Les Sept Mercenaires [Ssenmad]

Almund le Blond

Almund remonta en vitesse son pantalon, jetant un coup d’œil intéressé à son reflet sur le bouclier de bronze poli dans sa tente. Grâce au miroir de fortune, il remarqua que sa morsure à la joue n’était que superficielle, juste un peu de sang et de bave autour de des marques de dents. Il sourit. Il avait eu l’impression que cela aurait pu être pire, vu la douleur qu’il avait ressentie au moment où la mâchoire s’était refermée sur une partie de sa belle joue rose et poilue. A mesure qu’il mirait son propre reflet, Almund se souvenait à quel point il était bel homme, un pur-sang du Nord, qui avait su conserver une peau presque blanche, malgré le soleil d’Ithri’Vaan qui lui tombait dessus depuis près de cinq ans maintenant.

Il entendit un grognement dans son dos. Il soupira, bouclant sa ceinture.

« Ton maître avait raison, petite sauvage. Tu vaux carrément le coup, mais sans tes chaînes, pas un clou ! »

Il gloussa légèrement, avant de se tourner vers celle à qui il s’adressait, mains sur les hanches. Devant lui, attachée par les mains à un poteau qui tenait plus du mât, une jeune femme à la peau anthracite le regardait de ses yeux bleus et furieux. Sa chevelure blanche cascadait devant elle et dans son dos, ébouriffée. Elle avait un corps fin et musclé, pas vraiment le type de la Drow en soi. A vrai dire, elle n’était qu’à moitié noirelfe. Bâtarde au sang impur, elle était utilisée à des fins ingrates, car sa vie ne valait pas un sou… Elle gronda à nouveau.

« Si j’étais pas attachée, je me ferais une outre avec ton estomac, yibin rivvil… »

Il se rapprocha du demi-sang, se mettant accroupi, les bras sur les cuisses.

« Pas si yibin que ça, ma belle. Ça n’avait pas trop l’air de te déplaire, j’me trompe ? »

Un vif crachat atterrit dans l’œil du guerrier blond. Il recula en arrière, finissant sur les fesses. Alors qu’il se nettoyait le visage, la demi-drow explosait de rire, ses yeux fous plantés sur la silhouette d’Almund, qui se relevait doucement. Une fois debout, le mercenaire frappa le visage de l’hilare du revers de sa main, et du sang apparut à la commissure de ses lèvres. Elle se tut tout de suite. Almund, l’air grave, fit craquer ses jointures.

« La prochaine fois, c’est toute la compagnie qui te passera dessus, sauvageonne. »

Il tourna les talons, relevant le pan de toile qui le séparait du monde extérieur. Le soleil agressa ses yeux gris, mais il plissa les yeux, et continua. Ses hommes l’attendaient dehors, il pouvait voir qu’ils étaient nerveux. Ils n’avaient jamais aimé traîner dans les alentours de Sol’Dorn. Les Humains n’étaient pas les bienvenus, ici. Mais Vel Do’Hel avait voulu que les Serpents Ecarlates, une des compagnies des Patrouilles Noires, se rende à cet endroit précis, chercher le chef des Escorteurs. Les paroles de Maître Vel avaient été dures à passer pour tous les gars des Patrouilles. Il ne voulait pas d’Humains sur le coup fumeux qu’il préparait. Almund n’avait pas accepté la mission au début, puisqu’il pensait pouvoir faire autant de dégâts que ces péquenauds de cavaliers drowiques. Pour l’amadouer, Vel avait préféré offrir à chaque chef de compagnie un petit quelque chose de personnel…

Alors, naturellement, quand Vel Do’Hel avait offert l’une de ses bâtardes au corps affriolant au meilleur de ses mercenaires, il avait accepté la mission.

Almund se dirigea tranquillement vers le campement des Escorteurs. Il était à pied, et accompagné par six de ses gars, des brutes épaisses aux mœurs légères et à l’âme plus noire que la voûte sans lune. Arborant fièrement la bannière à l’ouroboros de sang, une jeune recrue se tenait à côté d’Almund, qui arriva finalement avec son contingent devant les petites portes du camp retranché des Escorteurs. Il sourit en voyant les fortifications, qu’il trouvait ridiculement grosses pour un si petit groupe.

« Ils m’ont l’air d’avoir un truc à compenser, non ? »

Ses hommes rirent tous en cœur, de ce rire à la fois gras et inquiétant. Ensuite, Almund cria à l’attention des gens sur le chemin de ronde :

« Ho hé ! Du castel ! Je suis Almund, de la Compagnie du Serpent Ecarlate ! Je viens au nom de Maître Vel Do’Hel, de la majestueuse ville de Qiryah ! Ouvrez ! »

Il croisa les bras sur sa poitrine, crachant un gros mollard par terre.

Almund le Blond

Les gonds s’ouvrirent rapidement. Almund n’eut pas à attendre longtemps. Il préférait, en tout honnêteté. Ses gars n’étaient pas des tendres, et lui non plus par ailleurs. Les Patrouilles Noires ne prenaient que les enfants de salauds, avec de la haine dès le biberon. Trop d’attente aurait pu créer des problèmes. Ils se dirigèrent donc à l’intérieur du camp, le Blond posant une main sur son baudrier, et l’autre le long du corps. Une fois dedans, il se sentit légèrement surveillé. Quoi de plus normal, quand deux compagnies ne se connaissaient pas. C’est juste que cela devenait rare en Ithri’Vaan que deux groupes ne se soient jamais véritablement rencontrés. Il en naissait parfois les meilleures amitiés, comme les pires rivalités.

Almund remarqua ce qui semblait être le chef venir à sa rencontre. Il lui manquait une oreille, et son nez avait vu de meilleurs jours. Pas trop une gueule de porte-bonheur, en somme. Il le fixa longuement, à mesure qu’il se rapprochait. Le groupuscule du Serpent Ecarlate s’immobilisa, regardant tous aux alentours, en silence. Puis, Nez-Cassé leur fit un petit sourire, et leur demande ce qu’ils foutaient ici, dans un langage un peu plus poli. Le chef des mercenaires fit un pas en avant.

« Comme je l’ai déjà dit, je suis ici au nom de mon patron, le grand Vel Do’Hel. Tu dois sûrement le connaître, le… gros Drow ? De Qiryah ? Rewt ? »

Il mima un instant une immense bedaine avec ses mains. L’un de ses hommes rit, même s’il était édenté. Almund continua alors.

« Mon maître souhaite te proposer un contrat spécial. Il m’a envoyé ici pour te le proposer, et te le faire accepter. Et comme chuis pas un crevard… »

Il frappa des mains, et son sergent, un grand bonhomme à l’air méchant, lui tendit un petit parchemin.

« … J’l’ai fait rédiger ! Comme ça, y a preuve que ça vient bien du Grand Manitou ! En revanche, j’te conseille de le brûler après lecture, Maître Vel n’a pas envie que ça se sache. Compris ? »

Il étudia le camp du regard, faisant une fausse grimace impressionnée.

« Vosidieusses, c’est un sacré fortin qu’vous avez là. Bien fignolé et tout. Bon, on entre dans ta tente pour mettre les choses au clair, ou j’vais encore regarder tes murailles en extase ? »

Le seul Drow membre du Serpent Ecarlate ne lui avait jamais fait peur, uniquement parce qu’il était son supérieur, et qu’il lui avait déjà sauvé la vie, une fois. Mais ici, c’était différent. Ce type avait la gueule d’un vrai dornien, au pire, d’un puysard. Il fallait toujours se méfier de ce genre de personne. Même Vel Do’Hel était terrifiant, alors qu’il restait de la région, alors un natif… Almund était sur ses gardes, et essayait de montrer par la force de son caractère qu’il ne craignait pas les Drows.

Almund le Blond

Le chef des Serpents écarlates suivit celui des Escorteurs sur le chemin de sa tente de peau. Un dernier coup-d’œil vers son second, Ralf-la-Murge, et il entra à l’intérieur de la ‘demeure’ de Ssenmad. Les temps avaient l’air dur, vu l’aménagement spartiate. Mais peut-être était-ce aussi par rigueur personnelle. Il connaissait quelques hommes qui agissaient ainsi, loin de l’exubérance des riches mercenaires de la Grande Thaar. Il lorgna sur les chaises, et remercia les Cinq de ne pas avoir à s’asseoir dessus. Ça avait l’air autrement plus dangereux qu’une échauffourée, ces bouts de bois décrépis…

Almund se saisit de la missive, et la tendit au Drow. Une fois qu’il l’eut prise en main, le Blond dit ce qu’il avait à dire.

« Son illustrissime Seigneur Do’Hel aimerait louer les services de tes cavaliers Drows. Il souhaiterait que vous battiez la campagne des Septmonts, et que vous harceliez les villages et les hameaux que vous trouverez sur votre route. Il a bien précisé que seuls tes cavaliers l’intéressaient. La piétaille devra rester au bercail. »

Il se passa une main sur la joue, avant de continuer.

« T’auras le ‘zufrui’ du pillage, et Maître Vel s’engage à te payer en chevaux de qualité. Il a ouï dire de ta détresse… et se propose même de les apporter ici, afin que toi et tes hommes puissiez en profiter avant et pendant la mission. »

Il croisa les bras sur sa poitrine.

« Alors, le Noirelfe ? Qu’en penses-tu ? Ça te semble raisonnable ? »

Il avait également pour tâche d’apprécier la réponse de Ssenmad pour le compte de Vel Do’Hel. Si ça n’avait tenu qu’à lui, il serait déjà parti de cet endroit, et aurait chevauché loin de cet endroit oppressant. Il se demandait comment les autres s’en sortaient, dehors. Ralf-la-Murge avait ordre de tenir les gars à carreaux. Il avait pris avec lui les moins chahuteurs, et les moins fanfarons, mais personne n’était à l’abri d’un petit incident. Heureusement, aucun bruit suspect dehors. Son lieutenant n’avait pas l’air d’avoir de problème. Un peu rassuré, il frappa dans ses mains.

« Oh, et aussi, t’as pas une boisson à m’proposer ? »

Almund n’avait pas de raison de craindre un verre. Surtout parce que jusqu’ici, il pensait avoir fait une offre assez intéressante au Drow pour qu’il ne désire pas mettre un poison quelconque au creux de son verre. S’il devait jouer les rapporteurs auprès de Vel, il était sûr d’au moins sortir d’ici entier.

Almund le Blond

La réponse aux questions était dans le papelard… Néanmoins, Almund répondit de bonne grâce, se saisissant du pichet de vin qu’on lui proposait.

« Mon lieutenant te donnera une carte. Il y a toute la région orientale à frapper de vitesse. Si vous vous faites prendre, on a rien avoir là-dedans, vu ? »

Il renifla le contenu du pichet, puis goûta le vin. Pas mauvais. Mais il était bien trop habitué aux délices de Qiryah, maintenant… Après avoir passé une vie à la dure, il se perdait dans les brumes du luxe que lui conférait sa situation. Un peu d’action ne lui aurait pas fait trop de mal.

« Tu ravages l’endroit jusqu’à ce que ça devienne trop dangereux pour toi. Et pas touche aux riches… C’est à eux qu’il faut envoyer un message. Un message fort. Menace-les, mais les tue pas. »

Il sortit un pan de tissu de son pantalon, heureusement placé du côté de la hanche. Lorsqu’il le déroula, un symbole apparut sur la vieille étoffe grise. Il s’agissait des anciennes couleurs du IVème Ost. Almund sourit.

« Maître Vel insiste pour que tu portes ça avec toi sur les terres des Septmonts, Noiraud. Tu reconnais l’emblème, sans doute ? Prends-le. »

Il le tendit au Drow jusqu’à ce qu’il s’en saisisse, puis se releva, prenant encore une gorgée de vin, avant de rendre le pichet à son hôte, avec un petit sourire.

« Ouais, j’comprends l’ami. J’vais pas m’attarder ici. Je crois pas que ce soit une trop bonne idée de laisser mes gars titiller les tiens plus longtemps. Merci pour le vin… J’dirai au Grand Vel que t’as accepté. »

Et sur ces mots, et une légère courbette humoristique, il releva le pan de la tente, pour découvrir Ralf-la-Murge tentant de se placer entre deux mecs qui se cherchaient noise. Almund poussa un juron nordique, et toutes les têtes de sa compagnie se tournèrent vers lui. Il sourit, satisfait, et se dirigea vers son lieutenant. Il lui arracha la carte de son ceinturon, et la tendit à l'un des Escorteurs, avant de montrer Ssenmad du doigt. Puis, il se tourna vers son lieutenant.

« Allez mon gars, on se barre. »

Il se tourna vers le capitaine des Drows pour lui jeter un dernier regard, puis, mettant ses hommes en ordre de marche, il sortit du petit fortin avec un immense soulagement. Ça s’était mieux passé que prévu, il fallait le dire. Sur le chemin, P’tit Gibier, un de ses hommes qui n’arrêtait pas de l’ouvrir, lui demanda si tout s’était bien passé. Il le regarda un instant.

« Ouais. Ouais, très bien. On rentre à la maison, les gars. »