Premier enfant de deuxième lit

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Gaston Berdevin
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MessageSujet: Premier enfant de deuxième lit   Premier enfant de deuxième lit I_icon_minitimeVen 29 Sep 2017 - 13:58

Le 5ème jour de la 2ème ennéade de Favriüs, 10ème année du 11ème cycle.
Printemps. A Ancenis.



Madeleyne d'Ancenis



L’arrivée de la marquise d’Odélian dans sa ville natale fut discrète, mais son séjour long. Les rumeurs de sa venue se diffusèrent lentement et les premiers jours les habitants d’Ancenis les accueillirent avec incrédulité. Les informations qui passaient les murs de Vielmot étaient rares et les valets du château étaient des fieffés menteurs dans tous les cas. On s’interrogeait néanmoins. L’automne approchant, les nuits s’allongeaient et les veillées avec elles. Entre les contes et les nouvelles de l’étranger, le nom de Madeleyne refaisait surface et chacun se rafraichissait la mémoire à propos de la sœur de la baronne d’Hautval, la cousine de leur ancien seigneur Aemon d’Ancenis. Le souvenir de la petite Ancenoise remontait subitement, on se rappelait de ses mariages et de sa marche jusqu’à la capitale qui avait mené jusqu’aux Champs pourpres. Tant d’événements s’étaient succédés depuis que le fait qu’elle pût de nouveau être parmi les siens, ici même dans la cité d’Ancenis, semblait être une farce, à tout le moins un vœu pieux.

Quelques jours après la nuit de son arrivée à Vielmot, elle surprit son monde en apparaissant aux yeux de toute la bourgade. Descendant la rue en escargot qui reliait la forteresse des barons à la ville, elle rejoignait Primeprestre, montée en amazone. Sa robe vert émeraude constellée de clous argentés, les couleurs de son clan, dissimulait son corps frêle des épaules aux souliers, mais mettait en pleine lumière un ventre abondamment arrondie. Non seulement la petite marquise était de retour à Ancenis, mais elle apprenait à tous qu’elle portait en elle les fruits de sa nouvelle union. Son passage dans la ville fut bref et une fois au sein du grand temple d’Ancenis, elle y resta de nombreuses semaines sans se montrer au public. Invitée au grand prêtre, elle logeait dans l’un des cloîtres pour les femmes, au plus près des meilleurs guérisseurs de la région en cas de complications. Les doutes de la populace s’envolèrent, et les chaumières bourdonnèrent de questions et de nouvelles au sujet de la fille de Raymond d’Ancenis.

L’automne passa, l’agitation également. Moins timide, Madeleyne, quand elle s’aperçut qu’on ne lui voulait pas de mal, reparaissait plus fréquemment. Elle alternait son séjour entre la cour et le temple, renouait avec ses amis d’enfance et ses connaissances que des années dans le nord avaient éloigné d’elle. La rigueur de l’hiver et sa grossesse qui progressait lui empêchèrent de battre la campagne, alors on venait à elle. Simplement pour la visiter parfois, mais la plupart du temps, on venait la distraire de son chagrin ; car malgré les blizzards d’une violence inédite qui s’abattaient sur le royaume, les températures à fendre la pierre, les nouvelles de la révolte d’Etherna et l’invasion des brigands d’Aduram étaient parvenues jusqu’à l’Ancenois. Elles étaient lacunaires, parfois fantasques, souvent sinistres.

Quand le printemps revint et que les conditions de voyage furent un peu meilleures, Madeleyne était enceinte jusqu’au cou. Elle donnerait bientôt naissance à l’enfant qu’elle portait, se jeter sur les routes était hors de question, affréter une galère inimaginable. Elle enfanterait ici, à Ancenis.



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MessageSujet: Re: Premier enfant de deuxième lit   Premier enfant de deuxième lit I_icon_minitimeJeu 23 Nov 2017 - 23:25


Printemps. A Ancenis.



Madeleyne d'Ancenis



Elle ne portait plus les couleurs de son clan, désormais. Elle ne portait plus rien dans cette nuit de printemps. Un mince linge blanc avait recouvert d’un voile de pudeur son corps de souffrance. Le labeur qui l’agitait depuis des heures avait resserré le tissu en un maigre filet qui la ceinturait au dessus de l’abdomen. Il n’avait plus rien de blanc ou de propre ; la sueur d’un long effort le maculait, l’eau brûlante et glacée des éponges qui griffait sa peau l’imbibait, un peu de sang avait rougi les pans de lin.

La volée de servantes du temple et de sages-femmes ne remarquait même plus cette couverture transformée en torchon humide. Au coucher du soleil, elles s’étaient affolées à fermer les carreaux des fenêtres et à allumer candélabres et bougies. Les plus expérimentées aboyaient aux plus jeunes de courir aux cheminées pour telle potion. Il fallait apporter plus de bassines, il fallait demander à nouveau de l’encens, il fallait l’avis de certains prêtres. Il fallait avant tout écarter du lit de la marquise les fragiles, de peur qu’une d’elles ne cède à la panique.  

Le travail de Madeleyne était anormalement lent et inefficace. Particulièrement douloureux, il faisait trembler la marquise pourtant dispose, tremblements qui culminaient dans des convulsions désespérées. Le corps tyrannisé de la mère hoquetait des gémissements. Les murmures lénifiants des mères étaient percés par ses cris de strige furieux lorsque les prières apaisantes n’étaient pas noyées sous un torrent de sanglots.

Devant cette fille piégée par son ventre, les femmes s’échangeaient des regards effrayés et impuissants. Les plus aguerries jetaient des coups d’œil plus enflammés et plus durs vers leurs consoeurs. Elles s’interrogeaient silencieusement les unes les autres ; devaient-elles mettre fin à cette torture ? Devaient-elles sauver la mère en sacrifiant l’enfant ? Le sang inquiétait. Elle en avait beaucoup versé. Bientôt il sera trop tard.

De l’autre côté des murs, le calme relatif de la foule toujours plus nombreuse s’effiloche. A chaque fois qu’une servante s’évade de la chambre pour s’acquitter d’une tâche, la masse s’agite. Dans l’après-midi, elle pépiait ses interrogations comme un gentil oiseau. Mais d’heure en heure, l’appréhension est plus bruyante. Aux cris de la parturiente répondaient un tonnerre de voix aux réactions discordantes mais toujours plus impérieuses. Les parentes de Madeleyne tombent désormais sur les servantes comme une nuée de chouettes. Elles strident leur frustration de ne pas être reçues à l’intérieur. Quand une sage-femme refoule l’une d’entre elles, elles l’insultent en chœur et crient au meurtre. Les hommes, jusqu’ici silencieux et minoritaires, finissent par donner de la voix. Ils sont arrivés tard, ce n’est pas leur place ni leur moment. Mais le labeur traîne, la mort rôde. Pas question que les derniers mots de la marquise soient entendus par un aréopage femelle.

Leurs nerfs lâchent vite, épuisés par les râles et l’attente interminable. Ce n’est ni leur place ni leur moment. Enfin un cri traverse les pierres et roule sur tous, les frappe de mutisme. Un silence choqué s’installe avec le malaise. Avant que les dames et seigneurs puissent demander s’ils avaient entendu le dernier chant de Madeleyne, une voix d’outre-tombe les intime de la rejoindre. La gêne s’accroit, la porte s’ouvre. Une armée d’ombres répond à l’appel, s’y engouffre lentement et sans un bruit.

Le chaos a disparu, ce voyage au bout de la nuit arrive à son dénouement. La procession des dames et des seigneurs s’insinue peu à peu dans la pièce, contournent les compagnes ensanglantées de la parturiente, immobiles comme des poteaux. La haie de témoins couronne le lit d’une Madeleyne presque nue qui halète. Elle est ivre de fatigue, de grosses gouttes roulent sur son front brûlant. Pourtant elle soulève de ce linge qui manqua d’être son linceul un gros bébé rouge et souriant, aux yeux très clairs, encore attaché à sa mère par son cordon ombilical. Voici Ilphiroda, déclara la marquise d’Odélian, fille de Gaston Berdevin.




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