Comment commença Favriüs

La fin de l'hiver avait été mouvementée pour Merval et nombres de murmures commençaient à se faire entendre dans les couloirs déserts du palais. Si le Prince en la personne de Cléophas d’Angleroy avait toujours fait preuve de loyauté envers le roi Bohémond de la maison Phyram sur lequel il veillait, le fait de faire s’installer la cour hors du royaume en faisait jaser encore plus d'un. Mais depuis peu avait retenti dans en péninsule un appel pour reprendre la capitale du royaume : Diantra. Cette prise d’initiative avait soudainement accéléré la valse des duchés et des marquisats et chacun commençait à avoir son avis bien personnel sur la question de l’avenir politique de la Péninsule.

Le duché qui avait été le plus prompt à passer à l’action concernant Diantra était celui de Langehack. Aucune réponse n'avait été faite à Langehack par la malgré l’ambiguïté de la situation politique du duché. Aucune entrevue n'avait eu lieu à la demande de la couronne pour éclaircir la situation malgré l'arrivée des portes de la capitale comme présent de bonne volonté sur la table des négociations. Les armées de Langehack étaient pourtant bel et bien entrées comme par surprise à Diantra. Si Soltariel n'avait pas été juste derrière ce coup d'éclat, les conséquences auraient pu être catastrophiques sur les relations entre Langehack et la couronne. Heureusement pour les langecins, l'influant duché du sud qui avait tant investi dans la marine royale portait un étendard bien plus reluisant que le leur.

Mais il en fallait davantage pour réellement frapper de stupeur les nobles dont la vie entière avait été passée à louvoyer entre les avis et les regards. Seule une figure bien connue sur l’échiquier politique possédait un pareil pouvoir de renverser la tendance, et on l’avait vue roder jusque dans les ombres de la régence. Blanche d'Ancenis en personne, baronne de Hautval et mère de potentiels héritiers à la couronne, était venue à Merval pour prêter serment à la couronne. Dans les premiers jours de Favriüs, la nouvelle s'était rependue en Merval. La seule noble influente qui refusait encore activement de reconnaitre Bohémond venait de plier l'échine sous la menace des forces royales. La couronne avait accepté son allégeance.

Parmi les ombres des corridors, de nombreux mots d'esprits et inquiétudes circulaient cependant. L'amélioration de l'état de Cléophas de plus en plus suspecte aux yeux des plus fervents pentiens. L'accumulation de vassaux directs du roi au détriment de la haute-noblesse. D'autres couleuvres étaient crachées et avalées. D'aucun disaient même que le régent aurait conseillé à la Baronne anciennement réfractaire de renoncer à ses titres et de s'exiler pour sauver ses terres. On disait également que, ne reconnaissant pas l'existence du duché du médian, la couronne n’avait accepté les serments de Blanche pour les terres dont elle était régente par le sang. Ainsi, seul Hautval avait retrouvé sa place par l'entremise de la belle dame, échappant de peu à ce que les armées levées au nom du roi étaient en droit de leur faire subir. Il avait été également question de mansuétude en ce qui concerne Ancenis. La baronnie étant dirigée par une parente de Blanche lui ayant prêté serment, Bathilde d’Ancenis serait également invitée à rendre les armes et à prêter serment. Pour le reste, la situation était bien plus complexe semblait-il...

Printemps - 9e ennéade de Favrius
10e année du XIe Cycle

Les rumeurs sur Hautval et Ancenis s'étaient vues plus ou moins confirmées mais la couronne n'avait répondu à aucune question, aucune missive.

Depuis des ennéades, les cloches des temples étaient les seules rumeurs régulières qui venaient rythmer la vie des habitants. Enfin presque. D’autres rumeurs revenaient par vague comme l’Olienne sur le rivage. Les serviteurs du palais en étaient l'origine. Les tavernes et les marchés avaient été transformés en sources claires et abondantes.

Quelque part derrière les murs du palais, les gardes avaient fermés l’aile royale. Personne d’autre que des prêtres et des guérisseurs entraient dans les lieux et ni le bambin couronné, ni son Prince Mervalois n’avaient été vus par les courtisans depuis mi-Favrius. Les rares fois ou la cour et les conseillers avaient tenté de prendre les commandes et de recevoir officiellement ceux qui le demandaient au nom du roi, les militaires Mervalois s’y étaient farouchement opposés.

La Lèpre, murmurait-on, ou du moins était-ce ce que les ignares prenaient pour la lèpre.

La Lèpre, un temps en rémission grignotait l’esprit du Régent et avec lui, l’intégrité du pouvoir royal. De nombreux grands noms étaient retournés dans leurs fiefs d’origines. Les courtisans les plus ambitieux montaient complots et conspirations. Ne recevant plus d’ordres de leur prince, les officiers militaires devenaient de plus en plus paranoïaques sur la sécurité du roi et du régent, les couvant contre toute tentative d'approche.

La soudaine gloire de Merval se ternissait peu à peu, obligeant la couronne à rester dans une paralysie qui ne pouvait que l'affaiblir toujours un peu plus.