[Intronisation] Du passé au présent (Ëninril)

Neuvième ennéade de Barkios, VIII° année du XI° Cycle,
Palais d'Eteniril.

Lorsqu'il eut terminé son discours sur le déroulement de soirée, les différents elfes allèrent s'installer à table, s'arrêtant toucher deux mots au seigneur-protecteur pour certains, notamment ceux qui n'avaient pas encore eu l'occasion de le féliciter pour sa nomination. Avant même que l'elfe ne put faire un seul pas vers le bon repas qui l'attendait qu'un jeune elfe vêtu d'une façon fort différente de la très grande majorité des gens présents dans cette salle vint jusqu'à lui. Le druide de la salle de l'Aube, celui qui avait une âme, une aura similaire à celle de... Neraën posa son regard sur les yeux vairon de l'elfe des noss, remarquant immédiatement cette particularité qui lui disait vaguement quelque chose. Lorsque celui qui venait à lui ouvrit la bouche pour se présenter, l'esprit de Neraën comprit aussitôt qui était la personne en face de lui.

"Mes hommages, Seigneur-Protecteur. Vous savez qui je suis, même si nous ne nous sommes jamais rencontrés, n'est-ce pas ? Ou plutôt vous croyez que je suis quelqu'un d'autre... Laissez moi me présenter : Ëninríl Il'Dolwen, héraut d'Anaëh et neveu de Tinrael le druide. Que dites-vous de nous éloigner quelque peu ? La foule ne me rend pas très à l'aise, pour être honnête.

Le cœur de l'elfe manqua un battement et, le temps de quelques secondes, son esprit se coupa de la réalité de la grande majorité des Elfes. Ses yeux se fermèrent, les sons devinrent lointains et sourds et alors que ses pensées revoyaient et entendaient une discussion du passé imprimée dans la mémoire comme si elle venait seulement de se passer, l'esprit s'ouvrit sans qu'il ne puisse en contrôler l'ouverture au flux magique tant l'émotion en lui fut forte. Il commença alors à ressentir les émotions et pensées des individus comme si un ras-de-marée brusque et étouffant le frappait en pleine poitrine et que son esprit sortait de son propre corps. Neraën fit un effort surhumain pour ne pas s'enliser plus dans l'agréable souvenir d'un défunt mais au contraire pour rattraper son esprit et se refermer au flux, à la Symphonie. Cet effort le fit trembler et même pâlir. Par réflexe, alors qu'il se concentrait sur le collier au pendentif en bois qui pendait à son cou pour se recentrer, Neraën se maintint à la chaise qui se trouvait derrière lui pour ne pas tomber. Il inspira profondément, rouvrit les yeux et expira doucement, revenu à lui. Peu de choses arrivaient à le mettre dans un tel état... mais là cela avait été si abrupte !

- Je sais qui tu es, Ëninril, fils d'Arafinwë. Viens.

Lui aussi avait besoin d'air. Il ne s'était pas attendu à ce qu'un tel effet le prenne en cette soirée. Il se déplaça en reprenant un semblant de contenance jusqu'à quelques chaises qui étaient déjà disposées près des murs en vue de la partie plus "dansante" de la soirée, s'y assit, et invita d'un geste de la main le druide.

- Je ne pensais pas te voir ce soir... et encore moins que tu ressembles autant à ton oncle.

Il se passa quelques instants pendant lesquels Neraën ne dit plus un mot, se concentrant une nouvelle fois sur le pendentif appartenant autrefois à Tinrael. Puis ses yeux de glace se portèrent sur ceux d'Ëninril.

- Pour que tu te présentes de la sorte, je suppose que tu es venu avec la volonté d'avoir des réponses à tes questions ? Et tutoies-moi, s'il-te-plait. Je ne suis qu'une seule et unique personne."

Pendant le court temps où il n'avait plus vraiment été "lui-même", le vieil elfe avait ressenti ce quelque chose en Ëninril, ces questions qu'il devait avoir sur différents sujets qu'il n'appartenait qu'à lui de savoir.

"Rien n'est plus vivant qu'un souvenir."
Tinrael Véneanár

"– Explique-moi, Neraën."

Ëninríl suivi le Seigneur Protecteur là où il l'emmena. Le druide fixait le pendentif ayant auparavant appartenu à Tinrael. Son oncle... et pourtant, un inconnu. Son empreinte magique était sur l'objet, comme on pouvait la sentir sur Idril, tant elle avait été imprégnée par son propre mentor. Mais cet elfe, que Kÿria avait placé ici, en haut de son Peuple de Pierre, qui le toisait sans méchanceté dans son regard aux éclats de glace... cet elfe savait. Il savait tout sur l'incroyable personnalité de l'ancien druide. Celui qu'il avait été, en son temps, un héraut de Kÿria et celui d'Anaëh. Celui qui subsiste dans le cœur d'Ëninríl. Idril lui avait raconté, entre deux méditations, que Tinrael avait milité pour l'Amour des elfes entre eux, qu'ils sont Ornedhels ou Taledhel. Un sentier sur lequel Wen'Döril ne l'ait pas suivi. Un sentier que le jeune Il'Dolwen voulait parcourir, lui aussi.

"– Explique-moi qui était mon oncle. C'est tout ce que je veux savoir. Qui est mon oncle."

Le druide s'était arrêté. Les deux elfes étaient à plus d'une vingtaine de pas de la foule, et celle-ci ne laissait derrière eux qu'un vague brouhaha qui s'estompait. Les yeux vairons d'Ëninríl se plongèrent dans ceux, tout aussi dérangeants, de Neraën. Il y avait là un puis de sagesse et de connaissances, celle d'un elfe ayant huit siècles d’existence derrière lui. La sagesse calme et posée était confrontée ici à la fougue de la jeunesse conjuguée à la passion d'Anaëh dans un duel pacifique où il n'y aurai ni gagnant ni perdant.

Les bruits de discussion revinrent, et avec eux le sentiment pour Ëninríl d'être là ou il n'aurait jamais dû être. A l'extérieur, la guerre pour laquelle tous se battaient se préparait, et pourtant, tous étaient là, à discuter autour d'une table aux nombreuses places vides pour favoriser les échanges. La nourriture abondait, servie sur de larges plateaux en argent, fruit de chasses acharnées où personne ne se souciait de l’Équilibre de la Forêt. Un soirée mondaine, aurait dit un humain. Il n'aurait pas eu tort. Que Kÿria lui pardonne sa curiosité insatiable qui l'avait poussé jusqu'en face de cet elfe aux yeux de glace à parler de son ancêtre !

Des plateaux de nourritures arrivèrent encore, apportés par de jeunes elfes en pleine formation, comme le voulait les coutumes Citadines. Malgré toute la sympathie qu'éprouvait Ëninríl pour Halyanlindë ou Neraën, il ne pouvait cautionner ces pratiques qui sapaient peu à peu le Don de La Mère. Son esprit vagabonda ainsi encore sur les us et coutumes répréhensibles de certains Citadins, avant de revenir sur Neraën. Lui avait quelque chose de différent, quelque chose en lui qui faisait qu'on le remarquait au milieu de la foule. Sa stature digne d'un grand dirigeant ? Ses yeux froids qui vous inspire le sentiment d'être sondé au plus profond de vous ? Certainement un mélange de tout cela, mais plus encore. Ce n'était pas quelque chose comme Voronwë, maléfique, mais bien une caractéristique qui le distinguait des autres ici.

La main droite du druide se leva en direction de la poitrine de l'elfe en face de lui. Doucement, avec douceur, il saisit en main le pendentif en bois, certainement taillé de la main même de Tinrael. Ëninríl se rappelait vaguement de ce bijou, au cou de son premier possesseur, ou peut-être ce souvenir était une simple imagination crée de toute pièce par son esprit. Mais qu'importe. Si son oncle l'avait offert à son ami Taledhel, il y avait certainement une raison, que le jeune Il'Dolwen n'allait jamais remettre en cause.

Ses doigts se déplièrent lentement, et le pendentif retomba sur la poitrine du nouveau Seigneur Protecteur. Leur regard se rencontrèrent une nouvelle fois, l'un cherchant des réponses, l'autre certainement plein de mélancolie devant le descendant de son vieil ami.

HRP:

"Explique-moi, Neraën. Explique-moi qui était mon oncle. C'est tout ce que je veux savoir. Qui est mon oncle.

Cette demande ne fit qu'arracher un sourire au vieil elfe, qui n'avait pas quitté des yeux le jeune druide qui lui faisait face. Un sourire peint avec ce que les être pensants nomment nostalgie, notion qui pourrait être traduite par le fait de regretter le temps d'un souvenir. Alors que la main qui s'était levée pour inviter le jeune elfe à s'asseoir s'abaissait pour se poser doucement sur la jambe de Neraën, de nombreuses images venaient danser devant les yeux de l'elfe, accompagnées de sons et d'émotions. Rien n'est plus vivant qu'un souvenir... Neraën pouvait constater une fois de plus à quel point son ami d'enfance avait raison. De tout temps Tinrael avait tenu des propos sensés et parfois étonnants pour un elfe de son âge, et le vieil se souvenait qu'il avait sorti cette phrase bien tôt, avant même qu'ils ne deviennent adulte s'il se souvenait bien. Rien n'est plus vivant qu'un souvenir... L'être qui se trouvait aujourd'hui debout devant lui était la preuve vivante de la véracité de ses dires : s'il avait décidé d'oublier Tinrael afin de se tourner pleinement vers l'avenir, Neraën ne verrait pas en Ëninril une partie de l'essence de cet ami tombé auprès du lac Uraal.

Sans s'en rendre compte, l'esprit du vieil elfe s'était ouvert à celui de son jeune comparse, touchant sans forcer la chaleur de l'esprit d'Ëninril, ressentant les différentes émotions qui le traversèrent, retrouvant en lui l'elfe qui avait été. Oui, il lui ressemblait. Bien plus que ne laissait penser son physique, bien plus peut-être que ce que pouvait imaginer Neraën lui-même. Ce fut pour cette raison que son esprit entra quelques secondes en harmonie avec le sien, ses yeux de glace toujours plongés dans ceux vairon du druide, sans qu'aucun mot ne soit prononcé. Ce fut Ëninril qui interrompit le faible lien qui s'était tissé entre eux en relevant la main pour prendre précautionneusement entre ses doigts le pendentif rond fait de bois qui trônait depuis trois cents ans sur le torse du seigneur-protecteur. Les yeux de ce dernier s'abaissèrent pour regarder la main rester un temps avec le pendentif en son creux, avant que les doigts ne se rouvrent pour laisser le collier reposer là où il avait l'habitude d'être. Puis la main s'écarta pour retourner vers le reste du corps.

- Assis-toi, Ëninril. Assis-toi.

Le vieil elfe répéta son signe de la main, invitant ainsi une nouvelle fois le druide à se mettre à ne pas rester debout. Pourquoi cette insistance ? Par gêne ? Par besoin de suivre une étique ? Pour ne pas avoir l'impression qu'il se mettait en position de force par rapport à lui ? Non. Rien de tout cela. Il y avait une raison très précise à l'esprit de l'elfe, raison qui ne pouvait être véritablement comprise de l'extérieur de par la coupure entre le monde réel et l'esprit de Neraën qui venait de se créer. Ses yeux se tournaient toujours vers Ëninril, mais celui-ci put constater qu'il y avait un quelque chose d'inhabituel chez son interlocuteur. Il attendit que le druide s'assoit pour reprendre la parole.

- Ne sois pas impressionné par ce repas, ou plutôt ne t'y sens pas intrus. Tout comme chaque chose a sa place au sein de la Prime Forêt, de même que les événements se passent à des endroits et des moments précis, ce qu'il se passe aujourd'hui a son utilité. Rien n'arrive par hasard... et c'est à nous de décider de ce qui pourrait s'ensuivre.

Il laissa poser sa voix avant de reprendre.

- Tu peux te demander ce que tous ces gens - moi compris - font ici alors que les Drows sont entrés en Anaëh, tu peux te dire que c'est une perte de temps et un non respect de ceux qui se battent... Et pourtant, bien des choses seront décidées ce soir et plus encore permettront à d'autres d'avoir lieu plus tard. Les traditions ne sont pas toujours très logiques, mais c'est à nous de les utiliser aux meilleures fins possibles. Et la présence d'un druide ne pourrait qu'aider à faire avancer les choses, non ?

Il sourit franchement, avant de poser son regard sur les convives qui s'asseyaient, n'osant répondre à l'invitation du nouveau seigneur-protecteur d'aller vers ceux qu'ils ne connaissaient que peu. Puis ses yeux si clairs se reposèrent sur Ëninril, en un regard qui démontra au jeune que l'aïeul s'était entièrement de retour à la réalité.

- Tu me demandes qui était ton oncle, Tinrael. Mais, tout d'abord, que sais-tu de lui ? Et pour quelle raison exacte cherches-tu à savoir qui il était ? Cherches-tu un oncle, un druide ou une personne dont tu tiens des valeurs ? Raconte-moi."

"Les racines du passé servent à construire les bourgeon du présent, et les faire éclore dans l'avenir."
Ëninríl Il'Dolwen

Neraën, toujours aussi, réitéra son invitation à l'intention du druide pour que celui-ci s'assoit. Sa main se leva et désigna une chaise, à côté de lui. Ce geste, loin d'être tout juste une marque d'hospitalité, fut marqué par le scepticisme du druide qui fit mine de l'ignorer. Autant que l'insistance du Protecteur l'avait troublé, l'hésitation qu'Ëninríl éprouvait à exécuter la prière simple de son interlocuteur l'étonnait. Après encore quelques secondes, l'Ornedhel céda et prit place à l'endroit que l'on lui indiquait. En s'asseyant, son genou vint toucher celui de Neraën. Ëninríl remarqua sa maladresse et s'écarta vivement et maladroitement, ce qui aurait pu être moqué si d'autres yeux que ceux du Seigneur Protecteur s'étaient posés sur lui à ce moment.

Ces mêmes yeux, toujours empreint de cette sensation un peu dérangeante d'être sondé jusqu'au plus profond de son âme, fixèrent de nouveau les prunelles vairon d'Ëninríl. Ce contact visuel fut suivi, par une impression encore plus dérangeante que la précédente – ou était-ce la même, plus intense ? – comme si quelqu'un s'tait collé à votre poitrine et écoutait patiemment tout ce que votre coeur disait, tous ses maux, toutes ses joies, les plus communes comme les plus secrètes. Lorsque Neraën parla, Ëninríl sût que cette personne, penchée au dessus de son coeur, n'était autre que Neraën lui même. Il en conçut une certaine admiration distante envers l'elfe, celle d'être en mesure d'écouter chaque être de la Création comme chacun devrait pouvoir le faire. Le druide, n'ayant rien à cacher, s'ouvrit totalement, offrant ses états d'âmes et tout ce que son cœur retenait depuis des années. Il écouta patiemment la fin du discours du protecteur et prit lui-même la parole.

"– Tu as sans doute mal interprété mes pensées, Neraën. Cependant, tes paroles sont chargées d'une sagesse peu commune. Si Kÿria a voulu ce repas, alors qu'il soit. Qui suis-je pour juger Sa Volonté ? Mais je ne peux m'empêcher de penser que pour chaque seconde où ces Protecteurs, ces Capitaines ou ces nobles font connaissance avec d'autres, comme tu leur a demandé, un elfe meurt, victime des lames perfides des Sombres. Mon cœur s'emplit de tristesse à cette perspective, et cette tristesse m'empêche sans doute d'apprécier les moments que la Mère m'offre. Mais puisque c'est ta volonté, alors je me plierai à celle-ci et je vais participer à ton repas. Mais je gage que si la Symphonie m'a mené jusqu'ici, c'est que je dois y trouver des réponses.

– Tu me demandes qui était ton oncle, Tinrael. Mais, tout d'abord, que sais-tu de lui ? Et pour quelle raison exacte cherches-tu à savoir qui il était ? Cherches-tu un oncle, un druide ou une personne dont tu tiens des valeurs ? Raconte-moi.

Ëninríl prit un moment pour rassembler ses pensées. Il ouvrit son cœur, à la fois à la Symphonie, qui lui semblait moins loin, une fois qu'il s'était confié, et à Neraën. Il cherchait tout cela à la fois, sans doute. Les trois faces de Tinrael l'avait marqué, à des échelles différentes. L'oncle était certainement le lien le plus fort qui l'unissait au druide. Le druide avait été un mentor, se retrouvant alors même qu'il était décédé dans les paroles d'Idril. Il avait été, même dans la tombe, dans les bras de Tari, une lumière dans la nuit, une corde dans un ravin. Quant à l'homme dont il avait hérité des valeurs, c'était le modèle vers lequel Ëninríl aspirait à atteindre.

La réponse du druide se fit attendre un moment. Lorsqu'elle surgit, elle était réfléchie, chaque mot pesé avec soin.

"– Je cherche Tinrael, l'oncle, le druide, l'ancêtre, mais surtout, celui dont je suis l'héritier."

"Je cherche Tinrael, l'oncle, le druide, l'ancêtre, mais surtout, celui dont je suis l'héritier.

Tout. Simple et complexe à la fois. Lorsque la réponse d'Ëninril tomba, prise d'assurance, Neraën ferma les yeux. Tout. Tout sur un personnage du passé qu'il jugeait important, autrement dit tout sur un passé commun. Le druide avait une attente de son interlocuteur, attente qu'il ne cachait aucunement. Attente que le seigneur-protecteur pouvait comprendre et à laquelle il se devait de répondre. Aussi, pour être dans l'exactitude, Neraën se souvint, faisant appel au plus de sens possibles. La vue de ses sourires ou de son air "ailleurs", l'écoute de sa voix, la sensation de ses doigts trempés d'une mixture végétale malodorante lui dessinant une peinture tribale sur le visage, le goût de cette même mixture lui piquant les lèvres alors même que la peinture ne touchait pas ses lèvres... Puis le ressenti de vide, de peine et le manque de contrôle magique lorsqu'il apprit sa mort.

Neraën rouvrit alors les yeux et soupira. Le présent avait toujours besoin du passé pour partir vers l'avenir et cela était parfois douloureux. Ainsi allait la vie. C'était au devoir des anciennes générations de conter aux nouvelles ce qu'elles avaient vécu.

- Je ne saurais vraiment par où commencer, Ëninril. Tinrael était quelqu'un de fort sage qui avait à cœur de tout faire pour protéger Anaëh, quitte à enfreindre des interdits ou à se séparer des siens. Il était à l'écoute de la Symphonie des Arbres et a répondu à leurs craintes lorsque les Drows sont entrés pour la première fois dans la forêt.

Il s'arrêta là concernant cette partie de l'histoire. Tinrael était venu aider l'armée et il n'en était jamais revenu. C'était tout.

- Je l'ai rencontré alors que nous étions encore de jeunes enfants. Déjà à l'époque ton oncle se doutait de la voie qu'il emprunterait plus tard. Il avait un lien particulier avec tout ce qui l'entourait et, pour son âge, faisait montre de raisonnements étonnants. Nous sommes restés très proches au fil des années et avons évolué parallèlement, faisant en sorte de faire découvrir à l'autre le monde dans lequel il vit. C'est ainsi que je suis allé à plusieurs reprises dans ton clan, apprenant à le connaître et à apprendre à voir les noss différemment de la vision qu'en avaient mes proches. Le concernant, aller en ville a été plus compliqué pour lui, le choc étant visiblement plus dur que pour moi. Il n'en est ressorti que plus attaché à la forêt, mais ne s'est jamais fermé à ceux que l'on appelle aujourd'hui les Elfes des Cités.

Il sourit. Il se souvenait encore de ces jours où il avait réussi à le faire entrer dans la ville.

- Puis il est devenu druide, suivant une formation auprès d'un aïeul. Généralement les druides ne s'attachent pas à leur clan de naissance mais Tinrael n'a jamais désiré se détacher totalement de certaines personnes, aussi revenait-il régulièrement dans la région lorsqu'il n'avait pas de mission auprès de sa noss de naissance. Il a d'ailleurs été des plus heureux d'apprendre ta naissance et était très attaché à toi. Je ne sais comment, mais il a très rapidement su que tu deviendrais druide toi aussi. Peut-être n'étais-tu encore qu'un très jeune enfant à l'époque.

Il fit une pause, prenant le temps de regarder son interlocuteur puis l'assemblée qui avait fini par s'asseoir.

- Sinon, concernant comment il était... Il ressemblait beaucoup plus à ton père que toi, il possédait même une plus forte carrure. Pourtant ce n'était pas un guerrier maniant de nombreuses armes... quoique... les siennes étaient la sagesse, son bâton et la Symphonie. Un véritable combattant... aussi fort et robuste qu'un ours, notamment dans ses idées.

Il s'arrêta et regarda à nouveau le jeune elfe qui lui faisait face. Puis, se levant, il reprit.

- Mais je n'ai certainement pas autant parlé de lui que tu ne l'imaginais. Les autres commencent à nous attendre, allons donc à table. Et n'hésite pas à me poser les questions que tu veux."

"Le souvenir d'une certaine image n'est que le regret d'un certain instant."
Proverbe Noss

Cycle 10, An 700
Lac d'Uraal

Le sol était jonché de cadavres. Peaux blanches et sombres se mêlaient dans un pêle-mêle sans nom, avec, pour seuls points communs le sang et la mort. Tinrael contemplait l'horreur sous ses yeux. La Symphonie hurlait tout autour de lui, le déboussolant complètement. Pris de vertiges, il buta contre un corps. Celui-ci le défigurait, le visage à jamais marqué par la mort. Il s'agissait d'un elfe que le druide avait aperçu quelques jours avant, dans les colonnes de l'armée d'Ellyrion. Tragique destin, pour cet elfe comme pour tout ceux déjà décédés et tous ceux à venir. Tinrael adressa une prière silencieuse pour le malheureux et les autres. Le silence était lourd et assourdissant. pour la première fois de son existence, la présence de la forêt lui paraissait pesante. Il posa une main contre l'écorce d'un arbre et ferma les yeux un moment. Il ne pouvait pas se laisser abattre. Anaëh avait besoin de lui. C'était sa mission, celle pour laquelle il était destiné, choisit par la Déesse. Si il devrait repartir vers elle, alors il le ferait en protégeant la Création.

"– Donne-moi le pouvoir de remplir ma tâche jusqu'au bout... "

Dire cette phrase lui redonna confiance. il se releva et rouvrit les yeux. Un pendentif en bois en main, celui qui briera plus tard autour du cou de Neraën. Il avança, contournant chaque corps et murmurant une prière pour chacun d'entre eux. Chaque pas le rapprochait un peu plus du fracas assourdissant des combats, au loin. L'acier elfe rencontrait les lames drows, chacun tombait par centaines. comment les dieux autorisait un tel massacre ? Était-ce dans l'ordre des choses ? Le héraut d'Anaëh se rapprochait de plus en plus de la clairière. Les premières silhouettes se dessinaient au loin, au travers des branchages. Quelques minutes et le druide était à l'entrée de la clairière. Les drows prenaient l'avantages sur les dernières poches de résistances elfes, regroupés en petits cercles.

Le premier guerrier remarqua la présence de Tinrael. Il cria à ses camarades, et l'espoir revint dans les troupes de l'Armée Royale. Pendant un moment, les drows reculèrent. Mais ils se reprirent bien vite et rattrapèrent le retard. Le druide poussa un long cri bestial qui retentit à travers toute la clairière, à des lieues à la ronde. La forêt n'attendait que cela pour réagir. Des racines s'animèrent, elles fauchaient les drows. Les branches ployaient, bras de natures flottants sur les bords de la trouée, tuant tout drow qui s'y approchait. La faune réagit elle aussi, et un renard initia le mouvement. Les guerriers Taledhels et Ornedhels reprirent le dessus sur les troupes sombres. Un moment, tout sembla gagné. Mais le cours des choses reprit ses droits. Le contre coup de la magie déployée frappa de plein fouet Tinrael, qui s’écroula. Un genou à terre, il ne put que regarder l'officier drow qui s'avançait vers lui. Son épée se leva. Aucune racine ne le fauchât, aucune branche ne le tua. Le bras d'acier se leva plus haut encore. Puis il retomba. Tinrael, dans un dernier sursaut de courage, toucha du bout des doigts l'officier. Celui-ci se couvrit instantanément de mousse, herbes folles et s'écroula, en proie au sort du druide. Mais le mal était fait, et rien ne pouvait détourner l'épée de la nuque du druide. Alors Tinrael tendit le coup et laissa la lame se ficher dans son cou. Ses dernières pensées s'envolèrent vers sa petite protégée et son neveu, encore jeune. Lui aussi poursuivrait son œuvre.

Un seconde cri résonna dans la forêt. A la place du druide se tenait un cerf. Un grand cerf blanc aux bois grands de plus de deux coudées. Le cri retentit, et certain, parmi ceux qui l'ont entendu, le rapproche du cri du Grand Cerf.

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x

Ëninríl hocha la tête. Tinrael lui apparaissait à présent de plus en plus comme un modèle, un idéal à atteindre. Il écouta patiemment l'histoire de Neraën ne le coupant pas. Il fixait le pendentif sur la poitrine du Protecteur. C'était le dernier objet qui avait appartenu à Tinrael. Dernier ? Non pas tout à fait. Une scène lui revint en mémoire. Sa mentor, les yeux tristes, tenait un arc dans ses mains. Elle le tendit à son apprenti, alors sur le point d'accomplir son Epreuve. Celui-ci accepta le présent et formula à peine un remerciement que cette dernière tournait les talons vers l'Arbre Mère.

Se pouvait-il qu'il ait appartenu au druide ? La vérité éclata aux yeux d'Ëninríl. Il tenait son arc de son oncle lui-même. Oncle qu'il découvrait à peine aujourd'hui. Une question lui brûlait toujours les lèvres cependant. Il la retint jusqu'à ce que le discours du Seigneur Protecteur se termine et que celui-ci lui propose de se rapprocher des convives. Il accepta avec réticences et laissa échapper la question tant attendue :

"– Comment est-il mort ?"

Les deux elfes s'assirent l'un à côté de l'autre autour de la table. Certains arquèrent le regard dans leur direction, surpris par une association aussi incongru. Ils les ignorèrent et continuèrent la conversation. Le fauteuil était confortable, mais le héraut d'Anaëh ne put en apprécier les rebords de cuir et le rebondis en plumes. Les mets étaient certainement délicieux, mais Ëninríl n'y jeta pas même un regard. Seul les paroles de Neraën semblait l’intéresser. Dans son esprit, la lourdeur des murs de pierres autour de lui s'effaça pour laisser place à une barrière de verre, invisibles, qui formait une bulle autour de lui et du Protecteur. L'un racontait son histoire, l'autre écoutait les derniers vestiges de la vie de son feu oncle.

D'autres questions l'assaillaient. Pourquoi s'était-il jeté dans la bataille, quelles raisons l'avait poussé à se séparer de sa Noss ? Des gestes qu'Ëninríl, plusieurs jours ou ennéades auparavant, avait fait sans sciemment savoir qu'ils étaient ceux réalisés par Tinrael des siècles auparavant. Tout devint limpide dans son esprit. Son père, refusant d'engager ses guerriers à la suite de son fils. Le regard du chef du clan, à la fois triste et fier, lorsque le druide entrait dans le camp, sa capuche en plume d'aigle gris sur la tête pour la première fois. Ce que le jeune Dolwen avait prit pour de la lacheté et de la couardise n'était en fait que l'instinct d'un père dépassé par les évènements et inquiet pour son fils. Pourtant, l'Ornedhel ne faisait que la tâche à laquelle il avait été destiné et preparé pendant des siècles : la protection de l'Oeuvre de Kÿria.

Neraën avait été l'ami le plus proche du défunt druide. A présent, il était Seigneur Protecteur et une oreille attentive qui saurait le conseiller. Si Tinrael lui avait fait confiance, Ëninríl le pouvait également. Alors il se confia au Citadin :

"– Tinrael était un sujet tabou chez les Wen'Döril. Je me souviens, lorsque mes pieds ne me portaient pas à plus d'une lieu autour de la clairière, avoir surpris des conversations houleuses à son sujet entre ma mentor et mon père. Je fut élevé en dehors de son influence posthume. A peine Idril m'en toucha deux mots. Je la soupçonne de m'avoir donné cet arc, que vos gardes m'ont confisqué à l'entrée du Palais de Lumière. Réparons ce tort ensemble, Neraën."

Un sourire se dessina sur la face d'Ëninríl. Un sourire comme rarement il en eût. Un sourire sincère et franc.

HRP:

Comment était-il mort ? Neraën aurait bien aimé le savoir lui-même, avoir plus de précisions qu'un simple "il s'est donné pour les autres" et surtout avait tellement désiré remonter le temps pour être présent à ses côtés lors du moment fatidique, que ce soit pour le sauver ou mourir avec lui sur le champ de bataille... Car bien longtemps l'elfe aurait préféré mourir aux côtés de son ami le plus sincère que d'être en proie à une magie que personne ne pouvait comprendre - surtout lui. Aussi, tout en marchant vers la tablée, il répondit sincèrement au jeune druide qu'il n'en savait lui-même rien : la guerre avait fait son œuvre, avait pris des vies et en avait changé d'autres. Les deux elfes étaient venus à se séparer de par leurs rôles et ce n'était qu'une fois que le lieutenant de l'époque avait été "soigné de ses blessures" qu'il avait appris la mort de Tinrael. La personne qui lui avait appris la tragique nouvelle avait été celle qui lui avait remis le collier du druide, apportant là la preuve dont l'esprit de Neraën avait besoin. C'était tout.

Non habitués à ce qu'un elfe des cités et encore plus un seigneur protecteur ait une discussion visiblement importante avec un noss, de nombreux regards se portèrent sur l'étrange duo. Certains étaient interrogatifs, d'autres étaient plus dédaigneux, mais nombre montraient une certaine incompréhension. Neraën nota très rapidement ce fait et retint quelles pouvaient être les différentes réactions. Mais là n'était pas sa préoccupation. Elle était dans l'attention donnée à ce jeune elfe qui avait bravé son aversion pour les cités afin de venir lui parler, faire remonter un passé qui, peut-être, lui permettrait de comprendre certaines choses. Et cela sans savoir s'il les obtiendrait vraiment. Cet être venu du plus profond de la forêt était comme un enfant pour le vieil elfe, tout en étant un adulte et un membre éloigné d'une famille.

"Tinrael était un sujet tabou chez les Wen'Döril. Je me souviens, lorsque mes pieds ne me portaient pas à plus d'une lieu autour de la clairière, avoir surpris des conversations houleuses à son sujet entre ma mentor et mon père. Je fus élevé en dehors de son influence posthume. A peine Idril m'en toucha deux mots. Je la soupçonne de m'avoir donné cet arc, que vos gardes m'ont confisqué à l'entrée du Palais de Lumière. Réparons ce tort ensemble, Neraën.
- Le tort de t'avoir élevé loin du souvenir de ton oncle ou le tort de t'avoir pris ton arc le temps d'une soirée ?

Le mage sourit, de ce genre de sourires qui donnaient l'impression d'être rares sur ses lèvres tant il plissait ses joues. Puis il reprit, d'une voix relativement basse pour que les autres elfes n'entendent pas particulièrement ses dires.

- Cela ne m'étonne pas que ta noss n'ait pas accepté les décisions de Tinrael, même si cela me chagrine de savoir que faire référence à lui était devenu tabou. Le fait que ton oncle ait préféré se joindre à l'Armée du Sud au lieu de rester au sein des Wen'Döril a fait beaucoup de mal à ta famille, notamment à ton père. Pour tout te dire, je pense que tout comme moi il n'a jamais pu comprendre quelle avait été la raison de la décision de son frère. Il était venu protéger la forêt, mais pourquoi ? Etait-ce que la Mère avait ressenti que sans druide nous tomberions sous les armes et la haine des Drows ? Je ne pense pas, sinon il y aurait eu plus de druides et ils seraient venus de la région d'Alëandir. Alors prétexte ou mission lui ayant été donnée en tant que puissant druide ? Certainement la dernière solution. Mais plus personne n'est là pour en dire plus, je le crains.

Son sourire s'était éteint. Nostalgique de cette si grande amitié, Neraën revoyait les images de lorsqu'il avait enfin pu adresser ses condoléances à la noss Wen'Döril et des réactions que cela avait entraînées. Puis les images se transformèrent pour le faire se souvenir des journées et des nuits passées dans cette même noss, auprès de Tinrael et de sa famille, à découvrir un monde qui n'était pas le sien et qui pourtant lui donnait envie d'explorer, de comprendre. A l'époque, cela devait correspondre avec son besoin de crapahuter partout et de se salir dans la terre, les feuilles mortes pourrissantes et la boue. Puis il avait découvert que cette empathie qu'il avait depuis son plus jeune âge était en fait un lien avec la Symphonie, lien qui malheureusement n'était que fort peu. Lien que Neraën aurait préféré garder en l'état en tant qu'adulte.

- Le même sang que lui coule dans tes veines, les mêmes idées que lui envahissent ton esprit et ta volonté semble être aussi grande que la sienne. Tinrael aurait été ton père que je n'en aurais pas été surpris. Il est donc possible que parce que tu suis le même chemin que lui, qu'apprendre à connaître ses chemins ne pourrait que t'aider. En cela je peux t'aider à réparer cette erreur, Ëninril - même si je pense que ta mentor t'a élevé malgré sous une certaine influence de son prédécesseur. Mais promets-moi tout d'abord que tu ne feras pas comme lui. Si vous vous ressemblez autant, c'est que la Mère l'a voulu ainsi. Mais vous n'êtes pas la même personne et êtes deux druides de générations différentes, en des temps différents. Vous n'êtes pas appelés à faire exactement la même chose. Lui s'est donné contre les Drows, peut-être en protégeant quelque chose en particulier. A toi de découvrir quel chemin exact tu es appelé à prendre."

"Du passé, au présent, Ëninríl, tu forgera ton avenir."

Les joues du protecteur se plissèrent, et celle du druide les accompagnèrent. D'un ton amusé, il répondit "Les deux, sans doute.", et son visage redevint un masque de cire. L'évocation de son oncle, sa découverte, et savoir qu'il avait été élevé en dehors de cela, bien des choses qui le dégoutait de sa Noss Mère. La mélancolie le rattrapa et jeta un voile sur ses yeux vairons.

"– Je ne peux faire pareille promesse, Neraën. Kÿria seule guide mes pas sur les sentiers qu'Elle a choisit. Si ceux-ci viennent à croiser ceux qu'à empruntés Tinrael, alors j'assumerai ce qu'Elle m'aura demandé. Ma vie n'a de sens que si je la met au service d'Anaëh. Il en sera de même pour ma mort."

Ëninríl posa son regard sur l'un des invités, qui, avait-il remarqué, le fixait depuis de nomruses seconde. A l'instant où il tourna la tête, celui-ci baissa les yeux, gêné. Non, ce n'était pas son monde, pas plus qu'il n'avait été celui de Tinrael. Mais pourtant, il devait renouer entre son peuple et celui-ci. Il en allait de la santé des elfes et de la sécurité d'Anaëh, deux choses pour lesquelles il avait prêté serment devant Kÿria.

"– Et il devrait en être ainsi pour chacun. Les fils de Kÿria n'ont que trop longtemps oublié qui était leur véritable Mère et leur vrai foyer."

Le héraut avait légèrement haussé la voix. Assez, cependant, pour que les personnes les plus proches se retournent. A son tour embarrassé par le poids du regard des autres, Ëninríl se tut quelques instants. C'est à ce moment qu'il décida de son départ. Se levant, il murmura à Neraën la promesse sincère de vouloir le revoir prochainement et s'esquiva, alors que les conversations avaient repris leur cours.

Plus tard, lorsqu'il parcourrait les sentiers de la Forêt, il réfléchirait à l’intérêt de sa présence dans ce Palais, ce qu'il l'avait conduit. Il n'en verrait pas la portée sur l'instant, mais une petite voix lui souffla à l'oreille : "Du passé, au présent, Ëninríl, tu forgera ton avenir."