Jeux d'ombre | Eryndir & Ciryië

7ème jour de la 9ème ennéade
Hiver, Verimios de l'An 17:XI

Pourquoi fallait-il que les rares denrées que la forêt possédait en ce moment soient aussi difficiles d'accès. Penchée au-dessus d'un trou, la petite elfe étirait le bras aussi loin que possible pour tenter d'attraper quelques noix tombées au fond et qu'aucun animal n'était allé chercher. Elle prenait appui sur une vielle racine de sa main libre, forçant pour s'enfoncer le plus possible dans cette faille.

Ciryië n'avait pas quitté la cité depuis bien longtemps. Elle s'était reposée, nourrie puis avait pris la décision de partir, ne supportant plus la ville. Pour des raisons qui lui semblaient étranges, elle se sentait mieux dans la forêt. Malgré les dangers, malgré l'inconnu que cela représentait, elle avait l'impression que sa place était là... Au moins pour quelques temps en tout cas. Alors elle s'était équipée de vêtements de marche chauds et d'un sac avec quelques provisions et avait quitté les murs protecteurs de la Quatrième Saison. Elle ressemblait toujours à une enfant avec sa petite taille, ses formes disparues sous l'épaisse couche de tissu qui la recouvrait et ses traits juvéniles. On aurait plutôt dit une adolescente des cités partie seule dans les bois pour s'affranchir de sa famille.

Et, pour l'instant, elle ne s'en sortait pas si bien...

Forçant un peu trop sur la racine desséchée qu'elle avait en main, celle-ci céda sous le faible poids de la jeune fille sur bascula et tomba dans le trou. Elle poussa un cri, d'abord de surprise puis de douleur. La réception fut rude sur le sol irrégulier et parsemé de noix. Allongée dans ce piège, Ciryië prit quelques instants pour se remettre de sa chute puis ouvrit enfin les yeux. Elle regarda autour d'elle pis laissa sa tête retomber lourdement en arrière dans un soupir.

Qu'elle idiote !

Elle ferma alors ses paupières et, lorsqu'elle les rouvrit, elle était dans cet entre-deux mondes sans couleur où il ne faisait ni chaud ni froid. Cet univers qui n'était qu'un pâle reflet de ce qui l'entourait la minute d'avant. Une forêt fantomatique où pas une âme ne vivait hormis quelques passages furtifs. Mais au moins, elle n'était plus dans ce trou ! Et le sol autour d'elle était parsemé de feuilles et de noix qu'elle avait emporté avec elle dans ce transfert. Elle voulut se redresser et grimaça. Quelques coquilles avaient marqué son dos et sa jambe droite lui faisait mal. Elle se força à la plier... C'était assez douloureux mais elle n'avait rien de cassé à première vue. Elle prit alors appui sur son autre jambe pour tenter de se retourner dans une plainte, première étape pour se relever...
En appui sur un coude et une main, Ciryië se figea soudain. Une sensation bien connue venait de l'effleurer. La Trame s'était mise en mouvement... Un sort d'ombre... Qui n'était pas de son fait.

Il y avait quelqu'un d'autre dans cet univers parallèle...

Ils n’étaient pas dans la région depuis bien longtemps. Quelques jours, peux être une ennéade.  Eryndir avait voulu voir du neuf. Cette région du monde l’intriguait depuis quelques années. Depuis que les citadins s’étaient réunis comme des petites fourmis en directions de leur antre de pierre. Il avait trouvé ça fascinant, ces gens habillés de toute les couleurs...Même si l'idée de vivre entre des mur ,ça ça ne lui plaisait pas.

-Tu crois qu’on croisera leurs éclaireurs ? Je me demande s’ils fonctionnent comme nous…Peut-être qu’ils ont même de tes confrères, t’en pense quoi Rilma’ ?

Bien entendu le félin sur lequel était perché le noss ne répondit pas, se contentant de secouer son immense tête surmontée d’une crinière blanche.

-T’entend pas quelque chose ?

Le noss de hausser les oreilles, guettant un signe. Il était certains d’avoir entendu quelque chose. Il avait l’impression d’avoir entendu un cri. Avec prudence, il descendit donc du dos du Caengal et d’un geste lui intima de se faire tout petit. Enfin, tout petit pour un félin de deux mètres au garrot… Il grimpa dans les branchages, s’y fondant autant qu’il pouvait.

De sa main gauche l’elfe sortit l’amulette peinte et gravée de sous ses vêtements et de son autre main écarta un rideau invisible de devant lui. Un pas et le monde devint froid et gris.

Quelque chose le perturbait cependant. Si la symphonie n’avait pas changé, toujours calme, la trame semblait avoir été perturbée avant même l’intervention d’Eryndir. Il eut une nouvelle plainte et le noss s’y dirigea à pas lent. La main qui ne lui servait pas à utiliser la magie près de la besace contenant sa sarbacane.

Jusqu’à ce qu’il aperçoive à quelque pas une silhouette qui ressemblait à celle d’une…enfant ? Peut être une apprentie éclaireuse comme il l’avait dit plus tôt. En tout cas éclaireuse ou non elle n’avait pas l’air dangereuse. Quoiqu’il était encore relativement loin… D'ailleurs qu'est-ce qu'elle faisait par terre ? Avait-elle été attaquée par une bête ? 

-Hé ? Il lança à mi-voix pour attirer l’attention de l’étrangère. Il fit un large signe de la main pour accompagner son appel. Par ici !

Croiser un autre dans cet aspect du monde, voila qui n’était pas banal…

La petite elfe aux cheveux noirs tombant tout autour d'elle et à la peau aussi pâle que la neige qui l'entourait releva subitement la tête. L'intrus manifestait lui-même sa présence et elle l'observa en fronçant les sourcils devant cette attitude qui lui semblait bien étrange. Quel était l'intérêt de pénétrer dans les ombres si c'était pour signaler sa position de cette manière ? Elle le regarda ainsi de longues secondes. C'était la première fois qu'elle croisait quelqu'un ici... Enfin, non. Il y avait eu la sombre coincée dans le plan des ombres... Mais c'était la première fois qu'elle y croisait un mage. Et ce n'était pas un Drow mais bien un elfe... Un Noss à première vue. Donc... En toute logique... Elle ne courrait aucun danger.

-Bonjour. Dit-elle finalement, n'ayant rien de mieux à lui offrir pour le moment.

Ciryië entreprit ensuite de se lever, pliant sa jambe sous elle. Ou essayant en tout cas car cela semblait plus facile à dire qu'à faire... Elle grimaça de nouveau, puis gémit en remettant son membre en place. Ce que ça pouvait faire m...

Attendez...
Mais depuis quand elle réagissait à la douleur ?! Elle ne s'en était pas rendue compte la minute d'avant à cause du choc mais maintenant... Elle ferma les yeux et soupira. Encore un changement de plus... Elle s'en serait bien passé de celui-là. Néanmoins, si la douleur était encore vive, elle semblait un peu plus diffuse que précédemment. Elle s'engourdissait mais elle eut la conviction que ça allait passer. Alors, plutôt que d'essayer de se mettre debout, elle se laissa tomber sur le côté pour s'asseoir à moitié, lasse et contrariée. Elle étira une épaule, penchant sa tête du côté opposé pour faire se mouvoir son dos endolori. Puis elle se remit droite et observa le tapis de feuilles et de noix entourant ou parsemant les traces qu'elle avait laissée dans cette fausse neige et qui s'atténuait pour reprendre l'aspect qu'elle avait dans le monde réel. Qu'elle piètre aventurière elle faisait... C'était la seule réflexion que lui inspiraient les émotions qui l'habitaient pour le moment.

Elle se tourna à nouveau vers le Noss, le détaillant autant que cela lui était possible de là où elle était.

-La magie des ombres est plutôt rare, et plus encore en Anaëh... Observa-t-elle. Soudain, elle tourna la tête vers le trou à deux mètres devant elle et dans lequel elle venait de tomber. Et elle lâcha une phrase pour elle-même... Mais pourquoi j'ai pas pensé à y aller par les ombres ?...

-Rare ? fit-il en s’approchant. Je ne dirais pas ça moi. Surtout après t’avoir croisé en si peux de temps. Il fit un grand sourire. Il était très content de cette rencontre inattendue. Lui qui voulait voir du neuf…Remarque c’est la première fois que je vois une éclaireuse Taledhelle. Vous ne vous organisez pas comme nous j’imagine. Mais je ne comprend pas pourquoi vous n'utiliseriez pas ce genre de magie.

Il pencha la tête sur le côté, comme soudain intrigué. Elle ne semblait pas aussi heureuse à en voir ses grimaces. Il plia les genoux pour se retrouver à sa hauteur.

-Tu t’es fait mal ? Quelque chose t’a couru après pour que tu te réfugie ici ou est-ce que tu t’entraînais ? Il doit me rester quelques plantes pour atténuer les douleurs.

Il désigna d'un geste sa besace contre sa hanche et puis il jeta un regard aux alentour. Tout était gris, tout était morne et froid. Pas le plus agréable du monde…

-Si ça te dit de sortir de là par contre, je ne dis pas non. Fit-il ne se rendant même pas compte qu’il n’avait pas laissé le temps à son interlocutrice de répondre. Mon compagnon ne peut pas me détecter ici et je doute qu’il apprécie attendre des heures avant de retrouver ma piste. Et puis j’imagine que les tients aussi doivent se demander où tu es.

Le Noss sembla surpris par sa constatation. Pourtant, c'était un fait issu de sa propre expérience qui n'était pas si restreinte que son apparence pouvait le laisser à penser. Elle avait côtoyé plus d'une académie de magie et certains des enseignants s'étaient renseignés à propos de l'existence de mages des ombres parmi les Taledhels. Ils en avaient trouvé très peu... Et aucun d'entre eux ne semblaient connaître cette magie aussi bien qu'elle du fait de l'enseignement qu'elle avait reçu. Aucun à part celui qui avait chassé la créature qui la poursuivait d'un simple claquement de doigts...

-Je ne sais pas d'où tu viens mais c'est le cas pourtant. C'est ce qui rend cette rencontre aussi... étrange. Pour moi en tout cas.

Visiblement, il n'était pas aussi surpris qu'elle d'avoir pu croiser un autre mage de son domaine. Cela rendait la jeune femme plutôt perplexe. Elle n'accorda d'ailleurs que très peu d'importance au fait que l'inconnu la prenne pour une éclaireuse. Que ce soit le cas ou non ne changeait pas grand chose à la situation. Elle s'était fait mal et ne pouvait pas se relever pour le moment.
Le Noss s'approcha et s'accroupit devant elle. Elle ne le quitta pas du regard tandis qu'il l'interrogeait sur sa blessure, lui offrant ensuite son aide. Malheureusement, toutes ses hypothèses étaient fausses... Mais elle ne se sentait pas vraiment d'humeur à l'avouer pour le moment. Surtout à un homme qu'elle ne connaissait pas.

-Pas vraiment... Non. Répondit-elle faiblement à ses interrogations. Et ça ira, j'ai connu pire. Conclut-elle afin de changer de sujet.

Ciryië chercha autour d'elle la trace de ce fameux compagnon, son regard perçant à travers le voile qui les séparait du monde réel. Mais elle ne vit rien. Cependant, elle n'avait rien contre l'idée de sortir. Dans l'entre-deux, elle ne se sentait plus aussi bien qu'autrefois, cet endroit ayant perdu tout le réconfort qu'il lui apportait lorsqu'elle était aussi vide et froide que lui... Aujourd'hui, elle y restait de moins en moins.
Alors, sans rien dire et sans bouger, son corps traversa la barrière et elle retrouva le sol gelé, la neige et le froid, le vrai. Les bras enroulés autour d'elle, la jeune femme resta quelques instants là à regarder sa jambe endolorie. Le Noss avait évoqué le fait qu'elle ait des compagnons mais elle n'y avait pas réagi. Elle réalisait qu'elle était partie parce qu'elle avait ressenti le besoin mais aussi... qu'elle était seule désormais. Seule avec tout ce contre quoi elle devait batailler, avec ces choses nouvelles qu'elle devait apprendre à appréhender... La musique, les sentiments, la nature, les animaux, son passé et même son présent... Mais personne ne pouvait l'aider.

De nouveau, Ciryië tenta de se lever. Elle grimaça encore mais elle y parvint avec un peu plus d'efforts et en s'appuyant sur un rocher non loin. Une fois debout, elle choisit une direction au hasard et fit un premier pas, puis un autre... S'éloignant de l'ornedhel sans un mot. Une larme perlait sur sa joue, en silence. En plus de la douleur, mille émotions fusaient en elle sans qu'elle ne parvienne à les arrêter ou à les raisonner. A chaque pas, elle avait un peu moins mal et boitait un peu moins mais il lui faudrait quelques jours pour ne plus claudiquer ni souffrir en pliant le genoux et plus encore pour que le bleu qui prenait déjà forme sous son pantalon disparaisse.

-Héé ! protesta le noss qui voyait sa nouvelle interlocutrice s’éloigner. 

Il n’était pas prêt à la lâcher celle-ci. Il avait bien trop de curiosité à assouvir. Et puis ça n’était pas une façon bien polie de quitter une conversation. Il voyait, pour finir, qu’elle était blessée et il ne pouvait pas la laisser errer ainsi. Alors il fit le même geste qu’a son entrée dans l’entre-deux et le monde repris ses couleurs hivernales. En deux bonds il se retrouvait à ses cotés.

-Dis donc c’est pas très sympa de partir comme ça ! Fit-il les mains sur les hanches et la tête penché sur le côté. Et puis il s’aperçût qu’elle pleurait alors il se radoucit. Je sais pas si je t’ai fait peur, petite mais c’était pas le but.  

Machinalement il replaça son amulette sous ses vêtements puis il croisa les bras l’air franchement ennuyé par l’étrange réaction de son interlocutrice lorsque les branches s’agitèrent au-dessus de leurs tête. En levant les yeux on pouvait apercevoir un bout de museau gris bleuté entre les branches, ainsi que deux yeux, eux aussi bleus, scintillants de curiosité.

-Ah je crois que Rilmaluinicë m’a retrouvé. Fit Eryndir en l’observant. Il peut te ramener chez toi si tu veux à ce point t’enfuir. Son sourire se fit un peu moins joyeux alors qu’il reposait les yeux sur celle qu’il prenait pour une apprentie éclaireuse. On ne capture pas les citadins perdus contrairement à ce que vous avez parfois l’air de croire.

Elle devait être de ces citadins terrifié par les autres ornedhels. Eryndir en avait croisé un ou deux de ce genre lorsqu’ils s’étaient mis à migrer. Il ne les comprenait pas, ça le vexait même un peu d’ailleurs et souvent ça le faisait rire de faussement confirmer leurs dires les plus absurdes quitte à en rajouter une couche. Seulement là les larmes de la jeune elfe lui faisaient plus de peine que les mines ridiculement outrées des adultes empêtrées dans leur croyances bancales.

-ça n’a pas l’air trop grave mais je vois bien que tu marche difficilement et je ne suis pas elfe à en laisser un autre dans le pétrin. De quoi j'aurais l'air sinon ? Le nouveau grand sourire qu'il affichait après cette dernière phrase témoignait qu'il ne s'agissait bien sûr que d'une plaisanterie. Au fait Je m’appelle Eryndir, je viens de la noss Vethërill.

Ciryië se laissa surprendre par l'apparition du Noss à ses côtés qui vint ensuite lui barrer la route. Cela la contraria d'abord... Depuis quand ne parvenait-elle plus à anticiper les actions d'un mage ? De son domaine en plus ?! Est-ce que ce changement opéré dans la grotte lui avait aussi fait perdre une partie de ses compétences ?... Cela lui fit bien plus peur que l'homme qui l'empêchait à présent de s'en aller et une larme perla sur son autre joue. Elle détourna la tête pour qu'il ne la voit pas, ignorant que c'était assez vain de sa part.

-Non. Répondit-elle simplement.

Il ne lui faisait pas peur. Loin de là. Il n'avait véritablement pas l'air méchant, bien au contraire. Mais il se passait tellement de choses dans sa tête et dans son cœur en cet instant précis qu'elle n'avait qu'une idée en tête : s'en aller. Comme si partir pouvait l'éloigner de toutes ces pensées et de tous ces sentiments. C'était idiot et, quelque part, elle le savait.
La petite elfe ne tourna pas la tête vers les feuillages qui bruissaient. Elle ne vit pas le Noss lever les yeux pour apercevoir son compagnon. Elle n'avait pas la moindre idée de qui était ce... Rilm.... Rilmachin. Tout ce qu'elle voyait, c'était qu'à présent ils étaient deux après elle qui ne demandait qu'à être seule. Elle avait chassé ses larmes d'un revers de main en comprenant que l'homme à la peau brune les avait vues mais une perle d'eau était bien vite revenue tracer un sillon sur sa joue.

-Je ne crois rien... Affirma-t-elle.

Elle ne faisait pas partie de ceux qu'il décrivait. En fait, elle ne faisait partie d'aucune catégorie pour l'instant. Elle se cherchait... Et à vrai dire, c'était terriblement déstabilisant. Comme si tout le reste ne suffisait pas.
Un sourire sans joie s'esquissa sur le visage de la petite mage et cela n'avait rien à voir avec la plaisanterie de l'Ornedhel. Après des années passées auprès des Taledhels, elle avait compris par elle-même ce que l'enfant qu'elle était avait toujours su : en Anaëh, on prenait soin les uns des autres. Il y avait bien sûr des désaccords entre ou au sein des factions mais ils s'en prenaient rarement les uns aux autres. Alors elle laissa quelques mots lui échapper, se parlant visiblement à elle-même.

-La bienveillance des elfes... Elle sécha à nouveau ses joues, ce qui s'avéra totalement inutile pour le côté gauche mais passons... Puis elle se présenta à son tour, imitant son interlocuteur. Ciryië... Ciryië Las'Danir. Je suis née dans la cité d'Ardamir. Mais ton ami n'aura pas à me ramener. Il n'y a plus vraiment de chez moi.

En prononçant ces mots, la jeune femme releva enfin la tête pour chercher le second Noss du regard parmi les branches qu'elle avait entendu se mouvoir un peu plus tôt. Mais au lieu de trouver un elfe, elle découvrit un immense félin. Elle écarquilla alors les yeux et, de surprise, recula d'un pas. Tout du moins était-ce ce qu'elle essaya de faire car le résultat ne fut pas celui-là. Elle s'emmêla les pieds ou butta contre une racine cachée par la neige, peu importait ce qu'il s'était passé car le résultat fut le même. Elle perdit l'équilibre et tomba en arrière. La neige amortit sa chute et elle atterrit sans trop d'encombre malgré sa blessure qui se raviva un peu.
Allongée dans la neige, le corps de Ciryië fut secoué par quelques sanglots qu'elle ne parvint pas à empêcher. Elle ne pleurait pas tant à cause de la douleur qu'à cause de la vague d'émotions qui la submergeait soudainement. Elle regrettait presque de pouvoir à nouveau les ressentir si cela devait lui faire couler des larmes pour un rien... En colère contre elle-même et lasse à la fois, elle frappa mollement le sol avant de rassembler ses jambes près de son corps pour envisager de se relever. Une nouvelle grimace engendra de nouvelles larmes... Elle avait l'impression d'être dans un cercle vicieux dont elle ne pouvait s'extirper.

Elle était vraiment singulière cette petite. Eryndir ne comprenait pas ce qu’elle voulait dire mais il n’eut pas le temps de répondre qu’elle leva la tête et recula en arrière, basculant sans que le noss ne put rien y faire si ce n’est tendre bêtement la main.

Ça se mit à tourner à cent à l’heure dans la tête du Vethërill. Il fronça les sourcils puis releva le nez vers les branchages. Il siffla et fit un geste vers le sol avant de fixer à nouveau la petite elfe perdue. Il s’approcha à nouveau et…s’assit en tailleurs devant elle.

-Elle ne t’as rien fait cette neige tu sais.

Les branchages quant à eux s’agitèrent à nouveau, le museau disparut des frondaisons et une silhouette coula discrètement d’un arbre pour venir se coucher quelques mètres plus loin. Il émit un gazouillis, mélange entre un ronronnement et un grondement, signe qu’il se montrait curieux envers ce nouveau visage.

Eryndir n’y préta qu’une attention relative. A la place, il fit machinalement réapparaître son amulette et il commença à modeler une ombre qui prit peu à peu une forme humanoïde, bien que sa taille ne dépassât pas la vingtaine de centimètre. Elle commença à s’agiter et Eryndir en créa une deuxième.

Les deux faux elfes se mirent à interagir, se chamaillant puis jouant ensemble sous la volonté de leur créateur qui les modelait pour les faire bouger comme un marionnettiste. Il leur donnait l’air de s’amuser de toute les façons qui lui passait par la tête, bien que certains mouvements lui donnaient plus de fil à retordre que d’autres.

C’était comme ça qu’il consolait ses frères et sœurs de noss. Il ne savait pas trop quel effet ça ferait sur la petite citadine mais c’était la première chose qui lui venait en tête. Et puis des fois modeler les ombres lui permettait de se concentrer sur autre choses que ses problèmes. Peut être qu’en l’imitant la dite Ciryië en ferait autant…

-Je sais pas trop ce qui t’arrive, mais tu as l’air d’en avoir sur le cœur. Il releva un œil violet vers elle, gardant le reste de son attention tourné vers ses marionnettes intangibles. Donc vas-y défoule toi. Laisse-toi aller pour de bon, pleure, hurle, parle. Fait sortir tout ça une fois pour toute, tu te sentira mieux après. Un sourire distant à cause de la concentration. Ou laisse-toi aller à jouer avec ton art. Kÿria et Elenmàr nous l’on aussi donné pour ça d’une certaine façon.

Une des silhouettes cessa de jouer et se tourna vers la jeune elfe, sa main d’ombre fit mine de sécher des larmes imaginaires, et puis elle bougea et se retrouva tout près de Ciryië, faisant mine de lui tapoter une jambe qu’elle ne pouvait toucher.

Ciryië regarda les ombres se mettre en mouvement devant elle et cela ne sembla en rien l'émouvoir. En fait, elle crut d'abord qu'il cherchait à l'impressionner mais elle chassa bien vite cette idée. Ces petites choses étaient visiblement censés la distraire de ses chagrins. Si ces petites scénettes eurent le mérite d'arrêter ses larmes, concentrant son esprit sur d'autres réflexions, cela ne l'égaya en rien. Elle se redressa pour s'asseoir tout en se détournant des miniatures.

-Je ne suis pas une enfant. Déclara-t-elle. Je ne sais pas pourquoi tout le monde croit que j'en suis une... Enfin, si... Je sais... Mais ce n'est pas le cas.

Elle savait que sa taille était tout juste celle d'une adolescente et que son visage avait à peine vieilli ces dernières décennies. Elle savait aussi que le simple fait de dire qu'elle n'était pas ce qu'elle semblait être provoquait souvent la même réaction chez les adultes : ils ne la croyaient pas, prenant cela pour une preuve de plus qu'elle n'était pas des leurs. Mais comment le dire autrement ? Quoi qu'elle avait peut-être une idée...

-J'aurais dû faire ma cérémonie du choix depuis longtemps...

Est-ce que les Noss connaissaient cette cérémonie ? Elle n'en savait rien. Mais sa mère lui en avait reparlé en deux occasions. Elle voulait lui faire faire la sienne pour ses cent cinquante ans mais son absence avait quelque peu annulé ses projets. A présent, elle se souvenait qu'elle avait assisté à la cérémonie d'un cousin -ou quelque chose comme ça- quand elle était enfant. Elle s'était alors mise à rêver du jour où elle ferait la sienne et avait commencé à réfléchir à ce qu'elle voudrait faire de sa vie. Elle changeait d'avis toutes les ennéades à l'époque...
Ciryië ferma les yeux dans un bref soupir. Si elle devait la faire aujourd'hui, elle ne saurait pas dire quel serait désormais son rôle au sein de la communauté. Assise, ses jambes repliées devant elle et entourées de ses bras, elle ne savait pas vraiment ce qu'elle était censée faire parmi toutes les suggestions d'Eryndir. Mais la dernière lui semblait la moins probable...

-Je ne sais pas jouer avec les ombres, ce n'est pas comme ça qu'on m'a appris à m'en servir... Je ne l'ai fait qu'une fois, avec un ami. Il faisait des silhouettes sur le mur avec ses mains devant une bougie. J'en ai fait avec la magie... C'est tout...

Neraën... Elle ne savait plus vraiment si elle voulait le revoir pour le moment. Il était si occupé... Il avait certes pris la peine de venir la voir à Ardamir mais il était resté si peu de temps... Peut-être aurait-il pu lui permettre de guérir s'il avait pu demeurer plus longtemps car il était le seul à lui avoir fait faire quelques progrès. Mais il n'avait pas le temps... Alors elle n'allait pas l'encombrer avec ses états de Souffle aujourd'hui.
Observant ses pieds, Ciryië se demanda si elle ne pourrait pas faire la démonstration du meilleur sort qu'elle soit parvenu à maîtriser. Un sort qui n'était pas censé être de son niveau et dont tous ignoraient même que cela était possible. Alors elle se concentra sur ses chaussures et, lentement, la magie fit son oeuvre. La pointe de ses bottes se para d'un voile d'ombre tapissé d'étoiles. Il remonta peu à peu, englobant ses pieds et même ses chevilles... Mais soudain, la jeune elfe sentit qu'elle commençait à perdre le contrôle. Elle ne parvenait pas à emmagasiner suffisamment de concentration... Alors elle lâcha prise dans un gémissement et le voile fit marche arrière jusqu'à disparaître. Un nouveau sanglot secoua Ciryië et des larmes rayèrent ses joues qu'elle effaça aussitôt.

La seule chose à laquelle elle avait toujours pu se raccrocher jusqu'à maintenant, ce qui lui avait permis de créer un minimum de lien autour d'elle, c'était sa magie et ses talents particuliers en la matière. Et même ça, elle l'avait perdu. Ses fichus sentiments l'empêchaient de se concentrer suffisamment pour parvenir à réitérer cet exploit qu'elle avait pourtant réalisé plusieurs fois déjà.
Alors que lui restait-il ?

-Tu souhaites savoir ce qui m'arrive ? Ce serait trop long à expliquer. Surtout que même moi je ne comprends pas tout...

Elle tourna alors vers lui ses yeux humides. Ses yeux désormais d'un gris foncés rappelant la surface d'une pierre sombre. Un gris froid et pourtant vivant car c'était la nature qui l'en avait dotée.

-Parce qu’il n’y a que les enfants qui ont le droit d’être consolés ?

Répondit-il à la première affirmation de la jeune elfe. Il ne comprenait pas trop ce qu’elle voulait dire par là. Certes les elfes se trouvaient à la fin de leur croissance figée dans une éternelle jeunesse mais cette anedhelle-ci n’avait surement pas fini sa croissance. Pourquoi le nier ainsi ? Il ne fit cependant pas de remarque, personne n’aimait être contrarié sur ce genre de chose et il préférait jouer le jeu.

-Je ne sais pas ce que c’est. Ajouta-t-il en continuant de jouer avec ses ombres. Mais ça à l’air barbant comme truc. Il releva la tête vers la jeune femme et les ombres s’immobilisèrent. En tout cas je peux te rassurer, je ne connais personne qui l’ai passé cette ‘’cérémonie du choix’’.

Il finit par faire disparaître ses marionnettes en les balayant avec la main. Les larmes avaient disparue, il avait au moins réussi cette étape.

-Les ombres sont aussi importantes que la lumière. Fit-il remarquer. Dans mon clan tout le monde sait jouer avec d’une manière ou d’une autre.

Tout le monde n’était bien entendu pas mage. Mais former des images à l’aide de ses mains et du feu, ça tout le monde pouvait le faire et que ce fut pour des rituels sacré où de simples veillées quotidiennes c’était tout à fait banal.

La petite elfe tenta un sort qu’Eryndir n’avait encore jamais vu. La trame se modela d’une façon étonnante alors que la nuit sembla s’étendre sur ses pieds.

Si elle observait son interlocuteur elle pouvait voir sa surprise et son admiration. Comment faisait-elle ? Mais bien vite elle cessa son sort et se remit à pleurer et le noss ne put s’empêcher d’être franchement déçu. Il remarqua un instant ses yeux qui n’avaient pas une teinte naturelle, même pour un elfe et alors une énième question lui vint. Sur son visage on pouvait voir un mélange entre fascination et crainte, comme si il se trouvait devant quelque chose qui le dépassait.

-Est-ce que ce sont aussi les clan des montagnes qui-t-on appris à faire naître des étoiles dans les ombres ?

L'humour du Noss ne parvint pas à l'atteindre. Si lui ignorait ce que c'était, elle si. Elle savait ce que cela représentait dans la vie d'un Taledhel. C'était un jour important, le début tout autre chose, un tournant... Cependant, même elle ne pouvait lui en expliquer les détails. Tout ce qu'elle en savait, c'était ce qu'elle avait compris étant enfant et ce qu'on lui avait expliqué avec moult simplifications lorsqu'on l'appelait encore "Macabre".

-C'est ce qui marque le passage à l'âge adulte. A Ardamir, on la fête le jour de son cent vingtième anniversaire. J'ai plus de trente ans de retard...

Elle aurait besoin de faire un calcul pour connaître son âge exact mais elle n'avait pas besoin d'être plus précise. La croissance des elfes s'arrêtait vers sa douzième décennie et elle l'avait passée depuis longtemps. Elle était petite et le demeurerait. Elle avait les traits d'une enfant et les conserverait encore longtemps. La femme qu'elle devenait commençait à comprendre les difficultés que cela risquait de lui engendrer...

Eryndir aborda un point de vue plutôt inédit pour Ciryië. Ombre et lumière en harmonie. Peut-être même complémentaires... Elle n'y avait jamais vraiment songé et la question la troubla quelque peu. Elle les avaient toujours vu comme des opposés, l'une chassant l'autre. Combien de fois la lumière était venu briser son monde fait d'ombres ? Elle se souvenait encore de la capture de Fineldor ou de ce Noss qui avait détruit sa cachette, l'extirpant de force et avec rage de ce cocon protecteur.

-C'est pour ça qu'à tes yeux la magie des ombres est fréquente... Mais en dehors de ton clan, elle est très rare.

Au regard qu'elle ne lança pas au Noss, le fuyant visiblement des yeux, il était évident que la solitude en matière de magie avait particulièrement marqué le parcours de la jeune fille. C'était à se demander comment elle avait appris à manipuler le sort qu'elle avait tenté de réaliser car il n'apparaissait dans aucun manuel de l'Académie d'Alëandir et même Eryndir -qui venait d'un clan pratiquant sans doute l'art des ombres de manière ancestrale- ne semblait pas le connaître.

-Je l'ai découvert par hasard. Je voulais me faire passer pour une ombre... et j'en suis devenue une.

Soudain, Ciryië sembla réaliser quelque chose. Elle se tourna brusquement vers l'ornedhel, lâchant enfin ses jambes pour en laisser une se poser dans la neige.

-Attends... Comment tu sais pour le clan dans la montagne ? Je ne t'en ai pas parlé ! Et je ne suis même pas une Noss.

Elle n'était plus vraiment une citadine non plus mais elle n'y pensait pas pour le moment. Eryndir semblait savoir quelque chose et la simple idée que quelqu'un puisse avoir ne serait-ce qu'un élément de réponse à lui fournir représentait un tel espoir pour elle qu'elle en oubliait tout le reste pour l'instant. Elle regardait l'elfe, comme pendue à ses lèvres.

-Tes yeux sont ceux d’un de leur membre.Il expliqua comme s'il expliquait quelque chose d'aussi banal que la pluie ou le vent.

Pourquoi cela la surprenait-elle ? Quoi d’autre que le secret des clans daranovans pouvait provoquer ce genre d’effet ? Tout le monde savait ça. Enfin pour Eryndir en tout cas…

Par ailleurs, il ne lui semblait pas que les Talhedels voyageaient beaucoup. Quand ils en croisaient ils n’étaient généralement jamais bien loin de leurs antres de pierre. Elle n’avait pas l’air de vouloir mais Eryndir aurait bien voulu connaitre son histoire à cette elfe car cela ne faisait pas beaucoup de sens qu’elle se retrouve là.

-Tu as fréquenté les clans des montagnes, maintenant tu te trouve ici. Tu viens vraiment d’Ardamir ? Questionna-t-il alors comme si la pensée venait à peine de lui traverser l’esprit.

A moins qu’elle se soit perdue après un quelconque périple, mais de Daranovar à Quatrième-Saison ça faisait beaucoup quand même…En général on faisait demi-tour avant.

La réponse d'Eryndir perdit momentanément la jeune fille dans ses souvenirs. A bien y réfléchir, oui... Ils avaient tous ces yeux-là. Elle se souvenait s'en être fait brièvement la réflexion à l'époque mais n'y avait pas prêté plus attention que cela en définitive. Cela voulait dire qu'ils étaient tous passés dans la grotte ? Mais pourquoi ?

Une réponse qui engendrait tellement de questions nouvelles...

-On m'a conseillé de ne pas parler de ce que j'ai vécu là-bas... Mais je n'aurai pas grand chose à en dire de toute façon. Je n'ai rien compris de ce qu'il s'était passé. Je sais simplement que... Elle baissa la tête avant de redresser sa jambe pour retrouver la position qu'elle avait un peu plus tôt, ses bras entourant ses genoux. J'allais dire que j'étais quelqu'un en arrivant et quelqu'un d'autre en repartant mais je n'étais personne... Et maintenant, je ne sais pas qui je suis.

Eryndir sembla surpris par la route qu'elle avait emprunté. Elle ne connaissait pas la géographie du pays mais il n'était pas le premier à avoir cette réaction devant la distance qu'elle avait parcouru et surtout devant le fait qu'elle soit partie vers l'Est au lieu du Sud. Seulement, elle ne savait pas s'orienter en forêt, elle n'avait jamais appris. De plus, ces dernières ennéades, elle n'avait eu qu'un seul guide... Et, à tort ou à raison, elle l'avait suivi.

-Oui, je viens vraiment de là-bas. Personne ne pouvait m'aider parmi les Taledhels, sauf au prix de quelques centaines d'années... Les Mirthil'Di ont été nos guides parmi les Noss. Nous cherchions un clan qui aurait la capacité et la volonté de m'aider. C'est comme ça qu'on les a trouvé. Je ne me souviens même pas du nom du clan, je ne comprenais pas l'elfique... Mais après que... qu'ils m'aient aidée... Je me suis retrouvée seule dans la forêt. J'ai suivi la musique en pensant me rapprocher d'une cité. J'ai compris il y a seulement quelques jours qu'en fait elle m'en éloignait.

Elle s'était égarée, tout simplement. La Quatrième saison n'était pas sa destination. Elle cherchait une ville mais, au lieu de se diriger vers elles, elle s'était enfoncée bien loin dans la forêt. Elle n'avait jamais voulu venir jusqu'ici mais les sons qui étaient censés la guider n'avait aucun sens à son oreille. Elle s'était contentée d'aller là où elle était la plus douce ou la plus gaie, évitant les sifflements stridents et les tambours. Ainsi, elle avait pu survivre dans un univers normalement hostile envers ceux qui étaient sourds.

-La musique…Répéta-t-il cherchant de quoi elle parlait. La musique…ah ! La Symphonie.

A nouveau un grand sourire. Ils étaient trop rares les citadins à la percevoir, au moins cette petite-là n’était pas maudite.

-Si tu veux mon avis rien n’arrive par hasard. Enfin si, mais cela n’en était pas pour le noss. Si la symphonie t’a guidée jusqu’ici c’est que tu devais t’y trouver. Pourquoi ? ça c'est à toi de le savoir. Une de ses mains se posa sur l’amulette qu’il portait toujours au cou. L’œuvre de notre Mère ne se trompe jamais, mais c’est à nous d’en comprendre le sens. Et ça c’est une autre affaire.

Eryndir se retourna quand le faïra derrière lui se releva soudain, s’étirant et remonta dans les frondaisons visiblement ennuyé de devoir rester là à rien faire qu’écouter son compagnon parler. Le noss plissa le coin de ses lèvres avant de reporter son attention sur la petite elfe.

-Qu’est-ce que je disais déjà ? Ah oui, la Prime Œuvre. Son air redevint plus sérieux, ses sourcils se froncèrent légèrement. Si on t’a déconseillé de parler de ce que tu as vécu là-bas, dans les montagnes, c’est parce qu’il n’y a que toi qui peux en comprendre le sens. C’est intime. Tes yeux ont beau refléter une nouvelle lumière, ta propre lumière à l’intérieur…ll pointa sa poitrine puis son front du doigt. Il n’y a que toi qui puisse la connaitre réellement.

La Symphonie ?!

Là où elle n'était jamais parvenu à faire le lien entre les explications qu'on lui avait fournies lorsqu'elle n'entendait rien à la vie des elfes, ce simple mot sembla éclairer une partie de ses réflexions. Cette mélodie, elle la percevait au départ grâce à la décoction que la Prime sorcière et la Shaman lui faisaient boire. Puis, après quelques heures, tout revenait à la normale. Mais depuis qu'elle était passée dans cette grotte, depuis qu'elle avait ces yeux, elle l'entendait en permanence. Et, alors que la musique ne lui parlait pas et qu'elle l'empêchait même de dormir, elle ne s'imaginait plus vraiment vivre sans elle... C'était un sentiment très étrange.
Mais tandis qu'elle faisait ce constat, elle se rappelait finalement de bon nombre de choses qu'on lui avait dite à son sujet. Tous les elfes ne l'entendaient pas. Et ceux des cités encore moins. Quitter Anaëh pouvait fragiliser le lien, jusqu'à le rompre parfois. Ciryië ne l'avait jamais entendue auparavant, même étant enfant. A moins qu'elle ne s'en soit jamais rendue compte, peut-être... Quoi qu'il en soit, elle avait été arrachée aux siens et enfermée à Elda pendant cent ans... Alors pourquoi l'entendait-elle aujourd'hui ?! Pourquoi lui avait-on fait ce que tous appelaient un cadeau ? Elle ne comprenait pas et elle se frotta le front avec l'intérieur de son poignet, irritée. Cela n'avait aucun sens...

Après un brève interruption, le Noss reprit son propos. A ses yeux, elle seule avait la réponse de tout ce qu'il se passait. Elle voyait bien qu'il lui disait tout cela en pensant la réconforter mais il n'y parvint pas. Il la désespérait au contraire. Sa voix s'étrangla tandis qu'elle se mit à respirer un peu plus fort afin de chasser ses sanglots. Des larmes perlèrent encore sur ses joues avant que sa voix ne résonne de nouveau, rendue rocailleuse par l'émotion.

-Je ne vois pas cette lumière... Je suis perdue dans le néant. Et je n'ai jamais eu aussi peur du noir...

L'ombre, c'était tout ce qui définissait sa vie jusque là. Et à présent qu'elle en était entourée, elle n'en voulait pas. Elle voulait un chemin à suivre, une issue quelque part, ou au moins un indice sur la direction à prendre. Mais il n'y avait rien. Nulle part. Elle s'était enfin rendue en ville mais elle avait été obligée de partir, ne s'y sentant pas à l'aise. Elle tentait de vivre en forêt mais, étant donné l'état de sa jambe, elle n'y était visiblement pas à sa place non plus.

-Je ne peux pas rester en ville parce que la mu... la... Symphonie y est trop douce et me manque. Seulement quand j'essaie de vivre dans les bois, je...

Elle ne savait même pas comment finir cette phrase et soupira. Elle tombait dans des trous comme une idiote ? Elle s'emmêlait les pieds et trébuchait dans la neige ? Elle ne savait même pas grimper aux arbres sans magie. Et évoluer dedans, n'en parlons pas... Tout lui paraissait si simple avant... Elle ne ressentait rien. Ne se posait pas de question. Elle se contentait d'être là, de suivre, de faire ce qu'on lui demandait. Ce n'était certes pas parfait mais elle ne souffrait pas au moins...

-Est-ce que c'est censé être ça la vie ? Enfin... On m'a soignée pour que je puisse en profiter pleinement mais... pour l'instant je...

Elle baissa la tête. Elle ne pouvait pas prononcer ces mots à voix haute. Les Lirfêlu l'avaient accueillie et avaient partagé un savoir secret avec elle pour lui venir en aide. Et aujourd'hui, elle regrettait presque qu'ils aient accepté... Mais elle ne voyait pas d'issue à la situation dans laquelle elle se trouvait...

Eryndir fronça légèrement les sourcil , cherchant à voir où elle voulait en venir.

-Et lorsque tu essaie de vivre dans les bois, tu tombe. termina-t-il la phrase de la ni citadine ni noss. Mais c’est ça la vie en effet.

Il se demandait vraiment ce qu’on leur apprenait à ces Taledhels si à chaque chute ils devenaient aussi atterrés. D’ailleurs il se demandait aussi ce qu’on leur apprenait pour qu’ils soient toujours aussi patauds aux côtés de leur propre sœur.

-Tu va tomber, te relever,  retomber,  au même endroit parfois. Je t’assure que ça arrive. Eryndir frotta le haut de son crâne avec l’air de trop savoir de quoi il parlait. Mais tu va te relever. Et la troisième fois tu regarderas où tu marche. 

Il marqua une pause qu’il trouva particulièrement intense, comme si ce qu’il allait rajouter allait changer la face du monde. Et puis…

-Ou tu retombera ! Lâcha-t-il avec ce sempiternel immense sourire joueur. ça semblait beaucoup le faire rire en tout cas. Mais tu n’en mourra pas. Au pire ça te fera une histoire à raconter.

Au delà de l’humour pas franchement de circonstance du noss, il y avait tout de même une part de sérieux dans ses paroles. Si elle semblait si désireuse de savoir comment se débrouiller, elle n’avait qu’à apprendre. Les citadins semblaient trop souvent attendre que les réponses leur tombent du ciel sans qu’il n’aient besoin de faire d’effort…

-tu pense qu’on est tous nés un arc et des flèches entre les mains? Il ajouta en marmonnant. je sais même pas en utiliser un d’arc, moi, c’est pas une bonne idée qu’on me disait...

Ciryië secoua la tête. Il ne comprenait pas. Il ne pouvait pas comprendre. Il ne savait rien d'elle. Et elle n'avait pas l'intention de lui dire quoi que ce soit. Qui était-il ? Un homme rencontré par hasard dans les ombres. Parce qu'elle pouvait y entrer, elle aussi. Et pourquoi l'avait-il empêché de partir au juste ?! Mais elle savait pourquoi. Car si la question venait de Macabre, la réponse vint de Ciryië. C'était un elfe... et l'une de ses sœurs était blessée. Il ne l'abandonnerai pas à son sort. Pourtant, entre la Symphonie et la magie, elle était tout à fait même de s'en sortir seule. Quoi que... Elle devait bien reconnaître que si sa maîtrise dans le premier domaine restait à acquérir, celle dans le second avait tendance à lui faire défaut avec toutes ces émotions qu'elle ne parvenait pas à gérer.

-Je sais que tu veux essayer de m'aider mais...

Il ne pouvait pas. Comment le pouvait-il ? Il lui donnait des conseils sans savoir. Encore tellement de questions et de doutes l'assaillaient. Que devait-elle faire ? Lui parler ? Se taire ? S'en aller ? Toutes les possibilités lui convenaient et en même temps non... Tant d'indécisions la perturbait et l'énervait à la fois. Elle n'en pouvait plus.
Soudain, prise d'un élan de colère contre elle-même, elle se retourna vers lui et ficha son regard dans le sien.

-Et si je te disais qu'avant que ce clan me soigne, j'aurais été incapable de comprendre ce que tu voulais faire ? Alors qu'elle venait seulement de sortir cette première phrase, elle sentit son corps commencer à trembler sous l'effet de l'émotion... Une émotion qui ne serait bientôt plus seule à l'envahir. Mais maintenant que les vannes étaient ouvertes, elle ne pourrait plus les fermer et elle l'apprendrait bien assez tôt... Et si je te disais que je me serais contentée de restée là en te regardant fixement sans la moindre once d'émotion sur mon visage ? Que ma jambe n'aurait pas fait boiter, même pas un tout petit peu, comme si je n'avais rien ? Que je n'aurais pas compris un traître mot de ce que tu me racontais mais que pour autant je n'aurais pas essayé de te parler dans une langue que je comprenais ? Que j'aurais sans doute cherché à m'enfuir et que jamais tu n'aurais pu me rattraper ?

Elle marqua une pause. Les tremblements légers et incontrôlés la prenait sur l'ensemble de son corps à présent. Sa colère avait fini par s'orienter non plus contre elle mais contre un autre. Contre le seul responsable de tout ceci. Le seul responsable du fait que, même maintenant, elle ne pouvait pas être heureuse.

-Ça, c'était moi... Il y a seulement cinq ennéades. Par la volonté d'un seul homme. De nouvelles larmes -silencieuses cette fois- perlèrent sur ses joues alors qu'elle semblait seulement comprendre le monstre que Don'dar avait été... Et dire qu'elle lui vouait une obéissance inconditionnelle... Qu'elle le croyait intouchable... Alors qu'il méritait le sort qui avait été le sien. Je ne valais pas mieux qu'une coquille vide. Un être vivant mais isolé même quand il était entouré parce que je ne pouvais rien comprendre des émotions des autres : je n'en avais aucune. Ce clan a brisé cette coquille et maintenant je suis submergée. Je me noie dans un mélange de souvenirs de deux vies différentes et je ne me reconnais plus dans aucune des deux. Je me noie dans des sentiments que je ne comprends pas toujours mais que je ne peux pas contrôler dans tous les cas. Je ne sais plus qui je suis, ce que je dois faire, ni où je dois aller. Tu veux m'aider ? Alors rends-moi ma coquille pour que ça s'arrête !

Un tremblement saisit sa jambe blessée avec violence, lui arrachant un cri et détournant enfin son regard d'Eryndir. Enfin, en sanglot s'échappa de sa gorge et elle se remit à pleurer de plus belle, assaillie par tout ce qu'elle venait d'exprimer : la colère, la confusion, la peur, le dégoût et, à présent, la douleur.

Bien triste était l’histoire de cette petite elfe qu’il avait prise pour une simple citadine perdue… Le visage d’Eryndir perdit un peu de sa joie de vivre alors que ses sourcils se fronçaient.

-C’est donc pour ça qu’on t’a fait ce cadeau...Marmonna-t-il plus pour lui même.

Elle était donc réellement une enfant, si ce n’était pas l’âge, par ce qui lui restait à apprendre : tout. Voilà pourquoi elle pleurait sans se retenir. Parce qu’elle ne connaissait pas ce qu’elle vivait. Elle luttait contre un torrent sans même savoir nager.

-Ce dont tu as besoin ce n’est pas de souffrir à nouveau. Fit-il. Ce que t’as fait cet homme, te priver de ton souffle. C’est...affreux.

Quelqu’un avait dénaturé cette pauvre enfant. On lui l’avait privé d’un don fondamental. Pas étonnant qu'elle fut dans cet état. Elle avait eut une chance extraordinaire d’échapper au cruel destin que son tortionnaire semblait avoir forgé pour elle. Kÿria devait veiller sur elle de près maintenant.

Malheureusement elle ne semblait pas au bout de ses peines, et ça aussi ça contrariait Eryndir…Il fallait qu’elle se retrouve elle même. Qu’elle se recentre...

-Je sais ! Il s’écria soudain, posant ses mains sur ses genoux alors qu’il était assis en tailleur. Il se releva d’un bond et tendis sa main pour aider la jeune elfe à faire de même.Tu as besoin de comprendre ce qui t’arrive et de respirer sereinement. Je sais exactement à quel endroit t’emmener pour qu’Anaëh t’y aide !

Dans son enthousiasme il omis de lui préciser à peux près tout ce qu'il y avait d'important à savoir. Quel endroit était-ce, comment y accéder, les risques...Et puis il se rappela au moins qu’elle semblait s’être blessée un peux plus tôt et il se rapprocha d'elle.

-Dans un premier temps il faudrait qu’on s’occupe de ta jambe en revanche.

A présent, Eryndir semblait mieux comprendre la situation dans laquelle elle se trouvait, pourquoi elle pleurait sans cesse, pourquoi elle était si perdue... déboussolée... Et, oui, pourquoi les Lirfêlu l'avaient aidée aussi. Même si, pour l'instant, elle n'appellerait pas cela un cadeau. Le Noss blâma celui qui lui avait fait ça. En soi, elle aurait pu en faire autant. Mais son ressenti était tel pour l'instant qu'elle n'aurait su être objective, voulant qu'on la débarrasse de tout ce qu'elle endurait aujourd'hui et maintenant.

-Honnêtement, je souffrais moins avant. Ou, j'avais appris à le supporter disons...

Car elle souffrait aussi avant. Avant de lui échapper. Avant qu'il ne la reprenne. Il continuait à la torturer, moins souvent mais régulièrement malgré tout. Mais cela ne lui faisait presque plus rien. C'était une partie de son quotidien qu'elle n'avait pas à remettre en question. Comme tout le reste d'ailleurs.

Soudain, Eryndir fut debout et lui tendit une main pour l'aider à faire de même. Elle la prit sans vraiment comprendre ce qu'il lui prenait tout à coup. Il voulait la garder avec lui. L'emmener, pour mieux pouvoir l'aider. Il ne dit pas où mais elle ne se posa pas la question non plus. Elle était déjà suffisamment surprise par son brusque élan de joie et sa proposition -qu'il ne lui donnait pas la possibilité de refuser d'ailleurs-. Et puis, de toute façon, la forêt était un immense vide dont elle ne parvenait pas à se dresser une carte correcte dans sa tête donc il aurait pu lui répondre n'importe quoi, cela ne l'aurait pas renseignée pour autant.
Ciryië regarda sa jambe blessée, ne se préoccupant même pas de la proximité du Noss là où, un mois plus tôt, elle n'aurait jamais laissé personne s'approcher autant. Oui, d'accord, elle s'était fait un peu mal. Mais il n'y avait pas mort d'elfe non plus.

-Je te l'ai dit, j'ai connu pire. Dit-elle avant de s'éloigner dans une direction au hasard. Cependant, l'hématome qui était en train de se former au niveau de son genou la stoppa net dans une grimace et un cri étouffé. Elle se rattrapa à la première chose qu'elle trouva afin de garder son pied en l'air et soulager sa jambe, à savoir : le bras d'Eryndir. Elle avait enduré moult souffrances mais alors son esprit était presque déconnecté de son corps. Cette barrière protectrice n'existait plus et elle ne savait plus endurer la douleur aussi bien qu'avant, son cerveau recevant l'information de plein fouet. Alors elle souffla à quelques reprises, le temps que la douleur passe, avant de lui concéder... Bon, d'accord... Je vais peut-être avoir besoin d'un peu d'aide...

Eryndir n’était pas dupe, il voyait bien que même si elle disait avoir connu pire elle aurait du mal à marcher pendant un moment. Peu importe il avait la solution et la solution avait la forme d’un immense félin bleu ! Il plaça ses doigts entre ses lèvres et siffla puis attendit. Il ne fallut pas longtemps avant que son compagnon réaparaisse en émettant un son similaire à plus tôt. Il s’approcha de son félinier cognant gentiment sa tête contre son épaule. 

-Assieds toi, je vais juste voir si il y a besoin de soin maintenant ou si tu dois juste éviter de forcer. Fit-il à la petite elfe en joignant son geste à la parole et en la faisant s'asseoir. Et ne me dit pas que ce n'est rien. Il ajouta avec un sourire malicieux. Les miens disent que je suis aussi borné qu'une Gendrin.

Il ne la toucha pas plus cependant, attendant une réponse ou un signe de sa part. Elle semblait craintive et il ne voulais l’effrayer. Il marmonna ensuite quelque chose d’incompréhensible avant de la fixer à nouveau.

-Rilma va te porter jusqu’au camps de mon clan un fois que j'aurais fini. D’ici on doit être à quatre ou cinq jours. C’est pas si loin. Il ne se rendait pas compte que cinq jours de voyage lorsqu’on en avait pas l’habitude c’était vraiment beaucoup. T’es déja monté sur un faïra ? Demanda-t-il.Il est tout doux tu va voir.

Ciryië avait regardé l'énorme chat réapparaître d'un air pas franchement rassuré. Elle eut même un mouvement de recul alors qu'il se trouvait si près qu'elle pouvait détailler chacun de ses poils composant sa robe bleue et sentir son odeur. Pourquoi l'avait-il rappelé ? Pourquoi juste après lui avoir dit qu'elle aurait besoin d'aide ? Il ne comptait pas...
Mais elle n'eut pas le temps d'achever sa réflexion, pas plus qu'elle n'eut pas le choix de s'asseoir, Eryndir l'y contraignant bon gré mal gré. Elle grimaça tandis que son genou se pliait. Fort heureusement, elle se retrouva posée sur un rocher et non à même le sol sans quoi elle aurait eu plus mal encore.

-C'est borné un gendrin ?... Demanda-t-elle incrédule avant de se trouver surprise de savoir ce que c'était...

Jusqu'alors, il lui fallait un livre pour savoir de quel animal on lui parlait. Elle en connaissait très peu et pas sous les mêmes noms que les elfes. En tout cas, avant sa... transformation.
Observant le Noss, elle mit quelques instants avant de comprendre qu'il attendait son accord pour pouvoir l'examiner. Et elle le lui donna, sous la forme d'un rapide hochement de tête. Ce n'était pas tellement lui qu'elle craignait que l'énorme bête qui se tenait près de lui. Lui, il avait l'air... gentil. Tout simplement. Elle lui aurait bien demandé pourquoi il l'aidait mais la question lui parut stupide. C'était encore Macabre et Ciryië qui se répondaient en elle. La première ne comprenait pas et se surprenait de tout tandis que la seconde possédait les réponses sans même savoir d'où elle les tenait. Alors, la petite mage se contenta d'observer le visage de l'ornedhel tandis qu'il examinait sa jambe, ne prêtant même pas attention à ses mains.

-Non, jamais. Fit-elle lorsqu'il évoqua l'idée de monter sur sa créature. Et à vrai dire, la dernière fois que j'ai été confrontée à un animal de cette taille, j'ai couru pendant deux jours sans m'arrêter et je m'en suis sortie avec un bras cassé. Les animaux et moi, ce n'est pas...

Soudain, la jeune femme poussa un cri avant de chercher à l'étouffer. Là où ses muscles ne présentaient qu'un beau bleu dont le touché l'avait à peine faite réagir, son genou était un peu plus abîmé. Il ne s'agissait que d'un hématome logé dans l'articulation qui se résorberait avec le temps mais, en attendant, il rendait ses mouvements douloureux et bloquait l'amplitude de ses mouvements. Elle serait bien incapable de plier totalement sa jambe pendant une ennéade ou deux.

-Je préférais quand la douleur ne me faisait rien... Lâcha-t-elle en retrouvant sa respiration.

-Que ce n'est pas cassé, ça j'aurais pu te le dire. Fit-elle remarquer comme si c'était l'évidence même. C'est la branche qui a craqué, pas ma jambe.

Elle avait eu si souvent les os brisés qu'elle savait reconnaître une fracture. Elle savait également dire si une blessure risquait de la tuer ou non. En dehors de cela, elle n'en savait rien. Elle n'avait jamais eu à se soucier de ce qui ne l'empêchait pas de marcher. Rester tranquille pour une simple bosse, elle ne connaissait pas...
Tout en gardant un œil sur la créature bleue, elle observa Eryndir chercher quelque chose dans la neige puis elle le regarda la soigner. Afin de lui appliquer sa pommade, il dut lui enlever sa botte et passer la main dans la jambe de son pantalon. Une fois encore, elle détailla son visage tandis qu'il travaillait, pas tellement préoccupée par ce qu'il faisait avec ses mains. On lui avait fait beaucoup de mal dans sa vie mais rien qui justifiait qu'elle craigne quelques doigts parcourant sa peau. Surtout la face externe de son genou...

Lorsqu'il eut terminé, elle regarda le résultat de son ouvrage, la jamais se retrouvant bloquée entre deux morceaux de bois maintenus par un linge. Elle avait déjà vu cela mais c'était la première fois qu'on le faisait sur elle. C'était étrange comme sensation, elle avait l'impression que sa jambe était en vide mais comme pétrifiée.
Tandis qu'elle analysait son travail, elle entendit le Noss lui parler d'Anaëh. Et ce qu'il avait à en dire ne lui évoquait rien du tout.

-Pas se mettre sur le chemin d'un prédateur ?... Je n'étais pas la proie du Kerkand. Pas à l'origine en tout cas.

Elle se souvenait très bien comment tout ceci avait commencé. Visiblement, personne n'entendait la Symphonie ce jour-là. Elle encore moins que les autres. Mais c'était elle qui avait perçu la menace. Elle qui s'était interposée. Elle avait risqué sa vie pour celle des autres et elle ne s'était jamais expliquée pourquoi.

Ciryië sortit de son souvenir et regarda de nouveau le dénommé Rilma. Il était moins effrayant que la bête qui l'avait pourchassée, c'était certain. Mais elle n'était pas plus rassurée que cela pour autant.

-Il est déjà grand pour toi, alors pour moi... Puis elle pencha légèrement la tête sur le côté avant de s'adresser à la bête elle-même. Tu ne mangues pas d'elfes toi, hein ?

-Mais tu as fini par le devenir. Eryndir haussa les épaules alors qu'il entreprit de frotter ses mains dans la neige.

L’immense félin fixa son interlocutrice lorsqu'elle s'adressa à lui, les oreilles en avant mais ne bougeant pas, ne comprenant évidemment pas ses mots. Pliant ses grandes pattes arrières il se coucha sans la lâcher du regard. Peut être espérait-il qu'elle, elle ait une friandise ou quelque chose pour lui.

-A moins de ressembler à un tentapatte il ne devrait pas te manger. Eryndir sourit pour la énième fois en répondant à sa place. Il ne chassent rien de plus gros que des singes et ont un régime très strict.

Le noss passa une main dans la fourrure bleutée du faïra qui émit une sorte de grondement joyeux. Derrière son air joyeux et boosté à on ne savait trop quoi, c’était évident que le Vetherill appréciait sincèrement son compagnon de route et que ce dernier le lui rendait.

-Et puis si tu n’est jamais monté sur un faïra, je te tiendrais de toute façon, et Rilma n’a jamais fait tomber personne, aucun risque que toi tu tombe. Et oui il est très grand, mais ça lui permet de parcourir de grand distances comme ça. C’est pratique quand on voyage. Ils ont les pattes plus sûres qu’un cheval au beau milieux de la Prime Oeuvre.

Eryndir n'était d'ailleurs jamais monté sur un cheval. Cela lui semblait bien inconfortable autant pour lui que pour la bête, tandis que Rilmaluinicë n'avait jamais semblé souffrir de son poids sur son dos fragile.

-Tu est déjà montée sur un cheval ? Ne put-il donc pas résister de demander.

-C'était moi ou le groupe d'enfants que je... suivais... pour comprendre ce qu'ils faisaient... Ciryië détourna le regard, un peu honteuse de son propre comportement de l'époque. Elle avait agi de manière si étrange durant toutes ces années mais elle ne le réalisait que maintenant. Elle frotta son front avec l'intérieur de son poignet pour essayer de chasser cette sensation désagréable. C'était la première fois qu'elle se demandait ce que quelqu'un allait penser de ses actes...

Elle soupira puis reporta son attention sur le duo. Ils avaient l'air de bien s'entendre. Et, à les regarder, elle les enviait. D'aussi loin qu'elle se souvienne, elle avait toujours été seule. Ses parents s'occupaient d'elle lorsqu'elle était enfant mais ce n'était pas la même chose que d'avoir quelqu'un de son âge avec qui passer du temps. Elle ne pouvait que se demander ce que c'était que se lier de cette manière à quelqu'un. De ne plus jamais se sentir seul...

-Oui... Mais... Je n'arrive pas à garder d'équilibre dessus et il faut me tenir.

Elle aurait pu ajouter "surtout depuis que l'on a refaçonner mon corps" mais elle ne voulait pas partir dans cette discussion. Eryndir avait compris l'essentiel et elle n'avait vidé son sac que parce qu'elle était sous le coup d'une émotion qu'elle ne maîtrisait pas. En temps normal, elle ne se plaignait jamais de rien. Enfin... Son ancienne "elle" en tout cas.
Mais il n'était plus temps de discuter. Il fallait partir. Le Noss l'aida à se mettre debout, ce qui la fit grimacer, puis à avancer vers l'animal. Il put sentir la main de la jeune femme se crisper sur lui à mesure qu'ils s'en approchait. Rilma n'eut pourtant pas de réaction particulière, ni à son approche, ni quand elle s'assit, ni quand elle s'installa. Eryndir prit ensuite place derrière elle, enroulant un bras autour de sa taille pour la maintenir, comme promis. Il l'invita à s'accrocher dans sa crinière et elle eut une hésitation avant de poser les mains sur le pelage bleuté. Elle ne se souvenait pas la dernière fois qu'elle avait touché un compagnon à quatre pattes comme ça. Quand elle avait pris le temps de ressentir ce contact si particulier. Peut-être jamais, tout simplement.
Le félin se dressa alors sur ses pattes et Ciryië ferma ses mains bien malgré elle sur son pelage. Elle le ferma tant et si bien que ses jointures devinrent blanches. Et cela ne s'améliora pas lorsque Rilma se mit à avancer. Une chose était sûre : elle n'était pas prête de s'y habituer !