Suzerain de fer l'emporte sur la vassale de paille | Aymeric de Brochant.

18ème journée de Karfias, an 9 du 11ème cycle.

Deux longues ennéades de festivités. Des ragots, des murmures, des rumeurs, des coups d’éclats, des rires et des pleurs et même des échanges politiques. Serramire avait fait mouche avec ses jours fastes. Le tournoi avait eu un énorme succès vu le nombre de chevaliers ayant fait le déplacement, sans compter la foule, en nombre. Un vainqueur, qui semblait regretter de ne pas être le vaincu, et un perdant qui fut néanmoins récompensée généreusement.

Le Palais Seraphin était devenu une vrai fourmilière avec en son centre ; La Reine… ou plutôt, le Marquis. Grand maestro de cet orchestre qu’était la tripotée de nobles avec leur cours. Aucun incident n’eut à être déplorée… Enfin, aucun, c’était vite dit. La Dame de Lourmel s’était largement fait remarquer durant ses dix-huit journées. Au point de ne plus passer inaperçu. Considérée comme maladroite lorsqu’elle tombait dans la boue ou encore lorsqu’elle entrainait d’autres nobles dans le lac. Ignorante lorsqu’elle n’arrivait pas à reconnaître les personnes avec qui elle parlait. Folle lorsqu’elle sortait de ses appartement en pleurant de rage. Oui, ce palais avait accueilli de l’animation et en partie grâce aux conneries de la blonde. Mais que voulez-vous. A chaque cour son bouffon. Et ici, la bouffonne n’était autre que Maélyne.

Assise sur un des nombreux bancs que comptait le jardin, la Dame prenait l’air. Normalement déjà en route pour Lourmel, elle avait subitement changée d’avis. Sans doute la confrontation avec le meurtrier de sa fille lui faisait plus peur qu’elle ne le pensait. Retourner à un endroit où elle avait été trahie, enlevée, assassinée ne lui procurait rien d’autre qu’une certaine appréhension. Des nobles passaient tranquillement devant elle sans lui adresser ne serait-ce qu’une once de politesse. Mais au fond, être invisible lui convenait plutôt bien vu tous les regards qui s’étaient portés sur elle durant ces deux ennéades.

Parée de bordeaux et de blanc, couleurs de deuil, la Dame avait le visage figé et son regard teint du bleu pâle si typique aux Lourmellois ne faisait que fixer le paysage comme perdu dans un vide sans fond. Ses pensées étaient nombreuses, tant de questions sans réponses, tant d’interrogations sans solutions. Maélyne semblait comme déconnectée de la réalité qui l’entourait, au point de ne même pas remarquer la présence de son suzerain à ses côtés.

Maélyne sursauta légèrement lorsqu’elle se rendit compte qu’on était en train de lui adresser la parole. Tient donc, voilà notre bon vieux Marquis et son toutou de garde qui n’était autre que son frère. Quelle... hum, malheureuse surprise.  Ne pouvaient-ils donc point passer leurs chemins tout comme ces autres culs-poudrés ? Bien-sûr que non. Il fallait qu’il se fasse bien voir. Lui qui ne réagit que maintenant, alors que les faits se sont déroulés il y a de cela quasiment trois ennéades. Mais que voulez-vous, l’organisation de pareilles festivités méritaient plus son attention que celle d’une vassale sur le point d’être renversée et assassinée.  Sa cote n’était déjà pas très élevée, mais là, il venait de chuter en flèche.

« Votre Excellence... Messire... » Dit-elle poliment alors qu’elle s’était levée pour offrir une révérence aux deux hommes.  

« Vous mots me touchent Votre Excellence. » -ou pas. Enfin, non, surement pas en fait.-

« Je vous remercie d’ainsi vous soucier des malheurs qu’a connu Lourmel. » Que dire de plus ? Elle n’avait pas envie de parler, mais il fallait bien face à Môsieur le Marquis.

« Me permettrez-vous de vous accompagner quelques instants durant votre balade ? » Une demande soumise alors qu’elle avait déjà posé un pas devant l’autre, invitant d’un simple geste son beau et noble suzerain à la suivre.

« Je comptes bien punir ces traitres comme il se doit. Le meurtre n’est point permis à Lourmel, ni même la trahison d’ailleurs. Les coupables seront donc punis publiquement. » Elle fit une légère pause puis reprit. « Mais permettez-moi de satisfaire ma curiosité. Vous disiez que j’étais le centre de votre conversation, parliez-vous justement des faits qui ont eu lieu à Lourmel il y a de cela trois ennéades ? » Marchant à ses côtés, elle avait tenu une bonne distance avec le Marquis. Assez pour ne point gêner son espace intime mais suffisante pour toutefois entreprendre une discussion.

« Je ne vous le fait pas dire. » Répliqua-t-elle aussi tôt qu’il parla des malheurs qui s’abattaient sans cesse sur elle. Même si la perte de sa mère fut un soulagement, aussi bien pour Maélyne que pour le pays entier vu qu’après sa mort, plus rien ne l’empêchait de laisser sa place, elle qui était incapable à l’époque de tenir un fief correctement, alors tout un marquisat…

La mort de sa sœur l’avait quant à elle beaucoup plus affectée. Sans doute au vu qu’il s’agissait d’un assassinat. Un empoisonnement commis par des traitres à ce jour châtié mais le souvenir restait intacte. Même en changeant le nom de sa fille, abandonnant ainsi sa lignée « de Bastylle », Maélyne ne cessa de voir ces traitres à chaque regard posée sur la petite tête blonde.

Aline était son unique enfant né, l’unique personne qui a toujours cru en elle. Sa perte est une épreuve douloureuse que Maélyne était encore en train de combattre.

« L’on raconte que la vengeance d’une femme est plus terrible que celle de l’homme. Plus lente, plus persistante, beaucoup plus douloureuse. » Maélyne s’arrêta pendant qu’elle parlait sur un ton assez lent tout en utilisant un ton de voix plus grave qu’à son habitude. « Je compte bien prouver la véracité de ces dires. Ceux qui se sont permit de s’en prendre à une innocente enfant le paieront. »

Puis, un sourire apparu sur son visage, un léger, mais suffisant pour apaiser la soudaine lourdeur de la conversation. « Messire de Clairssac est un brave homme. » La Dame reprit la marche, aussi tranquillement qu’elle avait commencée. « J’espère que vous avez raison, qu’il saura contrecarrer la malédiction dont je suis victime. Mais cessons donc de parler de mes malheurs voulez-vous? Ces festivités ont été d'une réussite exemplaire. L'on parlera de vous et de Serramire jusqu'au plus lointain petit village suderon. »