[Et si...] L'immersion [Neraën&Ciryië]

-Bienvenue à tous.

Ainsi attira-t-on l'attention du petit groupe de mages qui attendait dans un pièce près de l'entrée. Ils n'auraient su dire combien de temps ils avaient attendu tant l'ambiance allait bon train. De là où ils étaient, ils avaient vu sur leur nouvel environnement via plusieurs fenêtres et ils le découvraient depuis plusieurs minutes déjà sans pour autant s'en être lassé. A l'arrivée de l'homme, les jeunes gens s'étaient détournés les uns après les autres de leur lucarne pour se tourner vers lui.

-Je me nomme Norivalel. J'appartiens à la section offensive des Auxiliaires de l'armée royale. Vous êtes ici parce que vous avez souhaité savoir ce qu'est un mage de guerre. Si nous vous avons demandé de passer une ennéade complète avec nous, ce n'est pas pour avoir de la compagnie mais pour que vous viviez pleinement cette expérience au lieu de simplement l'observer ou poser des questions. Vous allez donc être intégrés comme de véritables soldats et vivre parmi nous pendant cette période. Vous allez également suivre nos entraînements.

Une certaine agitation régnait dans le groupe. L'excitation était palpable. Les casernes n'étaient pas totalement cloisonnés mais on n'y entrait pas comme ça pour autant. Ces jeunes gens allaient vivre quelque chose d'unique et la curiosité propre à celle des étudiants qu'ils étaient les habitaient pleinement. A charge pour le soldat de les mettre en garde.

-Cependant, vous devez savoir que nous sommes en période de guerre et nos entraînements ont été renforcés. Si vous avez le loisir à l'Académie de magie de pouvoir prendre le temps et agir en toute sécurité, ce n'est pas notre cas. L'erreur n'est pas un luxe que l'on peut s'offrir sur un champ de bataille, même s'il est admis sur le terrain d'entraînement. Ici, vous serez mis en danger car il n'y a que de cette manière que se révèle notre véritable potentiel. Si vous avez un problème avec cette idée, il est encore temps pour vous de partir. Vous n'avez aucune obligation envers qui que ce soit.

Le soldat attendit quelques instants, laissant à chacun le temps de soupeser ses paroles et de changer d'avis s'il le souhaitait. Après un petit moment, et alors que personne n'avait quitté la pièce, il reprit.

-Bien. Dans ce cas, prenez vos affaires. Nous allons vous trouver des uniformes. Vous n'aurez toutefois aucun insigne afin de vous distinguer des militaires de métier. Puis vous irez déposer vos sacs au dortoir avant la visite des lieux. Pour ceux qui ont les cheveux, j'espère que vous avez prévu de quoi les attacher de manière à dégager vos yeux, comme nous vous l'avons demandé.

Sans attendre aucun réponse de la part des élèves académiciens, Norivalel fit volte face et quitta la pièce. Le petit groupe le suivit après une seconde de latence. Il ne fallut guère longtemps pour habiller la dizaine d’étudiants qui participait à cette ennéade d’immersion. Après une demi-heure, le soldat chargé de les encadrer les conduisit comme convenu au dortoir où ils logeraient durant les prochains jours. Chacun posa son sac sur un lit puis ils repartirent aussitôt à la suite du soldat pour la visite de la caserne. On leur montra la forge, l’armurerie, le mess, la cour, les écuries (bien différentes de celles des humains), l’infirmerie, les bureaux des officiers… On leur expliqua le métier de chacun et le rôle qu’il jouait au sein de l’armée, en temps de paix comme en temps de guerre. C’était une organisation finement orchestrée. C’était impressionnant à voir.
La caserne était relativement vide. Avec la fin de l’hiver, la majeure partie de l’armée était sur le front ou en patrouille. Ceux qui restaient à Alëandir protégeaient la cité, étaient officiers haut gradés ou encore soldats en période de repos ou en convalescence. Le guide du groupe appartenait à cette dernière catégorie. Un indiscret essaya bien de le questionner pour savoir ce qu’il lui était arrivé mais il n’eut aucun réponse.

Quoi qu’il en soit, le petit groupe écoutait avec attention et suivait le soldat avec grand intérêt. Pour l’instant, ils n’avaient pas de raisons de regretter eur chix. La matinée avançait à grand pas et il serait bientôt temps de déjeuner.

-Nous verrons les terrains d’entraînement cet après-midi.
-C’est tout ? Interrogea un apprenti mage plutôt surpris de la maigreur du programme.
-Ne vous en faites pas. Vous ne ferez pas que regarder… Pour finir ce matin, je vais vous montrer le bâtiment des Sorni, mais seulement pour que vous sachiez que vous ne devez pas y entrer. Suivez-moi.

Tandis que le groupe avançait de nouveau, une jeune femme donna un petit coup de coude entendu à sa voisine.

-Il sera peut-être là, qui sait !
-Mais tu vas arrêter avec ça ? C’était il y a deux mois.
-Mais il t’a fait forte impression quand même.
-Qui ça ? Demanda le curieux du groupe.
-Personne. Eviliniel se fait des romans toute seule. Acheva Ciryië avant de suivre le groupe à son tour pour mettre fin à la conversation.

Elle trouvait leur interêt oppressant et puéril. Quant aux deux autres, ils se regardèrent d’un air entendu, certains d’avoir touché un point sensible. Puis ils rattrapèrent les autres en quelque pas.

Codes couleur:

"Allez, avoue que tu serais déçue qu'il ne soit pas là !
Eviliniel n'avait pas réussi à tenir trois minutes avant d'aborder à nouveau le sujet. Et les réactions de Ciryië n'y faisaient rien...
- Mais de qui parles-tu ?
- Tu es obligé de faire ton curieux, hein ?
- En même temps c'est toi qui parles de lui depuis tout à l'heure... alors soit tu lâches le morceau soit tu arrêtes avec ça.
- Pffff... j'arrête alors !
- ...
- Quoi ?!
- Mais je veux savoir de qui t..."

*BOUM !*

~~~~~~~~

Le capitaine se frotta les yeux, assis à son bureau, le coude posé sur le plan de travail et sa fichue tête réfléchissant encore et encore à ce problème de guerre contre les Drows. Saletés de Sombres ! Il en avait marre qu'ils viennent encore et encore, essayant avec peu de résultats de s'emparer de la forêt - encore une chance qu'ils n'aient pas encore envoyé de mages pyromanes... Anaëh aurait certainement vécu un plus grand drame qu'il y a quelques mois, d'autant plus si le vent aurait été dans le mauvais sens... Enfin ! Il fallait qu'il arrête de ruminer cette affaire. Là il avait enfin tapé du poing sur la table pour que les Elfes passent à l'offensive et de manière plus que significative, au lieu d'attendre encore et toujours comme de vieux croûtons attendraient que la mort daigne enfin les plonger dans le fleuve de Tari. Non, il ne commettrait pas cette bêtise. Tout comme il ne commettrait pas l'erreur de ne pas imaginer que les Drows puissent venir par l'Uraal, comme il y a trois cents ans. Plus que quelques jours, une ennéade tout au plus. Une fois les patrouilles en place au lac, il ira lui-même à l'endroit défini et là commencera la bataille. Ils vengeront Eraïson... Il fera en sorte que chaque frère d'arme qu'il a perdu contre ces salauds ne soit pas tombé en vain.

Ainsi était son devoir de capitaine.

Il signa un ou deux documents, pesta cinq minutes avant de retrouver un document spécifique qui s'était vu ensevelir par tous les autres puis quitta la pièce, faisant auparavant attention à cacher les documents révélant ce qui se tramait à un endroit que lui seul connaissait. Pourquoi une telle précaution, puisqu'il se trouvait au sein de la caserne d'Alëandir, qui plus est dans son bureau ? Parceque s'il avait confiance en ses frères et soeurs, il savait très bien que la magie pouvait faire de grands dégâts. Et il craignait trop qu'un mage de l'esprit n'ait suffisamment touché à l'esprit de l'un de ses elfes qui ont été à un moment donné au front pour ne pas avoir peur que l'ennemi ne découvre leurs plans par cet intermédiaire. Et si cela se produisait, alors ils mouraient tous. Alors autant prendre des précautions pour rien que ne pas le faire et précipiter tout le monde vers la mort.

Le dos droit, son cerveau continuant encore et toujours à penser à toutes les choses qu'il avait à faire pendant les quelques jours où il se trouvait là, il se dirigea vers le terrain d'entraînement où il savait trouver l'un de ses collègues, à qui il devait toucher deux mots par rapport à la réunion du soir. Puis il prit un raccourci pour rejoindre le quartier des Aigles, longeant un couloir se terminant par une porte finement ouvragée mais très solide. Il avança la main, prit la poignée, appuya dessus et poussa d'un coup sec...

*BOUM !*

Le bruit réveilla le capitaine qui ouvrit de grands yeux en voyant une bande de jeunes gens habillés dans un pseudo-uniforme militaire en train de le regarder avec de grands yeux ronds. Un instant il se demandait ce qu'il fichait -ou plutôt ce que eux faisaient sur son chemin - puis, sans un mot, se pencha pour découvrir un grand dadet allongé sur le sol, à moitié sonné. Mais qu'est-ce qu'il fichait derrière cette porte ?! Et c'était quoi ces jeunes elfes silencieux à intriguer qui ne semblaient pas avoir de quelconques muscles ? Il tourna la tête vers la gauche et découvrit le mage de guerre Norivalel. Norivalel... les gamins... Miiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiince c'était cette ennéade-ci le stage des apprentis mages ! Oups... Oups... Merde !

"Alors soldat, on essaie d'embrasser les portes ? Allez, debout !
Se redressant, il toisa rapidement du regard les apprentis avant de reprendre, ne laissant aucunement le temps au mage de guerre de faire les présentations.
- Soldats, garde-à-vous !"

Il y eut une seconde de latence avant que les stagiaires ne réagissent et ne se tiennent plus ou moins droit, avec encore moins de sérieux. Trop heureux d'avoir le privilège de découvrir la caserne, certainement. Ah, s'ils savaient... Le capitaine referma doucement la porte tombeuse d'apprentis mages derrière lui, ne brisant aucunement le silence qui s'était installé dans le couloir. Norivalel, voyant l'aigle faire, ne dit mot ni ne fit aucun signe indiquant aux jeunes elfes quoi faire. Ils apprendraient bien vite à connaître l'énergumène qui se tenait face à eux, même s'ils risquaient de ne pas trop le voir vu la période mouvementée qu'ils avaient. L'aigle, quant à lui, posa son regard glacial sur chacun des jeunes tout en se mouvant sans un bruit entre eux, semblant essayer de lire en eux. Et lorsqu'il ne le faisait pas, il donnait la désagréable impression de jauger tout à chacun en les regardant des pieds à la tête. Au bout d'un moment il reprit d'une voix autoritaire.

"Bon ! Vu vos uniformes c'est vous les petits nouveaux de l'ennéade. J'espère que vous êtes prêts à donner tout ce que vous avez dans le ventre, parce que le travail de mage de bataille est loin d'être le plus simple, au contraire même et nous comptons bien nous assurer que les bons soldats que vous êtes serez capables de tenir la bataille qui fait actuellement rage. Repos, soldats.
Il fit à nouveau le tour de la petite dizaine de jeunes adultes qui se trouvaient devant puis reprit.
- Je suis le Capitaine Neraën Yeldoreï, du corps des Aigles dont les quartiers se trouvent juste sur votre droite. Lorsque vous vous adresserez à moi, vous m'appellerez "Capitaine". De même, vous appellerez chaque haut-gradé par son grade à moins que celui-ci ne vous autorise à faire autrement. Est-ce bien clair ?
Il eut une sorte de brouhaha qui ressemblait plus à un "oui" quelconque qu'à un "oui Capitaine".
- Est-ce bien clair soldats ? Je n'ai rien entendu !
- Oui capitaine !
- Bien... voilà qui est mieux..."

Neraën se dirigea vers la porte d'entrée du quartier des Aigles et la montra du doigt tout en regardant les nouveaux. Un coup d'oeil pour avoir l'assentiment du guide et il reprit, la mine sévère afin de montrer qu'il ne plaisantait pas.

"Derrière se trouve le quartier des Aigles, corps d'élite de l'Armée Royale. Des aigles, vous en croiserez quelques uns lors de votre service. Vous pourrez discuter avec eux ainsi qu'avec les autres personnes présentes dans l'enceinte de cette caserne à condition qu'ils puissent vous accorder du temps et donc qu'ils ne soient pas en plein travail. Vous êtes grands, vous êtes capables de faire la part des choses et de reconnaître si vous risquez de déranger quelqu'un ou non. Quant à ce quartier, maintenant, vous savez où il se trouve. Alors si on vous prend à être entrés là-dedans sans autorisation, vous n'aurez absolument aucune excuse et qui plus est vous aurez affaire à moi. Et là, sachez que si vous venez à vous retrouver dans mon bureau c'est très mauvais signe pour vous. M'avez-vous bien compris ?
- Oui Capitaine.
- Très bien. Tant que nous sommes ici, Norivalel tu me dis quand vous dever filer, avez-vous des questions auxquelles je pourrais répondre ?"

~~~~~~~~

"Il parait que tu as croisé les petits nouveaux ?
- Il y a plusieurs grandes perches dedans, oui.
- Et que leur as-tu montré ?
Neraën eut un grand sourire espiègle.
- Haha je m'en étais douté ! Le grand capitaine a jugé bon de faire peur à ces petits bonhommes !
- Aelian... Oui, je n'allais pas leur faire croire qu'ils allaient pouvoir entrer dans notre quartier comme ça. D'ailleurs, de ce que j'ai pu remarquer... dans le lot il y en a un qui m'a l'air un peu trop stressé. Je pourrais te le confier ? Le dérider un peu.
- Ou le mettre mal à l'aise, au choix.
- Il va comprendre que face à toi c'est pire que s'il avait un bouclier à faire tomber. D'ailleurs, comment va ta famille ?
- Hé bien ma petite famille va bien ! Les enfants grandissent et la vie continue, la belle vie quoi !
- Et ta blessure, tu es sûr que tu peux réellement reprendre les armes ?
- Attends ça fait depuis Ellyrion que je me morfonds à alterner entre le fait de me morfondre et les visites médicales ! Maintenant que le médecin a dit que c'était bon, c'est bon ! Tu me connais, je ne vais pas trop en faire non plus !
- Hum... Tiens, les voilà. Les gars, si vous avez envie de rire ou de sourire faites-le maintenant, parce qu'après on va s'occuper des jeunes !"

Aelian eut un immense sourire qu'il cacha bien sûr aux étudiants, puis, comme les deux autres aigles qui se trouvaient à table, il se tourna un instant pour observer le beau petit groupe qui buvait les paroles de Norivalel, qui expliquait comment fonctionnait le réfectoire. Après de nombreux gestes et un peu moins de paroles, il lâcha les fauves pour qu'ils puissent se sustenter après une matinée complète à le suivre. Aujourd'hui, c'était courgettes, céréales et viandes diverses issues de la chasse. Et c'était bon en plus - comme toujours, d'ailleurs. D'un air sérieux, les trois énergumènes se remirent à manger normalement tout en parlant de guerre et d'entraînements - comme si des militaires ne pouvaient pas parler d'autre chose... Ils ne firent dans un premier temps que peu attention à ceux qui osaient s'installer près d'eux, se demandant avec amusement lesquels les écouteraient, lesquels resteraient avec leurs copains, lesquels viendraient à avoir le même sujet de conversation qu'eux et lesquels oseraient s'immiscer. Tous trois espéraient avoir un peu de rire lors de cette ennéade qui s'annonçait agitée...

L'irruption de Neraën avait fait très forte impression. Il donnait de lui une image très stricte, voire sévère, mettant ce petit groupe de touristes au pas en seulement quelques mots. Avec lui, les sourires avaient disparu pour laisser place au sérieux. Ciryië ne reconnaissait ni le plaisantin qui avait aimé la mettre mal à l'aise ni l'homme au regard paternel qui lui avait proposé de l'aider à prendre confiance en elle. Elle aurait dû s'y attendre. Le cadre n'était plus le même et il fallait bien faire rentrer les nouveaux dans le rang dès le départ. L'armée était la force la plus organisée qui soit, le petit groupe avait déjà pu s'en rendre compte. Alors, certes, leur présence ici n'était que temporaire et ils pourraient partir en cours de route si jamais l'expérience se révélait trop difficile pour eux, mais il fallait bien leur donner une image réaliste de la vie à la caserne.
Alors, même si elle savait qu'il interprétait un rôle, Ciryië joua le jeu et se mit au garde à vous comme les autres. Elle avait bien vu cette petite lueur dans ses yeux lorsqu'il s'était souvenu en les voyant que le corps militaire accueillait des étudiants mages. Par contre, elle n'avait pas su lire son regard lorsqu'il croisa le sien en observant une à une les nouvelles recrues. Ils ne s'étaient vu qu'une seule fois. Cela faisait déjà deux mois et elle arborait une tenue et une coiffure bien différentes de ce jour-là. Elle flottait un peu dans cet uniforme réglementaire taillé pour une femme ayant plus de carrure qu'elle et ses cheveux étaient attachés en tresse afin de dégager entièrement son visage. Peut-être ne l'avait-il pas reconnue... Ou cela faisait partie de son jeu.

Neraën s'en alla avant qu'elle ait sa réponse et le guide reprit les choses en main. Plutôt que de les mener jusqu'au mess, il allait les laisser retrouver leur chemin et les suivre. Les jeunes mages se regardèrent tour à tour avant que l'un d'eux ne commencent à émettre une hypothèse aussitôt mise en doute par les autres. Pendant ce temps, Eviliniel donna un petit coup de coude à son amie, lui faisant un clin d’œil que la jeune Las'Danir associa bien vite avec l'apparition du Capitaine. Cette dernière se contenta se soupirer en levant les yeux au ciel avant de reporter son attention sur leurs camarades. Finalement, après quelques minutes de tergiversations, l'un d'eux indiqua une direction, tellement sûr de lui et précis dans son itinéraire que personne n'osa plus répliquer. Il se trouvait qu'il avait raison et ce ne fut qu'en repassant par les mêmes couloirs que Ciryië reconnut effectivement le chemin. A la porte de la grande salle, on félicita le jeune homme pour son sens de l'orientation et sa mémoire. Puis Norivalel entra dans le mess et tous lui emboîtèrent le pas.
Le fonctionnement de ce réfectoire n'était guère très différent de celui de l'Académie de magie. On prenait un plateau, on passait devant les cuistots qui distribuaient les rations puis on allait s'asseoir à table. Sa place devait être aussi propre à son départ qu'à son arrivée. Ce n'était pas au serveur de faire le ménage. Les derniers à partir passaient le balai. Les consignes données, le convalescent laissa quartier libre à ses visiteurs pour le déjeuner et leur donna rendez-vous dans la cours. Le petit groupe hésita quelques instants puis deux d'entre eux se détachèrent pour se hasarder vers la pile de plateaux, bientôt suivis par leurs camarades. Ils suivirent ensuite la voie qui étaient toute tracée.
L'épreuve suivante : trouver où s'asseoir.

Après un petit moment passé à piétiner sur place avec leur plateau en main, le groupe décida de se scinder. Il y avait plusieurs endroits où ils auraient pu manger tous ensemble mais, s'ils étaient là pour s'immerger, autant profiter de ce premier repas pour aller au devant des militaires présents et poser des questions... Eviliniel proposa à quelques camarades d'aller s'asseoir à une table bien précise. Ciryië, quant à elle, achevait de se servir lorsque son amie lui demanda si elle venait. Ne voyant pas quelle direction elle prenait, elle se contenta de lui répondre par l'affirmative. Lorsqu'elle se retourna avec son plateau dans les mains, elle chercha son amie du regard et avança droit dans sa direction. Sa colocataire lui avait garder une place à côté d'elle. Elle était presque arrivée lorsqu'elle reporta son attention sur le militaire qui se trouvait à sa gauche... Elle ralentit le pas sans même s'en rendre compte, s'arrêtant presque dans le passage. Elle se reprit l'instant d'après et vint poser son plateau là où on l'attendait mais, avant même de s'asseoir, elle regarda Eviliniel qui répondit à son regard contrarié par un sourire taquin et un clin d’œil. Ciryië osa à peine poser les yeux sur Neraën tandis qu'elle s'asseyait et les détourna aussitôt.
Le repas commença pour les nouveaux venus. La jeune Las'Danir était un peu gênée par la présence du Capitaine. Ses camarades prirent naturellement cette attitude pour de la timidité face à sa proximité et à son grade, surtout après le discours autoritaire qu'il leur avait sorti un peu plus tôt. Aussi, personne ne releva tandis que Eviliniel jubilait dans son coin. Finalement, l'un d'eux se hasarda à poser une question à leurs voisins de table, s'enquérant de leurs postes et de leurs grades respectifs. Il savait déjà pour Neraën, aussi s'intéressa-t-il avant tout aux autres. Voyant qu'on lui répondait de manière assez sérieuse et sans rechigné, le petit curieux du groupe poursuivit ses investigations, s'intéressant aux fonctions des différents grades et leur demandant ce qu'était une journée type pour eux. Là encore, réponses correctes. Le jeune homme prit donc en assurance, posant de plus en plus de questions tandis que ses camarades écoutaient, voire se mêlaient à la conversation.

Faisant comme si les jeunes elfes n'existaient pas mais gardant un oeil amusé sur eux, le capitaine continua à parler avec ses deux collègues. Au départ peu surpris que personne ne s'asseoit juste à côté de lui, il réprima cependant un lever de sourcil lorsqu'une certaine elfe dut poser son plateau à côté du sien. Un coup d'oeil peu locace de la part de l'aigle mais aucun mot. Il retint pour autant le regard baissé de la seule stagiaire qu'il connaissait un minimum et le clin d'oeil taquin de sa comparse. Ainsi, cette elfe savait que Ciryië et lui s'étaient déjà rencontrés... à savoir maintenant pourquoi elle réagissait ainsi. Peut-être était-elle trop heureuse de savoir son amie connaître le capitaine des Aigles, et dans ce cas se faisait des illusions ? Ou bien... peut-être que Ciryië avait parlé de lui d'une façon interprétable ? Non... c'était n'importe quoi. Enfin il l'espérait.

Si la gêne s'était installée dans l'esprit de la jeune mage, elle n'avait pour l'heure actuelle aucune place dans celui de Neraën. Et pour le peu qu'elle aurait voulu se creuser une place à force d'imagination grossière, les questions que les uns et les autres finirent par poser aux trois soldats l'écartèrent définitivement. Les premières questions étaient notamment posées à Aelian et Sebryn, sur leurs grades - s'ils en avaient. Tous deux répondirent qu'ils étaient simplement des aigles, mais que s'ils venaient à prendre part aux actions d'une quelconque armée ils devraient être considérés au moins comme des caporaux par tous les elfes appartenant à cette armée. Cela engendra d'autre questions auxquelles les deux elfes répondirent avec plus ou moins de volonté.

"Pourquoi n'importe lequel d'entre vous est considéré comme un gradé dans les autres corps ?
- Parce qu'on est formés pour ça.
- Est-ce souvent arrivé que vous ayez le rôle de lieutenants ?
- Plusieurs fois. Il me semble qu'on l'a fait à Eraïson... Ma mémoire ne me trompe pas, Capitaine ?
- On a dû coordonner de la sorte plusieurs armées protectorales oui.
- Et ça s'est bien passé ?
Les trois aigles sourirent.
- Nous n'aurions pas repris Eraïson si cela n'avait pas été le cas.
- Ah oui...
- Et y a-t-il des mages de guerre au sein des Aigles ?
- Il y en a quelques uns. Sebryn en est un."

Neraën regarda le pauvre aigle qui eut le droit à de grands regards admirateurs de la part de certains avant d'être bousculé de questions. Le mage de l'immatériel dut parler avec grande fermeté pour réfréner la trop grande curiosité de quelques uns. Comment avait-il fait pour entrer dans ce corps d'élite ? Est-ce qu'il s'était bien intégré aux non-mages ? Comment ça se passait ? Quel était l'emploi du temps type d'un mage dans l'armée ? ...

Pendant ce temps, après avoir fait attention à ce que la voisine de Ciryië ait bien l'esprit tourné vers le principal centre d'attention, Neraën donna un petit coup de coude à sa voisine tout en rangeant ses gamelles. D'un très bref signe de tête il lui fit signe de le rejoindre ; comme elle avait également fini de manger, il n'y avait pas besoin de grandes questions pour se dire qu'elle avait juste envie de ranger ses affaires avant qu'il n'y ait foule, d'autant plus que l'heure avançait et que les recrues de l'autre tablée avaient déjà commencé à débarasser leur table. Sans l'attendre le capitaine se déplaça jusqu'à l'endroit où on lavait les ustensiles et commença à bien frotter son bol. Le visage toujours emprunt de dureté, ce fut pour autant un ton amical qui fut utilisé envers la mage.

"Content de te revoir Ciryië. J'espère que tu vas bien ?
Un très rapide coup d'oeil vers elle pour s'assurer de la réponse. Puis, voyant que les autres ne faisaient pas attention à eux, il reprit.
- Ne t'inquiète pas si on se montre strictes avec vous, c'est normal. Je te demanderai juste de jouer le jeu pendant que tes amis apprendront à nous connaître. Peut-être devineront-ils que le rire est un bien précieux ici ?"

Sans même la regarder, il rinça ses affaires et les rangea avec toutes les autres qui étaient laissées là. Puis il s'en retourna vers ses deux frères d'armes, lentement, pour s'arrêter devant la table. Il attendit quelques secondes qu'Aelian finisse une explication, les bras croisés, avant de se racler la gorge pour avoir l'attention de tous. Une fois que les regards étaient tournés vers lui, il s'adressa aux recrues avant de passer aux officiers.

"Vous avez l'air d'être curieux, c'est une bonne chose... mais ne le soyez pas trop. N'oubliez pas qu'on ne pourra pas tout vous dire et, surtout, n'oubliez pas que vous devez ranger vos gamelles avant de rejoindre Norivalel. Déjà vous risquez d'être en retard, et ensuite vous n'aurez pas eu le temps de bien digérer avant l'entraînement. Alors maintenant magnez-vous si vous voulez survivre à ce qui vous attend ! Aelian et Sebryn, vous me retrouvez à mon bureau dans cinq minutes."

Sur ce, sans laisser une quelconque personne lui adresser la parole, il se retourna et se dirigea lui-même vers ses quartiers. Un rapide coup d'oeil en arrière lui montra que les stagiaires s'étaient soudainement mis en branle pour ne pas faire attendre leur guide - qui devait déjà être devant la porte en train de les attendre. Un large sourire déforma ses lèvres et il quitta la salle, amusé.

~~~~~~~~

Il ne faisait pas bien beau. Le printemps était là, mais la pluie aussi. Aussi les stagiaires avaient été regroupés sous un préau, de même que plusieurs militaires qui attendaient tranquillement qu'ils puissent retourner à leur entraînement quotidien. Il pleuvait, certes... mais qu'en avaient-ils à faire ? Lors des batailles, ils n'avaient pas le choix du temps et ils avaient déjà dû faire avec la pluie battante. A voir si les jeunes tiendraient, eux. De toute façon ils n'étaient pas là pour prendre le thé mais pour voir comment se passait la vie dans une caserne.

Après un long moment vinrent deux personnages en uniforme, avec chacun le signe d'un grade en particulier. Le premier n'était autre que le commandant en chef de l'armée royale, un type costaud et aux courts cheveux blonds ; le sencond était déjà connu de tous, puisqu'il s'agissait du capitaine Neraën. A leur entrée tous les soldats se levèrent, aussitôt suivis par les étudiants. Le commandant fit un signe de la tête et tous purent se rasseoir, en silence. Les deux elfes restèrent debout et droits, puis le commandant prit la parole.

"Bien. Avant que chacun ne reparte vers ses occupations initiales, nous souhaitons tout d'abord la bienvenue aux nouvelles recrues fraîchement arrivées de l'Académie de magie. En tant que haut-gradé de l'armée royale présent en ces lieux, je vais affecter chacune de ces recrues à un soldat. Soldats, en-dehors des quelques heures qu'elles passeront en théorie avec Norivalel, elles passeront l'intégralité de leur temps à vos côtés afin de découvrir la vie au sein de la caserne. Montrez-leur ce que vous vivez au jour le jour et entraînez-les comme on vous l'a appris. Etant donné que peu de mages sont présents en ce moment, la plupart des recrues auront un tuteur non mage. Au midi du cinquième jour de cette ennéade, vous échangerez de recrue pour que toutes aient pu tester la vie militaire avec un mage et un non mage. Vous serez bien sûr responsables des idioties de vos apprentis."

Quelques murmures se firent entendre chez les étudiants, ce qui n'attira qu'un regard courroucé de la part du commandant. Une fois le silence rétabli, le haut-gradé commença à répartir les étudiants de l'académie, appelant tout d'abord l'apprenti mage puis son tuteur. Lorsque l'un était appelé, il se levait et suivait son mentor qui l'emmenait où bon il voulait.

"... Tineriyn, Aelian. Eviliniel, Sebryn. Doriath, Nilÿan. Ciryië, ..."

Le commandant s'arrêta, remarquant en levant les yeux que la tutrice première de la mage de l'ombre était absente. Il se pencha alors vers son comparse aigle et une discussion à voix basse commença, plusieurs questions naissant visiblement aux lèvres des deux militaires. Puis, au bout d'un moment, ils finirent par se mette d'accord.

"Ciryië, Neraën."

Le capitaine se décala tout en faisant signe à la jeune Las'Danir de le suivre puis, après un hochement de tête vers le commandant, sortit sans faire plus attention aux quelques noms qu'il lui restaient à prononcer. Il ne manquait qu'une seule personne à l'appel et Neraën savait pourquoi. Les autres étant présents, il n'avait plus aucune raison de rester.

Sans mot dire, Neraën alla jusqu'à une salle bien connue des militaires : la salle d'armes. Il ouvrit la porte, invita d'un geste sa protégée à entrer puis la referma. Il la laissa regarder autour d'elle toute la panoplie d'armes. Il attendit quelques secondes avant de lui expliquer pourquoi il l'avait emmenée ici.

"Celle qui devait s'occuper de toi a dû être renvoyée en mission en fin de matinée, ne me demande pas pourquoi. Il va donc m'incomber de faire de toi une soldat potable en seulement l'espace de quatre jours, en sachant qu'il y aura de nombreux moments où je ne pourrai pas m'occuper de toi et où il te faudra donc t'entraîner seule ou trouver une personne acceptant de te prendre en charge jusqu'à ce que je vienne te chercher. Si jamais je te fais signe de partir, je te demanderai de le faire sans poser de questions et de te rendre à l'un des terrains d'entraînement ou à un autre lieu dont tu m'auras entretenu auparavant. Est-ce bien clair ?"

Il n'attendait pas de "capitaine" cette fois-ci. Juste un "oui" lui suffisait, même si normalement il se devait de rentrer l'idée de l'étiquette militaire dans la tête de Ciryië. Il regarda toutes les armes entreposées dans la pièce, sans bouger, puis revint à la jeune femme.

"Très bien. Maintenant tu es dans l'armée royale en tant que mage de guerre. Tout d'abord, sache que ce n'est pas parce que tu es mage que tu n'auras jamais besoin d'une arme en acier comme une épée. Crois-moi, même si tu n'es pas une experte en ce domaine, le simple fait d'en avoir une sur toi peut te sauver la vie au cours d'une bataille. Aussi je te laisse en choisir une, à ta convenance. Et je t'apprendrai à la manier correctement, au moins avoir les bases théoriques."

A elle de choisir, dorénavant...

Ciryië en voulait à sa colocataire. En d'autres circonstances, elle aurait pu l'exprimer ouvertement mais elle n'en ferait rien ici, et heureusement pour Eviliniel qui le savait très bien et en profitait un peu au passage. Qui plus est en présence de celui qui faisait l'objet de ce petit complot amical, elle était sûre de ne pas risque de représailles. Pendant ce temps, Ciryië se sentait à la fois trahie et mise à nue. Elle avait parlé de leur petit jeu à son amie qui n'avait pas pu s'empêcher de l'interpréter, de la mauvaise manière bien sûr. La mage des ombres étaient certes jeune mais elle n'était pas aussi infantile et elle trouvait la réaction de sa comparse des plus puériles. Elle regrettait de le lui avoir dit, cela aurait dû rester entre Neraën et elle. D'autant qu'elle ignorait encore si leur partie devrait ne durer qu'une soirée ou s'ils auraient droit à leur revanche.
Cependant, Ciryië devait faire comme si de rien était. Elle ne voulait pas éveiller les soupçons. Pas tant que leur ennéade ne serait pas finie en tout cas. Après, elle pourrait régler ses comptes avec Eviliniel... Et peu importait si on découvrait après coup que le Capitaine et elle se connaissaient.

Le repas se passa sans que la jeune Las'Danir n'y prenne vraiment part. Elle écoutait les conversations d'une oreille distraite mais s'abstenait bien de se mettre sur le devant de la scène. Ce n'était pas la première fois qu'elle mangeait à côté du Capitaine mais elle préférait se faire oublier pour le moment. Et Neraën, tout comme Eviliniel, ne fit rien pour aller à l'encontre de sa volonté. Néanmoins, tandis qu'il remballait ses affaires, l'Aigle lui cogna légèrement le bras. Machinalement, Ciryië tourna la tête dans sa direction et aperçut le signe de tête lui demandant de le suivre. Oh... Ce n'était donc pas involontaire. Il l'avait reconnu depuis longtemps, elle le savait. Ou alors ses camarades l'appelant par son prénom l'avait rappelé à son bon souvenir. Mais à présent, il semblait vouloir lui parler, et ce en toute discrétion.
Sans plus se poser de questions, la jeune elfe l'imita, plaçant couverts et gobelet dans son assiette pour les porter jusqu'à l'évier. Elle commença à les faire tremper, cherchant de quoi les laver, lorsque la voix de Neraën se fit entendre à côté d'elle. Surprise par la douceur de ses mots, elle se tourna vers lui et découvrit son expression toujours aussi sérieuse. Elle détourna alors le regard pour l'imiter dans son attitude détachée. Elle n'était pas aussi douée que lui. Il l'avait surprise à vrai dire... Certes, elle savait qu'il voulait lui dire quelque chose mais elle ne s'attendait pas à retrouver celui qu'elle avait rencontré deux mois plus tôt, même si ce n'était que partiellement. Elle était dans son univers après tout, il aurait eu le droit de se comporter avec elle de la même manière qu'avec ses camarades mages.

-Je comprends. Répondit-elle simplement.

Soulagée, elle sourit intérieurement tandis qu'ils faisaient tous deux leur vaisselle. Il fallait croire que c'était leur moment privilégié pour pouvoir se parler sincèrement et à l'abri des oreilles indiscrètes...
Neraën s'en alla le premier et elle prêta l'oreille aux derniers mots qu'il adressa au groupe de visiteurs tandis qu'elle achevait de nettoyer son verre. Alors qu'il prenait la direction de la sortie, Ciryië rejoignait sa table tout en le regardant s'éloigner. Toute la tablée se leva rapidement et se pressa vers l'évier. Seule Eviliniel ralentit le pas pour marquer une pause aux côtés de son amie afin de lui parler à demi voix.

-Alors ? Qu'est-ce qu'il t'a dit ?

Ciryië se tourna vers son amie et la dévisagea, faisant mine de ne comprendre ni son intérêt pour leur relation, ni sa question.

-Qu'est-ce que tu veux qu'il me dise ? Il m'a salué, tout simplement.

Eviliniel soupira de déception et s'en alla. Ciryië ne pouvait pas lui mentir au point d'essayer de lui faire croire qu'il ne lui avait pas adressé la parole. La coïncidence de leur absence était trop flagrante aux yeux de son amie. Et puis, leurs parents étaient amis et les avaient présentés. La politesse l'obligeait à au moins lui dire bonjour. En revanche, elle n'était pas obligé de tout lui raconter... Surtout vu son comportement du jour.

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Sous le préau de la caserne, il ne faisait pas bien chaud. Certes, les températures étaient plus clémentes que pendant l'hiver mais le vent froid s'immisçait entre les quelques personnes présentes et jusqu'au travers de leurs vêtements. Les cuirasses de mage ne protégeaient pas plus de la fraîcheur qu'une robe légère. Ciryië avait même l'impression qu'elle gardait le froid tout contre son corps. C'était donc les bras enlaçant son propre corps qu'elle attendait avec ses camarades, se demandant comme tout le monde ce qu'ils faisaient ici. Manifestement, les militaires eux-mêmes n'avaient pas l'habitude d'être ainsi appelés et ils semblaient impatients de reprendre le cours de leur journée. Lorsque les deux officiers arrivèrent, l'endroit fut pris d'une soudaine et brève agitation. Une fois que tous furent en rang et au garde à vous (visiteurs compris), l'un d'eux prit la parole. Ainsi dont, les jeunes mages seraient réellement en immersion dans l'univers militaire. Cela provoqua un certain engouement parmi eux qui fut bien vite stoppé par le simple regard intransigeant du Commandant. Apparemment, mieux valait attendre qu'il ait fini et qu'il soit parti avant d'exprimer son enthousiasme. Il énuméra alors les noms de chacun des étudiants pour les associer à un militaire. Il n'était pas arrivé à la moitié de sa liste qu'il y eut un blanc bientôt suivi par une discussion privée entre les deux officiers présents. Les élèves se regardèrent tour à tour, non sans avoir à un moment donné porté leur regard sur Ciryië. Tous étaient interloqués mais aucun d'eux n'osaient plus ouvrir la bouche. Finalement, le nom de la jeune Las'Danir fut répété, juste avant que ne vienne celui du Capitaine des Aigles.
Ciryië resta béate et hésita un instant à suivre son tuteur pour les quatre jours à venir avant de finalement s'élancer à sa suite d'un pas rapide afin de le rattraper. Entrant dans la salle d'armes à la demande de Neraën, elle regarda autour d'elle, se demandant ce qu'elle faisait là, avant qu'il ne lui explique ce qu'il venait de se passer.

-Celle qui devait s'occuper de toi a dû être renvoyée en mission en fin de matinée, ne me demande pas pourquoi.
-Je n'en avais pas l'intention. Rétorqua-t-elle le plus simplement et sincèrement du monde.

Le ton qu'il employait désormais contrastait avec celui qu'elle l'avait vu emprunter dans le mess moins d'une heure plus tôt. Il était désormais non plus une connaissance agréable, ni même le Capitaine des Aigles mais ni plus ni moins que son précepteur. C'était pour le moins étrange mais elle s'y ferait. Ce n'était que pour quelques jours après tout. Et d'ici une ennéade, chacun reprendrait probablement le cours de sa vie. Alors il n'y avait pas de raison qu'elle se formalise et se contenta de répondre qu'elle avait compris ses paroles et la consigne selon laquelle il devrait toujours savoir où elle se trouve. Elle comprenait qu'il n'avait probablement pas de temps à perdre pour tenter de la trouver dans l'immensité de la caserne. Puis il lui demanda de se choisir une arme après lui avoir expliqué qu'elle pourrait en avoir besoin si elle était réellement militaire et qu'elle se trouvait sur un champ de bataille. Cette explication fit sens dans son esprit. Il était vrai qu'incanter un sort prenait plus ou moins de temps. Une lame quelle qu'elle soit pourrait en effet lui sauver la vie... Au moins, il n'y avait pas de temps de latence pour pouvoir la manipuler.
Suivant les indications de son tuteur, Ciryië se tourna à nouveau vers la salle d'armes, regardant les râteliers avec un peu plus d'intérêt cette fois. Elle tomba d'abord sur des masses... Bien trop lourd pour elle. Des haches ? Trop barbare à son goût. Double-lame ? Trop compliqué à apprendre, surtout en si peu de temps. Non, une épée toute simple suffirait. Elle s'arrêta donc devant l'étalage de lames simples et les examina. Elle en prit une, non sans faire preuve d'un certaine prudence car c'était la première fois qu'elle touchait une arme plus grande et plus dangereux qu'un couteau. Elle la soupesa un instant avant de porter une nouvelle fois son regard vers Neraën. Elle n'était pas vraiment à son aise mais cela pouvait se comprendre. La situation tout comme la demande de l'officier étaient inhabituels.

Ciryië soupira, comme pour tenter d'évacuer sa gêne.

-Et maintenant ?

Neraën regarda sa petite protégée faire, sans faire le moindre bruit ou mouvement. Il la fixait juste du regard, ne laissant paraître en lui aucun jugement quant à ce qu'elle décidait. De toute façon, il n'était pas à lui de décider pour elle de ce qu'il lui fallait prendre comme arme. Ils n'avaient que quelques jours devant eux, pas des mois voire années comme il pouvait en avoir l'habitude. Aussi ne lui ferait-il pas essayer toutes les panoplies d'armes afin de s'assurer de ce qui convenait le mieux à la jeune mage mais se contenterait seulement de lui apprendre celle qu'elle avait choisie. Et déjà il pouvait remarquer que la jeune elfe n'avait jamais dû tenir une arme de sa vie, ce qui n'était pas pour aider. Il attendit qu'elle le regarde avant de s'approcher, calmement, jusqu'à se retrouver juste à côté d'elle. Il tendit la main et attendit qu'elle la lui donne. Une fois en main il s'écarta et commença à faire des moulinets avec, effectuant en même temps ce qui ressemblait à des pas de danse, puis s'arrêta en posant la lame à l'horizontal sur son index ganté. Il trouva l'équilibre, fixa de ses yeux aussi froids que l'hiver l'épée puis la reprit en main.

"Reprends-la dans ta main directrice, à pleine poignée."

Il lui montra comment faire et attendit qu'elle s'exécute, la scruta un instant puis se tourna vers le ratelier où se trouvaient les autres épées du même style. Il en prit une, l'essaya, testa son équilibre, fit de même avec une deuxième puis une troisième arme. Toujours sans rien dire. Puis il tendit à Ciryië la dernière épée avec un fin sourire.

"Prends celle-ci en main et dis-moi ce que tu en penses."

Il s'agissait d'un sabre elfique à la lame courbe longue et fine, très simple, et dont le point d'équilibre était selon lui bien placé par rapport à la façon dont l'elfe tenait la première arme. Il attendit qu'elle s'exprime avant de reprendre la parole. A ce moment-là arriva un autre duo, aussi parla-t-il à voix basse.

"Normalement, chaque épée est forgée en fonction de la personne qui la maniera, afin qu'elle soit l'exact prolongement de son bras. Qu'en somme, l'arme et le combattant ne fassent qu'un lors d'une bataille. Toutes les armes qui sont dans cette salle sont différentes, que ce soit dans leur équilibre ou dans leur forme, afin que les soldats puissent s'entraîner avec des armes leur correspondant. Te concernant, vu ce que j'ai pu voir de ton caractère ainsi que de la façon dont tu manipules la magie, une lame courbe assez longue est ce qui te correspond le mieux en matière d'épées courtes : assez longue pour compenser la crainte de foncer sur l'ennemi et possédant une forme demandant beaucoup de tact et de dextérité. Maintenant on va aller dans une salle d'entraînement et laisser les autres choisir leur arme."

Sur ce il regarda derrière le ratelier et attrapa le fourreau correspondant à l'épée. Après avoir rengainé le sabre, il se dirigea vers une section de la salle où se trouvaient quelques ceintures - il fallait souvent approvisionner les stagiaires là-dessus - en prit une puis fit signe à Ciryië de le suivre.

Ils arrivèrent dans une salle assez petite éclairée par de grandes fenêtres et où deux bancs se trouvaient, ainsi qu'un petit ratelier au bout de la pièce rectangulaire. Pour l'instant il n'y avait personne, étant donné que les tuteurs ne connaissaient pas encore leurs tutorés et donc prenaient le temps de les cerner avant de réellement se mettre au travail. Quoique certains, notamment l'un des mages, apprenait à sa manière à connaître son apprenti. Une manière comme une autre de faire : les mettre directement face à un cas concret n'était pas un mal, même si Neraën préférait le faire avec ses propres soldats qu'avec de jeunes adultes qui pour beaucoup n'ont jamais touché une arme de leur vie.

"Très bien ! On va pouvoir passer à la base de la base, les pas et comment tenir correctement une arme. Es-tu prête ? Et n'hésite pas à me poser des questions si tu en as, c'est maintenant ou dans quelques heures, une fois que ton corps aura bien mémorisé les mouvements à faire."

Allongée sur sa couchette, Ciryië regardait fixement le plafond au-dessus d'elle. Elle se remémorait les derniers jours, cherchant à comprendre ce qui la perturbait dans tout ça. L'uniforme, le rythme militaire, les différents entraînements physiques quotidiens, le respect des grades, les lieux... Non, tout cela n'était que de la découverte et c'était bien pour cela qu'elle était venue. Elle ne ferait sans doute pas une carrière militaire contrairement à certains de ses camarades particulièrement enthousiastes mais cette expérience restait néanmoins intéressante. Et puis, dans un peu plus d'une ennéade, ce serait fini.
Alors qu'est-ce qui clochait ?

La nuit s'avançait sans qu'elle ne parvienne à mettre le doigt dessus. Elle laissa ses pensées vagabonder entre ses souvenirs, s'attardant sur certains plus que sur d'autres.
Elle avait réalisé qu'elle était plutôt rapide pour quelqu'un qui n'avait jamais trop couru de sa vie. Les plus audacieux en étaient venus à faire la course avec elle et il était rare qu'elle perde face à ses camarades. C'était plus fréquent contre les militaires mais leur instructeur lui avait laissé entendre qu'avec un peu d'entraînement...
Les armes, ce n'était vraiment pas pour elle. Elle avait appris quelques petites choses mais, alors qu'elle pouvait passer des mois sur la maîtrise parfaite d'un seul sortilège sans jamais désespérer, elle n'aurait pas la motivation d'en faire davantage dans un domaine plus physique.

L'immatériel. C'était ça son domaine.

Le visage de Neraën passa devant ses yeux toujours ouverts. Elle repensa alors à leurs quelques entraînements ensemble. Elle lui trouvait quelque chose de différent depuis leur première rencontre... Il n'avait rien à voir avec celui qui l'avait suivi dans la neige tandis qu'elle partait de chez lui après lui avoir fait peur avec ses pouvoirs. Il était plus dur. Plus rugueux. Même si elle croyait entrapercevoir un brin de douceur dans son regard ou sa voix par moment, il disparaissait aussitôt, si bien qu'elle s'était mis à penser qu'elle avait rêvé. Elle ne savait pas pourquoi mais cette attitude la contrariait. Elle imaginait déjà l'explication que lui donnerait sa colocataire. Cette simple pensée la fit rager et elle se retourna dans son lit afin de tenter de fermer les yeux, cherchant le sommeil. En vain.


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-Oh, toi, tu n'as pas beaucoup dormi. Je me trompe ?

Ciryië ne répondit pas vraiment. Son pas lourd, ses petits yeux et ses épaules basses parlaient d'eux-mêmes. Eviliniel la côtoyait depuis suffisamment longtemps pour savoir décrypter son état d'après son attitude. Elle faisait la même tête chaque matin qui précédait un examen pour lequel elle n'était pas sereine.

-Pourtant, on n'a pas d'interrogation aujourd'hui. Qu'est-ce qu'il y a ? La charia-t-elle.
-Ça doit être l'enfermement dans cette enceinte. Ce n'est rien.

Eviliniel regarda sa camarade sans cacher qu'elle n'était pas vraiment convaincue par sa réponse mais son amie fit comme si elle n'avait rien vu et passa à autre chose. Elle prit un plateau et s'avança pour aller chercher son petit déjeuner. Elle prit place à table avec ses camarades. Quelques groupes s'étaient formés avec le temps et nombre d'entre eux comprenaient quelques militaires en la personne de leur tuteur et leurs frères d'arme. La table de Ciryië ne faisait pas exception à part que Neraën n'était pas de la partie. Elle passa tout le repas la tête ailleurs. Elle tentait de prêter l'oreille aux conversations alentours mais elle décrochait en à peine deux minutes. Le repas passa puis le mess se vida et elle suivit le mouvement. Elle n'avait pas la moindre idée de ce qu'ils allaient faire aujourd'hui. On leur avait juste promis quelque chose d'un peu spécial.

-Bonjour à tous. Ce matin, pas de courses de dix kilomètres, pas de pompes, pas de bagarre. Nous allons revenir à un sujet que connaissez bien : la magie. Vous allez vous séparer en deux groupes. Ceux qui se sentent en capacité de travailler l'art de l'offensive, vous irez avec mon homologue ici présent. Il n'y a pas de restrictions concernant votre domaine magique, on peut jouer les attaquants dans tous les Arts. Les autres, vous viendrez avec moi pour la partie défense. Ne vous en faites pas, vous pourrez changer demain pour tester les deux.

Ciryië choisit de rester tandis qu'Eviliniel préférait tenter une nouvelle expérience. Elle maîtrisait l'eau et était curieuse de voir comment les mages utilisaient cet élément au combat. Elle tenterait la défense le lendemain.
Même si le sujet l'intéressait également pour ce qui était des ombres et ainsi comprendre ce qui avait pu effrayer Neraën, la jeune elfe ne se sentait pas de la suivre avec le peu d'énergie qu'elle avait. Autant prendre quelque chose de plus tranquille...

Leur groupe formé, tout le monde suivit Norivalel jusqu'à un lieu auquel ils n'auraient pas pensé : le champ de tir, lieu d'entraînement des archers. Les jeunes académiciens se regardèrent les uns les autres, tous interloqués par le choix de leur formateur. Peut-être avait-il simplement réservé l'espace en le détournant de sa fonction première.
L'instructeur de fortune demanda à tout le monde l'attendre puis il se dirigea vers l'un des archers présents. Ils échangèrent quelques mots puis tous deux revinrent auprès d'eux.

-Bien ! Il me faut un volontaire !

Face à cette situation étrange et à l'inconnu qui les attendait, les étudiants n'étaient pas très curieux de découvrir ce qui allait se passer et aucun ne leva la main, espérant que quelqu'un finirait par le faire. Un long silence flotta, prenant un peu plus de pesanteur chaque seconde. Mais le militaire en eut bien vite assez d'attendre.

-On va pas y passer la nuit. Toi, avance et vient avec moi.

Ciryië se montra du doigt, interrogeant Norivalel du regard. C'était bien à elle qu'il parlait ?...

-Oui oui ! Allez, avance.

La jeune Las'Danir finit par obéir, non sans quelques hésitations. Elle suivit le guerrier tandis que l'archer donnait ses recommandations et instructions à ceux qui resteraient en observation. Son but était visiblement de ne pas être gêné par leur présence... Et Ciryië s'enfonçait toujours sur le terrain de tir...
Mais qu'est-ce qu'il se tramait ?!

-Bien. Mets-toi ici. Face à l'archer. Et utilise ta magie pour te défendre.

Sans plus de cérémonie, Norivalel fit volte-face et commença à s'éloigner. Ciryië écarquilla grand les yeux.

-Vous voulez dire qu'il va me tirer dessus ?!
-Bien sûr. Répondit-il sans même se retourner. Et il ne s'arrêtera de tirer que quand tu auras réussi ou qu'il n'aura plus de flèches.
-Je suis mage de l'immatériel, pas élémentaliste ! Comment voulez-vous que je pare ses attaques ?!
-Débrouille-toi !

Norivalel avait presque rejoint le groupe et la jeune mage tourna son regard pétrifié vers l'archer qui se mettait déjà en place, un genou à terre.
Mais comment elle était censé faire ça ?...

Son cerveau n'eut pas le temps de se mettre en route... La première flèche fusa. Ciryië releva les bras devant elle, se recroquevillant sur elle-même et poussant un cri. Le projectile passa non loin d'elle. Elle sentit le vent qu'il avait agité sur son passage mais il ne l'avait pas touché.
Un nouveau coup d'oeil vers l'archer qui prenait déjà une autre flèche. Il lui avait vraiment tiré dessus... Et elle était tellement sous le choc qu'elle ne réalisait même pas qu'il visait à côté exprès. Son but n'était pas de la toucher, seulement de la faire réagir.

Nouvel essai. Cette fois, Ciryië bondit pour éviter le projectile, cherchant en vain quelque chose derrière lequel se cacher.

-Sers-toi de ta magie !!

Facile à dire ! Elle aurait voulu l'y voir : essayer de se concentrer dans une situation pareille.

Nouvelle flèche. Elle se jeta au sol pour l'éviter.
Une autre. Elle recouvrit sa tête de ses bras et elle l'entendit venir se planter à quelques centimètres d'elle.
Il fallait qu'elle fasse quelque chose... Il n'avait vraiment pas l'intention de s'arrêter.
Elle roula pour éviter la flèche suivante. Elle cherchait les flux autour d'elle. Elle les sentait à peine... mais tentait de les canaliser malgré tout.
Prenant appui sur ses mains, elle se redressa et bascula en arrière pour esquiver encore. Celle-ci aurait bien pu la toucher, elle le jurerait.
Encore une. Ciryië mit leva une main, tirant l'ombre d'une tour sous laquelle elle se trouvait. Une vague noire passa devant elle juste au moment où la flèche allait l'atteindre avant de s'échouer aussitôt par manque de concentration de sa maîtresse.

Une seconde de blanc... L'archer ne cherchait pas à prendre une nouvelle flèche.
Où était la dernière ?... Elle n'avait rien. Il n'y avait rien derrière elle. La vague d'ombre avait dû l'emporter.

Norivalel se tourna vers les académiciens.

-Au combat, votre adversaire ne vous laissera jamais le temps de respirer. Votre concentration, vous devez la trouver avant de vous retrouver sur le champ de bataille et ne jamais la perdre, quoi qu'il arrive. C'est une situation à laquelle vous n'êtes pas habitué et je ne m'attendais même pas à ce que votre camarade y arrive. Pour les prochains, soyez rassuré : Seregon ne cherche pas à vous toucher. Il tire dans votre direction mais vise à côté.

Puis il se tourna vers Ciryië, toujours à terre, tremblante, le souffle court.

-Tu peux revenir, c'est fini pour toi.

Les bases, les bases, les bases et les bases ! Pendant les trois jours qui suivirent la répartition des stagiaires, Neraën prit grand soin de former comme il le pouvait dans le court temps qui lui était imparti la jeune Ciryië. Le premier jour, ce ne furent que des répétitions d'attaques et de parades. Le deuxième jour, répétitions à nouveau le matin puis entraînements à l'esquive et duel amicaux. Le troisième jour, le capitaine se fit beaucoup plus dur dans ses paroles et dans les entraînements en eux-mêmes. Jamais il n'insultait, jamais il ne blessait d'une manière ou d'une autre - hormis l'égo lorsque le résultat était vraiment médiocre. Par contre il n'hésitait pas à mettre son élève dans des postures peu agréables, lui faisant clairement comprendre que si elle avait été face à un véritable adversaire elle serait actuellement morte. Déjà qu'elle ne se trouvait pas être à son aise une arme à la main, Neraën ne l'aidait pas à avoir le sourire lorsqu'elle devait la reprendre. C'était le problème d'être l'élève d'une personne ne pouvant pas vous consacrer l'entièreté de ses journées. Et c'était peut-être le problème d'avoir un mentor etenirili, aussi. Quoi qu'il en soit, la jeune femme se retrouva de nombreuses fois seule avec des conseils pour s'améliorer et des consignes quant à d'autres entraînements à faire. Un signe, une parole. Tout ce qu'elle avait besoin de savoir lorsqu'elle devait partir.

Ce matin-là, le Capitaine Yeldoreï n'était pas présent à la cantine avec tous les autres. Il n'avait pas été remarqué plus tôt dans la matinée, et il ne se montra pas lors des entraînements des jeunes mages ou bien même à ceux de ses collègues. Non. Ce jour-là, aucune trace de l'aigle. Suite au fabuleux entraînement sur le champ de tir où la Las Danir fit partie de ceux qui sortirent du lot, Aelian vint voir la mage, comme à son ordinaire le port militaire relativement tranquille. Mais de près, la jeune elfe pouvait remarquer que son regard était inhabituellement sérieux. Pour cotoyer Neraën de manière plus privée que les autres, Ciryië avait pu voir que les deux etenirilis qu'étaient Aelian et son mentor étaient du style à rire et à avoir toujours une éteincelle dans leur regard malgré le sérieux qu'ils montraient. Une éteincelle qui était absente dans celui d'Aelian, pour la première fois depuis qu'elle était arrivée à la caserne.

"Neraën a dû s'absenter, je te prends sous mon aile jusqu'à ce soir en plus de Tineriyn. Ca vous fera travailler la coordination, c'est pas plus mal."

Sans attendre une quelconque réponse de Ciryië, il fit signe à son propre apprenti de le suivre puis marcha sans grand empressement vers l'extérieur de la caserne. Ils marchèrent ainsi une dizaine de minutes, allant vers la forêt pour au final s'arrêter dans une petite clairière sous le couvert des arbres. Tineriyn regarda sa consoeur mais ne dit rien, lui exprimant juste le sentiment de malaise qu'il ressentait. Visiblement, lui aussi avait remarqué des choses inhabituelles.

"Bon ! Tout à l'heure vous avez eu le droit au champ de tir où vous deviez éviter des flèches à l'aide de votre magie, en solitaires. Maintenant que vous avez tous les deux passé ce même exercice, on va pouvoir s'entraîner convenablement. C'est-à-dire - Tineriyn écoute-moi bien - que vous allez vous retrouver tous les deux contre moi. Votre but est de me maîtriser ou de me porter suffisamment de coups pour que je considère être hors d'état de combattre. Bien sûr je vous attaquerai et si je vous porte suffisamment de coups - tout au plus des estafilades, je ne vais pas réellement vous tuer non plus - vous perdez la partie. Je vous le signalerai à ce moment-là. J'y vais, si dans dix minutes vous n'êtes pas sur moi c'est moi qui serai sur vous. Est-ce bien compris ?"

Aelian attendit d'être sûr que ses deux élèves avaient bien compris l'exercice avant de partir dans la forêt, les mains dans les poches et à peine un regard vers les deux jeunes. Une fois qu'il disparut de leur champ de vision, Tineriyn se retourna vers Ciryië et fit la grimace.

"Avec lui ce genre d'exercice n'est jamais bon... d'autant plus qu'il n'a pas interdit la magie, donc c'est qu'il doit s'attendre à ce qu'on l'utilise. Enfin je ne sais pas, il est étrange aujourd'hui. Bref, que préfères-tu ? On le cherche et on le trouve ou bien on attend qu'il soit sur nous ? Et plutôt défensive, la magie, je parie ?"

Ciryië avait mis longtemps à se calmer, malgré les attentions de ses camarades. Les exercices suivants s'étaient déroulés en sa présence mais sans sa participation active. En plus des exercices, Norivalel avait essayé de les faire réfléchir afin qu'ils finissent tous par parvenir maîtriser cet exercice. Comment garder son calme, analyser la situation, se servir de son environnement mais aussi de sa magie, se tenir prêt afin d'être à chaque instant en mesure de réagir pour se protéger. Cela demandait plus d'efforts et de concentration que l'attaque car celle-ci est réellement dépendante de la pensée. Le mage est toujours conscient du coup qu'il porte mais la défense à un caractère nettement plus aléatoire puisqu'il s'agit de s'adapter aux assauts de son adversaire.

La matinée s'acheva ainsi. L'après-midi, chacun retournerait auprès de son tuteur et ils ne poursuivraient ensemble que le lendemain. Au mess, tous essayèrent de redonner le sourire à ceux qui avaient eu du mal avec l'exercice de Norivalel. Ciryië parvint à se détendre un peu et même à sourire de façon timide mais sincère. Elle avait la fin de la journée pour assimiler ce qu'il s'était passé et tenter de s'en remettre. Tout en l'attendant, elle se demandait si elle en parlerait à Neraën. Il avait su comment lui parler pour la faire revenir chez lui, peut-être pourrait-il l'aider...
Mais le Capitaine ne vint jamais... A la place, ce fut un de ses amis qui passa la récupérer et l'entraîna en forêt pour un nouvel exercice. De coordination ? Elle le suivit sans un mot, échangeant parfois quelques regards avec Tineryin. Le sentiment de malaise qui l'habitait ne semblait pas se limiter à elle. Elle avait déjà suivi quelques cours avec lui à l'académie et ils s'entendaient bien. Cela ne venait donc pas d'elle... mais bien d'Aelian ou de la situation actuelle.

Une fois arrivé, l'Aigle leur fit face et leur exposa l'exercice. Ciryië sentit aussitôt son sang se figer dans ses veines et elle resta là, à écouter, en plein état de catatonie... Et personne ne semblait le remarquer. Puis le militaire disparut et le mage se tourna vers elle alors qu'elle fixait toujours l'endroit où Aelian était sorti de son champ de vision.

-...plutôt défensive, la magie, je parie ?

Le jeune femme tourna enfin son regard vers celui qui lui parlait depuis plusieurs secondes désormais, les yeux écarquillés et le teint plus blanc que d'habitude.

-Je peux pas... Tineryin... Je ne peux pas.

Elle devait avoir une demie-journée de répit pour se remettre du choc qu'elle avait vécu le matin même mais finalement, au bout de quelques heures à peine, ils remettaient ça. Elle revoyait déjà les flèches fonçant sur elle. Elle sentait encore le vent s'agiter près de sa joue à leur passage. Elle n'était pas encore prête à retenter l'expérience. Pas ça... Elle voulait fuir et fit même un pas en arrière. Seule la présence de son confrère et la volonté de ne pas le laisser seul face à ce qui l'attendait la contraignait à rester là. Mais il ne lui en aurait pas fallu beaucoup plus...

Le jeune elfe regarda sa consoeur avec un air gêné... c'est qu'il commençait à être habitué à l'aigle qui se chargeait d'eux et il savait pertinemment que ce genre de comportement n'allait pas passer. Qu'il avait beau être l'un des pires blagueurs qu'il ait pu entendre, le refus de combat n'était pas dans ses cordes. A moins que ce ne soit pour fausser l'adversaire. Mais là, vu l'état dans lequel était Ciryië...

"Ciryië... il va falloir, je... Je lui dirai d'y aller mollo, d'accord ? C'est juste un entraînement. Ne t'en fais pas, je reste avec toi."

Il fit exprès de sourire, même si intérieurement il n'était aucunement rassuré. A la fois il n'avait pas envie de se faire vertement gronder, à la fois la façon dont s'était comporté Aelian n'était pas habituelle. Il y avait quelque chose qui n'allait pas et Tineryin se demandait si ce n'était pas en rapport avec le capitaine des Aigles... Ciryië semblant bien s'entendre avec, il préféra ne rien avancer à haute voix et se contenta juste de lui tendre la main pour l'inviter à le suivre.

"Au pire, tu ne pourrais pas te cacher dans les ombres ? Tu serais tranquille comme ça."

Le seul problème était qu'il était loin d'imaginer ce que voulait réellement dire "se cacher dans les ombres".