La loi des corbeaux II

Début de la troisième ennéade de Bàrkios
An Huit, Onzième cycle

La gangrène lui bouffait littéralement le pied.

A quarante ans passés, Philbert avait vu tous les champs de bataille. Il avait exercé bien des métiers au cours de sa morne existence, et n'avait jamais aimé la guerre ; mais c'était encore là qu'il était le moins inutile. Il ne se débrouillait pas trop mal avec un arc à la main, et n'avait pas brillé ailleurs. Il avait enterré deux épouses et une flopée d'enfants, tous enlevés par la maladie ou la faim. Il n'avait jamais réussi à prendre soin des autres. Ni de lui-même. Il n'était pas devenu plus courageux avec l'âge, et son expérience de la guerre ne l'empêchait pas d'appréhender la mort. Cela l'amplifiait, au contraire. Il savait qu'il n'était plus aussi robuste qu'avant ; il savait qu'il lui faudrait compter sur la chance, manque de pot, la chance et lui n'étaient pas de grands amis. S'il l'avait pu, il aurait prit sa retraite, se serait remarié et aurait vécu ses dernières années dans une ferme. Mais il n'avait pas d'argent et n'avait jamais été foutu de faire pousser quoi que ce soit.
Il avait donc regagné les rangs de l'armée hautvaloise, lorsque le comte Nimmio avait levé les bans de Velteroc et de Hautval. Puis, mort de trouille alors que l'ost approchait de Christabel, il avait déserté, sans savoir qu'ils remporteraient une victoire aussi éclatante que facile à la bataille des champs pourpres. Cela ne changeait guère de ses habitudes, il n'avait jamais été foutu de miser sur le bon cheval.

Telle était l'histoire de Philbert, et la raison pour-laquelle il marchait en compagnie d'autres hommes qui, comme lui, étaient en rupture de ban, pour des raisons qui leur étaient propres. Les rebuts de la société, des marginaux, laissés pour compte, qui n'avaient guère connu d'autre moyen que la violence pour gagner leur vie. La levée des bans de Velteroc et de Hautval avait été propice au brigandage ; les bandes armées se tenaient encore soigneusement à l'écart des grandes villes et des places fortes, mais terrorisaient la campagne et, parfois, pillaient les villages.
Il savait qu'il n'avait pas grand-chose à perdre. Un déserteur est promis à une mort certaine, et cette mort ne tarderait plus à survenir maintenant qu'une de ses plaies à la jambe s'était infectée. Il dormait de plus en plus mal, et ignorait combien de temps encore il pourrait marcher.

Mais maintenant qu'il était certain que la rencontre avec son destin était proche, Philbert n'avait plus peur.