Telüime | Comme en famille [PV Halyalindë]

Julas de la première ennéade de Fävrius
Dixième année du Onzième Cycle

- Hmpf.

C’est dans un râle souffreteux que tu entames ta journée. Ton corps encore marqué des douleurs des derniers jours peine à rouler au bord de ton lit et tes yeux, refusant de s’infliger la douleur que promet un soleil déjà beaucoup trop haut dans le ciel se gardent fermement clos contre ta volonté. Tu t’es réveillé tard, beaucoup plus tard qu’à ton habitude. Il faut dire que tu as beaucoup repoussé l’heure du coucher ces derniers temps. Tu souris, et même tes zygomatiques te semblent courbaturés. Satisfaction du forcené, ces douleurs sont la preuve que le travail porte ses fruits, et c’est avec d’autant plus d’entrain que tu soulèves ta carcasse du lit… un peu trop vite peut-être. Le choc de la lampe murale contre ton front n’est pas sans te rappeler que les chambres de l’Académie d’Alëandir ne sont pas construites à ta taille, mais qu’à cela ne tienne, voilà un mal de plus pour que tu te souviennes de la source des autres.
Tu empoignes ton focaliseur, lui donnant deux rapides cercles en sens horaire, alors que ton autre main se pose sur la bosse naissante. Les vaisseaux lésés se réparent, tu tues l’hématome dans l’œuf, et paradoxalement, tout le reste de tes muscles est traversé d’une douce brûlure. Ce n’est pas que l’exercice physique qui t’a mis dans un état pareil. La magie en est la plus grande coupable. La fin de l’hiver a vu des notions théoriques devenir pratiques, et un travail commencé, à défaut d’avoir le courage de risquer la santé d’un volontaire, sur toi-même. Heureusement tu auras pris le temps de comprendre ton sujet avant de te lancer, mais ces réveils trop peu matinaux seront les témoins d’une pratique encore loin d’être rodée.

Tes yeux s’ouvrent finalement complètement, et traînassant en direction de la salle d’eau, en t’amusant à observer le jeu des rayons du soleil sur la pierre blanche tu réalises. Tu réalises le jour, tu réalises l’heure, et surtout, le temps qu’il te manque si tu ne veux pas trahir ta propre parole. Une toilette sommaire, à grands coups d’éponge, de brosse et de peigne. Des cheveux rapidement ramenés en un chignon qui se déferait certainement dans l’heure à venir.  Mais surtout, inhabituel venant de toi, un habit apparemment sans pensée particulière, simplement passé à la va-vite. Quelques minutes à peine de préparation et tu étais parti en de grandes enjambées quelque peu rigides en direction du Telüime.

Simple, mais pas inélégant pour autant, constitué d’une tunique d’autant plus cintrée qu’elle était tenue par le baudrier portant ton sceptre, d’un tissu rouge bordeaux très léger, de-ci de-là brodé du même noir que le pantalon qui te suivait évasivement le tracé des jambes, ton vêtement, à défaut d’autant attirer l’œil que d’autres de tes habits, avait été enfilé avec un but bien précis. Pouvoir être enlevé et remis le plus vite possible.

Voilà trop longtemps que tu te la posais, et quand tout le reste était déjà une machine mise en branle, la question de ce que tu porterais au jour de ton mariage n’avait toujours pas trouvé de réponse. Voilà quelques temps que Dame Kielendar sur qui tu comptais pour te la confectionner avait connu un accident, et que Kÿria lui porte à elle et à sa famille courage, se trouvait encore aujourd’hui dans l’incapacité de reprendre ses travaux de couture. Ayant au fil des années fait d’elle autant une associée qu’une amie, et récemment appris à mieux connaître l’une de ses filles, tu dois bien avouer que tu t’en trouvais doublement peiné.  
La perspective d’un beau jour à venir t’empêchait cependant de garder les idées noires, et au-delà de toutes ces sombres circonstances tu voyais l’opportunité que cela avait été d’engager un rapprochement avec celle qui serait bientôt ta famille… et dont tu avais participé à la condamnation. Quitte à ce que le style purement Lëandrin se trouve ne pas être le plus appropriée à une silhouette aussi large que la tienne - surtout lorsqu’exacerbée par les contractures, restes de plusieurs jours consécutifs d’entraînements intensifs - au moins rire de tes mésaventures changerait les idées d’Halyalindë.

Il te fallut peu de temps pour repérer la chevelure rousse à l’entrée du quartier des fontaines, et c’est avec une joie non dissimulée… mais une certaine gêne quant à la familiarité que tu pouvais t’autorisé dans vos salutations que tu l’abordais.

- Désolé, j’espère ne pas trop t’avoir fait attendre Halyalindë. Le réveil a été disons… difficile.

Allais-tu lui faire la révérence ou la prendre dans tes bras ? Lui donner la main peut-être ? Ou le tout à la fois. Ta posture, alors que tu cherchais quel geste fût le plus approprié, perdit en prestance pour tomber dans un visible déséquilibre. Tu verrais bien lorsqu’elle te rendrait les salutations quelle en serait la chute.

Une échappée. Rien qu'une. Si on lui avait dit qu'un jour un Daranovan se porterait garant pour lui permettre un voyage de quelques jours à Alëandir, elle aurait probablement rit aux éclats en traitant le prophète de fou... Ironie puis qu'aujourd'hui, c'était elle que certains traitaient comme une démente.

Halya soupira avant de se claquer les deux joues. Suffit ! Artion lui avait proposé de venir l'aider à préparer son mariage et personne n'avait trouvé à y redire. Cela semblait même '' une bonne occasion de reprendre une activité sociale saine ''. Son père trouvait que c'était une véritable bonne idée, tant mieux. A vrai dire, elle avait voulu le convaincre de venir mais il avait prétexté la haine qu'il éprouvait envers son frère pour resté benoîtement chez lui. La réalité était toute autre mais sa fille pouvait au moins faire semblant de ne pas la voir en ces jours quelque peu plus paisibles que les dernières années.

Elle avait sonné du cor une fois de plus dans le sanctuaire, espérant voir roder un œil blanchâtre ou une toison mouvante dans les ombres des bosquets, mais rien n'était venu. Une fois passée la surprise de l'invitation d'une personne qu'elle connaissait somme toute fort mal, Halya avait donc suivit le tracé de l'eau jusqu'à Alëandir en compagnie d'un groupe d'archiviste chargés d'échanger les certaines chroniques concernant les dernières guerres avec l'Académie d'Alëandir, la seule qui refusait de prendre la barge par peur de voir ses documents abîmés par l'humidité. Pourquoi ce judicieux détail ? Le mal de mer semblait également capable de frappé sur fleuve pour les personnes les plus atteintes...

Le jour dit à l'heure dite, à l'entrée du quartier des fontaines, l'Ardamirie et sa sobre escorte attendaient étaient arrivés à l'heure... Trop à l'heure visiblement. Accompagnée de ses deux têtes bien connues, elle fit quelques pas devant les échoppes, cherchant notamment à voir si l'une ou l'autre des bricoles qui lui faisaient de l’œil auraient fait un bon présent pour le trio disparate qu'elle avait des raisons de choyer.

Sa démarche souple de forestière était quelques peu masquée par un pantalon ample en toile de lin crème et une tunique verte au col montant brodé de cuivre cachait la plupart de ses cicatrice en venant mourir au creux de ses poignets. Pourtant, elle ne passait pas particulièrement inaperçue pour autant. Ëorim avait hurlé d'indignation en voyant l'état de la crinière de sa progéniture et s'était attelé à la douloureuse tâche de la rendre ''présentable''. Au final, la chevelure de l'ancienne militaire lui arrivait de nouveau aux épaules mais elle avait rarement eut les cheveux si soyeux... Sans parlé de leur couleur plus que flamboyante qu'elle avait retrouvée après quelques ennéades. Elle soupçonnait fortement son père d'avoir fait jouer ses relation pour récupérer elle ne savait quelle mixture étrange pour obtenir des résultats si vite, mais le temps passer avec lui valait bien n'importe quel traitement capillaire.

L'heure du rendez-vous était déjà passé depuis une bonne demie heure lorsqu'Artion se montra enfin. Avant même qu'il n'arrive à leur hauteur, il y avait quelques menus détails à régler.

« Puis-je disposer ? Il me semble que mon hôte étant là, que je ne risque plus rien. » demanda l'ex-Aigle à ses paranoïaques affiliés, une mine goguenard tempérant grandement l'apparente déférence de ses mots. Concertation rapide. Recommandations d'usage. Enfin, elle était libre pour la journée du moment qu'elle retrouvait le chemin du temple de Kÿria avant la tombée de la nuit.

En tête a tête avec son futur cousin par alliance, l'hésitation manifeste qui le gagna la fit sourire.

« Oh tu es tout excusé ! » rit-elle en prenant sa main dans les sienne avec une certaine emphase. « Tu m'offres une occasion de sortir de mon train train quotidien, je peux bien m'accommoder d'un peu de retard... et puis je n'étais pas seule. » ajouta-t-elle en passant machinalement les doigts sur le lobe de son oreille, hésitant à rire jaune de la situation.

Tendant le bras dans le sens de la rue, une question dans le regard, elle attendit qu'il prenne les devant pour choisir l'itinéraire, car il y avait toujours un mystère à cette journée. « A vrai dire, je me demande surtout pourquoi tu as pris la peine de m'inviter. Ne crois pas que ça me déplaise, mais nous n'avons jamais été particulièrement proche. » Dans le tact, la diplomatie et la délicatesse. Puisqu'elle n'avait plus à représenter personne d'autre qu'elle-même, elle pouvait bien être franche.

Qu’à cela ne tienne, voilà des excuses qui feraient aussi office de poignée de main. À ses rires tu réponds d’une mine soulagé, reprenant par la même occasion posture assurée, mais aux mots et aux attitudes qui suivirent le premier contact tu éprouvas une certaine culpabilité. S’il on n’avait pas besoin d’autre chose que de savoir la situation de ta camarade pour imaginer combien peu épanouissante elle pouvait être, la confirmation de cet état de fait se lisait bien trop facilement dans ses yeux.
Lorsqu’elle t’y invita tu pris tout de même les devants sans ciller, lançant le pas vers les premiers ateliers en vue, attendant qu’en l’emboîtant, elle arrive à ton niveau avant de prendre la parole.

- Pour tout t’avouer, j’ai essayé de me dire que c’était parce que je te le devais bien. Après tout, puisque je n’ai pas réussi à t’éviter la horde de paranoïaques à ton chevet, te donner une occasion de leur échapper est la moindre des choses tu lèves un sourcil, le coin gauche des lèvres légèrement retroussé mais en réalité, j’avais surtout envie de partager ce moment avec quelqu’un que je pourrais appeler de la famille sans me prendre la tête, et pour le peu que je sais de toi, tu me semblais la personne idéale. C’est l’occasion d’apprendre à mieux se connaître. tu soupires, posant la main sur l’épaule d’Halyalindë par la même occasion Sens-toi libre de m’arrêter si tu trouves que j’en fais trop.

Tu ris, bien conscient d’aller relativement vite en besogne. Voilà bien longtemps que Kaëlistravae et toi nourrissiez une relation, mais tout sérieuse fut-elle, ce n’est que très récemment et avec l’idée du mariage, que vous aviez pensé aux  implications en dehors de votre couple. Et quand vous vous considériez comme si proches, vous, du moins toi, surtout, aviez vite fait d’opérer ne serait-ce qu’en pensées un certain rapprochement d’avec l’entourage de votre conjoint.
La franchise de ton accompagnatrice du jour est rafraîchissante, tout comme la possibilité d’aller de la tienne, mais le fond de cette vérité resterait probablement tu pour quelques temps encore. Il faut se l’avouer, après des siècles passés à porter un nom choisi dans la volonté de scission d’avec ta parenté, l’idée du mariage t’avait forcé à reconnaître à quel point tu ressentais le besoin d’appartenir et de t’entourer de famille, et pour ce qu’il restait de la tienne… Le fantôme de ta mère planerait encore longtemps sur la lignée Laergûl, et les rapports avec ton oncle en resteraient par conséquent probablement à la limite de l’invivable. S’accrocher aux Yasairava était ta solution, et bien que leur lignée connaisse elle aussi ses heurts et ses drames, leurs drames n’étaient pas les tiens.

Arrivé à l’atelier de couturier le plus proche, moyennant souriantes salutations aux travailleurs, tu poses un œil aussi attentif que sceptique sur les patrons fièrement présentés aux passants. Ton regard s’accroche cependant à quelques toilettes, raison pour laquelle tu lâches, avec un sérieux tout relatif, par-dessus ton épaule.

- Je compte sur toi pour m'aider à ne pas aller contre la définition Ardamirie du bon goût.

En espérant que les essayages soient au moins une option.

" Tu en fais trop. Mais ce n'est pas pour me déplaire. " Visiblement, elle avait trouvé quelqu'un d'aussi franc du collier qu'elle. Entre ça et la perspective de pouvoir négocier une visite à Fenris et peut-être même à Sandriel le lendemain, voilà qui avait de quoi lui permettre d'oublier le reste pour un temps. Mais la tournure des évènements était de plus en plus surprenante. " Il ne faudra juste pas t'étonner si je ne suis pas plus a mon aise avec Kaëlis qu'avec toi. Entre nous c'est assez... nouveau. " Ses doigts passèrent de nouveau sur son oreille mais son ton était toujours jovial. Être considéré comme une Yasairava par une personne proche de l'Autre branche de la famille était assez surréaliste encore, malgré le rapprochement opéré dans les derniers mois d'adversité.

Leur destination finale ? La boutique d'un tailleur. Après avoir saluer les personnes présentes, tandis qu'Artion examinait déjà les tenues, l'ex-protectrice se plaisait simplement à regarder autour d'elle. Les lambris sur les murs. La pierre soigneusement agencée. Les travailleurs attentifs à leurs ouvrages. L'odeur de tissus neuf et les chutes d'étoffe qui étaient entassées dans un bac discret près des tables de confection. Elle passa la main sur l'ourlet d'une robe brune et verte bien trop cintrée à son goût. L'intérieur était coupé dans un tissus doux mais bien moins raffiné que celui qui portait les broderies externes. Décidément les tailleurs Lëandrins aimaient l'inconfort que les caches misères... Du moins aux yeux d'une Ardamirie qui appréciait tant le côté pratique et la simplicité apparente des tenues de sa cité natale.

A peine avait-elle penser cela que son compagnon du jour passait à proximité pour lui annoncer la raison de leur venue. " Avec plaisir. " puis réalisant ce que cela sous entendait " Attend... Tu veux dire que tu n'as pas encore trouver ta tenue ? " Pas besoin d'être particulièrement proche de cet homme pour avoir remarqué l'attention qu'il portait à son apparence... Dieux, que s'était-il passé pour qu'il ne soit pas déjà fin prêt ? Avec un froncement de nez, Halya porta une attention un peu plus soutenue aux vêtements pour homme qui se trouvaient là.

" Je peux vous aider ? " demanda en s'approchant d'eux un homme d'un certain âge dont la tunique arborait une magnificente et resplendissante collerette d'un bleu pastel parfaitement raccord avec les broderies lourdes qui tombaient sur tout son torse. A son poignet, une boule de tissus dans laquelle était piquée de nombreuses épingles.

Tu retins un éclat de rire in extremis. Halyalindë et toi n’étiez pas particulièrement proches, mais ton goût pour les beaux habits ne lui était pas passé inaperçu. Ce qu’elle avait manqué par contre, c’est que :

- Je ne voulais pas faire ce choix à la légère… alors disons que je l’ai un peu laissé traîner. Et la couturière à qui je comptais m’adresser au départ n’est pas disponible, autant dire que ça n’a pas arrangé les choses.

Si malgré ta coquetterie, tu t’habillais si vite chaque matin, c’est bien parce que le temps avait été dépensé avant que les vêtements ne rentrent dans ta garde-robe. Pointilleux que tu es, ceux dont l’idée générale te plaisait sans que l’habit n’arrive à entièrement te convaincre, tu avais pris le temps de légèrement en redessiner la silhouette ou les motifs à tes heures perdues, quant à d’autres, c’est au fil de tes envies que tu les avais entièrement croqués. Problème étant, après avoir comptabilisé le temps passé à l’étude de la magie, ton entraînement physique et militaire, l’entraînement des jeunes recrues, les Conseils de la Cité, et tous les désagréments de passage liés à ton statut de Mainyth, des heures perdues, tu n’en voyais pas énormément en dehors de tes périodes de permission.

Fin d’Halyalindë et de sa vigilance maintenant redoublée, c’est l’un des artisans présents qui s’approcha de vous pour s’enquérir de vos doléances. Tu l’avais déjà salué, mais tu mentirais si tu n’avais pas sursauté dans ton fort intérieur en posant à nouveau l’œil sur lui. Si l’homme portait avec fierté ce que tu imagines être sa propre broderie, elle était loin d’être à ton goût, toi qui préférais à l’amoncellement de tissu les coupes laissant clairement voir ta silhouette, et qui n’appréciais pas tant finalement telles fioritures lorsque raccordées à autre chose qu’à une traîne ou de longues manches. Restait tout de même à espérer qu’il n’ait cantonné son jeu d’aiguille à la broderie lourde.

- Et bien… je me marie bientôt, et j’espérais trouver parmi vos patrons une forme qui puisse au moins servir de base à mon habit de noces. Tes yeux dardent un instant vers les vêtements avant d’à nouveau s’abaisser en direction de votre hôte, ta main étant par la même occasion venue prendre ton menton dans une moue pensive Est-ce que vous auriez quelque chose de simple, cintré à la taille, et de large sur les manches, que je pourrais essayer ?

C’est à force d’observations, à prendre à droite à gauche des détails qui te plaisaient parmi les choses à ta vue, et les mêlant à tes souvenirs d’Ardamir que les critères t’étaient venus, mais de ta demande, c’est surtout les derniers mots – que je pourrais essayer – sur lesquels tu as appuyé.

Le tailleur eut une moue aussi pensive que son client tout en le détaillant déjà. " Essayé oui. Mais vous êtes grand, Heru, en plus d'avoir les épaules larges. La coupe de ce que vous pourrez enfilé ne rendra pas justice au vêtement. Il faudrait de nombreuses retouches pour voir vraiment ce que cela donnerait sur vous. " Il n'avait pas l'air d'y prendre garde mais sa réflexion était si intense que son pied droit s'était mis à battre les pauvres lattes du planché. Non. Ce client ne serait certainement pas facile à habillé. En plus de son corps imposant, il avait une bonne tête de perfectionniste et sa première demande n'était pas vraiment dans les canons Lëandrin.

Un coup d'oeil à sa compagne confirmait ce que le tailleurs s'était dit de prime abord : deux militaires étrangers. Peut-être faisaient-ils parti de l'Armée Royale. Peut-être pas. Mais ils devaient en avoir vu des vertes et des pas mûres. Vu l'âge qu'ils semblaient avoir ce n'étaient pas des perdreaux de l'année. Le mérite d'Eraison, de la débâcle drow et d'Ellyrion gagnait l'approbation de bien des gens, même ceux qui ne comprenaient pas ce qui pouvait pousser quelqu'un à s'enrôler. Aussi, ce fut sans le moindre agacement ni le moindre découragement qu'il proposa :
" Nous pourrons peut-être tricher. Essayez ce que vous pouvez et si un vêtement vous tape dans l’œil sans que vous ne puissiez vous glisser dedans, je demanderai à l'un de mes assistants de le porter pour que vous voyiez tout de même ce que cela peut donner. Qu'en dites vous ? "

Un bon monsieur qu’est l’elfe en face de toi. T’habituer au travail avec la Dame Kielendar t’aurait presque fait oublier que les autres couturiers et tisserands étrangers à Daranovar aimaient eux aussi s’imposer challenge.

- Faisons-donc.

Cette fois du coup tu ne te contentas pas simplement d’observer des yeux. Tu pris le temps de toucher les matières, de jeter un œil aux coutures, de faire la chasse aux cache-misère qu’étaient bon nombre des œuvres d’apparence les plus complexes parmi les patrons proposés. Rien malheureusement qui ne corresponde réellement à tes attentes, et surtout pas parmi les drapés informes qu’étaient le peu de vêtements qu’il t’était possible d’enfiler. Tu n’y as pas bien porté l’œil, mais ces quelques coupes laissaient à penser que parmi les Lëandrins devaient se cacher une poignée d’elfes plus bedonnants que de raison…

- J’ai quelque chose !

L’exclamation attire au même instant les regards d’Halyalindë et de votre hôte, et des deux, tu ne sais pas qui se serait mis à rire le premier si tu ne t’étais pas empressé d’emplir l’espace sonore juste après être entré dans leur champ de vision. Il faut dire que tu leur offrais de quoi. Affublé d’une tunique sans manches qu’il était clair que tu n’arriverais pas à boutonner, et dont la traîne commençait un bon pouce avant la courbe de ton fessier, l’avant-bras gauche chargé comme une barre à cintre de tous les patrons dont le moindre détail t’aurait fortement marqué, tandis que le droit portait une large fausse-manche empruntée à une robe féminine et par conséquent bien trop courte pour le tien… tu affichais pourtant un air étrangement déterminé. Ainsi face à eux sans une once de pudeur et sans la moindre hésitation, t’imaginer en public portant le même enchevêtrement de bouts de vêtements inadaptés deviendrait presque acceptable.

- La forme de la tunique est intéressante. Je conçois qu’elle n’ait pas été pensée dans ce but, mais je pense qu’en en réajustant la longueur, et en rajoutant le tissu qu’il manque pour que je puisse la refermer, la coupe m’irait bien. Tu roules machinalement tes épaules nues en abordant le point suivant Ensuite, du côté de la couture à l’épaule Tu montres parmi tes trouvailles un manteau de forte largeur d’épaule et aux manches comparativement fines je pense que partir sur quelque chose de semblable à ça jusqu’au bras… enfin, tu contractes à la va-vite le biceps puis le triceps de ton bras « libre » que ça me tienne le bras sans non plus l’emprisonner. Et pour ce qui est des bouts de manche tu joues un peu avec ta trouvaille je pense qu’une ouverture à l’oblique, comme celle-ci, mais sur plus de largeur, histoire de l’adapter à ma taille et la pièce devrait y gagner un peu de mouvement sans être surchargée. Qu’est-ce que tu en dis Halyalindë ? Tu me suis ?

Tu recommences à chercher du regard alors que tes propositions arrivent à leur fin. Non pas plus de tissu, mais quelqu’un qui le porterait. Ce n’est pas que tu ne fasses pas confiance à ton hôte, mais avouons-le sans tergiverser, l’entraînement t’as fait le fessier bien arrondi et la cuisse relativement forte, chose que bien peu de tes confrères partagent avec toi. Tes consœurs, en dépit de leurs formes pas bien plus généreuses, restaient tout de même une unité de mesure un peu plus sûre. Pas Halyalindë tout de même, dont les hanches marquées rendaient la silhouette bien trop visiblement féminine, mais une avec la silhouette assez droite…
C’est sur une jeune malheureuse passant par-là, aux mœurs sportives si sa silhouette ne mentait pas, que tu jetas ton dévolu.

- Excusez-moi heri, pourriez-vous juste m’accorder une faveur et rapidement passer ce pantalon ?

Est-ce que ton extravagante allure du moment jouerait en ta faveur ou contre toi, tout dépendrait de l’humeur de la demoiselle. Sa première réaction fut de tenter de retenir un discret rire, dont tu ne te formalisa pas, répondant par un sourire laissant à penser que malgré ton assurance, tu étais tout à fait conscient du ridicule de ta situation. L'humeur de son côté fut mise au jeu, et c'est dans cet esprit qu'elle accepta de participer à votre bizarre entreprise.

- Alors. Ce pantalon ?

- Parfait ! du moins ça le serait une fois bien recoupé. Vous me sauvez la vie, vous n'imaginez pas.

- Heureuse d'avoir pu servir. elle ajoute en riant.

Heureuse d'avoir pu servir, et de plus en plus curieuse de l'aventure dont elle s'était faite l'impromptue participante. Elle était libre de partir, et elle devrait bientôt le faire, mais tant qu'il lui restait un peu de temps, elle resta là, à observer ce qui se jouait exactement ici.

Alors ça... Halya resta quelque peu interdite face à ce qu'Artion avait fait l'exploit de devenir en quelques minutes à peine : un porte-manteau couvert de patchwork de vêtements dont les couleurs diverses donnaient à l'ensemble, trop petit pour l'elfe qui les portait, une allure de vêtements de poupées portés par un colosse. Comme les trois autres personnes qui venaient de se retrouvé devant le spectacle, l'Ardamiri retint un rire et tenta de se concentrer sur les explications de son compagnon. Elle en resta même comme deux ronds de flan. Cet homme était incroyablement calé !

« Euh... Oui oui. » Ne put-elle que répondre lorsqu'il lui demanda son avis, s'approchant pour examiner plus en détail l'amalgame qu'il proposait. Dieux il fallait avoir de l'imagination pour comprendre où il voulait en venir. La manche là... Cintré... La taille... oui oui... Cela devrait donné une certaine prestance sans être trop contraignant à porter et sans crouler sous les fanfreluches. Tien. La coupe serait aussi très bien allée à Fenris, mis à par les manches amples qu'il trouvait peu pratique... Mais ce n'était pas le moment. « Tu es sûr de toi pour le col ? » remarqua-t-elle  pendant que la victime d'Artion se changeait. « Au ras du cou avec un bord aussi étroit, cela ne risque pas de se retourner si tu dois le porter toute une journée ? » Heureusement, le Daranovan semblait peu à peu trouver son bonheur.

Le tailleurs, lui,prenait des notes. Littéralement.

Armé d'une craie, il posait sur les patrons, les angles, les mesures, les retouches et ce, à chaque mot de son client. « La manche, plutôt comme ça, ou encore plus oblique ? » L'entreprise dans laquelle il venait de se lancer avait l'air de la fasciner. Après un long moment à prendre les mesures d'Artion sous tous les angles. Le bras flex. Le bras droit. La taille, le cou, le crâne, les épaules, le torse les hanches et jusqu'à l'amplitude qu'il désirait garder au niveau de ses mouvements d'épaules. S'en suivit une rafale de « Attendez. Essayez ça, cela devrait être à votre taille. J'ai besoin de voir comment [insérer un élément de la tenue] tomberait. » Plusieurs fois, Halya donna son avis pratique, ne se rappelant que trop bien de la mésaventure qu'elle avait du essuyée la dernière fois qu'elle avait porter un habit Lëandrin... Mais là encore, ce n'était certainement pas le moment d'en parler. Le tailleur aurait été capable de la mettre dehors.

- Bien pensé Halya, j’ai failli oublier. Tu passes par réflexe un doigt dans le col avant de te masser la gorge Je pensais à un col roulé, histoire de changer un peu.

Ce qui si vous n’aviez pas pris le temps de spécifier ensemble de la largeur du col sur le produit final aurait très certainement eu plus de chances encore de se prouver inconfortable que ta tenue actuelle, d’autant plus qu’une grande partie de tes toilettes affichait de généreux décolletés. Passer de la liberté totale à la contrainte à la Lëandrine est une expérience que tu es loin d’être curieux de tenter. À tes directives, cela se sentait, pour le meilleur et pour le pire. Quand le tailleur te posait une question tu apportais plus de précisions que de nécessaire et lorsqu’il te faisait essayer d’autres habits par souci d’observer l’effet d’un style de couture ou le tombé d’un pan de tissu, tu prenais souvent le temps, d’ailleurs presque systématiquement épaulé par Halyalindë de mettre en garde contre tel ou tel possible travers.
Vous aviez il semblerait tout de même réussi au travers de la franchise avec laquelle venait vos remarques à faire suffisantes preuves de diplomatie pour que votre hôte, loin de perdre patience, se prenne même à s’emporter dans la conception d’un habit sur-mesure. Ta victime précédente dut s’en aller que tu en allais toujours à décrire des arabesques de tes doigts, tentant maladroitement de donner une idée des dessins que tu imaginais les dorures du vêtement tracer, jusqu’à ce que l’on finisse par te prêter une feuille de papier et un crayon où tu pus plus distinctement coucher tes idées.

À grands coups de mine approximatifs, tu traces des formes abstraites, vaguement réminiscentes de tiges de lierres, traçant aux yeux de qui aurait assez d’imagination pour le percevoir, la lyre symbole d’Arcamenel. Loin d’être le plus grand des artistes de ton peuple, l’accumulation d’un côté de ce genre d’événements et de l’autre des croquis de médecine t’avait fait un coup de crayon plus que convenable. Restait ensuite à celui qui serait chargé de la fabrication de la pièce finale de transformer ton trait grossier en motifs mieux travaillés.

Vint enfin le moment béni où la dernière des pièces-exemple retrouva sa place en démonstration, terminant de libérer tes bras. Le tailleur comme toi sembliez plus épuisés que de raison, au point que même sous la fraîcheur printanière, votre peau en soit venue à cracher quelques gouttelettes. Il était temps de retrouver le confort du vêtement avec lequel tu étais arrivé ici… et pour ce que l’on avait pu déjà t’observer, ce n’était même pas la peine d’aller s’isoler pour se changer. D’un manteau paraissant informe lorsque tu le portais à ta tunique, le changement s’était fait en deux temps trois mouvements, à peine ralenti par le passage de ton harnais.

- Dans combien de temps pensez-vous qu’il serait nécessaire de revenir pour faire les finitions ?
- La majorité des bases sont déjà là et le tissu ne manque pas, donc entre ça et mes autres commandes… si vous revenez dans onze jours à la même heure, et nous devrions pouvoir terminer à ce moment. Mais n’hésitez pas à passer voir l’avancée de la pièce entre temps s’il vous en vient l’envie ou s’il vous vient l’idée de détails supplémentaires.
- Entendu. Merci mille fois, heru.
- Au plaisir, je ne fais qu’exercer mon métier.

 Voilà que ton affaire s’arrangeait bien plus rapidement que prévu, et avec elle ton excuse pour passer du temps avec l’Ardamirie. Qu’à cela ne tienne, il n’était maintenant plus question que d’en trouver une autre. Une autre. Pour quoi faire exactement ? Voilà une quelques poignées de secondes à peine que tu conduisais Halyalindë à travers le quartier des fontaines, cherchant quelque chose à faire, et qu’elle semblait t’emboîter le pas, sans réellement attendre quoi que ce soit du semblant de réflexion dans lequel tu t’étais plongé après avoir fait tes salutations aux tailleurs.

- Tu sais, Kaëlistravae et toi vous ressemblez plus que vous ne semblez vous en rendre compte. Et en brisant le silence ainsi durant votre marche, tu venais d’implicitement lui demander si se contenter d’échanger quelques mots au gré d’une promenade la contenterait Je dois avouer que tout physionomiste que j’aime à m’appeler, si je ne vous savais pas cousines, je n’aurais même pas remarqué que vos visages se ressemblent autant tu souris mais c’est aussi impressionnant comme vous avez toutes les deux les mêmes attitudes lorsque vous prenez quelque chose à cœur. Toutes les deux aussi résolument bornées… les coins de ta bouche se soulèvent encore un peu plus en particulier dans vos choix abominables d’hervenn! Si Halyalindë osait encore en douter, elle pouvait maintenant se confirmer que les Aigles n'étaient pas bien discrets. Tu en aurais peut-être plus appris en les croisant sur les terrains d'entraînement qu'à travers les longues heures passées à aider Fenris dans la pratique de sa magie.Je connais un peu les Nöldorion, ils ne sont pas toujours faciles à vivre, tu retrousses légèrement le nez au souvenir récent de Mëlian… et à celui lointain de Delyndil mais Fenris est un bon gars. D’ailleurs, j’espère que tu ne le répéteras à personne mais je dois bien avouer que ça va faire trois siècles que je me demande ce qui a bien pu faire que Kaëlistravaë se soit éprise de moi plutôt qu’à un elfe d’éducation similaire à celle de Fenris dès qu’elle a le dos tourné. Tes yeux montent au ciel une seconde Et pourtant la réponse est tellement évidente dès que je me retrouve avec elle que je m’en veux de ne pas arriver à me sortir cette question de la tête.

Regardant par dessus l'épaule du grand elfe, Halya pinça les lèvres pour y garder enfermer les commentaires qui lui venaient. Enfin principalement LE commentaire. Un détail qui, mis bout à bout avec toutes les petites similitudes devant lesquelles ils devaient se rendre à l'évidence depuis quelques heures, avait quelque chose d'incongru et d'assez drôle. Elle attendit cependant jusqu'au moment où le tailleurs parti chercher un autre patron avec le croquis sous le bras pour qu'elle glisse un sourire amusé à son comparse « Et en plus tu dessines, tu sais que j'ai de plus en plus de mal à croire que tu es daranovan ?
- Les conseils de guerre seraient bien triste si personne n'était capable de croquer de cartes des lieux, griffonner des arbres, des montagnes et des cités en ruines fait plus la main qu'il n'y paraît » le militaire leva un sourcil « Je pourrais aussi te donner raison en t'avouant être Lanthloran, » ses yeux se détachent de ceux de l'Ardamirie, dans un geste se voulant taquin « mais ça te ferait certainement trop plaisir
- Je vois... Je me disais aussi qu'un vrai daranovan n'aurait pas pu supporter quelqu'un de ma famille..." rit-elle en sourdine. Elle préféra ne pas insister plus avant sur le sujet, le funeste destin de Lanthaloran étant sûrement encore vif dans la mémoire de son interlocuteur qui n'a pas d'autre réaction qu'une légère surprise. « Une guérisseuse pacifiste convaincue et un militariste authentique. » s'expliqua-t-elle « J'ai appris que vous aviez passé du temps à Ardamir ensemble et pourtant aucun quartier de la ville n'a exploser. J'en suis donc venu à la conclusion que les disputes devaient restées sous un certain seuil.
- À vrai dire... » une étincelle presque mélancolique s'allume dans le regard du chef de guerre « Kaëlis et moi ne nous sommes jamais vraiment disputés. Il faut dire que je n'étais pas vraiment en état d'élever la voix lorsqu'on s'est connus, et réciproquement je pense qu'au début elle aura dû prendre sur elle pour éviter le plus possible que je ne m'emporte et ne me fasse du mal. » Il sourit doucement, les souvenirs de sa rencontre avec son aimées encore à fleur de peau « On a appris à être patients l'un envers l'autre avant d'apprendre à s'aimer, ça a du beaucoup jouer... et puis, même si je sais le peu d'estime que Kaëlis a pour la guerre, je pense que quelque part, elle comprend que nous les militaires sommes autant persuadés protéger nos frères les armes à la main qu'elle l'est en arpentant les dispensaires. »

L'histoire avait de quoi toucher, mais Halya le fut peut-être plus par ce qu'elle sous-entendait  que par la narration. « Je ne savais pas Kaëlis si prompte à supporter la différence des autres... »  D'un sourire un peu plus mordant, elle repris, ses mains claquant l'une contre l'autre. « Faisons en sorte que ta tenue de noce fasse honneur à tout cela. »

Puis, après la dernière ligne droite, ils avaient été libérés de la corvée de tailleur. Si les surveillants acerbes de l'ardamirie avaient su que les 'préparatifs du mariage' argués par Artion se résumaient à cela... cela-dit, elle-même n'allait certainement pas s'en plaindre.

Une fois dehors, il y a eu comme un flottement. Ni l'un ni l'autre ne savait où aller, mais l'une suivait scrupuleusement les pas indécis de l'autre. Tout plutôt que de rentrer déjà. Et la compagnie d'Artion, bien que faire les boutiques en quête d'une tenue ne soit clairement pas dans les habitudes de l'ex-militaire, était bien plus sympathique que les pires façon d'échapper à sa prison dorée. Se calant sur une vitesse raisonnable, ils embrayèrent plus ou moins sur une ballade.
« Tu sais, Kaëlistravae et toi vous ressemblez plus que vous ne semblez vous en rendre compte. Je dois avouer que tout physionomiste que j’aime à m’appeler, si je ne vous savais pas cousines,
- Je ressemble beaucoup à ma mère, au grand damne de mon oncle. » rit-elle, tout a fait claire quant à ce que lui inspirait le damne du dit oncle.
- Je n’aurais même pas remarqué que vos visages se ressemblent autant mais c’est aussi impressionnant comme vous avez toutes les deux les mêmes attitudes lorsque vous prenez quelque chose à cœur. Toutes les deux aussi résolument bornées…
- Bornée ? » demanda-t-elle en fronçant le nez. Oui... C'était vrai, elle n'allait pas prétendre le contraire. En tout cas pour Halya c'était vrai. Mais pour Kaëlis... Et puis comment pouvait-il le savoir lui ? L'entêtement d'Halyalindë Yasairava faisait-elle aussi le sujet de nouvelles régionales ? La réponse lui fit réprimer un rire gêné tout en faisant disparaître son agacement naissant. « … Oh je vois. Les bruits de caser' sont toujours aussi répandus... » Elle vint pincer pensivement le lobe de son oreille droite. Même lui en avait entendu parlé...
- Je connais un peu les Nöldorion, ils ne sont pas toujours faciles à vivre,
- Ce n'est pas tant qu'ils sont difficile à vivre. Objectivement ils sont charmants... » ajouta-t-elle en fronçant de nouveau le nez. « Ils sont juste assez... » En tournant le poignet, elle cherchait le mot juste. Protecteur ? Agressifs ? Guindés ? « … Traditionalistes. » laissa-t-elle tomber faute de mieux... ou de pire. La majeure partie du temps, elle ne leur en voulait pas, comprenant quelles angoisses ils pouvaient avoir concernant leur petit dernier, surtout maintenant qu'elle était officiellement en réhabilitation, donc considérée par les cités éloignées comme suffisamment instable pour qu'on lui retire son titre de Protectrice sans consultation de la Chambre Ardamirie. Killen était entré dans une fureur peu commune et Medherith... Mais cela était une autre histoire. Toujours était-il que Fenris était très pris et que ses permissions n'étaient que rarement assez longues pour faire le chemin jusqu'à Ardamir. Sa mère en dormait sûrement mieux la nuit. « Oui... C'est un un homme bien. » Tellement mieux que ce simple compliment en vérité... Un sourire doux lui était venu sans qu'elle n'y prenne garde.

« Ah je ne suis donc pas la seule ! » s'exclama-t-elle en posant la main sur le bras du géant. « J'ai bien du me demander ça un millier de fois en deux ans. » Seulement deux ans... cela passait si vite « mais c'est beaucoup moins le cas depuis l'automne. » Devant le regard interrogatif du Commandant, elle sourit. « J'ai rencontré ses parents. » Ses yeux brillaient d'un rire contenu « Je me dis que Fenris est peut-être juste moins narcissiques que la plupart des descendants de grandes familles. Kaëlis doit tenir de ça également : ils tombent amoureux de ce qui leur manque plutôt que de leurs propres refl... Oupf ! »

Belle tirade. Certes... Elle l'aurait été plus si un homme en veste grise ne l'avait pas heurter. Se frottant l'épaule, elle s'excusa avec un sourire... Et ne trouva qu'un regard curieusement malaisé. Après avoir tenu le contact visuel durant quelques instants, l'inconnu se détourna sur un rapide hochement de tête et s'éloigna à grands pas. Halya secoua la tête en s'étirant. « Ce n'est rien. » sourit-elle à Artion avant qu'il ne fasse une réflexion, que ce soit envers le goujat ou envers elle. « C'est un conseiller du Palais. Il a du me reconnaître. Qu'est-ce qu'on disait ? »

C’est étrange comme parfois le destin rapproche des gens aussi diamétralement opposés que leurs histoires se ressemblent. La parenté Noss d’Halyalindë était bien loin de ton vieil héritage Daranovan, et pourtant l’un comme l’autre avaient tissé vos relations amoureuses de fils de couleurs bien similaires. Kaëlis était à Halya ce que Fenris représentait à tes yeux. Une chance pour vos compagnons respectifs, ils n’avaient pas à composer avec la réciproque. S’il on pouvait facilement imaginer la Main Droite d’Ardamir s’amouracher d’un fils d’une haute famille à l’éducation moins brute que la tienne, ou les parents de Fenris le conduire à prendre pour épouse la douce et distinguée fille aînée Yasairava ; Halyalindë et toi formiez une paire que l’on ne pouvait difficilement imaginer liée autrement que par une fraternelle amitié… ou alors étais-ce ton intrinsèque biais qui te rendait aveugle à ce que d’autres pouvaient percevoir ?

Le reste de la tirade, tu l’accueillis avec une mine amusée. Auto-exclusive au point que tu en sois arrivé à te demander si elle n’oubliait pas qu’elle était elle-même descendante de grande famille. Et quant à toi, dont les deux parentés sont de hauts lignages…

- Halya ?

Tu l’interpelle plus par surprise qu’autre chose, étonnement qui retomba rapidement en constatant qu’il ne s’agissait là que d’une bousculade comme il en arrive souvent en ville, lorsque chacun y va de son affaire. La situation te laisse perplexe toute de même, et c’est avec les sourcils levés que tu la laisses se décanter devant toi. Quand les excuses de l’ex-Aigle viennent se heurter au silence, tu mentirais en disant que tu ne t’en es pas trouvé quelque peu gêné, te demandant ce qui pouvait bien retenir quelques simples mots dans la gorge de l’autre.
Tu n’as pas grand-chose à ajouter que ton langage corporel ne dise déjà, et le sourire de ton accompagnatrice laissait entendre qu’elle n’en attendait pas plus. Autant ne pas s’en formaliser et reprendre là où vous en étiez. Ce n’est pas aujourd’hui que la politique d’Alëandir se mêlerait de vos affaires. Ta main se dépose sur l’omoplate de l’Ardamirie alors que tu l’invites à reprendre le pas, plus lentement tout de même.

- On parlait du narcissisme des grandes familles. Tu répliques en te retenant presque de rire Et tu sais quoi, maintenant que tu le dis, ça me donnera une excuse la prochaine fois que Cìryon me fera remarquer que je passe trop de temps à me pouponner.

En tant que ton meilleur ami, Cìryon savait mieux que n’importe qui d’où te vient ce culte de ton corps, mais lorsqu’il se mettait au reproche, toutes les excuses devenaient bonnes.

" Ciryon ? " demanda-t-elle devant l'air enjoué du daranovan. " Un frère ? un parent ? " Si un style de réflexions n'était jamais fait à Halya, c'était bien les remarques sur sa coquetterie. Femme d'action jusqu'au bout des ongles, contrairement à Artion ni le classicisme sobre de Fenris ni l'opinion de ses parents sur son apparence n'avaient décidé la militaire à changer sa manière d'être... Buttée disait-il ?

" Au moins toi tu ne faisais pas tâche lors du Haut-Conseil. A chaque fois que je vien...venais, j'avais l'impression de me déguiser. J'ai été surprise que Daenor ne vienne pas lui-même d'ailleurs, quitte à devoir ramper dans la neige sur le chemin. "

Ils tournèrent au coin d'une rue, les façades blanches couvertes de plantes grimpantes brillant d'humidité sous le soleil de ce début de printemps.

- Un ami d’enfance tu souris rien que de penser à ton gredin de camarade mais pour tout le temps qu’on a passé ensemble autant l’appeler mon frère. Le pauvre doit être en ce moment même encore en train de fulminer à l’idée que je n’aie pas pris la peine de porter quelque chose qu’il ait forgé devant les yeux du gratin de l’Anaëh.

Du sourire tu passes rapidement à une expression profondément surprise lorsqu’Halya te confie s’être toujours sentie mal à l’aise dans son costume du Haute-Conseillère au Trône Blanc. Elle a tout d’une femme d’action, c’est vrai, mais tu en es la preuve vivante, ce n’est pas ce qui l’empêcherait d’être coquette. Elle t’avait d’ailleurs l’air bien plus à l’aise que de raison dans une robe qui ne t’avais pas pour le moins du monde paru taillée pour être confortable, à fortiori lorsque l’on était taillé comme une guerrière digne de ce nom.

- Alors c’était un déguisement très réussi. Ce ne sont pas tous les costumiers qui feraient disparaître aussi facilement jusqu’au moindre cheveu abîmé ! cheveux abîmés qui te semblaient maintenant que tu y fais plus attention complètement manquer à l’appel D’ailleurs, j’aimerais bien te voir avec un peu plus de longueur un de ces jours. Tes cheveux sont vraiment très beaux lorsqu’ils sont en forme. Il faudra que tu me confie ton secret histoire que je réussisse à mettre un coup de discipline aux miens.

Tu diverges, tu divagues, mais il t’est au final impossible d’esquiver le reste de la remarque de l’Ardamirie… peut-être à son grand bonheur, qui sait. Tu aurais préféré ne pas avoir à plus repenser au Haut-Conseil que tu ne l’as déjà fait. Le souvenir d’avoir parlé dans le vide devant des elfes voulant à tout prix croire qu’ils écoutaient attentivement… au moins Dyarque et Daenor, lorsque c’était le cas, assumaient totalement n’avoir rien à faire de l’avis et des plaidoyers de leurs convives. Anorn n’était pas loin d’être de la même veine, mais sa manière de créer le débat sachant pertinemment qu’il prendrait au final une décision relativement arbitraire, même s’il ne s’en cachait pas, te passait tout de même moins bien que même les discours les plus cinglants de ton Protecteur.

- Ce n’est pas la neige qui aura retenu Daenor en réalité. C’est plutôt le peuple Daranovan qu’il faut remercier. Notre situation politique est relativement stable en ce moment… mais seulement relativement. Nous ne sommes pas vraiment dans des conditions qui permettraient au Protecteur de s’absenter ne serait-ce que pour une journée. Tu ne peux réprimer une moue agacée au souvenir des événements du Conseil Et heureusement d’ailleurs. Je pense que s’il avait été là, les choses se seraient passées bien moins calmement. J’ai été capable de garder le silence, mais je pense que lui se serait définitivement très vocalement insurgé de te voir accusée de meurtre. Tu soupires, abattu Je veux bien comprendre que le fait que ce soit un de nos frères sylvains qui ait perdu la vie dans cette histoire puisse mettre les nerfs des plus sensibles à vifs, mais je continue encore de trouver complètement stupide que l’on fasse autant de bruit pour homme faisant partie du groupe à l’origine d’une guerre civile ayant fait bien plus d’une victime, et qui s’ils ne s’étaient pas saisi du pouvoir, mériterait la mort selon la loi de leur propre Protectorat. C’est vrai, se faire justice soi-même, qu’on soit dans le vrai ou pas, est répréhensible, mais dans un cas comme celui d’Eteniril, pour ce que j’ai pu en comprendre, ce n’est pas comme s’il y avait eu beaucoup d’autres options. J’aurais espéré qu’Anorndellon, après avoir plus d’une fois été préposé aux mouroirs et au final été responsable de la mort de dizaines d’elfes puisse faire l’effort de le comprendre. Tu défourailles ton focaliseur, et te mets machinalement à le faire adroitement danser entre tes doigts Notre Régent a beau avoir fait la guerre, ce n’est définitivement pas un militaire… et cette fois, c’est bien d’un militaire que l’on aurait eu besoin. Jusqu’à preuve du contraire, Eteniril est en situation de guerre. Tu claques de la langue, continuant ta tirade dans un sombre cynisme Je ferai en sorte de me souvenir que s’en prendre à quelqu’un de clairement identifié comme étant un ennemi dangereux est passible de sentence pour peu qu’il ait de longues oreilles la prochaine fois que les Drows passeront gentiment nous saluer, parce qu’ils ont eux aussi été nos frères il fut un temps non ? Les pauvres ne méritent pas la mort !

Tu exagères et tu le sais. Comment Halyalindë pouvait-elle rester aussi calme dans une pareille situation ? Parce qu’au final, c’est elle qui se retrouvait condamnée, et son Protectorat privé de sa supervision. C’est elle qui avait été punie injustement, et pourtant c’était de vous deux toi qui paraissait le plus exaspéré.

Alors l'homme avait un bon ami forgeron. Voilà qui était amusant. Elle même n'avait pas revu Halandarin depuis Eraison, mais de toute façon, on ne pouvait pas vraiment dire qu'ils étaient de proches amis. Elle se demandait surtout ce qu'il adviendrait de sa forge... et se rappelait à chaque fois dans la foulée que ce n'était plus à elle de s'en préoccuper.
« Tu en auras de nouveau l'occasion j'en suis sûre. Si tes amis sont aussi caractériels que les miens, tu devras peut-être porter un espadon avec son nom graver en toute lettre sur la lame pour te faire pardonner la prochaine fois, mais il te laissera en vie, j'en suis certaine. » rit-elle de bon cœur en passant sur la question de leur apparition respective au Conseil. Elle remercia sincèrement Artion pour son compliment. Elle n'était Protectrice que depuis... non. Elle n'avait été protectrice que durant une décennie. Une paille dont personne ne se souviendrait et qui n'était certainement pas suffisante pour maîtriser à la perfection les échanges diplomatique digne de broderies maleringeoises. Alors savoir qu'elle donnait au moins un peu le change était toujours un trop rare soulagement. Maintenant qu'elle pouvait prendre un peu de distance, elle était même étonnée de voir à quel point elle avait put se mettre une pression pareille sur les épaules.

Elle fronça cependant le nez.
« Mon secret c'est une paire de ciseau, une malle d'onguents en tout genre et une cage. » elle observa l'interrogation de son compagnon avec un sourire en coin avant d'expliquer, faussement déprimée « Pas moyen d'éviter mon père. Sous prétexte de passer du temps avec moi, il a retrouvé les joies de l'enfance. Un mage de huit siècles qui joue a coiffer une poupée... » elle réprima un éclat de rire et son expression se fi plus taquine « Je te donnerai ses astuces en cadeau de mariage, pour épater Kaëlis et lui montrer que les astuces capillaires des Noss peuvent être intéressantes également. »

Pour le reste... disons simplement qu'Halya ne pensait pas déclencher un tel déferlement en parlant du Haut-Conseil mais que ce n'était pas non plus pour lui déplaire. Elle le laissa aller jusqu'au bout sans l'interrompre, espérant intérieurement que Daenor saurait rétablir un équilibre sur le long terme car malgré tous les défauts des Daranovan, il méritaient autant que n'importe quels autres citadins de vivre paisiblement. Bien qu'ils aient combattus dans les même batailles, le Protecteur et elle n'avaient jamais été particulièrement proches ou en bon terme. Il était un peu trop autoritaire et elle un peu trop libertaire pour ça...

Au sujet de Sigvald et d'Eteniril, la véhémence d'Artion était plus surprenante encore. Elle ne pensait pas qu'il avait été à ce point agacé par la décision du haut-conseil... Cette chambre était décidément une scène de théâtre et rien de plus. Personne n'y était vraiment ce qu'il semblait être. Parfois elle se demandait si c'était également le cas dans les conseils de chefs Noss. Mais en l’occurrence, la colère du Commandant était criante de vérité... Et sa grandiloquence au sujet des drows aurait eu de quoi faire hurler un bon millier de personnes. Une bonne centaine de millier même peut-être. Halya, elle, éclata de rire.

« Je suis désolée. » Articula-t-elle entre deux quinte d'un fou-rire plutôt contagieux. Le sourire niais, armé de bouquets de fleurs et pardonnant leurs frères longtemps disparu, la silhouette du régent couronné d'énormes fleurs venait de s'imposer à son esprit. La parfaite caricature que les autres races faisaient d'eux... Et le parfait inverse du froid et autoritaire elfe qui s'occupait à présent du trône blanc. En quelques gestes et quelques phrases courtes, elle tenta d'expliquer la cause de son hilarité... De façon sûrement peu concluante. Le fait même qu'Artion l'évoque était un soulagement. La plupart des gens préféraient éviter la question. Il aurait put lui dire qu'il trouvait la sentence trop douce que cela aurait déjà été un bien, alors qu'il lui exprime son soutien...

« Merci en tout cas. Je n'irai pas le crier sur tous les toits mais je ne regrette pas d'avoir agis comme je l'ai fait même si je regrette la façon dont ça a tourné pour Sigvald et Eteniril. » en tant que militaire, ils savaient tout deux que même en faisant parfaitement les choses, l'imprévu existait toujours. On en venait à regarder plus facilement les actes que leurs résultats pour relativiser ses échecs. « Tu sais, là où j'ai vraiment été étonnée, c'est que si peu de protecteurs relèvent l'amalgame que le régent faisait entre toutes les façons et les circonstances de donner la mort. Je comprends que tout cela ait pris un tour politique et c'est pour ça que je supporte la réclusion sans rechigner... enfin sans trop rechigner. Mais en tant que soigneur, il a vu ce que les soldats subissaient pour protéger Anaëh et en tant que régent, il doit forcément savoir quels genres de missions sont données aux Aigles et aux Éperviers. » Ce n'était pas la première fois qu'elle tuait un elfe. Si elle ne l'avait pas toujours fait sur ordre de ses supérieurs - son ami Estiam savait pourquoi – D'autres missions étaient on ne pouvait plus claires. Leur peuple n'avait rien de parfait. La folie et la haine le travaillait au corps souvent plus violemment que les races plus jeunes. Dyarque et les monarques précédents avaient plusieurs fois ordonné que telle ou telle personne soit arrêtées quoi qu'il en coûte. La discrétion était peut-être le maître mot mais les faits restaient bien réels. « Ce sont même ces missions qui auraient du désamorcer la situation d'Eteniril si les problèmes de successions et de pertes d'effectifs n'avaient pas fragiliser les relais d'informations des Eperviers. » ajouta-t-elle un ton en dessous. Ils ne pouvaient pas en discuter plus avant, surtout dans un espace publique, mais l'un comme l'autre ne pouvaient se tromper sur ce dont il était question.

« Honnêtement, savoir que quelqu'un comme toi garde un œil sur le panier de crabe du haut Conseil  et tente de leur mettre un peu de plomb dans la tête en ce qui concerne les périodes de guerre, ça me permettra de mieux dormir la nuit. » Elle sourit, un reflet décidé dans le regard. Elle n'avait pas encore choisit où la mèneraient ses pas dorénavant, mais elle n'avait pas perdu de vue que rien de ce qui s'était passé au sud et rien de ce qui se passait encore entre les Noss et les citadins d'Eteniril n'était fini. « Je sais que je ne devrais pas demander ça mais... tu sais si la proposition que j'avais faite pour Eteniril a servi à quelque chose ? » Encore une fois, le secret coupait la franchise. Parler de décisions importantes au milieu de  la rue n'avait rien de facile.

Il te faut quelques instants avant de prendre complètement la mesure de la situation. Tu viens de te laisser aller à l’agacement, de cracher une tirade qui t’aurait certainement valu de perdre toute crédibilité en tant que personne d’un minimum de distinction auprès d’une majorité d’elfes… et elle rit. Voilà qui paradoxalement ne te surprend pas le moins du monde. La réaction est inattendue, mais à force, il te fallait reconnaître que chez les Aradamiris, c’est l’inattendu qui semblait être la norme, alors pourquoi pas chez leur ancienne Protectrice. À défaut de te laisser emporter par son hilarité, tu abandonnes ta moue serrée pour l’accompagner d’un sourire, reprenant conjointement la discussion et la marche une fois qu’elle aurait un peu repris ses esprits.

Ton sourire se mue tour à tour en moue pensive ou en soupire au fur et à mesure des interventions d’Halyalindë, sans jamais totalement disparaître, appuyé dans son expression par la savante danse de tes sourcils et des plis de ton front.

- Pour une grande partie, je pense très honnêtement que même ayant relevé l’amalgame, au vu de la réputation qui te suit depuis Eraïson, ils auront préféré se taire et profiter d’une raison de plus de t’écarter de la scène politique tu tournes légèrement la tête, regardant en direction du palais et en dehors de ça, c’est Anorndellon qui tranche, et il faut bien avouer qu’il n’est pas l’elfe le plus conciliant qu’il y ait. Beaucoup préféreront se taire plutôt que d’essayer d’inutilement argumenter contre lui.

Ton visage s’assombrit légèrement à repenser aux derniers mots de l’ancienne Aigle. Savoir la situation assez épineuse pour que l’élite de l’armée royale en soit arrivée à s’y empêtrer n’était pour le moins pas rassurant. Savoir la progression des Eperviers, ceux qui étaient connus pour avoir réussi à rapporter des nouvelles jusque de l’autre côté du front Drow, ne donnait pas plus d’espoir, mais au moins on aurait pu se consoler en se disant que l’état de siège posé par les Noss Etenirilies devait y être pour beaucoup, et que puisqu’il s’agissait d’un conflits entre elfes, tant que les deux parties faisaient preuve de patience, les morts et les blessés seraient peu nombreux.
Tu en viens à te demander si ce n’est pas cette ombre de morosité qui aura poussé ta camarade à complimenter l’utilité de ta présence auprès du Haut-Conseil. Au moins si c’était le cas, c’est qu’elle savait déjà par quel bout te ramasser.

- Aux dernières nouvelles, le siège des Noss s’est légèrement desserré sans avoir été totalement abandonné, mais au moins il n’y a pas eu de bain de sang. Tu fais nerveusement tourner ton focaliseur entre tes doigts en abordant le point suivant Il me semble qu’il a aussi été obtenu que Neraën ne soit pas directement soumis à la justice d’Eteniril, mais je continue de m’inquiéter de ce qui pourrait lui arriver. Ton sceptre s’immobilise et tu reprends, d’une voix plus apaisée Ce ne sont pas forcément d’excellentes nouvelles, mais au vu de là où on vient, je pense qu’on peut dire que l’opération est un relatif succès.

Tu essaies de rire, du moins tu en as envie, mais l’éclat est tué dans l’œuf par une douleur fulgurante à l’abdomen, te forçant à poser par automatisme l’une de tes mains dessus. Tu prends une profonde inspiration, expire en conséquence et te reprends, sous le regard moqueur de ton accompagnatrice.

- J’ai dû faire l’impasse sur le repas de ce matin pour ne pas prendre trop de retard Les grognements enragés de ton ventre te forcent à marquer une pause mais je crois que mon corps n’est pas en condition d’accepter de manquer de nourriture. Tu souris, conscient que si elle ne comptait pas à ce que vous vous sépariez, ta proposition ne souffrirait pas de refus  Ça te dérangerait que l’on s’arrête quelque part pour se mettre quelque chose sous la dent ?

Si une fois en campagne les conditions de stress faisaient que tu pouvais te contenter de moins, lorsqu’il n’y avait pas d’excuse pour y réchapper, et en particulier durant des périodes où tu t’infligeais un entraînement aussi intense qu’en ce moment, approvisionner en énergie ce qui représentait presque un quintal et demi de masse musculaire ne t’autorisait pas à prendre ton alimentation à la légère.

" Pas le moins du monde. " sourit-elle en ignorant autant que possible les cris d'agonis de l'estomac du daranovan. " Du moment qu'on évite les nids d'Aigle et autres militaires. Je n'ai pas particulièrement envie de leur expliquer dans le détail ce que je deviens ces derniers temps. "

Au moins elle savait maintenant qu'Eteniril n'était toujours pas devenu un champ de ruine. C'était une bonne nouvelle. Pour le reste, ils avaient le temps de voir venir. Laissant là les discussions les plus graves, elle proposa plutôt de tourner dans une rue perpendiculaire susceptible de leur offrir ce qu'ils cherchaient.

" J'y pense, mais vous avez déjà arrêté une date pour le mariage ? "

- Heureusement le Teluïme n’est pas le quartier-maître des officiers en cette heure de la journée.

Que vous soyez sûrs d’éviter tout contact avec la moindre recrue des corps armés Lëandrins était loin d’être une garantie, mais au moins, vous ne vous retrouveriez pas piégés dans des réunions comme il s’en crée dans les cantines des casernes ou les rues proches. Ici était le domaine des marchands, des amateurs d’art et des visiteurs, et s’il y avait parmi les militaires quelques têtes cochant une ou plusieurs de ces cases, entre le service et les raisons de leur présence en ces lieux s’ils étaient de permission, il y avait fort à parier qu’ils aient autre chose à penser que la situation d’Halyalindë, du moins tu l’espères.

Tu pris donc le parti de te diriger vers une gargote peu fréquentée, marquée par tes soins comme étant un endroit dont la cuisine était gravement sous-estimée… ou alors peut-être tes goûts sont-ils un peu spéciaux, emportant en toute hâte Halyalindë à ta suite. La faim n’est cependant pas la seule raison pour laquelle ton pas est aussi rapide. L’anxiété y contribue aussi fortement. La question de l’ancienne Protectrice d’Ardamir a beau être totalement innocente, ce ne sont pas que d’agréables sentiments qu’elle soulève en toi.

- La cérémonie devrait avoir lieu au courant de la quatrième ennéade de ce mois-ci… si tout est prêt d’ici-là. tu soupires Et plus ça va, plus j’espère que ce ne sera pas le cas.

Vous saluez le personnel de l’endroit et prenez une table dans l’établissement presque vide à cette heure-ci le tout d’un seul trait. Votre conversation est coupée le temps que vous passiez commande, et ne reprend que lorsque l’on vous confirme les cuisines mises en route.

- Ce n’est pas que je n’aie plus envie d’épouser Kaëlistravae, en réalité, je meurs d’envie de l’épouser… mais j’ai peur de ne pas être digne de la promesse que je lui fais en me faisant son mari. Tes yeux quittent ceux d’Halyalindë pour aller chercher le plafond, trahissant la profondeur de ton malaise, toi dont l’assurance n’a pas d’égal Elle et moi savons depuis le départ qu’en tant que Mainyth de Daranovar, même en dehors du temps passé sur le terrain, je serai toujours loin d’Ardamir. Avoir participé au front m’a obtenu une permission le temps d’avancer dans mes recherches, et j’ai pu en profiter pour passer du temps avec Kaëlis, je pourrai bientôt dire que j’ai pu en profiter pour me marier, mais une fois que tout ça sera passé, on se retrouvera à nouveau séparés par les monts Norn.

L’arrivée de tes galettes de légumes et de ta soupe de céréales coupe une seconde fois ton discours, mais t’apporte un peu de réconfort à mi-parcours. Tu prends un peu de temps pour humer le plat, après quoi tu pioches de ta poche une petite fiole d’une liqueur à la couleur douteuse et à l’odeur étrange sans pourtant être désagréable, que tu verseras dans ta soupe avant de la remuer. Tu attrapes une galette, la trempe longuement dans la mixture et prends une bouchée, rituel que tu répéteras par intermittences tout au long du reste de votre discussion.

- Je m’étais convaincu que notre couple fonctionnerait malgré tout. Je me disais que Dragan d’Ardamir avait bien pris pour épouse Rêverie de Malereg… qui en plus possédait du sang humain sauf qu’une fois que l'on regarde plus loin que le bout de notre nez, on ne peut pas dire que leur histoire ait été un véritable conte de fée.

Tu soulèves un sourcil, les coins de tes lèvres relevés en un fade sourire, se moquant de ce que tu considères avoir été ta propre naïveté. Tu continues de tremper les galettes dans la soupe, dont la couleur est maintenant aussi vive que celle de la liqueur que tu y as versée. Tu ne remarques que maintenant l’expression interloquée d’Halyalindë devant l’étrange condiment, et presque par réflexe, tu lui tends le biscuit que tu as entre les doigts, lui proposant ainsi d’y goûter au détour de deux mots.

Spoiler:

Plus que les connaissances de passage, c’était un visage bien particulier qu’Halya craignait de croiser. Le plus étrange c’est qu’elle aurait tout fait pour le croiser en d’autres circonstances, mais ne l’ayant pas averti de sa venue, elle préférait éviter des retrouvailles aussi éphémères que subreptices. D’un autre côté, si elle pouvait également éviter de recroiser Sand, elle ne s’en porterait pas plus mal. Et au final, elle ne s’en porta pas plus mal.

Plusieurs fois, elle s’arrêta au gré d’une devanture, admirant une pièce particulièrement fine ou la devanture elle-même… Du moins c’est ce qu’elle aurait aimé pouvoir faire si son compagnon n’avait pas soudain accélérer le pas. L’aveu qu’il consentit à faire dans son sprint manqua de faire trébucher l’ex-protectrice.

- Mais…

Mais ils poussèrent la porte de leur point de chute du jour et la dame tint sa langue. La gérante était avenante et son sourire rayonnant. Visiblement, Artion était un habitué et la table qu’on leur trouva était grande pour seulement deux personnes. La salle vide y était peut-être pour quelque chose.

Pendant qu’ils s’installaient, une part de l’esprit d’Halya restait bloquée sur les derniers mots de son comparse. Comment ça il espérait que ce ne serait pas le cas… Kaëlis avait beau ne pas être particulièrement proche d’elle, elle s’était révélée être un sacré soutient lors des derniers mois. Elles avaient appris, si ce n’était à se connaître, du moins à compter l’une sur l’autre… Et l’idée qu’Artion, alors même qu’il l’avait invitée pour choisir sa tenue, nourrissait des doutes, était assez perturbant. N’étant pas en visite de représentation, elle ne prit pas la peine de masquer toute expression de son visage mais ne repris pas la parole pour autant, laissant à son vis à vis le temps de rassembler ses idées.

Alors il ne savait pas encore où ils allaient vivre ni comment ils allaient s’organiser. Le regard de l’ardamirie s’apaisa de beaucoup. Étant donné comment tournaient les choses avec Fenris, elle imaginait facilement comment le devoir pouvait empiéter sur leur histoire personnelle. Rompant d’un morceau de pain de seigle pour y déposer un peu de la mixture à base d’huile, d’aubergine et de sésame qu’elle avait commandée, elle profita de l’appétit d’Artion pour tenter de lui remonter un peu le moral.

- Ce n’est pas forcément une fatalité. Kaëlis pourrait aussi s’occuper de blessés à Daranovar, et vous viendriez passer quelques ennéades par ans à Ardamir. Il y a toujours des façons de faire. » Elle déchira un bout de pain du bout des crocs « Et pour sa place au Conseil je pourrais… » il y eu un instant de flottement. « Enfin... » Elle avala sa boucher pour clarifier sa voix « Je sais qu’elle n’a jamais voulu de ce poste. Elle ne désire pas devenir Protectrice. Alors le Conseil pourrait trouver une autre façon de fonctionner. »

Elle sourit en repiquant une bouchée… avant de lancer tomber les yeux sur le bol de soupe à la couleur devenue suspecte. Qu’est-ce qu’il pouvait bien mettre dedans ? L’esprit vagabond fut rapidement comblé par le biscuit imbibé qu’Artion lui tendit en répondant. L’oreille d’Halya eut un sursaut lorsque le goût d’ail et de champignon heurta ses papilles. Ce n’était pas particulièrement fort mais l’alliance que cela donnait avec le support était assez… originale. Il fallait le temps de se faire à l’idée.

- Tu ne devrais pas trop te pencher sur Dragan et Tiril, il avaient à peine 120ans. L’expérience est de votre côté. Votre couple à toujours fonctionné comme ça, ce n’est pas parce que vous vous mariez que cela vous oblige à renoncer à l’équilibre que vous avez trouvé jusqu’ici. Chaque couple à sa façon de vivre. » sourit-elle en agitant le dernier bout de galette qu’elle tenait encore entre ses doigts. « Et si vous voulez vous établir durablement ensemble au même endroit, vous trouverez une solution tous les deux, j’en suis sûre. Vous me semblez pleins de ressources, l’un comme l’autre. »