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 Sauver les meubles...

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Enrico di Montecale
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MessageSujet: Sauver les meubles...   Sauver les meubles... I_icon_minitimeLun 30 Mai 2016 - 2:12


Aristote de Villeaux tentait tant bien que mal d’éviter les transporteurs, dont les allers et venues frénétiques empêchaient tout passage tranquille dans le couloir du Château de Diantra. Des vases nisétiens, des statues pharétanes, des tableaux de toutes les époques et des plus grands peintres du monde entier, tout cela transitait dans un chaos ordonné, ballet incessant des hommes et de leurs œuvres. Çà et là, de la plus magnifique toile au buste le mieux sculpté, c’était tout l’art présent dans les murs de Diantra qui était dépouillé. Vulgaire pillage culturel ? Butin du vainqueur sur la Cité sans défense ? En vérité, c’était plus complexe et autrement plus noble qu’il n’y paraissait. Ce n’était pas une prise, c’était un sauvetage. Une préservation de la culture et des arts des Hommes.

Ce n’était un secret pour personne, la capitale avait souffert. L’incendie, puis les émeutes populaires, l’occupation par les forces de Langehack, tout cela était bien trop dangereux pour le trésor culturel qui dormait au sein de l’ancienne Capitale des Fiiram. C’est pourquoi Aristote, professeur au Collège de Missède, avait décidé de se battre pour la sauvegarde de la culture péninsulaire. Et afin de mener à bien cette opération, il avait réussi à convaincre une personne d’importance du bienfondé de la conservation des racines et des fondements du Royaume pentien. En effet, Raúl Montecale, frère du nouveau Baron de Nelen, avait montré sa sensibilité quant à la question de l’avenir de toutes ces belles œuvres. Fort de ce petit soutien, le vaillant Aristote avait monté une équipe, et s’était chargé d’organiser le retrait des statues, toiles, bibliothèques, et autres produits des savoirs humains.

Un peu plus loin, sur un bureau, un homme comptabilisait et répertoriait toutes les pièces passant le couloir et se dirigeant vers les caravanes montées pour leur voyage vers des terres plus sereines. A côté de ce bureau, Raúl semblait captivé par une étrange tapisserie d’origine inconnue, et qui détaillait la Cosmogonie telle que racontée par les cultes. Soudain, un bruit fracassant retentit dans le couloir, faisant se stopper toute l’activité. Même les transporteurs avaient tourné la tête, les yeux rivés vers l’origine du bruit. C’était un jeune travailleur, qui venait de renverser un imposant buste en marbre à l’effigie du Roi Ultuant Fiiram, souverain de la Péninsule. Le long silence qui s’ensuivit, empourprant les joues du garnement, fut brisé par les petits pas rapides du professeur Aristote, venant constater les dégâts.

Que ne fut pas son malaise en voyant le nez du vénérable roi traîner à quelques centimètres de son emplacement d’origine. Les yeux rivés sur le carnage culturel venant de se dérouler sous ses yeux, Aristote releva la tête comme s’il venait d’assister au pire massacre ayant jamais eu lieu en Oësgard.

« Tu sais qui c’est, mon garçon ? »

« Heu… c’est important ? »

« C’EST LE ROI ULTUANT FIIRAM, SOUVERAIN DE TES ANCÊTRES, QUE TU VIENS DE DÉFIGURER ! »

Le petit gars ne savait vraiment plus où se mettre. Croisant les bras derrière son dos, le visage renfrogné et les yeux lorgnant vers le bas, il avait tout du coupable repentant et extrêmement ennuyé. Aristote soupira, et regarda encore une fois l’étendue des dégâts. Raúl vint à côté de lui, et lui mit une main sur l’épaule.

« Laissez, mon ami. Il est certains trésors qu’il vaut mieux savoir laisser en arrière, pour sauver la multitude d’autres n’attendant que de l’être. »


Aristote se massa les tempes. Il savait qu’il ne pouvait tout sauver, et que s’il n’accomplissait pas cette mission, tout pouvait encore être perdu. Il finit par se résigner, et ordonna au jeune homme de réparer son erreur. L’un des servants du Château vint pour embarquer le buste privé de son nez, qu’il était encore temps de récupérer. L’érudit lorgna sur un autre gaillard transportant un vase en verre d’une extrême rareté, puisqu’il provenait de la région d’Ardamir. Il le fit stopper, puis lui dit :

« Fais attention avec ça. Je tolère encore la perte du nez d’Ultuant, mais si jamais ce vase se brise, c’est toute ta solde et l’hypothèque de ta maison qui partiront dans la restauration de cet objet rarissime. »

L’homme blêmit, et acquiesça avec force hochements de tête, et repartit délicatement poser le souvenir de voyage de l’ancien roi dans la carriole. Raúl regarda le vase partir et dit à Aristote :

« Mon frère a décidé d’un itinéraire particulier. Quelques hommes qu’il a payé vous escorterons sur les routes menant à Missède. La majeure partie de la collection sera livrée à la Bibliothèque missédoise, et au Collège langecin. Néanmoins, il demande à ce que certaines œuvres puissent lui être octroyées, en gage de payement pour l’organisation de cette opération. »


Aristote soupira une nouvelle fois. Puis, il regarda le ciel.

« Payer le sauvetage culturel avec de la culture. C’est un concept plus noble que la rémunération avec des sommes sonnantes et trébuchantes. Je ne savais pas le Baron de Nelen tant versé dans les arts. »

Raúl sourit, secouant la tête.

« En réalité, ce n’est pas de son propre aveu que je vous fait cette demande. Plutôt de celui de mon père. »

Aristote arqua un sourcil. Encore quelqu’un qu’il ne connaissait pas. Il haussa les épaules, et repartit veiller sur les trésors de Diantra. Car dans toutes les guerres et tous les actes de destruction qui parcouraient la Péninsule, les plus grands oubliés restaient les tableaux, livrés aux flammes. Ou les statues, vouées à la mise à bas. Combien de bibliothèques devraient encore brûler avant que l’on ne se rende compte que déchirer un livre, c’était éborgner le savoir de l’Homme, et ainsi l’affaiblir, pour le faire retrouver sa condition de vulgaire animal.
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