Te revoilà enfin, Cousin ! [Hagen]

L'arrivée de Guillaume avait été un événement particulièrement intense. Ils ne s'étaient pas quittés de la soirée et ce n'est que tard dans la nuit qu'ils étaient enfin allés se coucher. Au matin, Guillaume avait pris son cheval et lui avait promis de revenir très vite. Il avait une multitude de chose à faire, et tout particulièrement à Etherna où il devait gérer le retour des soldats, et préparer le retour de Jérôme. Malgré sa fatigue, il avait refusé de se reposer plus que de raison. Les drows avaient été repoussé mais l'absence du Baron avait trop longtemps durée et les choses devaient être reprises en main rapidement. Cela Mathilde le comprenait pourtant elle avait tout de même ressentit un pincement au cœur en le voyant partir ce matin là.

Mais les occupations ne manquaient à Hiviène, et elle avait vite été absorbé par son propre travail. Elle se plaisait à gérer le domaine familial, probablement parce qu'elle savait que Jérôme lui faisait confiance. Les mots que lui avaient écrit son aîné, elle les relisait fréquemment, lorsqu'elle doutait ou qu'elle sentait la fatigue l'envahir. Il lui faisait confiance et elle comptait bien lui prouver qu'elle avait su tenir correctement la maison en son absence.

Malgré les tensions qui existaient entre elle et sa mère avant le décès de cette dernière, Mathilde se rendait quotidiennement sur la tombe de ses parents. Elle changeait les fleurs fanées, elle leur parlait, surtout à son père et parfois même elle pleurait. Mais en toute sincérité, chaque fois que les larmes perlaient sur ses joues ce n'était pas parce qu'elle se tenait devant les deux pierres tombales... mais parce que son regard se portaient à l'autre bout du petit cimetière d'Hiviène, là où les habitants du village était enterré, là où son fils gisait à présent, là où elle ne pouvait pas se rendre aussi fréquemment qu'elle le voulait.

Quand elle revenait au château, elle séchait ses larmes et s'enfermait des heures dans le bureau de son père, reprenant les livres de compte et les courriers en instance. Elle savait aussi qu'il lui faudrait bientôt faire le tri dans les affaires qui s'entassaient là.

Il faisait particulièrement chaud en ce début d'après-midi, l'immense ciel bleu donnait des envies de balade à Mathilde, mais elle n'avait pas encore trouvé une minute à elle. Au placard ses robes de Dame de Cour, aujourd'hui elle était vêtue bien plus simplement, quoi que toujours avec raffinement comme le souhaitait son père. Une robe en voilage orangée ceinturée à la taille par une étoffe dorée et de longues manches blanche dans le même tissus, ouvertes aux coudes. Au moins là dedans elle n'étouffait pas à chaque pas.
Elle se trouvait dans les écuries, son refuge aussi surprenant que cela puisse paraître. Henrich s'occupait du poulain qui était née une ennéade plus tôt. Le géniteur, dans le box d'en face était bien plus tranquille depuis qu'ils étaient rentrés à Hiviène. Tempête avait droit à sa balade quotidienne et quand le soleil ne cognait plus aussi fort qu'en ce milieu de journée, Mathilde le menait dans le pré derrière les écuries.

Henrich lui parlait de tout à la fois. Des améliorations à prévoir dans les écuries, il faudrait sûrement les agrandir d'après lui, du chenil et de l'un des chiots qu'il trouvait trop chétif pour être dressé à la chasse et des bandes de fraises qu'il retrouvait littéralement dévoré.
Mathilde riait à ses dernières paroles, soupçonnant déjà sa fille d'être la cause principale de ce carnage. Le vieil homme fut interrompu par un bruit de galop, le cœur battant, Mathilde se précipita à l'extérieur. Chaque jour elle espérait l'arrivée de Jérôme et chaque fois qu'on annonçait l'approche de cavaliers elle ne pouvait s'empêcher de se précipiter à leur rencontre.

La main en visière pour se protéger du soleil, Mathilde scruta le chemin par lequel les cavaliers s'approchaient. De toute évidence il ne s'agissait pas de Jérôme, à moins que celui-ci ait changé de couleur de cheveux pendant cette interminable guerre. Elle parvenait mal à distinguer le blason sur l'étendard qui virevoltait au gré du vent, mais bientôt, lorsque le cavalier de tête mit enfin pied à terre et qu'il se tourna vers elle, Mathilde reconnut son cousin. Son regard de glace était le même mais son visage était à présent marqué par une terrible balafre qui courait sur toute sa joue.
Son visage s'illumina presque aussitôt et elle s'empressa de venir à la rencontre son cousin, lui adressant son éternel sourire. Il semblait surpris de la revoir, à moins qu'il ne l'ait pas reconnu immédiatement. Du coin de l'oeil, Mathilde remarqua que Cynérus, l'intendant d'Hiviène, n'était pas loin et qu'il venait également à la rencontre du cavalier.

« - Faites prévenir ma tante »

Reportant son attention sur Hagen qui venait tout juste de la rejoindre, elle le regarda la saluer si solennellement et lui présenter ses condoléances. Evidemment, guerroyant en compagnie de Jérôme et Guillaume, il avait forcément été informé du décès de la Dame d'Hiviène, sa tante.

« - Et la mienne te remercie d'être venu jusqu'ici pour nous les présenter... Mais... »

Croisant à nouveau le regard de son cousin, Mathilde s'interrompit une seconde chassant les mèches de cheveux qui volaient devant son visage.

« - Mais n'ai-je droit, après tant de mois, qu'à de si distantes salutations ? »

Après un sourire amusé, la jeune femme combla l'espace qui les séparait et déposa un baiser la joue de son cousin avant de l'étreindre quelques secondes. Ce geste aurait pu paraître déplacé mais elle connaissait Hagen depuis sa plus tendre enfance et même si elle connaissait sa sanglante réputation, il n'avait jamais montrer autre chose que de la gentillesse et d'affectueuses attentions à son encontre. Elle ne l'avait jamais jugé et ne le ferait jamais.
Une seconde elle repensa à l'homme qu'il avait servit en Oësgard, l'homme qu'elle avait eu l'illusion d'aimer, l'homme qui avait été le père de son fils... Elle avait l'impression que plusieurs années s'étaient écoulés depuis le jour où Norman était apparu sur ce même chemin.
Chassant ses pensées, Mathilde se recula légèrement avant d'observer à nouveau son cousin. Elle leva doucement la main vers son visage, posant ses doigts sur la cicatrice qui trônait maintenant sur sa joue.

« - Comment veux-tu trouver une épouse que tu n'effrayeras pas maintenant ? Je parie que c'est l'une des premières choses que te dira ma tante lorsqu'elle te verra. » Un rire amusé ponctua sa phrase. Elle avait bien conscience qu'une pareille cicatrice avait du être particulièrement douloureuse et qu'elle avait une chance inouïe de ne pas pleurer également la mort de son cousin. Mais elle savait qu'il n'était pas du genre à s’apitoyer sur ses blessures de guerre, après tout, pour le guerrier qu'il était c'était une sorte de nouveau trophée!

 « - Je suis tellement heureuse de te revoir Hagen. Viens rentrons. Tes hommes et toi êtes les bienvenus. Je vais vous faire préparer des rafraîchissements »

Ils revenaient lentement vers la demeure des Clairssac, profitant de leurs retrouvailles. Mathilde savait et comprenait parfaitement qu'une fois qu'il aurait franchi les murs de la demeure familiale il serait accaparé par sa tante qui désespérait d'avoir de ses nouvelles. Elle les laisserait tranquille et les rejoindrait sûrement pour le dîner. Quoi qu'il en soit, ni l'un ni l'autre ne pressait le pas pour rentrer.
Les paroles d'Hagen firent froncer légèrement les sourcils à Mathilde. Que voulait-il dire par « mon dernier voyage » ? Il était jeune, il reviendrait probablement. Pas tout de suite, mais peut-être que dans un an ou deux... Et puis cela ne signifiait pas qu'ils ne se reverraient jamais. Si ?
S'arrêtant, la jeune femme se tourna vers son cousin, retenant d'une main ses cheveux que le vent rabattait constamment sur son visage. Son regard croisant celui de son cousin elle laissa filer une seconde pour être sûre d'avoir bien compris.

« - Bien sur. Evidemment que je comprends que ta place est chez toi, auprès des tiens. Mais... Mais faut-il vraiment que cela soit si … définitif ? A t'entendre j'ai l'impression que tu viens me dire adieux. »

C'était tout à fait ça, cette étrange impression qu'avait laissée les paroles de son cousin. Comme s'il voulait lui faire comprendre qu'après son séjour à Hiviène, il s'en repartirait et qu'ils ne se reverraient probablement plus.
Elle ne pouvait accepter une telle chose. Certes, elle avait beaucoup moins vu Hagen que Guillaume et Jérôme durant son enfance, mais il faisait parti de ses souvenirs et elle l'aimait comme un frère. Elle ne pouvait pas imaginer qu'une fois partie, elle ne le reverrait plus.

« - Et puis qui te dit que ce ne sera pas moi qui viendrait te rendre visite la prochaine fois ?! »

Un sourire à son adresse, cherchant à dissiper ce malaise qui s'était installé en elle.
Reprenant sa marche, ils parvinrent bientôt devant la porte et Mathilde posa la main sur l'avant bras de son cousin pour le retenir. Peut-être valait-il mieux le mettre au courant de certaines choses avant qu'il entre.

« - Il faut que tu saches. Ta mère est... elle vit mal le décès de la mienne... Et te savoir au milieu des combats l'a beaucoup inquiété.. Elle ne quitte que rarement sa chambre, tu risques de la trouver changer mais je suis certaine que le fait de te voir lui redonnera le sourire. »

Lui faisant signe d'entrer, Mathilde accompagna le jeune homme à travers les couloirs jusqu'à la porte de la chambre qu'occupait sa tante.

« - Je vous laisse vous retrouver. Je serai dans le salon si tu me cherches. »

Laissant son cousin retrouver sa mère, Mathilde tourna les talons dans le couloir et redescendit dans le hall. Elle trouva un Cynérus près à prendre les ordres mais elle lui déclara qu'elle ferait le nécessaire elle même. Elle se chargea donc d'avertir les cuisines des invités supplémentaires et les servantes pour qu'une chambre soit préparée pour son cousin.

Quand elle eut terminée, elle se rendit dans le salon et patienta près de la fenêtre. La journée n'était pas encore terminée et un beau soleil brillait dehors. Si Hagen restait plusieurs jours elle aurait d'autres moments pour lui proposer une sortie, là ce n'était guère le moment.