Bonnes ou mauvaises surprises ? [Halie/Fen]

La porte des appartements de Fenris s'ouvrit. Eölir entra et découvrit une pièce vide. Il avait frappé à plusieurs reprises mais était resté sans réponse. Il n'avait trouvé son fils nulle part sur leur domaine et espérait le voir dans cette partie de leur demeure qui lui était réservée. Il appela son enfant mais n'obtint que le silence en retour. Il acheva de pénétrer dans la pièce et ferma la porte derrière lui. Il explora chaque pièce. La première chambre, la seconde... Passant devant la porte fenêtre, il vérifia la terrasse et le pan de plage qui était visible depuis là où il se tenait... Rien. Dans le bureau peut-être ? Ce ne serait pas la première fois que, plongé dans l'une de ses lectures, Fenris ne l'aurait pas entendu.
Il ouvrit la porte en grand, provoquant par là-même un violent courant d'air qui fit s'envoler quelques papiers du bureau et ouvrir quelques livres. Une des fenêtres était restée ouverte. Avec l'appel d'air de la porte fenêtre que le cavalier fermait rarement, l'effet avait été sans appel.

Eölir grommela et alla fermer la fenêtre avant de se retourner vers la pièce. Quelle pagaille cela avait mis... Il posa sa canne contre un fauteuil et commença à ramasser ce qui était à sa portée. C'était en grande partie des feuilles vierges. Certaines contenaient parfois quelques notes qui allaient avec un des ouvrages posés sur le bureau au lieu d'être rangé sur l'une des bibliothèques qui recouvraient presque tous les murs de la pièce. Une brève lecture lui permettrait de les associer au bon tome. Fenris n'avait que deux ou trois lectures en cours, rien à voir avec la période où il avait le temps de s’abreuver de tout le savoir qui lui était disponible. Il commença donc par cela avant de simplement refaire un tas des parchemins vierges.
Soulevant une énième page, il découvrit ce qu'il identifia aussitôt comme étant l'un des carnets que son fils conservait en permanence sur lui. Il était ouvert, face vers le sol. Eölir le prit et le retourna, pensant trouver des notes et croquis de son garçon sur quelques observations qu'il avait faite lors de ses voyages. Mais ce qu'il y découvrit était bien loin de ce à quoi il s'attendait... Et son garçon n'en était plus un... C'était un homme. Les traits n'étaient pas tracés de sa main mais qui se serait permis de le dessiner ainsi avec sa compagne dans son propre carnet ? Et dans une telle posture ?

Si Melian et lui avaient eu des soupçons, cela venait de se transformer en certitude.

Eölir reposa le tout sur le bureau, reprit sa canne et s'en alla. Lorsqu'il rentra de sa sortie en forêt avec Halyalindë, Fenris remarqua bien vite que son bureau n'était pas rangé de la même manière que lorsqu'il était parti et la fenêtre était fermé. Il comprit sans mal ce qu'il s'était passé et remercia son visiteur quel qu'il soit (un serviteur peut-être ?) d'avoir pris soin de tout remettre à sa place. Il oublia bien vite l'incident, contrairement à la personne qui avait tenu son carnet entre les mains...

Beraïlin était aussi gai qu'à son habitude. Elle rangeait et nettoyait en chantonnant un petit air qu'elle avait dans la tête depuis la veille. Elle avait eu à faire dans les appartements de Fenris et il avait joué de la vielle pour lui faire passer le temps tandis qu'elle travaillait. Depuis, la chanson ne l'avait pas quittée. Elle s'était endormie et réveillée avec. Cela n'avait rien de désagréable cependant.  Ce n'était pas comme l'une de ces musiques dont on ne parvient jamais à se débarrasser et qui vous irrite à la longue. Non, c'était un beau morceau plein de poésie et d'emphase. Elle ne l'interprétait peut-être pas à sa juste valeur mais c'était comme si elle entendait à nouveau les notes. C'était ce qu'il y avait de plus important.

La porte de la chambre s'ouvrit, la tirant soudainement de ses songes. Surprise, elle sursauta et se retourna en même temps.  Une main sur le cœur, elle essaya de s'apaiser toute seule. Ce n'était que la Protectrice après tout...

-Heri ? Oh... Vous m'avez fait peur. Vous êtes revenue ici, la force de l'habitude je suppose ? Lui demanda-t-elle avec un sourire.

Sa question n'attendait pas de réponse et elle se remit à l'ouvrage. La pièce était d'une propreté parfaite. Trop parfaite même...  Il n'y avait plus aucune trace de ce que la dame avait apporté. Son armure n'était plus sur le valet qui avait lui aussi disparu.  Sur le bureau, il n'y avait plus ni plume, ni encrier, ni parchemin. L'armoire, légèrement entrouverte, était vide. Le lit n'avait plus aucun drap et Beraïlin achevait de le recouvrir d'un grand tissu visant à le protéger de la poussière. D'autres petits meubles étaient également recouverts et une pile de linge attendait patiemment sur l'un d'eux de remplir son office sur le mobilier restant. Une caisse près de la porte comportait tout le nécessaire de toilette qui appartenait aux maîtres des lieux et que la servante allait remporter avec elle. Bientôt, la chambre serait prête à entrer dans un long sommeil en attendant qu'un nouveau visiteur ne se présente pour la faire vivre quelques ennéades de plus.

La journée avait commencée exactement comme toutes celles qui ne commençaient pas avec le contact de Fenris : avec une difficile sortie des draps bien avant que le soleil ne se lève. Le matin, après des nuits écourtées par le silence qui régnait dans sa chambre, la routine prenait le pas sur toute action évoluée ou réfléchie. Échauffement. Mise en jambe. Étirements. Ablutions. Habillage. En suite, elle devait réellement allumer l’intégralité de ses cellules nerveuses pour trouver la suite. La veille et l'avant-veille, après quelques notes ou croquis, elle avait prit un repas des plus rapides, seul Eölir étant présent par un mystérieux concours de circonstance. Elle n'avait pas l'appétit suffisant pour leur infliger ça à tout deux plus que nécessaire mais elle allait pourtant retenter l'expérience une fois encore. De toute façon elle ne pouvait pas arrêter de vivre par peur de croiser la mauvaise personne au mauvais moment. Et comme pour récompenser sa persévérance, elle n'eut pas à déjeuner en tête à tête avec le père de famille une fois de plus.

Quelques instants à peine après son arrivée dans le salon, Fenris passait la porte à son tour, amenant un peu de légèreté à l'endroit silencieux. Les repas étaient toujours aussi ridiculement tendus mais le premier de la journée restait de loin le plus supportable. Moins formel sans doute. Halya faisait semblant de ne pas prêter attention aux simagrées des deux parents de son compagnon de toute façon. Aimable quand on lui adressait la parole, elle ignorait avec indifférence le ton accusateur et froid de Mélian, retrouvant ces petits réflexes de défenses qu'elle désapprenait lentement depuis que Fenris était entré dans sa vie et qui avait déjà faillit lui coûter une fois leur histoire. Quand elle était enfant, ce genre de comportement était monnaie courante. Si elle s'était retrouvée couverte de bleu et de bosses pour n'avoir su qu'utiliser que ses poings au lieu de sa parole, son père avait veillé à ce que cela ne se reproduise pas souvent et cela ne l'empêchait pas de garder d'excellents souvenir de son enfance. De là sûrement venait son habitude de ne rien dire de ce qui était réellement important. Convaincre les autres étaient bien moins important que garder ses certitudes pour soi... Et cela lui avait joué bien des mauvais tours depuis son ascension au grade de Commandant d'Ardamir. Mais pour l'heure, cela lui était plutôt utile car cela la rendait aussi têtue que ses hôtes... bien qu'elle essaie de ne jamais perdre de vu Fenris dans l'équation.

Ce matin là, ils discutaient avec mesure de la journée qui allait venir lorsque l'Ardamirie proposa de quoi occuper leur matinée. Elle avait une lettre à envoyer à sa famille et ne comptait pas refuser l'aide d'un natif de Maelerg pour l'aider à trouver un fauconnier qui puisse remplir cette office autrement qu'en passant par les convois officiels de Palais en Palais. Une chose en entraînant une autre - et l'idée de rentrée pour le repas de la mi-journée n'étant pas l'argument le plus saisissant pour les faire rentrer plus tôt - ils restèrent même dehors, profitant de la ville et des places qu'Halya apprenait à apprécier malgré le manque d'altitude de la Cité.

Ce ne fut finalement qu'en milieu d'après-midi et après avoir croiser une vieille connaissance de Fenris qu'ils regagnèrent la demeure des Nöldorion, l'un avec un nouveau livre, l'autre avec une paire de fusains et une gomme en mie de pain. Se doutant qu'il lui tardait de se plonger dans sa nouvelle acquisition, Halya lui proposa de prendre ses aises pendant qu'elle regagnait seule sa chambre pour y déposer ses dernières trouvailles. Quelle ne fut pas sa surprise en poussant la porte...

Ou plutôt, quelles ne furent pas ses surprises. La première fut de voir Beraïlin faire un bond, ce qui la fit elle-même sursauté. Les deux femmes échangèrent un sourire en se rendant compte de la disproportion de leur réaction et Halya aurait aimé que ce soit tout. Mais non.

Ni drap. Ni meuble d'appoint. Ni effets personnels... Sur le pas de la porte, Halya resta un moment interdite. Elle s'était trompé ? N'avait pas pris au bon embranchement ? La demeure n'était pas si grande tout de même... Mais la remarque de la jeune femme lui laissa pensé qu'elle était bien au bon endroit... Enfin au bon endroit...

« Beraïlin... Je peux savoir ou sont passées mes affaires ? »

A l'écoute de son nom, Beraïlin s'était retournée, toujours aussi souriante qu'à son habitude, ne se doutant pas une seule seconde qu'Halyalindë n'était pas au fait de ce changement. Elle resta donc interdite devant sa question. Comment pouvait-elle ne pas être au courant ? Puis, son esprit sembla s'illuminer.

-Oh...

A son air éclairé se succéda un visage contrit. Elle comprenait à présent ce qu'il se tramait et avait bien peur d'avoir gâché la surprise. Bien... Comment allait-elle se tirer de ce mauvais pas ? Elle ne voulait pas que tout soit raté par sa faute.

-Eh bien... Elles sont... Dans vos nouveaux appartements.

Non, elle pouvait faire mieux. Tout en gardant encore un peu de suspens.

-Vous voyez les appartements de Fenris ? Pour entrer dans sa chambre, c'est la porte en face...

Allez, elle y était presque.

-Il y a une autre porte sur la droite que les gens ignorent souvent... C'est là.

Beraïlin lui sourit. C'était une petite surprise. Une bonne, à n'en pas douter. Il y avait simplement eu un petit couac dans l'organisation... Elle avait fait le ménage dans la seconde chambre des appartements du Tel'sorn la veille mais ce dernier ignorait encore quand les affaires de la Dame seraient déménagées. Leur sortie pour la journée avait offert un créneau disponible que les serviteurs s'étaient empressés d'utiliser. Manque de chance, Fenris n'était pas au courant et l'effet n'était sans doute pas celui qu'il escomptait obtenir au premier abord...
La jeune servante ajouta d'un air désolé.

-Je suis sûre que ce n'était pas ainsi que Fenris voyait les choses. Veuillez excuser ce problème d'organisation.

" Quels nouveaux appartements ? " Halya était de plus en plus tendue. Sa voix n'était pas montée, sachant que quoi qu'il se passe, Beraïlin n'en était absolument pas responsable, mais son timbre était monté dans les aiguës. A ce moment précis, beaucoup de choses étaient passées dans sa tête. De la grange au placard à balais en passant par les combles et l'écurie. Dieux ! Qu'est-ce qui allait lui tomber sur le coin du nez ?! La gorge serrée et le dos raide, elle avait attendue que les hésitations de la jeune femme prennent sens... Puis était restée interdite.

Un bon moment.

Finalement un sourire extatique fendit le visage de l'Ardamirie de part en part. Elle prit une grande inspiration, comme pour faire une déclaration importante et se rendit compte en cours de route qu'elle n'avait pas les mots. Son expiration se transforma donc en rire, toute tension envolée. Ses doigts passèrent sur son front pour remettre derrière son oreille une mèche qui n'existait pas resta bloquée quelques temps au creux de sa mâchoire tandis que la jeune femme s'excusait pour un problème d'organisation dont Halya se moquait éperdument.

Contre toutes les attentes de la servante, Halya combla les deux pas qui les séparaient pour l'étreindre un bref instant. " Vous êtes toute pardonnée ! " La main de la protectrice qui n'était pas encombrée par ses achats serra chaleureusement celle de son interlocutrice alors qu'elle reculait, ajoutant avec emphase. " Mais je vous en prie, ne me faites plus de telles frayeurs. " Puis elle s'excusa aussi rapidement que poliment, abandonné ses achats et fit demi-tour pour prendre le chemin que Fenris avait pris un peu plus tôt puis se laissa simplement guidé par ses pieds, troquant les sautillements qu'elle aurait put effectuer pour une marche exagérément lente durant laquelle elle se laissa allé à profiter de l'environnement magnifique qui lui faisait de l’œil. Qu'importe ce qu'elle pouvait penser de ses habitants, la demeure était réellement magnifique et le doux soleil d'automne caressait ses paupières avec douceur lorsqu'elle levait son visage vers le ciel.

Alors Fenris avait voulu lui faire cette surprise... Elle lui aurait bien rendu la pareille tien. Ou joué un petit tour pendable... Mais comment ? Lui faire croire qu'elle voulait quitter la demeure ? Dans les circonstances actuelles cela aurait frôlé la cruauté c'était hors de question. Alors quoi... ? Quelques autres idées germèrent. Peu concluantes. A croire qu'elle ferait tout aussi bien d'oublier cet épisode pour voir comment il avait prévu de le lui annoncer. Elle était curieuse de voir ça également.

Un pas après l'autre, elle avait fini par se retrouver aux abords de la chambre de Fenris. Elle avait croisé son père sur le chemin et l'avait salué avec respect sans échangé un mot de plus que nécessaire. Cela n'avait même pas réussi à entamer son humeur. Comme d'habitude, elle était passé par la plage, contournant le pavillon pour remonter par la terrasse au lieu de se présenter à la porte. Le voyant plongé dans sa lecture, elle se fit la plus silencieuse possible pour se glisser derrière lui et passer ses bras autour de son cou. Le sourire aux lèvres, elle posa un baiser au coin de sa mâchoire et laissa son menton sur son épaule, tournant le regard vers la page en cours.

" Alors ? Aussi intéressant que prévu ? "

Le comportement d’Halyalindë en surpris plus d’un… A commencer par Beraïlin, bien sûr. Lorsque la Protectrice la prit dans ses bras, elle resta coite durant quelques instants. Elle ne s’attendait pas à cette réaction de la part de la Dame. Elle savait sa relation avec Fenris mal accueillie par les parents de ce dernier mais n’imaginait pas à quel point. Elle-même appréciait le couple Nöldorion autant qu’elle le craignait, même s’ils n’avaient aucun raison de s’en prendre à elle. Il était impressionnant de travailler pour des personnes aussi influentes et renommées qui, de surcroît, se montraient des plus distants. La jeune servante pensait que la famille continuait simplement de protéger son petit dernier, comme à leur habitude, ne sachant pas que sa compagne était purement et simplement désavouée comme telle…
Lorsque l’étreinte se défit, Beraïlin sourit à la Protectrice, ravie de constater que la surprise avait tout de même produit son petit effet. Puis elle la laissa s’en aller, la suivant du regard pour la voir disparaître dans les allées du domaine.

Ce fut ensuite à Eölir d’être plus que surpris et de se montrer même suspicieux quant à l’attitude de la Dame d’Ardamir. Elle le salua avec emphase avant de repartir sans que son humeur n’ait été altérée par leur rencontre. Qu’est-ce qui pouvait bien la rendre si enjouée qu’elle en oubliait sa désapprobation concernant sa relation avec son fils ? Il l’aurait bien suivie pour savoir où elle se rendait mais cela lui était malheureusement impossible. Il avait déjà grand peine à progresser à la même allure qu’une personne marchant normalement, alors quelqu’un avançant avec une telle énergie… Il dut donc se résoudre à rester là à la suivre des yeux tandis qu’elle s’éloignait pour il ne savait où. Il n’aurait pas été surpris qu’elle aille retrouver Fenris mais cela n’expliquait pas son sourire joyeux…

De son côté, Fenris avait déjà plus que largement entamé la lecture de l’un de ses ouvrages glanés pendant leurs petites emplettes. Il n’était d’ailleurs pas encore assis que le livre était ouvert à la première page et que l’Aigle en avait parcouru les premières lignes. Il était assis dans un fauteuil devant le pan de mur vitré sur lequel se trouvait la porte fenêtre donnant sur la terrasse et la plage. Tournant à moitié le dos aux carreaux, il jouissait de l’éclairage parfait, les rayons du soleil du jour déclinant venant illuminer le texte qu’il dévorait sans que le temps n’ait plus d’emprise sur lui. Lorsqu’une paire de bras vint l‘enserrer, son dos se détacha du fauteuil dans un mouvement surprise qui passa aussitôt. Il sourit à Halie mais n’eut pas le temps de lui poser une question qu’elle entama les hostilités en la matière.

-En effet. Il a si bien éveillé mon intérêt que j’en ai oublié de récupérer de quoi prendre des notes. J’irais m’asseoir à mon bureau avant d’aller me coucher.

Il ferma le livre après avoir pris le temps de mémoriser le numéro de sa page. Il déposa ensuite l’ouvrage sur la table basse qui se trouvait près de lui tandis que son autre main venait saisir un lot de doigts se trouvant non loin de son cou.

-Je pensais que tu serais en train de jouir de tes propres trouvailles. Lui dit-il, surpris mais pas mécontent de la voir.

Ils avaient beau avoir passé la journée ensemble, il semblait que jamais il ne pourrait se lasser de sa présence. Ils n’aurait pas toujours la possibilité de voir l’autre autant qu’ils le désiraient, aussi profitait-il de chaque moment passer en compagnie de sa bien aimée comme un instant précieux à son cœur.

Bien que troublé dans sa lecture, il ne s'offusqua pas de l'intervention d'Halya, ce qui la fit sourire. Elle ne s'était pas vraiment attendu à une autre réaction, sans quoi elle n'aurait pas osé le prendre ainsi par surprise, mais bonne nouvelle ou non, elle était toujours surprise de constater à quel point la seule présence de l'Aigle lui était agréable, alors quand les choses étaient réciproques, c'était encore mieux... Et cela arrivait pour ainsi dire, tout le temps.

C'est vrai qu'il prenait souvent des notes, une drôle de lubie du point de vue de l'Ardamirie mais qui ne faisait pas moins parti des trop nombreux détails qu'elle trouvait attendrissant chez lui.

« J'étais parti pour le faire mais je me suis rendue compte qu'il me manquait les deux choses essentielles à ceux qui n'ont pas de talent : de l’inspiration et un modèle. »

Elle posa un second baiser sur sa joue avant de le libérer, se redressant pour faire le tour du fauteuil. Elle n'avait apporté avec elle ni papier ni fusain, bonjour la crédibilité... Observateur comme il était, elle doutait que cela lui échappe bien longtemps mais cela ne l'empêchait pas de faire preuve d'un aplomb parfait. Elle trouverait peut-être quelque chose à dire sur le tas. Les bras croisés, elle expliqua, faussement dépitée :

« Aller trouver Randil m'aurait pris deux heures au bas mot. L'océan ne suffisait pas. J'ai bien rencontré ton père dans les jardins mais il n'avait pas l'air particulièrement enthousiaste à l'idée... » se remémora-t-elle en fronçant le nez à l'image du visage qu'il aurait fait si elle s'était aventurée à lui demander quelque chose de ce genre. « Tu imagines le nombre de déception qu'il m'a fallu essuyer pour venir jusqu'ici. »

Fenris garda la main d'Halie dans la sienne autant que cela lui fut possible. Il écouta son histoire, d'abord amusé par l'idée qu'elle soit venue le rejoindre pour avoir un modèle, supposant qu'elle avait pensé à lui pour cela. Puis elle le libéra de son étreinte pour se placer devant lui et croiser les bras. L'observant un peu mieux, il plissa les yeux d'un air suspicieux. Comment comptait-elle dessiner sans support ni crayon ? Il ne l'interrompit pas pour autant et eut un léger rire à l'idée de voir sa compagne demander à son père de poser pour elle.

-Je ne suis pas sûr que tes dernières œuvres seraient à son goût. Lui rétorqua-t-il avec un sourire amusé.

Ils ne pouvaient pas changer ce que ses parents pensaient de leur relation alors autant en rire pour que la chose ne devienne pas insupportable. La situation pouvait encore s'envenimer mais craindre que cela n'arrive serait se faire deux fois plus de mal. Et puis, qui voudrait voir des dessins de son fils dans une telle posture ? Fenris, lui, les adoraient et l'idée de partir pour rejoindre le corps des Aigles avec ce souvenir de sa bien aimée lui donnait du baume au cœur. L'idée allégeait la douleur de leur séparation prochaine.
Mais la question n'était pas encore à l'ordre du jour. Pour l'heure, ils avaient un tout autre problème à régler. Halie était en train de lui mentir effrontément. Il doutait qu'elle espère vraiment qu'il croit une seule phrase de son discours alors où voulait-elle en venir ? Il avait beau chercher, il n'en avait aucune idée, ignorant encore que les serviteurs du domaine avaient été un peu trop efficaces... Cependant, il joua le jeu et se leva pour la prendre tendrement dans ses bras.

-J'imagine oui. Répondit-il le plus sincèrement du monde.

L'étreinte dura quelques instants puis il se détacha pour plonger ses yeux dans les siens. Il poursuivit sur le même ton.

-Comptes-tu dessiner sans ton matériel ? A moins que la plage ne te suffise pour une œuvre éphémère ?

Il avait encore en tête les contours de leurs corps imprimés dans le sable humide alors qu'ils venaient de sortir de l'eau pour s'allonger à la belle étoile. La fièvre les avait repris malgré l'heure tardive et leur bain de minuit. La nature avait gardé quelques traces de leur amour que la marée avait emporté avant l'aube. Une nuit magique et mémorable en tout point.
Fenris observa Halyalindë sans rien montrer de ses soupçons, attendant paisible et curieux de voir ce qu'elle comptait lui répondre.

«  Heureusement qu'il ne les verra jamais. Je n'arriverai plus à le regarder dans les yeux autrement. » réfléchit tout haut l'ex-militaire, sa bouche se tordant à l'idée de ce que le père de Fenris serait capable de lui faire s'il tombait sur le croquis qui maculait les dernières pages du journal de son fils. L'idée ne perdura pourtant pas, les bras de Fenris venant bien vite la chassée. Décidément... Mieux valait que les dessins qui pourraient lui venir à l'esprit d'ici leur départ reste connu de leurs seuls yeux.

Le cœur d'Halya se serra agréablement, comme à chaque geste de tendresse que son cavalier avait pour elle. Malgré les soucis qu'ils avaient avec les parents de ce dernier, elle aurait aimé que cette halte ne s'arrête jamais, surtout alors que planait au-dessus de leur tête une séparation qui durerait sûrement près de quatre ou cinq ennéades. Après le voyage qu'ils venaient de faire et l'intimité qu'ils partageaient, la perspective avait quelque chose de déroutant. Mais ils n'en étaient pas encore là et voir dans ses iris asymétriques le reflet des différentes explications que Fenris essayait de trouver à l'absence de fusain avait le don de faire momentanément oublié bien des désagrément à sa moitié... A moins que ce ne soit la surprise du jour qui continuait à faire effet ?

La solution qui finit par émergée n'eut pourtant rien à voir avec ce qu'Halya aurait pu attendre. Elle retint un rire au profit d'un froncement de sourcil amusé et accusateur.

- Heru Noldorion. Ces sous-entendus ne vous ressemble pas. J'ai décidément une très mauvaise influence sur vous...

En réalité, si, cela lui ressemblait parfaitement. Depuis leur rencontre, il avait ce sens de le formule qui déteignait parfois sur sa compagne sans qu'elle n'arrive à l'égaler, cet amour des mots qui lui permettait de souvent signifier plus qu'il n'en avait l'air. Cela avait commencer avec la discrète galanterie, puis l'humour léger dont il faisait preuve à Ardamir et pendant leur fuite face aux drows. Cela n'avait jamais cessé.

- J'adore ça.

Elle l'embrassa doucement, sans empressement, pour finir par souffler contre ses lèvres avec un sourire sincère, juste assez éloignée pour le regarder dans les yeux :

- Peut-être que commencer par laisser l'emprunte d'un pique-nique sur le sable au lieu de dîner dans la maison serait un bon début...

La question que Fenris avait posée resta sagement dans l'ombre des longs cils de la rouquine.

Halyalindë détourna habilement sa question et Fenris ne le lui fit pas remarquer, lui laissant cette victoire. En revanche, sa proposition de dîner sur le sable plutôt qu'en compagnie de ses parents fut accueillie par un sourire. Ce serait une parfaite manière de terminer cette journée à deux.

-Je m'en occupe. Fais comme chez toi en attendant.

Puis il se baissa pour déposer un baiser sur ses lèvres avant de relâcher son étreinte et de s'éloigner en direction de la porte. Il avait plusieurs petites choses à organiser pour cette soirée improvisée et ne voulait pas traîner. L'hiver se rapprochait et il voulait qu'ils puissent jouir encore de la chaleur des rayons du jour pendant le dîner avant d'être contraints de rentrer. Il savait à quel point Halie aimait l'air pur...


**************


Le soleil était couché et il faisait nuit noire. Seules les quelques bougies plantées à même le sable autour d'eux les éclairaient encore. Les grains de silice diffusaient lentement la chaleur qu'ils avaient emmagasinées toute la journée, si bien qu'elle traversait même la couverture sur laquelle ils étaient installés. Les plats étaient maladroitement empilés dans le panier tandis que les assiettes avaient été prestement mises de côté afin de faire de la place. Allongé sur le dos, Fenris accueillait sa bien aimée dans ses bras. Depuis un moment déjà, ils parlaient de tout et de rien, riaient en plaisantant ou en se charriant l'un et l'autre. La soirée était vraiment parfaite.
Au cours d'un moment de silence, quelque chose attira le regard du Tel'sorn. Une bougie venait de s'éteindre alors que plus rien ne dépassait du sable. L'heure devait être plus qu'avancée mais il n'avait pas vu le temps passer. Contrairement à ce qu'il pensait, le froid ne les avait pas contraints à rentrer. Etait-ce parce que la température avait moins chuté que les jours passés ou simplement parce qu'ils passaient un si bon moment qu'il n'en avait pas senti la morsure ? Il aurait eu peine à répondre.

Venait à présent la lourde question qu'ils posaient à la fin de chaque soirée qu'ils passaient ensemble.

-Veux-tu que je te raccompagne ?

Alors qu'il achevait sa phrase, il prit la résolution de s'enquérir de l'avancement de sa demande auprès des serviteurs dès le lendemain matin. Leur séparation quotidienne lui était désormais trop pesante et il lui tardait d'y mettre fin. Ils devraient se séparer bientôt, chacun ayant des obligations ou une mission personnelle à remplir. Il leur serait impossible de fixer une date de retour aussi préférait-il passer autant de temps que possible en compagnie de sa bien aimée jusqu'à ce que ce jour vienne.

Allongée sur le sable au creux de l'épaule de Fenris, Halya n'avait pas plus vu passer la soirée que son compagnon. Elle ne s'attendait même pas à ce qu'il accepte de rompre les sacro-saints diné en famille pour un repas en tête à tête lorsqu'elle lui avait posé la question. Peut-être aurait-elle du demander bien plus tôt ! En l'attendant, et sachant qu'il ne reviendrait pas avant une bonne dizaine de minute au bas mots, elle n'avait pas pu résister et était allé piquer une tête dans l'eau froide. Elle préférait décidément les lacs et les rivières mais l'océan avait toujours quelque chose de fascinant... et puis une grande étendue d'eau restait une grande étendue d'eau. Lorsqu'il avait refait son apparition, elle était rincée et rhabillée mais ses cheveux mouillés ne trompaient personne.

A présent toute trace de sa baignade était oubliée. Les doigts de la dame entremêlés à ceux de l'Aigle reposaient sur la poitrine de ce dernier. Son pouce caressait répétitivement ce qui passait à sa portée sans qu'elle n'y prête attention. La brise marine soulevait toujours un peu de sable rappeux et faisait frisonner leurs cheveux courts. Ni l'un ni l'autre n'y trouvait à redire. Dans le silence, alors qu'elle regardait les vagues s'écraser sur le rivage en goûtant leur son apaisant et régulier, le visage d'Halya était toujours fendu d'un sourire posé là par leurs derniers éclats de rires. Fenris aurait sûrement préféré regarder le ciel, mais l'étendue sans bord qui s'ouvrait au dessus de leurs têtes avait quelque chose d'aussi magnifique d'étourdissant. Puis son compagnon proposa de la raccompagner, la ramenant à des considérations pratiques. La découverte de l'état de sa chambre un peu plus tôt lui revint du même coup en mémoire.

" Et si je te répondais non ? " demanda-t-elle, taquine, en tournant la tête vers lui. " Et si j'ajoutais que je n'ai pas envie d'être raisonnable ce soir ? "

Elle n'avait pas bougé, restant tendrement contre lui, un demi sourire appuyant sa déclaration de sale gosse. Ne sachant pas qu'il ignorait lui-même l'état du pavillon dans lequel sa compagne dormait depuis leur arrivée, elle voulait voir quel genres d'arguments il allait trouver pour qu'elle accepte de le suivre sans faire tomber à l'eau la surprise dont il s'était donné la peine. Voilà qui collait tout à fait à la petite vengeance qu'elle avait essayé de trouver sur le chemin. Et elle était bien moins cruelle que douce, ce qui convenait tout à fait. Elle s'avança pour l'embrasser, appuyée sur un coude, avant d'ajouter dans un froncement de nez.

" A moins que tes parents aient encore l'habitude de venir te sortir du lit, bien sûr... "

Fenris écarta sa tête et regarda sa compagne. Il ne cachait pas vraiment sa surprise, fronçant légèrement ses sourcils. Bien sûr, il aurait pu mettre sa réponse sur le compte de sa personnalité impulsive et franche. Cependant, quelque chose lui disait qu'il y avait autre chose... Il avait l'impression qu'elle lui cachait quelque chose. Il le lisait dans son attitude, son sourire, le ton qu'elle empruntait...

-Tu es bien étrange ce soir. Tu viens en quête d'un modèle sans aucun matériel pour dessiner et maintenant tu réponds à une question toute simple avec un pointe de mystère que je ne m'explique pas.

Le Tel'sorn sondait sa compagne du regard. Tout ceci ne le dérangeait pas outre mesure mais il peinait à comprendre ce qui la rendait aussi secrète et espiègle à la fois. Depuis son arrivée inattendue dans sa chambre, il détectait sans mal cette gaieté qui l'habitait. Même l'évocation de son père qu'elle avait croisé en chemin ne semblait pas avoir entamer son enthousiasme. Elle ne s'était même pas soucier du fait que leur soirée en tête à tête provoquerait les regards désapprobateurs des aînés Nöldorion le lendemain. Il avait pourtant volontiers accepté, non mécontent d'échapper à cette ambiance pesante pour une journée entière. Mais, la simple perspective de vingt-quatre heures sans Eölir et Melian n'expliquait pas le comportement d'Halie.

-Ne te méprend pas, je suis ravi à l'idée de ne pas avoir à endurer ton départ ce soir, mais j'ai l'impression qu'il y a une chose que tu ne me dis pas... Et je ne parviens pas à mettre le doigt dessus.

Il était le plus sincère du monde. Dormir avec elle était ce qui pouvait lui arriver de mieux depuis le début de leur séjour. Il se sentait pleinement serein lorsqu'elle se trouvait près de lui. Comme si, sans elle, il lui aurait manqué une partie de lui-même. Seulement sa curiosité l'empêchait de simplement se satisfaire de ce projet alors qu'il savait que cela cachait autre chose...

Alors comme ça, il persistait... Halya soutint son regard en silence, toujours en surplomb à un souffle de son visage. Comme s'il ne savait pas pourquoi elle était d'aussi bonne humeur!

Mais de secondes en seconde, son visage se fit moins espiègle. Éventuellement, elle passa même sur une certaine surprise avant d'afficher une sincère incrédulité qui s'intercalait de brèves plages de suspicion. Il ne pouvait pas ignorer ce qui se tramait. il en avait donné l'ordre lui-même. Comment aurait-il put? Il la faisait forcément marcher. Mais il avait l'air réellement curieux. Elle connaissait trop bien son visage pour pouvoir en douter à présent.

La pièce finit par tomber.

" Tu n'en a vraiment pas la moindre idée... " constata-t-elle. Elle secoua la tête, détournant un instant le regard en soufflant l'éclat de rire qui lui hantait la gorge. C'était presque trop beau. Roulant sur la hanche, elle se redressa et épousseta ses pieds pour pouvoir les glisser dans la chaussures basses qu'elle avait fini par préféré à ses bottes tant qu'ils ne sortaient pas de l'immense périmètre de la demeure. Elle attendit d'être debout sur le bord du drap qui les avait protéger du sable pour se tourner une nouvelle fois vers Fenris, les mains jointes dans son dos. " Et bien raccompagne moi, j'ai quelque chose à te montrer. Quelques minutes de mystères en plus ne devraient pas te tuer. "

Lorsqu'il fut debout, elle attendit de voir dans quelle direction il partait, prête à rester planter à l'endroit exacte où elle était s'il prenait le chemin de la plage pour la raccompagner au pavillon.

Fenris plissa très brièvement les yeux. A priori, il était censé être au courant de quelque chose et elle était stupéfaite de constater que ce n'était pas le cas. A quoi s'attendait-elle exactement ? Il avait beau réfléchir, il ne voyait pas. Il lui préparait bien une surprise mais il aurait été prévenu au préalable. A moins que quelqu'un ait vendu la mèche ?... Peu de chances.

Sans chercher à réfléchir d'avantage, il se leva à la suite d'Halie après que celle-ci lui ait demandé de la raccompagner. Il lui prit la main et se retourna pour se diriger vers la plage. Il n'avait pas fait deux pas qu'il s'arrêta. Au vu de la tension sur son bras, il était clair que sa compagne ne le suivait pas. Il la regarda, interloqué et de plus en plus suspicieux. Elle lui indiqua la bonne direction et il la suivit du regard pour découvrir le bâtiment qui abritait ses appartements. Il se tourna à nouveau vers elle et tenta de lire dans son regard. Voulait-elle passer la nuit avec lui ? Oui, mais ce n'était pas uniquement cela. Était-il possible que...
Dans le doute, Fenris tandis un bras, invitant sa bien aimée à ouvrir la marche dans la direction qu'elle lui avait montré. Il ne voulait pas prendre le risque de la mener droit vers ce qu'il lui préparait si d'aventure il s'avérait qu'elle n'était pas au courant en réalité. Halie se prit au jeu et s'avança vers la terrasse tandis que son compagnon la suivait avec un demi pas de retard. Elle entra dans sa chambre et la traversa pour se rendre jusqu'à sa porte. Elle l'ouvrit, la dépassa, mais au lieu d'emprunter le chemin qu'ils prenaient pour rejoindre le domaine, elle bifurqua sur la gauche...

Fenris s'arrêta, laissant échapper la main de sa dulcinée si elle continuait sans plus se préoccuper de lui. Ce n'était pas possible. On ne l'avait pas averti. Cependant, il n'avait croisé personne qui aurait pu le lui dire... Les quelques serviteurs qu'il avait aperçu n'étaient pas dans la confidence. Les autres ne devaient donc pas savoir qu'il était rentré.
Après une seconde de flottement, il s'avança d'un pas rapide. Il passa devant Halie et ouvrit la porte de la seconde chambre du bâtiment. Au lieu de trouver une pièce endormie, il découvrit un espace chaleureux et vivant. Le lit était fait, l'espace de toilette prêt à l'emploi, une armure reconnaissable entre mille trônait dans un coin. L'air avait été renouvelé et portait un parfum agréable, mélange d'iode et de santal prouvant que les fenêtres avaient été ouvertes des deux côtés et pendant plusieurs heures.
Fenris soupira et se tourna vers sa bien aimée. Elle était passée par son ancienne chambre et avait dû la trouver vide. Il ne pouvait imaginer ce qu'elle avait dû penser sur le moment, les craintes qui avaient dû l'assaillir.

-Je suis désolé. Ce n'était pas de cette façon que je voulais te faire la surprise...

Il y avait longuement réfléchi et savait pertinemment comment il lui aurait appris la nouvelle. Il n'avait pas douté un seul instant de sa réaction car il savait à quel point elle supportait autant que lui l'idée de devoir se séparer chaque jour. Il leur était impossible de prévoir à quelle fréquence et le temps durant lequel ils pourraient se retrouver. Leur relation était presque fusionnelle, aussi voulaient-ils jouir de chaque instant passé ensemble.
D'un geste de la main, il l'invita à entrer pour découvrir ses nouveaux appartements. Il ne lui avait jamais montré cette pièce et il doutait qu'elle ait pris le temps de regarder tandis qu'il était parti chercher de quoi dîner. Il la laissa observer les lieux tout en l'interrogeant.

-Comment as-tu su que tu avais été déménagé ici ?

- Ne t'excuse pas. C'est l'une des meilleurs nouvelles que j'ai eu depuis notre arrivée ici. sourit-elle en le prenant dans ses bras.

Elle s'était arrêté et l'avait laissé passé devant à son rythme en le sentant s'immobiliser un peu avant la porte derrière laquelle se trouvait maintenant sa chambre, l'observant avec un tendre amusement. Le visage enfouit dans son cou, elle souriait contre sa clavicule. L'excuse qu'il venait de faire n'était pas causé par une surprise ratée, elle ne pouvait en douter. La première réaction du jeune Aigle était de pensé à ce qu'elle avait du ressentir de l'apprendre par quelqu'un d'autre. Peut-être avait-il même imaginé sa découverte d'une chambre vide sans personne pour lui dire ce qui se tramait.

Elle l'embrassa avec un sourire avant de faire quelques pas dans la pièce, observant sa nouvelle chambre avec appréciation. Son avis était sans doute un peu biaisé mais il lui semblait que celle-ci était largement plus belle et mieux éclairée que la précédente. Certes, l'extérieur manquait un peu de verdure et passer le l'odeur du bosquet à celle de l'iode avait quelque chose d'inhabituel, mais étant donné que cette dernière n'était associée qu'à d'excellents souvenirs, elle ne s'en plaindrait pas.

- Je pense que je pourrais m'y faire. plaisanta-t-elle en s'asseyant sur le bout du lit après avoir laisser courir ses doigts un instant que l'armure qui trônait sur son étendoir.

Elle se passa une main dans les cheveux avant de s'appuyer en arrière sur ses bras.

- Comment as-tu su que tu avais été déménagé ici ?
- Beraïlin a eu l'air un peu surprise que je la prenne dans mes bras si c'est la question. " ricana-t-elle. " En allant déposer mes fusains tout à l'heure : chambre vide. Elle s'occupait des dernières babioles. Elle a été aussi surprise de me trouver là que moi de l'état de la pièce. Heureusement qu'elle était là. Sinon ta mère aurait peut-être reçue une visite moins cordiale que d'habitude, je l'avoue. Je n'avais aucune idée de ce que tu préparais. "

Sur le moment, le spectacle avait été un peu inquiétant... Rien qu'un peu. Mais tout s'était bien fini et la nouvelle était trop bonne pour qu'elle en garde une quelconque rancune.

- Mais dit moi plutôt comment tu as fait pour ne pas être au courant ? ... Et comment tu avais prévu de t'y prendre.

Fenris sourit à la première remarque de sa compagne tandis qu'elle découvrait la pièce. Que sa nouvelle chambre lui plaise était le moins qu'il pouvait espérer. Il avait fait en sorte qu'elle y retrouve toutes ses affaires d'un seul regard, anticipant avec les serviteurs l'emplacement de ce qu'ils auraient à déménager. Il avait même changé une partie du mobilier pour elle à partir de ce qu'il connaissait de ses goûts et de ses habitudes.
La réponse qu'elle lui fournit quant à la façon dont elle avait appris la nouvelle l'amusa moins. C'était justement ce qu'il avait craint la minute précédente... Sa première pensée avait été à l'encontre de ses parents qui l'auraient bien maladroitement mise dehors. Elle ne les connaissait pas assez pour savoir que cela ne faisait pas partie de leurs méthodes. C'était trop sournois comparé à la rancœur qu'ils avaient à son égard. Certes, ils avaient toujours un mot pour tenter d'immiscer certaines idées dans l'esprit du jeune Aigle mais, s'ils devaient purement et simplement la chasser, ils ne prendraient pas de détour.

Il était devenu songeur lorsqu'elle lui retourna sa question. Il leva vers elle un regard à demi étonné, tiré de ses pensées. Puis, assimilant les mots qu'elle venait de prononcer, un nouveau sourire s'esquissa sur son visage. Il s'approcha lentement, ses pas résonnants sur le sol de marbre de manière clairement dissociée.

-J'ai donné un certain nombre d'instructions mais aucune date précise. Les employés de mes parents ont déjà fort à faire pour eux. Je suppose que ceux que j'avais chargé de cette tâche ont profité que tu sois absente pour la journée. Et comme je n'ai croisé aucun d'eux en rentrant, je n'ai fatalement pas pu être averti...

Il s'arrêta à peu près au milieu de la pièce et l'observa à son tour. C'était autrefois une salle de jeux et d'art pour l'enfant puis l'adolescent qu'il avait été. On n'en avait fait une chambre alors qu'il était devenu militaire en plus qu'adulte afin qu'elle serve un jour à accueillir son épouse ou ses enfants. Il était étrange de découvrir cette pièce ainsi. Depuis le dernier changement, elle n'était pas plus vivante que tous ces appartements d'invités qui sommeillaient à l'autre bout du domaine familial. Désormais, tous les meubles étaient découverts, le sol propre, l'environnement vivant. Cette pièce n'avait plus été habitée depuis plus d'un siècle... Et voilà qu'elle connaissait un nouveau souffle avec l'arrivée d'Halyalindë.

-Quant à la façon dont je m'y serais pris, j'avais plusieurs possibilités en fonction d'un certain nombre d'évènements ou de réaction de ta part. Soit nous nous serions rendus dans mes appartements ensemble. Soit tu m'y aurais rejoint, comme tu l'as fait ce soir. Soit j'aurais trouvé un moyen de te faire venir... Une fois ici, j'aurais utilisé une excuse ou une autre pour que tu ouvres cette porte... Dit-il en montrant une porte sur sa gauche et qui menait à sa chambre. La seule porte qu'elle n'ait jamais touchée. ... et tu aurais découvert cette pièce comme elle est aujourd'hui. Avec toutes tes affaires...

Réalisant ses propres paroles, il détourna son regard de la chambre qu'il observait toujours pour plonger ses yeux dans ceux de sa bien aimée et l'inviter d'un geste de la main à réduire la distance qui les séparait encore. Une fois face à face, il exprima sa pensée à voix haute.

-Nous avons une règle dans cette famille : Nos appartements, c'est notre sphère privée. Personne n'y rentre sans notre accord et nous en faisons ce que nous voulons. Si tu as crains un instant que mes parents t'aient chassée, tu n'as plus à t'en soucier désormais. Tu peux aménager et décorer cette chambre à ton goût. C'est ton espace désormais, tu es ici chez toi.

Elle laissa Fenris l'attirer doucement à lui sans avoir à penser à l'heure ou à la façon dont elle regagnerait le pavillon.

- Chez moi... » répéta-t-elle comme si la sonorité même de la locution la laissait songeuse.

Beaucoup de gens lui avaient présentés divers lieux comme des endroits où elle devait se sentir chez elle. Une habitude sociale qui ne prêtait pas à réflexion d'ordinaire. Mais cet quelques mots avaient suffis à mêlé deux pensées qui la poussèrent à enlacer étroitement sa moitié. La première était qu'un seul et unique lieu avait toujours été chez elle et qu'il était fort loin d'ici. La seconde qu'elle n'aurait pas été dévastée à l'idée de ne plus y retourner avant de longue années si Fenris lui avait demandé de rester en Malereg, toute notion de maladie écartée.

- Je suis là où je veux être. C'est encore mieux que d'être chez soi.

Parents ou non, elle était près de lui. Décidément, cette journée était vraiment magnifique.

Fenris n'avait pas la prétention de croire qu'Halyalindë pouvait se sentir chez elle si loin d'Ardamir mais il tenait à ce qu'elle sache qu'elle avait désormais un espace rien qu'à elle en Malereg. Ici, personne ne viendrait toucher à ses affaires et, même en son absence, elle avait le droit d'y loger tandis que Beraïlin veillerait à ce qu'elle ne manque de rien.

La nuit débuta d'une façon que l'on taira ici puis s'écoula sans heurt jusqu'à l'aube. Enfin autorisés à traîner librement au lit, ils peinèrent à s'extirper des draps et ce ne fut que bien tardivement qu'ils se séparèrent, Halie rejoignant sa chambre pour jouir de ses affaires de toilettes. De son côté, le jeune Nöldorion se leva et enfila un pantalon et une robe de chambre qu'il ne ferma pas. Il avança jusqu'à la porte fenêtre et l'ouvrit en grand, faisant entrer l'air frais d'automne afin d'aérer la pièce tout en le réveillant pleinement. Il resta là un petit moment à observer le ressac des vagues qui s'étalaient sur la plage. S'il n'avait jamais été du genre agité, il lui semblait ne jamais s'être senti aussi apaisé que depuis ces derniers temps. Il y avait eu quelques tempêtes, bien sûr, entre la guerre, la décision qu'avait prise sa compagne en son absence, les nécromanciens dans les Wandres... Mais il en revenait toujours à cet état de plénitude et c'était pourquoi il ne regrettait rien, cette sensation confirmant ses choix.

*Toc toc*

L'oreille de Fenris fut attirée par un bruit caractéristique à l'autre bout de la pièce. Il pensa un instant à Halie mais elle n'aurait pas pris la peine de frapper : ils avaient largement dépassé ce stade... Il plissa donc les yeux en direction de la porte d'entrée. Qui cela pouvait-il bien être ? Sans doute Beraïlin qui apportait le petit déjeuner en voyant qu'ils l'avaient manqué. Il s'avança et entrouvrit le pan de bois. Mais ce n'était pas son amie d'enfance...

-Père ? Mère ? Que faites-vous là ?
-Nous avons certaines choses à remettre au clair. Peut-on entrer ? Demanda Melian.

Son fils hésita un instant avant de finalement leur ouvrir, resserrant un peu les pans de sa robe de chambre afin de se rendre un peu plus décent. Lorsqu'ils furent rentrés, il ferma derrière eu et vint se positionner entre eux et le milieu de la pièce. Etant donné leur regard et le ton de sa mère, il se doutait de ce qui ne leur convenait pas. Comme s'il avait pu douter un seul instant de l'objet de leur mécontentement...

-Nous ne t'avons pas vu de la journée hier. Tu as décommandé le dîner. Tu étais absent ce matin et nous te découvrons à peine présentable à cette heure de la journée. Crois-tu qu'il soit convenable de se conduire de la sorte ?

Fenris les regarda de biais, la tête légèrement tournée sur le côté tandis que ses yeux suspicieux ne les quittaient pas. Il n'avait pas besoin de les entendre dire que c'était la personne avec laquelle il se trouvait qui les dérangeait plus que sa conduite en elle-même mais il se garda de leur faire la remarque afin de ne pas envenimer la discussion.

-Halyalindë retournera bientôt à ses obligations tout comme moi. Nous profitons de nos derniers jours ensemble.
-En mettant de côté tes parents que tu ne vois pas plus régulièrement.
-Je serais à la Caserne d'Alëandir, Mère. Nous nous verrons plus souvent que lorsque j'étais au front. La place d'Halyalindë est à Ardamir et nous ignorons quand nous pas nous amènerons à nous croiser de nouveau.

Les aînés Nöldorion faisaient-ils comme s'ils ne savaient plus ce qu'être de jeunes amoureux signifiait ou bien ne voulaient-ils pas en entendre parler dans le cas qui les concernait ? Fenris n'avait que peu de doutes à ce sujet mais il répondait le plus posément du monde, mesurant ses mots avec soin afin de ne pas risquer de froisser ses visiteurs.

-Et étiez-vous vraiment obligés d'aller aussi loin dans le partage ? Annonça Eölir tandis qu'il avançait en claudiquant vers le lit.

Etant donné l'état des draps, il ne pouvait nier qu'il n'avait pas dormi seul. Le cadet ne se retourna même pas et continua de regarder droit devant lui, observant sa mère qui découvrait les preuves du méfait accomplit. Elle ne semblait pas surprise mais simplement horrifiée, comme si elle était déjà au courant mais n'avait pas pu le constater de ses propres yeux. Il allait briser le silence qui venait de s'installer lorsqu'un bruit d'écrin de porcelaine que l'on pose retentit dans la pièce voisine. Le couple tourna la tête vers la porte menant à la chambre voisine puis Melian revint vers son fils.
Il n'avait pas fait cela ?!

Sans plus réfléchir, elle s'avança vers ladite porte et, malgré l'appel de Fenris, l'ouvrit en grand et sans le moindre ménagement. Elle eut alors la stupéfaction de découvrir que la pièce était habitée et ornée par des effets qu'elle associa aussitôt à la Protectrice. Il l'avait installée ici... Depuis combien de temps ?! Elle ne s'en était même pas aperçue...
La tête d'Halie dépassa et Melian vit aussitôt rouge.

-Vous...

Elle n'eut pas le temps d'ajouter un mot de plus à son encontre que son fils pénétra dans la chambre et vint se placer entre les deux femmes. Eölir rejoignait lentement les côtés de son épouse afin de faire les mêmes constatations qu'elle.

-Souhaites-tu nous punir pour quoi que ce soit ?
-Absolument pas, Mère. Mais je regrette que vous ne voyez le lien qui nous unit que comme quelqu'un chose d'éphémère. Parce que ce n'est pas notre sentiment...
-Comment est-elle parvenu à t'embrumer l'esprit à ce point, mon fils ?!

Fenris eut un soupire, comme si la réponse était l'évidence même.

-Je l'aime. De tout mon être.

Melian avait vrillé son regard dans le sien et il voyait la colère monter en elle. Qu'il lui tienne tête, qu'il refuse de l'écouter, que cette sorcière ait le dessus sur lui, tout cela lui faisait perdre son sang froid. Son fils ne s'essayait pas seulement à de nouvelles relations, il était persuadé d'avoir trouvé le grand amour. Et elle était persuadée que la responsable était la Dame Louve, qu'elle exerçait sur son fils une emprise qu'elle n'avait pas été capable de mesurer auparavant. En la présence de la fautive, elle ne pouvait rien ajouter qui le ferait changer d'avis car il aurait visiblement pris sa défense. Cela n'aurait fait que renforcer le pouvoir de la Protectrice et ce n'était pas ce qu'elle voulait. Devant une telle situation, elle ne pouvait que se retirer...
Ce n'était que partie remise.

HRP:

Le soleil était bien plus haut que d'ordinaire tandis qu'Halya s'aspergeait le visage a l'eau froide. Ici, nul arbre ne venait tamiser la lumière qui se glissait par l’interstice de rideaux et sautait aux yeux. Sortir du lit s'était avéré particulièrement difficile ce matin là, et pas seulement à cause d'une éventuel fatigue. Bien qu'elle n'arrive pas encore à trouver ses marques dans cette nouvelle chambre dans laquelle elle n'avait passé que quelques heures - ou même moins – le sourire qu'elle avait sur les lèvres au réveil ne l'avait pas quitté une minute, unique parure à sa nudité dont les cheveux emmêlés n'étaient pas encore remis en ordre.

Malgré l'ombre qui planait encore sur son avenir et les questions qui la taraudaient de temps à autre, chaque respiration lui semblait savoureuse. Dans les meilleurs moments, comme celui-ci, elle n'avait pas besoin de comparer ce qu'elle vivait et ressentait avec le passé. Elle ne se projetait pas dans l'avenir. Elle était seulement pleinement heureuse. Une énergie rayonnante sur le font d'une sensation de bien être simple. Cette sensation qu'elle avait par exemple lorsque Fenris et elle étaient proche l'un de l'autre, même en s'occupant chacun à leur convenance. Sa mine sereine en train de lire lorsqu'elle levait la tête de son ouvrage. Sa présence réconfortante. Il avait un tel effet sur elle qu'elle avait du mal à se l'expliquer.

Après avoir pris le temps d'étirer un peu ses jambes et son dos raides, l'Ardamirie sacrifia à sa toilette matinale. Elle en profita même pour se laver rapidement les cheveux en ne les séchant que sommairement, appréciant le contact de l'onde. Les quelques voix qu'elle entendit devant sa porte, déformer par ses oreilles bouchées par l'eau, lui indiquèrent que leur petit déjeuné – ou leur déjeuner ? - devait êtres arrivé.

La peau encore humide et les cheveux mouillés, fleurant la savon et le jasmin, elle attrapa une robe de chambre blanche dans sa penderie avant de retourner derrière le paravent pour vérifier que la broche de sa mère était bien dans l'écrin qu'on avait mis à sa disposition. La robe de chambre enfilée d'un seul côté, elle souleva la petite boite et la reposa, rassurée, derrière la vasque d'eau savonneuse dont elle heurta le bord au passage. Heureusement les deux objets s'en étaient tirés dans la moindre égratignure.

… Malheureusement, elle retournait vers son bureau en enfilant sa seconde manche lorsque la porte s'ouvrit dans une explosion de mécontentement maternel.

Par réflexe, Halya referma les pans de son vêtement d'un bras et fit un pas en arrière, basse sur ses appuis. Une fraction de seconde suffit à comprendre que ce n'était pas un véritable danger qui s'invitait ainsi dans sa chambre... enfin tout dépendant de l'angle sous lequel on décidait de voir les choses. Melian était déjà presque sur elle.

-Vous...

Revenir de sa surprise était une chose. Savoir comment réagir face à une belle mère en furie en était une autre. Halya n'avait pas émit le moindre son que Fenris accourait pour se placer devant elle. Trop consciente de toute la famille qui était apparue ici, elle profita de la protection que lui offrait son amant pur parer au plus pressé et ajusta le plus correctement possible sa robe de chambre, la serrant plus que nécessaire par le double nœud de sa ceinture... Mais lorsqu'Eölir fut auprès de sa femme, la voix de Melian su la sortir de ce nom temps engendré par l'absurdité de sa situation.

-Souhaites-tu nous punir pour quoi que ce soit ?

… Les punir. Il n'était plus nécessaire de demander pourquoi ils s'étaient déplacés jusqu'ici. Halya ne put s'empêcher de dévisager Melian. Son visage était dépourvu de la moindre animosité, elle était trop surprise pour cela. Elle était sous le choc. Qu'elle ne soit pas la bienvenue, que Melian et son mari aient des réserves la concernant, qu'ils préfèrent voir leur fils au bras d'une Maleringeoise de son âge bien sous tout rapport, elle en avait parfaitement conscience et elle l'avait accepté, mais une telle violence...

Son sang ne fit qu'un tour avant que le visage de la dame ne devienne d'une neutralité exemplaire, ravalant la douleur qui venait de la prendre à la gorge.  Elle ne devait rien dire, sous peine d'aggraver les choses. Le souvenir de Fenris lui disant de rester elle-même et de ne pas entrer dans le jeu de ses parents lui revint en mémoire. Elle ne devait rien dire, Fenris savait mieux qu'elle comment gérer ses parents. Elle ne devait...

-Comment est-elle parvenu à t'embrumer l'esprit à ce point, mon fils ?!
-Fenris n'est pas un faible d'esprit. Il fait ses propres choix. » répondit-elle sans hausser le ton. D'un pas, elle avança pour se poster au côté de son amant. Maintenant Melian s'en prenait même à ce qu'il exprimait, lui. « Si...
-Je l'aime.

Le ton évident de la remarque de Fenris empêcha les deux femmes d'aller plus loin. Halya se figea un instant tandis que Melian vrillait les yeux sur son fils.

- De tout mon être.

Sans un mot, Halya tourna le regard vers lui, un hoquet indescriptible faisant éclater l’étau qui serrait son cœur pour le laisser battre un peu plus fort. Il soutenait le regard de sa mère, sans animosité, mais il n'y avait pas le moindre doute dans sa posture ou dans le ton de sa voix. Elle chercha sa main, glissant ses doigts autour des siens avec une tendre fermeté. Elle était à ses côtés. Quoi qu'il arrive.

Elle aussi soutint les regards qu'on daigna lui jeter, sans desserrer les lèvres. Mais après un moment, alors que les parents de Fenris semblaient se résigner à tourner les talons, une précédente conversation lui revint en mémoire. D'une voix sombre, elle ne put que remercier son hôtesse.

-Heri Melian. Merci d'avoir enfin répondu à ma question. Je saurai désormais à quoi m'en tenir.

« comptez-vous réellement faire pression sur nous pour mettre un frein à son bonheur, qu'il soit de courte ou de longue durée ? »

Le jour où Melian avait annoncé à l'Ardamirie qu'elle n'était pas la bienvenue, Halya lui avait posé une unique question avant de lui conseiller d'ouvrir les yeux pour voir quel homme remarquable Fenris était devenu grâce à l'éducation qu'il avait reçu. Aujourd'hui, elle avait sa réponse et elle s'accompagnait de bien trop de phrases cinglantes qui ne devaient être prononcées sous aucun prétexte.

Cette femme... Pour la première fois, Halya éprouvait plus de colère que de tristesse ou d'angoisse à son égare. A cause de la scène qu'elle venait de faire à son fils et de la malveillance qu'elle attribuait à la semi-Noss qu'elle était. Les jours passant, le problème de race lui était apparu comme de plus en plus évident. Être considérée comme une incapable ou une sauvageonne, elle en avait longtemps eu l'habitude. Mais être considérée comme une sorte de sombre aux intentions néfastes prête à manipuler Fenris était aussi insultant pour l'Aigle que pour elle, mais également insultant envers ceux qui l'avaient éduquée. Elle ne respectait rien. Même l'amour qu'elle portait à son fils faisait pâle figure face à ses préjugés. Elle vivait dans cette grande demeure en pierre bien trop grande en faisant travailler des serviteurs en les traitants avec froideur. A cette instant précis, elle représentait la quintessence de tous ce que les citadins avaient d'abjecte.

Bien que le visage d'Halya soit aussi calme que possible, ses yeux brûlaient d'une rage contenue.