coucou c'est moi! | Hendrick

6eme ennéade de Karfias
9e année du XIe Cycle

Tril ralentit peu à peu. Un sourire fendit le visage de sa cavalière. A l'horizon, les murs d'une Cités apparaissaient enfin : Naélis. Et cette fois, elle n'y entrerait pas avec la protection universelle d'une surabondance de richesse. Entourée de ses dix gardes, de son cher mage et de quatre esclaves elfes ramenés du Front, couverte de poussière et nauséeuse comme pas deux, elle devait vraiment avoir une allure particulièrement étrange.

Mais une fois de plus, les portes furent passées sans problèmes. Les quatre esclaves avaient été drogués en attendant d'être correctement dressés et les taxes plus que dûment payées… Krish soupçonnait même les gardes d'avoir allègrement monter le prix en voyant sa gueule de noiraude approcher des portes.

Enfin… tout cela était derrière elle et elle allait pouvoir prendre un bain et passer une nuit dans un vrai lit ! Un grand lit moelleux avec des draps en satins et sûrement une ou deux bouillottes pour lui masser le dos… et les bras… et le reste avec.

En descendant de sa selle, elle poussa un véritable râle de soulagement. Elle ne s'était même pas encore tout a fait installée dans sa chambre qu'un messager arrivait de la part des riches bourgeois et propriétaires qu'elle avait démarchés à son précédent séjour. Elle faillit répondre par la négative a chacune d'entre elles, mais décida finalement de rendre une visite de courtoisie à la plus affable de ses connaissances.

Après un rapide débarbouillage, elle passa une élégante tunique rouge au décolleté des plus lâches pour remplacer son corset qui ne lui allait plus, un sarouel blanc, des sandales, laissa une jeune servante de l'auberge tresser ses cheveux et se barda d'un nombre assez effarant d'objet pointus et tranchants plus ou moins camouflés. Ses deux lames d'apparat, elles, étaient bien en évidences, tout comme le marteau de forgeron qui pendait à sa ceinture.

Ainsi vêtue, elle quitta son escorte et sa chambre pour s'enfoncer dans le dédale de rues en sifflotant. Ces vacances au Front avaient été à la fois instructrices et décevantes. Au moins elle ne serait plus tenter de reprendre sa place dans la société eldéenne avant un ou deux siècles. Mais elle avait encore quelques petites choses à éclaircir...

Après une bonne demi heure de marche, elle arriva devant une petite porte nouvellement réparée et y frappa plusieurs coups.

« Mets-le sur ton œil, Dany… »

Hendrick donna le morceau de viande rachitique à sa sœur, qui s’empressa de l’appliquer sur son œil, alors qu’elle était toujours sous le choc. Son frère était accroupi à côté d’elle, qui était assise sur une chaise. Le bras du frangin caressait doucement le bras de Danyal, qui tremblait encore de ce qu’elle avait vécu. Si le Sgardien restait impassible, au fond de lui, il bouillonnait. Dans le fond de la pièce, Suture, l’angola récemment recueilli, pouvait sentir la tension qui animait son nouveau maître. Il aboya pour la cause, ce à quoi répondit Hendrick par un claquement de langue, qui fit cesser les grondements du chien encore convalescent. Danyal retira quelques secondes le morceau de viande de son visage, pour sentir la taille du bleu qui entourait son œil gonflé. Elle le remit ensuite promptement.

L’archer soupira.

« J’vais lui casser la gueule, à c’connard… »

Elle ne dit rien, son deuxième œil fixé sur la terre à ses pieds. Hendrick prit une profonde inspiration, et décida d’emmener Danyal vers une paillasse, dans le fond de la maisonnée. Il l’assit doucement dessus.

« Calme-toi… Reste ici, et ne bouge plus. J'vais le fumer, ce bâtard. Si je ne reviens pas, préviens mes amis, ils sauront quoi faire. »

Sa sœur le regarda un instant, paniquée.

« Non ! Non, tu n’y vas pas ! »

Hendrick ne prit même pas la peine de lui répondre, s’éloignant de la paillasse, la laissant seule pour recouvrer toutes ses facultés. C’était que le choc avait dû être terrible à encaisser. Et son frère ne pouvait pas le pardonner au responsable. Il avait été trop loin. Il méritait une bonne correction. Parcourant la pièce, Hendrick alla chercher sa francisque, qui affichait quelques traces de rouilles, mais dont le tranchant avait l’air encore vif. Il regarda la tête de la hachette avec attention. Un souvenir rejaillit du passé. Il tentait d’extirper l’arme du crâne d’un milicien de Heinster, qui gesticulait dans tous les sens. Il était couvert de sang… Autour de lui, la bataille faisait rage, et des cris inhumains résonnaient dans sa tête…

Le regard du Sgardien dériva malencontreusement sur un meuble. A l’intérieur se trouvait des bouteilles, il le savait. Il les avait cachées. Mais depuis sa discussion avec l’Elfe, il avait essayé d’arrêter. Sa volonté était mise à rude épreuve. Ses yeux pétrifiés ne voyaient même plus le bois de l’armoire, mais le verre des litrons cachés à l’intérieur… D’abord interdit, il se rapprocha de son but…

Puis, quelqu’un frappa à la porte.

Il secoua la tête, pour regarder les nouveaux gonds. Remplacés depuis l’incident du Chacal, ils étaient tout neufs. Intrigué par l’identité de la personne qui pouvait venir le trouver, il conserva sa hachette en main, se rapprochant du seuil. Il posa délicatement une main sur la poignée, avant de tirer le battant en arrière, sa pogne toujours agrippée à son arme.

Il ne bougea pas vraiment. Son expression était figée entre la surprise et l’incrédulité. Sous son nez, une figure bien familière à présent ; la sulfureuse Krish, ou Shaar selon l’envie, tentatrice de Thaar et destructrice de plafonds, la Princesse du Nez-Coupé… Le regard d’Hendrick dériva un instant sur la silhouette de la belle Drow. Elle n’avait pas vraiment changée, quoique vêtue plus sobrement, peut-être. Sa surprise passée, il recula un coup, passant sa main dans sa barbe.

« Hum… Waw… Krish… Je… Je t’attendais pas. »

Il la laissa pénétrer à l’intérieur de sa modeste masure. Sa sœur, qui était sur la paillasse du fond, se retourna en laissant une œillade apeurée à la Noiraude, son morceau de viande toujours plaqué sur l’autre orbite. Suture, quant à lui, flairant une présence inconnue, releva la tête, tout en restant couché. Il aboya deux fois, avant qu’Hendrick ne le fasse taire. Il regarda Krish, son habituel air neutre sur le visage. Que faisait-elle ici ?

« Bonjour Noble archer ! »

Mais lorsque la porte tourna sur ses gonds et que le visage de l'humain apparut, Krish flaira l'embrouille. Il avait l'air tendu... et la hachette qu'il avait à la main n'aidait pas vraiment à faire penser le contraire. Elle qui était partie sur un franc bonjour leva un sourcil en pénétrant dans la petite bicoque. Ses yeux virevoltèrent d'un point à un autre, s'arrêtant davantage sur les nouvelles poutres que sur la gamine apeuré qui se cachait derrière une escalope sanglante. Puis elle revint porter son attention et son sourire joueur sur le maître des lieux.

« Heureuse de voir que toutes les réparations ont été faites. Je te dérange n'est-ce pas. Tu es tendu comme un arc. »

Elle sursauta lorsque le chien se fit entendre.

« Sale clepse... » susurra-t-elle entre ses dents dans sa langue natale.

Mais comme le chien en question n'avait pas l'air aggressif, elle préféra faire comme s'il n'était pas là. Autant elle aimait la majesté et la souplesse des félins, autant les canidés avaient tendance à la prendre systématiquement pour cible. Elle détestait ces bestioles baveuses et vulgaires prête à se laisser marcher dessus sur un ordre d'un abrutit qu'il prenait pour leur maître... Cela lui rappelait beaucoup trop ses parents.

Alors elle préférait sonder l'humain présent, essayant de déterminer ce qui pouvait bien clocher. C'était peut-être elle après tout. Elle ne l'aurait pas volé après les événements de la dernière fois. Elle gratta pensivement la cicatrice un pouce au dessus de son cœur. C'était en passe de devenir une sorte de réflexe lorsqu'elle avait la tête ailleurs.

« Je passais par ici pour redescendre vers Thaar et je me suis dit que quitte à être là autant passer te voir pour discuter un peu de vive voix. Mais dit moi plutôt ce qui te tracasse, peut-être que je pourrais participer. »

Loin d'être altruiste, cette proposition était tout à fait dans son intérêt. Ennui, quand tu nous tiens...

La Drow était à l’intérieur de la bicoque, à toiser Hendrick de la tête au pied. Etre accueilli par une hache n’était certes pas la plus agréable des surprises, et ce même si Krish avait vu bien plus saugrenu dans sa vie. Il lâcha sa francisque, qu’il envoya sur le côté, soupirant. Elle expliquait la raison de sa venue, une simple visite de courtoisie. Si le Sgardien avait du mal à le croire, il n’était pas mécontent de revoir la seule Drow pour laquelle il n’éprouvait ni terreur ni haine. Il se gratta la nuque, et posa son autre main sur sa hanche, regardant Krish.

« Ce n’est rien. C’t’une affaire entre moi et un sale con. Je… Je réglerai ça moi-même. »

Il montra une chaise à Krish, sur laquelle elle pourrait s’asseoir.

« Tiens, assieds-toi. Tu veux un truc à boire ? »

Il partit chercher une cruche d’eau, pendant que Danyal tentait de se cacher à la vue de la Drow. Elle n’avait pas spécialement laissé un bon souvenir par ici, et même si son frère avait l’air à l’aise, son esprit était encore marqué par la silhouette immense du Drow psychopathe qui lui avait agrippé les cheveux. Rien qu’à y penser, elle en avait encore des frissons.

Pendant qu’Hendrick cherchait la cruche, Suture s’était relevé tant bien que mal. Il était encore couturé de partout, et il traînait la patte. Son grognement sourd emplissait l’air ambiant, alors qu’il tentait de se rapprocher de la Drow. L’Oësgardien le vit, et hurla un mot en vieux patois. Le chien se tourna, pour baisser ses oreilles. Hendrick se dirigea à pas rapides vers le clébard souffrant pour l’attraper à un endroit où il n’y avait aucune couture. Il le ramena à sa place initiale, où il le coucha doucement. Il ne devait pas bouger, sinon, les sutures risquaient de sauter, et le travail serait à refaire. Encore…

L’archer se redirigea vers la cruche, avant d’aller trouver Krish.

« Sois indulgente pour le clebs. C’t’un ancien chien d’combat que j’ai rafistolé, après l’avoir trouvé à la porte d’une taverne. Une vraie teigne avec les gens qu’il connait pas. »

Il tendit un godet en grès rempli d’eau claire à la Princesse Marchande, avant de s’asseoir lui-même, et de s’en servir un. Il étudia longuement la Sombre avant de parler.

« Ta blessure va mieux, à ce que je vois. Ça n’t’a pas causé trop de problèmes j’espère ? Enfin… C’est mieux que le cœur, tu m’diras. »

Il but une gorgée d’eau, observant Krish sous tous ses angles. Quelque chose était changé en elle, mais il ne pouvait pas mettre le doigt dessus.

« Avec plaisir, la route a été longue. Une nuit de repos dans un vrai lit ne va pas être du luxe ! »

Alors que le monstre de Frankendrick claudiquait vers elle en déversant sa bave et le bruit de sa patte folle sur le plancher en mauvais bois, elle ne tenta même pas de cacher une moue de dégoût. Ce qui était prétendument un chien la toisait d'un œil mauvais. La main sur un manche de couteau, le pied prêt à partir comme un chat sortirait ses griffes, elle lui rendait le même regard lourd de sens.  S'il l'approchait d'un peu trop près, elle y laisserait peut-être un bout de jambe mais il ne s'en tirerait pas à si bon compte ce sac à plaies.

Ce que les chiens pouvaient être con quand même... Stupide, moche, baveux, odorant, collant... tout pour plaire vraiment...

Heureusement pour les deux créatures au caractère de cochon, le maître des lieux eut la présence d'esprit de les séparer avant que cela ne dégénère. Krish sursauta presque autant que le chien lorsque l'archer leva soudainement la voix. Elle n'avait pas comprit un traître mot mais le sens était clair... Et le bâtard semblait l'avoir très bien compris.

Lorsque Sil'in revint vers la table avec un cruchon dans lequel macérait un liquide clair, Krish, eut le réflexe de le sentir pour savoir a quoi s'attendre... et leva un sourcil tout en croisant le regard de l'humain. Elle n'avait pas oublié les bouteilles de liqueur, ni la gourde pleine d'alcool fort. Ça, le chien... et quoi d'autre encore ? Il s'était marié et avait des gosses ? Un sourire quelque peu amusé se dessina sur ses lèvres mais elle ne dit rien. Dieux que ces petits êtres évoluaient vite !

« Ne t'inquiète pas, je fais cet effet à tous les chiens. Je n'aime pas les canidés et ils me le rendent bien... Même si c'est vrai que le tien est particulièrement moche. »

Elle ponctua sa phrase en avalant trois grandes rasades d'eau... ça manquait un peu de cuisse mais bon...

La moitié du verre y était passé et elle sentait toujours l'humain la scruter comme s'il cherchait à déterminer de quelle centimètre de sa peau une lame allait surgir pour se précipité vers sa gorge. Elle le laissa faire sans objection, sans rien dire non plus, profitant de cet échange silencieux pour lui rendre la pareille.

Puis elle porta pensivement sa main à la cicatrice qui trônait près de son cœur.

« ça va mieux. Ça m'a fait une peur bleue au début parce que je ne pouvait plus lever correctement mon bras d'arme. Mais à force de patience, d'effort et d'un petit coup de pouce d'un ami mage, je n'en garde aucune autre séquelle que cette jolie cicatrice. » elle termina en tirant sur le col flou de ta tunique, dévoilant sans vergogne la dite marque... en même temps qu'une bonne parti du renflement d'un sein noir d'encre. 

Elle fini son verre d'un trait avant de se caler plus confortablement sur le dossier de sa chaise pas-tout-a-fait-branlante-mais-presque.

« C'était un très joli coup. Wydrin t'as voué aux tourments éternels jusqu'à ce que nous nous séparions... et sans doute après mais je n'étais plus la pour l'entendre, les dieux soient remerciés. Et pourtant j'ai eu mon lot de simplets, d’impertinents et de râleurs. Je revient du Front... et bah je peux te dire qu'après ça, je me rappelle pourquoi je ne vis plus à Elda malgré tout ce que je trouve révulsant à Thaar et en Itri'Vaan. Peu importe le coin, les abrutis sont toujours présents... Race élue mon œil ouais... Enfin... Je ne suis pas là pour que tu m'écoutes cracher mon exaspération. Dit moi plutôt dans quel pétrin tu a réussi à te fourrer depuis notre dernière rencontre. »

Elle s'arrêta un moment avant d'ajouter.

« ça arrive souvent à ta sœur de faire semblant de ne pas être là ou c'est juste quand vous avez des invités ? »

Ha la la, Krish…

Elle ne changerait jamais. D’un autre côté, elle n’avait pas besoin de changer. Hendrick ne s’avouerait jamais assez à quel point la vision du sein dénudé de la Drow pouvait lui plaire. Avec le temps, et les aventures plus ou moins dangereuses qui avaient rythmé leurs rencontres, il avait fini par apprécier Krish plus que de raison. A moins que ce ne soit Shaar qui remporte la palme ? Deux noms pour la même personne, mais qui avaient chacun leur signification. Shaar, c’était les mystères de Thaar, ses délices également. Krish, c’était le danger des Noirelfes, et leur sombre personnalité révélée au profane. Jusqu’ici, Hendrick n’en était pas mort. Bien qu’à certains moments, il avait cru voir son heure arriver. Une amitié avec Krish, ça ne se refuse pas. Mais parfois, ça se paye.

Elle lui expliqua revenir du front. Il avait entendu des histoires sur une guerre entre les Elfes et les Drows. Comme quoi, il n’y avait pas qu’en Péninsule que ça frappait fort. Des immortels se livrant une guerre sempiternelle, il y avait de quoi faire. Et d’après la description que donnait Krish de ses frères de sang, peut-être la bataille ne tournait-elle pas en faveur des fils d’Uriz. Mais ça, Hendrick n’en avait un peu rien foutre. Naelis était loin de tout ça, et cela ne la concernait pas. Tant que la Cité resterait en paix, tout roulerait, il en était sûr. Enfin, pour lui, principalement.

Appuyé sur sa chaise, Hendrick ne dit mot lorsqu’elle lui demande, à nouveau, pourquoi il l’avait accueillie la hache à la main. En surface, il ne voulait pas qu’elle s’en mêle, car il savait ce qui pouvait se passer. Et pourtant, au plus profond de lui, il voulait qu’elle s’en mêle, car… il savait ce qui pouvait se passer. C’était dur à définir. Une part de lui voulait que ça se déroule ainsi, et une autre part, plus pragmatique, sentait venir le mauvais plan à dix lieues… Il resta silencieux un instant, jusqu’à ce que Shaar parle de sa sœur. Danyal, qui jusque-là était restée dans son coin, se leva pour aller se cacher plus loin, honteuse. Hendrick plissa les yeux.

« C’est pas très sympa pour ma sœur, ça. »

Il s’avança un peu sur sa chaise, regardant Krish.

« Rappelle-toi quand même que ton frère y a pas été d’main morte avec elle. Et puis… »

Il soupira un instant, croisant les bras pour se rabattre sur le dossier branlant de l’antiquité lui servant de chaise.

« Et puis, là, elle s’est faite agresser. »

« Hendrick… La ferme. »

La voix venait de derrière une alcôve. C’était celle de Danyal. Le sang d’Hendrick monta.

« Non Danyal, c’est toi qui la boucle. »

Il se reconcentra sur Krish.

« Un sale fils de chien d’bourgeois. Danyal servait à la Cruche Remplie, ce soir-là. Et c’gros porc lui a d’mandé de l’amener à une chambre, pour dormir qu’il disait. Il a essayé de la forcer. »

« HENDRICK TA GUEULE ! »

Danyal était à présent à la vue des deux interlocuteurs. Elle avait laissé la viande tomber sur le sol. Son visage était le même qu’avant, excepté le gros bleu sur son œil, et son arcade sourcilière enflée. Des larmes perlaient au bord de ses yeux, et ses poings étaient serrés. Hendrick la regarda intensément un instant, avant de poser à nouveau ses yeux sur Krish.

« Je partais lui donner une leçon. Qu’importe qu’il soit puissant. La hache, c’était pas pour toi. »

Danyal alla se rasseoir sur le lit, toujours énervée. Hendrick, quant à lui étudiait le regard de Krish.

Moui bon.... Ren n'y avait pas été de main morte... Et elle non plus. C'était de famille. Ils avaient la tête aussi dure l'un que l'autre, elle avait une bosse de la taille d'un œuf de poule pour le prouver pendant plus de deux ennéades !

Mais la suite expliquait bien mieux la situation. En effet, même si... hmmm... la fille ? Lui avait donné l'impression d'être timide, se cacher derrière un bout de viande, c'était quand même pas courant. Avouez... Sauf si vous espérez détourner l'attention d'un fauve avec une grosse côte de bœuf des Wandres, mais là n'est pas la question... Et son bout de barbaque n'avait rien d'une côte de bœuf des Wandres.

Et bah n'empêche, la gamine était beaucoup moins timide quand elle était énervée. Krish poussa un petit sifflement épaté face à son haussement de voix avant de reporter son attention et son sourire goguenard sur le maître des lieux.

« Je vois... » laissa-t-elle tomber pensivement alors que son regard faisait le voyage inverse pour détailler la pauvre fille.

« Et il a réussi ou pas ? »

le tact.

Un si joli mot.

Avait-il une traduction valable en langue sombre... hmm... bonne question... Il y avait bien un mot qui se rapprochait, mais... non, ce n'était pas tout a fait ça, il y avait une notion de manipulation qui était absente du terme oliyan. Les humains avaient cette étrange impression que ce le tact était un peu comme l'utilisation des caleçon. On est pas obligé d'en user, mais les gens civilisés le font... Etrange, étrange coutume que celles des mortelles.

Bon, ce qu'elle voulait savoir en premier lieu c'était surtout si l'humaine s'était défendue... Et à la limite son œil bleu pouvait déjà répondre à cette question. Mais en tant qu'Eldéenne, elle ne pouvait s'empêcher de donner un minimum d'importance au résultat de cette rebuffade. Les faibles étaient tellement insignifiants... en fait... la quasi-totalité des gens étaient insignifiants et cette humaine là en faisait indubitablement parti. Alors au final, elle s'en foutait un peu... Dommage pour son image de marque qu'elle ne s'en soit pas souvenu avant de poser la question.

Elle aurait bien voulu lui demander à voix haute pourquoi il préférait prendre une hache plutôt que son arc... Mais elle avait une idée déjà très précise de la réponse inavouable...

Se retournant vers Sil'in, elle se passa une langue presque gourmande sur les lèvres.

« Il ne devait pas en être à son coup d'essai... Dit moi, Sil'in, est-ce que je peux joindre ton expédition punitive ? »

Une lueur sadique brûlait dans son regard rouge. Bien qu'il l'ai déjà vu en chasse d'un élément perturbateur, c'était certainement la première fois que l'humain pouvait distinguer autant de hargne dans le regard de la forgeronne...

Krish avait le don pour sortir des phrases aussi acérées que les lames qu’elle forgeait. Hendrick resta un instant silencieux. Il savait que Krish ne portait pas Danyal en grande estime, aussi, peut-être que si elle répondait d’elle-même, la Drow la traiterait avec un minimum d’égard ?... Ou pas. De toute façon, Danyal était dans tous ses états. Colère, tristesse, dégoût, résignation, impuissance… Et dans cet océan d’émotions, elle tentait de ne pas faire tanguer sa barque. C’est avec les yeux braqués sur Krish qu’elle décida de vaincre sa peur, et de lui parler directement. Sa voix était froide, et pourtant, derrière elle poignait une certaine émotion, et une certaine appréhension.

« Je l’ai mordu. Très fort, apparemment. Il a hurlé comme une fille. C’est là qu’il m’a frappée. Après, il m’a fait virer d’la taverne. Je n’lui ai pas donné mon corps. »

Hendrick regarda un moment sa sœur. Il ne savait pas si c’était vrai. Ce qu’il savait, par contre, c’est que cette ordure avait bel et bien le pouvoir nécessaire pour la faire renvoyer, et ça, il n’était pas d’accord. Il avait décidé de frapper, et il le ferait. Ce fut d’ailleurs avec un mélange de soulagement et d’appréhension qu’Hendrick pesa le pour et le contre de l’aide de Krish. Soulagement de ne plus être seul face à cette enflure, et appréhension de voir plus de dégâts que prévu. Mais, après tout, si les dégâts jouaient en la défaveur du bourgeois tripoteur, où était le problème ? Hendrick n’avait pas grand-chose à perdre, de toute façon. Comparé à ce qu’il avait eu auparavant…

Il acquiesça, toujours son air impassible sur le visage.

« Parfait. J’accepte. »

C’est là qu’il vit le regard de la Drow. Quelque chose, en lui, lui commandait de fuir à toutes jambes, pour ne plus jamais reparaître à sa vue. Sûrement un réflexe des temps anciens, où ses ancêtres étaient poursuivis par des hordes de Noirelfes sadiques et psychopathes. Si le regard le mettait mal à l’aise au plus profond de lui, il n’affichait toujours aucune émotion sur son visage. Et, reléguant ses peurs à de l’irrationnel (Bon, pas tant que ça, mais passons…), il se leva, présentant une main à Krish pour se relever. Danyal se tourna légèrement vers la droite, prête à regagner sa paillasse. Puis, brusquement, elle dit :

« Qu’est-ce que vous allez lui faire ? »

Hendrick haussa les épaules.

« Lui couper des doigts… C’est c’que Maurice avait fait à l’amant d’sa femme. Ou alors, j’lui tranche les couilles. Mais ça risque d’être plus dur, vu l’bide qu’y s’tape. Y aura matière à soulever avant d’y arriver ! »

Danyal fit un faible sourire, avant de retourner s’asseoir sur la paillasse. Hendrick, quant à lui, partit récupérer sa hache, puis se posta à côté de Krish.

« Merci… »

Puis, il réfléchit un instant, avant de rajouter :

« … Et ça va m’coûter quoi d’ailleurs, cette fois ? Pas de frère défonceur de portes ? Ni de séance de découpage de nez intempestive ? »

Il essayait de faire de l’humour, mais très sincèrement, il commençait à prendre l’habitude de la prudence avec Krish.

Et c’était pas plus mal pour sa survie.

« Je ne comprendrais jamais les humains.... Pourquoi pleurs-tu ? Tu as résister à un adversaire plus fort que toi. Tu t'es prouvé que tu avait cette ressource là en toi. Tu devrais être fière, noms des dieux ! »

raaah... c'est humains...

Si ses paroles s'étaient presque apparentées à ce qu'aurait put dire une personne voulant lui remonter efficacement le moral, ce n'était absolument pas fait exprès, et son air exaspéré en faisait foi.

Lorsque Sil'in accepta sa proposition d'entre-aide avec une hésitation minimum, le sourire mauvais de Krish s'accentua. Elle avait elle aussi une vengeance en cours après tout et elle ne comptait pas passé à côté d'une si belle occasion de lui redonner un petit coup de poliche.

« lui couper LE doigt aussi peut-être... » souffla Krish entre ses dents.

C'est tout ce que ce genre de porc méritait.

Elle aurait été dehors, elle aurait sûrement craché, mais quand même, cette bicoque était suffisamment sale comme ça. En plus il y avait déjà un bout de viande par terre maintenant... Par contre, ce à quoi elle ne s'attendait pas, c'est à être remerciée... Elle ouvrit grand les yeux de surprises mais son sourire joueur repris bien vite le dessus, faisant oublier du même coup la lueur malsaine dans ses yeux.

« Mais de rien, tu sais que je ne peux pas te résister quand tu parle avec autant d'emphase... »

« … Et ça va m’coûter quoi d’ailleurs, cette fois ? Pas de frère défonceur de portes ? Ni de séance de découpage de nez intempestive ? »

« Voyons voir...  hmmmm... je n'ai qu'un frère. Tu n'as qu'un ami petit fourbe et libidineux qui viendra me tomber dessus... Enfin je l'espère pour toi... Je tiens assez à la vie pour ne pas avoir envie de me refaire tirer dessus par toi. Donc je pense qu'on peut dire que tout se passera sans accroc. Blague à part. Laisse moi participer et je t'offrirai même un verre ou deux... Des verres d'eau bien entendu. Et prend ton arc. Que tu serve à quelque chose au cas où... »

Elle attendit qu'ils aient passé la porte pour attraper le bras de l'humain et le faire basculer contre le mur pour l'embrasser sans prévenir.

« Heureuse de te revoir Hendrick. » souffla-t-elle presque contre ses lèvres avant de reculer un peu. « Si tu as un peu, de temps, il faudra qu'on discute une fois que tes envies de vengeances seront calmées. En attendant, à toi les rênes mon noble ami. Je suis a tes ordres. »

Et son regard ne démentait pas ses paroles... Du moins, il ne semblait pas les démentir...

Écoutant les conseils de Krish, il prit tout de même un arc avec lui. C’était un arc de chasse de la Légion, qu’il avait ramené de sa première séance d’entraînement. Il emporta également un carquois garni de flèches. Néanmoins, il n’aimait pas avoir l’air trop armé pour ce genre de règlement de compte, histoire de ne pas paraître suspect. Puis, il se rappela qu’avoir Krish dans son camp, ça restait bien plus voyant et suspect qu’un légionnaire armé pour la guerre… Il regarda sa sœur, qui le regardait se préparer à partir. Avant de rejoindre la Drow derrière la porte, il se saisit du bout de viande, qu’il lança à Suture, lequel se mit à dévorer sa pitance avec allégresse. Une fois satisfait, il passa le seuil de sa maison, Krish à ses côtés…

Avant que celle-ci ne l’agrippe pour le plaquer contre le mur. Il fut doublement surpris. Car elle n’hésita pas non plus à lui rouler une pelle devant deux trois badauds médusés, qui reprirent bien vite leur chemin. Hendrick n’en avait pas grand-chose à foutre d’être vu en compagnie de celle grâce à qui il était ici. Il était même plutôt satisfait du baiser surprise. Shaar n’avait pas changé. Il se rendit même compte que sa main s’était inexplicablement posée sur la hanche de la Drow. Il la retira alors même qu’elle se reculait pour lui dire qu’elle était à ses ordres… Hendrick trouvait ça marrant. Une Princesse-Marchande écoutant les directives d’un ancien serf d’Oësgard. Y avait matière à raconter une fois à la taverne avec les copains. Mais en l’état des choses, ne sachant pas où se trouvait la cible, avait-elle vraiment le choix ?

L’archer s’approcha de Krish, passant une main derrière son dos, pour la poser sur son épaule. Puis, de l’autre main, il désigna la Ville Haute, qui comme son nom l’indiquait, était légèrement plus en hauteur que le quartier dans lequel ils se trouvaient présentement. Elle était entourée de remparts, mais Hendrick pouvait y passer sans problème, en sa qualité de légionnaire. Il désigna la Tour Ombreuse, faite de pierres noires, et à l’aspect presque lugubre.

« Tu vois la tour sombre ? C’t’à deux pâtés d’maison de là. J’voulais passer par la grande porte, mais chais pas s’ils te laisseront entrer, vu qu’t’es une… Drow. »

Il la regarda un instant, réfléchissant au moyen de la faire passer. Elle pouvait toujours jouer la carte de la Princesse-Marchande, mais Hendrick doutait qu’elle souhaite dévoiler sa présence ici. Elle semblait être venue seule. Malgré tout, l’archer se doutait qu’il devait peut-être y avoir un ou deux gardes du corps fondu dans la masse populaire de Naelis, prêts à intervenir au moindre ongle cassé de Sa Majesté des Allumeuses. Il commença à marcher vers les portes de la Ville Haute, qui étaient à quelques rues de leur position actuelle. Pendant qu’ils marchaient, Hendrick parlait.

« Chuis content de te r’voir aussi. Et si tu veux aller boire un coup, y a pas de souci. J’vais juste éviter le Sanglier d’Aduram, on pourrait y croiser Gilles. »

Il essayait de relativiser avec de l’humour, quant à son nez perdu. Malheureusement, il n’était pas facile de trouver quelque chose de marrant dans les déboires du pauvre Gilles.

Ils passèrent quelques rues, se rapprochant de la grande porte.

« Bon, tu as une idée de comment rentrer sans que tu t’fasses remarquer ? J’sais que t’aimes bien les entrées fracassantes, mais face à la garde, j’aimerais mieux pas. »

Il se gratta la barbe, cherchant lui aussi un moyen de faire ça sans accroc.

« J'ai entendu dire qu'il avait un nouveau nez d'ailleurs ton copain ? »

Hmmm... Voilà qui était un problème bien plus épineux... Passer dans la ville haute... hmmmmm... Se faire reconnaître aurait été trop facile... Et puis pour un règlement de compte, c'était pas forcément la meilleure idée... Du coup il ne restait que quelques options...

« Bon... alors... Niveau accrocs qui se déroulent sans plan... On peut construire une catapulte, creuser un tunnel, envoyer une horde de prostituée détourner l'attention des gardes, grimper, trouver un mage qui nous transforme en mulot... »

La transformation en mulot, elle était pas trop pour. Ces machins magiques, on savait jamais trop à quoi s'en tenir. Par contre il y avait peut-être plus simple.

« Sinon je ne vois que deux dernières options : ou alors on a un peu de chance et il existe des sous-terrains... ou alors tu as un peu de chance, il y a une façon crédible de faire croire que tu m'as arrêté et que tu a besoin de voir quelqu'un dans la haute ville à ce sujet. »

Elle regarda l'humain, attendant qu'il fasse part à son tour de ses idées ou qu'il approuve l'une des siennes. Tout cela risquait d'être follement amusant...

Les plans de Krish étaient tous aussi saugrenus les uns que les autres. Pourtant, Hendrick était très sérieux. Comment passer ces foutus gardes, qui le connaissaient peut-être de surcroît ? Pourtant, la dernière idée de l’Elfe Noire n’était pas bête du tout… La faire passer pour une prisonnière. Mais une prisonnière de quoi ? Il se mit à réfléchir intensément. Ren lui revint en tête. Quelques Drows étaient impliqués dans la pègre de Naelis. C’était peut-être un bon moyen de faire passer Krish en douce dans la Ville Haute… avant de se rappeler qu’il n’y avait pas de prison dans le quartier le plus bourgeois de la Cité. Il se caressa doucement la barbe, lorsque soudain, une autre idée lui vint.

Il regarda Krish.

« Ou alors, à la faveur d’la nuit, on escalade le mur avec un grappin. J’tire avec mon arc sur l’créneau, et on pénètre dans l’enceinte. Ça t’irait, tu crois ? »

Il n’avait pas de grappin, évidemment. Mais il se doutait que ça n’était pas un problème pour sa Majesté. Peut-être en sortirait-elle un miraculeusement de quelque part ? Ou bien, elle irait en acheter un au premier forgeron du coin, se plaignant de la qualité médiocre, et avançant à quel point elle en aurait fait un plus beau. Il regarda les murs avec des yeux perçants, concentré.

« … Ce sera simple d’arriver en haut. J’connais les tours de garde. On aurait pas d’problème. »

Il croisa les bras sur sa poitrine.

« C’qui nous laisse jusqu’à la nuit pour agir. Ce s’ra plus simple comme ça, non ? Et puis, la nuit, on t’voit pas. »

Il essaya de se remémorer le quartier en lui-même, les habitations, les points de passage… Il se rappela qu’un garde était posté en permanence devant la porte de la maison du sale bourge. Ils devraient donc passer par autre part, mais ce n’était pas un problème. La maison était grande, et pleine de fenêtres. Ils trouveraient un moyen. Mais pour l’heure, ils avaient quelques heures de libre devant eux. Et la raison de la venue de la Drow intriguait de plus en plus Hendrick.

« Bon. Comme on doit faire ça de nuit, on a quelques heures à tuer. Tu veux qu’on aille boire un verre ? J’ai des adresses. »

Il se rapprocha un peu, pour lui dire sur le ton de la confidence :

« Et j’aim’rais vraiment savoir pourquoi tu t’es déplacée jusque chez moi, cette fois… »

Ça lui laisserait également le temps de se préparer à la dérouillée qu’il allait devoir mettre au bourgeois. Il se dit même qu’il devrait porter un foulard sur le visage, afin qu’il ne puisse pas le reconnaître. Il ne voulait pas de problèmes dans sa nouvelle Cité, mais cette grosse ordure devait être punie.

« Un... Grappin... Tu es sérieux là ? Tu veux jouer les passe murailles ? »

Non pas que ça lui déplaise, ce ne serait pas la première fois qu'elle ferait un truc aussi stupide... Mais passer par le chemin de ronde en pleine nuit... Mais là ou elle resta bouche bée (et la chose est suffisamment rare pour qu'on le signal) ce fut sur le magnifique commentaire de l'humain...

« Boire un verre... Mais oui pourquoi pas. On me voit pas de toute façon alors j'aurai peut-être des verres gratuits... Cheveux blancs. Yeux rouges. Vos enfants nous prennent pour des envoyés de votre déesse de la mort. On les fait chialer de peur dès qu'on est pas en pleine lumière. Mais on me voit pas... Faudrait quoi ? Que je me mette une cloche autour du cou ? Non parce que s'il y a que ça je peux venir avec tout le cortège tharii qui me colle au train d'habitude hein ! J'PEUX DANSER DES CLAQUETTES AUSSI ! OU ME DESSAPER, C'EST A TOI DE VOIR ! » termina-t-elle en criant, repoussant brusquement l'humain à son bras.

Furieuse ? Oui. Au bas mot... et soudain, alors que son visage était toujours plissé de colère... des larmes.

« La nuit on me voit pas... Mais c'est quoi ce commentaire raciste à deux écus ?! Est-ce que je t'ai dit que vos prénoms étaient immondes, sans aucun sens et que c'était pas grave qu'on arrive pas à s'en souvenir parce que de toute façon, vous mouriez trop vite pour que ce soit important ?! Hein ? Tien, envoyons nos armées contre les humains. Ce serait une si bonne idée. En plus la nuit ILS NOUS VOIENT PAS ! »

Une gifle avait fusée à toute volée vers le visage de Hendrick.

…

« hmmm... »

Après un bref regard alentours, Krish s'essuya les yeux en reniflant.

« Pardon... Je crois que je me suis un peu emportée. »

Un peu oui... Et elle était retombée comme un soufflet...

« Ta joue... ça va ? »

Non pas que ça l'empêcherait de dormir, mais elle se sentait un peu... stupide...

« Je suis un peu à fleur de peau en ce moment. Le front. Tout ça. Tu disais un verre et du papotage entre copine, c'est ça ? Hmm... Ouais, allons y. Je... Je te suis. On s'occupera du grappin sur le chemin.  »

Celle-là, il l’avait pas vraiment vue venir.

Il ne se doutait pas que son petit commentaire (qui n’avait rien de raciste, il était parfaitement vrai) allait ouvrir la boîte de Pandore, et autant déchaîner les passions. Il l’avait observée monter crescendo dans les tons avec un mélange d’étonnement et d’incompréhension. Puis, lorsqu’elle le poussa, il regarda le visage de Krish, tentant d’y déceler le moindre indice. Quelle ne fut pas sa surprise en y voyant plutôt des larmes que de la colère pure… Mais qu’est-ce qui ne tournait pas rond chez cette femme ?

Celle-là, non plus, il l’avait pas vraiment vue venir.

Une grosse gifle lui fouetta le visage. Rapide, forte, l’une des griffes en argent de Krish lui éraflant un cran la peau, laissant une goutte de sang perler sur les poils de sa barbe. Quelle mouche la piquait ? Était-elle soudainement devenue folle ? Hendrick ne comprenait vraiment pas. Il recula, sa main passant sur son visage afin de faire disparaître le sang glissant sur celui-ci. Autour d’eux, les badauds avaient regardé la scène avec curiosité. En fait, beaucoup de gens s’étaient même arrêtés pour regarder cette sorte de ‘scène de ménage’ entre un Humain et une furie du Puy. Hendrick était… comment dire… extrêmement mal à l’aise ? Qui ne le serait pas…

Plus déroutant encore, la colère volcanique de Krish était soudain retombée, comme une soupe au lait dotée d’une rapidité hors du commun. Une tempête qui s’arrête d’un coup. Un peu emportée ? l’Oësgardien était médusé. A quoi pouvait-elle ressembler lorsqu’elle était vraiment fâchée ? L’image de Gilles agonisant et de son nez sanguinolent gisant sur le sol lui revint alors en tête, et il frissonna. Il se rendit compte encore une fois que jouer avec Krish, c’était aussi jouer avec le feu. Un feu peut-être même plus dangereux que les autres. Un brasier.

Il regarda la Drow.

« Heu… Ouais… ça va. Mais sur le coup, j’ai pas compris. »

Elle se justifiait par le front. Hendrick comprit tout de suite. Lui-même n’avait rapporté que de sales souvenirs de ces moments-là. La gloire d’Oësgard, par le sacrifice des petites gens. Quelle véritable gloire y avait-il à envoyer des paysans armés de vouges se frotter à d’autres fermiers du même acabit ? Bref, il pouvait concevoir que la guerre provoque ces emportements. Même si, pour le coup, c’était très… exagéré. Un peu plus distant cette fois, il dit alors :

« Bon… mettons-nous en route, alors. »

Il fit volte-face, se dirigeant vers le plus proche forgeron qu’ils pourraient trouver. En passant par les venelles et les rues un peu plus grandes, Hendrick ne dit mot. Il n’avait pas non plus envie de déclencher à nouveau l’ire furibarde de la Noirelfe. Une baffe en pleine poire lui avait suffi. Ils s’arrêtèrent brièvement chez un gars que le Nordien connaissait, un type réglo qui avait accepté de leur vendre un grappin. Il n’avait rien dit sur Krish, même si Hendrick voyait bien qu’il était tendu devant la Drow. Ce gars-là avait fait Ruven, et cette bataille, si elle avait été gagnée, n’avait pas été une belle journée ensoleillée pour les vétérans.

Une fois munis de leur instrument de méfait, ils se dirigèrent à pas léger vers le Vigneron Zurthan, un établissement nouveau, qui essayait de se faire une place dans la ville de Naelis, toujours en pleine expansion. Le tenancier était un grand gars, inconnu de beaucoup. Certains disaient qu’il était arrivé en ville depuis Thaar, pour échapper à ses débiteurs. D’autres stipulaient qu’il était sorti du désert avec un trésor caché depuis des millénaires dans une grotte, et avait décidé d’aller faire fortune en Estrévent. Néanmoins, peu de gens connaissaient la véritable histoire de ce grand échalas à la peau foncée, qui avait racheté les bâtiments afin d’en faire une nouvelle taverne.

Le duo pénétra à l’intérieur de l’établissement, aux influences légèrement sud-orientales. Le bonhomme semblait avoir ramené sa culture avec lui, et c’était pas plus mal, parce que Hendrick trouvait ça assez joli. Il prit une chaise, et invita Krish à faire de même. Quelques visages se tournèrent pour regarder dans leur direction, avant de retourner dans leur silence de l’alcool…

« Ouais, ça va pardon... »

C'était vraiment... très con. Elle le suivit, d'abord sans mot dire (maudire, haha, c'est drôle), jusqu'au marchand qu'il semblait avoir choisit. Un humain. Qui comme tous les humains de la ville la regardait comme si elle allait au choix : chier sur le pas de sa porte ou se servir de ses yeux comme perle de collier. Bon... en même temps elle avait de jolis yeux sombre cette gueule cassée.

Pour éviter un drame de plus, sachant qu'en plus ils devaient passer inaperçus jusqu'au soir, elle s'éloigna de quelques pas pendant qu'il faisait leur étrange emplette. Biensûr le marchand les avaient vu marché ensemble, mais vu le nombre de mot qu'ils avaient échangés, cela n'était peut-être pas trop dérangeant... Par contre, elle ne chercha pas à retenir une moue de dédain absolue face au piètre travail qu'elle avait sous les yeux. Cela ne pouvait même pas avoir le titre de forge. De bricolage à la limite... et encore... Après quelques marmonnements renfrognés envers l'étron ferreux, ils reprirent leur route.

« Je me demandais, comment tu a récupéré le patchwork à poil court qui trône sur ton parquet ? » fini-t-elle par demander sans même penser à rester gênée alors que l'idée lui traversait l'esprit. « Je n'aime pas les chiens mais je sais encore reconnaître une bête de combat. Un animal de sa taille ça court pas les rues... »

Lorsqu'ils entrèrent dans l'établissement qu'avait choisit Hendrick, la forgeronne ne put s'empêcher de noter que la décoration était bien plus proche de celle du sud de l'Ithri'Vaan, voire de Nisetis, que de celle du reste de la ville ce qui lui arracha un certain sourire. Dans une cité ou les drows étaient aussi mal vu, elle ferait moins tache dans ce genre d'établissement que dans tout autre... a part peut-être un bordel, mais ça c'était une autre histoire...

Elle s'assit face à son compagnon du jour, levant la main pour attirer le patron tout en fouillant dans la sacoche qu'elle portait à la ceinture. Elle n'avait même pas jeter un regard à son vis à vis et saisit la main de l'archer à la volée pour y déposer discrètement plusieurs écus.

« Pour le grappin. Pas la peine que tu te ruine pour cet bouse. Et si t'en veux un qui dure, je sais ou m'en procurer et le prix sera tout autre. » termina-t-elle avec un sourire qui en disait long. « Tu prends quoi ? » demanda-t-elle avant de commander la liqueur la plus forte que le tavernier avait en stock... Ces humains ne savaient vraiment pas boire.

En pénétrant dans l’établissement assez exotique, la Drow demanda à Hendrick comment il avait obtenu ce molosse tout moche qu’elle avait vu à l’entrée. Il est vrai qu’il y avait des angolas bien plus beaux, et avec meilleure mine. Mais Hendrick n’avait pas choisi l’animal pour sa beauté. Il sourit un bref instant.

« Ouais, Suture devait être un chien d’combat. J’l’ai vu agonisant à la porte d’une taverne, tout blessé. J’ai pas pu le laisser là, alors j’l’ai ramené chez moi. Danyal m’a poussé une gueulante, mais bon, avec un peu de temps, j’ai recousu les plaies moi-même, je l’ai nourri… Et maintenant, l’est en bonne voie. Bon, tu repasseras sur le nom. Sur le moment, en voyant mon travail, j’ai pensé que ça serait plutôt fidèle. »

Une fois à table, Krish lui déposa plusieurs pièces en main. Le contact froid du métal le fit plonger ses yeux dans sa main, où des écus sonnant et trébuchant se chevauchaient les uns les autres. Il savait que la Drow était richissime. Néanmoins, plus le temps avançait, plus il lui était redevable, et cela commençait à le gêner. Surtout parce qu’il ne savait pas vraiment comment rembourser un aller-simple pour Naelis, une bourse de souverains, et une grosse poignée d’écus. Il ne roulait pas sur l’or, après tout… Peut-être souhaitait-elle un jour louer ses talents à l’arc, pour une quelconque raison ?

Elle lui demanda ce qu’il prendrait. Il hésita un instant, puis d’une voix peu convaincue, il lança :

« De l’eau. »

Il sentait déjà sur lui le regard de Krish. Il savait aussi qu’elle allait commander une sacrée liqueur, et que lui ne pourrait pas y toucher. Par les mamelles de Néera, qu’avaient-ils tous à vouloir qu’il arrête la boisson ?! Ne restait-il pas un Homme, après tout ? Il avait passé la plus mauvaise nuit de sa vie, hier. Pour la simple et bonne raison qu’il était sobre depuis quelques jours, et que de tendres souvenirs étaient revenus lui lécher l’esprit. Rhaaa, mais qu’avaient-elles toutes, ces femmes ? L’Elfe de la taverne, sa sœur, la Reine en personne ! Pourquoi se soucier de la basse roture ainsi ? De son temps, Norman n’aurait sûrement jamais accordé un regard à une triple-merde comme l’un de ses serfs. Et ici, par décret royal, il devait se faire violence. Pour son bien.

Il souffla lorsqu’on lui apporta son godet d’eau. Il regarda le liquide, qui ressemblait étrangement à de l’alcool. Il se pinça doucement les sinus, avant de remonter son visage vers le haut, puis de regarder Krish.

« Viens pas rire, j’le fais pas par gaieté d’cœur. J’arrête de boire. Et chuis censé être fier, en plus. »

Il gloussa, avant de prendre une gorgée. Il lorgna un instant sur la liqueur forte de la Drow, puis se renfonça dans sa chaise, le regard posé sur la sulfureuse eldéenne devant lui.

« Mais j’crois que t’es pas venue jusqu’ici pour qu’on parle de mes problèmes de boisson, si ? J’imagine que t’as des trucs à raconter. Sur le front, tout ça… »

« Le nom lui va très bien, je te rassure. »

Alors il était ce genre d'homme qui boit la nuit pour oublier les malheurs du monde et ramasse les chiens pelés le jour pour les remettre sur pattes. Pas si étonnant considérant le fait qu'il avait tout de suite proposé son aide à une drow qu'il avait vu une fois et qu'il continuait à la fréquenter même après qu'elle ait coûter un nez à son meilleur ami... Ouais en fait il était plutôt étrange comme gars...

« De l’eau. »

« Ah... » oui... très étrange.

Elle fronça un sourcil mais s'en tint là jusqu'à ce que le serveur reparte... Puis jusqu'à ce qu'il revienne. La tronche que tirait l'archer... Elle pinça les lèvres et retint un pouffement. On aurait poser un poussin mort devant lui qu'il aurait sans doute eut le même regard... ça c'était de l'entrain ! de la fierté ! Dieu quelle fougue !

… Pauvre jeunesse...

« Je rirai pas... » lâcha-t-elle en même temps qu'un éclat de rire. « Promis je rirai plus. » Elle ravala le reste et se cala correctement sur son dossier et but une gorgée de liqueur là ou son homologue s'envoyait une bonne rasade d'eau de source.

« Non en effet je suis pas la pour ça... Mais si tu me permet de jouer un peu les emmerdeuses cinq minutes, je doit admettre que je suis curieuse. On peut pas dire que je te connais depuis longtemps mais je ne t'ai jamais vu saoul au point de ne plus savoir quoi faire de tes dix doigts. Je t'ai vu boire, ça oui. Mais tu n'es pas violent. Tu n'es pas cruel. Tu n'es pas en train de cuver dans un coin. Tu réfléchit vite. Tu es toujours adroit à l'arc comme pas deux. Et vu la qualité de ce que tu buvais quand on s'est rencontré, tu n'emprunte même pas d'argent à des types louches pour te payer de la bonne gnôle. A part un peu d'argent, je vois pas trop ce que tu perdais à boire... Et tu as l'air tellement jouasse maintenant que je me demande quand même pourquoi tu essaie d'arrêter. »

Pour ponctuer sa phrase, elle avala une deuxième gorgée de liqueur.

Krish aimait bien poser son doigt là où ça fait mal. Un peu comme un médecin néophyte essayant de savoir où se trouve la douleur. Pour le coup, elle tenait plus de l’initiée que de la débutante, il fallait bien l’avouer. Pourquoi devait-il arrêter de boire, voilà qui était à la fois une bonne et une fâcheuse question. Elle avait raison. Il savait boire. Il n’était ni violent ni cruel. Et il épongeait toujours ses dettes. En revanche, si, il pouvait se mettre une mine au point de devoir marcher comme un clébard jusqu’à sa paillasse, qu’il n’atteignait parfois pas du tout. Il partit de cet exemple peu glorieux pour essayer de trouver un élément de réponse convaincant.

« Danyal aime pas me voir boire. Ça lui rappelle sans doute Père dans sa meilleure forme, quand y rentrait en rampant chez nous. La Reine, elle, c’est aut’ chose. J’crois qu’elle veut pas d’alcoolo dans son armée, et ça, j’peux comprendre. Ha, ouais, j’ai oublié d’te dire… Maintenant, t’es plus la seule grosse personnalité du coin que j’connais. J’ai jamais rencontré autant d’royauté en si peu d’temps, d’ailleurs… M’enfin, soit. »

Il perdait un peu le fil. Et ce parce qu’il réfléchissait encore à où il voulait vraiment en venir. Après avoir bu à nouveau de l’eau, il continua.

« J’sais qu’elles ont raison toutes les deux, que c’est un mauvais vice, et que j’risque de finir dans l’caniveau comme le paternel… Mais chais pas si j’ai vraiment envie d’arrêter la boisson. C’t’un truc qui m’fait tenir, pourquoi j’arrêterais ? »

Il lorgna dangereusement sur le verre de Krish. Le sevrage était difficile, surtout pour un gars comme lui. C’était même impossible. Son esprit en était presqu’obsédé, et il avait l’impression que son corps n’appelait qu’à ça. Il recommençait ses cauchemars à deux balles, il se posait à nouveaux ces foutues questions… Non, il ne pensait pas vouloir arrêter. L’alcool représentait un rempart, la sécurité. Ivre, rien ne l’atteignait. Mais sans la bouteille, il était nu comme un ver, à la merci de ses souvenirs et de ses choix. Il soupira.

« J’arrête pour les autres. J’arrête pas pour moi. »

Et sur ces mots plats, il finit son verre, le reposant en le laissant se renverser sur le côté. Krish avait raison, cette histoire l’emmerdait, et il n’était pas jouasse. Cependant, il se demandait si c’était le fait qu’il arrête qui le mettait d’aussi mauvaise humeur, ou plutôt que la Drow agite de l’alcool sous son nez.

Krish regarda le vers vide se renverser sur le côté avec un sourire. Elle avait écouté l'humain avec attention, et une fois n'est pas coutume, elle s'était tenue entièrement silencieuse. Pas un rire, pas une remarque désobligeante. Elle avait observé ses expressions et ses gestes, regardant passer l'ombre de souvenirs et d'émotions diverses sur ses traits.

La seule chose qu'il perdait donc était l'estime de deux femmes... ça se tenait.

D'une pichenette, elle envoya son verre encore à moitié plein suivre le même chemin que celui de son compagnon. L'alcool de fruit rouge à l'odeur épicée se rependit aussi vite que sa consistance liquoreuse le permettait, un filet allant jusqu'à son bord pour goutter sur le sol. Quelqu'un râla. Pas que ça ait grand importance.

Krish se leva pour faire le tour de la petite table et se planter à côté de l'humain. Elle tourna la chaise d'un mouvement sec... enfin autant que la chaise daigna tournée... et s'appuya des deux mains sur les genoux de Sil'in, yeux dans les yeux.

« Bon. Si c'est aussi clair pour toi que pour moi, tu devrais arrêter de te mettre la ratte au court-bouillon pour ça et te conduire comme un homme. Dans ma longue vie, j'ai toujours vu ce genres de situation se finir des trois mêmes façons. Ou tu essaies juste comme ça, sans conviction réelle, et tu retomberas encore plus bas, dégoûté par ta propre faiblesse. »

Elle fit un signe de tête vers le godet renversé, puis, le prenant de court, l'embrassa un peu moins fougueusement que d'ordinaire, partageant autant un baiser que le goût d'une certaine boisson. Puis, elle recula d'un souffle pour poser la joue contre celle rugueuse de l'humain, murmurant avec la première goulée d'air :

« Ou tu trouves un nouveau Vice pour t'empêcher de penser à l'ancien. »

Elle s'assit alors sur ses talons, posant les coudes sur ses genoux pour le regarder d'en bas, se moquant des réactions qu'avaient put déclencher son manège dans la salle.

« Ou tu affrontes les raisons qui t'obligent à avoir besoin de ''tenir'' au lieu de vivre. »

Elle s'était même autorisé un geste dégagé, comme si elle parlait de choisir entre un bœuf bourguignon et une pintade au choux. Mais ses yeux rouges ne lâchaient pas ceux de Sil'in, aurai-elle du ramener son visage face au sien en le prenant à deux mains.

« C'est un choix qui n'appartient qu'à toi. Arrête d'en rendre les autres responsables. D'autres pourront t'aider, ils le devront même car on ne réussi pas seul. Mais ils ne pourront jamais ressentir le manque à ta place. Ils ne pourront pas affronter les mauvais souvenirs, la solitude et le dégoût. Ils ne pourront jamais non plus ressentir la fierté et le bien-être d'une personne qui a vaincu ses vieux démons ni la fatigue d'une vie à les tenir constamment éloignés. »

Une fois n'est pas coutume, son visage était totalement sérieux. Peut-être état-ce parce qu'elle détestait toujours autant perdre un paris, surtout quand elle avait déjà investi dessus. Peut-être parce qu'il avait dit connaître la reine et qu'un si bon atout ne se perd pas. Peut-être l'envie de partager un bref instant d'une expérience mure de plusieurs siècles. Peut-être parce que voir quelqu'un vivre sans mettre cela a profit lui semblait le plus grand gâchis du monde. Peut-être pour une pointe d'affection envers quelqu'un qui pouvait plus ou moins s'apparenter à un ami... ou l'affection sadique d'un enfant jouant avec un petit animal qu'il savait condamner. En tout cas, elle faisait en sorte que chacun de ses mots soit parfaitement audible.

« Alors si malgré l'affection que tu as pour ta sœur et pour ton job tu considères que tu ne le fais que pour les autres, que cela ne compte pas comme une raison personnelle à laquelle tu pourras t'accrocher même quand le monde entier ne vaudra pas une minute de calme, je te conseille rapidement de trouver une meilleur raison d'arrêter de boire. Car dans le cas contraire, c'est ta godiche de sœur que tu condamnes à venir te chercher dans le caniveau. »

S'étend assuré d'un regard qu'elle avait eu son attention jusqu'à la dernière phrase elle se releva, pour faire signe au tavernier.

« un torchon, un truc à manger et deux verres... » elle  laissa la commande en suspend et se tourna vers l'humain, attendant qu'il finisse à sa place avant de se rasseoir en ajoutant:

« Ne me remercie pas, tu me détesteras un jour pour t'avoir dis ça.»

Hendrick vit le second verre s’effondrer. Krish l’avait renversé d’un revers de doigt. Il la vit se lever, pour aller se poster à côté de lui. Qu’est-ce qu’elle allait faire ? Il ne a connaissait pas depuis extrêmement longtemps, pourtant, il savait qu’à chaque fois, la surprise était au rendez-vous. Il aimait ça, et le détestait en même temps. Pas forcément pour les mêmes raisons. Elle le tourna vers elle, et posa ses mains sur ses genoux, le regard planté dans le sien. C’est là qu’elle commença à lui tenir son grand discours. Bon, après, avec un millénaire de bagage, elle était assez âgée pour avoir le droit de parler comme une connaisseuse…

Il fut surpris par le baiser, écarquillant légèrement les yeux. Il retrouvait une Shaar lascive et prompte à la luxure, le tarif habituel en somme. Puis, elle s’était assise par terre pour le narguer une fois encore. Pourtant, ses paroles trouvèrent un certain écho chez Hendrick. Ils trouvèrent un écho, tout simplement parce qu’ils étaient vrais. Insolemment vrais. Et qu’il le savait. Il était bien misérable, à tenter de mettre ça sur le compte d’un autre que lui. Et plus encore, il se sentait minable tout court. Il ressentait le poids d’une vie perdue en trente années, qui l’empêchait d’avancer, comme un cadavre raidi accroché à son pied. Il avait cru bon de faire comme si cette main cadavérique, cette emprise fantôme n’existait pas, en l’oubliant, car il ne voulait pas la couper.

Mais peut-être était-il temps de trouver le courage d’attraper le problème à bras-le-corps, et de transporter ce poids mort sur son dos ? Peut-être finirait-il par ne plus peser autant, après ? Hendrick n’en savait rien. Il ne savait même pas pourquoi il faisait des métaphores compliquées… qui gagnaient quand même à être connues…

Ses yeux se plantèrent dans ceux de Krish, qui s’était rassise à sa place et avait commandé à nouveau.

« Je doute que j’te déteste un jour pour avoir essayé de m’aider. C’est plutôt moi qu’ai l’air con et niais, sur c’coup-là. »

Un type à la mine sévère apporta la commande sur la table, deux verres d’alcool, un torchon, et des sortes de galettes jaunes et étranges. Hendrick soupira sur l’ironie du sort, et voulut jeter un regard sur le serveur, qui s’était déjà éclipsé. Il regarda Krish, et ne put s’empêcher de sourire en pouffant. Il se demandait si Arcam n’était pas là-dessous… Après tout, c’était presque sa Cité. L’Oësgardien prit une galette et la fourra dans sa bouche, mastiquant ave curiosité. C’était juste une galette de blé et de mil, avec un léger goût salé. Pas de quoi fouetter un lyngre…

« Pas dégueu leur truc. Ils devraient rajouter de la viande, si tu veux mon avis. »

Il n’y avait jamais assez de viande. C’était peut-être rare et précieux, mais même en Oësgard, il braconnait, et avait droit à légèrement plus que ce qu’il n’aurait dû avoir. Croisant les bras sur la poitrine, il jeta un nouveau regard sur Krish.

« Ha, au fait. Pour changer d’sujet… Tu voulais discuter ? Je connais toujours pas la véritable raison de ta venue. »

Si l'humain avait testé les machins chose jaunâtre par curiosité, Krish s'en était tenue éloignée avec une moue de dégoût suspicieux. Greuaf... Si elle avait eut un bâton, il était probable qu'elle l'aurait utiliser pour tâter la texture de la galette dans l'intérêt de la sciences mais de la à le mettre dans sa bouche... là... non vraiment, ça lui inspirait pas confiance... Et les dieux savaient qu'avec les couleuvres qu'elle avalait (lorsque ce n'était pas autre chose) elle aurait du être rodée.

A la remarque d'Hendrick cependant, elle fronça un sourcil.

"y a pas de viande et ça prêtant être de la nourriture... je les comprendrai jamais." ajouta-t-elle avec un soupire exagérément appuyé et un soupire léger.

Elle s'installa plutôt confortablement, appuyant ses bras sur le bord de la table.

"A oui. Et bien il y a deux...  ou plutôt trois raisons. La première est que si je ne viens pas je n'ai pas de nouvelles et que je voulais m'assurer que tu n'aies pas eu d'autres problèmes avec les hommes de mon frère. La seconde raison, c'est que je voulais t'annoncer qu'il y aurai peut-être une petite fête à Thaar pour mes mille ans dans les mois prochains. Je t'enverrai un message quand ce sera plus précis, mais j'aimerai beaucoup que tu viennes me rendre une petite visite!"

Elle vida deux traits de son verre, pour s'humecter la gorge avant de conclure.

"Et la troisième est que je voulais te félicité de vive voix pour ta potentielle paternité."

Un sourire en demi lune trônait sur son visage, attendant avec impatience de voir sa réaction avant d'en dire d'avantage.

Bon, la première raison était sympathique, au moins n’était-elle pas ingrate au point de s’en foutre éperdument de ses possibles déboires avec les assassins de son chacal de frère. La seconde raison était ahurissante, mais c’est parce qu’elle avouait enfin avoir un millénaire, ce qui eut le mérite de stopper un instant la lente mastication d’Hendrick. Mille putains d’années. Il savait que les Drows et les Elfes pouvaient vivre longtemps, mais de là à passer tout un cycle, c’était insensé. Fou, en fait. Il se contenta donc de hocher la tête, comme pour dire qu’il verrait s’il pouvait se déplacer… se demandant aussi à quoi pouvait bien ressembler une fête noirelfique. Les images que son esprit lui renvoya le firent légèrement frissonner…

La troisième raison le fit s’étouffer avec son eau. Quel piètre spectacle.

Il se mit à tousser férocement, se frappant le thorax à grands coups de poing, attirant quelques regards interloqués sur sa table. Il envoya par mégarde un morceau de gâteau jaunâtre en direction d’un petit homme trapu attablé plus loin, qui ne remarqua pas le mollard siégeant sur son front gras et fiévreux, pour le bonheur de son comparse qui commençait déjà à s’esclaffer. Lorsqu’il en eut fini, il se racla la gorge, tentant de faire passer la douleur… puis observa Krish. Le problème, avec son sourire de chat, c’est qu’on ne savait jamais vraiment si elle plaisantait ou pas. Il la regarda avec des yeux sérieux, scrutant son visage à la recherche de la moindre trace d’hésitation, ou de plaisanterie. Parce que, oui, ça avait l’air d’être une grosse plaisanterie, et dans son cas pas très marrante…

Il sentit sa gorge s’assécher et expira en fixant toujours la Drow.

« Tu… C’est d’l’humour, hein ? »

Et par les couilles d’Othar, si elle ne plaisantait pas ? Il aurait l’air fin, l’autre pignouf, avec un bâtard demi-drow dans les pattes ! Un type lui avait chuchoté un jour que les Drows n’étaient pas du genre fertile. Mon œil dans une soupe qu’ils étaient pas fertiles ! Maintenant qu’il y repensait, c’était peut-être ça qui avait changé en elle et qu’il avait remarqué. Donc, elle était bien enceinte. Et il était possiblement le père… Il se renfonça dans sa chaise, l’air de réfléchir intensément. Néera serait pas très contente, Othar lui rentrerait un marteau dans le crâne et Arcam se gausserait de lui… Par les dieux, c’était pas un péché de procréer avec une Drow ?

T’aurais peut-être dû y penser avant de tremper ton biscuit, pensa-t-il. Et pourtant, il avait succombé à la tentation d’une nuit sans lendemain, d’un moment figé dans le temps… Quel idiot. L’idée d’un enfant lui fit un instant penser à son petit bâtard qu’il avait eu avec sa première compagne. Il n’occupa point ses pensées bien longtemps, mais assez pour qu’il se demande s’il était encore en vie, et s’il séjournait encore en Alonna avec sa catin de mère, et son cornard de beau-père. Présentement, pourtant, il se concentra à nouveau sur son problème du moment ; à savoir, allait-il être damné à jamais ou est-ce que ce n’était que du vent ?

Il soupira, avant de lever le bras pour appeler le commis. Puis il jeta un énième regard à Krish.

« Hum… T’as dit potentiel. Ça veut dire que j’ai une chance sur combien d’être le père ? Heu, tu dirais… une chance sur deux ? T’étais plutôt du genre fêtarde, donc… plus ? »

Il la scrutait curieusement, essayant toujours de voir si elle plaisantait vraiment. Puis, lorsque le tavernier se présenta pour prendre sa commande, il lui lâcha sans lâcher Krish des yeux :

« Deux verres d’eau-de-vie. »

C'est avec beaucoup... BEAUCOUP de volonté qu'elle s'empêcha d'éclater de rire lorsqu'il s'étouffa entre son gâteau de céréale et son eau plate. Haaaa... ça lui rappelait des souvenirs. Peu importe l'époque, les hommes étaient tous les même de ce côté. Qu'elle les mettent volontairement au courant ou qu'elle les recroisent par hasard quelques mois après une orgie, une veillée d'Isten ou simplement une brève partie de jambe en l'air d'ailleurs. Ils avaient tous ce même regard.

Bon, certes, il y avait des variantes dans la question. « Une bébé... ? » « Tu es sûre... ? » « ça peut pas être moi... ! » « C'est une blague... ? » Mais dans le fond toutes ces phrases criaient une seule et même panique intérieur doublée d'un esprit tétanisé incapable de digérer l'information. Comme si un gosse était la pire et la plus lourde des conséquences qu'ils pouvaient imaginés à une nuit de plaisir. Et avec les humains c'était encore pire... Pourtant ils avaient aussi à craindre les maladies eux, et c'était nettement plus flippant !

« Une chance sur quatre. J'avoue que j'ai été assez flemmarde ces deniers temps. On est loin des un sur quatre-vingt-douze de mon dernier bâtard. » annonça-t-elle doctement. En même temps... Deux ou trois orgies en deux ennéades et on perdait vite le compte... « Et tu es le seul humain, donc logiquement, c'est toi qui a le plus de chance de remporter la palme. »

Elle rit en attrapant au passage les deux verres que le serveur apporta sans en tendre un seul à son comparse.

« Pas la peine de te saouler, je t'ai pas demandé de m'épouser ! Crois mois, un mari c'est déjà bien assez encombrant. »

Elle en descendit une lampée.

« Faut pas te mettre dans un état pareil. J'avoue que j'avais surtout envie de voir ta tête. Je suis même pas encore sûre de le garder. Et si je le garde, tu seras mort qu'il n'aura même pas atteint l'âge adulte alors tu vois le peu d'importance que ça a... tu crois qu'ils ont quelque chose de mangeable ici? »