Raviver le passé - Donner souffle au présent

-Heru Fanyendil ?
Pour une cité si souvent critiquée pour son trop grand amas de pierres mortes, les abords du lac étaient pleins d'une vie et d'une sérénité que nul ne pouvait nier. Ici, la nature semblait avoir retrouvé tous ses droits et Aegden n'était pas très étonné d'y trouver son interlocuteur tranquillement assis à faire il se savait quoi, après s'être rapidement renseigné sur sa personne. Lissesúrë était apparemment de ces elfes passant une grande partie de son temps dans la contemplation et la rêverie.
-On m'avait bien dit que je vous trouverais ici.... Je peux vous emprunter un peu de votre temps?
Aegden s’assit à ses coté, tranquillement. A ces vêtements civils, il pourrait certainement comprendre qu’il ne venait pas au nom de l’armée mais bien en son nom propre.
-J'aimerais avoir recours à vos talents à vrai dire, pour une arme dont je n'ai actuellement plus que la lame...

7ième énnéade de Barkios , 19:XI
Ardamir - Au pieds des racines

Après une longue discussion, Lissësurë avait accepté. L’elfe des nuages était parfois étrange dans ses questions, oscillant entre naturellement demander les motivations du soldat et l'interroger sur des  sujet beaucoup plus personnels, parfois même sans réel rapport au premier abord. Entendait-il la symphonie ? Depuis quand ? Avait-il déjà observé ce type de phénomène ? Et une famille, en avait-il une ? Avait-il déjà assisté à la naissance d’un autre être vivant ? Et l’art dans tout cela… ? Et comment y conjugait-il son rang dans l'armée ? Et bien d’autres questions encore... Aegden avait été surpris au départ, hésitant, mais s’était prêté au jeu, imaginant que l’artisan avait ses raisons de lui demander tout ça.

Finalement, l’archemage avait acquiescé, probablement satisfait et lui avait proposé de l’accompagner jusqu’en Ardamir, là où ils trouveraient mages de vie et essences de bois les plus adaptés à leur projet et il ainsi achèverait par la même occasion de le connaitre assez. Évidemment, Malgelir les accompagnerait aussi parce qu’il allait de soi que l'élémentaliste serait à l’origine du sort à enfermer. Au delà de son maniement du vent et de la glace, ils avaient  de toute façon commencés cette quête ensembles et la finiraient ensembles.

Quelques jours plus tard, après une brève pause en Alëandir afin que les deux lëandrin puissent donner de leur nouvelles à leur entourage respectif, les trois elfes mettaient les pieds dans la cité des arbres.

C'était la première fois qu'Aegden venait dans la cité en étant capable de percevoir ses chants, et là encore la différence entre ce qu'il avait pu percevoir au fil de ses voyages avait perturbé le lëandrin l'espace de quelques instants. Malgelir quand à lui avait été égal a lui même, il avait retrouvé son entrain naturel depuis qu'il avaient quitté les noss du nord. Il joua un instant à faire voleter une feuille déja prise dans une brise.

-Notre voyage touche presque à sa fin. Fit-il avec légèreté.

-Presque. Lui répondit son ami avec un léger sourire.

-La vue vous plait ?

Absorbé dans la contemplation des arbres gigantesques d’Ardamir baignés par les rayons de soleil crépusculaires, Aegden n’avait pas entendu l’elfe s’approcher. C’était un elfe grand et à la carrure élancée typique qui lui sourit lorsqu’il se tourna vers lui. Ses cheveux bruns étaient noués en d’élégantes et pourtant relativement simples tresses et il y avait dans ses vêtements, voir même peut être ses gestes, la même simplicité raffinée qui caractérisait disaient-on, les ardamiris.

-Je peux ?

Il attendit l’acquiescement silencieux de son interlocuteur avant de venir s’installer à ses côtés, levant les yeux vers les frondaisons comme s’il cherchait à trouver la même vision dans laquelle l’elfe roux s’était plongé. Lui, fit mine de ranger le petit bâton de bois avec lequel il jouait machinalement.

-Je m’appelle Rýndir. Lissesurë m’a parlé de vous et de votre projet. Voilà qui n’est pas ordinaire

-Effectivement. Je comprends parfaitement certaines réticences possibles, même si je le ne les partages pas.

-Moi, ça me plait.Au grand étonnement du soldat, l’autre s’était fendu d’un sourire tranquille. Je suis intrigué à vrai dire. Je sais que le voyage à été long et a ce que j'ai vu vous n'avez pas vraiment pris le temps de vous reposer mais vous accepteriez de passer votre soirée en ma compagnie ? Ce que je ferais demain, je le ferais autant à votre image physique que mentale. Autant que nous nous connaissions. Vous ne croyez pas ?

-A vrai dire, c'est vous a qui ont demande le plus d'effort à présent, alors si vous y tenez..avec plaisir.Aegden lui offrit un sourire égal au siens.

Il appréciait la franchise de son interlocuteur. Il allait droit au but, était clair dans sa façon de voir les choses, un peu comme un soldat en somme. De prime abord, lissësurë semblait avoir choisi la bonne personne pour les aider.

Le rituel avait été lancé à peine le jour levé. Les quatre elfes s’étaient réunis à nouveau en bas de l’immense arbre-cité alors que les rayons de soleil de l’automne peinaient encore à percer son épaisse frondaison. Ils n’étaient pas plongés dans la pénombre cependant, car l’archemage avait insisté pour travailler à ciel découvert.

-Aegden si vous voulez bien ?

Le vitaliste tendit sa main vers le soldat, paume vert le ciel. L’espace d’une demi seconde il baissa les yeux sur la lame d’acier véladrien qu’il tenait dans ses mains. D’une bonne taille et d’une forme élégante légèrement évasée sur l’arrière et plus fine sur l’avant, la lame était d’un blanc légèrement bleuté délicatement rehaussée de quelques gravures typiquement elfiques sur l’arrête du milieu. En passant un doigt le long de son tranchant, on constatait qu’elle était encore affutée comme au premier jour. C’était à elle seule une arme aussi belle qu’elle serait redoutable même sans magie à l’œuvre.

Il la tendit sans plus attendre à son camarade, hochant la tête avec déférence. La soirée précédente lui avait confirmé ce qu’il pensait de cet elfe et c’était un honneur de lui confier l’objet.

Le mage de vie fut le premier à commencer. Il jeta son dévolu sur un frêne épais qui ne souffrirait probablement que peu de tout cela. L’arbre avait un bois sombre qui venait contraster avec le blanc du métal qu’il tenait à présent contre. Un sourire confirma à tous que l’effet le satisfaisait assez.
Alors durant les heures qui suivirent, la magie dansa pour créer, faire pousser, sculpter une longue branche de frêne au sein duquel la lame n’était non pas clouée avec brutalité mais bien intégrée par un entrelacs de bois tressé. En symbiose, pouvait-on dire car la branche, même détachée de son arbre maitre était bel et bien toujours en vie.

Petit à petit, ils eurent devant les yeux une longue tige de bois forte et souple. Tout comme la lame, elle était çà et là délicatement sculptée, ou plutôt façonnée de manière à le laisser croire, de quelques arabesques souples. Les quelques motifs, parfois végétaux parfois plus abstraits, n’étaient jamais ostentatoires mais plutôt dans le style simple et néanmoins élégant de l’ardamiri, style convenant parfaitement au lëandrin et probablement l’une des raisons pour laquelle ils s’étaient fort bien entendus. A l’endroit où le lancier poserait ses mains, le bois était blanchi et un peu enfoncé pour créer une prise confortable.

Le mage de vent  et de glace fut le second à agir. A peine en reçut-il l’ordre qu’il se lia à son tour aux flux. En gardant toujours le contrôle, il déchaîna l’étendue de son art guerrier en une vague d’air froid  tranchant qui ne blessa pourtant personne puisque l’archemage, troisième à agir le récupéra habilement.

Ce fut le seul et unique moment de sa vie où le commandant regretta sincèrement de manquer cette connexion dont bénéficiaient les trois autres elfes. Il aurait été curieux de connaitre la sensation de ces magies à l’œuvre. Il y avait la symphonie qui battait paisiblement, mais ce n'était probablement pas la même chose.

Le soleil avait eu le temps de grimper tout en haut du ciel lorsqu’enfin, les mages firent mine d’abaisser leurs mains et de relâcher leurs épaules, s'autorisant quelques soupirs de soulagement. Avant de se relâcher, l’archemage tendit alors le fruit de leur labeur au soldat. Il y avait une certaine solennité dans leur geste.

-Voici Ailagos.

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