5ème jour, 2ème énnéade de Barkios, 9ème année, XIème cycle
Au lendemain de la réunion des vassaux du pays berthildois, on envoyait, sur ordre du marquis, une lettre par pigeon à Merval, adressée au prince de ce pays, Cléophas, Chancelier du Royaume. Sur le vélin, on pouvait lire ces mots :
Louis de Saint-Aimé a écrit:
A l'attention de Cléophas d'Angleroy, prince de Merval et chancelier du Royaume des Hommes,
Monseigneur, bien que mon nom ait pu vous parvenir aux oreilles et que nous ayons eu l'occasion de nous voir lors de mes tristement célèbres épousailles, nous n'avons guère eu l'opportunité de converser ensemble. Je le regrette aujourd'hui grandement, alors que l'ordre des choses et les dieux ont jugé mon père digne de les rejoindre dans l'Au-Delà. En effet, vous serez désolé d'apprendre le décès de feu le marquis Godfroy, mon père, vaincu par la maladie au début de la seconde énnéade de ce mois-ci.
Si mon père était l'homme qu'il était, il n'aura jamais agi sans raison valable, ayant toujours à cœur les intérêts de sa terre et du royaume, préoccupation qui, selon ses propres dires, le liait étroitement à votre personne. J'ai aujourd'hui la charge de cette même terre dont j'étais jusque-là l'héritier, et le devoir de prendre soin de mes gens. Mais plus que cela, mes pensées sont aujourd’hui rivées sur le royaume dont je suis dignitaire, et dont je ne me veux point l’ennemi.
Vous avez, auparavant, promis de reconnaître mon père comme suzerain légitime du pays berthildois, s’il ployait le genou devant Bohémond Ier. En ce jour, ce que mon père n’aurait jamais pu faire, je m’engage à l’exécuter, si tant est que vous garantissez au marquisat de Sainte-Berthilde, et à ses gens, ma personne comme marquis. Je n’ai cure des titres et du prestige de siéger dans une ville qui a tant fait parler d’elle en mal. Mais, comme vous le saurez sûrement, les landes au nord de l’Avosne sont aujourd’hui divisées, tiraillées entre ceux reprochant à mon père ses actions, et ceux qui, à travers moi, s’en veulent les continuateurs et les héritiers. Choisissez de donner Sainte Berthilde et Olyssea à Bohémond, et je me plierais à cette autorité, n’ayant ni grief, ni volonté revancharde à votre égard. Mais je ne saurais garantir la bonne tenue des nouveaux vassaux du Roy, qui n’auront qu’une volonté, celle qu’un Saint-Aimé règne à Cantharel. Ils seront prêts à faire parler ce souhait par les armes si nécessaire.
Je n’ai, tout comme vous, je l’espère, aucun souhait d’une guerre, et le royaume n’a guère besoin que l’une de ces dernières terres intactes sombre dans l’anarchie. Ma famille a servi le royaume et le pays berthildois de manière exemplaire ces dernières années. Je vous prie de bien nous laisser le faire, en tant que marquis de Sainte Berthilde. Nous aurions ainsi le grand plaisir et privilège de vous recevoir en nos murs dès que cela vous sierra. Puisse les Cinq veiller sur vous.
Louis de Saint-Aimé, marquis de Sainte-Berthilde, seigneur de Saint-Aimé, de la Toranne, et d’Erignac.
Dernière édition par Charles d'Hardancour le Sam 18 Fév 2017 - 8:23, édité 3 fois
Cléophas d'Angleroy
Ancien
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Sujet: Re: J'ai ouï dire | Cléophas & Thibaud | Concile [Fini] Lun 16 Jan 2017 - 2:38
- Que faites-vous ici, Serafein. - J’observe. - Vous observez des cadavres ? - J’observe la vie qui s’en échappe, Hespérion. C’est peut-être le fait de ce sortilège mais il me semble voir des formes danser au-dessus des tombeaux…je viens ici, je les avise, elles m’avisent, et je tente de discerner leurs visages. - Et…vous avez…vu quelqu’un ? - Personne.
Hespérion observa un silence recueilli, sans oser poser d’autre question. Il voyait comme la vie t’éreintait et comme ce sortilège tissait un lien entre ton monde et celui des défunts. Tu goûtais ce silence comme un vin âgé, tu le savourais entre ta langue et ton palais comme du miel pur, tu t’en recouvrais comme d’une huile fine et claire. Un baume pour ton âme, ton corps, ton cœur. Si la brise ne soulevait pas constamment les pans de ta cape, on aurait pu te prendre pour une effigie de marbre noir, veillant, hiératique, sur ces gisants endormis.
- Je me demande pourquoi les pentiens enterrent leurs morts. - Quelque chose à voir avec la vie, Serafein. Ils veulent pouvoir les veiller, les approcher, les – - Vénérer. Et c’est nous qui sommes fous à leurs yeux… - Vous n’auriez pas aimé retrouver votre fils ? Lui parler ? - Parce que vous croyez qu’elles vous répondent, les tombes ?
Il ne dit rien. Pour être longuement resté près de la tombe de son épouse il savait bien que les cadavres sont muets. Hespérion était un homme pour le moins réservé, ravalant ses émotions dès qu’elles voulaient s’exprimer. Il ne dit rien…mais tu sus que ce silence des morts, s’il t’apaisait, le torturait. C’était à se demander ce qu’il faisait là.
- Pourquoi êtes-vous venu si vous ne parlez pas aux morts, Hespérion ? - Une lettre est arrivée au Palais, Serafein. - Et ? Laissez-là au Maître des Epîtres. - C’est ce qui a été fait, Serafein. - Et alors ? De quoi s’agissait-il ? - Je crois qu’il vaudrait mieux, Serafein, que vous la lisiez…
Hespérion sortit d’une de ses poches un vélin descellé et froissé. L’homme se retira à l’écart, te laissant seul avec tes morts. C’est ainsi que tu appris la nouvelle. Du Sud, le Nord ne paraissait pas lointain, il était étranger ; on ne s’en souciait que pour le commerce, quand encore ils avaient des denrées à vendre ou à acheter. Ce gouffre béant distendait l’espace et le temps : une nouvelle apprise à Cantharel pouvait rester secrète des mois durant avant de ressurgir dans le Sud, colportée par un marchand au fait des rumeurs de son pays. La Grand-Chancellerie prêtait plus d’attention aux requêtes déposées par les nobles suderons que par celles de ces bougres nordiques, invoquant le Roy s’en jamais le reconnaître, mais quelles qu’aient été les tares du seigneur Godfroy, l’homme avait au moins tenté de se réconcilier avec le Roy. Son fils, cet inconnu ayant eu la mauvaise idée d’épouser une Anozsia, reprenait pour lui l’héritage de son père, mais quel était-il vraiment ? Pouvais-tu si aisément laver les fautes commises par son père, au nom de son ambition ? Pouvais-tu oublier les funérailles parodiques du Roy et l’insulte qu’il avait lancée à son égard, alors même que tu étais à Sainte Berthilde pour le représenter ? Le bon Louis se clamait royaliste mais qui était-il sinon le fils de son père ? Le sauvage sodomite de Velteroc ne se vantait-il pas lui-même d’être un recte homme et d’avoir agi en bonne conscience, pour le bien d’un Royaume dont il voulait être le Roy ? Tous les traîtres sont des hommes fidèles, à leurs propres intérêts. Pas un ne se dirait déloyal, car ils ne le sont pas. Leur loyauté est fluctuante, inégale ; c’est elle qui trahit et ils ne font que la suivre…par fidélité. Le fils prodigue du Nord revenait à la maison de son père, fier de ses égarements, portant sur lui la tunique tâchée de ses fautes, qu’il exhibait avec une nonchalance toute berthildoise. Si le père avait eu l’honneur de se reconnaître boiteux et responsable d’un schisme douloureux pour le Royaume, le fils, lui, se présentait en héros.
S’attendait-il à ce que tu l’appelasses, mon Seigneur et Majesté ? Attendait-il embrassades et trophées pour ses mérites ? Et quels mérites, encore ? Tu ne connaissais l’homme, il ne te connaissait pas, mais il avait suffi de cette lettre…Sans doute était-il honnête, sans doute désirait-il vraiment l’unité du Royaume, sans doute attendait-il vraiment du Roy qu’il le reconnaisse comme marquis…ou n’était-ce qu’un jeu, une pirouette pour faire croire aux seigneurs du Nord qu’il était pétri de bonne volonté ? Tu ne savais rien de lui, il ne savait rien de toi, mais cette simple signature aurait suffi à le bannir comme un jour l’Anoszia. Maladresse ? Comment un homme maladroit pourrait-il régner sur une terre rebelle ? Audace ? Combien de temps une tête brûlée resterait-elle fidèle à son Roy ? S’il conservait l’audace de son père, le jeune homme n’en avait manifestement gardé l’humilité. Tu ne pris pas la peine de la relire, le propos était limpide. Tu ne pris pas la peine de replier le vélin, tu te contentas de le froisser à nouveau. Tu compris, enfin, pourquoi Hespérion s’était tenu en retrait. L’ire aux tempes, tu fondis vers lui, vélin à la main en aboyant :
- Quand est-elle arrivée ? - Il…il – - Cessez de bégayer. Quand est-elle arrivée ! - Une dizaine de jours, Serafein. - Une dizaine de jours ! - Le Maître des Epîtres l’a reçue, puis l’a transmise au Maître des Requêtes qui l’a transmise au Chartulaire du Sacré Consistoire lequel me l’a remise hier, Serafein… - Depuis quand est-ce que les lettres diplomatiques prennent dix jours à remonter jusqu’à moi ! - Nous ne savions pas s’il fallait vous la donner ou la transmettre à la Grand-Chancellerie du Royaume, Serafein… - Je suis le foutu Grand-Chancelier du Royaume, Hespérion ! Pourquoi croyez-vous que je me trimballe avec quatre kilos de quincaillerie sur les épaules ? Pour impressionner des minettes ? - Non Serafein, je – - Vous avez de quoi écrire ? - Oui, Serafein. - Donnez !
Tu lui arrachas des mains un vélin, une plume et un encrier et allas écrire sur la pierre tombale la plus proche. Dans l’agitation, quelques gouttes d’encre pourpre tombèrent sur le marbre froid : du sang sur la tombe, un peu de vie dans la mort. Tu sentais ton cœur battre à vive allure, tes veines bondissant sous ta peau et ton bras mort commencer à te brûler et t’envoyer des éclairs de douleur jusqu’au plus profond de ton crâne. La vision peu claire, les yeux exorbités et la sueur au front, tu continuas d’écrire, sachant bien que si tu lâchais maintenant, cette lettre ne serait jamais envoyée. Tu passas sur les enluminures et autres ornements, te contentant d’aller au bout du sens, écrivant presque d’un trait jusqu’au point tant la douleur te pétrifiait.
« Au seigneur de Saint-Aimé, de Toranne, d’Erignac : paix à vous.
La situation de votre pays préoccupe le Roy, meurtrit la Couronne et me saisit au corps. Ces décisions importantes quant à l’avenir de votre pays et du Nord entier ne peuvent être prises dans l’intimité d’une tour suderonne, quand bien même le Roy par son sacre est animé de charismes divins et doté d’un discernement surnaturel.
Le Roy, ne pouvant statuer en l’état, a jugé bon d’envoyer à Cantharel un apocrisiaire afin que sa justice et que sa miséricorde puissent être appliquées directement et au contact des personnes qui en bénéficieraient les premières. Cela est son souhait que les grands vassaux du pays berthildois se réunissent en Concile, en présence du légat royal, afin de le conseiller quant à ces affaires.
Nous sommes heureux de trouver en vous un homme voulant œuvrer pour le bien de la Couronne et l’unité du Royaume, sur lequel nous pourrons nous reposer lorsque le besoin s’en fera –sûrement- sentir.
Par Son Altesse Gloriosisimme et Illustrissime, le très bon, le très juste, le Nobilissime Protobasile Cléophas d’Angleroy, le Serafein, Prince de Merval et Vicomte de Corvall, Petit Maître des Vertus, Protecteur de Diantra, Régent et Grand Chancelier du Royaume par la grâce de Notre Seigneur et Roy Bohémond, premier de son nom de la maison Phyram, Marquis de Sainte-Berthilde, Comte de Scylla, Baron d’Olyssëa, Seigneur-Protecteur de la Roseraie, Gardien fidèle de la foi, le Sérénissime Soleil Noir de la Rayonnante Ys, Archonte d’Ydril, Vicomte de Calozi, Seigneur de Velmonè, Seigneur consoeur de Beronia, Seigneur-dragon de Calozi, Sénéchal d’Ydril, Grand Chambellan d’Honneur de la Grande Traverse, Erudit de Prestige de la Destinée de l’Aube, Maître des Enfants de la Nébuleuse Ecarlate, Grand Voyer du Duché et Grand Argentier du Royaume, par la grâce de la Damedieu, toute bonne et toute providentielle.»
Tu n’eus pas la force de signer. Ton poignet se raidissait de plus en plus, le reste de ton corps aussi, ce ne fut plus qu’une question de secondes avant que tu ne t’effondres à terre. Ton crâne pris dans un étau qui se resserrait, tout ton corps parcouru de spasmes t’arrachant des cris étouffés. Tes dents même s’électrisaient, ta poitrine, chacune de tes côtes, chaque arête de tes os, chaque creux de ton corps : rien n’échappait à ces éclairs qui te paralysaient par leur violence. Tu vis au-dessus de toi les arabesques de bois blanc de la gloriette dominant la nécropole et la silhouette floue d’Hespérion qui se gardait d’appeler des gardes. Tu avais du mal à distinguer son visage mais tu entendais sa voix et tu sentais sa main chaude serrer la tienne, glacée ; tu t’accrochais à son calme comme à une bouée. Il ne luttait pas…il avait déjà lutté, il y a vingt années de cela. D’autres spasmes te saisirent, tu luttais maintenant pour respirer…tu sentais le sang te monter à la tête, empourprant ta vue, bleuissant tes lèvres et malgré cela, tu te sentais en paix, tu voyais son contour se dessiner, tu aurais pu la saisir si tes bras pouvaient se soulever. Dans ce silence de mort, tu savais, Cléophas, que tu n’étais plus seul et que ces lueurs dansantes n’étaient pas les feux follets de ton imaginaire. Derrière Hespérion, eux aussi voulait te saisir la main, eux aussi étaient étrangement calmes, eux aussi avaient déjà lutté, cessé de lutter. Entre deux spasmes, tu te saisis du vélin tombé au sol, tu fis un effort pour le soulever et le donner à Hespérion, qui le prit aussitôt. Tu luttas une dernière fois, extirpant de tes râles quelque force, quelque sens, pour articuler comme un mort l’eût fait :
- Sc…sce..au.
Avant de sombrer, rattrapé par les spasmes, dans l’obscurité.
Charles d'Hardancour
Humain
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Sujet: Re: J'ai ouï dire | Cléophas & Thibaud | Concile [Fini] Lun 16 Jan 2017 - 16:57
Début 5ème énnéade de Barkios, 9ème année, XIème cycle
Lorsque la réponse du prince de Merval parvint à Cantharel, on ne sut, au début, comment réagir. On fut tout d'abord surpris que la situation, fut-elle décrite comme dramatique par les lignes lues, n'ait pas requit la présence du chancelier en personne. On se vexa quelque peu, dans l'assistance, de l'envoi d'un légat, fut-il royal, pour régler la question de la succession d'une terre qui, jusque-là, avait fait parler d'elle en tout termes. C'est sur décision de Louis qu'on eût tôt fait de relayer l'ordre de se rendre à Cantharel, des confins de Saint-Aimé aux bordures de Laraus, afin d'assister à quelque serait le jugement du légat mandé par la chancellerie.
Veillant aux moindres détails, Louis fit construire, dans la cour de Cantharel, des petits parapets de bois, abrités, afin que le concile ne se déroule point dans la salle du trône. On aurait tôt fait de remarquer que Louis aurait siégé sur le trône, alors que son droit d'y siéger était le motif de la réunion. On décida que le concile devait se tenir au début de la cinquième énnéade, car on avait reçu la lettre durant les premiers jours de la quatrième. Pressant l'administration locale jusque dans ses retranchements, les tenants des lieux s'étaient affairés à ce que non seulement tous soient au courant à temps, mais que tous les préparatifs aient été faits avant leur arrivée.
Les deux hémicycles de bois eurent tôt faits de se remplir des individus dont la présence était indispensable, marquant clairement, par leur répartition, les deux factions qui s'affrontaient. Entre les deux, à un point où l'on pouvait distinctement voir qui prenait la parole, on avait placé un siège où le légat devait prendre place. Aux douze coups de midi, au deuxième jour de l'énnéade, on déclara le concile ouvert. Louis fut le premier à se lever et à prendre la parole.
« Mes seigneurs, je vous accueille tous ici en Cantharel en tant qu'amis. Je vous souhaite à tous, ainsi qu'au légat mandé par le chancelier Cléophas d'Angleroy, prince de Merval, la bienvenue. Puisse notre sens du devoir et les dieux nous éclairer en ce jour. Puissions-nous œuvrer pour l'intérêt de notre pays, et du royaume. » Marquant une pause, l'actuel tenant du titre, bien que contesté, n'en céda pas moins la parole. « La tradition veut, que dans ces conciles, chacun puisse exposer son point de vue. Permettez-moi, mes seigneurs, d'exposer le mien. »
« Je voudrais, avant toute chose, présenter des excuses. Non en mon nom, ou pour reconnaître quelque méfait donc je me serais rendu coupable, non. Au nom de feu mon père, aujourd'hui, devant vous, je vous présente des excuses s'il s'est, par ses actes et ses dires, rendu responsable d'un malheur. Il n'était point parfait, cela, nul ne le niera. Chacun ici aura des griefs, profondément ancrés dans le secret de vos cœurs, à formuler contre lui. Je vous comprends, plus que vous ne pourriez l'imaginer. Peut-être aujourd'hui, l'avez-vous oublié, peut-être qu'aujourd'hui, vous le regrettez, mais n'oubliez point, qu'un jour, vous l'avez suivi, et vous avez cru en lui. Ne reprochez pas à Godfroy de Saint-Aimé les maux dont vous aimeriez qu'il soit coupable, car il n'était point un mauvais dirigeant.
Je connais, mes seigneurs, chacun d'entre vous. Je ne parle pas ici de vos noms, mais de vos familles, de votre histoire, de vos héritages, de vos désirs, de vos projets, de vos ambitions. Il y a ici des individus dotés d'une morale admirable, d'autres aux souhaits de faire craindre notre terre, de lui rendre sa splendeur d'antan. Chacun de ses désirs, mes seigneurs, je les entends, je les comprends, et si je le pouvais, je vous aiderais à les accomplir, car tel serait mon devoir. L'un de ces nombreux devoirs qu'implique la tâche de régner. Régner, mes seigneurs, n'est point aisé. Nombre d'entre vous sont seigneurs et le savent. Mais bien régner est d'autant plus difficile, que la tâche a été conçue de telle manière qu'un seul homme ne puisse s'y atteler seul.
Il y a, sur nos terres, un grand nombre de rivalités, ancestrales ou récentes, passives ou violentes, qui rythment nos relations. Je vous invite aujourd'hui, mes seigneurs, à ne point laisser ces différends obscurcir vos jugements, à ne point me rendre responsable pour l'amertume que vous avez pu entretenir à l'égard de mon père. Ni hier, ni à ce jour, ni jamais, vous ne sauriez me tenir responsable pour les agissements de feu mon géniteur, car si vous vous risquiez à le faire, vous ne seriez guère différent de Nimmio de Velteroc, bannissant Bohémond Ier de sa demeure en s'armant de sa haine contre sa mère. N'oubliez pas aujourd'hui, mes seigneurs, que peu d'entre vous appréciait l'ancienne régente. N'oubliez pas que vous n'aimiez guère feu son époux Aetius. Mais alors que l'Enfant-Roy vivait, nul d'entre vous ne l'a contesté. Pas même mon père.
Ne condamnez pas notre terre à la nuit. Cette terre a déjà connu la division et la guerre fratricide, et je n'ai vécu que trop durement la perte d'un frère durant la guerre de l'Atral. Je promets ni vengeance, ni bellicisme si vous veniez à ne point m'accepter comme votre suzerain. Mais les dieux ne m'ayant point doté du don de divination, je ne puis vous assurer que notre pays demeurera uni et fort, à une époque où il en a le plus besoin. Je vous remercie, mes seigneurs, de m'avoir écouté. »
Louis se rassit, humblement et simplement, de la même manière dont il s'était levé, et dont il s'était adressé à l'assemblée.
Thibaud de Kelbourg
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Sujet: Re: J'ai ouï dire | Cléophas & Thibaud | Concile [Fini] Lun 16 Jan 2017 - 18:20
Son retour à Cantharel se déroula sans la moindre éloge. Bien que la populace fut curieuse de voir le retour de ceux que l'on nommait les « séditieux », ils ne reçurent nuls hourras ou applaudissements. Le petit Louis les avait gagné à sa cause, tandis que son père les avait tenu par la peur. Les échos sur le petit faon lui étaient parvenus. On disait le nouveau marquis généreux et admirable. Lui le trouvait encore trop faible et transparent. Mais soit, il avait accepté son invitation et s'était rendu e Cantharel, avec cette fois-ci, ses vassaux et son fils. Le gratin de l'argonnois se trouvait ainsi à ses côtés dans les gradins, pressés d'en connaître un peu plus sur la poursuite des festivités. Le bâtard de Laraus avait également fait la route avec les siens et se tenait dans la même tribune. Ils n'avaient échangé que quelques politesses avant de prendre des directions différentes, mais le simple fait de le revoir le refit penser au mariage qu'il avait accepté contre son appui. L'Adhémar vint également prendre place dans la même tribune qu'eux. Si le seigneur de Casteldulac ne s'était point montré hostile au jeune faon, il ne s'était pas pour autant rangé dans le camp des légitimistes. Néanmoins, Valérian s'était tout autant qu'eux retenu de prêter serment tant que le Saint-Aimé n'ait été officialisé et reconnu dans ses fonctions.
En face, la tribune des partisans du Saint-Aimé était pleine à craquer. Certains devaient même se tenir debout pour pouvoir obtenir une place. Le vieil Hardancour était du lot. Il le salua brièvement tandis que les autres gredins s'installaient à ses côtés. On leur avait garanti des saufs-conduits afin de les inciter à ne point venir entouré de plusieurs centaines d'hommes. Alors au lieu de venir avec une armée, Thibaud ne s'était ramené qu'avec la fine fleur de l'Argonne. Ces dix hommes, affublés de leur harnois, l'entouraient de près et guettaient les moindres signes d'hostilité. Et l'hostilité arriva bien vite lorsque les premières insultes fusèrent d'une tribune à l'autre. Thibaud alla même jusqu'à se demander si l'on allait se mettre à chanter « c'est à babord qu'on gueule, qu'on gueule ». De toute évidence, une telle démonstration aurait eu pour résultat de décrédibiliser totalement le conclave.
Ce fut au tour de Louis et du légat royal de faire leur entrée en scène. Les gardes réclamèrent le silence, (chose qui nécessita plusieurs longues minutes), puis le jeune Saint-Aimé usa finalement de ses cordes vocales. Thibaud parut surprit lorsque le garçon s'excusa pour les méfaits de son père. Godfroy se serait probablement retourné dans sa tombe en voyant son fils agir de la sorte. Le jeune homme ne reçut pourtant aucune moquerie. Le silence qui régnait était profond et solennel. Tous les hommes l'écoutaient. Devant un telle démonstration de mièvrerie, Thibaud se serait sans-doute paré d'un grand sourire. Il n'en fit pourtant rien et préféra rester calme jusqu'à ce que le petit faon eut terminé de s'exprimer.
-Vos mots sonnent vrais, sire Louis. Il s'était mit debout à son tour, surplombant ainsi tous les hommes se trouvant dans sa tribune. J'accepte vos excuses, mais une question me taraude. Qui est cet homme à vos côtés ? Nous pensions voir le chancelier en personne et non l'un de ses représentants. Est-ce là pour dire que la question de la succession berthildoise n'intéresse point le prince de Merval où s'occupe-t-il séant d'autres problèmes plus épineux et délicats que l'avenir d'un marquisat tout entier ?
Cléophas d'Angleroy
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Sujet: Re: J'ai ouï dire | Cléophas & Thibaud | Concile [Fini] Mar 17 Jan 2017 - 23:21
Au milieu de la cour grisâtre de la citadelle de Cantharel, derrière ses murs épais et ses créneaux couverts de mousse, au milieu d’un hémicycle de fortune érigé en bois sombre, se tenait, dans la boue, le très noble Aphaaste, apocrisiaire du Prince de Merval, enroulé dans une cape écarlate rehaussée de fourrure blanche. L’homme, peu habitué au frimas berthildois qu’il tentait d’apprivoiser depuis maintenant cinq jours, supportait avec patience les discours et remontrances discrètes de ce peuple roide qui avait donné naissance, non sans mal, à un Royaume qu’aujourd’hui il tentait de démanteler. Aphaaste n’était jusqu’alors qu’un homme du Palais ; plus habitué au Porphyrion qu’au reste du monde, il pouvait y rester des semaines entières enfermé sans jamais s’en lasser. La douceur du climat mervalois, la chaleur de ses femmes et la rigueur de ses lois tenait en courte laisse ses passions sulfureuses qu’il avait reléguées, il y a bien des âges, au fond d’un placard intime dont il se persuadait d’avoir perdu la clef. Sans être véritablement eunuque, il en avait –presque- tout l’attirail et beaucoup s’étaient demandés pourquoi le Prince de Merval envoya comme ambassadeur au Nord, un homme quintessentiellement suderon : son teint cuivré, sa chevelure de jet et son accent si chantant qu’il en devenait lyrique le faisaient passer en ces terres, au mieux pour un spécimen de foire, au pire pour une insulte. C’est que le Nord gardait contre le Sud et son raffinement une dent lourde.
Là-haut, les armures se voulaient épaisses, au Sud on les préférait ciselées. Là-haut on gardait les pierres pour ériger de hauts murs, au Sud on en dallait la moindre rue, la moindre allée. Là-haut on payait à prix fort les épices pour les manger, dans le Sud on s’en faisait de coûteux parfums et encens à brûler. A voir cet homme seul au milieu de cette cour mi hostile, mi méfiante, on pouvait presque se demander lequel était le juge, lequel l’accusé. Malgré les vexations et les attaques lancées à l’encontre de son suzerain, il conservait sa superbe et son port altier, narguant presque l’assemblée de loups et de corbeaux perchés sur leurs gibets comme prêts à fondre à la moindre faiblesse. Pour eux, Aphaaste ne représentait rien, ni personne – un pauvre hère que le Roy jetait à la face d’un Nord qu’il méprisait, pensaient-ils. A Merval, Aphaaste portait le titre convoité de Clarissime qu’on accordait aux hauts-fonctionnaires du Palais, il avait le privilège de pouvoir se vêtir de vêtements écarlates, il avait le privilège de porter la tiare de cuivre lors de certaines cérémonies, de porter la fourrure blanche et celui plus grand encore d’avoir été nommé apocrisiaire de la Colline Sacrée auprès de ces rustres du Nord ; ici il n’était que le sire Aphaaste, quand encore on savait prononcer correctement son nom.
Le malaise palpable entre ces deux mondes entassés dans cette cour qui n’avait ni la beauté ni la grandeur magistrale du Porphyrion rendait le Concile encore plus délicat qu’il ne l’était déjà. Le Sud ne connaissait rien des affaires du Nord, considéré par la Couronne comme terra incognita : tantôt loyaliste, tantôt sécessionniste on avait vite fait de ne plus la considérer comme partie intégrante d’un Royaume qui n’en était plus un depuis longtemps. Dans l’esprit suderon, Erac faisait office de marche septentrionale ; l’Atral, plaine abandonnée aux mains de vandales, ne devait son appartenance au Royaume que par l’histoire de ce dernier mais pour beaucoup, cela faisait bien des siècles que la Couronne avait épongé sa dette et coupé le cordon ombilical qui la liait à ce vaste et plat pays. Aphaaste, comme beaucoup de mervalois, faisait peu de cas de cette ancestrale rivalité qui opposait le Sud, sa culture, ses fastes et ses soieries au Nord et à son attachement à la terre, à l’honneur, au sang et à la foi. Le cœur et les yeux entièrement tournés vers Merval et le Levant, Aphaaste ne connaissait jusqu’alors du Berthildois que ses bannières et les récits qu’on lui en avait fait. Ce qu’on ne lui avait pas dit, c’est que la froideur du climat ne valait rien à côté de la rudesse des cœurs de ceux qui y vivent…
Les diatribes des uns et des autres prirent fin. Face à Aphaaste défilèrent le seigneur de Saint-Aimé, puis celui de Kelbourg sous les acclamations ou les huées. Aussi étrange que cela puisse paraître, les hommes du Nord avaient le sang plus chaud que ceux du Sud. L’apocrisiaire attendit que silence se fasse, songea longuement à ce qu’il dirait –tentant tant bien que mal de ravaler son accent mervalois- et finit par se hisser pompeusement de son trône de fortune. Ce jour-là, Aphaaste ne portait pas de tiare –il n’en avait pas le droit- ni de bâton. Ce jour-là, Aphaaste ne représentait pas son suzerain et Prince mais un Roy qu’il ne connaissait, vraiment, vraiment pas. Ce jour-là, cette heure-là, ce lieu-là, Aphaaste se demandait vraiment ce qu’il foutait là. Ce jour-là, Aphaaste eut peur de se chier dans les bas.
- Nous remercions Vos Eminences, sire Louis de Saint Aimé, seigneur de Saint-Aimé, d’Erignac et de Toranne ; sire Thibauld de Kelbourg, seigneur de Kelbourg et de Valleroy et le reste des seigneurs présents d’avoir répondu à l’appel de…votre…du Roy et d’avoir permis de réunir, ici, à Cantharel, ce saint concile qui décidera de l’avenir de cette terre.
Il avait au moins retenu les noms. Quant à savoir quoi dire après cette petite litanie, c’était autre chose. Il se racla la gorge bruyamment, se rendit compte –non sans paniquer- qu’il avait la bouche pâteuse, les mains moites et les fesses horriblement serrées – conséquence triviale d’une angoisse profonde- ce qui ne l’aiderait pas à progresser dans son premier essai de diplomatie péninsulaire. Jusque là, la chose allait sans grand souci mais, à vrai dire, il n’avait jusque là pas dit grand chose. Après plusieurs balbutiements et faux départs, serrant nerveusement ses mains l’une contre l’autre, il continua.
- Ce que…ahem…le sire de…ahem…le sire de…de Saint-Aimé a dit est fort louable et nous…nous le remercions pour sa…pour…pour sa diligence et son sens aigu du discernement.
Sans trop le laisser paraître, Aphaaste sentit qu’il ne pourrait jamais finir ce discours, moins encore tout un Concile. C’était une chose d’être à Merval, dans le Palais ; c’en était une autre de s’adresser à un lot d’hommes quant à une question dont, à vrai dire, on ne savait pas grand chose. Aphaaste s’appuya sur ce qu’avait dit le sire de Saint-Aimé pour en tirer un état général de la situation du Berthildois, arrivant à la conclusion qu’on pourrait, en effet, mieux faire. Tout ce qui allait plus loin dans l’analyse était hors de sa portée. Sans être pour autant fin limier, Aphaaste comprit bien que les silences qu’il installait entre chacune de ses interventions –pour le moins laconiques- loin d’être agréable, contribuait à la pesanteur de l’atmosphère, déjà saturée de tensions. Il s’enquit de continuer – car Aphaaste, de fait, était brave homme.
- La situation que vous traversez n’a pas laissé insensible le…ahem, le Roy. Ma présence ici témoigne de son souci, sincère et de son inquiétude, profonde. Nous aimerions pouvoir nous exprimer davantage sur cette question…cependant il ne peut…ahem, euh…il ne…il nous est impossible de plaider. Nous sommes ici pour juger. Il nous faudrait, ahem…entendre chacune des…euh…des parties pour et contre afin de pouvoir statuer. Je…Y-a-t-il quelqu’un qui donc ait des arguments contre les prétentions du sire de Saint-Aimé ? Je…ce…il est que ce n’est intime…nulle épreuve à cela…mais…il nous faut, ahem…entendre toutes les…euh…les parties, dont celles contre, évidemment. Mais le Roy comprend ces arguments et euh…ahem, il les trouve louables. Vos intentions je veux dire.
Il reprit sa respiration. L’exercice s’avérait de plus en plus difficile, car malgré toute son application à gommer son accent, il commençait à en oublier de gommer les idiomes mervalois que personne, en dehors de la Colline Sacrée et de la ville haute, ne comprenaient. Il ne comptait, en aucun cas, prendre longtemps la parole car, comme il venait de le dire, il n’était présent que pour rendre un jugement. Jusque-là, la balance semblait pencher en faveur d’un seigneur de Saint-Aimé marquis et la décision, grâce à la bienveillance des seigneurs dragons, serait prise dans moins d’une heure. Aphaaste n’aurait alors qu’à prononcer une formule solennelle qu’il avait apprise par cœur et à sceller un acte royal avec le Grand Sceau, dont il avait la garde exceptionnelle en tant qu’envoyé du Roy et du Grand Chancelier. Voulant se rasseoir et en finir au plus vite, il fut stoppé dans son élan par la question du sire de Kelbourg, qu’il avait presque oubliée et, mervalois étant, se sentit pousser ailes et panache pour lui répondre.
- Au sujet de notre Seigneur et Maître, Son Altesse Gloriosisimme et Illustrissime, le très bon, le très juste, le Nobilissime Protobasile Cléophas d’Angleroy, le Serafein, Prince de Merval, Vicomte de Corvall, Seigneur-Eparque des Trois-Ports, le Petit Maître des Vertus, Protecteur de Diantra, Régent et Grand Chancelier du Royaume par la grâce du Roy Bohémond Ier…
Il ne sut plus vraiment quoi dire. Allait-il avouer la vérité –s’il la connaissait vraiment- et dire que le Prince ne voulait pas entreprendre un voyage aussi long ? Dirait-il que le Prince couvait une maladie ou qu’il était en effet occupé par les nombreuses sollicitations qui sont inhérentes à n’importe quelle cour royale ? Aphaaste hésita encore longuement, bégayant, les yeux dans le vide, cherchant un prétexte fallacieux pour ne pas cacher l’abîme dans lequel sombrait, secrètement, le Prince. La bouche pâteuse, il tenta tant bien que mal de s’expliquer, priant pour qu’un feu de sagesse tombe des cieux et l’éclaire…
- Il…il…Le Prince…est…Il…
Les regards se faisaient de plus en plus inquisiteurs autour de lui. En dépit de froid, de l’humidité et du vent, Aphaaste commençait à suer à grosses gouttes. Il ne savait plus quoi dire, il sentait un nœud se former au fond de sa gorge. Comment expliquer, en effet, à ces seigneurs que le Prince n’avait daigné se déplacer lorsque la question était aussi primordiale que celle-ci ? De ce qu’il dirait ne dépendrait pas forcément l’issue du Conclave mais l’image du Prince, assurément.
- Le Prince a…il…ahem, le, le…Son Altesse Illustrissime et Gloriosissime..ahem. Le…
Comprendraient-ils que tout ceci n’était qu’une vulgaire farce ? Une insulte ou une parodie dont ils étaient les bouffons ? Aphaaste ne savait plus quoi dire. Il fallait à tout prix trouver une excuse, n’importe laquelle, aussi ridicule soit-elle, mais quelque chose sous peine de perdre le peu de crédibilité que lui conféraient son titre et ses vêtements.
- Le Prince a…il…
Il se racla la gorge, prit une grande respiration, se reprit en main et lâcha, finalement :
- Le Prince a été –
Il n’eut pas le temps de finir la phrase, stoppé dans son élan par la voix d’un homme venant de l’autre côté de la cour criant, d’une voix tonitruante :
- Ouvrez les portes !
Et les portes s’ouvrirent, dévoilant derrière elles, nappée par un manteau de bruine, une silhouette tout en grandeur et majesté, se déplaçant avec pesanteur, flottant presque au-dessus de la terre humide, suivie de plusieurs autres encore qu’on distinguait moins bien d’aussi loin. Aphaaste tourna la tête brusquement –et s’en fit un torticolis- pour voir surgir, après l’ombre des mâchicoulis et des portes, cette face pâle et marquée par le temps, émaciée de joues, creusée de cernes, osseuse et sévère – celle d’un saint esprit déchu, triste témoin d’une belle vie, d’une grande vie menée il y a maintenant bien des âges – cette face connue mais méconnaissable, aussi belle que terrible ; aussi froide qu’énigmatique ; cette face dont on savait à la fois tout et rien.
Ta face, Cléophas. La face de son Prince.
Sous cette ample mantia de velours pourpre, rehaussée d’argent et d’or fin, on ne devinait plus rien de ton corps qu’une carrure robuste et tenue. Tu marchais à pas lent, scrutant l’assemblée et voyant Aphaaste au milieu d’elle, ébahi et prostré à terre. Tu entras seul dans la cour, Lévantique se tenait proche. Tu étais épuisé, chaque bouffée d’air frais que tu inhalais te faisait l’effet d’un feu qui brûlait ta gorge et tes bronches mais tu conservais la mine fière, austère, composée des princes d’antan – effigie de pierre mouvante aux lippes froides et serrées. Tu avanças jusqu’au milieu de la cour, assez pour lire les visages de tes hôtes, tu y reconnus le jeune Louis, éphèbe déjà veuf à qui le veuvage seyait à ravir et d’autres seigneurs encore que tu ne connaissais guère que de loin ou de nom. Ouvrant tes mains gantées, osant un sourire de circonstance qui dévoilait subtilement des gencives bien pâles et des canines proéminentes, tu lanças d’une voix aussi suave que menaçante :
- Pardonnez-nous, messeigneurs ! Nous avons été…retardés…
Tu tendis ton bras caché par les nombreuses couches de tissu pourpre vers la porte en faisant signe de la main à Lévantique. Celui-ci s'inclina et fit signe à son tour à une litière de s'approcher, portée par plusieurs hommes aux armes des duchés fidèles à la Couronne. Lévantique ouvrit délicatement la porte, chuchotant quelque chose qu'on n'entendait pas d'ici. Il en ressortit, toujours aussi grave, suivi d'une femme. Elle était ronde et belle, aux cheveux clairs et au teint sombre, une femme du Sud comme on en voyait parfois. Un jeune homme la suivait, en armure de cérémonie, paré pour un mariage. Les deux s'avancèrent et lorsqu'on crut fermer la porte, on vit émerger une petite figure joufflue, encadrée de boucles dorées, aux yeux d'un bleu vif comme le ciel, au nez rose comme l'amour. Son front était ceint d'une couronne d'or fin, incrustée d'émeraudes et de topazes bleues, en souvenir de ses parents ; son habit ressemblait à une longue robe blanche, suivie d'une traîne aux dentelles ouvragées par les mains les plus délicates et son manteau, un velours bleu flanqué de cerfs et de lys. D'une main il tenait un sceptre de vermeil, surmonté d'une coupe : celle de la Damedieu, de l'autre il s'accrochait à celle de sa nourrice et tandis qu'il avançait, tu dis à tes hôtes, ta voix claquant dans la cour :
- Sa Majesté a jugé bon de venir jusqu'ici afin de connaître les hommes valeureux en charge de ses domaines. Un tel jour restera gravé dans les mémoires et les chroniques et il désirait en faire pleinement partie. Messeigneurs, faites honneur, gloire et salut à Bohémond Ier de la maison Phyram, au marquis de Sainte-Berthilde, Comte de Scylla, Baron d'Olyssëa, au seigneur de la Roseraie et Gardien de la Foi. Faites honneur, gloire et salut à votre suzerain. Faites honneur, gloire et salut à votre Roy !
Tu constatas un grand nombre de mines stupéfaites, quant à toi, ne pouvant fléchir le genou tu inclinas bassement le buste tandis que les soldats de la Couronne, eux, posèrent genou à terre. En te relevant, tu lanças un coup d’œil rapide aux gradins, n’y voyant que des visages velus et labourés, larges de corps, aux yeux tantôt clairs tantôt foncés…c’était une terre plus métisse que ce que tu croyais, le Berthildois. Sans desserrer la mâchoire, tu adressas sourdement à ceux qui se tenaient là.
- Nous sommes heureux de vous voir mais…où est le seigneur de Wenden ? Où est le comte d’Arétria ?
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Roderik de Wenden
Ancien
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Sujet: Re: J'ai ouï dire | Cléophas & Thibaud | Concile [Fini] Mer 18 Jan 2017 - 12:03
« Je suis ici, Messire Chancelier. »
La voix du comte d'Arétria avait résonné dans les tribunes, dans ce silence médusé qu'avait suscité l'arrivée aussi soudaine qu'inattendue du Chancelier et du Roi.
Roderik était venu, en effet ; on aurait pu croire qu'il s'abstiendrait de prendre part à un Concile qui, sauf coup de théâtre, concéderait le marquisat de Sainte-Berthilde à Louis de Saint-Aimé, le jeune faon, alors qu'il avait refusé trois ennéades plus tôt de le reconnaître pour suzerain. Mais son absence n'eut pas manqué de plaider en sa défaveur ; on l'aurait accusé de ne point respecter la décision royale. Il avait donc, à nouveau, fait le déplacement.
Cette fois, pourtant, il ne s'était pas contenté d'apparaître sous bonne escorte. Se tenaient près de lui Leudaste le Jeune, le grisonnant seigneur de Sorosd et parent de Roderik, l'homme qui devait secrètement assurer la prise de Cantharel avant que les événements ne poussent Roderik à renoncer à ce projet ; Dame Katrin, la veuve de feu le comte Alwin, qui semblait figée dans un état de dépression immuable, les yeux toujours rougis par les larmes - à se demander où elle trouvait le liquide qui suintait continuellement de ses paupières ; Iselda, sa comtesse d'épouse, secrète et gracile ; et l'enfant qui grandissait en elle et qui, s'il était mâle et naissait viable, deviendrait un jour comte d'Arétria. L'idée de se présenter au Concile en famille avait germé dans l'esprit de Roderik lorsqu'il avait découvert, à son dernier retour de Cantharel, le ventre arrondi de son épouse ; il en avait éprouvé une joie sans égale, qui avait presque éclipsé l'amertume de ses récents échecs politiques. Un fils, plaise à Néera ! Quand bien même ce serait une fille, cela cicatriserait la plaie béante qu'avait laissée en son cœur la disparition tragique de Sigebrand. Il n'aurait pu supporter de repartir si vite, si loin de la femme qui portait son enfant, alors qu'enfin il se sentait presque heureux. Et il avait décidé qu'elle viendrait elle aussi au Concile. Un homme plus sage et plus prudent eut jugé l'événement trop dangereux pour s'y laisser accompagner de sa femme enceinte, mais Roderik tenait à montrer qu'il avait la conscience tranquille et que, fort de son bon droit de ne pas reconnaître Louis tant que la couronne n'aurait point statué, il n'avait enfreint aucune loi et ne craignait nulles représailles. Et puis, n'était-elle pas la comtesse en titre, n'était-ce pas de son sang à elle que le couple régnait sur le pays arétrian, quand Roderik ne devait son rang que par leur mariage ? Il était normal qu'Iselda y prenne part ; et il espérait que la vue de la comtesse saurait radoucir sa propre image, lui que le gratin berthildois regardait de travers, le considérant comme un autre Anseric, un arétan qui allait vouloir la leur faire à l'envers.
Roderik s'était tenu discret. Arrivé la veille du Concile, il n'avait rencontré personne ; et depuis le début, il rongeait son frein en sachant bien qu'autour de lui la plupart des seigneurs prétendument « légitimistes » n'attendaient qu'une bonne occasion de se rallier au jeune faon et, ainsi, d'éviter de plonger le marquisat dans une sanglante guerre fratricide - ou de grapiller quelque avantage en échange de leur retour dans ses bonnes grâces. Il avait compris qu'il était seul, plus isolé que jamais ; le fait que Thibaud de Kelbourg, celui qu'il croyait être son principal allié, celui qu'il pensait le plus virulent des opposants aux Saint-Aimé, se mette à tourner sa casaque et à manger dans la main du faux marquis en était la démonstration la plus éloquente. Il avait beau continuer d'occuper la tribune de l'opposition, le seigneur de Kelbourg était devenu bien docile... quant à ceux d'en face, qui les invectivaient dans les termes les plus fleuris pour revendiquer leur attachement à au Saint-Aimé, ceux-là avaient l'avantage de faire beaucoup de bruit. Et de tous vouloir, du moins en apparence, la même chose. Les cartes étaient dévoilées, et Roderik n'avait pas une bonne main. Pour lui, la partie s'annonçait perdue d'avance.
Mais patatra ! Quelle surprise ! Ils étaient tous sans voix, dans l'assistance ; on se remettait à peine de ce que le Chancelier, qui avait d'abord cru bon de se faire représenter, leur fasse finalement l'honneur de sa présence - ce qui était mieux, car son légat ne s'était pas montré jusque-là très bon orateur - et voilà qu'en sus de sa facétieuse galéjade, faisant preuve de la plus grande des témérités, le Chancelier amenait avec lui l'enfant - cet enfant dont tout le monde connaissait le nom, mais que nul n'avait vu depuis que les troupes de Velteroc avaient taillé en pièces l'armée royale à Christabel. Bohémond, le roi Bohémond, était ici, à Sainte-Berthilde, dans la cour du château de Cantharel, au centre de ce marquisat dont il était l'héritier, devant un rempart de nobles interloqués qui attendaient qu'on leur donne un suzerain. Habile, pensait Roderik, tant surpris par l'audace du Chancelier qu'admiratif devant la manœuvre : nombre de ceux qui soutenaient le Saint-Aimé se défiaient de ce Bohémond car celui-ci n'était, au mieux, qu'une idée abstraite, un enfant lointain que le pays berthildois n'avait pas connu, car il avait grandi entre les murs d'Edelys avant d'être trimballé au sud comme un paquet de linge sale. En l'amenant ici, vêtu d'atours royaux, Cléophas leur permettait à tous de mettre enfin un visage sur ce simple nom...
Roderik n'avait pas imaginé, cependant, que si peu de temps après son arrivée, Cléophas l'interpellerait ainsi devant tout le monde ; trop surpris pour s'en sentir flatté, il avait tout bonnement répondu et s'était levé pour qu'on le voie bien, tout interloqué. Peut-être le Chancelier avait-il quelque chose à lui dire, quelque chose que tous ces gens devaient entendre ; ou peut-être, tout simplement, que Cléophas avait voulu lui faire poliment "coucou", maintenant qu'ils étaient potes. Et puis, il comprit ce que le Chancelier attendait de lui. Et alors que dans l'assistance on hésitait encore, Roderik quitta sa place, saisit au passage la main d'Iselda et, d'un geste non-brusque mais ferme, l'incita à l'accompagner. Le comte et la comtesse d'Arétria descendirent la tribune ensemble et, s'arrêtant à quelques pas du roi, mirent genou en terre.
« Je te salue, mon roi et mon suzerain », déclara Roderik, et un sourire éclaira son visage alors qu'Iselda à ses côtés hésitait sur la démarche à suivre, avant de murmurer un timide : « mon roi. »
Charles d'Hardancour
Humain
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Sujet: Re: J'ai ouï dire | Cléophas & Thibaud | Concile [Fini] Mer 18 Jan 2017 - 12:42
Le concile débuta de la même manière que s'était achevée la dernière grande réunion des seigneurs du pays berthildois : sous une pluie de propos fleuris échangés de la plus subtile des manières entre chaque camp. Si chaque faction se faisait face, les regards étaient rivés sur l'émissaire mandé par le chancelier, qui après avoir vu le discours de Louis, et le détournement de sujet de Thibaud, avait fait preuve d'un manque complet d'expérience dans l'art de la rhétorique afin de répondre à une question pourtant simple : où était le chancelier ? Pourtant homme patient, voir l'émissaire balbutier et être incapable de formuler une réponse cohérente aurait provoqué une intervention de Charles, si l'arbitre en question n'avait pas été coupé en plein vol par l'arrivée presque providentielle de Cléophas d'Angleroy, royalement accompagné. A cet instant, Charles ne put dire s'il s'agissait de la plus brillante des idées, ou de la plus stupide.
Parmi l'assistance, on trouvait un grand nombre de nobles du marquisat, mais le seul qui avait vu Bohémond avant le schisme politique gisait sous terre, un gisant de pierre sculpté sur son corps. Charles, imitant Louis, se leva. Ses yeux se plissèrent lorsque la première personne demandée par le chancelier n'était autre que le comte d'Arétria. « Voilà donc pourquoi ce couard s'est vu pousser des ailes. » pensa Charles. Si ce dernier se permit un léger sourire, les têtes des partisans de Louis étaient toutes autres. Certains parmi cette faction étaient toujours persuadés de la mort de Bohémond. Les plus fieffés soutiens de Louis, soutenant sa personne et sa légitimité, avaient parés leurs visages d'une expression de colère et de dégoût. Bien sûr, tous avaient remarqués les titres que non seulement l'émissaire, mais également le chancelier, avaient employés pour désigner à la fois Louis, et Bohémond. Sous bien des aspects, l'arrivée du prince de Merval avait probablement sauvé la tête de l'émissaire.
S'avançant au milieu de l'hémicycle, puis se rendant face à ce petit gamin qui portait le titre de Roi, Louis garda les yeux un instant sur lui, avant de les porter sur Roderik. Un même sourire leur était destiné, avant que le dirigeant de la faction Saint-Aimé mette un genou à terre, puis, après avoir brièvement incliné la tête, adresse un nouveau sourire au Roy en disant : « Votre Majesté. » Resté avec ses gens, Charles mit également genou à terre. Les plus réticents, quoiqu'une minorité, se contentèrent d'incliner le buste, mais de là où ils se trouvaient, on ne savait s'ils saluaient l'enfant, ou le chancelier. Le reste des nobles ployèrent le genou, sans trop s'attarder ainsi. Pour tous ici, le jeune Bohémond était plus une idée qu'un individu, le souvenir de deux guerres civiles, et de l'échec de feu Arsinoé, marquise distante et régente incapable.
« Nous vous souhaitons la bienvenue en Cantharel, messire Chancelier. » reprit Louis en se relevant. « Tous les nobles seigneurs ici présents attendent le jugement de Sa Majesté, dans la certitude qu'il saura, avec l'aide des dieux, prendre la plus juste des décisions quant à l'affaire qui nous réunit aujourd'hui. »
Louis tourna son visage, contemplant un instant les rangs des séditieux et ceux des loyalistes. Puis, se retournant, il s'adressa à Cléophas à nouveau. « Votre officier aura recueilli avec justesse mes propos tenus précédant votre arrivée. Mais comme dans toute affaire de justice qui requiert un jugement impartial, je souhaite que vous puissiez entendre celui derrière lequel un grand nombre des seigneurs se sont ralliés. » Se retournant, Louis chercha du regard Thibaud de Kelbourg. « Seigneur de Kelbourg ? Je suis sûr que nous tous, ici, aimerions entendre ce que vous avez à dire. »
De là où il se trouvait, Charles sourit. C'était habile de la part de Louis de faire appel à Kelbourg. Tous ici, y compris le chancelier, se doutaient que Thibaud était encore un fervent opposant à Louis. Il n'était, en réalité, guère plus le virulent défenseur de la légitimité de Bohémond quant à régner sur le marquisat, lui qui voulait, par dessus tout, livrer la guerre dans le Médian. Et il aurait été mal-avisé, de la part de qui que ce soit, de faire appel au témoignage du comte d'Arétria : personne n'avait oublié qu'il devait sa place à Godfroy, ou qu'Arétria avait par le passé prit les armes contre Sainte-Berthilde. Même parmi ceux qu'on appelait les « séditieux », on trouvait des seigneurs ayant beaucoup perdu durant la guerre de l'Atral. En voulant signaler la fidélité de Roderik de Wenden au Roi, le chancelier avait placé le comte d'Arétria dos au mur. Sans Kelbourg pour prétendre à la régence, ni Wenden sans risquer une guerre civile, l'éventail des options venait de se réduire cruellement.
Thibaud de Kelbourg
Humain
Nombre de messages : 621 Âge : 64 Date d'inscription : 07/09/2016
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Sujet: Re: J'ai ouï dire | Cléophas & Thibaud | Concile [Fini] Mer 18 Jan 2017 - 15:09
Alors celle là ! S'il l'avait su ! Bien que surprit et le souffle coupé par l'apparition providentielle de celui qu'on appelait le Roy, Thibaud hésita longuement à y voir une mise en scène habilement préparée. Ce Louis devait être au courant de l'arrivée imminente du chancelier et du bambin royal, et ce, en sachant d'avance ce qui serait dit. En voyant l'émissaire, il avait espéré un bref instant que le concile tourne court, mais là... c'était chose désormais faite. Le dénouement était maintenant proche. Il ne restait plus qu'à savoir s'il passerait pour le dernier des crétins ou pour le garant de la royauté. Les deux présentant plus ou moins les mêmes finalités, se dit-il avec ironie. Le comte d'Arétria était également là. Il ne l'avait pourtant point vu à son arrivée. Le coquin était venu par une autre entrée à n'en point douter. Lorsqu'il entendit le chancelier mander où était ledit homme, Thibaud se demanda s'il ne s'agissait là que d'une coïncidence où d'un plan conçu en amont. Ne sachant plus ou donner de la tête, il s'imagina en dindon de la farce, dernier au courant de toutes les intrigues préparées par ces enfoirés.
Thibaud se présenta à la suite de Louis. Lorsque le petit faon eut terminé de rendre ses hommages, il en appela à son voisin de derrière, lui. Sans trop se presser, il mit son genou à terre et laissa échapper un « mon roi » tout juste audible. Ce gamin aurait pu provenir de n'importe quelle chatte du Royaume, conclut-il. Pourtant, il s'était fait le porte-bannière de la royauté ici. Ne pas s'incliner ou cracher sur le gosse aurait donc probablement été mal interprété. Il s'en abstint et observa alors le chancelier qu'il n'avait vu qu'en de très rares occasions.
-Chancelier, j'ai porté haut les couleurs de notre Roy pour que le marquisat lui revienne et qu'une régence y soit établie. Godfroy de Saint-Aimé ayant usurpé le trône après avoir clamé la mort du Roy, ses dernières paroles sur la reconnaissance finale de ce bam... Roy, dit-il en jetant un œil du côté de l'enfant qui se tenait à leur côté, m'ont finalement convaincu que le Berthildois ne pouvait revenir à nul autre que sa majesté Bohémond Ier, à moins que le jeune Louis ne soit reconnu et investi dans sa fonction de marquis.
Accessoirement, il avait aussi voulu évincer les Saint-Aimé du pouvoir pour une rancœur familiale, mais il se garda bien de le mentionner, réalisant à quel point le chancelier en aurait cure. D'ailleurs, la mort de l'effroyable avait finalement eu raison de sa véhémence. Toute sa colère n'était orientée que dans une seule et unique direction : le Médian.
-Peu importe la décision prise, je l'accepterais, affirma-t-il, solennel. Mon épée est vôtre.
Qu'allait-il se passer ensuite ? Seuls les dieux et un homme le savaient.
Cléophas d'Angleroy
Ancien
Nombre de messages : 314 Âge : 39 Date d'inscription : 22/12/2011
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Sujet: Re: J'ai ouï dire | Cléophas & Thibaud | Concile [Fini] Jeu 19 Jan 2017 - 5:08
Tu éprouvais une certaine jouissance à voir ces hommes ployer l'échine devant le Roy, ce Roy qu'ils moquaient encore il y a quelques ennéades, ce Roy qu'ils pensaient mort et enterré, voilà qu'il était présent devant eux, en chair et en boucles, pesant moins que les ornements qu'il portait. Sous ce ciel grisâtre mâtiné de rouges et d’ocres, ce défilé improvisé de pairs et de bannerets avait quelque chose de liturgique - le temps se tordait et maintenant il semblait que les Dieux veillaient, observant les plaies d'autrefois être pansées. A l'insoumission des barons du Nord répondaient les voeux des Berthildois. A la rébellion des hommes du Médian répondait la loyauté de ces hommes du Nord, au sang de chypres et de fougères. Ce n'était pas une jouissance malsaine mais une véritable bouffée de joie anticipant les jours de paix à venir. Tu n'étais pas dupe : bien des hommes ici ne croyaient pas en ce qu'ils voyaient, abreuvés à une fontaine impure : celle du père Saint-Aimé qui fit jaillir des fonds de son ambition une source de mensonges - en vain. Pourtant, et tu le savais, il faudrait plus que l'exhibition du bambin couronne pour que ces hommes crussent vraiment, s'ils voulaient au moins y croire. Aveuglés par leur amour de cet homme charismatique et clivant qu'était le père Saint-Aimé, les Berthildois refusaient et refuseraient toujours une réalité qui aurait terni l'image de cet homme qu'ils commençaient déjà à ériger en saint. Pouvait-on en espérer plus de dévots pentiens ? Qu’à cela ne tienne, tu préféras croire en doux ingénu que ces hommages étaient aussi sincères que pompeux.
Le comte d’Arétria répondit à ton appel et se détacha du reste des hommes. Ce même visage, encore frais dans ta mémoire, tu le retrouvais ici, sans changement. Tu te demandas en revanche s’il t’avait reconnu, tant ton apparence en si peu de temps avait changé. Ce n’est pas que tu aies pris de l’âge ou des rides, seulement les sortilèges de Lévantique se faisaient de moins en moins discrets. On soupçonnait jusqu’alors la fatigue de ta charge, maintenant on pouvait sérieusement se demander quelle maladie s’était éprise de toi pour que tu ressembles à s’y méprendre à un homme sans vie. Roderik s’approcha de toi, du haut de son peu d’années, et posa le premier genou à terre, réitérant la scène presque rêvée qui se déroula sous tes yeux dans les jardins du Porphyrion. Si ta peau perdait sa couleur, tes yeux au moins brillaient, deux billes de verre turquoise – la couleur des eaux de Merval. Le Roy reçut l’hommage en silence, comme tu le lui avais appris, puis tu crias à Roderik autant qu’au reste de ses pairs :
- Levez-vous, Roderik de Wenden, comte d’Arétria. Votre vœu vous honore !
Celui se releva avec autant de dignité qu’il s’était agenouillé et alors qu’il se trouvait à ta hauteur, tu lui dis à voix basse, fixant ses deux prunelles d’éphèbe mal rasé :
- Ne vous avisez pas de partir en douce, je dois encore vous parler de quelque chose.
Il te rendit ton regard. Il avait compris, apparemment, ou alors il feignait superbement. Cet arétan décidément surpassait en qualités son goupil de prédécesseur : à l’image de ses ancêtres, dans la ligne la plus droite, la plus pure et la plus radicale, Roderik s’imposait au milieu de ce nid de couleuvres, en preux paladin. On croyait la race éteinte depuis l’idylle de la Communauté de l’Etoile, ou de la Paix, ou de la Pure Fleur de Virginité…tu ne parvenais plus à en saisir le nom. Roderik reprit sa place, derrière les autres, d’où il voyait sans être vu, puis vint à son tour le seigneur de Saint-Aimé, ce Louis en bien des choses semblable à son paternel, en d’autres semblable aux plus habiles suderons. Il vint jusqu’à toi armé d’une assurance frisant l’arrogance –tu connaissais pareille démarche, tu l’avais eue à son âge- et finit par se rendre et poser le genou à terre. Il baissa le front devant Bohémond, lequel resta silencieux et stoïque, il se releva et appela le Roy, « Majesté ». Etait-ce là un vœu caché, un aveu avalé, que Bohémond, cette « Majesté » était bien son Roy ? Tu voulus le croire et le gratifias d’un signe de la tête. Vint alors le seigneur de Kelbourg, tête brûlée dirait-on, de ces terres trop humides…Il se livra au même rituel, avec autant de déférence, mais lorsqu’il ouvrit la bouche, tu compris qu’il y avait autre chose en lui que cet air de brute et cette barbe barbare. Cette dense pilosité cachait un esprit fin –ou au moins sincère. Peut-être ne l’était-il pas, Cléophas…qu’en savais-tu vraiment ? Tu voulus encore y croire, et tu te fias à ce nombre de seigneurs, de suzerains, de vassaux, de châtelains rencontrés au fil de tes années passées à errer sur la Péninsule pour en arriver à cette conclusion : l’homme disait, effectivement, vrai.
Ainsi te retrouvais-tu, Cléophas de Merval, Régent du Royaume, piégé dans un Nord qui te collait des frissons, à jauger les visages, les yeux et les âmes de robustes morceaux d’hommes qui s’étaient passés de père en fils, comme d’une couleur de cheveux, la qualité de rester impassibles en tout temps. Moroses ? Certainement. Sinistres ? Assurément ? Insensibles ? Certainement pas. Devant ce Roy chétif et mieux décoré qu’une chambre de prostituée, les insoumis te remirent respectivement l’honneur, l’hommage et l’épée. Que te fallait-il de plus ? A cet instant tu aurais pu partir, le cœur léger et rejoindre tes appartements mervalois pour n’en plus sortir, laissant au Nord le soin de se débrouiller avec le Nord ; au Sud le soin de se débrouiller avec le Sud et à la soi-disant Ligue le soin de se mordre la queue jusqu’à s’avaler entière. Cela aurait été bien plus sage, Cléophas. C’aurait été plus raisonnable, compte tenu de ta santé désastreuse et de l’emprise que les sortilèges et le Mal exerçaient sur ton corps, ton âme et ton esprit. Tu voulus en effet régler cette question et tes lèvres commencèrent à s’ouvrir pour prononcer la sentence…puis tu revoyais ces trois visages, ces trois hommes agenouillés, ces trois voix unies malgré la désunion…et derrière toi ces murs, et derrière ces murs des plaines, et derrière ces plaines des bois, et derrière ces bois des monts, et derrière ces monts d’autres bois, d’autres plaines et d’autres murs et derrière ces murs-là…l’Ogre du Médian.
Tu pris la main du Roy, lui sourit avec amour, puis t’avançant vers les nobles, lanças à voix haute :
- Seigneur Louis…
Son nom rebondit sur chacune des parois de la cour. Un silence s’installa, dérangé par les bannières claquant au vent et les bancs de bois grinçant. Tu aurais préféré tenir cette discussion en privé mais tu savais bien que l’intimité et le Nord faisaient mauvais ménage. Après tout, ce Concile ne se déroulait-il pas dans une cour grand-ouverte sur le monde et les chemins de ronde, aux antipodes des salles secrètes et souterraines de Merval, Pharembourg, Soltariel et Diantra ? Tu te fis à l’idée de converser à deux au milieu de vingt hommes et quelques autres et continuas :
- Nous devons avouer ceci que nous ne pensions pas recevoir un tel courrier de votre part. Lorsque le légat de feu votre père est venu à notre rencontre, au Soltaar, le lendemain du coup d’état du vil et maudit homme qui n’a plus de nom devant les Dieux, nous avons été surpris, aussi…mais nous avions là un homme connu de nous, un homme respecté des siens, un homme que le Nord voyait comme un guide. Certes votre père traînait avec lui de nombreux fardeaux et il est vrai que ses allégeances ont été très fluctuantes ce que nous lui avons souvent reproché…mais enfin votre père, à la veille de son trépas, revint à la raison. Ou presque.
Tu faisais allusion à ce fâcheux épisode à Cantharel, du mariage d’Azénor et du seigneur Louis, au cours duquel banquet Godfroy crut bon d’insulter à couvert le Roy, la Couronne, ton œuvre et ton discours en ta présence et sous les rires gras de certains de ses invités. Certains de ceux qui se tenaient maintenant en face de toi, mines inquiètes ou circonspectes. Jusque dans ces terres qu’au Sud on disait reculées, la justice du Roy faisait encore trembler…
- Je vois parmi vous bien des visages présents au mariage de votre seigneur et combien d’entre-vous ont ri, alors, lorsque le seigneur et père de Louis de Saint-Aimé, insinua que votre bon Roy, celui devant lequel vous avez ployé le genou, était décédé ? Le voici, messeigneurs, le voici devant vous et n’oubliez pas le serment que vous avez prêté, en ce jour, en présence du Roy et de vos Dieux !
A nouveau le mot résonna dans la cage de granite, soutenu par une brise montante qui sifflait entre les herses et les portes. Si pour toi les Cinq tenaient au mieux du mythe, au pire d’un paganisme mortifère, tu savais que la question, ici, était tout autre. On comptait dans le Berthildois plus de temples et d’ermites néréites que dans n’importe quelle autre terre du Royaume ; on y voyait souvent prêtres et moines déambuler dans les cités et entretenir au milieu d’icelles de splendides demeures où la suie côtoie le bronze, élevées en l’honneur de l’Une ou des Cinq à la fois. Evoquer les Dieux à Cantharel revenait à toucher la fibre sensible de chaque chevalier : la rudesse du climat et du quotidien en ces latitudes forçait la piété, individuelle et ecclésiale et c’est à l’une et à l’autre que tu comptais t’adresser désormais. Ta voix porta encore un peu plus, faisant résonner chaque phrase comme un son de cor.
- Maintenant je vous le demande, lequel est l’ennemi ? Lequel est l’allié ? Je vous vois, je lis vos cœurs et vos regards défiants et méfiants lancés à l’encontre de ceux qui s’opposent à vous dans ces tribunes – vos frères ! Vos frères de sang, vos frères d’armes ! Je sens la raideur de vos nuques devant le Roy, ce Roy que vous croyiez mort ! Mais mes frères, n’oubliez point le prix que vous avez payé ! N’oubliez point le prix de ces luttes fratricides ! Du haut des remparts, de l’autre côté de cette cour, n’oubliez point ces plaines qui hier encore se hérissaient de piques, de tentes et de trébuchets ! N’oubliez point qu’hier encore de saints innocents, enfants sans défense, mouraient dans les flammes et le sang ! Je vous le demande, messeigneurs : n’est-ce pas assez payé ? N’avez-vous pas suffisamment haï et souffert ? Ne vous êtes-vous pas assez entretués pour vouloir encore éviscérer un pays convalescent ? Je vous le demande, messeigneurs : lequel est l’ennemi et lequel l’allié ? Je vous le demande encore : quelle est votre soif, quelle votre faim ? Faut-il que vous mordiez au sein la mère qui vous allaita tous ; et que vous condamniez à la ruine les enfants qui partagèrent votre couche ? Car tandis que vous luttez contre l’un et contre l’autre, Diantra suffoque, Soltariel étouffe et le Royaume entier s’apprête à couler. La coque est percée, la nef prend l’eau, les douves sont comblées, les murailles sapées ! Jusques à quand continuerez-vous de vous empoisonner et que faudra-t-il, messeigneurs, que faudra-t-il faire pour que vos regards se tournent vers vos frères spoliés, insultés, bafoués, massacrés de Diantra ? Car vous partagiez le même sang ! Vous partagiez la même foi ! Vous partagiez le même Roy ! Ce Roy, présent, ici bas ! Et tandis que leurs corps, sans sépulture, ont fait le festin des corbeaux et des loups, ici on palabrait à savoir qui de vous – serait le premier. Et tandis que leur sang coulait pour la Couronne, vous vous disputiez pour la récupérer. Aussi je vous le demande, messeigneurs…jusques à quand !
L’écho se dispersa tel le croassement d’une corneille. Quelques-unes s’envolèrent d’un rempart – une traînée d’encre dans le ciel. Tu t’éloignas du trône, reprenant ton souffle, jetant un coup d’œil à Lévantique qui comprit ta détresse et redoubla d’ardeur dans ses « prières », avant de te retourner vers les seigneurs et de continuer.
- S’il en est parmi vous messeigneurs, mes frères, qui soient encore fidèles à leurs serments, s’il en est parmi vous qui soient encore fidèles à leur Roy ; s’il en est parmi vous qui croient encore aux vertus de la Foi ; s’il en est parmi vous qui se lassent de voir répandu tant de sang ; s’il en est parmi vous, seigneurs de Sainte-Berthilde, d’Arétria, d’Olyssëa ; s’il en est parmi vous qui soient encore dignes et droits ; s’il en est parmi vous mes frères qui aient encore à cœur et l’amour et la Loi alors je vous le demande, hommes du Nord ; au nom des serments que vous venez de prêter, au nom de vos pères morts au combat, au nom de tous vos frères qui n’ont pas été vengés, au nom de vos honneurs qui manquent d’être dorés ; au nom de ce qui est juste et bon et droit ; au nom de la Damedieu, de Tyra, de votre Foi ; au nom de votre Seigneur et de votre Roy, levez-vous ! Levez-vous ! Levez-vous, hommes du Nord, et marchez au combat ! Pour ce qu’il reste des cadavres qui attendent d’être vengés, pour ce qu’il est un ennemi qui attende d’être châtié ! Levez-vous, fils de l’Atral, et marchez à la rencontre du sang ! A la rencontre de la ruine ! A la rencontre des cendres ! A la rencontre de l’injustice ! Marchez à la rencontre des traîtres, des reîtres, des couards et des vandales ! Marchez à la rencontre de ceux qui méritent votre venin, qui méritent votre rancœur, qui méritent votre méprise ! Je vous le demande par le glaive et l’égide et la lance ! Marchez, frères du Nord, à la rencontre de cette bête immonde qui se terre à vos portes ! Marchez et reprenez ce qui a été volé, rendez ce qui a été usurpé, redressez ce qui a été déformez ! Et épongez par votre valeur, ce sang qui a trop injustement coulé !
Des vivats éclatèrent dans les rangs et les chevaliers de la Couronne s’égosillèrent à scander « Longues années au Roy ! ». Un rayon de soleil vint percer les nuages et dévoiler un ciel plus bleu que gris. Il te caressa la joue alors que tu luttais pour ne pas défaillir, tant le souffle venait à te manquer. Tu ne pris pas la peine de regarder les grands vassaux et scruter leurs réactions : la fougue de leurs camarades était un constat suffisamment éloquent. Tu gardais les yeux rivés vers le sol, essoufflé, attendant que se fasse le silence et que les balourds de gardes que tu avais emmené avec toi cessassent de frapper leurs pavois de leurs lances. Une douleur te poignarda la poitrine…tu la reçus sans rien montrer…un goût de métal t’envahit la bouche. Un caillot de sang, sans doute, qu’il te faudrait ravaler de peur de passer pour un monstre. Levant de nouveau les yeux, tu allas trouver le seigneur de Saint-Aimé, toujours aussi raide et noble d’allure que son défunt père. La clameur ne s’était pas encore éteinte mais il suffit de tes premiers mots pour que les derniers cris se tussent.
- Seigneur Louis, vous dites sans doute vrai et votre cœur sans doute est honnête mais nous n’avons plus le cœur aux serments et aux doux mots. Nimmio était rempli de bonne volonté avant de massacrer un peuple à Chrystabel. L’ydrilote prêta serment aux pieds du Roy avant de tuer ses nourrices et l’enfermer dans son donjon. La dame de Lancrais professait la paix tandis que son époux harcelait les flottes du Roy…vous voyez, seigneur de Saint-Aimé, nous avons eu notre lot de promesses et de bons cœurs et aujourd’hui la Couronne se meurt. Elle est trop faible pour se permettre d’offrir à des fils qui la reconnaissent timidement la plus grosse part de ses terres et de ses revenus. Le Berthildois est une terre instable, seigneur Louis, vous le savez sans doute mieux que moi et aujourd’hui je constate que certains de vos plus grands vassaux se défient de vous. Nous ne pouvons prendre le risque de confier les rênes d’une terre aussi lourde à un homme qui peine encore à être reconnu pleinement par les siens. La Couronne est bienveillante, la Couronne est miséricordieuse, mais la Couronne s’étiole. Plutôt que de promesses, nous avons besoin d’actes, seigneur Louis. Si donc vous aimez le Roy autant que vous le professez alors prouvez-lui que vous êtes l’homme qui saura tenir et glorifier cette terre. Prouvez-lui que vous méritez cette Couronne qu’il tient de sa mère. Prouvez au Roy et à la Péninsule entière, seigneur Louis, que vous avez ce qu’il faut pour être le marquis de Sainte-Berthilde. Prouvez au Roy votre fidélité et alors, seigneur Louis, je promets de glisser à son oreille un mot en votre faveur pour qu’en récompense de vos services, cette terre vous soit remise. Soyez celui, seigneur Louis, qui guidera Sainte-Berthilde vers la gloire ! Soyez celui qui conduira les légions du Nord et du Roy vers la victoire ! Que votre main soit ferme pour empoigner les bannières de vos vassaux ; que votre cœur soit doux pour épargner le cou des innocents, que votre esprit soit clair pour que vous frappiez justement ! En attendant nous ne pouvons que vous reconnaître, au nom du Roy, la régence sur ce marquisat…
Tu marquas une pause, posant ta main encore vive sur son épaule et lui dit, yeux à yeux, l’autre bras tendu vers le Roy :
- Faites ceci, seigneur Louis, par amour pour votre Roy et cette couronne d’émeraudes que voici ne ceindra pas le front d’un fils à papa mais celui d’un véritable seigneur et marquis, digne de foi.
Tu lui adressas un sourire plein de compassion. A défaut de connaître véritablement l’homme ou ses intentions, tu lui offrais cette chance qu’il saisirait –tu l’espérais du moins. Tu savais que la volonté, bien canalisée, pouvait mener les hommes à de grandes réalisations et tu voulus un instant que Louis soit animé d’une telle force. Tu voulus le croire. Quittant sa présence et longeant les gradins, tu posas tes yeux sur chaque face, sur chaque paire d’yeux fatigués par la vie, sur chaque front dégarni, sur chaque paire de tempes fine comme un vélin trop usé, sur chaque bedaine remplie de vinasse plutôt que d’amour, sur ces lèvres sèches à cause de l’air marin et ces joues rougies par le vent glacial du Nord. Pour toi ils se ressemblaient tous avec leurs carrures de forgerons et de charpentiers mais chacun était venu pour un motif différent. Par fidélité, curiosité, animosité, servilité ; par désespérance aussi. Tu posas les yeux sur chacun de ces hommes, sur chacune de ces vies portant les séquelles du sang, t’attachant à déceler les blessures derrière les rides et comprendre ce qui faisait qu’après des années de guerre, l’Atral tenait encore à ses seigneurs priant pour qu’ils tiennent aussi, autant, à leur Roy.
- Messeigneurs, ce que je vous demande, je vous le demande au nom du Roy, d’un suzerain à ses ouailles mais je vous le demande aussi comme une faveur, d’un homme à un autre. Toutes ces années durant j’ai agi afin que la concorde règne entre les cités, j’ai connu votre pays en guerre en y apportant une parole de paix. Je n’ai jamais voulu que cela, messeigneurs, la paix et aujourd’hui je le vois, mes espoirs se fanent et mon espérance s’épuise et je réalise…que l’on ne peut pactiser avec un homme enragé, aliéné à lui-même et qui ne désire que la mort. J’ai jeûné, prié, veillé suivant les coutumes de mon pays et du vôtre en implorant les Dieux afin qu’ils mettent fin à ces luttes, qu’ils taisent la discorde et embaument les cœurs d’une huile de vie – en vain. A force de lever les yeux vers le ciel, mes yeux se sont épuisés ; à force de tendre le bras vers mes frères, mon bras s’est desséché et je prie encore en ce jour pour que les égarés reviennent sous les ailes de la Couronne et pourtant que je prie, je désespère de voir ce rêve s’accomplir. Il arrive parfois qu’un membre malade guérisse spontanément ou sous l’effet de cataplasmes et le mal dont il était la source, peu à peu, se résorbe mais il arrive aussi que ce mal soit si tenace qu’il faille saigner le bras et le passer à la flamme et à la lame avant que la maladie n’ait gagné le corps entier. J’ai enduit ce bras de terre qui nous a vu naître de baumes et d’onguents et le mal a grandi…Vous êtes la flamme de ce royaume, messeigneurs, et vous en êtes la lame.
Tu finis enfin, à la droite du Roy, après avoir déambulé dans la cour. Le bambin de bleu et d’or, et toi de pourpre et d’argent : deux pièces colorées perdues dans un échiquier pour le moins lugubre. Il était le ciel, tu étais le sang, ils seraient le glaive, vous seriez le ban.
Charles d'Hardancour
Humain
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Sujet: Re: J'ai ouï dire | Cléophas & Thibaud | Concile [Fini] Jeu 19 Jan 2017 - 8:49
Le ciel s'était progressivement assombri durant le discours du chancelier, et c'est les yeux levés vers les nuages que Charles écouta la majeure partie du monologue du prince de Merval. La faction des Saint-Aimé, debout, pleine de seigneurs aux capes de fourrure sombre, attendaient le verdict d'un homme qu'ils avaient eu l'occasion de rencontrer en ces mêmes murs, sous la bienveillante hospitalité et sécurité que Godfroy avait toujours garanti à l'homme. Mais rien n'était aujourd'hui moins sûr pour l'homme, qui s'était présenté accompagne du Roy, ce petit homme devant lequel il paradait, se risquant même à des insultes et à des provocations envers les soutiens de Louis.
Puis lorsque le verdict vint, les dos se raidirent, les poings se serrèrent et les mâchoires se crispèrent. Charles, quant à lui, n'avait plus quitté Thibaud de Kelbourg des yeux. Les yeux du doyen de la noblesse s'étaient posés sur celui dont il avait attendu le ralliement. Tranchant comme une lame, les paroles du chancelier fendirent la faction des loyalistes, arrachant à plus d'un un rictus de haine et d'amertume. Les yeux de Charles relâchèrent Thibaud de leur regard inquisiteur, parcourant ainsi à loisir les remparts et les postes de garde, occupés par les membres de l'Égide du Nord, gardant un œil méfiant sur les soldats de la couronne et sur la scène, curieux qu'ils étaient de son déroulement.
« Non. »
Les yeux de Charles s’écarquillèrent lorsqu'il entendit la réponse de Louis. Son petit-fils se tenait toujours au centre de l'hémicycle de bois, et l'attention eut tôt fait de se reporter à nouveau sur lui. « Peut-être n'avez-vous plus assez foi en les hommes pour croire en leurs serments, mais nous, à Sainte-Berthilde, avons à cœur les valeurs de la noblesse et la parole d'un homme. La dernière fois que ces seigneurs se sont réunis, ils se sont engagés à reconnaître qui de droit serait désigné par la justice royale - y compris s'il s'avérait être moi. Mais vous, Chancelier, avez-vous donc si peu d'estime pour cette terre et pour moi, pour que vous me promettiez le marquisat si je venais à sortir victorieux d'une guerre contre le Médian ? Sainte-Berthilde n'est-elle donc que l'os d'un chien que vous récompensez pour être docile ? Je hais la guerre, Chancelier. Du plus profond de mon être, je la hais. Mais j'accepte votre jugement, et me réjouis du retour de Bohémond Ier à Cantharel. »
Charles était paralysé. Il ne pouvait décemment intervenir. Il voulut gifler Louis, lui dire de se taire et d'accepter la régence. Mais sous bien des aspects, le vieil homme ne put être plus fier de sa descendance et de la noblesse d'esprit dont il venait de faire preuve. Son humilité venait d'abasourdir plus d'un homme, et à cet instant on pouvait se rendre compte, peut-être trop tard, de l'estime que le jeune homme avait pour la terre et ses habitants. « Je suis sûr que le seigneur de Kelbourg fera un excellent régent. » conclut Louis en allant se replacer parmi les siens.
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Sujet: Re: J'ai ouï dire | Cléophas & Thibaud | Concile [Fini] Jeu 19 Jan 2017 - 14:46
L'espace d'un instant, ç'avait été l'illumination ; puis était survenue la chute.
Roderik avait écouté chaque mot du discours du Chancelier, captivé par l'éloquent magnétisme du brillant orateur. Existait-il vraiment un homme plus admirable que ce vieillissant serviteur du royaume, qui avait sacrifié sa santé physique - et peut-être un peu mentale - dans la défense d'un idéal, ce royaume qu'incarnait aujourd'hui l'enfant Bohémond ? Il suffisait que l'homme parle pour que Roderik sente ses ardeurs belliqueuses s'éteindre, et qu'il se fasse enclin au pardon, à l'unité, au compromis. A l'écoute du Chancelier, il se sentait prêt à mettre de côté ses réticences, prêt à oublier ses vaines querelles égoïstes et sa recherche de vengeance contre le Berthildois ; il se sentait prêt à suivre la bannière de Louis de Saint-Aimé dans une juste guerre pour démanteler la Ligue et rendre au roi ce qu'on lui avait injustement dérobé. A cet instant précis, il sentit que le Concile avait atteint son but ; la paix du marquisat était gagnée : le parti Saint-Aimé saurait se contenter de la régence autour de Louis, à qui l'on promettait à demi-mot le marquisat pour plus tard ; et les séditieux, dont était Roderik, sauraient apprécier le fait que l'on exigeât du jeune Louis qu'il fasse ses preuves et démontre par ses mérites qu'il serait le grand marquis qu'il avait toutes les chances de devenir.
Et puis survint la chute.
« Sale petit con », murmura Roderik en serrant les dents, et bien que seule Iselda put l'entendre, il réprima une violente envie de se jeter sur le jeune faon pour lui faire passer le goût du pain. Sale petit morveux ingrat égoïste ! Il avait cru que le jeune Louis était un garçon ouvert, enclin au compromis ; il s'était montré fort effacé lorsque trois ennéades plus tôt une partie des nobles du Berthildois lui avaient refusé l'hommage, et Roderik avait pensé que le garçon ne ferait pas de difficulté, qu'il était malléable et que c'était plutôt de son entourage qu'il fallait se défier. Mais voilà ; sans prendre conseil auprès de personne, Louis de Saint-Aimé rejeta en bloc la proposition du Chancelier et, par là-même, la paix et l'unité du marquisat. Il avait sacrifié sur l'autel de son amour-propre le droit de régner un jour sur le Berthildois, et réduit à néant les espoirs de tout le monde.
Roderik se crispa, serra les poings, et alors qu'il s'apprêtait à prendre la parole pour tancer vertement le jeune Saint-Aimé, il sentit Iselda lui frôler l'épaule ; son épouse s'avança vers Louis qui commençait à regagner l'estrade, et elle l'interpella au vu de tous.
« Seigneur de Saint-Aimé ! De grâce, je vous en conjure, ne confondez pas noblesse d'âme et orgueil. N'avez-vous pas, comme nous tous, déclaré que vous accepteriez la décision royale ? Je suis prête à vous reconnaître pour régent, et, le jour venu, pour mon seul suzerain véritable, moi la comtesse d'Arétria ! Ne voyez point dans la décision du Chancelier un odieux marchandage, Louis ; voyez-y la chance de prouver votre valeur et de mériter votre titre. »
Elle s'interrompit quelques instants, visiblement mal à l'aise d'être au centre de l'attention de tous ces seigneurs qu'elle ne connaissait pas et qui, de toute évidence, haïssaient l'arétane qu'elle était. On la regardait avec un mélange de curiosité et d'insolence ; c'était la première fois qu'elle se montrait à Sainte-Berthilde depuis qu'elle était comtesse ; la suzeraineté du Berthildois, qu'Arétria reconnaissait aujourd'hui, n'avait jamais effacé l'animosité de ces deux pays. Pourtant, n'était-elle pas la mieux à même de réconcilier l'Atral ? Elle était femme, et elle haïssait la guerre, tout comme Louis - pour ce qui concerne la guerre, hein, n'allez pas penser que Louis est une femme ; et contrairement à Roderik, sa maison, la noble famille comtale de Karlsburg, n'avait pas pris part à la guerre de l'Atral - c'était d'ailleurs la raison pour-laquelle Arsinoé d'Olyssea les avait désignés comme les nouveaux maîtres du comté d'Arétria. Parce qu'elle n'avait nulle querelle personnelle à l'encontre du Berthildois, Iselda ne partageait pas la rancoeur de Roderik, qui lui y avait perdu un père.
« Je sais que nombre d'entre vous voient en moi la comtesse d'un peuple qui leur fit la guerre », poursuivit Iselda en s'adressant à l'assemblée, s'efforçant de ne pas montrer combien elle était impressionnée, combien elle se sentait frêle et vulnérable devant tous ces sires belliqueux au bord de la guerre civile ; « mais ma maison n'eut aucune part aux menées du Goupil il y a trois ans, et nous avons toujours fait montre d'une fidélité parfaite au marquisat et au royaume. C'est à Arsinoé d'Olyssea que ma famille doit son comté ; qu'il plaise à son fils Bohémond que Messire Louis soit mon marquis et suzerain un jour, et je lui rendrai hommage, soyez-en sûrs. »
Elle jeta un regard en direction de son mari, qui demeurait silencieux, probablement autant agacé que surpris par son audace ; puis elle se tourna de nouveau vers Louis.
« Prouvez votre valeur, Messire, gagnez votre titre ; prenez l'épée, non pour l'amour de la guerre, que j'exècre tout autant que vous ; faites-le pour l'amour des valeurs de la noblesse que vous chérissez, et que la Ligue a bafouées. Soyez l'artisan de la paix et de la réunification du royaume. »
Thibaud de Kelbourg
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Sujet: Re: J'ai ouï dire | Cléophas & Thibaud | Concile [Fini] Jeu 19 Jan 2017 - 16:16
Thibaud resta de marbre tout le long du discours. Galvanisé - oui et non - par les propos qui avaient résonné dans toute la cour du palais, il préféra attendre la décision finale avant de lancer des hourras et des « vive le Roy ». (Chose qu'il n'aurait bien entendu jamais dite ou faite). Mais soit, le suderon de Merval en vint finalement à exposer son offre au jeune faon et il vit les traits du dernier se décomposer au fur et à mesure. Que le suderon lui ait fait cette offre à lui et il l'aurait accepté. A n'importe qui d'autre dans cette assemblée d'ailleurs. Mais Louis, ce gamin si droit, si fier et si... orgueilleux ? Déclina la proposition et en vint même à lui refourguer la balle comme si le berthildois avait été une vulgaire tranche de viande. Les propos de Charles lui revinrent alors en mémoire. Le vieil Hardancour lui avait bien dit que le jeune Saint-Aimé était réticent à s'en aller en guerre. Donc bien évidemment... proposer le marquisat en récompense d'une guerre « victorieuse » contre le médian n'était pour le coup pas la meilleure idée du siècle. Mais le chancelier l'ignorait. Personne ici ne connaissait encore véritablement le fils cadet de l'effroyable. Tous s'était imaginé que le garçon avait hérité des traits opportunistes et ambitieux de son géniteur. L'erreur de jugement fut fatale et ils en payèrent tous le prix en cette heure qui se voulait désormais bien sombre.
-Je...
Il fut aussitôt coupé par une jeune femme qui s'était faite forte discrète depuis le début. Iselda de Karlsburg était sortie de sa torpeur pour tenter de ramener le Saint-Aimé à la table des négociations. Il vit là une tentative à la fois désespérée et maladroite, qui ne manqua pourtant pas d'une certaine forme de culot. Elle non plus ne devait point connaître le corniaud, mais Thibaud comprit que la dame jouait là peut-être l'un des atouts propres aux femmes : la persuasion féminine (fléau des hommes). A ce rythme-là, se dit-il, ils vont finir par le faire sortir de ses gonds et c'est dans les geôles qu'ils finiront leur journée.
-Voilà des paroles bien honorables. La guerre contre un marquisat, dit-il d'un ton sec. On dirait qu'il ne s'agit là pour vous que d'un vulgaire os que l'on donnerait à un chien pour le récompenser de ses bonnes actions. Sainte-Berthilde n'est point un foutu os à la con, mes seigneurs. Sur ma vie, je m'en irai guerroyer au nom de notre roy. Sur ma vie je serai le plus grand fléau que le médian ait connu. Je peux vous le jurer séant sur tous les dieux que ce monde de merde connaisse. Mais pour ce faire, encore faut-il que le berthildois soit uni. Nous attendions un oui ou un non, pas un simple « gagnez cette guerre et faites vos preuves pour avoir votre terre ». Bordel, non. Je ne me rangerais point à « moitié » à côté de Louis de Saint-Aimé. Si je pars avec cet homme pour faire la guerre, ce sera parce que je lui aurai prêté serment et non en tant qu'un foutu contrôleur des travaux finis.
Il regarda le chancelier droit dans les yeux. Il ne le craignait pas, ni lui, ni ses alliés suderons. Ici, il n'était pas grand chose si ce n'est le représentant d'un chiard de trois printemps.
Charles d'Hardancour
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Sujet: Re: J'ai ouï dire | Cléophas & Thibaud | Concile [Fini] Jeu 19 Jan 2017 - 17:01
Charles ne put s'empêcher de sourire ouvertement lorsque plusieurs interlocuteurs reprirent la parole après que Louis eût parlé. Cela l'amusait grandement que du statut de marquis illégitime, voire d'imposteur, il soit devenu l'objet de toutes les convoitises, faisant appel à sa prétendue raison absente, obscurcie par l'orgueil. Mais il n'était point ici question d'orgueil, mais de réalité : Louis pouvait se permettre de se retirer de la course au trône, course à laquelle il n'avait jamais réellement participé car, aux yeux d'un tiers des terres berthildoises, il était le principal concurrent, le vainqueur, et l'arbitre. Mais à présent que la question de la guerre contre le Médian émergeait, on se rendait compte à quel point le fils cadet de Godfroy était non seulement bien différent de son géniteur, mais également incontournable dans l'orchestration d'une guerre à long terme.
Lorsque la comtesse d'Arétria prit la parole, Charles se retint de la faire taire sur le champ. Comtesse ou point, elle était femme, et les femmes n'avaient guère le droit de se mêler des affaires politiques, encore moins lorsqu'on savait que le point de départ de cette situation était une femme : Arsinoé. Louis écouta pourtant avec patience et politesse les propos d'Iselda, de même qu'il écouta l'intervention de Thibaud de Kelbourg. Charles et Louis échangèrent un regard entendu aux propos du chef de file des séditieux. Un léger sourire se dessina sur leurs lèvres, juste avant que Louis ne s'adresse à Iselda.
« Comtesse Iselda. Essayez-vous de me dire que votre famille s'est hissée à son rang actuel en ne faisant que son devoir le plus naturel, à savoir ne point se rebeller contre son suzerain ? Voilà une bien étrange décision s'il en est. La normalité n'a rien d'exceptionnel, comtesse. Mais puisqu'il est question de faire ses preuves, madame, parlons-en.
Quelqu'un saurait-il me dire à quel moment Arsinoé d'Olyssea a-t-elle fait ses preuves ? Les aurait-elle fait en envoyant dix milles hommes à la mort en ne prenant point au sérieux la menace qui la guettait, avant de fuir alors que son devoir le plus sacré l'appelait ? Les aurait-elle fait en provoquant, jusqu'au marquisat de Serramire, l'ire du marquis de Brochant, en déliant les serments qui liait Jérôme de Clairssac à Gaston d'Odélian, envoyant le baron d'Etherna conquérir l'Oësgard ? Les aurait-elle fait en se reposant dans l'or et l'encens diantrais, pendant que le peuple berthildois peinait à remplir son auge quotidienne ? Vous, Chancelier, prince de Merval, vous qui étiez présent à Cantharel lors de la guerre de l'Atral, vous qui étiez présent afin de prôner la paix et le dialogue, pouvons-nous dire aujourd'hui que vous avez fait vos preuves ce jour-là ? Qui peut aujourd'hui dire, qu'en tant que Chancelier, vous avez su entourer le Roy d'honnêtes gens ne voulant que son bien et sa sérénité ? Devrions-nous mentionner Kahina d'Ys, et Arichis d'Anoszia ? Ni même vous, comte d'Arétria, seigneur de Wenden, n'avez fait vos preuves en tant que comte. Où est le salut, où est la prospérité de votre comté, vous qui êtes comte depuis maintenant suffisamment de temps pour avoir pu relancer votre terre sur le chemin du rétablissement. »
Louis s'avança lentement dans l'hémicycle, la voix calme, les yeux doux et l'air attentionné. « Ne me parlez point de faire mes preuves, Madame, lorsque le titre de marquis est promis comme une récompense à la plus abjecte des actions. Nul ici n'a su se montrer à la hauteur de son rôle, nul ici n'a su répondre aux attentes placées en lui. Et pourtant, nous voilà tous réunis, Madame. Mon trône ne saurait être fait des corps sans vie. Ne parlez point des valeurs de la noblesse lorsque l'on voudrait m'imposer de me battre pour un trône qui, pour bien des seigneurs ici, me revient de droit. J'ai juré devant tous les seigneurs ici que je ne me battrais point pour défendre mes droits, et je ne le ferais guère. Ni contre ces gens, ni contre le Médian. Ni aujourd'hui, ni demain. Je ne me rabaisserais point à devoir payer mon titre par le sang. »
Sujet: Re: J'ai ouï dire | Cléophas & Thibaud | Concile [Fini] Sam 21 Jan 2017 - 13:58
Il était facile d'imaginer que depuis le Royaume de Tari, un certain gras homme, loin des préoccupations du pouvoir et des mortels, faisait retentir un rire gras au milieu de ses pères et de ses pairs. Le fils de son père, rien que ça. Chargé de fierté, ne considérant que peu les conséquences d'un tel acte. De toute façon, c'était Judith qui s'occupait de ça . Elle savait toujours, aimait-il à croire.
Louis, fils de Godfroy. A quoi pensait-il, en te ramenant ici ? Un couronnement sans condition ? Une reconnaissance opportune que son engeance t'avait refusé depuis si longtemps, te couvrant d'insultes et de moqueries en ta présence-même ? La folie n'avait pas de pire ennemi que la raison, et ta proposition logique avait balayé l'ensemble de la salle à l'instar d'un tir de trébuchet. Seul Roderik, fin analyste, pensait que Sainte-Berthilde valait bien une guerre contre un ennemi déjà mourrant. Les considérations du rustre Kelbourg n'étaient que de peu d'importance, si baron et marquis finissaient par s'accorder. Tout comme celles du vieil aigri. Ceux-ci, jeunes hobereau à l'haleine laiteuse et aux yeux fixés sur Louis, commençaient déjà à penser aux préparatifs d'une guerre civile, ceux-là, vieux nobles rodés aux engrenages de la politique berthildoise, préféraient attendre la fin du concile pour émettre le moindre jugement. Mais bien peu avaient ton regard perçant et indéchiffrable -malgré le mal qui suintait de tes pores, et seul une fraction de ces gens avaient ta vision, voire un moyen de te battre sur le champs de bataille du sophisme et de la rhétorique. Celle qui s'imaginait encore Marquise-mère ne dérogeait point à la règle. Elle aimait lire, sans doute. Et depuis son salon, drôlatique et incorrecte caricature d'un Est et d'un Sud confus -et idéalisé- où elle n'a jamais mis les pieds, elle avait rêvé de prétendre être de ta cour, de la cour d'un Roy légitime et de son chancelier au dévouement diabolique. Mais le temps passa, la réalité s’installa, et le rêve de faire de sa cour une rivale des Thaari ne relevait même plus du voeu pieux. Mais s’il y avait encore une chose qui était en son pouvoir, ce qu’elle pouvait encore faire au moins, c’était éviter que sa cour ne devienne un charnier. Permettre à tous ces hommes et ces femmes une chance d’avoir un avenir rayonnant.
Et si peu de gens virent sa main se glisser vers sa nuque, aucun la vit fourrer discrètement son doigt sur une partie enduite d’une noisette d’un baume étrange -si l’on pouvait le remarquer derrière la chevelure-, et de le passer brièvement sur sa bouche. Et tandis que les gens étaient encore choqué par la réponse de l’avorton à ta déclaration, la marquise-mère vit le sol s’approcher d’elle à une vitesse étonnante. Et au premier rang, de la voir s'effondrer en un bref gémissement. “Louis, pensa-t-elle avant de sombrer, tu es bien le fils de ton père.”
Charles d'Hardancour
Humain
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Sujet: Re: J'ai ouï dire | Cléophas & Thibaud | Concile [Fini] Lun 30 Jan 2017 - 18:42
Mes yeux étaient encore rouges en prononçant ces mots, mais la lumière du soleil et la distance entre les acteurs ici m'aidèrent à voiler ma colère et ma peine, du moins durant un court instant. Mes mains se saisirent de ma cape, les doigts légèrement tendus et frétillants saisissant un tissu innocent des tracas qui m'animaient. Chacun avait prit place, et je les regardais. Ce chancelier qu'on ne connaissait que trop bien à Sainte Berthilde, et l'Enfant-Roy, inconscient de ce monde qu'il aurait bientôt à diriger. Le seigneur de Kelbourg, que tu voulais pardonner pour sa lâcheté du vivant de Père, et enfin le comte d'Arétria, l'épouvantail du trio, pliant sous la force des vents favorables. Je leur adressais un sourire avant de prendre la parole.
« Je ne suis point devenu le chef de cette faction par choix...Mais à cause des actions de certaines personnes. » commençais-je, adressant, à la fin de cette première réplique, un sourire à Thibaud de Kelbourg, t'assurant que tous le voient. « Il en va de même pour ce Concile ! Je n'ai jamais souhaité nous voir divisés, mais pourtant… nous le sommes. Et, à nouveau, c'est à cause...des actions...de certaines personnes. » Je pus sentir mes yeux luire à cet instant, tandis qu'ils se fixaient sur Roderik de Wenden. Un léger sourire accompagnait ce regard lourd de reproches.
Mes mains se levèrent avant de venir claquer mes cuisses, le sourire frôlant le sarcasme se prononçant de plus en plus sur mes lèvres. « Et pourtant...Me voilà ! Louis de Saint-Aimé. Voilà mon nom ! Louis de Saint-Aimé, chef de la faction du même nom. » J'avais prononcé ces mots en m'approchant du couple de Wenden, du comte et de son épouse. Mes yeux s'étaient posés sur cette comtesse, l'épargnant parfois du regard pour fusiller son mari du même regard, accompagné de ce même sourire que j'avais conservé depuis le début. « Dites-moi, Grand-Père, qu'est-ce qu'un chef fait ? » demandais-je en restant face à Iselda et Roderik. « Il...dirige. » « Oui ! Voilà...Un chef...dirige... et en tant que chef…» Je me penchais alors vers Roderik, lui susurrant, à l’oreille, les mots suivants. « ...J'ai...le dernier...mot. MOI ! » avais-je hurlé le dernier mot, me retournant et rejetant mon dépourvu sur Charles, cet homme qui ne me voulait que du bien.
« Pas vous, pas vous, pas vous, et pas VOUS ! » criais-je en pointant d'un doigt accusateur Charles, Thibaud, Roderik, puis Iselda. Ma mâchoire se crispait tandis que ma colère prenait désormais le dessus. Mon poing se serra, mes lèves se plissèrent et mes yeux brillaient d'une colère qu'on ne m'attribuait guère. « Vous avez tous tenté de me contrôler...Et vous avez tous échoué, ne pensant qu'à une guerre ! » Le visage toujours teint de colère, tu te tournais vers le chancelier. « Je ne serais pas la marionnette de qui que ce soit. Vous voulez une guerre contre le Médian. Et j'y consens. Mais vous l'aurez si je mène ces hommes à la guerre en tant que marquis. »
Référence:
Cléophas d'Angleroy
Ancien
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Sujet: Re: J'ai ouï dire | Cléophas & Thibaud | Concile [Fini] Ven 3 Fév 2017 - 18:19
Le Concile tournait à la confrontation, du genre de celles qui se finissent la mousse aux lèvres et les tripes à l’air. Le jeune seigneur se voulait noble, il s’en montrait impudent. Le « non » qu’il articula t’arrachait les tympans : tu n’écoutais plus ce qu’il avait à dire puisque tout venait d’être dit. Tu attendis qu’il finisse, prenant conscience que le ciel se voilait et l’air se rafraîchissait –il faudrait bientôt rentrer, pensais-tu. Lorsqu’enfin tu voulus ouvrir la bouche, la dame d’Hardancour vint s’écraser à terre, suscitant un mouvement de panique, des gardes se ruant vers elle ainsi que d’autres hommes pour la soutenir – en retard.
Le moment, bien choisi, coupait court au flot des conversations, ou plutôt de ces interminables tirades sur l’honneur et la vie et la mort et la couleur des feuilles des hêtres aux premiers mois d’automne. Ce n’était pas trop tôt, une minute de plus et c’est toi qui serais tombé, à ceci près que sous tes pieds il n’y avait aucune estrade de fortune, mais ce sol tourbeux. Profitant de ce que les regards se tournaient vers toi, tu annonças :
- Je crois qu’il vaut mieux pour nous que nous suspendions la séance. Seigneur de Saint-Aimé, bien que votre réponse nous étonne, nous n’irons pas contre votre décision. Les Dieux nous ont donné le Choix et le Roy, dans sa commisération, le respecte. Seigneurs de Wenden et de Kelbourg, nous deviserons avec vous de la marche à suivre en attendant que cette dame reprenne ses esprits.
Tu fis signe aux gardes de venir porter le Roy, te hâtant vers Lévantique qui t’attendait, caché derrière un pilier.
- Donnez-moi ce qu’il vous reste. - Serafein, cela n’est pas une bonne idée – - Je ne vis pas sur le compte d’idées, Lévantique. Filez-moi le reste.
Il te tendit une fiole, que tu vidas d’un seul trait et il glissa dans une de tes poches un parchemin couvert de glyphes en tout genre.
- Je préfère rester prudent – lança-t-il. - Parlant de prudence, faites sortir le Roy. Le temps des mœurs se couvre et je veux repartir avant le soir. - Je ferai passer le mot, Serafein.
Il s’inclina, encore, et s’enfuit vers la flopée de gardes qui attendait près de leurs montures. Tu allas vers le Roy, lui donnas un baiser sur le front et serrant le poing de douleur, le laissa partir. D’un coup d’œil donné par-dessus l’épaule, tu vis les deux seigneurs, de Wenden et de Kelbourg. Tu les rejoignis et leur lanças à l’un et l’autre :
- Messeigneurs, lequel de vous deux aurait besoin d’être régent ? Il se trouve qu’une place vient d’être libérée. Je me souvenais que les berthildois étaient assez imprévisibles mais à ce point, mes frères…Mais allons parler ailleurs. Ce ciel n’augure rien de bon.
Et de fait à peine rentrés que les nuages se mirent à cracher quelques gouttes dans la cour, comme pour y laver l’affront, toujours fidèle, des hommes du Nord.
Thibaud de Kelbourg
Humain
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Sujet: Re: J'ai ouï dire | Cléophas & Thibaud | Concile [Fini] Jeu 16 Fév 2017 - 22:48
De retour dans la fosse aux lions, Thibaud reprit place en son centre avec les autres clanpins de Merval, de Wenden et de Saint-Aimé. Que les dieux soient loués, la Judith avait l'air de se porter à merveille. Il aurait été tellement dommage que la veuve succombe avant qu'il n'ait pu lui dire deux-trois mots, et avant aussi qu'il n'essaye de la besogner comme l'on fourre une dinde. Ses pensées salaces se firent bien vite remplacer lorsqu'il repensa aux propos tenus par le chancelier un peu plus tôt durant leur messe basse. Gagner la guerre par la diplomatie ! Quelle drôle d'idée. Il s'imagina presque faire des courbettes devant les salopards du Puy afin de leur demander poliment de déguerpir. La diplomatie était bien pour les bonnes femmes. Cela leur donnait de l'importance et l'impression de servir à quelque chose. Néanmoins, tous savait parfaitement que seule la guerre avait la possibilité de tirer un trait sur les litiges en cours pour... en créer de nouveau. Tel était pourtant le but de leur existence : Devenir un homme pour foutre un coup dans les roubignoles des autres.
Alors, alors... avant qu'il n'ait pu en placer une. Le petit Saint-Aimé se mit à gueuler comme un veau. Entre crise existentielle et affirmation de lui-même, Thibaud vit là un petit con essayant de se faire entendre, quitte à tous les faire passer pour les pires merdes que la péninsule ait jamais connue. Il s'en sentit presque flatté et écouta le faon avec une vive attention frôlant presque la concentration.
Alors, alors... Le gamin, après les avoir remis à leur place – de merde vivante – finit par déclarer qu'il ferait la guerre que si, et seulement si ledit gamin se faisait appeler marquis et non plus seigneur. Peu de doute alors que l'effroyable devait se gausser allégrement en voyant une telle situation. Pis, le bougre devait même être l'instigateur des pluies qui s'abattaient dans la cour de Cantharel. Le salaud leur pissait dessus tandis que son fifils leur chiait sur les pieds.
-Il est temps d'en finir avec ces couillonnades, ajouta Thibaud à la suite du jeune Louis. Si le Saint-Aimé consent à partir en guerre contre le médian en tant que marquis, je ne m'y opposerai pas et lui fournirai mon épée et celles de mes hommes lorsque toutes les entreprises de réconciliation avec cette foutue ligue auront échouées.
Hrp:
Désolé, je poste. J'en ai plein le derche d'attendre.
Cléophas d'Angleroy
Ancien
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Sujet: Re: J'ai ouï dire | Cléophas & Thibaud | Concile [Fini] Ven 17 Fév 2017 - 4:47
Arrivé au déclin d’un jour qui ne voulait pas finir, transperçant la cour tel un trait enflammé, tu repris place, essayant tant bien que mal de conserver encore un peu de prestance, au moins pour les minutes qui resteraient. Tu t’assis à la droite du trône, attendant le reste des nobles, voguant en pensée sur le flot des murmures des intrigants. Aphaaste se tenait derrière toi, parlant de vélins et de cire de toutes manières, Lévantique plus loin encore -un courant d’air frais le précédait constamment- devant toi ce n’était qu’une meute de dogues prêts à mordre, semblait-il. Tes dernières secondes de lutte, Cléophas, contre eux, contre l’apathie qui s’éprenait de toi, contre son lot de maux et de mort au monde et à toi-même. Les pierres luisantes de graisse et d’eau de pluie t’éblouissaient, les oriflammes soulevés par la brise t’hypnotisaient, le grincement des armures et les pas des gardes sur les courtines t’irritait, et les sourires suffisants de cette noblesse revêche du Nord, qu’on connaissait moins pour sa loyauté que pour son incontrôlable tendance à mordre la main qui la nourrissait…il n’y avait pas de mot assez précis pour exprimer ce qu’elle suscitait en toi. Ton corps brûlait encore de la flamme subtile ayant parcouru ton corps, n’ayant fait plus qu’un avec toi l’espace d’une seconde. Tu avais besoin de ce feu pour continuer, sans elle tu te flétrirais comme la fleur des champs, tu fanerais comme elle, comme la bale emportée par le vent. Tu cherchais du regard Roderik, prenant place dans l’assemblée et Thibaud, s’asseyant lui-aussi l’œil plus déterminé qu’avant. Tous attendaient de toi une décision, celle que tu avais prise à la faveur d’un enlèvement –ou d’une hallucination, c’était assez difficile de discerner le vrai de l’hystérie en ce genre de circonstances. Tout était encore flou dans ton esprit et la décision n’avait rien de clair. Tu conservais en ton cœur cette parole secrète que la flamme t’avait révélée et le visage de Bohémond inscrit sur tes rétines…à cette heure, tu mesurais l’immensité de ton échec. Réaliser cela, à Sainte-Berthilde, où tout avait commencé. Tu saisissais l’ironie cruelle des Dieux car ils sont sages, sans être bons et leur sagesse dépassait de loin ton entendement. Quelle sagesse que celle-ci, de t’avoir élevé au sommet des gloires humaines pour que tu t’y consumes et le Royaume avec toi ? Tu allas te lever pour rendre ton verdict lorsque Louis prit la parole.
Et ton esprit fit volte-face.
Son cantique sonna comme un glas pour le Royaume et la vision que tu t’en faisais. Les ors attireraient toujours leur lot d’ambitieux et de tournevestes n’ayant rien à coeur que les titres. L’homme qui prêchait la paix et s’offusquait à l’idée de répandre le sang s’était ravisé : celui qui soi-disant par honneur avait refusé de tuer le ferait volontiers par loyauté ? Foutaise. Des esprits malades, tous ; des âmes viciées, toutes les leurs. Voici, ils parlent et ce ne sont que mensonges, leur verbe est un poison volatil, un miel gorgé de venin. Ce sont des traits affûtés prêts à décocher, des épées qu’ils acèrent en secret. Point d’honneur en ces hommes que celui qui serve leur propre cause. Point de loyauté qu’à eux-mêmes. Ce jeune seigneur n’était pas le premier et loin d’être le dernier. Esbroufe que tout cela. Certes il en fallait mais jusqu’à quel point ?
Il te revint en images le jour du sacre de Bohémond, sous les voûtes finement sculptées de la basilique Sainte-Deina. Il te revint la foule splendide de nobles, de notables, de marchands et de tout ce que le Royaume comptait naguère de vicomtes et de châtelains. Sous les vivats d'une plèbe débordant de ses quartiers pour s'amasser le long des rues où passait la procession, sous le doux regard des astres et des mille clochers de la capitale, sous la protection de cette cité séculaire qui se réveillait d'un long cauchemar, le Royaume se parait de nouveaux atours. On avait caché les ruines par de grandes tentures colorées et la suie des façades par des bannières aux couleurs du Roy. La serge noire des jours funestes laissa place au vert et au bleu du petit Bohémond, le bleu des yeux de cet Ivrey au sinistre sort. Les ruines de l'Arcanum fumaient mais rien ne pouvait entamer la liesse générale. Tu croyais que Diantra se relevait, au contraire, ces réjouissances, cet aperçu de sa grandeur mythique fut son chant du cygne.
Ce jour-là, le Royaume perdit les couleurs de sa joie et Diantra celles de sa vie. Ce jour-là se dessina dans la foule le pire ennemi de la Couronne, le semeur de malheurs, un qui se prévalait d'être honorable lui-aussi, si honorable qu'il s'était acquis les surnoms d'Ogre et de Boucher. D'aucuns attribuaient son vice à sa race perverse et à ses moeurs plus sombres encore comme pour le dédouaner d'être devenu un monstre en usant de sa couronne et de son droit pour son seul bien. La race des nobles de la Péninsule s'aliénait et tu en était le spectateur impuissant car tels étaient les effets du pouvoir à ceux qui refusaient de l'assumer dans tout ce qu'il a de crucifiant. Ces hommes se croyaient beaux à pérorer tels des paons exhibant leur queue, c’est qu’ils commençaient déjà à se déformer. Le miroir illusoire du pouvoir se dressait entre eux et le monde et il enlaidissait leurs traits. Ils ne l’assumeraient pas, ils coucheraient avec lui, se faisant catins pour ses promesses de gloriole. Les couronnes ne fleurissent pas lorsqu’elles vont à la tombe, elles s’enterrent et restent muettes. Oh les chroniques se souvenaient bien des noms et des exploits de tel ou tel prince, narrant à des générations d’enfants la multitude de leurs hauts faits : narraient-elles aussi leur détresse, le mal profond de se sentir peu à peu décollé de soi-même, arraché à la vérité pour déambuler dans des labyrinthes tissés de mensonges ? La vérité, Cléophas, est que les acclamations des générations futures ne servent à rien lorsque l’on vit six pieds sous terre.
Le visage du pouvoir, il était là : ridé, livide, essoufflé, sans épaule pour pleurer. Au lieu de larmes ce n’est que poussières, au lieu de pleurs ce ne sont que râles inaudibles. Le pouvoir rendait aveugle comme Trystan, cynique comme l’Ivrey, dolent comme Arsinoé et violent comme Kahina ; paranoïaque comme Jeanne, apathique comme Viktor, infanticide comme Clélia, insensé comme Anseric, amer comme l’Anoszia. C’était bien peu que les joyaux d’une Couronne et le luxe d’un Palais pour pallier ces effets. Tu regardas à nouveau Roderik : tu le condamnais lui-aussi à l’enfer de l’âme. Parce qu’il était juste parmi les iniques, pieux parmi les impies, honnête parmi les vipères, il s’en sortirait. Les autres exhibaient sur leurs faces les premiers signes des spectres qu’ils deviendraient, sans âme ni moelle. Le jeune enfant possédé par les démons de son ambition dévorante criait à qui voulait l’entendre qu’il était le chef et seigneur – pourrait-il plier le genou devant l’enfant-Roy, son légitime seigneur, lui qui se disait sans maître ? Si seulement, si seulement il avait eu la décence de se taire cinq minutes…de s’asseoir sagement et d’écouter, d’acquiescer…s’il avait eu l’intelligence de se faire le serviteur qu’il aurait été et non le chef qu’il voulait être…
Il se tut enfin. Thibaud enchaîna et fit preuve encore une fois de son exemplaire loyauté sans vraiment qu’on sût à qui elle revenait. Cet homme n’était pas un seigneur mais un chien de meute affamé, prêt à suivre n’importe qui lui promettant un morceau de carcasse sans se soucier de qui ni de quoi. Assurément c’était l’œuvre d’un dieu qu’il ne soit pas mort en venant au monde car mettre une épée ou pis encore une armée entre les mains d’un tel homme ne pouvait annoncer qu’un désastre. On attendit le silence. Il se fit. Tu te levas alors, prononçant ce qui serait peut-être tes derniers mots à l’adresse d’une assemblée de nobles, aussi frustes soient-ils. Il n’y aurait plus de Concile, de Conclave, de Consistoire, de Conseil royal, comtal, baronnial. Sainte-Berthilde était le glas. Il venait de sonner.
- Vous disiez vrai, seigneur de Saint-Aimé : trop de sang a coulé en son nom et vos paroles touchant mon esprit me dictent que la guerre n’est pas la voix à privilégier. Le Royaume n’a pas fini de pleurer ses enfants, morts pour le bon nom de Bohémond…autant que possible il est dans mon devoir de préserver le reste des enfants de la Couronne, fussent-ils emprisonnés sous le joug du Velterien. Vous disiez vrai aussi : il ne s’agit pas là de marchander des têtes de bétail mais de décider qui donnera son nom aux générations futures qui règneront sur ces terres, de décider à qui bénéficiera le dernier vrai territoire de la Couronne, de décider de qui héritera la couronne d’émeraude et de topaze de Bohémond. Il n’y a qu’un seul chef, seigneur de Saint-Aimé, que vous avez vu, devant lequel vous avez plié le genou, à qui vous avez offert votre personne. Néanmoins, seigneur de Saint-Aimé, vous semblez oublier qu’il n’y a qu’un seul chef. Un seul seigneur, Bohémond Ier de la maison Phyram, fils d’Aetius d’Ivrey, comte de Scylla et d’Arsinoé d’Olyssëa, marquise de Sainte Berthilde et baronne d’Olyssëa. A lui seul reviennent la gloire et l’honneur, de lui procèdent les triomphes ainsi que le veulent les Cinq.
C’est la raison pour laquelle je ne puis pour l’heure vous céder ce titre et ces terres car ce n’est pas un troupeau de bœufs que l’on se passe de mains en mains. Je ne le puis tant que le Royaume demeure divisé, tant qu’il existe encore à deux pas de Diantra des seigneurs qui calomnient le nom du Roy. L’unité que nous désirons tous ne peut passer que par le Roy, elle ne peut se faire en vérité qu’autour de lui. En vérité ne signifie pas simplement le reconnaître au détour d’une allée un matin de printemps. Que sont les serments sans les actes ? Dites, montrez-moi vos actes et je jugerai de vos serments. Ayant reconnu que Bohémond est Roy, vous avez reconnu que sa parole est parole de sagesse et de vérité et telle est sa parole : le seigneur de Saint-Aimé recevra la régence sur le Berthildois. Telle est sa décision. Parce que nous vous avons laissé le choix, vous avez refusé. Cette fois nous vous le disons au nom du Roy et de la Couronne, que vous servez, que je sers le premier, moi le dernier des seigneurs du Royaume. C’est au nom du Roy que j’ai subi l’ire du Médian et les vexations du Sud, au nom du Roy que je l’ai traversée pour vous rejoindre. C’est en son nom que je l’ai servi alors que le Royaume s’étiolait. La paix est chose fragile et elle n’est pas acquise, ce jour n’est pas propice aux revendications de toutes sortes qui sont comme des grains de sable jetés sur une plaie. Il viendra, ce jour, mais maintenant il nous faut museler notre égo et œuvrer à la guérison.
Tu te tus et t’approchas de quelques pas vers lui, pour déclarer prenant les nobles à témoin :
- Vous êtes serviteur du Roy, seigneur de Saint-Aimé, aujourd’hui le Roy vous fait confiance pour régenter le Berthildois, qu’il confie à votre garde. Puissiez vous le guider vers une prospérité plus grande, vers une paix plus solide, vers un triomphe plus durable. Que sous votre gouvernance les enfants du Roy ne manquent pas de pain, que ses femmes ne soient veuves et ses pères orphelins de fils. Que votre piété soit le signe de la bénédiction des Cinq, qu’elle soit un phare dans la nuit impie, brillant de la lumière royale. Soyez envers les ouailles qui vous sont confiées plein de munificence car telle est la gloire du Roy. Soyez envers elles plein de bonté, car tel est l’amour du Roy. Soyez envers elles plein de miséricorde car telle est la justice du Roy. Moi, Cléophas d’Angleroy, Régent de ce Royaume au nom de notre seigneur et maître, le très bon, le très juste, le débordant de bonté Bohémond, premier de son nom, de la maison Phyram, fils d’Aetius d’Ivrey et d’Arsinoé d’Olyssëa, marquis de Sainte-Berthilde, Comte de Scylla et Baron d’Olyssëa,Seigneur-Protecteur de la Roseraie, Gardien fidèle de la foi, le Sérénissime Soleil Noir de la Rayonnante Ys, Archonte d’Ydril, Vicomte de Calozi, Seigneur de Velmonè, Seigneur consoeur de Beronia, Seigneur-dragon de Calozi, Sénéchal d’Ydril, Grand Chambellan d’Honneur de la Grande Traverse, Erudit de Prestige de la Destinée de l’Aube, Maître des Enfants de la Nébuleuse Ecarlate, Grand Voyer du Duché et Grand Argentier du Royaume, par la grâce de la Damedieu, toute bonne et toute providentielle je fais de vous, Louis de Saint-Aimé, fils de Godfroy de Saint-Aimé et de Judith d’Hardancour, Seigneur et prieur de saint-Aimé, Seigneur de la Toranne et Seigneur d’Erignac, marquis-régent de Sainte-Berthilde.
Telle est la volonté du Roy, telle est la volonté des Cinq.
Il n’y avait pas de prêtres pour le bénir, ni de chœurs pour le chanter, ni de thuriféraires pour l’encenser. Les cérémonies pentiennes revendiquaient leur ascétisme. Tu te gardas d’annoncer à cette cour tendue qu’un des leurs serait Grand-Chancelier du Royaume, préférant garder la nouvelle pour plus tard, lorsque les grincements de dents se seront allégés. Aphaaste consigna l’acte par écrit sur un vélin qu’il scella du Petit Sceau du Roy attendant le retour au Palais pour y apposer le Grand –et le remettre à son nouveau gardien, Roderik. Il n’y avait plus de raison de s’appesantir ici, la route était longue jusque Merval et l’air trop vicié pour rester. Saluant les uns et les autres, tu pris congé d’eux et retrouva Roderik.
- Adieu cher ami, puissent les Dieux garder vos voies. Si nous ne nous revoyons pas avant la fin, sachez que le Palais sera mis au courant de votre nomination. Vous y trouverez des hommes nombreux et érudits, de nouveaux quartiers et toute une Chancellerie prête à vous servir. Le Grand Sceau du Roy vous y attendra. Vous en serez le gardien, Roderik, par lui c’est le Royaume que vous garderez de l’iniquité et de la mort. Comme l’or dont il est fait, votre charge est éternelle, immortelle et vous deviendrez comme elle. Apprenez à voir comme l’aigle, vous plaçant au-dessus des hommes et de leurs soucis pour les conseiller et les guider ou pour fondre sur eux et les placer hors d’état de nuire. Ils se débattront mais croyez que la justice prévaut toujours car en elle demeure la vie.
Tu t’inclinas légèrement devant lui et vis Thibaud à qui tu adressas ces mots :
- L’hiver sera rude, plus encore dans les montagnes. Y engager une armée, même nombreuse relève de la sottise. J’engagerai des pourparlers avec ce qu’il reste de sage au Médian, la femme du sodomite. Le Royaume a connu assez de pythies pour que je croie que les Dieux puissent inspirer aux femmes quelque sagesse. Je m’inquiète plus pour ce parvenu de la Garnaad, ce Duc élu. Quoi qu’il en soit, tenez prêtes les armées du Roy. Si les négociations échouent, vous pourrez laisser libre cours à vos fantaisies les plus sanglantes. Surveillez le paon, il est jeune encore.
Tu t’inclinas devant lui aussi tandis qu’on finissait de préparer ton attelage. Tu trouvas Louis, que tu rejoins pour lui dire enfin :
- Soyez vigilant, Louis de Saint-Aimé. Le Médian crève et n’aura pas la force de donner un coup au Berthilois mais je me méfie du Nord. Leur silence rappelle celui qui précède l’orage. Le Duc de Serramire se dirait apparemment fidèle au Roy mais je l’ai si peu entendu depuis les Champs Pourpres que je doute de sa sincérité. Croyez-bien que je n’aie rien contre vous car je ne vous connais pas. En quelques années Diantra est devenue une ruine et le Royaume une cour des miracles, tout cela à cause de seigneurs trop ambitieux à la poursuite d’un titre, d’une couronne ou des deux. Oui, je vous demande vos preuves car il en faut pour prétendre à recevoir du Roy une de ses couronnes. Qu’elles soient accomplies par la force ou la vertu. Vous me demandiez quelles sont mes preuves : le Roy est vivant, le Sud paisible et florissant. Ce n’est qu’un morceau de Péninsule mais c’est le seul qui ait consenti à suivre le Roy dans son exil et à l’accueillir. Voici pour ma vertu, la fidélité. Quant à ma valeur, si je n’en ai guère à côté des soldats morts pour défendre le Royaume, si d’aucuns me reprochent d’avoir fui à Diantra plutôt que de tenter vainement de la défendre, voici ce que je vous dis : j’agonise et je meurs chaque seconde de cœur, de corps et d’âme, pour avoir voulu sauver le Roy plutôt que le laisser aux mains de brigands sharassiens. Voici pour ma valeur, l’abnégation. Vous pensez que j’ai tout en étant Régent de ce pays, en vérité je n’ai rien et tout ce que j’avais je l’ai perdu pour le Royaume, noble cause et digne d’espoir. Mais vous, Louis de Saint-Aimé, je ne vous connais pas et je refuse de vous juger sur vos quelques accents fougueux que j’attribuerai à votre jeunesse, cependant ce n’est pas la fougue qui prime dans le sens du service, mais l’humilité. Embrassez la charge de régent avec humilité et le Roy, assurément, verra en vous non pas un enfant mais un homme sage et digne de foi. Paix sur vous, Louis de Saint-Aimé et n’oubliez pas de prier. Rappelez aux Dieux que la Péninsule existe toujours.
Tu le saluas, lui aussi, puis pris place dans ton carrosse. A l’intérieur on avait fait faire une banquette pour que tu puisses t’y allonger. Lévantique et Aphaaste montèrent tous deux et tirèrent les rideaux. On se mit en route, on dévala à vive allure les routes du Berthildois et du marquisat tout entier, narguant les monts brumeux du Médian qui dessinaient leurs arêtes déchiquetées dans l’horizon. Lévantique te donna de quoi calmer tes douleurs et te plonger dans un sommeil léthargique. Tu ne comptas pas les jours, tu ne vis pas les voiles de ta barge se gonfler aux vents de l’Olienne, ni les côtes menaçantes de l’Ancenis, ni les ruines fumantes et mélancoliques de Diantra, ni la silhouette arrogante de Langehack. Tu ouvris les yeux et ne vis plus que Merval, comme à ton départ. Ce voyage, ce concile, ces soucis, ils se faisaient plus brouillés. D’un clin d’œil il te semblait les avoir effacés, comme si tu n’avais jamais quitté le Palais. Fidèle à elle-même, à ses humeurs, ses couleurs, ses odeurs, Merval t’accueillait en grande pompe. On ne verrait plus si souvent le Prince de Merval déambuler dans les rues. On ne verrait plus si souvent sa main s’agiter devant les passants. On ne verrait plus si souvent sa face sous la lumière d’un plein soleil.
On ne te verrait plus si souvent, Cléophas.
Et il était temps.
Charles d'Hardancour
Humain
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Sujet: Re: J'ai ouï dire | Cléophas & Thibaud | Concile [Fini] Sam 18 Fév 2017 - 8:20
Aveuglée par son ego, la justice royale commit une nouvelle faute. La faction des Saint-Aimé ne réagit guère à la dernière décision. Beaucoup se regardèrent, se demandant si le chancelier avait réellement écouté Louis. Puis ils se rendirent à l'évidence que ce n'était point le cas, avant de quitter le concile, un par un. Après tout, pourquoi attendre cela d'un homme qui n'avait même pas prit la peine d'arriver à l'heure. Le schisme entre le pays berthildois et la couronne venait d'être consommé. Après avoir exhorté à la guerre, voilà que le chancelier n'excluait pas de traiter avec les félons du Médian. Après avoir agité le titre comme la bourse d'une catin, et que Louis ait accepté la nécessité de la guerre, voilà que le chancelier retournait l'argument du marquis contre lui.
Car il l'était. Il n'y avait qu'un seul marquis de Sainte Berthilde, et son nom était Louis. Ceux qui pensaient différemment ou contestaient cela seraient punis par l'acier. Un instant, Charles se mit presque à comprendre ceux qui s'étaient rebellés contre cette autorité bancale et dénuée de toute forme de cohérence et d'intelligence. Pour plus de la moitié des seigneurs de cette terre, le marquis légitime siégeait à Cantharel, et il était le fils de l'ancien marquis légitime, Godfroy. Pour eux, ce roitelet de deux ans n'était plus qu'une idée lointaine, représentée par un homme qui aspirait au retour de ce qui désormais apparaissait comme une course aux faveurs.
« Au diable le Roy ! » murmurait-on parfois durant les heures qui suivirent à Cantharel. « Gloire au seul vrai marquis Louis de Saint-Aimé ! » répondait-on alors. L'ego d'un homme venait de rompre définitivement le lien entre le plus puissant marquisat du nord et la couronne. Et Charles jura devant les Cinq, qu'un jour, il ferait payer leurs méfaits aux responsables de cette situation. Si les seigneurs redoutaient à l'époque l'autorité de Godfroy, ils n'avaient guère oublié l'intransigeance et la sévérité dont pouvait faire preuve Charles. Et à ce jour, ne pas considérer Louis de Saint-Aimé comme marquis revenait à cracher au visage du doyen de la noblesse berthildoise.