose et Oschide serra doucement les dents en s’imaginant que l’estréventine avait envoyé un espion sur ces terres même si l’opération était vouée à l’échec. Ainsi, fixé sur son siège avec à ses côtés ser d’Olside, Luther de Bone l’intendant et d’autres officiers, il attendait ce fameux capitaine et ferait son possible pour connaître les intentions du soltaar.  

La nuit avait été mauvaise. Au chevet de sa douce durant d'interminables heures, il la voyait souffrir et s'affaiblir de jour en jour. Les mestres défilaient comme dans une triste danse, mais ils ne faisaient qu'apaiser un tant soit peu la douleur, et non la guérir. Fâché devant une telle situation, les nerfs d'Oschide commençaient à lâcher et son humeur en pâtissait. Le jour des doléances était néanmoins arrivé et ses obligations l'obligeaient à s'y présenter. Au moins rencontrerait-il le capitaine dont on lui avait parlé la veille.

Lorsque les portes de la grande salle s'ouvrirent, il y vit alors un homme s'avancer vers lui avec une démarche déterminée et non-hésitante comme il se l'était imaginé. Le capitaine soltaar avait les cheveux aussi noirs que du jais et ses sourcils lui donnaient un aspect presque mystérieux, voire ténébreux. Il avait à faire à un sudiste pure souche et si le tempérament allait avec, Oschide se satisfaisait déjà d'avoir trouvé un égal en ce jour où son humeur était chancelante. L'homme s'arrêta et se présenta sous le nom qu'on lui avait déjà annoncé, « Enrico di Montecale », puis il lui demanda s'il était au fait de son histoire. La tête et les paupières lourdes, il écouta le capitaine poursuivre ses présentations.

Il découvrit que l'homme n'était pas un espion de l'estréventine « bien évidemment » se dit-il, ce serait à lui d'en juger le moment venu et le soltaar sans vergogne lui proposa de rentrer à ses services. L'idée n'était pas mauvaise. Langehack avait besoin de marins expérimentés et celui-ci se présentait à point nommé. Cependant, les tensions avec le Soltaar s'étant accrue depuis la guerre des deux dragons, Oschide ne savait pas à quelle sauce il allait le manger. Il apprit alors que cet homme avait été exilé pour avoir joué le jeu de l'estréventine. Il savait que la jeune femme de Soltariel était une manipulatrice vu ses origines, mais l'histoire de ce capitaine lui échappait quelque peu.

-Bienvenue dans le Langecins sire Montecale, puissiez-vous trouver les biens faits et la richesse que vous n'avez pas pu trouver dans le Soltaar. Passé la formule de politesse, il pourrait à présent commencer à creuser. Vous me parlez d'un exil et d'un jeu que vous aurez fait entreprendre l'enfant estréventine et j'aimerais savoir quel en était le but. Ça ne fait aucun doute que vos services me seraient surement profitables, mais vous comprenez qu'aux vues des derniers événements en Ydril, je sois méfiant à l'égard des proches de celle qui prétend diriger le Soltaar.

De parler d'Ydril lui avait donné une idée. Savoir dans quel camp se situait sire Montecale lui en apprendrait surement un peu plus.

-Je suppose que vous êtes aux faits des agissements qui ont eu lieu en Ydril où le neveu de votre duchesse à souhaité éradiquer la totalité de ma famille, n'est-ce pas ? Notamment lors d'un banquet qui aurait mal tourné et où l'estréventine était présente et n'a rien fait pour cesser cette mascarade. Voyez-vous, cet événement m'a laissé un arrière-goût amer dans la gorge et je ne saurais comment interpréter la venue d'un de ceux qui aurait voulu participer à cette pathétique comédie, à moins que vous n'ayez rien fait bien sûr.

Ses mots étaient aussi tranchants qu'une lame bien affutée. Même si l'homme qui lui faisait face n'y était pour rien, il voulait que tous, dans la salle entendent la rancœur qui l'animait. La mauvaise humeur n'aidant pas, il tenta d'être moins brut et poursuivit sur un ton un peu plus neutre.

-Si ce que vous dites et vrai par contre, sachez qu'ici, vous aurez votre place, à condition par contre de me donner les détails de votre ancienne vie. Cela m'intéresse au plus haut point.

Avant l’ouverture de la séance des doléances, Oschide avait averti le capitaine de la cité ducale en lui demandant de préparer une dizaine d’hommes afin de s’emparer du soltaar s’il parvenait à découvrir l’espion qui se cachait en lui, si espion il y avait du moins. Ce n’est néanmoins pas l’impression qu’il eut lorsque le capitaine di Montecale ouvrit la bouche et tenta de clarifier sa position quant à l’implication de Soltariel dans l’affaire d’Ydril. Rien ne pouvait lui assurer que le capitaine était honnête, mais avec une telle pression exercée par lui et les siens, l’homme de la mer semblait faire de son mieux pour s’innocenter. Etait-il innocent pour autant ? Aucuns Soltaar ne l’était vraiment à part la populace qui ne demandait rien, mais il prit les propos du capitaine comme honnêtes et véridiques.

A l’évocation du duc Maciste, Oschide sembla peiné de savoir l’ancien allié de son père en proie à la maladie et obligé de laisser son épouse estréventine régner. Si cette vérole n’était pas arrivée, sans doute n’y aurait-il jamais eu tout ce raffut et cette tension.

-Capitaine de Montecale, je vous crois. Les dieux ont été sévères en amputant le Soltaar de son duc et en le laissant à son épouse, mais j’ose espérer et croire qu’il y aura des jours plus heureux où le Langecins et le Soltaar pourront s’entendre. Quant à votre participation dans cette affaire, j’apprécie votre honnêteté.

Lorsque l’homme lui avait fait le récit de ses états de service, Oschide avait été impressionné. Le parcours de ce capitaine était similaire à celui de son frère qui avait été jusqu’à prendre l’amirauté d’Ydril. Mais apparemment, quelque chose avait empêché ce Montecale d’accéder au dernier échelon. Se doutant parfaitement que les plus hauts postes étaient de toute façon réservés à la noblesse, il comprit aussitôt qu’après toutes ces compétences citées, elles n’avaient pas été suffisantes pour faire de lui l’amiral qu’il avait semblé vouloir briguer. En définitive, ce Enrico di Montecale n’était pas noble de sang et avait dû gravir les postes à sa seule expérience, ce qui faisait de lui un homme fortement appréciable et compétent à n’en pas douter. Seulement, une chose le chiffonnait encore, c’était ce jeu auquel il avait participé.

-Votre présence nous honore capitaine di Montecale. Votre parcours est riche et vous me démontrez ici que le Soltaar a surement dû perdre un de ses meilleurs éléments que je suis heureux d’accueillir. Pour nous prouver votre loyauté, je vous demanderais par conséquent de prêter serment sur votre vie que vous servirez le duché de Langehack, et ce, jusqu’à ce que Tyra vous retire de vos obligations. Ma deuxième condition est que vous nous transmettiez tout ce que vous savez sur la flotte, les ports, les cités et les armées soltaar. Mes conseillers ici présents se feront une joie de recueillir vos paroles afin que Langehack puisse être informé du mieux possible sur la meilleure façon d’aider le duché soltaar en cas de conflit.

Il vit quelques-uns de ses officiers avoir le sourire aux lèvres après ses dires et lui-même ria à la situation.

-En contrepartie, je saurais vous récompenser pour votre loyauté et votre coopération car figurez-vous que la flotte du Langecins a un besoin vital d’hommes comme vous. Si vous êtes l’un de ces hommes, cela ne fait aucun doute que vous gagnerez mon estime et ma reconnaissance. Je vous demanderais donc de voir l’état de notre flotte avec notre chancelier. Vos conseils seront assurément les bienvenus pour améliorer notre puissance navale.

Voulant en savoir plus sur cet homme, et dans un cadre un peu plus privé, Oschide jugea que si ce capitaine devait à présent être à son service, il devait en savoir plus afin de réussir à le cerner et surtout pour préméditer une quelconque infiltration de l’estréventine.

-Seigneur di Montecale, veuillez me faire le plaisir de vous joindre à ma table, j’aimerais m’entretenir avec vous sans avoir besoin de plisser les yeux pour vous voir au loin.

D’autres questions viendraient, notamment sur ce fameux jeu dont il avait parlé. Mais cela, il se le gardait pour le dessert.

Le repas se déroula sans encombre. Pour une fois, il s’était fait en cercle restreint et l’on pouvait y voir seulement l’entourage de confiance du duc. Le nouveau personnage qui avait eu l’honneur de pouvoir y siéger avait parlé comme il le souhaitait. Le chancelier Cavrour y avait appris surement de belles et bonnes choses. Tandis que son oncle lui parlait, Oschide n’avait pas délaissé le capitaine du regard. Toujours en train de vouloir flairer la ruse où l’honnêteté dans le regard du soltaar déchu, il finit par y voir un de ses futurs hommes de confiance. Plus tard, il demanderait des explications sur les perfides manigances de l’estréventine, mais avant cela il aurait besoin de lui et plus vite qu’il ne le pensait. Néanmoins, si cet homme devait devenir un Langecins, il se devrait d’en adopter les traits pour ne plus que ses origines ne le desservent.

-Sieur Montecale, si vous devez intégrer ma cour, vous vous devrez de couper court avec vos origines soltaar pour montrer votre indéfectible loyauté envers notre duché. Peut-être, devriez-vous adopter un nom moins sudiste.

Il était temps de passer aux choses sérieuses. Rodrik Vellencour était encore l’amiral de Langehack, mais pour combien de temps encore avec la maladie qui l’avait frappé ? Il devait assurer ses arrières et faire en sorte que le laxisme ne sévisse pas au sein d’une flotte à l’amirauté chancelante. Non, il devait trouver un homme possédant les capacités adéquat et il mit son espoir en cet homme qu’il ne connaissait pourtant que depuis quelques heures. Mais qui de plus compétent qu’un homme qui avait tout perdu et qui souhaitait faire de son mieux pour retrouver sa place. Oschide était le genre à laisser une seconde chance et si l’estréventine ne l’avait pas prise, il le ferait pour elle.

-La capitainerie d’Azalie est vacante et nécessite des transformations. Oschide avait plongé la salle dans le silence. Capitaine, je vous fais gouverneur et vice-amiral de la flotte de Langehack. Si vous me prouvez que vous êtes l’homme que je recherche, en réformant la marine et en me soumettant vos idées, je vous offrirais plus mais avant, faites vos preuves.

Le seigneur de Tall lui avait fait part ultérieurement des problèmes qu’il avait rencontré avec l’ancien gouverneur. Celui-ci s’était avéré être un voleur qui faisait ses bénéfices dans le silence. L’idée ravirait donc le seigneur Guilhem et lui permettrait de reprendre un peu son souffle. La tâche qu’il donnait à l’ex capitaine soltaar était néanmoins compliquée, mais au moins il saurait à quoi s’en tenir.

-Une fois que vous serez installé, je vous ferais part de mes intentions quant à l’avenir maritime de notre duché. Vous aurez ainsi l’occasion de me montrer votre valeur. Il se tourna vers l’intendant, Vous officialiserez la situation du nouveau gouverneur d’Azalie et vous veillerez à lui fournir tout le nécessaire en hommes et en matériels.

De Bône acquiesça et Oschide salua le nouveau gouverneur.

-Ne vous m’éprenez pas, à la moindre erreur, je rectifierais mes choix, mais je souhaite vous laisser une chance pour vous et votre famille. Quand vous serez à Azalie, ne manquez pas de saluer l’amiral Vellencour, son état de santé nous inquiète au plus haut point.

Ainsi, le repas se termina et Oschide se leva avec tous ses conseillers  et son oncle en n’oubliant tout de même pas d’inviter celui qui accomplirait peut être ses rêves de grandeur.