Soif d'aventure [Caley]

Caley n’eut pas à se demander comment réagir à cette situation pendant bien longtemps. Le comportement d’Ascanio lui fit clairement comprendre que cet homme était le pire rustre que ce monde n’ait porté. Devant l’incapacité de retirer la tunique de Caley et la frustration que cela engendrait, Ascanio demanda le plus courtoisement possible si elle pouvait elle-même s’exécuter. Cet homme ne devait pas avoir l’habitude d’essuyer un refus pour ce genre de chose. Homme séduisant, puissant et riche, ces trois critères suffisaient amplement pour en faire un amant de choix. Évidemment, le prince ne s’en privait pas. Qui serait assez stupide pour refuser une telle abondance? Caley resta d’abord interdite, ne comprenant pas exactement ce que voulait dire le prince. Puis l’évidence la frappa avec une telle force qu’elle en écarquilla les yeux. La profonde apathie qu’elle éprouvait pour Ascanio se mua instantanément en haine. Depuis qu’elle connaissait sa véritable identité, elle faisait des pieds et des mains pour le traiter avec la déférence qu’exigeait son rang. Caley avait vraiment tout fait pour lui faire plaisir dans la mesure de ses moyens, car ils étaient en pleine forêt et elle n’avait que très peu de choses à sa disposition. Elle était endolorie, fatiguée sinon épuisée, mais cet homme avait continué à tirer son énergie comme un gamin capricieux agrippé aux jupes de sa mère.

Maintenant, il y avait ça et Caley avait véritablement atteint sa limite.

Son visage changea d’expression, passant de la stupeur au dégoût profond. Sa bouche s’ouvrit, mais ce qui devait être un flot ininterrompu de jurons s’avéra être un puissant hurlement de rage. Le genre de cris de guerre qu’on peut s’attendre d’une guerrière fonça sur l’ennemie, la rage au cœur et n’ayant plus rien à perdre. Le cri s’arrêta au même moment où le pied de la jeune femme s’abattait sur le torse d’Ascanio.

— Vous êtes l’être plus abject et le plus dégoûtant que je n’ai jamais rencontré de toute ma vie. Votre égoïsme est sans limites. Vous vous dites prince, vôtre tête est auréolée d’un cerceau d’or, mais si vous voulez mon avis, vous êtes le prince de la paresse et de la lâcheté. Vous n’avez aucune considération pour les gens qui vous entourent à moins que cela ne vous arrange. À vos yeux, les femmes ne sont que des objets dont vous pouvez disposer comme bon vous semble, prêtes à écarter les cuisses dès que vous le demandez. Croyez-moi, ce n’est pas le cas! Combien de cœur avez-vous brisé? Combien de vies ont été perdues à cause de vous? Combien de bâtards que vous avez produits vivront dans la misère? Combien de vos filles nées de prostitués devront à leur tour ouvrir leurs cuisses à des inconnus quand elles auront l’âge de le faire? Combien de femmes prendront dans leurs bras leur enfant mort-née dans l’indifférence la plus totale? Combien d’entre elles verront leur existence complètement ruinée pour quelques secondes de votre plaisir personnel? Vous êtes méprisable. Vous devriez mourir ici, maintenant… et personne ne pleura votre perte. J’aurais dû vous laisser dans la forêt là où je vous ai trouvé, dans votre état pitoyable à la merci des éléments. Je vous ai donné bien plus que ce j’avais, bien plus que ce que vous méritez vraiment. Vous savez, tout ce que j’essayais de faire c’était de voir si vous faisiez de la température!

Elle cria à nouveau, mais ce n’était plus de la colère, mais du désespoir. À n’en pas douter, Ascanio serait incapable d’en faire la différence. Caley finit par se recroqueviller sur elle-même, secouée de sanglots. La blessure qu’elle avait en elle et qui refusait de guérir venait de se rouvrir par la faute d’Ascanio. Elle n’avait dit à personne la raison de son errance, gardant ce secret profondément enfoui. Puis là, il y avait cet homme qui la poussait jusque dans ses derniers retranchements, au point qu’elle en oubliait le fait qu’elle s’adressait à un prince et qu’il n’allait probablement pas apprécier de se faire parler de la sorte par une simple rôdeuse.

Pour sûr, le prince Ascanio Vossula n'avait pas l'habitude qu'on lui dise ses quatre vérités en face, quelle que soit la qualité de l'interlocuteur. Cette avalanche de reproches le prit de cours, d'autant plus qu'il ne s'y attendait absolument pas. Que comprit-il vraiment de ce sermon ? Premièrement, que la jeune femme ne comptait pas se donner à lui. Deuxièmement, qu'elle le méprisait. Troisièmement, elle lui reprochait d'avoir utilisé des femmes pour son plaisir personnel. Sur ce dernier point, il ne comprit pas vraiment en quoi la chose était répréhensible. Il n'avait jamais forcé aucune femme. On ne lui avait jamais dit non. Du moins, on n'avait jamais osé le faire.

Il se sentait sali. Blessé dans son orgueil. Il aurait dû la gifler, mais il n'en avait même pas la force. Bon, il évitait aussi parce qu'il la savait dangereuse. La manière dont elle s'était débarrassée des bandits dans la forêt était un souvenir encore vivace.

Alors il usa de diplomatie. N'était-il pas un marchand, après tout ?

- Je vous croyais consentante, et intéressée. Le cadre n'est pas approprié, peut-être... mais je trouve que l'ambiance de la nature sauvage dégage un certain érotisme.

Il la contempla longuement, de ce regard droit qui faisait chez lui l'illusion de la maturité.

- Je ne puis vous empêcher de me mépriser, bonne femme. Mais je n'ai pas honte de ce que je suis, et je ne mérite pas vos reproches. Je ne vous ai fait aucun mal, après tout. Je ne suis pas un mauvais homme, ou alors, tous les hommes sont mauvais.

Il n'était pas un exemple, certes ; mais il ne s'était jamais targué d'en être un. Il frotta son ventre, encore endolori par le coup de pied qu'elle lui avait lancé.

- Prenez le lit, et dormez, dit-il. Je monterais la garde, je n'ai pas sommeil.

Caley avait l’impression que l’abcès venait d’être crevé. Un pas avait été franchi, elle ne pouvait plus retourner en arrière. Elle avait déversé sur Ascanio toute sa colère et sa haine sans savoir si c’était vraiment contre lui ou contre elle-même que c’était destiné. De quoi était-il coupable de toute façon? D’être qu’un pauvre idiot? Si l’idiotie devait être un crime, les cachots de ce monde seraient rapidement surpeuplés. Elle n’avait pas le droit de le juger comme elle venait de le faire. Elle désapprouvait fortement sa façon de vivre, mais que pouvait-elle y faire? Ascanio avait raison, ils étaient tous comme lui. Tous les nobles qu’elle avait rencontrés dans sa vie s’étaient avérés être des êtres particulièrement désagréables avec leurs entourages. Habitués de vivre dans l’abondance, ils n’étaient pas heureux de se faire dire non. Pire encore, ils étaient incapables de comprendre pourquoi on pouvait leur refuser quelque chose. Caley avait toutes les meilleures raisons du monde de se refuser à Ascanio. Pouvait-il simplement le comprendre? Elle en doutait fortement. Pourtant, elle lui devait une explication, une explication qu’elle n’avait jamais dite à personne. Personne ne connaissait son histoire, mais Ascanio avait brisé quelque chose en elle. En fait, le mur était déjà brisé. Ascanio n’avait fait qu’appuyer dessus pour qu’il s’effondre en poussière.

— Je vous dois une explication. Je ne vous demande pas de comprendre… Écoutez simplement et jugez ensuite si cela vous chante.

Caley resta un moment silencieuse alors qu’elle replongeait dans ses douloureux souvenirs et que les visages revenaient à son esprit avec tant de netteté qu’elle avait l’impression qu’ils étaient là devant elle.

— Mon père Ulrik était éleveur de chevaux et son frère Hendrike, donc mon oncle, était capitaine dans l’armée à Diantra. Ma mère, Andraste, était réputée comme étant la plus belle femme des environs. Je me souviens, elle avait les cheveux blonds comme les champs de blés mûrs et ses yeux étaient aussi bleus que le ciel. Elle est morte quand j’avais 5 ans en donnant naissance à mon petit frère lui aussi emporté dans la mort en ce jour funeste. Vous dites que tous les hommes sont pareils, mais mon père est resté fidèle à ma mère même dans la mort. Jamais je ne l’ai vu approcher une autre femme et suite à son décès, il a décidé de m’élever lui-même avec l’aide de mon oncle.

C’est mon oncle qui m’a appris le maniement des armes. Après la mort de ma mère, je passais beaucoup de temps à la caserne. Pour les hommes là-bas, j’étais un peu leur fille, leur nièce ou leur sœur. Aucun d’eux ne m’aurait fait de mal et tous auraient volontiers donné leur vie pour me protéger. J’ai grandi et les choses ont changé sans que je ne le remarque vraiment. Je n’avais pas de mère pour m’expliquer ce genre de chose et autant mon père que mon oncle ne savaient comment aborder la chose. Il y avait à la caserne ce garçon, Ethan, une recrue de mon oncle. Un parfait idiot, mais à l’époque, je ne le savais pas encore. J’avais 15 ans, il était beau, gentil… et il ne semblait pas particulièrement impressionné par mon mauvais caractère. Il ne connaissait rien aux chevaux alors j’ai décidé de lui montrer. Lui, il avait quelque chose en tête, mais j’étais naïve et aussi idiote que lui, je pense. Bref… la même situation qu’aujourd’hui c’est présenté, sauf que c’était dans l’écurie. Il a été… convainquant, disons et il était nettement plus satisfait que je ne l’aie été. Ça n’a duré que quelques minutes, peut-être… Quelques minutes que j’aimerais effacées à tout jamais.

Caley baissa la tête. Depuis le début, elle n’avait pas regardé Ascanio. Il pouvait très bien être tombé endormi et ne pas l’écouter. Ça n’avait pas la moindre importance.

— Peu après, j’ai commencé à me sentir malade. J’ai été voir un guérisseur et il m’a annoncé la nouvelle. J’étais enceinte. J’ai complètement paniqué. La chose à faire aurait été de parler à mon père, je n’en avais pas le courage. En fait, un mariage aurait probablement été célébré dans les jours suivants et personne n’aurait posé de question, mais ce n’était pas ce que je voulais. J’étais terrifiée, donc j’ai décidé de partir. En pleine nuit, j’ai quitté la maison avec quelques affaires. Je ne savais pas où aller, mais je ne pouvais pas rester là. Je suis débrouillarde, alors j’ai réussi à survivre. Le problème n’était pas réglé, évidemment. J’ai vu mon ventre gonfler de plus en plus. Je l’ai senti donner des coups de pied. Il me martelait le ventre avec tellement de force… J’avais le cœur brisé, car je savais que je ne pouvais pas m’occuper de lui. J’avais plus ou moins décidé qu’à la naissance, j’allais le confier à un temple. Ensuite, je pensais rentrer chez moi en sachant que je devrais donner une explication. En fait, la seule chose que j’avais en tête à ce moment-là, c’était la naissance de l’enfant. J’étais seule, terrifiée et surtout je savais que ma mère était morte en donnant naissance à un enfant. Le même destin pouvait m’attendre.

Caley s’arrêta de parler un bref instant. La partie la plus douloureuse approchait. Dans sa poitrine, son cœur se serra. La blessure était vive malgré toutes ces années.

— La naissance arriva en plein milieu de l’hiver. Il faisait froid et il y avait de la neige partout et surtout, je n’avais rien à manger. Une tempête se préparait à l’extérieur quand les premières contractions arrivèrent. J’avais réussi à me faire un abri pour la nuit assez confortable avec un feu et un lit de branche comme celui-ci. Je ne peux pas décrire exactement la douleur que j’ai ressentie à ce moment-là. C’était horrible, comme si on me poignardait sans relâche. Pendant des heures, je me suis tordu de douleur. J’étais si fatigué et je n’avais pratiquement rien mangé depuis des jours… Il a fini par naître. Je pensais vraiment que j’allais mourir, mais il était là. J’avais réussi, sans savoir comment. C’était un petit garçon absolument parfait, mais horriblement silencieux. Il… il avait cette chose autour de son cou. Je l’ai enlevé et je l’ai pris dans mes bras, mais il ne bougeait pas. Il n’a jamais pleuré… Il était mort. Sa peau était bleue et son corps totalement inerte. C’était peut-être pour me punir de mon imbécilité, je ne sais pas… Le lendemain, je lui aménageais une petite tombe avec des pierres. Je lui ai donné le nom d’Orih. N’ayant pas la force de rentrer chez moi, j’ai simplement continué à avancer. J’ai éventuellement quitté la Péninsule et me voici… Voilà près de 10 ans que c’est arrivé, mais je n’ai laissé aucun homme me toucher depuis. Si ça devait arriver de nouveau… Je ne crois pas que je pourrai m’en sortir encore.

Elle soupira longuement avec l’impression qu’un poids venait de tomber de sur ses épaules.

— Voilà, vous savez mon histoire. Vous en savez bien plus que quiconque, mais après ce qui vient de se passer… Voilà l’explication… Pensez ce que vous voulez, au point où j’en suis… Je m’en moque.

"Ma mère Andraste était réputée comme étant la plus belle femme des environs. Je me souviens, elle avait les cheveux blonds comme les champs de blés mûrs et ses yeux étaient aussi bleus que le ciel."

Intéressant, ma foi. Je devrais lui demander de me présenter sa mère, elle sera peut-être moins farouche...

"Elle est morte quand j’avais cinq ans en donnant naissance à mon petit frère lui aussi emporté dans la mort en ce jour funeste..."

Mille catins, voilà qui est dommage.

Il écouta patiemment l'histoire de l'aventurière, s'efforçant d'être un meilleur public qu'il ne l'avait été jusqu'à présent - il avait la vague impression que Caley apprécierait qu'il fasse au moins semblant de l'écouter, car cela avait l'air d'être important pour elle, ce qu'elle était en train de lui confier. Encore qu'il ne voie pas tellement en quoi. Elle s'est tapée un garçon d'écurie, et après ? Mon père s'en tape tous les jours, des garçons d'écurie. Et quelques minutes pour un premier tour de cheval, ce n'est pas si mal. Parfois, quelques secondes suffisent à envoyer la purée.

La suite, toutefois, retint davantage son attention. Les femmes peuvent mourir en mettant au monde leur rejeton ? Tiens, j'ignorais cela. On sous-estime drôlement ce que les filles de la campagne ont à nous apprendre. Il esquissa une grimace lorsqu'elle détailla l'accouchement. Même lui, pouvait comprendre que ça n'avait pas dû être une partie de plaisir. Si au palais les mères étaient entourées d'une armée de sages-femmes, c'est probablement parce qu'il valait mieux éviter de faire ça toute seule.

Un silence gêné suivit la confession de la jeune femme. Ne sachant d'abord comment réagir, Ascanio finit par poser doucement une main sur l'épaule de Caley - guettant attentivement toute réaction brutale de sa part, au cas où elle se méprendrait sur ses intentions.

- Je regrette d'apprendre ce qui vous est arrivé, Caley. Encore que je n'aie pas bien compris comment l'enfant est mort. Je ne savais pas qu'on pouvait mourir en venant au monde. Il y a là un paradoxe des plus étranges. Mais... vous ne pouvez pas blâmer l'ensemble des hommes pour cela. La vie vous réservera peut-être de meilleures surprises. Vous ne pouvez éternellement fuir votre passé, Caley.

C'est beau, ce que je suis en train de dire. C'est dommage que je n'aie pas de quoi écrire, je suis sûr qu'Ultuant serait sur le cul. C'est toujours lui qui fait le malin avec ses tournures de phrase alambiquées.

Ascanio pouvait-il faire preuve de sagesse? Contre toute attente, il le pouvait. Caley s’était attendue à l’entendre ronfler ou même rire, se sentant aucunement concerné par le drame qu’avait vécu la rôdeuse des années plus tôt. Au contraire, le prince trouva des mots qui lui furent d’un grand réconfort. Caley leva les yeux vers lui pour le regarder, une première depuis le début de son récit. L’incrédulité était visible sur son visage. Comment était-ce possible? Puis la surprise fit place au soulagement. Un poids énorme venait de tomber de sur ses épaules. Des paroles qu’elle avait espéré entendre depuis des années et qui venaient de la source la plus improbable qui soit. La vie réservait effectivement des surprises et elles n’étaient pas toujours mauvaises. Ascanio ne le savait peut-être pas, mais il venait d’agir en véritable héros, prouvant du même coup qu’il n’était pas une cause perdue.

— C’est plutôt commun qu’un enfant meure à la naissance. Ils sont très fragiles et les premières années sont particulièrement critiques. Ils peuvent facilement être emportés par une fièvre. J’ai su quelques années plus tard ce qui était arrivé à mon bébé. Dans le ventre de sa mère, l’enfant est relié à elle par une sorte de cordon. Ils remuent beaucoup, donnant des coups de pieds. Ils se retournent aussi, de sorte qu’il arrive parfois que le cordon s’enroule autour de leur cou. Ainsi, au moment de la naissance, ce même cordon qui lui apporte la vie, deviens l’objet de sa mort. Une sage-femme l’aurait peut-être sauvé ou peut-être que non.

Caley trouva la force de sourire, une éclaircie bienvenue après la tempête. Elle ouvrit la bouche pour dire quelque chose, mais elle hésita. La jeune femme avait du mal à croire qu’elle s’apprêtait à lui donner raison. Depuis le début de leurs folles aventures, elle n’avait cessé de le marteler et de le traiter d’idiot, autant dans sa tête que verbalement. Caley craignait maintenant les effets qu’auront ces mots sur cet homme une fois prononcé, mais il les méritait.

— Vous avez raison. Il y a des choses pour lesquelles on ne peut rien et c’est profondément injuste de blâmer tout le monde pour ça. Vous êtes surprenant Ascanio, au point que je ne sais plus du tout quoi penser de vous.

Elle soupira longuement, massant doucement ses tempes. Elle avait mal à la tête et elle était épuisée. Malgré tout, elle se sentait nettement mieux. C’était une bonne fatigue annonciatrice d’un sommeil réparateur. Pour une fois, elle allait peut-être dormir sans être harcelée par ses horribles cauchemars.

— De plus… Je tiens à m’excuser de vous avoir frappé à l’estomac. Je crois vous avoir induit en erreur et… enfin, vous n’êtes pas un homme repoussant. J’imagine qu’après un bon bain et des vêtements appropriés, vous êtes tout à fait décent, peut-être même… séduisant. Je n’aurais probablement pas l’occasion de vous voir en pleine possession de vos moyens, mais c’est injuste de ma part de vous juger sur votre état actuel alors que vous avez vaguement l’air d’un vieux coq tout ébouriffé.

Elle le taquinait, mais elle était aussi sincère. Il n’était pas laid, mais si quelque chose devait se passer (et ça restait purement hypothétique) il devait au moins prendre un bain. Il sentait le rat mort, ce qui était largement suffisant pour faire passer toute envie.

— Bon, il est temps de dormir. Je vais en faire de même. Je ne crois pas qu’on sera déragé. Avec cette pluie, nos éventuels poursuivants doivent être maintenant bien au chaud autour d’un bon repas et d’une bière fraichement brassée…

Cette pensée la fit soupirer à nouveau. Caley avait envie d’un bon repas chaud, mais elle devait attendre d’être en ville pour ça. D’un geste, elle invita Ascanio à s’étendre avant d’en faire de même. Ils étaient à un peu à l’étroit et étaient obligés de se coller, mais ce n’était pas si terrible cette intimité forcée. Caley était si fatiguée que dès qu’elle eut fermé les yeux, elle s’endormit.

Ascanio grimaça. Un cordon ? On n'avait jamais évoqué devant lui les subtilités de la maternité, et l'idée que l'on puisse se donner la mort par pendaison dans le propre ventre de sa mère lui semblait à la fois terrifiante et saugrenue.

- Surprenant est mon deuxième prénom, lança-t-il d'un ton plein de fierté. Hmm, ou peut-être est-ce le septième ou le huitième. Mon bien-aimé géniteur en avait des tas à refourguer.

Il se tut afin de profiter des éloges et des compliments de la jeune femme. La donzelle, si sauvage quelques instants plus tôt, s'était subitement radoucie. Elle alla même jusqu'à confier, à demi-mot, qu'elle le trouverait séduisant s'il était propre. Il apprécia moyennement la comparaison avec un vieux coq ébouriffé, mais après tout, c'était de bonne guerre.

Ils s'allongèrent donc ; dans un premier temps Ascanio se demanda s'il arriverait à ses fins maintenant qu'il était de retour dans les bonnes grâces de Caley. Cependant, lorsqu'il constata qu'elle s'était endormie, il comprit que sa petite sauterie était compromise.

Bon, eh bien, on dirait que ce n'est pas pour ce soir.

Il mit plus longtemps qu'elle à trouver le sommeil, lui qui d'ordinaire dormait comme un bébé. L'inconfort de leur refuge, la proximité avec une femelle qu'il n'avait pas le droit de toucher, les vêtements moisis qu'il portait, tout cela était trop inhabituel pour lui.
Au bout d'un laps de temps indéterminé, il parvint à s'endormir ; mais il fut réveillé par la lueur du jour, avec l'impression de ne pas s'être reposé du tout.

Caley dormait encore. Il se redressa, faisant en sorte de ne pas la réveiller. Il se demanda si elle ferait la tronche au réveil, ou si elle serait aimable comme tout. Je devrais peut-être faire quelque chose pour la mettre de bonne humeur, songea-t-il. Voyons voyons, qu'est-ce qui peut bien plaire à une femme un brin masculine comme elle ? Tiens, je pourrais aller chercher de quoi manger. Hmm, encore que, je ne préfère pas, je pourrais me perdre dans la forêt. De toute façon, il doit bien lui rester de quoi casser une graine, dans sa sacoche. Très bien, dans ce cas, je vais aller chercher du petit bois pour le feu ! Elle sera ravie de voir que je me suis rendu utile...

Aussitôt dit, aussitôt fait. Il se leva sans faire de bruit, et se mit en quête de petit bois, sans trop s'éloigner.

Quelque temps plus tard...

- Caley ! Caley !!! Réveillez-vous, vite ! Je crois que j'ai foutu le feu à la forêt !

Ascanio était l’archétype même de celui ayant connu une vie de privilèges. Il était certainement très bon à quelque chose, mais lorsqu’il se retrouvait confronté aux choses de la vie, il devenait totalement empoté. Pouvait-on vraiment lui en vouloir? Après tout, il n’était pas responsable de sa propre éducation et il suivait l’exemple de ceux l’ayant précédé. Donc si son père et son grand-père avant lui avaient mené des vies d’oisiveté où une armée de serviteur était chargée de penser à leur place et d’anticiper leurs moindres désirs, il était normal qu’Ascanio soit comme eux. Il ne connaissait rien des misères quotidiennes du petit peuple et il n’y portait aucun intérêt, mais Caley avait escorté assez de voyageurs dans sa vie pour conclure qu’Ascanio n’était pas un homme mauvais. Elle avait vu d’anciens clients perdre patience à la moindre contrariété jusqu’à en devenir agressifs. C’est dans la difficulté que le vrai caractère d’un homme se manifeste. Ascanio avait connu son lot de mésaventure depuis leur rencontre initiale, mais il n’avait jamais vraiment exprimé sa colère. Il aurait pu jouer les princes capricieux refusant d’obéir tout en traitant Caley comme si elle n’était qu’une moins que rien. S’il avait agi ainsi, il y a longtemps que la jeune femme l’aurait abandonné à son sort. Au contraire, malgré quelques petits écarts, il manifestait un certain enthousiasme et il n’avait jamais remis en question les ordres de la rôdeuse. Sans aucun doute, Ascanio était un homme plein de surprises.

Cette nuit-là, Caley dormit merveilleusement bien. La présence d’Ascanio lui donnait un sentiment de sécurité. De plus, avec la confession qu’elle avait faite, son esprit était beaucoup plus léger. Aucun rêve ne vint la troubler et quand vint le matin, elle dormait encore. D’habitude, dès le premier rayon de soleil, elle ouvrait les yeux. Cette fois, son corps récupérait le manque de sommeil accumulé depuis un moment déjà. Elle ne remarqua même pas lorsque son compagnon d’infortune commença à s’agiter et qu’il quitta leur cachette. Ce n’est que plus tard que la voix d’Ascanio perça le silence comme le chat d’un cor. Caley ouvrit brusquement les yeux et se redressa si vite qu’elle se cogna la tête sur une branche. Elle s’extirpa de la tanière en se tenant la tête d’une main. En l’entendant dire qu’il pensait avoir foutu le feu à la forêt, Caley s’attendait au pire.

Effectivement, c’était impressionnant, mais pas aussi dramatique que le laissait entendre le prince.

Pour une raison qu’elle ignorait encore, Ascanio avait décidé d’allumer un feu. Il avait eu le bon réflexe en allant chercher du bois, mais peut-être pensait-il en manquer, car il en avait rassemblé une énorme quantité. Pour l’allumer, le prince avait fouillé ses sacoches à la recherche de sa pierre de feu et il avait éparpillé ses effets personnels un peu partout. Il avait réussi à allumer un peu, prouvant qu’il savait utiliser une pierre de feu et avait empilé le bois jusqu’à former un monticule plutôt impressionnant. Toutefois, ce qu’Ascanio ne savait probablement pas, c’est que le bois était encore très humide à cause de l’orage de la veille et que, lorsqu’il brule, ça crée beaucoup de fumé. Ainsi, un imposant panache de fumée s’élevait vers le ciel en volutes tourbillonnantes, donnant l’impression que le feu était hors de contrôle.

— Aidez-moi! Dit-elle en s’approchant du feu.

Caley commença à tirer les branches qui ne s’étaient pas encore enflammées pour ne garder que le minimum. Le feu prit des airs nettement moins menaçants et la fumée diminua enfin. La fumée irrita la gorge de la rodeuse qui fut secouée d’une bonne quinte de toux. Lorsqu’elle put enfin parler, elle expliqua.

— Votre bois est humide! Il a plu la veille et c’est encore mouillé partout. Quand on utilise du bois humide, ç’a créé beaucoup de fumé. Si des gens cherchaient un signe d’une présence humaine dans les environs, vous venez de le leur fournir.

Puis elle rit, car la panique était encore visible dans le visage d’Ascanio. C’est qu’elle ne pouvait s’empêcher de l’imaginer travailler sur son feu puis, réalisant que quelque chose n’allait pas, appeler Caley pour qu’elle vienne une fois de plus le sortir de ses ennuis. Pourquoi avait-il allumé un feu? Elle vit le peu de nourriture qui lui restait entassé près des flammes. Ascanio pensait faire à manger. Caley était aussi affamée.

— Pardonnez-moi… Vous sembliez tellement paniqué. J’admets que c’était impressionnant, mais ce qui m’impressionne encore plus, c’est que vous ayez été capable d’utiliser la pierre de feu. Mieux encore, vous avez allumé un feu avec du bois humide. Ce n’est pas facile, même pour moi. Je crois que ça mérite un bon repas. Si l’on a de la chance, on pourrait peut-être tomber sur du gibier.

Il attendit que cesse le petit rire de Caley. Vu le ridicule qu'il avait accumulé depuis la veille, il aurait été exagéré de dire qu'il était vexé ; mais enfin, tout de même ! Il gardait un peu d'amour-propre même dans les situations extrêmes. N'avait-il pas réussi ce qu'il souhaitait faire ? Il avait fait un feu pour le repas. Il avait failli cramer toute la forêt, mais il avait fait un feu.

Il s'assit donc, se réchauffa les mains auprès du feu car l'air matinal était encore frais. Il laissait désormais Caley se charger du reste, puisqu'il considérait avoir déjà apporté sa contribution.

- Quand quitterons-nous enfin cette maudite forêt ?, dit-il, avec l'air d'un enfant impatient demandant toutes les cinq minutes quand est-ce qu'on arrive. Il me tarde de retrouver la civilisation et ses bienfaits. Et ce cher Styrio. Je crois que je pourrais avaler un ours tout entier lorsque nous serons arrivés... enfin, si l'un de ses congénères ne m'a pas déjà croqué en chemin.

En parlant de croquer, son épaule gauche l'élançait encore. Le souvenir de la mâchoire du chien se refermant sur lui la veille était encore bien présent. Je mangerais bien un chien ou deux en rentrant, pensa-t-il, juste pour effacer l'ardoise. Il me semble d'ailleurs que Styrio possède deux énormes molosses, qu'il affectionne tout particulièrement.

Ils se posèrent un moment, profitant du calme des lieux. Ce fut, pendant quelques instants, le silence, et Ascanio dut reconnaître que cette quiétude, ce bruissement paisible des feuilles au gré du vent, ponctué du glouglou d'un ruisseau avoisinant, l'apaisait. On était bien loin des cités thaarii et de leur agitation incessante, parfois stressante. La campagne, ça a du bon. On s'y repose. Cela dit, on doit rapidement s'y faire chier tout de même. Pas un bordel à des lieues à la ronde.

Déjà lassé par le silence, Ascanio relança la conversation, sur un ton innocent et un sujet tout à fait approprié :

- Vous me racontiez, hier soir, votre mésaventure qui, si je me souviens bien, s'est produite lorsque vous aviez quinze ans. N'avez-vous donc jamais eu, depuis, de... hem, vous voyez. Depuis près de dix ans, cela ne vous manque pas ?

Il remua son séant dans l'herbe, car la terre le grattait légèrement. Se rapprochant du feu, il ajouta, avant que Caley n'ait eu le temps d'en placer une :

- Comme dit le dicton, quand on tombe de cheval, on se remet en selle. C'est peut-être pour ça que vous avez tant de mal à accepter votre passé. Si vous aviez aussitôt remis le couvert avec le premier péquenaud croisé sur votre route, vous vous seriez rendue compte que ce n'est pas si désagréable, et qu'on ne finit pas avec un bide enflé à chaque coup de rein. Et vous ne seriez pas aussi coincée, sans vouloir vous vexer.

Et de préciser, tout sourire :

- Moi je vous dis ça, c'est en toute amitié.

La situation de nouveau sous contrôle, Caley envisageait maintenant les options qui s’offraient à eux et elles étaient malheureusement limitées. Ses réserves de nourriture étaient presque épuisées et s’il était toujours possible d’aller chasser, rien ne garantissait un succès. La chasse n’était pas seulement une question de chance, mais de patience aussi et selon ce qu’elle pouvait constater, ces deux choses étaient largement épuisées depuis la veille. Ascanio geignait comme un jeune enfant, implorant qu’on le sorte de cette forêt au plus vite. La civilisation lui manquait et c’était aussi vrai pour Caley. Ascanio avait ruiné la moitié de son équipement et mangé pratiquement toutes ses réserves de nourriture. Elle espérait qu’il tiendrait sa promesse en remboursant les dommages et en payant également pour les fers de son cheval.

— Un peu de patience. Dès que nous aurons mangé quelque chose, nous pourrons reprendre la route. D’ici 3 heures, vous serez dans votre bain entouré de toutes… de toutes les femmes que vous pouvez espérer. De plus, je ne crois pas qu’il y ait d’ours dans les environs. Du moins, je l’espère, car nous ne sommes pas équipés pour faire face à un prédateur de cette taille.

Caley fit l’inventaire de ce qu’ils avaient à manger et ce n’était pas suffisant, même pour une seule personne. Elle avait aussi faim que le prince, mais elle se gardait de le dire. Comme son titre l’exigeait, ses besoins passaient avant les siens même si ça ne l’enchantait pas vraiment. Elle pouvait toujours voir dans les environs s’il n’y avait pas quelques fruits sauvages et peut-être tenter le coup à la chasse au cas où elle croiserait le chemin d’une perdrix ou d’un lièvre. Caley ramassa son arc et ses flèches ainsi qu’un petit sac de toile qu’elle utilisait pour mettre le produit de ses cueillettes. Pendant qu’elle se préparait, Ascanio pensa que c’était le moment idéal pour revenir sur leur discussion d’hier. Évidemment, l’idée que Caley n’ait pas touché un homme en 10 ans semblait être totalement impossible à envisager pour le prince.

— Ah oui, c’est ça… Il aurait fallu que j’écarte les jambes devant tous les hommes depuis Diantra sur la péninsule jusqu’à Thaar dans L’Ithri’Vaan? En 10 ans, ça fait beaucoup d’hommes! Ça ne m’a pas manqué, car… comment… comme regretter quelque chose qui… qui était désagréable!?

Elle passa son arc sur ses épaules. Caley ne voulait pas s’énerver contre Ascanio, mais cet homme avait le don de passer d’un extrême à l’autre. Un moment il fait preuve se sagesse et la minute d’après, il apparaît comme le plus grand des idiots. Il ne voulait probablement pas mal faire, mais ses intentions n’en étaient pas moins claires. Elle savait très bien qu’il voulait coucher avec elle, mais c’était probablement plus une lubie qu’autre chose.

— Non seulement la grossesse, mais c’était… douloureux. Je n’ai pas aimé ça, pas un seul instant. Et puis, je sais bien que vous voulez coucher avec moi. D’ailleurs, ca m’échappe complètement, car je suis loin de ressembler à ces dames qui se meurent d’impatience de vous retrouver dans votre palais, prêtes à se plier à toutes vos envies… Ce qui n’est pas mon cas. Regardez-moi… je m’apprête à aller tuer votre repas… En plus, elles doivent toutes devenir hystériques dès qu’elles voient une araignée, je me trompe?

Caley baissa les yeux sur sa propre silhouette. Elle ne se trouvait pas jolie, mais elle était magnifique. Elle était musclée, puissante… une véritable guerrière. Elle ne voyait rien de tout ça, mais dans la lumière brumeuse du matin, son arc à l’épaule et son regard dur, elle donnait l’impression qu’elle allait prendre d’assauts une forteresse.

— Si vous n’avez rien à ajouter, je vais aller chercher votre repas. Je ne vais pas m’éloigner trop, mais je vous demande de ne pas bouger. Je n’ai pas envie de vous chercher partout à mon retour. C’est compris?

Sujet: Re: Soif d'aventure [Caley] Sam 5 Sep 2015 - 21:51

Laissez-moi résumer : vous êtes tombé sur un bouseux qui était un mauvais coup, et parce que le bouseux en question ne savait pas comment utiliser convenablement sa bistouquette, vous avez décidé que vous ne feriez plus jamais bunga bunga. Parce qu'un mouton a abusé de sa part, vous avez privé de nourriture tout le troupeau. Vous êtes une femme susceptible, acariâtre et rancunière. Vous êtes une femme triste. Vous n'êtes qu'une...

Cela, c'était ce qu'Ascanio aurait volontiers répondu à cet instant, parce qu'elle commençait sérieusement à lui pomper l'air avec ses principes, l'autre pimbêche. Quand on écarte les jambes pour un vulgaire garçon d'écurie, la politesse voudrait qu'on ne refuse pas l'héritier d'une grande fortune thaarie. Mais bon, moi je n'ai pas été élevé chez les pécores.

Mais il avait faim, il avait froid, il avait chaud aussi, et il avait soif. Il avait aussi mal aux pieds, et ses vêtements le grattaient. Bref, il voulait rentrer chez lui. Et quelque chose lui disait qu'en rajouter maintenant pouvait nuire à ses chances d'y parvenir. La jeune femme avait tout de même fait preuve d'une certaine patience à son égard.

Donc il ne dit rien, et, bien sagement, attendit qu'elle revienne avec le repas promis. On pourrait s'attendre, vu le passif, à ce qu'il trouve le moyen de commettre à nouveau quelque chose de parfaitement stupide et d'inattendu - même pour lui - pendant le laps de temps où elle le laisserait seul ; mais il n'en fut rien. En fait, il craignait tellement de commettre une nouvelle boulette qu'il demeura pratiquement immobile, accroupi auprès du feu, bougeant si peu qu'il crut attraper un début de crampe au postérieur. A chaque fois qu'un coup de vent faisait remuer une branche, ou que craquait une brindille, il tressaillait, se demandant qui allait surgir d'entre les buissons : Caley, un chien enragé, un meurtrier, ou un type à poil criant au secours.

Caley sera ravie. J'aurais parfaitement réussi ma mission, cette fois-ci : ne rien faire.

Il attendait, tout simplement. Sagement, et patiemment.

Tiens, un lapin. Je devrais peut-être essayer de l'attraper, c'est délicieux avec des raisins...

Mais il n'eut pas le temps de mettre son plan à exécution, voilà que quelque chose remuait entre les buissons.

Sujet: Re: Soif d'aventure [Caley] Jeu 10 Sep 2015 - 0:19

Ascanio avait bien fait de se taire, car Caley n’aurait certainement pas apprécié ce genre de remarque même s’il n’avait pas entièrement tort. Il y avait quand même une limite à se faire insulter, même si ça venait d’un prince. La politesse, ce n’était pas pour les chiens. Ascanio, plus que n’importe qui d’autre avait tout intérêt à démontrer une certaine noblesse de caractère. Avoir de l’argent ne signifie pas que tout est permis. Ne dit-on pas que la grandeur d’un homme se mesure à la façon dont il traite ses inférieurs? Le prince aurait tout intérêt à méditer là-dessus un peu plus sérieusement.

Caley s’était éloignée à la recherche d’un repas digne de ce nom. Elle n’avait pas l’intention d’aller bien loin, mais l’odeur de fumée avait fait fuir la faune. Elle espérait qu’Ascanio l’écouterait pour une fois. Le prince, laissé à lui-même, avait tout le loisir de faire des bêtises. Tant qu’il évitait de mettre le feu une fois de plus à la forêt, elle n’allait pas s’en plaindre. Le lapin déguerpit, alerté par la venue d’un potentiel prédateur. Les buissons continuaient de remuer. Apparemment, ils cachaient quelque chose de gros, d’énorme même. Finalement, une silhouette humaine en jaillit. C’était un homme, un soldat en juger par ses vêtements ou plutôt un mercenaire. Il s’arrêta, interdit, avant de crier.

— Capitaine, je l’ai trouvé! Il a l’air en un seul morceau…

Il se retourna vers Ascanio avec un grand sourire.

— Mon prince, vous avez fait peur à bien des gens!

Bientôt, la petite clairière se retrouva envahie par une dizaine d'hommes armés jusqu'au dent envoyés à la recherche du prince par sa famille. Ils avaient été alertés par la fumée, visible à des lieues à la ronde. Le cheval de Caley se tenait un peu en retrait, vaguement intéressé par tous ces hommes.

— À qui est ce cheval? Demanda le premier soldat.

— Probablement à elle. Répondit un autre soldat alors qu’il trainait péniblement une Caley qui se débattait furieusement tout en tenant un langage ordurier.

— Lâchez-moi sale mangeux de bouse, baiseur de chèvre!

— Je l’ai trouvé non loin d’ici. Elle a essayé de me tirer une flèche!

— J’essayais de tuer un lapin, crétin d’andouille.

Elle essayait de le lui donner des coups de pied et de le faire lâcher prise, mais malheureusement pour Caley, le soldat avait une poigne de fer. Celui qui semblait être le chef de cette petite troupe s’approcha d’elle. Ce n’était pas le genre d’homme à qui l’ont tient tête. Il était très grand et bien costaud, le genre d’homme qui ne se laisse pas facilement impressionné, surtout pas par une femme qui devait faire une tête de moins que lui.

— Surveiller votre langage, jeune femme! Nous sommes en présence du prince Ascanio Vossula. Je suis Gil’Galal, capitaine dans l’armée et vous?

— Caley Aldaron, rôdeuse. Lâchez-moi! Vous me faites mal!

— Pas tant qu’on n’aura pas éclairci cette situation. Jusqu’à preuve du contraire, vous êtes la responsable de sa disparition…

— Quoi!? Mais c’est ridicule!! Si ça n’avait pas été de moi, il serait mort!

Le capitaine l’ignora et se retourna vers Ascanio pour lui demander très sérieusement.

— Mon prince, cette femme a-t-elle un quelconque lien avec votre disparition?

Sujet: Re: Soif d'aventure [Caley] Sam 12 Sep 2015 - 16:11

La surprise, puis l'inquiétude avaient laissé place au soulagement lorsqu'il avait reconnu le brave Gil'Galal, l'une des épées-louées à la solde de son père. Gil'Galal était un curieux personnage. On ignorait dans quelles circonstances il s'était taillé les oreilles en pointe, lui-même changeait fréquemment de version lorsqu'il en racontait l'histoire ; il racontait fréquemment des histoires d'elfes et passait pour en connaître un rayon sur la culture elfique. Mais il n'avait probablement pas une goutte de sang mêlé dans les veines, et il était plus humain que nature. Son nom, Gil'Galal, n'était vraisemblablement pas celui sous-lequel il était né, mais c'était ainsi qu'on l'appelait.

- Gil ! Bougre d'enfant de putain, quel bonheur de te revoir ! lança Ascanio tout en s'avançant, bras ouverts, vers celui qu'il considérait déjà comme son sauveur, semblant oublier totalement le rôle qu'avait joué Caley depuis la veille.

La malheureuse, maintenant, passait un sale quart d'heure ; malmenée par les reîtres qui accompagnaient Gil, sa survie était maintenant suspendue aux prochains mots que prononcerait Ascanio. Les hommes de Gil n'attendaient qu'un signal de leur chef pour s'occuper d'elle, et ils auraient vraisemblablement moins de scrupules que n'en avait eus le prince.

Mais, si Ascanio accumulait un millier de défauts, il n'était pas totalement ingrat pour autant.

- Lâchez cette femme, ordonna-t-il. Sans son intervention salutaire, c'est mon cadavre que vous auriez fini par retrouver.

Les hommes de Gil la lâchèrent aussitôt, sans cacher leur désappointement toutefois. La bougresse leur plaisait, visiblement ; Gil aussi paraissait déçu, mais la nature de sa déception était toute autre. Il avait sans doute espéré que tout le crédit du sauvetage d'Ascanio lui reviendrait. Or, voilà qu'une bouseuse des campagnes venait lui disputer tout le mérite. Ascanio, heureusement, savait déceler ce genre de pensées ; il n'était pas doué pour parler aux femmes qu'il ne comprenait pas, mais il savait se faire comprendre de ses hommes.

- Rassure-toi, lui confia-t-il en aparté, aux yeux de mon père, tout le crédit te reviendra. La donzelle n'a que faire de sa reconnaissance. Je la dédommagerais modestement, et elle s'en ira une fois que nous aurons gagné Eofel.

Puis, à haute voix et s'adressant à tout le monde, il lança :

- J'espère que vous avez amené de quoi boire et manger, car j'ai l'estomac aussi vide que le cœur d'une putain sexagénaire ! Je serais capable de bouffer un cheval entier.

Ses yeux dérivèrent un instant sur Una, la jument de Caley. Mais il secoua la tête. Il avait promis de payer un forgeron pour donner à la jument des fers neufs, et quelque chose lui disait que Caley était très attachée à l'animal.

Par bonheur, Gil et ses hommes avaient des provisions. Ils prirent donc le temps de manger, tous ensemble, ripaillant avec bonheur - pour la plupart, car personne ne parlait à Caley et celle-ci, curieusement, demeurait un peu à l'écart. Une fois restauré, Ascanio se sentit d'attaque pour reprendre la route. Et, lorsqu'ils quittèrent enfin cette maudite forêt pour regagner la route, assurés à présent de pouvoir mettre en fuite brigands et autres mauvaises gens, on prêta au prince une monture.

Chevauchant au côté de Caley, Ascanio se rapprocha légèrement d'elle. Ils n'avaient pas échangé un seul mot depuis que Gil et ses gars étaient arrivés.

- Nous serons bientôt à Eofel, dit-il. Vous allez pouvoir reprendre le cours de votre existence, et moi la mienne. Quels sont vos projets, Caley ?

Sujet: Re: Soif d'aventure [Caley] Jeu 17 Sep 2015 - 22:15

C’est triste à dire, mais Caley s’était attendu à une vengeance de la part d’Ascanio pour tout ce qu’elle avait pu lui dire depuis le début. Heureusement pour elle, il se conduisit, pour une fois, en vrai gentleman, faisant mentir le pressentiment de la rodeuse. Les gardes la libérèrent aussitôt l’ordre donné, mais ça n’empêcha pas le mercenaire d’avoir la main baladeuse au passage. Caley le gratifia d’une violente ruade avant de s’éloigner pour ramasser ses choses. Apparemment, Ascanio connaissait cet homme et il lui faisait confiance. C’était tant mieux, car la jeune femme n’était pas de taille pour affronter autant d’hommes armés à elle seule. C’était l’heure de manger. Elle se contenta du reste de ses provisions, préférant rester à l’écart. Elle restait toujours sur ses gardes en présence de mercenaire. La loyauté de ses hommes dépend du poids de la bourse qu’on leur tend. Il suffisait qu’un autre homme leur propose une plus grosse somme pour qu’ils changent aussitôt de camps sans plus d’égard pour leur ancien employeur. Elle observa donc la scène de loin et silencieuse. L’attitude détendue d’Ascanio laissait croire qu’il n’y avait rien à craindre, mais ce capitaine semblait avoir une longue feuille de route derrière lui. Pour un humain, il portait un nom étrange, le genre que portent les elfes de l’Ithri’Vaan ou même les drows.

— De toute façon, les rôdeurs sont de drôles de type. J’en ai traqué un par le passé. L’enfant de pute a disparu dans la forêt comme si elle l’avait avalé.

Après le repas, le petit groupe se remit en marche. Ils étaient à nouveau sur la route quand Ascanio daigna venir lui parler.

— Je suis contente pour vous. Dit-elle prudemment. Les choses auraient pu vraiment mal tourner. Soyez prudent à l’avenir je ne serai probablement pas là pour vous récupéré. Vous êtes un homme puissant et vous avez certainement des ennemis. Si j’étais vous, j’essaierais de trouver le responsable derrière tout ça. De mon côté… Je vais rester dans l’Ithri’Vaan encore un moment. Je dois me rendre à Baaz’hima, entre autres. Ensuite… Je vais peut-être rentrer chez moi dans la Péninsule. Je ne sais pas si mon père est toujours de ce monde, mais si c’est le cas, je vais reprendre l’élevage de chevaux et arrêter de fuir.

Elle baissa les yeux. Caley doutait fortement que son père soit encore de ce monde, mais elle l’espérait. Elle espérait aussi qu’il lui pardonne son geste. Elle connaissait son père. C’était un homme de principe, mais il comprendrait peut-être…

— J’aimerais vous remercier. Vous ne savez certainement pas parler aux femmes et vous n’êtes clairement pas habitué de vous faire dire non… mais malgré tout, vous avez fait beaucoup. Ce n’était probablement pas voulu de votre part, mais… vous n’êtes pas la cause perdue que je pensais que vous étiez au début ni quelqu’un de mauvais. S’il y a quelque chose que vous désirez, n’importe quoi, je vous l’accorde. Je vous rappelle toutefois que vous me devez de nouveaux fers et ainsi qu’une nouvelle cape et ça, c’est non négociable!

Sujet: Re: Soif d'aventure [Caley] Lun 12 Oct 2015 - 11:22

Bien nourri, et revêtu de vêtements propres - bien qu'il n'ait pas prit le temps de se laver, ce qui gâchait un peu tout - Ascanio se sentait revigoré. Il paradait fièrement sur son cheval, et les « louanges » qu'il recevait de Caley ne manquaient pas de le flatter. Qui aurait cru que je me soucierais tant de l'avis d'une grosse bouseuse sur ma personne ? S'entendre dire qu'il n'était pas un homme mauvais l'incita probablement à agir en bon prince, et à ne rien demander à Caley - ça, et aussi le fait qu'elle n'ait pas grand-chose à offrir, si ce n'était son corps.

- Bonne fille, c'est moi qui suis votre débiteur, ne l'oubliez pas. Vous m'avez sauvé la vie, et je ne vois guère ce que vous pourriez faire de plus pour moi. Oh, il y a bien quelque chose... j'aimerais qu'à l'avenir, vous évitiez de raconter cette histoire. Ma réputation en pâtirait. A voix basse, il ajouta : évitez surtout de dire à tous ces soudards, là, autour de nous, combien je me suis couvert de ridicule pendant cette aventure. Si vous êtes un jour amenée à raconter que vous avez rencontré Ascanio Vossula, parlez de moi en termes aussi élogieux que vous venez de le faire. C'est là tout ce que je vous demande.

Il esquissa un sourire.

- Quant à vos nouveaux fers et votre cape, cela n'est pas cher payé. Je vous aurais volontiers offert un nouveau cheval valant dix fois le vôtre, et suffisamment de capes pour équiper une armée entière. Mais en auriez-vous l'utilité ? Je vois bien que vous vous êtes attachée à votre monture. J'ai moi-même eu beaucoup d'affection pour l'un de mes chevaux, avant que je le fasse crever d'épuisement lors d'un voyage.

La route se poursuivit agréablement, et on arriva bientôt en vue des faubourgs d'Eofel. Au loin se dessinaient les cheminées des grands ateliers et des entrepôts. Là, Ascanio tiendrait sa promesse, et leurs chemins se sépareraient alors.

- Vous escomptez vous rendre à Baaz'Hima, avez-vous dit ? Une ville qui ne vaut guère le détour, j'en ai peur, mais vous avez sûrement vos raisons. Les Salougan, la famille qui la tient, ne sont que des décadents qui ne pensent qu'à s'empiffrer, s'enivrer et baiser ses esclaves, lança-t-il avec une pointe de mépris, certain que cette définition ne pouvait pas s'appliquer à lui-même. Ils font honte à la belle réputation des princes de Thaar.

Sujet: Re: Soif d'aventure [Caley] Ven 16 Oct 2015 - 21:59

Ascanio ne réclamait rien de plus que la sauvegarde de son honneur. Après tout ce qu’il avait fait durant ces derniers jours et le ridicule dont il avait fait preuve, Caley pouvait comprendre ces craintes. Certains hommes n’auraient même pas hésité à la tuer pour être certains que ces lèvres resteront scellées à tout jamais. Toutefois, il n’avait rien à craindre de la rodeuse. Si elle devait parler de cette aventure, aucun nom ne serait prononcé et le pauvre homme victime de toutes ces malchances ne sera qu’un aventurier anonyme. Elle n’était pas du genre à salir la réputation de quelqu’un par vengeance. Au final, Ascanio n’avait rien fait de mal. Il avait même aidé Caley à sa façon, peu gracieusement il est vrai, mais il faut parfois utiliser la manière forte pour arriver à un résultat satisfaisant. Elle était épuisée, mais son cœur était plus léger et elle envisageait l’avenir avec un peu plus d’optimistes. La route était encore longue devant elle, mais l’idée d’éventuellement rentrer à Diantra n’était plus totalement absurde. Il était peut-être temps de boucler la boucle une bonne fois pour toutes.

— Sur mon honneur, mes lèvres resteront scellées. Si je dois un jour parler de vous, ce sera sur un ton élogieux traduisant le respect que j’ai pour vous. J’en fais serment. Elle fit la moue avant d’ajouter. Je ne pensais pas dire cela de vous hier, je dois l’admettre.

Ascanio lui aurait bien offert un nouveau cheval, mais il avait raison en disant qu’elle n’en aurait aucune utilité. Elle aimait Una profondément et cette jument avait fait tellement de chemin avec elle que la jeune femme se sentait incapable de s’en séparer.

— Je vous ai dit que mon père était éleveur de chevaux? Il m’a enseigné sa méthode et, un jour, je suis tombé sur un fermier avec une jeune jument si fougueuse qu’elle ne se laissait approcher par personne. Hors de lui, il a promis ce cheval à la première personne capable de la monter. Elle sourit. Ne jamais faire ce genre de paris avec moi, surtout s’il y a des témoins. Je suis repartie avec la jument qui ne m’a pas quittée depuis. Si je décide un jour d’arrêter cette errance, elle prendra sa retraite dans un grand pré avec une abondance d’herbe.

Elle caressa l’encolure du cheval comme une promesse qu’elle venait de scellé. La route s’achevait enfin. La ville se profilait devant eux et tout le monde semblait heureux d’enfin rentrer à la maison. Après lui avoir confié qu’elle se rendait à Baaz’Hima, Ascanio lui fit une description des princes qui n’avait rien de très reluisant. Ironiquement, cette description collait plutôt bien au prince lui-même avec tout ce qu’il lui avait dit depuis le début de leurs aventures. Évidemment, il ne s’y reconnaissait pas et Caley se garda bien de lui en faire la remarque.

— Quand je visite une région, je passe toujours par les principaux centres pour prendre des contrats, vendre les produits de mes chasses ou simplement pour prendre les nouvelles. Avec ce que vous venez de me dire, je vais me tenir à distance des palais et si je tombe sur un homme à moitié nu et empestant l’alcool au milieu de la route, je fuis le plus rapidement possible. Souffla-t-elle de façon à ce que seul le prince puisse l’entendre.

Elle le regarda du coin de l’œil avec un sourire aux lèvres. Caley resta silencieuse pendant un moment avant d’ajouter, toujours sur le ton de la confidence.

— J’ai une dernière faveur à vous demander, mais elle vous concerne plus vous que moi. Peu importe qui vous a joué ce mauvais tour, je crois qu’il pourrait recommencer et cette fois, vous risquez d’être moins chanceux. Faites attention à vous. Je sais que vous êtes un homme en pleine possession de vos moyens et que vous n’avez pas à recevoir de conseil, surtout pas de moi. Toutefois, soyez prudent. Si jamais vous devez vous retrouvez une fois de plus seul au milieu de la forêt : gardez votre calme, trouvez un abri et de l’eau, faites attention avec le feu et ne vous éloignez pas trop de votre abri. Plus vous bougerez, plus vous serez difficile à trouver. Là, c’était une exception, car je savais où aller, mais si vous êtes seul… rester là où vous êtes.

À ces mots, ils avaient enfin atteint les portes de la ville. C’était bientôt le moment de se séparer. Il ne restait plus au prince que de tenir sa promesse et ensuite il est probable que plus jamais plus leur route ne se croise.

— Bon, comment allons-nous procéder?

Sujet: Re: Soif d'aventure [Caley] Sam 17 Oct 2015 - 11:42

- Ah ! Bonne fille, je serais aussi prudent qu'on puisse l'être ; mais ce périple, malgré toutes ses difficultés, m'a laissé un goût certain pour l'aventure. Car, il y a encore quelques heures, je trépignais d'impatience à l'idée de regagner mon lit douillet, et à présent, je goûte la douceur, le bonheur de regagner enfin le foyer dont j'ai tant rêvé. Cette seule sensation grisante valait à elle seule tous ces dangers.

La compagnie fut bientôt rejointe par des gens de la maison Vossula, qui pleins de désarroi exprimèrent au prince leur joie de le revoir entier, et tout le mouron qu'ils s'étaient faits en son absence ; forfanterie, songea Ascanio, car il allait de soi que tout le domestique du palais s'était fait une joie de ce congé inattendu dont ils avaient profité en son absence. Plus besoin de changer ses draps, plus besoin de lui cuisiner un casse-dalle aux heures les plus saugrenues, plus besoin de battre les éventails pour protéger Monsieur de la chaleur étouffante, bref, plus besoin de satisfaire ses caprices d'enfant-roi.
Mais la récréation était maintenant terminée.

Ascanio désigna d'un geste un domestique fort laid, dont les grandes oreilles décollées juraient avec un visage maigre au teint de craie.

- Voici Blanche-Neige, notre petit esclave albinos, dit-il. Blanche-Neige va vous accompagner pour effectuer toutes les démarches dont vous avez besoin. Vous lui demanderez tout ce que vous souhaitez ; fers, vêtements, équipements de toute nature, allez-y de votre fantaisie. Il s'en occupera, et toutes les dépenses seront prises en charge par ma maison.

Avisant un autre domestique, il poursuivit :

- Que l'on donne une bourse pleine d'or à cette femme, afin qu'elle puisse aussi pourvoir à toute dépense de nature personnelle pendant son séjour à Eofel, le temps que Blanche-Neige règle les détails.

Et tandis que le domestique s'exécutait, sans laisser le temps à Caley de répondre, Ascanio concluait :

- C'est ici que nos chemins se séparent, bonne fille. Nos routes, qui sait, se recroiseront peut-être un jour ; dans de meilleures circonstances, je l'espère. Je serais volontiers demeuré plus longtemps, mais le devoir m'appelle, et je n'ai que trop tardé à m'occuper des innombrables tâches qui m'attendent ! Je vais d'abord manger un morceau, puis prendre un bain, et enfin, me divertir.

Il sourit, puis prit doucement la main de Caley, et s'abaissa pour y déposer un baiser, comme on le faisait parfois pour flatter les grandes dames ; c'était la première fois qu'Ascanio en faisait autant pour une bouseuse, mais cette pécore-là avait prouvé sa valeur.

- Adieu, Caley, et que la bonne fortune guide vos pas. Sachez que vous pourrez toujours compter Ascanio Vossula parmi vos amis, désormais ; et mon amitié est un bien aussi précieux que rare.

Bon, il avait dit la même chose à un perroquet deux semaines auparavant ; l'oiseau lui avait dit qu'il était très beau, et Ascanio s'en était trouvé flatté ; mais le prince n'en était pas moins sincère.

Sujet: Re: Soif d'aventure [Caley] Mer 28 Oct 2015 - 0:21

Ascanio ne sera probablement jamais un grand aventurier et même si le monde était sur le point de s’écrouler, le prince restera probablement égal à lui-même jusqu’à la toute fin. Ayant été élevé de cette façon, on pouvait difficilement dire que c’était de sa faute. Dans un autre contexte, Ascanio aurait peut-être un homme tout à fait différent. Son retour en ville fut acclamé par une foule de gens de la maison d’Ascanio. Caley voyait de nombreux domestiques et esclaves semblant soulagés, mais la jeune femme devinait aisément qu’ils avaient également profité de son absence. Elle ne l’avait supporté que deux jours, mais plus d’une fois elle avait voulu l’abandonner à son sort. Qu’est-ce que s’était que de le supporter tous les jours, Caley ne voulait même pas se l’imaginer.

Dans ce brouhaha, Ascanio désigna un esclave qui faisait plutôt froid dans le dos. Jamais elle n’avait vu un homme avec la peau aussi blanche, surtout dans la région où les habitants ont un teint naturellement bronzé. Contre toute attente, le prince se montra plus généreux qu’elle ne l’avait demandé. Elle voulait protester que ce n’était pas nécessaire, mais il ne lui laissa pas le temps de parler. C’était le temps des adieux. Elle ne put s’empêcher de sourire lorsque le prince lui décrit son emploi du temps pour les prochaines heures. Évidemment, Ascanio était un homme très occupé, que personne n’ose dire le contraire! L’homme prit sa main pour y déposer un baiser y allant de grandes paroles grandiloquentes que Caley soupçonnait venir d’un livre ou d’une pièce de théâtre quelconque. Peu importe, l’intention était là.

— Peut-être! Seul le temps nous le dira. Mon amitié vous est également acquise. Soyez prudent et je vous remercie d’avance pour tout. Adieu, Ascanio Vossula!

D’un geste de la main, la rôdeuse s’éloigna en compagnie de l’esclave. Malgré la grande générosité du prince, Caley n’en abusa pas. Elle se contenta du minimum même si elle aurait pu acheter du nouvel équipement, elle se contenta de réparer ce qui pouvait être réparé. Elle ne quitta la ville qu’au bout de quelques jours d’un repos bien mérité. Le prince trouvera sans doute un cadeau particulier dans sa chambre. Il s’agissait d’une cape de voyage d’une grande qualité en tissus épais protégeant contre l’intempérie. Une petite note y était attachée. « Je doute sincèrement que vous la portiez un jour, mais si l’envie de partir à l’aventure pour saisit soudainement, cette cape vous sera utile. Caley. »

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