Autant en emporte le vent [PV Kaëlis]

Soir d’elenwënas de la neuvième ennéade de Verimios
Neuvième année du Onzième Cycle

Tu planes, tu voles presque, et pourtant on ne pourra pas dire de tes yeux qu’ils n’ont pas l’habitude de voguer à deux mètres du sol. Tu glisses sur les vents d’hiver, gonflés par les dernières heures de la journée dédiée à la Déesse de l’air. Les pans des tissus fluides de ton ample manteau claquaient joyeusement, tirés dans un sens par tes gaillardes enjambées et soufflés dans l’autre par les régulières bourrasques, donnant véritablement l’illusion que tu flottes à contre-vent, comme le ferait un cerf-volant un jour de festival.
Grand gaillard ou pas, tous les quelques pas tu t’autorises petite facétie, d’un innocent saut entre deux carreaux à la ridiculement mièvre pirouette autour de ton propre sceptre, qui finirait ensuite inévitablement par décrire des tours et des tours à souffrir des jeux de doigts que t’inspirent ta bonne humeur. Pour ceux croisant ta route sur le chemin du palais, tu es une véritable curiosité, et heureusement que tu l’es. La discrétion Ardamirie serait à revoir si non seulement la nouvelle de ton engagement avec Kaëlis, mais aussi ton visage, le sien, et sa présence parmi les pierres blanches avait traversé la forêt avec vous.

Tu dois bien l’avouer, Alëandir est belle sous le froid. Les pierres de l’Esplanade du Trône Blanc scintillent comme autant de constructions de neige solide, décorées par l’occasionnel flocon solitaires ayant trouvé son chemin depuis les nuages ; les arbres ne sont pas aussi majestueux que ceux de la Cité natale de ton aimée, mais ils sont plus nombreux qu’ils ne le sont dans la tienne, creusant éhontément chemin à leurs racines à travers le pavage. Un bel entre deux qu’est le berceau de la culture Taledhelle, entre la pierre et le fer des montagnes et les terres boisées de sous la Rêveuse. Un bel entre deux où vous n’étiez chacun que moitié dépaysés. Diable soit de ton foyer ou du sien, peut-être Alëandir était-il le protectorat le plus propice à accueillir la cérémonie de votre mariage.

Rougissant feintement à cette simple idée, même la dureté naturelle de tes traits aura sans que tu n’aies à prononcer mot réussi à tirer sourire à tous ceux avec qui tu dus interagir sur ton chemin vers la demeure de l’Aile d’Accueil servant de dortoir à ton aimée durant son séjour. En cette heure tardive et par un temps pareil, tu doutes fortement qu’elle soit encore en train de traînasser dehors. Tu l’interromprais probablement en pleine lecture, ou à l’écriture d’une missive…

Frappant joyeusement à la porte que l’on s’était appliqué à t’indiquer, tu attends, comme un petit bout de printemps, plong  dans tes drapés de beige et vert pâle, de voir si ton pari en serait un remporté.

Les mots semblent parfois faibles, lorsqu’il est question de décrire un tel sentiment de calme et de sérénité. Voilà plus de la moitié d’une heure que l’étoile du matin s’était immergée dans la flotte d’une bassine bouillonnante. Pratiquement couchée comme en sa couche, tout son corps trempait dans le liquide réconfortant, ne laissant à l’air frais de ses appartements que son visage aux yeux paisiblement clos. Qu’était-ce comme moment, autre que cet instant où les soucis n’existaient plus ou paraissaient superficiels ? Les maux, autant de l’esprit que du corps se relaxaient et s’adoucissaient sous le joug d’un tel calme. À la requête du régent du Royaume elfique, Kaelis dût accourir au Trône Blanc afin d’apaiser les questionnements d’icelui, en lui fournissant de claires et avisées réponses. Avait-elle réussit son mandat, ou ce dernier s’en était retourné la queue entre les jambes, insatisfait de la rencontre qu’il avait souhaité ? En ce qui attrayait l’astre d’Ardamir, elle était satisfaite et voilà pourquoi s’était-elle permit une telle soirée de repos : elle avait livré tout ce dont elle était à même de léguer comme connaissances. Ah! Certes, quelques colles s’étaient manifestées au cours du rendez-vous, mais qu’à cela ne tienne. Au final, la chose fût pour elle un succès et c’était ce qui comptait.

« Toc toc toc! » Tonna à la porte. En sursaut, les cheveux détrempés jusqu’à la nuque et, complétement nue de surcroît, Kaelis quitta en toute hâte ses thermes improvisés pour quérir la présence d’un vêtement pour couvrir sa nudité. Sous la main, elle s’enquit d’une robe de chambre toute teintée d’écarlate et aux tissus aussi doucereux que le velours. Nouant grossièrement la ceinture à sa taille et rassemblant en trois quatre poignée l’ensemble de ses cheveux détrempés, elle en fit probablement la plus grossière couette jamais conçue. Prudemment, elle s’approcha du portail de bois, comme pour s’assurer qu’il y avait bel et bien quelqu’un qui patientait, là, au pied de la porte. « toc toc toc! » Tonna de nouveau entrée de ses appartements.

Ainsi, recroquevillant ses frêles épaules et cintrant l’un de ses bras contre sa taille, elle appréhendait la bise hivernale que procurerait l’entrée non désirée d’un des courants d’airs, à l’ouverture de la porte! Sagement, lentement et d’un geste calculé, elle se découvrit et tomba nez à nez avec Artion, face auquel elle hoqueta de surprise. Sans faire ni une ni deux, elle l’agrippa au col sans ménagement et l’attira à l’intérieur prestement. Une fois tous deux à l’abri du froid, elle tenta de sa pauvre force à l’acculer contre le mur adjacent pour que là, elle puisse l’embrasser sans autres ambages. Un baisé qui n’avait rien de courtois ni de pure ; une marque affective qui hurlait son besoin d’être comblé et qui depuis fort trop longtemps, avait été négligé. Ce ne fût seulement qu’après avoir pleinement et avec gourmandise satisfait son manque d’affection qu’elle plongeât son regard dans le sien, admiratif et doux à souhait. « N’était-ce pas moi qui était sensée te surprendre, mon aimé? »

Un instant, deux instants, mais une bien courte attente pour qui la considère en valoir la chandelle. Tu t’amuses à imaginer les mille-et-une choses qui pourraient retenir ton aimée de l’autre côté. Ce n’est ni la lecture ni l’écriture qui la tiennent loin de l’entrée, car pour ce que tu en sais il n’est pas la moindre missive, même arrivée au travers du blizzard, qui saurait l’empêcher d’alléger l’attente de quiconque se présenterait à elle en personne. Ce n’est pas non plus le sommeil, celui-là ne saurait la gagner avant que la nuit ne soit tombée, ni les devoirs confiés par le Régent, qui devrait aujourd’hui l’avoir déjà libérée. Puisqu’il faisait si froid c’était à tout parier une quelconque manière de se réchauffer qui la tenait loin de la porte et de la brise qui menaçait de s’y engouffrer, et au vu de l’attrait de Kaëlis pour les bains voilà qui devenait une très probable hypothèse. Que l’on vienne immédiatement plaindre ta fiancée, car c’est avec un malicieux amusement que tu l’imaginais devoir faire face à la brise de son entrée encore humide et à peine tiédie… mais n’étais-ce pas normal pour toi d’accueillir volontiers tout prétexte pour la réchauffer ?

Fort de carrure et de jeux de cape tu évitas le pire à celle dont tu avais fort bien deviné l’occupation. Le vent ne déposerait pas de superflu frisson sur l’ivoire de sa peau, mais s’il s’agissait de la réchauffer tu as mal choisi tes raisons, car ta présence lui permit d’exprimer, et non pas de ranimer ses passions. Il est une dame Yasairava que seul toi connais vraiment : celle que le cœur pousse en des pulsions que ne lui savent même pas posséder nombre de ses contemporains. Tu connais une Kaëlistravae moins sage, moins retenue et plus spontanée que le portrait qu’en tisse le reste de la société. Tu connais une Main Droite dont les baisés enflammés effraieraient autant Ardamir qu’un pyromancien fou ; une grâce à qui en cet instant la coupe large de tes pantalons est loin d’être regrettée… mais le tissu ne fut pas éprouvé autant qu’il aurait pu l’être, et tes mains ayant saisi ton aimée restèrent sage cette fois, car ce n’était encore ni l’endroit ni le moment. Il y avait plus à tes plans de ce soir qu’étreintes et caresses.

- Considère-donc ta tâche comme ayant été rondement menée.

Une main toujours courant contre la peau de son poignet, l’autre s’assurant que ton focaliseur dans ton dos était toujours bien accroché, tu mets quelques pas vers l’intérieur des appartements, oeillant à la recherche des penderies dans lesquelles se cachent ses toilettes, lui laissant comprendre déjà à ton regard, que tu comptais passer la soirée au dehors.

- Qu’est-ce que tu dirais de sortir manger ce soir ? J’ai entendu parler de cette auberge du Telüime qui fait une délicieuse fricassée de phalènes tes yeux plongent dans les siens, tes mains prenant ses hanches pour laisser soin à tes pouces de lui caresser les flancs, espérant ainsi lui ouvrir l’appétit S’il te plaît… tu sais comme j’apprécie un bon repas sous un ciel étoilé.

N’importe laquelle des catastrophes paraissait bien dérisoire lorsqu’il s’appuyait contre elle. Sa présence était l’égide de tous ses soucis, des plus futiles aux plus importants. Nulle armure ou même de sortilège ne saurait en faire autant pour elle ; il était là et c’est tout ce qui comptait, tout ce qui importait. Il la connaissait comme s’ils s’étaient fréquentés depuis leurs jeune âge, sachant ce qui déplaisait à l’autre comme ce qui faisait craquer l’autre … Et lorsqu’elle aperçue l’attention de son fiancé se détacher d’elle pour voguer vers d’autres endroits, à la recherche d’on ne sait quoi, elle s’imaginait déjà le pire : sortir! « Sortir? Vraiment? N’as-tu pas des yeux pour voir que je sors à peine de mon bain? » Faussement choquée, le nez plissé d’agacement, mais l’œil trahissant son amusement. « Ne préférerais-tu pas rester, plutôt ? Comptes tenu du fait que tu m’as extirpée du bain, tu devrais à la rigueur tenter de me tenir au chaud! » Toujours en empruntant ce faux ton de réprimande, le corps toujours bien collé contre le sien, prise entre ses deux pattes posées à ses hanches.

Et il ne dit pas mot, ni ne répliqua d’un trait d’esprit ou d’un commentaire moqueur! Seuls ses yeux parlaient et, depuis qu’ils étaient revenus de l’armoire contenant sa toilette, n’avaient pas trouvé force de dériver ses spinelles argentées de la main. Son regard insistant avait toujours le dessus sur elle, tout comme elle savait aussi avoir le dessus sur lui lorsqu’elle lui demandait quelque chose à laquelle elle tenait véritablement … Alors, les deux pattes de l’étoile du matin agrippèrent délicatement le col de l’elfe, l’attirant jusqu’à elle dans une lenteur déconcertante. Là, presque au point où ses lèvres se devraient de marier les siennes, elle souffla en messe basse à son fiancé : « À condition que tu choisisses pour moi ce que je porterai. » Boucla-t-elle évidemment en un baisé plus posé mais ô combien tout autant amoureux.

Quelle condition tout de même pour le coquet d’Artion! La chose n’était pas pour le répugner, au contraire. Le temps qu’il fouille le tout, Kaelis s’arma de sa brosse ainsi que d’un peigne pour aborder sa coiffure, à laquelle évidemment, elle pouvait accorder d’erreurs si elle désirait un jour exaucer les souhaits de son aimé! Après tout, il serait fort inconcevable de se présenter avec des cheveux aussi malmenés que ceux qu’elle arborait présentement! Contrairement à l’accoutumée, plutôt que de laisser de l’air à ceux-ci, elle forma à sa nuque un chignon proprement rassemblé, laissant devant son visage quelques mèches immaculées échapper à leur destin, afin qu’ils puissent brillamment encadrer son joli minois. À moitié chemin dans l’exécution de sa coupe, Artion se retourna avec un morceau de linge entre les doigts, tendant le tout à sa belle sans dire un mot. Devinant ce qu’il avait choisi, un sourire étira les fines lèvres de l’étoile, rehaussant par le fait même ses pommettes rosées par la bouffée de chaleur qui l’avait tantôt assaillie. D’un vert forêt, la robe avait tout d’un morceau de vêtement de luxe, que l’on ne portait que pendant les bals les plus chics. Heureusement pour Kaelis, tous les jours avaient une raison d’être vêtue de la sorte et aujourd’hui ne faisait pas exception! Munie de quelques reliures dorées au niveau des épaules, ceux-ci formant un feuillage adroitement tissé, l’attifement choisi par Artion était démunie de bretelle, celle-ci se contentant d’être maintenu que par l’étroitesse des tissus contre sa peau d’albâtre. « Je sais que tu me donnes toujours chaud, Artion, mais dehors, je risque d’avoir tout de même un peu froid. » Ajouta la belle, presque parée à la sortie, tandis qu’apporta sans se faire prier, un mantel plus ample afin de couvrir ses épaules. À tout cela, une pelisse épaisse et réconfortante se fit nouer par les doigts de son aimé contre son cou. Ils pouvaient désormais y aller!

Tes yeux jouent avec les siens, vos iris lancés dans un duel de persuasion, vos sourcils dansant sans musique à la recherche de l’accord de leurs vis-à-vis. Ce n’est pas un jeu auquel tu as l’habitude de perdre, pas dans ce genre de conditions, et ce n’est qu’affaire de temps avant que ta légère moue suppliante ne se transforme en un malicieux sourire. Scellée d’un baiser serait sa promesse de t’accompagner.

- C’est un plaisir que d’habiller une si merveilleuse créature.

Il n’en fallut pas plus pour que soient entamées de minutieuses recherches quant à ce que serait la tenue parfaite pour une telle occasion. Il fallait un habit d’une élégance plus évocatrice des soirées mondaines que des événements politiques ou religieux plus stricts ; une toilette dont les teintes souligneraient les traits fins et la pureté des pigments faisant la personne physique de Kaëlistravaë, tout en trouvant harmonie assez conflictuelle avec ta propre tenue pour que l’un et l’autre vous vous sublimiez mutuellement. Alors à ton doux printemps elle serait un intense Automne en fin de verdoyance, le vert foncé par les reliquats d’un brun naissant.
Il faisait particulièrement froid cet hiver, froid au point de pousser un elfe des hauteurs comme toi à passer la cape, alors pour Kaëlistravaë qui était habitué aux chaudes contrées de la forêt profonde… le manteau, tu l’avais déjà en main, mais tu préféras attendre de te faire prier avant de le lui tendre. Les traits d’esprit de ta bien-aimée, pour ceux qui t’étaient destinés prenaient souvent le double visage que l’on connaît aux compliments mesquins ; mais vérité en est que tu n’en gardais bien souvent comme souvenir que la part élogieuse.

- Tu es splendide. Tu prends le temps de l’admirer un instant Je risque de faire beaucoup de jaloux ce soir.

Et enfin, bras dessus-bras dessous, vous quittiez les appartements de l’Esplanade du Trône Blanc.
Pour chaque instant perdu à la faveur du silence, tes yeux se posent sur le visage de ta fiancée, tentant de surprendre ses spinelles à l’instant où elles se poseraient sur votre environnement, de lire sur son visage ce que lui inspiraient les entremêlas de pierre blanche et de verdure de la Prime Cité. Et si elle ne s’émerveillait pas de l’œuvre des premiers bâtisseurs de votre peuple, il aurait été fort erroné de dire qu’elle ne s’y sentait pas à l’aise. Pas aussi à l’aise que sur les ponts arboricoles de sa Cité natale, mais plus que sur les rues pavées de Daranovar.

Ce fut certainement au cours de la traversée des immenses jardins de l’Harmalaica que ta compagne fut au plus fort de sérénité. Il y avait dans les grands arbres, parés de vert malgré l’odieux hiver de cette dixième année, un air d’Ardamir, un peu de la majesté de la Cité du Grand-Chêne. Pour une elfe entièrement sourde à la Symphonie, et méfiante vis-à-vis des Ornedhels qui plus est, Kaëlistravae s’était assurément attachée à la majesté des Hauts-Chanteurs. Et tu peux la comprendre, toi à qui il fut donné d’entendre quelques murmures, et qui malgré tout trouve encore confort dans les quelques monuments construits de main d’elfe décorant le Sanctuaire. Pour toi qui a tant vu l’extérieur comme le théâtre des affrontements, la trace de la main des tiens est aussi l’assurance d’un abri.

- Tigilidënya tu entonnes à voix basse, soucieux de ne pas troubler la méditation de vos frères se recueillant dans les jardins Plus le temps passe, et plus je me demande si nous ne devrions pas profiter de notre présence à tous les deux ici pour célébrer notre mariage en Alëandir plutôt que de s’embêter à réfléchir à la Cité natale duquel d’entre nous accueillerait la cérémonie. Après tout, même si la Prime Cité n’est ni aussi luxuriant qu’Alëandir, ni aussi sculpturale que Daranovar, l’entre-deux m’est de plus en plus séduisant tes yeux brillent l’espace de quelques secondes à l’idée de célébrer votre union dans un lieu aussi fort de symbolique que le Sanctuaire de l’Estel, mais l’émoi ne sera que de courte durée, l’index de ta main libre venant lui taquiner le bout du nez Et en plus, attendre c’est difficile ! J’ai tellement hâte Tigilidënya. Devant la Mère et l’Amant, toi et moi faits famille… je ne sais pas si j’arriverais à attendre jusqu’à notre départ d’ici.

En vérité, en son cœur nulle place n’avait été accordée à la pierre. Froide, souventefois façonnées par l’elfe, elles faisaient montre d’un paysage artificiel, loin de tout ce que représentaient les édifices Ardamirois. Malgré cela, elle devait reconnaître qu’il ne devait pas être aisé de faire de la pierre même usage que la poterie, c’est-à-dire de créer quelque chose à l’aide de ses deux mains, de travailler cet élément minutieusement afin d’en créer quelque chose d’artistique. Un talent non négligeable devait être à la base de toute création, qu’elles soient de pierre ou de peinture, mais il n’en resta pas moins que la pierre n’était pas à son sens, quelque chose d’attirant. Au moins se disait-elle qu’elle aurait pu tomber à pire endroit, compte tenu de tous les récits que lui avait un jour décrit son fiancé à propos de sa terre natale. Daranovar était à l’extrême opposé de tout ce que Kaelis appréciait et le simple fait de l’imaginer lui levait le cœur, pourtant, elle savait qu’elle n’y échapperait pas et qu’un jour, elle se devrait d’y aller ne serait-ce que pour plaire à sa douce moitié. Un maigre sacrifice à faire pour d’aussi nombreuses années de bonheur.

Heureusement pour elle, son fiancé la connaissait mieux que quiconque et avait derrière la tête un plan pour ne pas faire de cette soirée une déception cuisante. Il l’avait guidé jusqu’aux jardins de la citée, ceux-ci en tous points majestueux et, particulièrement intéressant en ce temps de l’année. Au travers l’épais tapis de neige qui recouvrait la majorité de la nature, se dressait en fier soldat un peu de vert, ainsi que quelques fleurs plus résistantes et rebelles, ajoutant des couleurs qui se mariaient à la perfection avec la pureté de ce blanc immaculé. Une vue qui ne manqua pas de faire sourire l’étoile du matin, toujours perchée au bras de son soldat. Le silence était d’or, car l’admiration de tels paysages méritait que l’on s’y concacre corps et âme, sans perturber la quiétude de ces lieux utopiques. Pourtant, dans une messe basse soufflée à son oreille, quelques murmures prirent leur envol jusqu’à l’étoile du matin. Elle le laissa discuter seul, faisant la déposition de sa proposition, s’en tenant seulement à un sourire charmé, voir même rêveur.

Ce ne fût qu’une fois l’engouement de son fiancé passée, qu’elle lui répondit tout aussi silencieusement, d’une voix soufflée et respectueuse. « Ta proposition est bien alléchante et je suis fortement tentée d’y acquiescer … Mais … » Évidemment, il y avait un mais, une condition qui fit perdre son sourire aux dépends d’une moue un peu attristée. « Ardamir m’a vue grandir et m’épanouir, elle m’a vu être heureuse et triste, j’ai cru qu’elle me verrait aussi m’unir à celui qui partage mon cœur … Aléandir est une citée formidable, mais pas celle que j’espérais pour notre union... » Elle s’était pour la cause arrêtée de marcher, préférant se retourner vers lui afin de s’excuser d’un triste regard.

Tu soupires, visiblement déçu mais gardant l’air léger, malgré la gravité réelle de votre situation. Durant ces dernières ennéades, tu avais choisi d’occuper ton esprit à d’autres pensées, mais quand l’idée de la distance physique qui pèserait sur votre vie conjugale vous était effrayante, la question des lieux qui en marqueraient le début, bien qu’infiniment plus futile, à cause de son immédiateté était en réalité terrain bien plus glissant.

Elle, a fait sa vie au cœur d’Ardamir et n’a que relativement peu voyagé au cours de ses six siècles de vie. Ses mémoires sont portées par les branches de la Cité des arbres, son affection va pour sa mère patrie, et pour cela, elle tu comprends qu’il lui tienne à cœur qu’un souvenir aussi puissant que celui de votre union puisse ainsi se rattacher à toutes ses autres remembrances.
Toi, tu es né de Lanthaloran, dont les murs sont il y a une décennie déjà tombés. Daranovar n’est que ton second foyer, mais c’est le foyer qui t’a construit. Le reste de l’Anaëh ne fut jamais que terrain de batailles, aux armes ou aux mots. Les autres Cités ne furent jamais que les terres où te menèrent curiosité ou devoir. La chaleureuse atmosphère de Daranovar représente beaucoup à tes yeux, et pour autant qu’elle ait envie de se marier sous la canopée, elle devait aussi réaliser l’effort que c’était déjà pour toi d’office mettre de côté la perspective d’une cérémonie sur les hauteurs des Norn.

- Et je pourrais dire la même chose de Daranovar …

C’étaient le genre de souvenirs qui marquaient un enfant à jamais. Les longues heures d’après les classes, celles durant lesquelles vous faisiez le monde d’un demi-cycle plus tard. Les longues heures durant lesquelles vous étiez votre personne future, et où vos rêves étaient devenus réalité. Autrefois tu l’avais joué ton mariage, et pendant longtemps tu avais continué de le rêver comme celui de tes jeux de marmot. Sous un ciel dégagé, un soleil souriant, mais l’air rafraîchi et le sol blanchi par l’hiver. Dans tes rêves plutôt que de marcher tu glissais à travers le sol gelé de la Grand-Place de Daranovar, chorégraphiant sur patins tes sentiments.
Sauf que dans tes rêves d’autrefois, Kaëlistravaë Yasairava n’était pas ton épouse. Avec le véritable amour et pour le véritable amour venaient les sacrifices, et à celle ayant vécu l’équivalent de six siècles d’été Daranovan, il t’était impensable d’imposer tes fantaisies hivernales.

- …sauf que je sais que les regards des feuillus te manquerait trop ; comme l’écho de la pierre me manque en Ardamir. Tes yeux fuient les siens à la faveur du ciel l’espace d’un instant, avant de renouer un contact timide En réalité, on pourrait se marier n’importe où en Anaëh ton propos gagne en insistance au fur et à mesure que tu l’énonces, appuyé par un regard de plus en plus empreint de conviction Sous la végétation toute particulière d’Eldarinwa, aux abords du grand lac de Quatrième Saison, ou respirant l’air marin des Terres Ancestrales d’Holimion, et ce serait probablement une meilleure idée que n’importe laquelle de nos Cités Natales. Alëandir est simplement à mes yeux de toutes les options la plus forte de symbolique. Au moins à être tous les deux dépaysés l’on serait désolés ensemble.

Tu l’aimes de tout ton cœur. Son bonheur fait le tien. Mais il est des sacrifices que l’on ne peut faire même pour sa moitié. Pour autant aurais-tu aimé lui accorder Ardamir, pour autant aurais-tu souri avec elle en la voyant vivre le mariage de ses rêves, tout cela ne t’aurait à terme conduit qu’à te demander à quoi aurais pu ressembler la joie que t’aurait offerte une cérémonie Daranovane. Qu’aurais-tu ressenti si la situation avait été inversée ? En quoi n’étais-tu pas en droit d’attendre d’elle le sacrifice que tu as fait ? Tu te connais. De l’altruisme naîtrait lentement mais sûrement la goutte d’acide qui ternirait le goût de votre bonheur. Pire encore, te voir mélancolique aurait pu la conduire à elle-même sombrer dans la culpabilité, lui donner l’envie de se dédouaner d’une dette qu’elle ne pourrait jamais te rembourser, et alors, le beau souvenir dont tu aurais autrefois voulu lui faire présent perdrait de sa saveur.

Il fallait que le plus beau jour de votre vie vous voie tous les deux frustrés. Au présent prenez le pire, et il ne restera plus que le meilleur pour l’éternité à-venir.

Peu de mots parfois se montraient requis pour faire comprendre la gravité d’une faute, ici en l’occurrence, l’égoïsme. À suggérer Aléandir, elle crut que l’endroit n’avait pour lui que peu de valeur et de ce fait, n’avait en aucun cas considéré qu’il aurait pu être possible qu’il désire s’unir dans la citée de pierre … Évidemment que la citée qui l’avait vu grandir comptait à ses yeux, autrement pourquoi y vouerait-il sa vie ? Elle se trouva bien sotte d’avoir si bêtement raisonné …

Son regard se plissa de honte, puis fuyait le sien momentanément sous la pesanteur de cette âpre émotion. Ses deux menottes gelées se resserraient contre celles de son soldat, comme si elle désirait par l’entremise de ce mouvement désuet lui montrer comme elle était désolée. Alors qu’elle aurait dû être conquise par l’engouement de son fiancé à propos de leur mariage, elle avait tué sans vergogne cette excitation à l’aide d’un « non » tranchant et dénudé de sens. Elle faisait peut-être piètre fiancée, après tout … Lorsqu’il en eut terminé de lui expliquer toutes les possibilités qui étaient à leur disposition, elle pinça les lèvres toujours aussi coupable. Alors, après avoir réfléchit à une réponse un peu plus posée et empreinte de maturité, elle lui tinta ces quelques mots : « Je … J’aurais dû penser que le plaisir de te marier chez toi était une chose possible … Je ne sais, peut-être est-ce car tu es le seul de nous deux à toujours su franchir les lieux qui nous séparaient, qu’il m’a semblé naturel que notre union voir le jour sous les branches du Grand Chêne … » Elle resserra de nouveau ses dix doigts frigorifiés sur les siens, comme d’une douce attention empathique. « Pardonnes-moi Artion … Je n’ai pratiquement rien connu ni vu de l’Anaeh … Je ne peux pas partager avec toi cette vision de rêve que tu imagines de notre mariage en ces contrées qui me sont inconnues … Mais … Je peux t’accorder ma confiance et te laisserai choisir de l’endroit et du moment, ou que ce soit … » Et elle termina d’un sourire plus doux, mais prudent, comme si elle savait qu’il n’était pas impossible qu’il ne passe guère aussi tôt par-dessus la déception qu’elle lui avait procuré en déclinant son offre. « Emportes-moi où tu le désires et j’arborerai le vert et l’argent pour toi, alors nous serons unis pour l’éternité. » Elle réitéra son sourire, osant se rapprocher de lui un iota, d’un pas vers l’avant, afin que leurs corps soient réunis sous le parapluie que formait les hautes branches du jardin d’Aléandir.

La culpabilité. La voilà la culpabilité, et dire que vous n’en étiez encore qu’à des mots. Tes doigts s’ourlent avec tendresse sur les siens, préfiguration d’un pardon que tu lui as déjà accordé, ne les quittant que pour se poser à la naissance de son fessier, achevant le rapprochement qu’elle venait d’initier, et t’autorisant une rapide bise sur le haut de son crâne. Echanger durant de longues années vous avait conduit à bien vous connaître, chacun ayant eu l’occasion d’exposer sa personne profonde à travers des missives se voulant le plus sincères possible, mais il vous restait toute une part de la dynamique de l’autre à comprendre. Vos pulsions respectives, vos réactions de l’instant, votre vous immédiat, votre vous naïf, il était bien difficile de le faire transparaître à travers des écrits dont le corps était parfois réfléchi durant de longues heures. Mais ultimement, cette personne de l’immédiat, lorsque vous connaissiez si bien l’âme se cachant derrière, n’avait rien de bien surprenant.

- Ne t’inquiète pas de ça. C’est bien à ça que sert de discuter non ? un de tes deux bras quitte sa place, t’autorisant à faire face à la même direction qu’elle, et une main toujours dans le creux de ses lombaires, à relancer votre procession Et puis, je ne peux pas t’en vouloir d’avoir naturellement pensé à Ardamir lorsque je termine à peine mon dernier séjour là-bas, que c’est là-bas que je t’ai fait ma demande et que tu n’as jamais eu l’occasion de me voir dans mon monde. Tu soulèves un sourcil, ourle un coin de lèvre, c’est une invitation Mais quitte à abandonner l’idée de s’unir devant nos propre Cités, autant choisir de le faire dans un lieu aussi fort que le cœur de l’Harmalaica… du moins si les Lëandrins nous l’autorisent.

L’Estel était un arbre sacré après tout, et les jardins un lieu de recueillement d’une toute autre manière que ne le sont la majorité des Sanctuaires dédiés à Kÿria. Peut-être choisir de mettre implicitement en parallèle les sacrifices que vous feriez pour votre union avec ceux faits par la Gardienne de Kÿria pour la Déesse dont elle a entièrement épousé l’œuvre serait-il jugé présomptueux, mais il n’y avait à tes yeux tout cela valait bien de risquer un refus et des réprimandes sans grandes conséquences.

La canopée s’est faite plus éparse, les pierres plus présentes, et au sol naissaient les réseaux de canaux faisant la réputation du Telüime, le quartier des fontaines. Le rude hiver ayant fait son travail, une généreuse moitié des cracheurs d’eau s’était retrouvée prise par le gel, incapable d’offrir le spectacle promis aux passants. L’autre partie continuait vaillamment d’expulser vers le ciel un chapelet de gouttelettes bien fébrile en comparaison avec le souvenir que l’on pouvait avoir de la Cité Blanche en été. Au cours de votre marche tu ne t’es d’ailleurs pas privé de joyeusement rire devant la fontaine luttant de ses dernières forces pour que traversent la couche de verglas ses derniers crachotis avant de s’éteindre dans un pénible gargouillis, tandis que sa voisine, ayant enfin accumulé assez de pression pour que l’eau perce l’opercule, repartait de plus belle. Les paris étaient lancés. C’était à qui devinerait avec le plus d’exactitude lesquelles des fontaines s’éteindraient, et lesquelles reprendraient, et vous étiez au coude à coude, jusqu’à ce que la dernière manche arrive, que Kaëlistravaë ne prenne définitivement l’avantage… et que tu le lui retires aussitôt, annonçant avec le ton bien trop satisfait du perdant sauvé par le gong :

- Nous sommes arrivés.

L’auberge, en particulièrement la taverne lui servant de rez-de-chaussée était bien plus grande que la moyenne des établissements d’accueil et de restauration d’Alëandir. Plus grande, mais surtout plus distinguée. Une ambiance tamisée créée par la réfraction des luminaires sur la pierre blanche, des senteurs recherchées, une clientèle ayant visiblement porté grande attention à son vêtement, et surtout, bien peu de bruit lorsqu’il restait si peu de places libres dans un lieu de cette taille.

- Heureusement que tu as accepté mon invitation. Je me serais senti bien bête de nous avoir réservé une table dans le cas contraire.

=En temps normaux, lorsqu’elle était à l’extérieur d’Ardamir, peu pourraient expliquer pourquoi elle préférait rester recluse chez elle. Tous auraient saisis l’opportunité de découvrir de nouveaux mets à déguster, de nouveaux paysages à admirer, de nouvelles genses à connaître, mais pas elle. Plutôt, elle préférait se concentrer sur le but premier de sa venue, ne s’octroyant pas une once de batifolage. Or cette fois, on l’avait traîné hors de son confort pour la forcer à mettre de côté ses habitudes et ainsi, de se soumettre aux aléas de cette sortie. « Vaut mieux plus tard que jamais! » Lança-t-elle de sa voix secouée par le froid, les épaules recroquevilles et ses petits poings crispés. Lorsqu’ils pénétrèrent dans l’établissement, ce qui la secoua fût le calme. Non, le respect. Tous discutaient calmement et sereinement, sans élever le ton, comme si tous avaient conscience de leurs voisinages et de l’inconfort de la parole lorsque trop portante. La taverne, si on pouvait la nommer ainsi, n’avait rien en commun avec ces autres endroits propices à lever le coude, où bras dessus, bras dessous, la bleusaille chantonnait leurs exploits et autres faits d’armes!

Quant aux arômes, les effluves des cuisines que s’affairaient les mestres queux à préparer étaient tout bonnement divines. Un délice pour les narines, simplement à humer ce que pouvaient préparer les cuistots, là-derrière! Pendant un moment, alors qu’elle écumait littéralement d’envie de goûter à tout, elle en vint à se dire que ce n’était peut-être pas une si mauvaise idée que de bifurquer de ses habitudes … Au rez-de-chaussée, chaque assise semblait occupée par quelqu’un, or une recherche plus approfondie était de mise et, à leur grand bonheur sans doute, ils trouvèrent place à leur goût. La tablée, bien que sobre et assez petite, était située sur la mezzanine au deuxième étage. Là-haut, leur table donnait sur l’étage du bas, car icelle était voisine à la balustrade empêchant quiconque aurait l’idée farfelue de sauter en bas! En gentilhomme, Artion fit le retrait des pelisses de son aimée avant qu’elle ne s’assoit, toute rayonnante. L’endroit était bien, vraiment … Elle en vint presque à se demander s’il n’était pas déjà venu, pour qu’il ait eu si bon goût du premier coup. « J’ai l’impression que tu connais cette citée plus que je ne l’imagine. Tu t’y promènes comme si elle n’avait pour toi aucun secret … » Et elle laissa son affirmation en flottaison, comme si elle espéra qu’il lui réponde naturellement.

- Un bon sens de l’orientation et une parfaite connaissance du terrain sont capitaux en tant que soldat Tu réponds du tac au tac, parodiant par le ton et l’expression le sérieux militaire …mais il faut aussi dire que même si ça avait été ma première fois à Alëandir, j’ai quand même eu plus de trois ennéades pour en faire le tour.

Tes yeux virevoltent entre ceux de ton aimée et les va-et-vient des hôtes des lieux, dans de répétées tentatives de deviner lorsque viendra votre tour de prendre commande. En attendant, au détour d’un mot, tu te permets de piocher sans même y jeter l’œil dans le panier de fruits secs posé en milieu de table histoire de nourrir ta patience. Le naturel du geste en devient presque hilarant ; au moins avant même d’arriver à votre table on devinerait ta gourmandise. Kaëlistravae malgré le peu de fois où vous avez eu, depuis vos retrouvailles, l’occasion de vous restaurer ensemble, s’y sera vite habituée. N’étais-tu pas celui qui depuis Daranovar, lui envoyait accompagnant tes missives, gâteaux et biscuits lorsque l’occasion s’y présentait ?

- Et puis tu sais, même si je n’avais pas aimé me balader, il est hors de question que j’abandonne ma routine, faire la traversée entre l’Académie et les terrains d’entraînement et on a déjà vu pas mal de paysage. D’ailleurs, avant que l’on ne se retrouve pris de court par les préparatifs du mariage, tu devrais profiter un peu de la Cité. Je sais que l’hiver est un peu rude et que tu apprécies ta tranquillité, mais il serait dommage de repartir sans avoir pu voir les astronomes en étude dans le Cercle d’Iben et Alm, ou les humoristes improvisés qui se lancent en impromptu dans des théâtres solistes sur la Place Tyral. Et puis, c’est aussi l’occasion de poser à nouveau le pied au Chapitre Blanc. Je suis certain que tes professeurs seraient ravis de te revoir.

Elle ne demandait pas bien plus que le calme de ses appartements, il est vrai. Kaëlistravaë ne partageait pas ta passion pour les errances sans but et pour les découvertes sans recherches. Comble pour toi le rigide militaire, au jour le jour d’entre vous deux tu étais le plus souple et le moins protocolaire. Egayer la vie de ta fiancée était ta mission. Porter ses yeux, ses oreilles… ou ses papilles à des plaisirs dont elle n’aurait autrement pas pu profiter est ton devoir.

- Heru, heri, avez-vous fait votre choix ?

Tu frétilles intérieurement d’impatience à l’idée du repas, mais ce n’est pas actuellement ce qui te fait le plus sourire. Tout le professionnalisme au monde n’aurait su dissimuler l’impression qu’aura fait ta compagne au jeune elfe venu prendre votre commande. Il est peu de Taledhels après tout, que l’élégance de Kaëlistravaë laisse indifférents, et tu n’en apprécies que plus la chance que représente le fait que parmi autant de potentiels prétendants elle t’ait choisi toi. Toi le blessé de guerre dont elle s’était autrefois occupé.

- Je pensais de mon côté à une soupe au crabe en entrée, et pour plat de résistance, une fricassée de nocturnes tu te retournes vers Kaëlistravaë et toi Tigilidënya ?

Tu attends au moins aussi impatiemment que le serveur de savoir quelle sera sa commande.

- De très bons choix que voilà. Une boisson ?
- Vous reste-t-il encore de la liqueur de myrtille ?
- Absolument.
- Portez-en nous donc chacun un verre s’il vous plaît.
- Dès que possible.
- Merci beaucoup.
- À votre service, et pardonnez-moi la remarque, mais je tiens à vous dire que vous êtes tous les deux d’une agréable élégance.
- Ne vous en excusez pas ton bras droit quitte le couvert de ta cape et ta main trouve place à se loger dans ta nuque, geste qui couplé à ton regard avenant et à ton doux sourire laissera entendre le mélange de satisfaction et de légère gêne qu’aura entraîne le compliment Nous nous devions de faire honneur à votre établissement après tout.

Tu souris, Kaëlistravaë sourit, et à vos moues vient répondre celle du serveur avant qu’il ne prenne congé de vous. Tu aurais voulu prouver à travers lui comme tu avais eu raison plus tôt dans la soirée en disant que tu ferais des jaloux, mais l’œillade du jeune elfe sur ton bras lorsqu’attraper ta nuque avait fait visiblement rouler ton biceps sous le tissu cintré de ta manche avait fait de sa légère nervosité en attente de ta réaction l’attraction principale à tes yeux.

- Je suis sûr qu’il ne se serait pas donné la peine d’aussi me complimenter si j’étais d’un plus petit gabarit. Tu confies à voix basse, sourire narquois au coin de la lèvre. Mais j’ai tout de même de la chance qu’un peu de votre éclat rayonne sur moi ma chère. Tous ne sont pas aussi fortunés. tu prends sa main pour en caresser le dos, à défaut de pouvoir lui offrir une bise.

C’est vrai, tous ne sont pas aussi fortunés.

L’activité en soi n’était pas des plus motivante ni dès plus palpitante, enfin pour l’accro de travail qu’elle était, mais de voir aussi enjoué son fiancé rachetait tout cela. À son naturel, elle pouvait l’observer sans qu’une personne de haut rang, qu’une tâche qui demandait le sérieux, n’altère son comportement parfois si particulier. Elle aimait le voir sourire, le voir sortir de son quotidien de soldat, loin d’une pique et d’un glaive. Elle ne sut toutefois pas retenir son sourire lorsqu’elle constatât l’étendue de sa faim ; c’est vrai, il avait toujours été ainsi, du plus loin qu’elle se souvint. Il était du genre à dévorer ses plats et après, sans la moindre subtilité, patienter en lorgnant sur le plat de Kaelis à savoir si elle en laisserait quelques miettes! Enfin, il le méritait tout de même, à en connaître l’étendu des efforts qu’il déployait en vingt-quatre heures. Quant à elle, elle ne pouvait en dire autant : passer le plus clair de son temps assise à gratter du papier ou à panser les plaies de pauvres elfes, le rapport d’effort n’était certes pas le même.

« Hmmh … À boire, la même chose et pour le repas, une salade de crustacés. » Répondit-elle sobrement, le remerciant d’un sourire affable, tout en masquant l’amusement qui chercha à rehausser ses pommettes vu le regard de son aimé. Lorsque le serveur quitta, elle pinça entre son pouce et index un ourlet de peau du revers de la main d’Artion. « Psst! Je ne te savais pas si taquin! Puis … » Elle détourna son regard grisâtre vers l’assemblée qui mangeait et buvait plus bas, s’attardant vers le bar où s’abreuvait trois elfes au gabarit dominant. « Avant d’en pincer pour toi, je vois d’autres candidats plus propices que toi pour attirer les regards. » Elle en mit d’ailleurs un peu, ne décrochant pas son attention de l’un d’entre eux, pinçant les lèvres de manière presque gênée.

Dommage pour elle que son talent de comédienne soit si peu développé.

La malice est d’autant plus perceptible sur ton visage que l’œil de Kaëlistravaë se perd sur tes comparses au-dessous. Des soldats de l’armée royale, il est vrai que certains des Telc’ehtyari avaient une stature que ton éducation Daranovane ne peut qu’attester digne de leur place en tant que ligne de front, et si elle est digne du front, c’est qu’elle est plus massive que la tienne. Tu pourrais malgré tout argumenter comme quoi ta silhouette est plus travaillée, plus finement taillée, plus harmonieuse… parce que là où eux n’ont certainement travaillé leur corps que comme un outil, il faut bien avouer que si tu considères aussi le tien comme tel, voilà quelques siècles que l’esthétisme t’est aussi de grande valeur. Mais le but de ton discours original n’était de toute façon pas là.

- Loin de moi l’idée de m’attribuer les faveurs de notre hôte de ce soir. C’est clairement toi qui as attiré son attention. Je pense juste que si j’avais été moins imposant, il ne se serait probablement pas soucié de ma réaction, et du coup pas senti obligé de me faire profiter de l’éloge.

Tu serres légèrement la main de Kaëlistravaë, ramenant son regard à ton visage. C’est dans ce genre d’instants que la confiance que tu mettais en elle… et en toi-même, prenait tout son sens. Sans aller jusqu’à dire que voir son attention s’accrocher sur autrui te laisse impassible, tu es loin de te sentir menacé pour autant. Après tout, votre relation est bien plus profonde qu’un simple fantasme superficiel, dont les seules fondations seraient le culte voué à vos apparences réciproques. Vous vous êtes accrochés l’un à l’autre à une époque où ta vie dépendait d’elle. Elle a été la gardienne de tes plus terribles secrets. Elle t’a vu au plus bas. Elle a entendu les confessions que tu fis autrefois sur ce qui aurait pu être ton lit de mort. Elle sait presque tout de toi, et ce qu’elle ne sait pas, ce sont des choses que toi-même tu ignores. Vous vous êtes accrochés lorsque tu as réalisé, après qu’elle t’ait relevé, que tu aurais besoin d’elle comme béquille pour le restant de tes jours ; lorsque tu as réalisé que ce n’était pas que la proximité du Royaume de Tari qui te rendait dépendant d’elle. Vous vous êtes accrochés lorsqu’elle t’a réappris ce qu’était la douceur.
Alors non, tu ne te sens pas menacé le moins du monde par un regard perdu au détour d’une innocente plaisanterie. Ce qui ne t’empêcherait pas de contrattaquer, là où tu sais être l’un de ses points sensibles. Si elle avait oublié à quel point espiègle tu étais capable de te montrer, alors elle n’était pas au bout de ses peines.

- Mais quitte à faire le jeu des comparaisons, ceux-là ont peut-être l'air bien glorieux vu comme ça, seulement... tu te penches en avant, approchant au maximum tes lèvres de son oreille pour lui confier dans un sulfureux murmure ...quelle que soit la milice, tu auras du mal à trouver un elfe mieux armé que moi.

Tu te recules, aussi lentement que tu t’étais approché, profitant presque cruellement de la vison des joues rosies de ta fiancée. C’est un coup sous la ceinture, et tu le conçois, d’un certain manque de distinction ; ce n’en est pas moins une vérité, une que tu prends plaisir coupable à tourner à ton avantage sachant qu’elle t’aura valu son pesant de grassouillettes railleries durant la période sensible que sont les temps de l’adolescence.  

- On en reparlera plus tard si tu veux.

Tu conclues ainsi, le visage brillant autant de satisfaction que de contrefaite innocence, le jeu de provocation. Ici n’était lieu propice ni à trop en dire, ni à trop en faire. Heureusement de grâce, vos repas vous furent servis à temps pour à la fois alléger l’atmosphère et vous offrir nouvelle source de dialogue. De rapides mais sincères remerciements à celui qui vous apporta la nourriture, et te voilà humant à plein nez les vapeurs s’échappant de la soupe fumante te servant d’entrée. Si tu pouvais faire ne serait-ce qu’un minimum faire confiance aux effluves alors le goût serait…

- Bon appétit Tigilidënya.

Et à te voir qui te connaît comprendra que le goût est plus qu’à la hauteur de tes attentes.

Lumineuse, l’œil brillant d’amusement, elle décida ne pas donner suite à ce commentaire salace. Sans doute avait-elle quelques indices d’où pourrait mener ce genre de joute verbale, ce genre de rixe salée et par souventefois mouvementée, incitait d’ordre général les deux adversaires à ne jamais flancher. Or, elle avait faim. Non pas de victoire, mais plutôt que l’assiette posée devant elle lui faisait de l’œil depuis trop longtemps et qu’elle se devait d’y mettre un terme. Elle ferait donc taire les gargouillements de ses intestins par le fait même, ce qui n’était pas dommage!

Aussi surprenant que cela put paraître, le souper se déroula promptement. Dans un silence pieux –preuve irréfutable de l’excellence du repas-, ni l’un ni l’autre ne laissa la moindre miette dans leur assiette … Au grand damne d’Artion qui à en voir les curieux regards qu’il jeta innocemment sur la gamelle de sa fiancée, rêvait probablement d’y goûter. Francherepus, les deux poussèrent leurs couverts devant eux afin de signifier que l’heure du mangé s’était pour eux achevé. Kaelis sembla un iota plus détendue. Rassasiée, on pouvait y lire en ses yeux argentés la joie qui y habitait. Ces nouvelles trouvailles et découvertes y étaient pour quelque chose. Peut-être était-ce le fait de sortir de sa routine, de son confort, elle n’en savait rien. En revanche, ce qu’elle devina, c’est que son compagnon attendait avec une impatience démesurée, l’arrivée de son dessert! À croire que l’ogre n’avait pas mangé depuis une ennéade. « Cesse de chercher nos hôtes du regard, il arrivera bientôt! » Réprima Kaeiis à son soldat, sans toutefois maquiller son sourire sous la pesanteur du reproche.

Pas un mot ne s’échappa durant votre repas, témoignage comme il n’en existait pas de plus sincère d’à quel point délectables étaient les mets qu’il vous fut offert de déguster. Elle arriva bien trop vite d’ailleurs, la dernière bouchée, pour toi comme pour ta fiancée, qui à ton grand malheur, prit bien soin d’en faire une finalité. Plus de quoi satisfaire ta gourmandise à cette table, car c’est bien de gourmandise qu’il est question. Ici goûtu et copieux n’étant pas antonymes, tu mentiras si tu ne t’avouais pas rassasié, et lorgnant les déplacements des serveurs par simple envie de goûter aux différents plats fumant leurs arômes sur leur chemin vers leurs commanditaires.

- J’ai vraiment l’air à ce point désespéré ? Tu soupires. Le sourire de Kaëlis, pour tout léger qu’il puisse être, en disait long sur à quel point enfantine pouvait paraître ton attitude. Tu m’accorderas que s’il est moitié digne du plat de résistance, le dessert vaut bien de s’impatienter un peu. Tu sais que j’ai toujours eu un faible pour les sucreries.

Pas assez heureusement pour en devenir égoïste. La part de gâteau aux fruits et au miel qui aurait dû seulement être la tienne en fit aisément deux, et tu dois dire que si Kaëlistravaë pensait pouvoir se passer du service venant après sa salade de crustacés, l’étrangement envoûtant mélange entre les restes des sauces ayant accompagné les chairs animales et les liqueurs de fruit lui feraient peut-être revoir pour la prochaine fois sa tendance à refuser le dessert.

Lorsque votre dernière rencontre avec le jeune serveur vint finalement marquer l’heure de quitter les lieux, c’est une pluie de compliments, et de compliments mérités qui décora vos au-revoirs. Probablement les chefs entendraient-ils à nouveau parler de vous dans un futur proche. Si tu avais déjà idée de qui réaliserait la tenue que tu porterais pour votre grand jour, de qui jouerait la musique qui marquerait ce moment dans ta mémoire pour le restant de l’éternité, et maintenant d’où auraient lieu les festivités ; le visage du cuisinier qui régalerait vos invités t’étais maintenant un peu moins mystérieux. Mais assez de faire de cet événement une psychose, l’heure est à la détente.

- N’allez pas croire, ma chère et tendre, qu’ici se terminent mes plans pour cette soirée. Tu souffles avec une mine taquine, faisant plus de manières que de nécessaire Si vous voulez bien vous donner la peine de me suivre…

Tu offres ton bras à ta dulcinée, et ton visage s’illumine à peine s’en est-elle saisi. L’Amphithéâtre n’est pas bien loin, et c’est là que tu la mènes. Elle qui depuis qu’elle occupe à plein temps la fonction de Main Droite a comparativement à dans ses jeunes années si peu de temps à consacrer à la magie, tu lui proposes de replonger dans ce formidable univers à travers quelques heures d’un ballet merveilleux. L’eau, le vent, le feu, l’ombre et la lumière se mêlent à un cortège d’illusions au rythme des pas des danseurs dans une chorégraphie comme en a le secret le peuple de l’Anaëh.

- Parfois je regrette que notre magie soit si peu visuelle.

Tu confies entre deux tours d’un ruban de neige cristallisée. Si les arcanes de la Vie étaient d’une puissance formidable et l’une des pierres angulaires de la médecine elfique, la lumière de Vie est bien peu propice à ce genre de démonstrations visuelles. Mais après tout, à chaque domaine ses avantages. Quoi que tu puisses en dire, avoir le plaisir d’observer tes frères dans l’exercice de leur art t’était bien suffisant. Ton ventre contre son dos et tes bras passant par-dessous les siens pour croiser les mains contre son abdomen, tu lui offrais te trouver appui contre ta poitrine, espérant qu’elle partage avec toi, l’intense fascination du moment.