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 I. Mémoire apparaît à Numil

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Le Vaisseau de la Voilée
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MessageSujet: I. Mémoire apparaît à Numil   I. Mémoire apparaît à Numil I_icon_minitimeLun 23 Fév 2015 - 22:42

AZZA

Le violent coup de reins du gladiateur coupa le souffle d’Azza ; elle allait pour protester, mais le mâle, tout à son acte, écarta encore un peu plus les jambes de la prêtresse et la plaqua contre la table qui servait de support à leurs ébats en s’appuyant lourdement contre ses omoplates. Si elle avait été demandeuse, la Doeben aurait pu trouver un plaisir coupable à subir ainsi les assauts vigoureux de l’esclave, mais l’impudent n’avait pas daigné la consulter. Enivré autant par sa récente victoire dans l’arène que par la cruche de mauvais vin qui gisait, vidée, dans un coin de sa cellule, il s’était cru en droit de jouir d’elle comme bon lui semblait. Azza avait beau se prétendre ouverte d’esprit, elle n’appréciait pas de se faire malmener de la sorte et elle n’hésita donc pas : elle agrippa la vieille lame rouillée qui traînait à côté d’elle — elle avait manqué se retrouver éborgnée quand son visage avait frappé le bois lisse de la table, d’ailleurs — et l’enfonça jusqu’à la garde dans la cuisse du gladiateur. Ce dernier, immédiatement dessoulé, hurla sous l’effet de la surprise et de la douleur. Sans aucune pitié, Azza le repoussa et il chut misérablement. Ce n’était pourtant pas la souffrance qui déformait ses traits, mais la peur. La Doeben ne payait certes pas de mine, elle n’en demeurait pas moins une sang pur, libre et — c’était bien le pire — prêtresse. Qu’il levât la main sur elle, il serait tué dans l’instant. Qu’il l’occît, il souhaiterait avec force qu’on l’eût assassiné sur le champ. Quant à elle, elle pouvait bien lui faire subir ce qu’elle voulait, personne dans la Bae’d n’oserait le lui reprocher.


Son entrejambe la brûlait et elle n’avait pas besoin de vérifier pour savoir que ce n’était pas que de la cyprine qui coulait le long de ses cuisses. Cela ne l’empêcha pas de s’accroupir sur lui et de poser ses doigts autour de son cou, non sans un rictus mauvais. « Ne t’inquiète pas, Hashar, tu ne mourras pas ce soir, » murmura-t-elle à son oreille. « Toi et moi allons faire un petit pari. Je vais interdire à ton maître de soigner ta plaie et si tu survis à l’arène et à la gangrène, alors tu pourras me prendre comme tu souhaitais tant le faire. »


D’une main qui manquait de tendresse, elle saisit la verge du malheureux et la massa pour lui rendre sa vigueur. Elle le chevaucha ensuite jusqu’à trouver la jouissance qu’elle était venue chercher. Quand finalement, elle fut rassasiée, elle se redressa lentement et se dirigea le lourd broc d’eau qui trônait sous la meurtrière de la cellule ; c’était l’unique moyen qu’avait Hashar pour effectuer un semblant de toilette. Il en obtenait à chaque nouvelle ennéade, pour faire bonne mesure devant la foule. Elle dénoua le morceau d’étoffe de l’anse et l’humidifia largement afin de se débarrasser du sang qui collait à sa peau sombre. Quand ce fut fait, elle enfila lentement sa robe. Elle pouvait sentir sur elle le regard du gladiateur, qui devait brûler d’envie de se venger. Il pouvait bien la maudire, c’était sa bêtise qui l’avait conduit à sa perte. Azza était venue le retrouver dans sa cellule pour célébrer sa victoire, pas précipiter sa mort.


C’est le problème, avec les esclaves. Ils oublient leur place dès qu’on arrête de la leur rappeler.


Ils échangèrent un long regard, durant lequel la prêtresse se contenta de pencher légèrement la tête sur le côté. Hashar ne s’y trompa pas. « Maîtresse, que puis-je faire pour obtenir ta clémence ? » La Doeben ne put retenir un sourire amusé. Le gladiateur avait enrobé sa demande avec juste ce qu’il fallait de contrition. Elle ne le quitta pas des yeux tandis qu’il se mettait péniblement à genoux et ses lippes s’arquèrent un peu plus quand il répéta : « Maîtresse ?


Tu sais très bien que tu n’as rien à m’offrir. Tu es dans les mains de Teiweon, désormais… Et la Mère n’a que peu de sympathie pour les tiens.


Laisse-moi te servir, Maîtresse. Sauve-moi et fais ce que tu veux de moi. »


Elle allait lui répondre, mais un mouvement attira son attention et elle porta son regard sur la lourde porte de la cellule. Une enfant l’observait ; âgée d’une dizaine d’années à peine, ses cheveux étaient aussi noirs que sa peau était blanche et lui tombaient jusqu’aux genoux, mais c’était ses yeux qu’Azza remarqua en premier. Ils étaient d’un bleu irisé, presque brillant dans la pénombre de la nuit. Sans qu’elle devinât pourquoi, cette vision troubla la Doeben. Elle ne songea d’ailleurs pas à s’étonner de l’incongruité de la présence d’une fillette mortelle dans la Bae’d.


« Maîtresse ? » l’implora une nouvelle fois Hashar ; elle lui jeta un rapide coup d’œil, mais cela laissa assez de temps à l’intruse pour disparaître. Déglutissant péniblement, Azza ne sut pas comment réagir. « Auras-tu pitié de moi ?


Survis à cette nuit et peut-être que j’accéderai à ta demande, » céda-t-elle finalement. La déchéance de l’esclave avait soudainement perdu beaucoup de son attrait. « Peut-être… »





Dernière édition par Mémoire le Mar 3 Déc 2019 - 7:48, édité 2 fois
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MessageSujet: Re: I. Mémoire apparaît à Numil   I. Mémoire apparaît à Numil I_icon_minitimeMar 24 Fév 2015 - 23:46

AZZA

Elle avait eu beau essayer, rien n’y avait fait : malgré tous ses efforts, Azza n’avait pu oublier le regard irisé de la fillette. Si bien que lorsqu’elle avait appris, que Hashar, contre toutes attentes, était encore en vie, elle n’avait guère hésité : les déboires du gladiateur étaient exactement ce dont elle avait besoin pour se changer les idées. Qu’il eut tenu aussi longtemps — cela faisait tout de même trois jours qu’elle l’avait abandonné à son triste sort — était un miracle ; il méritait bien qu’on le tirât d’affaire. D’après les quelques rumeurs qui étaient parvenues à ses oreilles distraites, le pauvre dépérissait à vue d’œil. Si ce n’était pas elle qui l’arrachait de cette arène, un glaive ou un trident s’en chargerait. Quant à savoir ce qu’elle allait faire de lui… C’était une question qu’elle se poserait après s’être assuré qu’il pourrait garder sa jambe. Elle doutait qu’il lui fût très utile, mais il était certain qu’elle ne s’encombrerait pas d’un estropié.


Le propriétaire d’Hashar — un sang-mêlé qui avait grandi au Puy la majeure partie de sa vie, avant de s’exiler à Sol’Dorn une cinquantaine d’années plus tôt — ne fut guère difficile à convaincre ; si le gladiateur avait été une manne financière non négligeable au fil des années, il ne s’était fait aucune illusion sur le devenir de son précieux filon. Tout au plus avait-il béni ses Dieux du baroud d’honneur de son champion. Quand l’affaire fut conclue, il sembla hésiter puis marmonna, le regard fuyant : « Le garçon est pas méchant. Ça lui arrive d’être un peu rustre, mais ses qualités éclipsent ses défauts. Bien nourri, il soulève des montagnes.


Crains-tu pour sa vie ? » Les porteurs de sang mortel n’avaient de cesse d’étonner Azza, qui détailler celui-là partagée entre la surprise et l’amusement. « Me crois-tu plus dangereuse que les gladiateurs contre lesquels tu l’envoyais se battre ?


Oui-da. » Il marqua une pause puis ajouta, dans un dernier sursaut de courage : « Ce qui lui arrive, je doute pas qu’il l’a bien cherché. Mais, comme je l’ai dit : le garçon est pas méchant. » Sans laisser à la prêtresse le loisir de répondre, il se fendit d’une révérence douteuse et la planta là.


Comme elle l’avait pressenti, Azza trouva Hashar incapable de marcher. Sans surprise, ses adversaires de la Bae’d avaient cherché à profiter ce point faible inespéré. Sa cellule — celle-là même ou elle l’avait blessé — empestait la sueur et la chair infectée. Elle ne put retenir une grimace quand elle vit le piteux état de sa cuisse et regretta de ne pas avoir pris la peine de vérifier avant d’acheter. « Finalement, tu as passé la nuit.


Maîtresse ? » Il voulut se redresser, mais ses bras tremblants ne purent le soulever et il manqua tomber à bas de sa couche. Il était fascinant de constater avec quelle aisance la moindre blessure venait à bout des mortels ; alors qu’il avait la carrure d’un géant, il avait suffi d’un peu de métal oxydé pour le faire choir.


« Laisse-moi trouver quelqu’un pour te porter hors d’ici. » Juste avant de disparaître, elle posa un dernier regard sur son nouvel esclave. « Tu as échappé aux griffes de Teweion jusqu’ici, Hashar. Surprends-moi encore quelques jours. »


Et Hashar de s’exécuter, non sans jouir d’un peu d’aide : l’esclave eut en effet la chance de profiter des meilleurs soins dont il aurait pu rêver au regard de sa condition. Azza l’abandonna aux mains des guérisseurs les plus prestigieux de la cité et ils le remirent sur pied avant la fin de l’ennéade. Ils exploitèrent néanmoins de sa faiblesse pour le… préparer à sa nouvelle vie. Pour commencer, ils lui apposèrent la marque de la Mère sur sa joue droite, afin que tous sussent qu’il appartenait à un de ses serviteurs et n’hésitassent pas à le ramener au Temple s'ils le trouvaient. Mais le plus douloureux vint ensuite : il se réveilla un matin, délester de sa virilité, avec pour seul vestige un fin anneau de métal pour éviter que l’urètre ne se bouchât. Quand elle vint le récupérer, sa nouvelle propriétaire se fendit d’ailleurs à ce sujet d’un présent dont, à n’en pas douter, il se serait bien passé : une longue tige de cuivre creuse grâce à laquelle il pourrait continuer d’uriner sans avoir à s’asseoir comme une femme.


« Est-ce vraiment avec ce regard que tu veux m’accueillir pour nos retrouvailles, Hashar ? » lui demanda-t-elle avec bonhomie. Il n’avait pas dit le moindre mot depuis qu’elle lui avait tendu son cadeau ; tout juste l’avait-il fait lentement tourné entre ses doigts. « Tu ne pensais tout de même pas t’en tirer indemne, hum ?


Non pas. » Il riva finalement son regard dans celui de la Doeben et le soutint ; il avait l’air d’un homme qui n’avait plus rien à perdre, ce qui en disait long sur l’importance qu’accordaient les mâles à leurs attributs. Ceci dit, Azza n’était pas sûre de savoir comment elle-même pourrait réagir si elle se réveillait un matin privée de ses organes génitaux. « J’imagine que tu dois être satisfaite.


De mon nouvel esclave boiteux, tu veux dire ? » Elle haussa les épaules. « Tu mettras peut-être quelque temps à t’en rendre compte, mais je t’ai fait une faveur, en réalité. À partir de maintenant, tu es mon ombre. Tu me suivras partout où j’irai, les gens apprendront à te reconnaître et quand ils te verront arriver, ils te traiteront avec autant de déférence que s’ils m’accueillaient moi. » Elle marqua une nouvelle pause, qu’elle mit à profit pour lui caresser sa joue hirsute. « Fais ton deuil, brave guerrier, accepte ce que tu es devenu et nous en sortirons tous deux grandis. »


Dans un sursaut d’orgueil, il cracha à ses pieds. La réaction d’Azza ne se fit pas attendre, elle le gifla. Là où ça faisait le plus mal : sur sa joue encore rouge. Ils se lancèrent de longs regards de défis, jusqu’à ce qu’il cédât enfin. Ignorant les gémissements silencieux de son corps, il se plaça dans le dos de la prêtresse.


Tandis qu’elle parcourait les rues crasses de Sol’Dorn, Azza se fit la réflexion qu’Hashar était, finalement, le premier esclave qu’elle possédât vraiment. Le domaine de son père en regorgeait, mais ce n’était pas pareil ; même Sinbad, le sang-mêlé taledhel, ne lui avait jamais appartenu. Elle l’avait côtoyé pendant près de trois décennies, il avait joué un rôle majeur dans son éducation, mais dès que Khatib s’en était lassé, il l’avait revendu. « J’imagine que tu n’es pas encore prêt pour une petite chevauchée en direction de Chaszmyr ? lui demanda-t-elle innocemment.


Si ma Maîtresse a une nouvelle fois changé d’avis et veut à nouveau ma mort, nous devrions partir dès à présent, » répondit-il, caustique.


Azza leva les yeux au ciel, mais n’ajouta rien de plus. Elle marcha encore quelques pas avant de s’arrêter, abasourdie : l’enfant était là, à quelques mètres d’elle à peine, à demi-cachée dans une ruelle adjacente. Seul son visage si particulier dépassait et elles s’échangèrent un long regard. Finalement, la fillette esquissa un léger sourire qui donna à la Doeben l’impression d’être une gamine capricieuse quand elle posa ses prunelles irisées sur sa nouvelle acquisition.


« Azza ? » l’interpella Hashar, oubliant un instant son ressenti.


Comme lors de leur précédente rencontre, l’enfant profita de l’occasion pour filer.



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