Le calme avant la tempête [Libre]

Les épaisses frondaisons de l’Anaëh se dressaient fièrement vers le ciel, telles les voutes des cathédrales, au point que les rayons solaires atteignaient par moments difficilement le sol mousseux. Nul ne pouvait nier une beauté majestueuse à l’endroit, bien qu’il faille soi-même se trouver en lien avec la Nature pour en profiter pleinement. Près d’un talus, un lapin sortait d’une garenne et se frottait vigoureusement le museau, signe pour ses congénères que la voie était libre. Plus loin, une femelle blaireau prête à mettre bas regagnait sa tanière d’un pas pesant, non sans veiller à en camoufler l’entrée. Plus haut dans les branchages, diverses espèces d’oiseaux pépiaient joyeusement, célébrant le début d’une belle journée.

Le calme de la forêt fut soudain troublé par des cris de rage braillés en langue drow :

Saleté de forêt de merde ! Saleté de gadoue de merde ! Saleté de ronces de merde !

Quittons les mignons petits animaux qui peuplent ces sous-bois et approchons nous de la source des cris. Un drow, impeccablement vêtu, se débattait contre un buisson de ronce dans lequel s’était fourvoyé le bas de sa cape. Un observateur attentif aurait remarqué d’autres déchirures ainsi que des traces de terre humide sur son pantalon et ses bottes. Sans aucun doute ses vêtements auraient-ils fait fureur à Thaar, coupés qu’ils étaient à la dernière mode en vigueur, mais pour l’instant ils ressemblaient plutôt à un « accoutrement du gars de la ville qui y connait rien à la forêt ».

Haldren, puisque c’est de lui qu’il s’agissait, arracha violemment sa cape de l’emprise des ronces, non sans y abandonner quelques lambeaux de tissus. Dire qu’il se sentait de mauvaise humeur aurait constitué l’euphémisme du siècle. Plus habitué aux rues des villes qu’au charme campagnard, il peinait depuis des heures dans la forêt, cherchant à atteindre Eraïson avant la nuit. Jusque là, il avait réussi à tomber dans un ruisseau glacé, à déraper sur une flaque de boue, à s’écorcher un peu partout et à se flanquer la colique en abusant des baies qui fourmillaient le long du petit sentier. Rarement dans ses longs siècles d’existence il ne s’était senti aussi… citadin. Son sortilège de bouclier, qu’il tenait activé par sécurité, le protégerait d’éventuelles attaques de patrouilles elfes, mais pas de ces désagréments liés à un environnement hostile.

Sans doute me demanderez-vous pourquoi diable notre héros sans peur mais plein de reproches n’utilise-t-il pas sa magie pour se téléporter directement à Eraïson, si telle est sa destination ? Pourquoi donc vadrouiller dans l’Anaëh, lui qui s’y sent si peu à l’aise ? La réponse tenait en deux mots : pièges magiques. Même à distance, il pouvait sentir la présence de sortilèges létaux près de la cité, près à déchiqueter tout imprudent qui s’approcherait sans prendre de précautions. Or l’un des principaux problèmes des téléportations dans les Ombres venait des quelques dixièmes de seconde de trouble qui suivaient la fin du sortilège. Quelques dixièmes de secondes qui risquaient d’être fatales si son portail s’ouvrait en plein sur un piège.

Voilà pourquoi le drow s’était téléporté à une petite lieue de la cité et finissait le chemin à pied, avec la grâce d’un éléphant dans un magasin de porcelaine et la patience d’un vieux rhinocéros sous mauvais acide. Appuyé sur son bâton, une arme antique volée dans les ruines de Kirgan mais dont la magie runique lui demeurait un mystère, il progressait trop lentement à son gout. Il se sentait d’autant plus furieux que son chat, qu’il ne quittait plus guère, semblait se trouver pleinement à l’aise en milieu forestier et se faufilait aisément entre les futaies. Par moments, l’archimage aurait même juré que le félin lui jetait des regards narquois, comble de l’insolence ! Méditant des projets de voyages aériens auquel se mêlaient des fantasmes de destruction par le feu de toutes les forêts du monde, Haldren continuait péniblement son chemin.

Alors qu'il avançait silencieusement à travers la végétation, Artaën demeurait pensif. La guerre semblait toujours aussi proche et les patrouilles devenaient chaque fois plus stressantes. Il craignait de devoir un jour faire face à un de ces énormes convois de soldats drows tous aussi effrayants les uns que les autres. Pourtant, malgré son inquiétude, il ne laissait strictement rien paraître. Il s'efforçait de garder le sang froid et de marcher en restant sur ses gardes.

Quelques mètres derrière lui, Edrÿn s'efforçait de progresser d'un pas léger. L'arc prêt à servir, il guettait le moindre coin d'ombre et tendait l'oreille pour surveiller leurs arrières. En temps de paix, les patrouilles étaient tellement calmes et monotones, qu'Edrÿn s'arrangeait pour toujours avoir quelque chose à raconter. Mais depuis ces quelques années, et aussi proches d'Eraïson, les deux éclaireurs ne pouvaient se permettre d'adopter un comportement aussi insouciant. Alors ils restaient à l'affut du moindre petit détail qui trahirait leur ennemi. La tension en était même palpable et le silence de plomb qui en résultait leur pesait lourdement.

Un craquement léger venant des fourrés les fit sursauter. Edrÿn décocha sa flèche dans le buisson épais avant même qu'Artaën n'eut le temps de dégainer sa dague. Après un bref sifflement, les broussailles ne bougeaient plus. D'un signe de main et en tirant ses deux dagues en silence, Artaën signifia à son partenaire qu'il le couvrait pour qu'il puisse aller voir de quoi il s'agissait. Edrÿn s'approcha lentement en remettant une flèche à son arc, puis fouilla du pied l'arbuste épineux. Il pouvait y deviner de longues pattes et un petit abdomen, dont le reste était plongé dans la pénombre. Alors, avec précaution, il remit son arc à son dos, écarta le branchage et saisit l'animal par les oreilles. L'éclaireur considéra le lièvre un instant et sortit un lacet de sa petite besace en se disant que quitte à le laisser au vautour il valait mieux en faire un bon repas. Il l'attacha prestement à sa ceinture et reprenant son arc en main, il indiqua qu'ils pouvaient reprendre leur trajet. Mais au lieu de simplement reprendre leur route sous le règne du silence de mort dont ils avaient l'habitude, un étrange cri les alerta. Il ne s'agissait pas d'une quelconque langue elfique crachée par colère, mais bel et bien quelque chose qui leur était étranger.

Instinctivement, Artaën pointa du doigt les frondaisons de la prime forêt et jetant un regard à Edrÿn. Ce dernier lui signifia en un hochement de tête qu'il avait compris et se mit à grimper agilement à un gros arbre pour prendre de la hauteur. S'ils avaient réussi à l'entendre de là où ils étaient, c'était qu'il ne devait pas être bien loin. Ce que l'archer confirma en lui décrivant grâce à un langage silencieux ce qu'il voyait. Un drow solitaire et désarmé luttant avec acharnement pour conserver ses vêtements mi-impeccables mi-déchirés.
Alors, doucement, l'épéiste contourna de petits bosquets de larges buissons et s'accroupi dans des fourrés denses. Sans même qu'ils n'eurent à communiquer, ils lancèrent l'offensive. Un simple drow ne constituait pas un cas qui donnait à réfléchir. Leurs ordres étaient clairs: abattre tout ennemi dans la mesure du possible. Et cette opération ils l'avaient répétée bien des fois. Alors il n'y avait aucune raison qu'ils soient effrayés par un drow errant.
Edrÿn décocha simultanément deux flèches sur l'étranger en ayant la présence d'esprit de sauter tout de suite après. Et alors que les deux projectiles approchaient rapidement de leur cible, Artaën surgit des buissons, son épée à la main, et s'élança vers le sombre. Mais au lieu de simplement le transpercer et mettre fin à leur affrontement, les flèches se désintégrèrent tout bonnement et son épée ricocha sur un arc d'étincelles. De la magie. Il aurait dû se douter que personne ne pouvait être inconscient à ce point. Alors, l'éclaireur se rétablit adroitement et fit face à l'intrus.

- Tu m'as surpris, mage drow, mais il est préférable que tu te rendes et que tu viennes avec nous, lui dit-il avec tact. Je ne suis pas seul, et même si tu arrivais à t'enfuir, tu ne t'en sortirais pas indemne.

Un simple drow, seul et désarmé. Sa magie pouvait être puissante, mais avec Edrÿn caché dans les fourrés, ils avaient l'avantage. Artaën n'en était que plus confiant.

S’il avait fallu reconnaître une qualité aux assaillants, sans aucun doute Haldren aurait-il choisi la discrétion. Dire qu’il fut surpris par les tirs de flèches constituait un doux euphémisme, car il ne comprit d’ailleurs pas instantanément ce qui lui arrivait lorsque le double impact le fit quelque peu vaciller sur ses jambes. Pas de doute, notre ami à la peau ténébreuse avait eu le nez creux en maintenant actif son bouclier d’énergie, ce que la charge du second elfe lui confirma. Au lieu de trancher la chair tendre du cou, la lame ricocha sur le sortilège dans un grincement assez odieux à l’oreille et une gerbe d’étincelles du plus bel effet. Un instant déstabilisé par le choc, l’épéiste se rétablit toutefois assez vite et se remit en garde, sommant l’archimage de se rendre. Tout en se grattant férocement le menton, Haldren contempla Artaën, avant de marmonner dans sa barbe absente :

Une peau pâlichonne, de grandes oreilles pointues, une tenue permettant de se camoufler aisément en forêt et une discrétion telle que je ne vous ai pas entendu arriver. Vous êtes un elfe, n’est-ce pas ? Probablement un éclaireur de l’armée ?

Seul un mage pouvait sortir ce genre de phrase au vu de la situation. Les pratiquants des arcanes ont, parmi leurs autres immenses et incomparables qualités, une faculté de déduction hors du commun qu’Haldren venait de mettre à l’épreuve ; ainsi qu’une capacité à écarter de leur esprit tous les éléments perturbateurs qui ne les intéressaient pas. Certains esprits chagrins feront probablement remarquer qu’une tentative de meurtre ne constitue pourtant pas un simple élément perturbateur, mais Haldren possédait un classement des priorités assez unique en son genre. Satisfait d’avoir réussi à catégoriser son assaillant, il s’assit sur une souche d’arbre mort et posa au sol son barda de voyage. A cet instant, ses traitements mentaux lui signalèrent une phrase intéressante.

Pas seul ?

L’elfe devait dire vrai, car Haldren voyait mal comment il aurait pu lui tirer dessus à l’arc avant de plonger lame en main dans la même seconde. Parcourant du regard la lisière de la petite clairière où ils se trouvaient à la recherche d’autres assaillants, le drow ne vit strictement rien, mais sa piètre faculté d’adaptation au monde forestier ne lui aurait probablement pas permis de remarquer une troupe de danseuses en plein spectacle.

Toutefois, pour qui maitrise suffisamment bien l’art des mages, il existe d’autres façons de voir. Fermant les yeux, Haldren se concentra sur les signatures que chaque être vivant laissait dans la trame même de la magie. Chaque humain, chaque elfe, chaque nain dispose en son sein d’un potentiel magique, aussi faible soit-il. Peu arrivent à l’activer, moins encore peuvent l’utiliser et s’affirmer mages, mais néanmoins cette étincelle existe dès la naissance. En regardant par le biais de son esprit, Haldren vit l’étincelle qui brillait dans l’elfe à l’épée, puis étendant ses perceptions il sentit une deuxième étincelle non loin. Souriant narquoisement, l’archimage rouvrit les yeux.

Ah, vous voulez parler de votre ami dans les fourrés, juste là ? demanda-t-il en désignant du doigt la cachette d’Edrÿn.

Les pupilles laiteuses du drow se posèrent sur le visage d’Artaën, cherchant à y lire de la confusion ou de la peur. Mais soit l’elfe gardait confiance, soit il savait cacher ses émotions, car rien ne transpirait sur ses traits qui soit interprétable comme un signe de défaillance. Le chat du drow profita de ce moment pour venir se frotter dans les jambes de son maître et quémander des caresses, guère préoccupé lui non plus par la tension qui se dégageait de la scène. Mais après les champs de cadavres d’Amblère et les coupe-gorges de Thaar, la créature invoquée par l’archimage plusieurs ennéades auparavant ne s’inquiétait pas aisément.

Par contre, peut-être cette rencontre pourrait-elle se révéler utile… aussi Haldren fit-il un grand sourire chaleureux à l’elfe avant de reprendre la parole :

Ecoutez, mon ami à la peau pâle, comme vous le constatez sans doute j’ai un peu de mal à m’orienter dans cette maudite forêt. Voici ce que je vous propose : guidez-moi jusqu’à Eraïson et je vous promets, par écrit si vous le souhaitez, de vous laisser ensuite repartir sains et saufs. Admettez que c’est une proposition des plus honnêtes.

Artaën fixait le sombre de ses yeux ambrés à la recherche d'une éventuelle faille. Son bouclier lui avait semblé plus que résistant, et cela constituait un problème majeur. Le coup qu'il avait porté avait été dévié aussi facilement que les flèches avaient été réduites en poussière. Sans possibilité de contact physique, les deux éclaireurs étaient dans l'impasse. Et leur adversaire en semblait tellement fier qu'il sentait la frustration monter en lui. Cette situation n'était clairement pas bonne.

L'épéiste se tendit brièvement lorsqu'il entendit le drow débiter l'air calme un enchaînement d'observations. Il ne fallait pas être un génie pour remarquer toutes les petites particularités dont l'étranger parlait, mais seul un esprit assez entraîné pouvait le faire aussi rigoureusement et avec méthodologie. Ils avaient en face d'eux un érudit dont l'assurance dévoilait l'expérience. Mais Artaën n'en fit rien et hocha simplement la tête lorsque le mage lui demanda s'il était éclaireur de l'armée elfique. Ce dernier ne sembla cependant pas en tenir compte. Il avait l'air de réfléchir posément à la situation alors que son sort était incertain. En plus de cela, la satisfaction qui animait lentement son visage était déconcertante. Était-il conscient qu'il était à la merci des tirs d'Edrÿn? Ou bien était-ce simplement de l'arrogance? Les dieux seuls pouvaient le dire. Mais lorsque le drow s'assit sur une souche d'arbre et qu'il se débarrassa de ses affaires de voyage, Artaën ne vit en lui qu'un inconscient. Il fut tenté pendant quelques secondes de lui porter un coup d'estoc pour au moins faire flancher sa barrière magique, mais l'inconnu l'arrêta net sans même s'en douter.

- Pas seul? lui avait-il demandé l'air intéressé.

C'eut l'effet d'un coup de couteau en plein dans l'abdomen. Son ventre se noua à la simple évocation de son équipier, mais il se calma en quelques minutes à peine. Il n'y avait aucune raison qu'un drow aussi peu habitué aux milieux sauvages et luxuriants comme celui d'Anaëh puisse repérer Edrÿn. Alors, il s'accrocha avec ferveur à ce raisonnement en espérant que ce soit bien le cas, mais l'interrogation que le mage lui adressa ensuite, le fit voler en éclats

- Ah, vous voulez parler de votre ami dans les fourrés, juste là?

Soudain, ce fut l'échec. Cette intervention pu alors être résumée par ce simple mot. Ils n'avaient désormais plus rien sur quoi se reposer. Leur formation était inexploitable. Et la défense magique du drow rendait le combat rapproché inutile. Néanmoins, l'éclaireur ne laissa pas sa déception filtrer. D'ailleurs, il la réprima plutôt vite. En considérant la situation un instant, il ne vit aucune solution viable pour la capture de l'inconnu, mais pour leur retraite, tout leur était assuré. Alors qu'il réfléchissait, l'elfe leva les yeux vers son adversaire. Il le scrutait de son regard blanc laiteux avec un air encore une fois satisfait. Il ne fallait pas qu'il se voile la face, il était inutile de continuer comme cela. Alors, il leva le bras et décrivant des signes de la main, il signifia à l'archer qu'il pouvait sortir de sa cachette, qui n'en était d'ailleurs plus une.
Les buissons s'agitèrent légèrement et Edrÿn en sorti l'arc bandé. Son regard était froid et plein de haine. Rares étaient ceux qui pouvaient échapper à ses tirs meurtriers, et lorsque cela arrivait, l'éclaireur était hors de lui. Mais il se contrôlait plutôt bien et n'en suivait que bien mieux les ordres qui lui étaient donnés pour avoir l'occasion de se rattraper. Il finit par venir se positionner en retrait par rapport à Artaën et ne bougea plus. Il fixa avec intensité le drow et son chat et chuchota à son équipier:

- Que fait-on maintenant? On le laisse partir et on appel des renforts?
- Non, dans tous les cas il sera déjà bien loin. Et c'est un mage, on ne peut pas être sûrs qu'il ne nous tendra pas de piège.
- Mais... commença Edrÿn.
- Ecoutez, mon ami à la peau pâle, le coupa le drow en s'adressant à Artaën, comme vous le constatez sans doute j’ai un peu de mal à m’orienter dans cette maudite forêt. Voici ce que je vous propose : guidez-moi jusqu’à Eraïson et je vous promets, par écrit si vous le souhaitez, de vous laisser ensuite repartir sains et saufs. Admettez que c’est une proposition des plus honnêtes.

Une flèche vint aussitôt s'écraser sur le bouclier du mage en un bouquet d'étincelles.

- Pour qui te prends-tu! explosa Edrÿn. Nous crois-tu réellement aussi stupides pour accepter ce marché tordu! Tu as bien du culot pour un futur cadavre!

Artaën leva la main et l'elfe se tut aussitôt. Cela ne servait à rien de s'emporter, et Artaën le savait. Qui plus est, le drow n'avait peut-être pas fait cette proposition dans le but de les provoquer. S'ils arrivaient à le faire parler un peu sur l'organisation d'Eraïson, chacun serait gagnant. Les informations qu'il était suceptible d'avoir valaient beaucoup plus que sa vie. Et si par chance, une occasion de l'abattre se présentait, ils la saisiraient sans se faire prier.

- Saches que nous ne croyons ni en tes paroles ni en tes écrits, voyageur drow. La promesse d'un sombre représente trop peu pour que nous te suivions aveuglement, mais si tu tiens tellement à sortir de cette forêt, tu devras d'abord nous dire tout ce que tu sais à propos du fort d'Eraïson. Ensuite, et pas avant, nous te guiderons à travers la forêt de notre mère. Cette offre est non négociable, alors réfléchis bien.

Haldren ne broncha pas lorsque l’archer tira de nouveau. Pleinement confiant dans la solidité de sa barrière magique, il laissa la flèche se briser dessus comme les précédentes, un petit sourire suffisant aux lèvres. Sans doute aurait-il pu se passer de ce sourire, mais au vu de l’agressivité des elfes, mieux valait leur donner l’impression qu’ils n’avaient pas la moindre chance contre lui, même en rêve. Dans ce type d’affrontements s’apparentant presque à des duels, le drow savait à quel point l’impact psychologique pouvait jouer et il ne comptait pas s’en priver. L’épéiste, apparemment plus calme et mesuré que son bouillant compagnon, lui fit alors une contre-proposition : s’il leur disait tout ce qu’il savait à propos d’Eraïson, ils le guideraient à travers la forêt.

Marché conclu, mon ami. Je suis heureux de voir que vous réfléchissez plus que votre roquet.

Se tournant vers Edrÿn dont le visage commençait à ressembler à une pivoine tant la fureur montait, l’archimage ajouta d’une voix glaciale :

Tire encore une flèche, mon garçon, et par les âmes de mes ancêtres je jure que tu es un elfe mort.

Son chat ayant réussi à venir se fourrer sur ses genoux, le drow s’interrompit un moment pour le caresser, puis il se préoccupa de nouveau d’Artaën.

Je crains malheureusement, mon ami, de ne pas vous être d’une grande aide. Si je suis égaré dans cette forêt, sans uniforme militaire ni rien, vous pouvez vous doutez que je n’appartiens pas à l’armée drow qui tient Eraïson. Mes connaissances concernant leurs fortifications ou leurs effectifs approchent donc du néant.

Tout en continuant à caresser le matou, Haldren regarda pensivement les deux elfes. L’épéiste semblait toujours maître de lui, même si les dernières paroles du drow ne devaient pas lui plaire. Quant à l’autre… bah, s’il faisait l’imbécile son sort était réglé. En tout cas, soit par instinct de survie, soit parce qu’il obéissait aux ordres d’Artaën, il restait immobile. Certes, il s’agissait de l’immobilité d’une cocotte-minute juste avant qu’elle n’explose, mais cela n’en demeurait pas moins de l’immobilité.

Toutefois, mon ami, reprit Haldren, je vais vous donner une information concernant Eraïson qui pourrait vous intéresser. Depuis que je suis dans la zone, je sens une concentration de magie anormalement élevée : le nombre de mages, de sortilèges et de rituels à l’œuvre dépasse de très loin les niveaux habituels. La dernière fois que j’ai senti une telle concentration remonte à l’époque de la bataille de Fort Ellyrion juste avant que le Nœud se créé.

Pas un mot, pas une réaction. Pourtant, l’information valait son pesant de cacahuètes, car la création du Nœud d’Ellyrion avait constitué le point culminant de la bataille, et si un Nœud similaire se créait à Eraïson la région risquait de s’en trouver profondément chamboulée. Toutefois, le drow ne pouvait deviner si les elfes ne réagissait pas car ils ne comprenaient pas exactement ce qu’impliquait sa révélation, ou s’ils se méfiaient tout simplement de ses dires. Il préféra donc attendre qu’Artaën reprenne la parole pour voir ce qu’il en était.

HRP : le Nœud d’Ellyrion s’est créé dans ce rp : https://miradelphia.forumpro.fr/t13818p30-attaque-drow-bataille-pour-ellyrion, lire surtout le post de Nolfinë (compte utilisé par le staffeux en charge de la magie à l’époque)

- Marché conclu, mon ami. Je suis heureux de voir que vous réfléchissez plus que votre roquet.

Il avait répondu sans même hésiter. Artaën sentit Edrÿn s'agiter plus encore qu'à l'accoutumée. Ce drow lui tapait réellement sur le système, et il ne tenait plus en place. L'éclaireur mourrait d'envie de lui envoyer une bordée de ses tirs les plus ravageurs mais son compagnon l'en dissuadait silencieusement rien qu'en se tenant devant lui. D'ailleurs traiter avec ce drow était purement et simplement une terrible entorse aux principes qu'on leur avait inculqué, mais l'épéiste semblait tellement sûr de lui qu'Edrÿn le suivait aveuglément. Et lorsque le voyageur le menaça froidement de l'abattre à son prochain tir, il n'en fit rien et préféra conserver sa fureur en attendant qu'Artaën lui réponde. Mais sa réponse ne vint jamais, il attendait simplement que l'inconnu poursuive l'air impassible.

- Je crains malheureusement, mon ami, de ne pas vous être d’une grande aide. Si je suis égaré dans cette forêt, sans uniforme militaire ni rien, vous pouvez vous doutez que je n’appartiens pas à l’armée drow qui tient Eraïson. Mes connaissances concernant leurs fortifications ou leurs effectifs approchent donc du néant.
- La bonne blague, grommela Edrÿn, tu vois bien qu'il ne coopérera pas!
- Attends encore un peu, lui chuchota Artaën, nous le verrons bien assez tôt.

Oui, attendre était la meilleur chose à faire. L'abattre maintenant n'allait pas leur être très utile.

- Toutefois, mon ami, reprit le sombre, je vais vous donner une information concernant Eraïson qui pourrait vous intéresser. Depuis que je suis dans la zone, je sens une concentration de magie anormalement élevée : le nombre de mages, de sortilèges et de rituels à l’œuvre dépasse de très loin les niveaux habituels. La dernière fois que j’ai senti une telle concentration remonte à l’époque de la bataille de Fort Ellyrion juste avant que le Nœud se créé.

Il avait terminé simplement, sans son air arrogant. Mais il avait tout de même l'air de scruter leur réaction en essayant de mesurer l'effet que sa révélation avait eu sur les deux elfes. L'épéiste réfléchit un instant sur l'attitude à avoir, décida de rester de marbre, puis considéra les propos du mage drow. Il y était. La bataille de Fort Ellyrion. Alors qu'elle était au point mort, un ouragan d'énergie magique était venu défaire les mages de leur art, et pas même les dieux ne purent y investir leur énergie sans en être inquiétés. Après cette catastrophe, le fort était tombé, et les drows s'y étaient installés durablement. Revivre une telle défaite pouvait être critique pour Anaëh. Les elfes n'en seraient que plus affaiblis encore, et le moral des troupes totalement sapé. "Sapé, se répéta mentalement Artaën. Ce drow semble en être un adepte invétéré." Il ne pouvait être sûr qu'il lui disait la vérité. Cela avait plutôt l'air d'une tentative de désinformation visant à faire basculer l'esprit des troupes elfiques dans la pénombre, le noir du désespoir. Alors, Artaën prit enfin la parole:

- Allons bon, tu prétends ne rien savoir mais tu as bien dû entendre quelques rumeurs ou des nouvelles venant du front, non? Et puis qui pourrait affirmer que tu nous dis bien la vérité? Tu m'as l'air bien trop intelligent pour être aussi franc, vétéran de l'armée drow.

Il marqua un temps d'arrêt puis repris sans vraiment se soucier de sa réaction:

- Que vas-tu faire à Eraïson si tu n'appartiens pas à l'armée? Logiquement, tu devrais plutôt fuir cette cité.

Haldren ne réagit pas immédiatement à la dernière question de l’elfe, se contentant de caresser son chat comme s’il s’agissait de la chose la plus importante au monde. Souvent froid et insensible pour les deux pattes, le drow pouvait faire preuve d’une douceur et d’une patiente infinie avec son petit compagnon, preuve s’il en est besoin de sa nature fondamentalement aimante. Non ?

Vous ne m’avez donc pas écouté, elfes ? Je me fiche de vos guerres, de l’Anaëh ou de vous. Que vous repreniez la cité ou que vous subissiez une nouvelle défaite sanglante ne me fait ni chaud ni froid.

Ces paroles étaient prononcées d’un ton froid et détaché, et bien malin qui aurait pu dire la part de bluff qui s’y mêlait. L’archimage était-il donc doué à ce point qu’il avait laissé toute notion de peur loin derrière lui ? Ou jouait-il la carte de la suffisance extrême pour dérouter les deux elfes ?

J’étais à Ellyrion, et je dois admettre être en bonne partie responsable de la création du Nœud durant cette bataille. Lorsque votre roi, Dyarque, a réussi à détruire le titan d’Ombre que j’avais invoqué pour le tuer, la trame de la magie s’est déchirée sous la violence du contrecoup. Aucun d’entre nous à l’époque ne savait qu’un afflux d’énergie trop important peut causer de tels dégâts, et tous les pratiquants des arcanes alors présents sont tombés évanouis… ou morts.

Les yeux dans la vague, le drow laissa ses souvenirs le ramener des années en arrière, au milieu du fracas des armes et des cris des mourants, lorsque les Veilleurs avaient été obligés d’intervenir pour limiter les dégâts causés par la folie destructrice des mages drows.

Savez-vous ce que cela fait, pour un mage, d’assister à la création d’un Nœud ? C’est un moment de pure beauté et d’intense douleur. Vous avez l’impression que chaque fibre de votre corps s’embrase, se déchire, que votre cerveau est porté à ébullition et que votre âme elle-même est tordue comme une vulgaire serpillière. Chaque fraction de seconde est aussi longue qu’une agonie d’un millier d’années, et la magie devient alors comme une entité vivante dont vous pouvez sentir battre le pouls aussi fiévreusement que celui d’une amante.

La voix d’Haldren était douce, apaisée, bien éloignée des paroles glaciales ou menaçantes prononcées quelques instants plus tôt.

Depuis ce jour, les Nœuds m’obsèdent. J’ai étudié tous les livres antiques qui en parlent, j’ai disséqué en personne les mages qui avaient survécu à Ellyrion mais dont l’esprit était détruit, enchâssant leurs âmes dans des gemmes de pouvoir comme on met des rats en cage. J’ai avancé lentement, péniblement, refusant de partager mon savoir avec quiconque, tel l’avare qui garde sa casette pleine d’or serrée contre lui lorsqu’il dort. Aujourd’hui je suis enfin sûr de moi, j’ai réussi à comprendre comment se forment les Nœuds… et comment les contrôler. Le Nœud d’Ellyrion est incomplet, faussé, car il s’est créé sans aspirer les forces vives de tous les combattants, se contentant de celles des mages. Il lui a manqué un créateur qui aurait eu la force mentale suffisante pour accepter de sacrifier les deux armées afin d’achever son œuvre.

Relevant la tête, le drow fixa ses pupilles laiteuses sur les elfes, et dans son regard brûlait la flamme du fanatisme. Un affreux sourire déforma lentement les traits de son visage.

Alors, mes amis, comment pourriez-vous imaginer que je n’aille pas à Eraïson ? C’est là que se jouera mon destin et que je pourrais créer un Nœud dont la perfection sera sans tâche ! C’est là que je toucherai au but !

Non, le drow qui se tenait devant les elfes n’était pas fou. La folie n’est permise qu’aux hommes ordinaires, à l’aune de leurs moyens limités. Le fou peut tuer sans raison, brûler des maisons ou détruire des vies uniquement pour s’amuser ou pour satisfaire la logique perverse qui l’anime. Mais Haldren n’était pas fou… il était dément. La véritable démence ne s’exprime pas via des petites cruautés de tous les jours, mais par de rares actions qui défient l’entendement humain et demeurent gravées au fer rouge dans les mémoires.

Les deux elfes se rendaient-ils seulement compte qu’ils avaient devant eux un être capable de provoquer consciemment l’un des pires génocides de l’histoire du monde dans le seul but d’étancher sa soif de pouvoir ?

Des étoiles dansaient dans son champ de vision, sa bouche était pâteuse et ses jambes lourdes et fatiguées trainaient fébrilement sur le sol sablonneux en soulevant un fin nuage de poussière. Son pied heurta un petit rocher, mais n'ayant plus la force de se rattraper, il se laissa chuter lourdement. Sa gourde d'eau était vide depuis bien longtemps et ses vivres avaient été épuisées dès le début de la course. Alors qu'il entendait tout le monde le doubler sans même hésiter à s'arrêter, il se mit à maudire sa vie. Il n'y avait absolument aucun souvenir agréable. Tout était échec et déception.
Son père était alchimiste et sa mère... Eh bien il ne l'avait jamais connu. Elle arpentait le continent miradelphien pour en étudier les bêtes sauvages. Elle était morte dévorée par un dragon. Il avait donc passé son enfance seul. Il s'était occupé de lui même pendant toutes ces années grâce aux services que rendait son père et aux dettes qu'on lui devait. Il allait assidument à l'école, faisait ses repas lui même, choisissais ses vêtements avec goût chez les différents tailleurs d'Ardamir, il menait une vie assez banale et il s'en rendait compte lorsqu'il avait assez de recul. Mais très vite, il se rendit compte qu'il n'était doué en rien. Ni à l'école, ni en tant qu'artisan, pas plus en alchimiste qu'en herboriste, il n'était rien de plus qu'une catastrophe ambulante. Maladroit et hésitant dans son travail, il fut très vite fiché comme la recrue à éviter à travers la cité entière. Et cette situation fut absolument intenable. Son enfance ne fut qu'une succession d'échecs. C'est pourquoi, dès sa majorité il se lança dans l'apprentissage du dernier métier qui s'offrait à lui: soldat. Il s'engagea chez les Limiers et alla suivre une formation complète à Ostirion. Et voilà où il en était. Un énième échec.

- Allez lèves toi, fit une voix en lui secouant l'épaule. Il ne nous reste qu'une lieue à parcourir. Tu peux y arriver.

Edrÿn roula brièvement pour arriver dos au sol et faire face à l'inconnu. Le ciel de l'après-midi l'éblouissait tellement qu'il ne vit au début qu'une silhouette se profiler lentement devant ses yeux plissés. Les traits de l'elfe lui apparaissant lentement il lui demanda:

- Tu participes à la course mais tu prends le temps de m'aider? Pourquoi?

Son interlocuteur lui tendit la main en lui répondant:

- Arriver premier ne m'intéresse pas. L'objectif de cette course est simplement de traverser la forêt en retrouvant notre chemin. Alors, je prends le temps de t'aider.

Edrÿn considéra le coureur un instant. Un sourire lui vint aux lèvres. Tous s'affairaient à arriver le plus vite possible alors qu'ils avaient la journée pour se promener tranquillement dans l'épaisse végétation d'Anaëh. Le jeune elfe saisit la main que l'autre lui tendait et lui dis simplement:

- Comment t'appelles-tu?

La recrue le tira sans effort avec un air plein d'assurance.

- Artaën. Artaën Valtorië. Et toi?
- Edrÿn Adëlius.
- Bon, eh bien Edrÿn il ne nous reste plus que deux heures pour arriver et nous ne sommes qu'à une demi-heure de la cité, je pense que nous pourrons prendre notre temps.
__________________

Un fou. Artaën ne vit rien d'autre en lui qu'un être animé et aveuglé par le non-sens. La folie étincelait dans ses yeux. L'air était devenu soudainement glacial et une brise légère vint le faire frissonner en suivant tendrement les courbes de son échine. La cruauté, la sauvagerie, la démence avaient toutes le même visage: sombre, aux pupilles laiteuse et aux traits innocents. Le drow ne lui inspirait plus que dégoût, et son air faussement banal n'était désormais plus qu'un lointain souvenir. Il lui inspirait réellement la terreur. Du coin de l'œil, il jeta un regard rapide à son compagnon. Il ne put qu'apercevoir sa mine habituelle. Ni troublé, ni trop inquiet, simplement bouillonnant comme chaque fois qu'ils rencontrent quelqu'un en mission. L'épéiste inspira à fond pour calmer ses sens qui commençaient déjà à s'affoler et pour faire taire son instinct qui lui criait de ne pas parler, mais plein de résilience, il rassembla son courage et, l'honneur aidant, lui souffla avec gravité:

- Fuis.

Rien d'autre, ce n'était pas nécessaire. L'elfe accordait bien plus d'importance à la vie de son compagnon qu'à la sienne, et partir en risquant de l'abandonner là ne lui seyait guère. Il préférait le savoir déjà loin pour envisager de s'en aller. Mais Edrÿn ne bougea pas. Il se tint droit, le regard froid, l'arc tendu, il était prêt à en découdre. Cette position était celle qu'il avait toujours le plus redouté quand il se demandait "Et si cela arrivait un jour?". L'éclaireur ne pouvait pas se permettre de le laisser se mettre en danger. Il se répéta en argumentant un peu plus cette fois:

- Fuis. Ta vie n'a pas à se terminer de la sorte. Et puis-...
- Non, le coupa t-il furieux. Je n'ai aucune raison de fuir. Je n'ai personne dans ma vie et mon incapable de père ne m'a pas donné de ses nouvelles depuis cinq ans maintenant. Il doit être mort d'une manière aussi stupide que celle de ma mère. Alors, non, je resterai ici. Tu n'as plus besoin de me protéger désormais, je prendrai mes propres décisions.

Edrÿn passa un peu plus radoucit devant son ami, et décocha sa flèche en rechargeant de suite son arc avec trois nouvelles qu'il envoya de nouveau sur le mage. Elles explosèrent toutes en un horrible sifflement illustré de débris enflammés. Il reprit:

- Maintenant, vas t'en. Tes parents et ton frère doivent sûrement attendre ton retour, inutile pour toi de mourir en vain ici. Rapportes tout ce que ce taré nous a appris sur Eraïson et restes chez toi. Ne vas pas là-bas. Il y sera. Ce sera terrible.

Dans le regard que les deux elfes portaient sur le drow se mêlaient effroi et horreur. Comprenant qu’ils avaient affaire à un être pour qui la raison ne constituait plus qu’une vague notion oubliée depuis longtemps, ils commencèrent à reculer, chacun essayant de persuader l’autre de s’enfuir le premier. Admirable dévouement, se dit Haldren tout en se relevant lentement, il fallait bien admettre que c’en aurait été presque touchant s’ils avaient eu la moindre chance de succès. Tendant les bras, l’archimage fit appel à son art, invoquant à lui ses fidèles alliées. Deux lanières constituées d’Ombres se solidifièrent à partir de ses paumes, avalant en un instant l’espace qui le séparait des elfes et les enserrant violemment par la taille.

Vous pensiez vraiment pouvoir m’échapper ? s’enquit Haldren d’une voix douce.

Les deux elfes se débattirent, mais la force des liens magiques dépassaient celle des humains les plus costauds, et même un robuste nain des montagnes n’aurait pu s’en défaire. A cet instant, l’archer passa de la parole aux actes en matière de sacrifice. Attrapant une flèche dans son carquois, il arma son tir et visa non pas Haldren mais le lien qui retenait prisonnier son compagnon. Sa rapidité d’exécution surprit le drow, qui n’eut pas le temps de renforcer son sortilège par un bouclier comme celui qui le recouvrait.

La flèche se planta en plein milieu du tentacule qui retenait Artaën, affaiblissant la prise pendant une courte seconde avant que la magie ne reprenne le dessus. Mais cette seconde suffit à l’elfe pour réussir à se dégager et à s’enfuir à toute allure vers les fourrés. Lâchant une bordée de juron, Haldren lui envoya une orbe d’énergie qui calcina l’arbre derrière lequel Artaën venait de disparaitre. La scène s’était jouée trop rapidement pour qu’un second tir soit possible, et les capacités de discrétion de l’elfe en forêt rendaient toute poursuite impossible.

Jetant un regard mauvais au seul captif qui lui restait, le drow lui arracha ses armes. Edrÿn restait ferme malgré la peur qui lui nouait les entrailles, car il ne croyait pas pouvoir survivre à cette rencontre, mais à sa grande surprise son ravisseur se contenta de le ligoter avant de le trainer à sa suite. Le jeune archer l’ignorait encore, mais cette infortunée rencontre allait le mener bien plus loin qu’il ne l’aurait cru possible.

La suite des aventures d'Edrÿn ici => https://miradelphia.forumpro.fr/t19976-les-gladiateurs-de-l-aile-blanche

Après sa fabuleuse rencontre avec une patrouille d'elfes, rencontre ennuyante qui n'avait pas bien duré longtemps d'ailleurs, Tahly était repartie en direction de la fameuse cité d'Eraïson. Au départ elle s'était attendue à soit trouver des débris d'arbres au lieu d'arbres entiers, soit au contraire avoir affaire à une forêt vivante. Oui, "vivante" ! Comme dans les contes pour enfants que l'on raconte le soir pour leur faire peur et ainsi insérer en eux plus de haine et de prudence que n'importe quoi d'autre. Mais non... à croire qu'elle se montrait trop discrète, ou bien que la forêt elle-même se fichait éperdument de sa présence. A moins, encore, que ces contes ne soient que des contes et qu'il n'y ait rien de vrai là-dedans. Mais dans ce cas, tous les récits guerriers ne seraient-ils que pure invention ? Et si oui, comment se faisait-il que les Drows n'avaient jamais pu prendre le dessus sur ces stupides Elfes ? Des questions qui avaient de quoi faire travailler l'esprit et la superstition de l'assassine qui, tout en avançant sans bruits parmi les buissons, se demandait sincèrement si elle n'allait pas finir par devenir paranoïaque.

C'est alors qu'elle entendit au loin du bruit, des mots... Se dissimulant derrière un arbre elle dégaina son poignard et écouta. Elle ne tarda pas à comprendre que c'était un sombre qui parlait, discutant à propos de nœuds magiques et de la bataille du Fort Ellyrion. Intéressant... probablement. Qu'est-ce qu'il fichait là ? Peut-être était-il venu pour la même chose qu'elle. Enfin de toute façon cela n'avait aucune importance. Quoi qu'il en soit elle décida de se rapprocher et, lorsqu'elle ne fut plus bien loin, de monter à un arbre. Voir deux elfes discuter avec un drow était peu commun et, vu que les deux loustics semblaient être des militaire, la sombre se disait que de plus haut elle devrait avoir une meilleure vue sur de possibles collègues. Pour le reste, elle écouta, regarda le spectacle du mage de l'ombre - qui lui tournait le dos - en action et comprit la force qu'il devait avoir.

*Je l'ai déjà déjà vu quelque part celui-là... mais où ?*

Si seulement elle pouvait voir son visage... elle reconnaîtrait immédiatement la personne. L'un des deux elfes fuit et le rapide combat s'acheva, la tension et la concentration mise sur les deux à la peau blanche sembla commencer à se dissiper. Le mage qu'elle scrutait n'était pas n'importe qui sur le plan magique. Or bien de grands mages arrivaient à ressentir la magie autour d'eux, et elle-même était une utilisatrice de magie. Donc il valait mieux pour elle qu'elle annonce sa position avant qu'il ait l'idée de lancer un malencontreux sort qui la ferait tomber de son perchoir. Pas qu'elle avait réellement peur de l'individu - ce n'était pas comme si elle s'était habituée à bien pire - mais c'était plutôt qu'elle avait la flemme de se mouvoir rapidement pour éviter un sort, se laisser tomber puis se réceptionner à terre. Le faire en ayant le temps était à ses yeux bien plus intéressant. Et puis, de toute façon, ne prenait-il pas la même route qu'elle ? Alors elle frappa cinq fois dans ses mains, doucement mais de façon à ce que ses applaudissements se fassent entendre du mage et de l'archer. Alors qu'elle frappait dans ses mains pour la deuxième fois une image lui revint, vieille de plus de cent ans... L'elfe la remarqua enfin, le drow se tourna... et elle comprit que ça mémoire avait été bonne. Lente, mais bonne.

*Punaise le Ditronw Da're !*

Tahly cacha habilement son désir qu'il ne la reconnaisse pas derrière un sourire mesquin dirigé vers l'elfe. Haldren put apercevoir une drow aux vêtements de cuir vêtue, armée de multiples lames plus ou moins visibles, un corps sans très grandes formes et finement sculpté, où de longs cheveux argentés venaient donner une pointe de couleur claire à l'ensemble. Dos appuyé contre le tronc de l'arbre, une jambe pliée reposant sur la branche sur laquelle elle s'était assise et l'autre pendant négligemment dans le vide, ses yeux d'un bleu foncé pénétrant le toisèrent un moment avant qu'elle ne prenne la parole.

"Joli spectacle. Dommage que l'autre ait été trop calme, cela aurait pu être plus amusant ! Quoique... l'idée de se sacrifier pour l'autre est vraiment touchante, cela relève le niveau. Enfin ! Maître mage, je suppose que vous vous rendez à Eraïson ?"

Sujet: Re: Le calme avant la tempête [Libre] Mer 2 Sep 2015 - 15:32

Si Haldren avait été plus attentif aux auras magiques présentes dans la zone, sans doute aurait-il pu remarquer l’approche de la nouvelle venue. Mais maintenir un bouclier de protection tout en dévoilant ses plans mégalomanes de conquête mondiale puis se rabattre sur de la chasse à l’elfe nécessite déjà une concentration assez intense, aussi la belle Tahly resta-t-elle en dehors des écrans radars du dément jusqu’à ce qu’elle l’interpelle. Elle ne se prit en retour ni bordée d’injures ni projectile mortel en pleine face, l’archimage étant fort occupé à saucissonner l’elfe. Il se contenta donc d’un regard par-dessus son épaule pour jauger la nouvelle venue et son éventuelle dangerosité.

Je vous connais ?

Une fois Edrÿn solidement ligoté, Haldren se retourna et s’approcha d’un pas nonchalant de Tahly, fouillant sa mémoire délabrée pour essayer de remettre un nom sur ce visage. Il sentait instinctivement qu’il la connaissait, mais sans réussir à se souvenir des circonstances exactes ni même du lieu. Au Puy, probablement ? Bah, cela comptait peu et il chassa cette question de son esprit, l’identité de la drow n’ayant qu’une utilité secondaire comparé à l’importance vitale d’apporter certaines rectifications quant à ses paroles ineptes !

Apprenez ma chère que je ne suis pas un simple maître-mage, comme vous le dites si naïvement. Sans doute fut-il un temps lointain où vous auriez pu me désigner ainsi, mais désormais ma nature immortelle et la puissance de mon art ne me raccordent plus que d’assez loin aux simples pratiquants des arcanes, fussent-ils des maîtres en la matière. Je vous pardonne toutefois cette insolence, car vos capacités limitées ne vous permettent probablement pas de déceler l’absolue perfection de mon essence divine.

Sans doute l’aurez-vous deviné, la modestie n’étouffe pas notre héros.

Et pour répondre à votre question de jeune ingénue, car je conçois aisément que croiser un être parfait tel que moi dans ces bois perdus peut surprendre, je me rends en effet dans la cité d’Eraïson afin que ma présence redonne du courage aux cloportes grouillants qui la défendent et terrifie les elfes. Vous y allez également, je présume, bien que cela n’ait pas réellement d’importance car votre capacité à y changer le cours des choses avoisine le néant.

Non mais quel connard !

Sujet: Re: Le calme avant la tempête [Libre] Mer 2 Sep 2015 - 18:38

"Je vous connais ?

Ouf ! Il ne l'avait pas reconnue... il aurait manqué plus que ça, que les ennuis commencent à peine entrée dans la fichue forêt d'Anaëh et encore, à cause des Sombres et non pas des Elfes ! Elle regarda quelques instants le mage, maintenant tourné vers elle, et remarqua une sorte de lueur dans ses yeux qu'elle ne lui avait pas connu avant... qu'était-ce donc ?

- Hum nous nous sommes croisés il y a longtemps, au Puy. Sinon pas plus que deux drows lorsqu'ils s'échangent deux mots.

En un sens, c'était vrai. D'un autre, c'était plus complexe que cela et donc avait une partie de faux. Enfin, cela n'était pas important... Haldren ne sembla pas chercher à en savoir plus, s'approchant du perchoir de son interlocutrice tout en commençant à parler tel un professeur enseignerait de choses fort essentielles de la vie à son élève. Concrètement, Tahly resta quelque peu bouche bée face au début de sa tirade, se demandant si vraiment le Ditronw Da're se prenait pour supérieur à ce qu'il n'était ou s'il avait perdu une case dans son cerveau en quelques années - ce qui pouvait arriver, avec la magie... Puis, lorsqu'il affirma aller à Eraïson et prétendre que sa petite personne ne changerait strictement rien à cette guerre, ce fut plus fort qu'elle : elle éclata de rire. Elle eut du mal à reprendre un semblant de calme, même en voyant l'air courroucé du grand mage. Cette lueur dans ses yeux... ce ne pouvait être que de la folie et, fort malheureusement, elle avait appris que la folie pouvait être bien plus dangereuse que l'instinct de survie d'une personne. Alors autant faire patte noire - hé on n'est pas chez ces cachets blancs d'Elfes ! - et éviter d'avoir des ennuis.

- En effet, la simple drow que je suis se dirige également vers Eraïson. Et bien que je puis changer certaines choses de par ma présence, il me faut croire que du point de vu d'une personne ayant dépassé depuis un temps le niveau de maître-mage cela ne soit que fort peu... Mais puis-je savoir comment un drow a-t-il pu s'élever au rang de "divin" ? Une telle prouesse est extrêmement rare.

Tahly se posait vraiment la question : comment se faisait-il qu'il se prétendait à ce rang, alors que cela semblait plus qu'impossible ? Etait-ce qui l'avait rendu fou ou bien la folie lui faisait-il penser une telle chose ? Haldren semblait être devenu un cas bien plus dangereux que lorsqu'il avait toute sa tête, d'où le fait qu'elle dosait correctement son "brossage de manche" en évitant de trop être en suprême accord avec lui... et pourtant, il semblait être fort intéressant !

Souplement, la drow descendit de sa branche en se laissant tomber puis en se réceptionnant avec aise. Comme pour beaucoup de choses, elle avait pris l'habitude... Après avoir écouté la réponse du mage et pensé en conséquence, elle posa ses mains sur ses hanches et le regarda franchement.

- Si nous allons au même endroit, serait-il possible qu'un être tel que vous accepte de me faire l'honneur de l'accompagner à travers ces bois ? J'ai pris l'habitude traverser de tels endroits sans me faire piéger par les racines et à me repérer avec toutes ces frondaisons. Et puis, cela me permettrait certainement de repousser quelque peu les limites de mes capacités ?"

Sujet: Re: Le calme avant la tempête [Libre] Jeu 3 Sep 2015 - 12:12

La politesse et la déférence dont faisait preuve Tahly plurent grandement à l’archimage, qui eut un sourire approbateur. A aucun moment dans son esprit ne se fit jour l’idée qu’elle se fichait peut-être tout simplement de lui, tant sa mégalomanie et son égocentrisme dominaient ses pensées.

Je vois que la jeunesse drow n’est pas irrémédiablement perdue, qu’il y reste encore parfois la soif d’apprendre et le respect dû aux seigneurs, voilà une excellente chose dont je vous félicite. Venez donc, jeune fille, et je vous raconterai chemin faisant comment je me suis élevé du statut de mortel à celui d’être divin.

Ayant relevé Edrÿn d’une poigne de fer, ils se mirent en route sous les frondaisons, dans la direction d’où provenait la majorité des flux magiques de la région. Au vu de l’activité que les osts drows devaient générer à Eraïson, il paraissait cohérent de penser qu’ils avaient choisi la bonne voie. Prenant son ton professoral et doctrinal qui avait endormi des générations d’étudiants du C’nros, Haldren commença alors son histoire :

Comme vous l’avez justement remarqué, l’élévation à la divinité n’est pas un acte considéré comme naturel, et il n’y a d’ailleurs aucun précédent connu. Toutefois, vous devriez lire la thèse écrite par Ornod Ad’Sherk et Lyar Venltar voici quelques siècles sur la nature même d’une essence divine. Sans entrer dans un débat théologique d’experts, apprenez qu’une divinité n’est rien d’autre que de l’énergie issue de la foi de ses fidèles, patiemment accumulée au cours des millénaires au point de développer une conscience d’elle-même. D’une certaine façon, Ornod affirmait que nous créons les dieux, et ce depuis des temps immémoriaux. Les premières peuplades qui vivaient sur ces terres vénéraient déjà leurs feux de camp, qui apportaient sécurité et chaleur. De cela naitra un jour l’être que nous nommons Uriz, et les pentiens Mogar. La plèbe a besoin de sources de vénération, mais le véritable sage sait aller au-delà de ces croyances basiques pour chercher à en exploiter les effets.

Haldren fit une légère pause le temps de traverser une petite rivière dont les galets glissants constituaient un piège pour l’imprudent.

Admettons donc que nous nommons divinité toute incarnation pensante de ces sources d’énergie. Je préfère parler de « vecteur », mais évitons les batailles de terme. Les Gardiens, que nous connaissons, sont ces vecteurs, ils peuvent puiser dans la foi des fidèles pour accomplir ce qui parait au manant un miracle. Voilà plusieurs années, j’ai affronté non loin d’ici la Gardienne de Kyriä, et j’ai utilisé contre elle un sortilège d’absorption d’âme afin de devenir moi-même un vecteur relié à la source divine. Depuis lors, il m’est possible de puiser dans le creuset de la foi en Kyriä pour prolonger mon existence ou accomplir mes volontés. Vous noterez d’ailleurs avec humour que ma nature immortelle provient en réalité de l’adoration des elfes, n’est-ce pas cocasse ? Oh oh oh !

Edrÿn et Tahly se taisaient, marchant en silence en écoutant les divagations du dément. La haine et le dégout se lisaient sur le visage de l’elfe, accompagnés de la crainte qu’il s’agisse au moins en partie d’une histoire vraie. Quant à la drow, elle semblait assez maîtresse de ses émotions pour ne rien laisser transparaitre, quoi qu’elle en pense au fond d’elle-même.

Je vous avouerais que cette transformation de simple mortel à celui de vecteur divin est un processus atrocement douloureux. Chaque fibre de votre corps est arrachée à votre âme, chaque seconde vous parait aussi longue que l’éternité. Il faut une force mentale d’une rare intensité pour survivre au processus et forcer l’esprit à réintégrer son enveloppe de chair. Depuis je me suis hélas éloigné des considérations antérieures que je pouvais porter à ce monde. Il m’arrive de porter plus d’attention au destin d’un simple miséreux qu’à celui de nations entières, ou de passer des semaines à réfléchir au devenir des étoiles sans même penser à me sustenter… cela peut paraître un peu handicapant, mais je n’ai jamais réussi à contrôler ces effets secondaires de mon élévation.

Tout en parlant, le trio s’était approché d’Eraïson, et les hautes tours de la cité leur apparurent peu à peu par-delà la cime des arbres. S’arrêtant soudain, l’archimage se gratta le menton puis regarda son prisonnier elfe.

Il va m’encombrer si je me le trimballe tout le temps, marmonna-t-il. Se tournant vers Tahly, il reprit : je dois vous laisser, désormais que je sais exactement où se trouve la cité, je pourrais m’y téléporter directement sans devoir patauger dans la gadoue.

Après avoir poliment prit congé, Haldren tendit le bras et ouvrit un portail dans lequel il poussa Edrÿn avant d’y entrer lui-même. Seule restait la drow, qui n’était plus qu’à quelques encablures de sa destination. La tempête approchait d’Eraïson, mais la folie également…

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