Relever la tête et voir l'horizon | Kaëlis

Palais d’Alëandir,
Septième ennéade de Verimios,
De la neuvième année du onzième cycle.

Il était temps de reprendre l’ascendant sur le royaume. Il était temps de récupérer les informations dont il manquait cruellement. La prise de fonction n’avait pas été facile, elle avait même été fastidieuse parce que particulièrement longue et intense. Il avait été nommé en temps de guerre mais il était temps de revenir à la paix. De se recentrer sur leur peuple. Il fallait reconstruire ce qui avait été détruit, réparer ce qui avait été profondément endommagé. Et cela commençait maintenant. Dans cette lancée viendraient Eteniril et Quatrième-Saison. Viendrait aussi la Haut Conseil pour régler la question du Royaume. Mais il avait décidé de commencer par Ardamir. S’il avait profondément méprisé Halyalindë, s’il la méprisait encore, ce n’était pas une raison pour oublier son protectorat. Bien au contraire. Il devait discuter avec celle qui avait pris la régence, celle qui assurait le bon fonctionnement de la cité et des terres tandis que la Dame Protectrice s’en était retourné pour un temps indéterminé dans les confins d’Anaëh et au-delà.

Il savait qu’elle était à Eteniril, lorsque les rixes avaient éclaté. Il savait aussi qu’elle comptait rentrer, dans quelques temps. Le temps de faire quelque chose dont il n’avait pas de raison de se soucier. Si jamais cela s’avérait être important, alors il serait de toutes façons averti. En attendant, Ardamir devait continuer d’avancer. Alors assis derrière son bureau, parfait alliage de bois mort et de pierre, il saisit sa plume et se mit à tracer ses mots. Ceux qu’il allait faire parvenir à Kaëlistravaë Yasairava.

 

Terres d’Ardamir,
Protectorat d’Ardamir,
Ardamir.

Du Palais d'Alëandir
Septième ennéade de Verimios
De la neuvième année du onzième cycle.

A la conseillère du conseil d’Alëandir, représentante des mages et actuelle régente du protectorat d’Ardamir, Kaëlistravaë Yasairava : mes salutations.

Cette missive n’a pas pour but de vous inquiéter. Je sais que les derniers temps n’ont pas été des plus calmes et qu’il est aisé de se laisser aller à quelques angoisses, je préfère donc vous annoncer dès les premières lignes que cela n’est pas nécessaire.

Je vous écris pour vous demander une entrevue. Vous assurez aujourd’hui la régence du protectorat d’Ardamir, suite à la disparition d’Halyalindë Yasairava, votre cousine et Dame Protectrice. J’aimerais m’entretenir à ce sujet avec vous. Non seulement pour en savoir un peu plus sur la situation à propos de laquelle je n’ai entendu que des rumeurs mais aussi pour savoir ce qui est prévu à l’avenir.

Si vous avez prévu une visite à Alëandir dans les ennéades qui viennent, n’hésitez pas à me le faire savoir pour que nous puissions discuter ici, entre les murs du palais. Si ce n’est pas le cas, je me déplacerai jusqu’en Ardamir. Cependant je ne pense pas pouvoir partir d’ici avant au moins une ennéade, il est alors fort probable que vous ne me voyiez pas arriver avant début Karfïas. Rien ne presse, prenez votre temps pour m’envoyer votre réponse, mais je pense qu’il est important que nous nous voyions dans un futur proche.


Que la Mère guide vos pas,
En l’attente de votre réponse.

Anornedellon Nedi Lûcannui, Régent du Royaume elfique et Seigneur Protecteur des terres de la Quatrième Saison.

Quel délice, quel plaisir, l’enjouement était au rendez-vous! Enfin, une journée où le calme abondait et où les différentes tâches et besognes que devaient se soumettre la Régente lui rappelaient son temps de préceptrice à son dispensaire. Une époque à laquelle personne ne se fiaient sur son jugement pour rendre des décisions, où sa voix était si conséquent qu’une parole en l’air pouvait altérer la qualité de vie de l’un ou de l’autre. Non, aujourd’hui, elle n’avait qu’à rendre visite à tous les professeurs du dispensaire ainsi qu’aux initiés qui prodiguaient les premiers soins aux malchanceux qui subissaient la douleur d’une blessure sévère. Elle se souvint le temps de son passage tous les élèves qu’elle avait formés, qu’elle avait redressés ou qu’elle avait fait s’élever. Encore aujourd’hui, elle se plaisait de savoir que certains d’entre eux étaient devenus de petits prodiges en la matière de la magie de la vie. Et ce moment aurait précédé une soirée fort bien calme, car programmée dans l’espoir de pouvoir continuer son mémoire, bercée par la timide brise hivernale, elle fut dérangée par un coursier qui avait en ses mains, une missive peu commune.

« C’est … Regardez, régente. » Il n’eut pas même besoin de lui dire de qui provenait la missive que les spinelles grisâtres de la Main s’écarquillèrent de stupéfaction à la vue du sceau. C’est donc avec empressement et une certaine appréhension, qu’elle chassa à l’aide d’un « merci » son obligé, puis qu’elle décacheta la lettre en y parcourant les mots étalés. Ses mains tremblèrent, de même que ses lèvres pincées, tandis qu’elle repassait encore et encore à la diagonale les phrases enchaînées sur le vélin. Un entretient, avec elle ? Puis elle se mit à douter, à douter des décisions qu’elle avait rendu depuis le départ de la protectrice, des mesures qu’elle avait entreprise pour redresser Éraison et de toutes les autres problématiques traités depuis le début de son mandat. Avait-elle à redouter que le Régent ait son mot à dire dans tout ce remue-ménage de soucis?

Elle se permit de laisser voguer son regard au dehors, sur des rameaux plus timides que les fortes et indélogeables branches qui servaient de pont, se disant qu’icelles étaient un peu comme elle, prompte à briser et à être remplacer … Elle n’était pas faite pour diriger, elle se le disait depuis le tout départ et enfin, quelqu’un s’en était peut-être rendu compte ? Et par-dessus tout, il lui demandait à elle de quitter Ardamir pour venir à sa rencontre, chose qu’elle n’avait fait depuis une décade de siècles …

2^ième jour de la 8^ième ennéade de la 9^ième année de ce cycle
Ardamir

Adressé à l’honorable et très respectueux Protecteur de Quatrième Saison et Régent du Royaume elfique, Anornedellon Nedi Lûcannui,

Je vous salue humblement.

Sachant que vos obligations pèsent, je tâcherai de me faire concise au mieux sans en omettre le moindre détail. Il m’aurait été plaisant d’apaiser vos questionnements quant à l’absence prolongée de la Protectrice d’Ardamir et en l’occurrence, ma cousine également, mais la réalité est telle qu’elle est ; jamais elle ne s’est rapportée à moi. Je fonde mon savoir à son propos qu’aux ragots et aux rumeurs qui circulent à son sujet et je m’en remets à son savoir-faire pour espérer qu’elle se porte au mieux. Néanmoins, s’il est questionnement autre auquel je sois en mesure d’élucider, sachez qu’il me fera le plus grands des plaisirs de vous répondre.

En ce qui attrait notre entretient, je vous en prie, ne prenez pas la route, icelle vous ferait perdre un temps fort bien trop précieux. Exceptionnellement, je déclarerai mon absence au conseil et désignerai un remplaçant temporaire le temps de mon voyage en Alëandir. Je me ferai preste et arriverai d’ici les jours à venir afin de me présenter à vous.
Ce futur proche que vous convoyez arrivera plus tôt que tard, je vous l’assure et le promet.

Que Kyrïa vous soit favorable, Anornedellon.

Kaëlistravae Yasairava, Main de Halyalindë Yasairava, Protectrice d'Ardamir