[Etat-major]La Bête aux Vingt Yeux | Voronwë & Ëninríl [Terminé]

Cycle 11, An 8, Bàrkios, Cinquième ennéade
Alentours d'Eraison

Le campement de la Baar'Ane était tout ce qu'on pouvait imaginer d'un camp de Noss. Quelques arbres typiques de la région se entouraient la clairière, une marre se trouvait non loin et un ruisseau coulait allégrement jusqu'à celle-ci. A l'opposé du druide s'élevait un amas rocheux qui protégeait l'emplacement d'une attaque à revers. Des herbes folles et autres graminées couraient partout dans la clairière.

Ëninríl pénétra dans la trouée de forêt. A peine eut-il fait un pas que deux guerriers de la Baar'Ane lui tombait dessus? Il eut à peine le temps d'adopter une position défensive que ceux-ci firent mine de l'attraper. Le druide leva la main d'un geste que l'on pouvais interpréter en langage corporel par "Je viens en paix".

"_ Je suis Ëninríl Il'Dolwen, druide de la Prime Forêt. Je viens en paix rencontrer votre Gardien Voronwë."

Convaincus pas ses arguments, entrainés par leur intuition, respectueux ou apeurés par son statut _ Ëninríl ne le sut pas _ les deux guerriers reculèrent d'un pas pour le laisser entrer. Toutefois, lorsque l'Ornedhel s'avança dans la clairière, aucun des deux ne le lâcha. Le druide s'étonna intérieurement de l'absence d'ellfe ici, avant de les deviner dans les feuillages alentours. Les autres devaient sans doute être partis à la chasse ou la cueillette. Comme le Gardien ne se présentait pas et que les deux membres de la Baar'Ane ne semblaient pas vouloir l’empêcher d'avancer, le jeune druide s'aventura jusqu'au bout de la trouée. Il s’arrêta lorsqu'il arriva au pied d'une large stèle sur laquelle on pouvait admirer un dessin.

Lorsqu'il vit la peinture, le druide ressentit encore l'étrange douleur dans sa poitrine de la réunion des elfes. Il se retourna, pensant apercevoir Voronwë, mais il ne vit personne d'autre que ses deux gardes. Il reporta alors son attention sur l'étrange dessin qui ne faisait encore aucun sens. Sans savoir pourquoi il ne pouvait en détacher les yeux...

Le silence n'existait pas dans la Forêt Primordiale... N'avait droit à la réalité que le bruit léger du vent dans les branches, des petits rongeurs et insectes se battant pour survivre un jour de plus, la beauté de la nature dans toute sa splendeur.

Puis il y avait ce chant, admirable, inouï, dont la grâce ne pouvait être égalée par une voix animale. Un mélange savant de paix, de crainte, de curiosité, d'amusement parfois, un fond sonore constamment changeant, jamais fixé, selon l'endroit et le moment. Pour les plus sensibles, la sensation était enivrante! On aurait voulu courir, danser, jouer avec ces voix chaudes et accueillantes, flirter avec les nymphes et les dryades qui se cachaient, en étions-nous sûrs, derrière! La splendeur de la Symphonie résonnait aux oreilles de qui l'entendait et chacun pouvait lire son âme et ses actes décryptés par les plus anciens habitants dAnaëh: les arbres.

Aujourd'hui c'était la curiosité qui l'emportait, ainsi qu'une pointe de mépris, venue de l'habitation relativement sauvage des citoyens dans leur grand camp. Bien que soucieux de la nature, ils n'avait pas eu d'autres choix que des couper quelques membres de la sylve, fâchant la congrégation spirituelle... Tout cela, Voronwë l'entendait, le devinait, le savait.
Pourtant, quand lui posait sa main sur un tronc, une brindille, l'écorce en somme... L'arbre pleurait. Au début, le Gardien s'était persuadé que ces êtres végétaux lui faisaient savoir leur peur de la créature qui l'habitait, de ce monstre devant lequel même les plus puissants Ëalas reculeraient... Mais finalement, c'est en caressant une rose un jour, qu'il eut la réponse.

En la voyant s'épanouir devant lui, recueillant son souffle, ses larmes, s'exposant à cœur ouvert à cet elfe guerrier et sanguinaire, il avait compris... Les Anciens Esprits ne pleuraient pas de crainte, ils pleuraient de compassion, devant le fardeau qui était le sien.

Dans sa cabane aménagée de roches et de branches ramassées, Voronwë ouvrit les yeux. Souriant pour une fois, heureux. Le Baar'Ane se taisait depuis plus d'une journée, c'était un miracle dont il n'était pas peu heureux. Ces aménagements pour faire taire ses pulsions meurtrières avaient portées leurs fruits, il le laisserait tranquille tant qu'il ne l'appellerait pas...
Un guerrier de la Noss se présenta à la porte de l'endroit, à genoux comme le voulait la coutume. D'une voix blanche, il prononça qu'un druide était rentré dans le camp, les gardes n'avaient pas osés le repousser. Il s'était avancé jusqu'à la fresque puis s'était arrêté, dubitatif, d'un air mi-inquiet mi-douloureux, devant. Le chef de guerre grimaça.

-"Il est vrai que le dessin a de quoi déranger... Je vais aller lui parler."

La pièce d'art qui recouvrait la stèle était à la fois imposante et inquiétante. Dessinée avec le sang du conseiller d'Eraïson, dont le cadavre vidé devait pourrir quelque part, elle consistait en un gros corps faisant penser à un dragon surmonté de dix longs coups ophidiens surmontés par une tête semblant un mélange de serpent et d'une créature monstrueuse sortie tout droit des rêves tourmentés d'un artiste fou. Les elfes avaient poussés le détail jusqu'à dessiner à l'aider de plantes jaunes les yeux brillants de la créature, fendus par des pupilles noires et droites, verticalement.
Devant, paralysé par un sentiment étrange, le druide l'attendait, les yeux rivés sur la fresque. Voronwë s'approcha discrètement jusqu'à se placer à côté de lui, se contentant de lâcher avec un sourire non-feint:

-"Belle création n'est-ce pas? Elle impressionne toujours, nous la redessinons à chaque camp. C'est un honneur rare que de la contempler, presque aucun étranger ne le peut normalement."

Il rit un peu, fier de lui et se retourna vers son invité.

-"Je crois vous avoir déjà vu au conseil mais je ne me souviens plus de votre nom. Au cas-où laissez-moi vous rappeler le mien: Voronwë, le chef de guerre de la Noss du Baar'Ane. Qu'est-ce qui vous amène par chez nous?"

La petite voix de la créature susnommée, sans doute réveillée par l'agitation aussi nouvelle que soudaine, se fendit d'un commentaire:

-"Il te manque du sang pour terminer le dessin, Voronwë. Le sien fera l'affaire, ne t'inquiète pas."

Seul le silence et un tressaillement du druide répondirent à l'arrivée du Gardien. Le Mal Insidieux qui habitait Voronwë semblait vouloir s'en prendre à Ëninríl. Il adressa une prière à tous les Ëalas et Kÿria pour lui donner la force nécessaire de Le repousser. Peu à peu, la douleur sourde sa tarissait puis disparut, et l'Ornedhel put reprendre un esprit clair et lucide. Il avait maintenant comprit ce que représentait cette fresque, que personne n'était censée voir. Il avait compris de quoi était-elle faite. Il avait compris que si Voronwë cédait aux attentes du Mal Insidieux qui le poussait sans doute au meurtre, il n'aurait pas d'autre chance que celle de finir lui aussi à sublimer cette fresque de son sang.

"_ Je crois vous avoir déjà vu au conseil mais je ne me souviens plus de votre nom. Au cas-où laissez-moi vous rappeler le mien: Voronwë, le chef de guerre de la Noss du Baar'Ane. Qu'est-ce qui vous amène par chez nous ?
_ Qui êtes-vous réellement, Gardien ?", s'entendit-il murmurer.

Pendant ce temps, tous ses sens étaient à l’affut. Il repaira non loin un arbre mort près à tomber qu'une simple impulsion magique céderai ses résistances, ainsi qu'un nid d'abeilles qui se plierait à ses demandes si il les formulaient. Malgré tout, la fresque le captivait toujours autant. Il détaillait le corps de cette immense bête aux contours un peu flous, ses tentacules qui s'enroulaient et débouchaient sur de grandes têtes aux yeux globuleux. En son for intérieur, le druide ressentait un mélange de fascination, de crainte, et de douleur. Comment avait-il put proposer puis défendre cet elfe aux entrailles monstrueuses pour qu'il prenne la direction de plusieurs centaines d'Ornedhels, tout en sachant très bien qu'un mal l'habitait. Le courage et la force ne le manquerait pas pour endosser ce rôle, si il en était ainsi, mais son penchant maléfique ne le pousserai-t-il pas aux pires erreurs, aux pires vices, aux pires atrocités ?

Le vent soufflait entre les branches des arbres alentours, occupant le silence dans lequel s'étaient plongés les deux elfes des bois. Les herbes folles et les fougèrent bruissaient, les feuilles s'agitaient. Ëninríl, toujours occupé à regarder la morbide peinture, ne le brisa pas, se contentant d'attendre la réponse de son interlocuteur.

HRP:

La brise avait amenée le murmure aux oreilles pointues du Gardien, qui regardait l'augure mystique devant lui comme si une insulte avait été proférée. Le druide avait refusé de lui répondre, de lui donner son nom, un oubli sonnant comme une insulte, une menace subtile à l'honneur de Voronwë. Le guerrier serra les poings, blessé dans sa fierté. Jamais on ne lui avait refusé une information aussi simple, jamais sans qu'il ne puisse ensuite punir l'impudent par une sentence exemplaire.

L'envie de serrer le cou de ce petit-être entre ses doigts envahit le chef. Le désir ardent de consumer la vie grimpa dans ses veines, traversant son cœur d'une traite, remontant à ses yeux dont il eut l'impression qu'ils se rendirent à nouveau de cette couleur jaune qui rappelait tant les désastres du passé.

-"Enfin quelqu'un qui te pose la bonne question... Qui es-tu réellement? "

L'ivresse sanguinaire lui montait à la tête, comme rarement elle l'avait fait... Pourquoi résister? L'Hydre devenait plus puissante chaque jour que les drows avançaient, bientôt ils auraient suffisamment blessée Anaëh la Primordiale pour lui permettre de se libérer de ses chaînes... Une arme au service de l'Enfermé, voilà ce qu'il était...

-"Je suis..."

-"Dis mon nom, Voronwë."

Il s'arrêta, la bouche ouverte, sur un arbre à l'arrière-plan, par un miracle dont la forêt possédait le secret... Une rose s'était perchée à une branche, à hauteur d'elfe, à sa taille. Le roncier avait grimpé le long du tronc, vainquant les lois de la nature et des Dieux pour accomplir un exploit. L'Elfe Rouge observa ce petit être inerte, immobile, mais qui semblait tant vouloir parler, lui transmettre quelque chose... Son rouge vif rappelait le sang versé pour les causes justes et celui qui coulerait encore pour la victoire finale. Son rôle à lui était d'apporter aux Noss la salvation, pas l'anéantissement... Il devait être un geôlier...

-"Je suis..."

-"Dis mon nom, Voronwë."

Un cri d'oiseau le fit se retourner. En haut, sur la stèle grandiose, peinte de ce vermeil âcre et à l'odeur cuivrée, un vautour étendait son ombre funeste. Etrange volatile, étrange endroit, étrange moment. Normalement ce genre de créatures vivaient plus à l'Est, loin, dans des contrées où la désolation règne et où ils peuvent se nourrir en abondance. Quel massacre son peuple à plumes noires et blanches sentait-il pour ainsi venir envahir ces terres?
Le Gardien descendit son regard sur la stèle, sur le dessin qui désirait embrasser des yeux et des crocs l'assistance.

-"Je suis..."

-"Dis mon nom."

La vérité était là, l'oiseau lui indiquait...

-"Je suis..."

-"Sois mon âme damnée."

Ce qu'il avait toujours juré de faire, son devoir...

-"Je suis..."

-"Proclame ma gloire."

Son ultime devoir, celui de sceller à jamais... Il devait garder, il était...

-"Je suis un tombeau."

-"Je te dévorerai, Voronwë."

Alors, pour la première fois depuis fort longtemps, il sourit franchement.

La pression qu'exerçait le mal dans Voronwë sur l'esprit du druide s'accentua. Il lui semblait que cette entité voulait déchirer son lie entre lui et Anaëh mais que la Prime Forêt, avec son pouvoir catalysé avec la magie du druide, lui résistait. Même les traits d'Ëninríl étaient déformés par ce combat qui éclatait en lui, en Voronwë, partout autour d'eux. Il ne savait rien de l'entité qui habitait le Gardien, simplement qu'elle était en lui et voulait du mal à la Grande Œuvre.

"_ Je suis..."

Voronwë semblait hésiter, mais l'Ornedhel n'y prêtait qu'à peine attention. La fresque l'obnubilait toujours, et semblait raffermir son emprise sur lui à chaque seconde. A chaque seconde il devait fournir un effort supplémentaire pour ne pas succomber. Mais Kÿria lui donnerait la puissance de résister, il en était convaincu.

"_ Je suis..."

Qu'attendait le Gardien de la Baar'Ane ? Etait-ce si difficile de répondre à une question si anodine ? Oui, semblait-il en toute logique. Peut-être que sa personne rationnelle combattait elle aussi pour sa survie dans le même corps que l'entité destructrice. Si c'était le cas, alors cet elfe était immensément courageux, méritant et au combien ses efforts étaient méritables.

"_ Je suis..."

Avec un dernier effort de volonté, le druide réussir à se détourner de la fresque, ce geste accompagné d'un discret grognement de douleur. Il fixa l'Ornedhel dans les yeux, attendant sa réponse. C'était à lui de faire ce pas, franchir le cap de résister à la Bête.

"_ Je suis... Je suis...
Je suis un tombeau."

La surprise se peint sur le visage d'Ëninríl, tandis qu'un sourire sincère illuminait celui de son interlocuteur. La pression devint moins forte et se réduisit à sa plus simple expression, permettant au druide de respirer. Il répondit après quelques secondes :

"_ Je sens cette... Chose qui est en vous, Gardien. Je l'avais senti au conseil mais elle se fait de plus en plus forte ici. Ma question était celle-ci : qui est-elle ? au fond de vous à sommeiller ? Je vous ai proposé pour diriger un corps d'armée Noss composé de plusieurs centaines de guerriers Ornedhel, en serait vous capable avec Ca ? dit-il en pointant du doigt la poitrine de Voronwë. Je pense que vous avais la force pour. A présent, montrez-le moi, je vous en prie."

De simple "invité", il s'était voulu maître de la conversation. Cela ne plairait pas au Gardien le devinait-il, mais cette dose d'humilité ne serait pas de trop. Empli de confiance en lui, il releva la tête et se redressa. Les ennemis de la Forêt étaient ses ennemis, et ils ne vaincraient pas, il en faisait la promesse solennelle.

HRP:

La créature s'était tût, vexée, offensée, outrée et avide d'une vengeance si sanglante qu'elle en ferait trembler les dieux. Voronwë, sur sa Basse-Terre, reprenait difficilement son souffle, conscient qu'il venait à nouveau de se faire un grand ennemi. La Symphonie ne vacilla pas, toujours ce même son à la fois curieux, craintif et triste. Ses hommes l'entendaient tel quel, toujours aussi surpris quand ils sortaient de l'influence des statues du Baar'Ane, quand Anaëh redevenait calme et tendre.

Tendre... Ce mot avait-il encore une signification aux oreilles du Gardien? Lui qui avait tant subit la pression cruelle de la monstruosité qui multipliait les intrusions en son esprit? Plaçant au sein même de l'Être des intentions si belliqueuses et sanguinaires que Calimenthar lui-même aurait rechigné à les accomplir? Et ce druide qui prenait ses grands airs sans même comprendre ce qu'il comptait affronter...

-"Ah... Ce qu'il est? Notre fin à tous, la dernière volonté d'Anaëh pour se débarrasser de la tumeur que nous sommes pour elle... C'est le Baar'Ane, et rien ne peut s'opposer à lui..."

Parcouru de tremblements, il se tourna vers la fresque rouge, captivé par la beauté cruelle des traits sanguins descendants du ciel au sol. Sa voix était comme cassée par un immense chagrin.

-"Ils ont déjà essayé, vous savez? Il y a cinq cycles, nos ancêtres se sont levés contre lui, ils ont tentés de l'anéantir... Mais rien ne pouvait en venir à bout, ni le feu, ni la magie, ni l'acier. Ils ont subis d'énorme pertes, ont vus dévorés ou écrasés d'innombrables héros avant de parvenir avec l'aide des Ëalas à le pétrifier... Mais son cœur continue de battre. Chaque seconde nous pouvons l'entendre pulser à travers ses écailles, nous narguant pour notre échec... Je suis son Gardien, je dois m'assurer qu'il ne sorte jamais..."

Comme s'il réalisait enfin ce qu'il venait de dire, ses yeux se tournèrent vers le druide, pris d'une intense colère.

-"Nul ne doit être mis au courant en dehors de ce camp! Cette chose est un monstre et il souhaite plus que tout la vengeance. Les hydres ne sont pas des créatures à prendre à la légère et lui était peut-être la plus puissante d'entre-elles! Et il sort peu à peu de sa léthargie grâce aux attaques des drows qui blessent Anaëh... Il faut arrêter les sombres, vous comprenez?

IL LE FAUT."

"Ah... Ce qu'il est ? Notre fin à tous, la dernière volonté d'Anaëh pour se débarrasser de la tumeur que nous sommes pour elle... C'est le Baar'Ane, et rien ne peut s'opposer à lui... Ils ont déjà essayé, vous savez? Il y a cinq cycles, nos ancêtres se sont levés contre lui, ils ont tentés de l'anéantir... Mais rien ne pouvait en venir à bout, ni le feu, ni la magie, ni l'acier. Ils ont subis d'énorme pertes, ont vus dévorés ou écrasés d'innombrables héros avant de parvenir avec l'aide des Ëalas à le pétrifier... Mais son cœur continue de battre. Chaque seconde nous pouvons l'entendre pulser à travers ses écailles, nous narguant pour notre échec... Je suis son Gardien, je dois m'assurer qu'il ne sorte jamais..."

Le corps de Voronwë était agité de tremblement, son regard était fébrile, sa voix était cassée, comme brisée par le fardeau qu'il portait. Ëninríl se maudit de son manque de discernement : certes il avait pensé dès le début que le Baar'Ane, comme l'appelaient ceux de la Noss du même nom, était opposé à son Gardien, mais il n'avait pas fait le lien entre lui et un gardiennage de cette créature. Il était comme un Protecteur d'Anaëh, contenant la fureur de cette hydre qui ne craignez pas les Ëalas.

"Nul ne doit être mis au courant en dehors de ce camp ! Cette chose est un monstre et il souhaite plus que tout la vengeance. Les hydres ne sont pas des créatures à prendre à la légère et lui était peut-être la plus puissante d'entre-elles! Et il sort peu à peu de sa léthargie grâce aux attaques des drows qui blessent Anaëh... Il faut arrêter les sombres, vous comprenez ? IL LE FAUT."

Quand Voronwë se tourna vers le druide, prit d'une colère aussi vive que soudaine, celui-ci prit peur et manqua de mettre à éxecution les plans de défenses qu'il avait mis au point silencieusement, mais il se retint à temps. Il entreprit plutôt de calmer son interlocuteur.

"_ Voronwë, je peux vous assurer qu'un fois sorti de ce campement, je serai moi-même un tombeau. Mais je ne peux laisser cette créature vous hanter sachant que son seul but est de détruire la Prime Forêt. Si il faut appeler la Gardienne de Kÿria en personne et le Panthéon des Ëalas au grand complet, je le ferai si cela empêche une destruction ne serait-ce que d'une toise sur une toise de surface !"

Une grande frayeur se lisait sur les traits du druide, qui gardait cependant la maîtrise de soi. Il s'obligea à se calmer, en faisant appel à la bonté de la Déesse, pour ne pas succomber à la pression de la Créature. Elle se nourissait sans doute de la terreur qu'elle provoquait, et Ëninríl ne voulait pas lui donner un tel avantage.

"_ Revenons sur un terrain disons plus... calme. Qu'avez vous pensé de l'accueil qu'on nous a fait lors du conseil ? Les elfes de pierre ont bien spéculé sur nous, mais je pense qu'une collaboration est possible... Nous en avons parlé après votre départ de ce corps d'armée composé d'Ornedhels exclusivement, avec une liaison étroite avec l'Armée Royale... Quelques pistes de plans d'attaques ont été proposé, dont celui de nous faire attaquer par derrière, le plus discrètement possible afin de prendre les Sombres à revers. Cela reste bien sur sous réserve de notre acceptation. Je vous ai proposé comme chef de cette armée, qui serait composé de plus d'un milliers de guerriers de Noss différentes, en comptant la vôtre. Ce n'est pas rien et cela vous ajouterai une lourde responsabilité, que vous pourrez déléguer à ceux que vous penserez capables."

Le héraut d'Anaëh désigna d'un signe de tête les traqueurs resté à l'arrière dans la clairière. Il serez de très bon guerriers à n'en pas douter.

Les yeux exorbités par la détresse et la peur, le Gardien se laissa tomber dans l'herbe, observant le ciel à travers les branches. C'était sa forêt, sa maison. Jamais il ne l'avait quitté et partout la beauté sylvestre se faisait présente, ne tarissant jamais de merveilles végétales et d'animaux fantastiques. Tout y avait une place, tout était régit par un ordre. La chaîne alimentaire, la chaîne végétale, la chaîne minérale... Quelle était la place des elfes dans tout cela.
Avec difficulté, le guerrier se releva, moins vif qu'avant, plus fatigué.

-"Le Baar'Ane est plus complexe qu'un simple chien errant prêt à mordre les passants, je le crains. Il se pense le Gardien de Kyria lui-même, accomplir Sa volonté..."

D'une main il caressa la pierre peinte, grattant au passage le fluide carmin. Quelle était cette couleur si chatoyante qui tranchait avec le vert et le brun? Cette stèle toute entière était une provocation à l'Anaëh, par ses intentions, ses teintes et ses odeurs. Quel meilleur cadeau à une monstruosité destructrice qu'un pied-de-nez à la barbe de la déesse de la Nature?

-"Je ne le pense pas, Voronwë. C'est le cas."

Avec une quasi-tendresse il huma le parfum cuivré s'échappant des pores du monument. Une affection étrange lui monta à la tête, comme si la créature, à travers lui, savourait l'instant. Etonnante sensation que de ressentir le plaisir via une hydre faite pour détruire... Cette idée lui fit serrer les poings.

-"J'en serai capable. Je suis né pour ça: me battre, diriger, vaincre. Et j'ai la sensation qu'Il me laissera faire..."

Etrangement, pour le guerrier qui voulait paraitre si fort, Voronwë se laissa tomber dans l'herbe fraiche qui caressait le bas des mollets du druide, à peine protégées par de fines sandales de cuir. Puis, ayant contemplé la magnificence de la Création de Kÿria, il se releva, presque avec lassitude. L'Hydre en lui s'était calmée, il pouvait donc plus ou moins la contrôler, ou alors elle-même s'était résigné. Quoi qu'il en soit les explications du druide sur son "prisonnier" ne le satisfit pas. Comme une bête voulant détruire les elfes pouvait se prétendre Gardien de la Déesse elle-même ? Paradoxal. Pourtant, Ëninríl tut sa curiosité naturelle et ne pipa mot, hochant simplement la tête d'un air pensif.

Tout deux se tournèrent simultanément vers la stèle, et pensèrent sans le savoir à la même chose : ce que représentait cette monstruosité dans le cadre idyllique d'Anaëh. CE qui fit germer une idée dans l'esprit du druide, qui ne plairait pas à Voronwë. Même si il le faisait en partie pour lui...

J'en serai capable. Je suis né pour ça: me battre, diriger, vaincre. Et j'ai la sensation qu'Il me laissera faire...
_ Si vous le dites, j'en suis convaincu. Quoi qu'il en soit, merci de votre entrevue, et que la Grâce de Kÿria vous accompagne. Et pas une autre, ajouta-t-il dans un murmure.

Sur ces mots, le héraut d'Anaëh bondit sur une branche basse d'un jeune charme et disparu derrière les feuillages, après un dernier regard sur Voronwë. Quelques secondes plus tard, les Orndhels du camp purent entendre un lourd craquement. Un arbre fraichement mort certainement foudroyé par quelques orage, tomba au dessus de la stèle. Lorsque celui-ci rencontra la pierre plate, son poids vainquit la dureté de la pierre et celle-ci se brisa en quatre morceaux, sur lesquels on pouvait voir une peinture méconnaissable, qui inspirait, sans qu'on sache pourquoi, un sentiment de gène profond.

Ëninríl, pas étranger à cette affaire, s'éloigna du camp lestement. Il tenait à mettre de la distance entre lui et la Bête. Depuis son entrée quelques minutes plus tôt il semblait avoir vieilli de cinq ans.

Spoiler:

C'était terminé, enfin. Le druide avait fui, sa curiosité satisfaite et ses nerfs à bouts, loin de l'antre de la Bête - loin de ses serviteurs. Précaution bien sûre pour un éveillé à la magie, consumé par la rage sanglante qui berçait les lieux, rompant le moral des ennemis de la Noss et transformant même le plus humble soldat en une terrible brute. Seulement il avait commis une grave erreur, très ennuyeuse et très handicapante: il avait brisé la stèle.

Les poings de Voronwë se serrèrent alors que ses dents s'entrechoquaient. Ce gamin prenait-il les sylvains pour des arriérés incapables de voir quand la magie transgressait agissait, transgressant toutes les règles naturelles? Il s'était pensé plus malin, plus en sécurité, en s'éloignant avant de lancer son sortilège infâme sur cet arbre...
Et puis, que dire de la Symphonie qui hurlait sa colère devant la chute imprévue d'un congénère végétal, même récemment décédé? Trop de coïncidences pour que cela ne soit pas dû à une intervention extérieure. Lâchant un sourire de dépit, le maître combattant ordonna à quelques elfes de dégager les décombres et de trouver un nouveau panneau pour y accueillir la fresque.

-"Je suis insulté, Voronwë. Laisseras-tu cet affront impuni?"

Le sept-centenaire ne répondit pas, se contentant de ramasser un petit bloc détaché du reste. Il tenait dans sa paume, cet œil jaune et noir, que les rayons du soleil semblaient faire bouger. Le motif suivait son spectateur sans jamais détacher sa pupille noire de son visage, comme un serpent prêt à dévorer le lapin tétanisé...

Dans un dernier cri de dépit, le Gardien lança la pierre droit devant lui, vers la rose qui pour lui avait éclose. La plante se broya sous le choc et ses pétales retombèrent sur le sol terreux avec une lenteur infini, une délicatesse funeste qui semblait accompagner une profonde tristesse.
Laissant là ces remords et la Symphonie larmoyante, Voronwë s'en retourna à sa mare fidèle. L'eau claire ne refléta pas son reflet, comme d'habitude, seulement le cou serpentin et une figure ophidienne qui formaient une des têtes de l'Hydre.

-"Ne parle pas."

La créature afficha une moue étonnée, peu habituée à ce que son Gardien lui parle sur un ton si dur, si froid, si détaché. A l'inverse, habituellement ses passions le menaient, lui faisant accepter sa présence... Sur le moment pourtant, l'elfe semblait triste, si triste... Etait-ce l'acte de destruction de la fleur qui lui avait fait cet effet? Comme si sa puissance l'avait abandonnée quand le premier pétale avait rejoins la boue de l'Anaëh.

-"Voronwë, pourquoi ne résistes-tu pas à cette simple plainte de la Symphonie? Tu es fort pourtant, tu le sais. Tu aurais pu même me chasser de ton esprit si tu l'avais désiré, le savais-tu?"

-"Oui, je le savais..."

La voie blanche qui traversa ses lèvres aurait pu sortir d'une tombe qu'elle n'aurait pas été plus misérable, plus profonde, plus sinistre. Le monstre marqua un arrêt d'étonnement.

-"Alors, pourquoi ne l'as-tu pas fait?"

-"Tu n'as toujours pas compris, Baar'Ane?"

Il approcha son visage de l'eau, un extérieur aurait eu l'impression qu'il souhaitait embrasser son reflet, narcissique qu'il était.

-"Parce que tu es le seul qui m'accompagneras jusqu'à la mort... Le seul qui restera à mes côtés même dans mon dernier combat... Le seul qu'au bout du compte je pourrai toujours appeler: "mon ami"..."

Pour la première fois depuis plusieurs millénaires, le monstre cilla.

-"Vengeons-nous."

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