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| Penser printemps | |
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Gaston Berdevin
Humain
Nombre de messages : 242 Âge : 44 Date d'inscription : 09/09/2016
Personnage :.: MANUSCRIT :.: Âge : 36 ans Taille : Niveau Magique : Non-Initié.
| Sujet: Penser printemps Jeu 23 Nov 2017 - 23:32 | |
| « La moitié d’un ami, c’est la moitié d’un traître. »
Caerlyn, ils n’y arrivèrent pas en conquérant. Ils n’y arrivèrent pas en libérateurs. Ils y arrivèrent tout court. Le soleil était froid. Il était midi et il faisait beau, mais l’hiver collait toujours à la peau de la file de chevaux, d’hommes et de bannière qui se dirigeait mollement jusqu’à la bourgade. Celle-ci avait retiré les gonfanons de leur maître depuis que son ignominie avait été jetée au grand jour et que sa cabbale s’était retournée contre lui. Cet hiver aurait pu – et dû – être une saison sans rebondissement. Les dieux eux-mêmes semblaient avoir jeté cette ère glaciale sur les hommes pour les assagir et les garder chez eux. L’inverse se produisit. Pendant deux mois d’anxiétés et de rebondissements, la situation du marquisat d’Odélian avait été bringuebalée d’un extrême à un autre. Les troubles se conclurent comme ils avaient commencé : sur un grand n’importe quoi du seigneur de Caerlyn. Celui qui avait été le successeur désigné de la baronnie d’Etherna avait ensuite été l’instigateur d’une immense conspiration visant à courber l’échine devant Sainte-Berthilde au lieu d’Odélian. Il finira cette merveilleuse frasque en piégeant dans un guet-apens son plus illustre soutien, Guillaume de Clairssac, pour accuser Gaston Berdevin de l’assassinat. Malheureusement pour lui, Guillaume survécut et dénonça cette perfidie. Sa femme, Maélyne d’Outremont, n’eut pas sa chance.
La rébellion s’était arrêtée d’un coup. Ses partisans revinrent sous le toit du marquis pour demander son pardon. Ils mettaient à ses pieds les places, les complices et la personne du seigneur de Caerlyn, pour rendre plus ragoûtante leur doléance. Le risque était immense, mais quel autre choix avaient-ils après l’abandon de leur ex futur suzerain en puissance le régent de Sainte-Berthilde et les bassesses de leur chef le seigneur de Caerlyn ? Ils furent accueillis par Odélian. On leur ordonna de rester à la disposition de leur seigneur. Ils obtempérèrent.
L’assignation à résidence dura jusqu’à la fin de l’hiver ; elle dura terriblement longtemps. Peut-être le marquis d’Odélian désirait-il bien faire comprendre à tout ce beau monde qu’il tenait leur couille dans un étau, peut-être hésitait-il sur le jugement qu’il devait rendre sur tout cet hiver bizarre. Une grande partie de l’aristocratie éthernienne avait trahi et porté les armes contre lui, mais cette même bande désormais livraient leur corps et leur ancien chef à sa merci. Cet acte de contrition était aussi périlleux que touchant. Aussi con qu’émouvant. Cependant, n’importe les causes de leur attente, les pénitents devaient endurer ce purgatoire comme ils pouvaient.
Le printemps vint, pour la joie des plus impatients et le malheur des plus pessimistes. Faute de confiance, parjure oblige, le marquis avait lancé des essaims de hérauts et de chevaliers pour mettre sous leur garde les châteaux des anciens rebelles pour éprouver leur bonne foi. Il ne se sentait pas de tomber dans un nouveau traquenard. Ceci fait, il partit avec toute sa cour investir Caerlyn, afin de rendre ses verdicts et de prendre ses décisions pour le printemps et la campagne qui venait.
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| | | Gaston Berdevin
Humain
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| Sujet: Re: Penser printemps Mar 28 Nov 2017 - 0:05 | |
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Et malgré les armées qui s’amoncelaient dans les royaumes, malgré l’anxiété des pénitents qui enflait, malgré les nouvelles alarmantes du sud qui annonçaient la disparition du chancelier Roderik de Wenden et des mouvements de troupes dans le sud, le printemps semblait timidement marcher jusqu’à eux. Le soleil encore froid reprenait à chaque aube ce qui lui était dû ; ses rayons s’étendaient, ils venaient lécher les neiges d’un hiver qu’on aurait cru sans fin. Les fleuves de la marche sortaient de leur langueur comme les torrents fissuraient leur linceul glacé. Des gerbes d’une herbe rase, çà et là, portaient les marques des blizzards et des grêles ; elles accusaient le coup, rapetissées par le gel, mais relevaient la tête.
Les coulées rejoignaient le lit des rivières débordantes et furieuses. Les unes ébrouaient la boue des alluvions, les autres étincelaient de mille éclats. La lourde chape d’un gris souillé montrait les premiers signes de son délitement ; elle cédait lentement sa place à la nature vive. Et cela, malgré les armées, malgré l’angoisse, malgré le sud, se sentait.
Les rebelles n’avaient pas feint leur reddition. Beaucoup des fidèles avaient soupçonné une nouvelle fourberie. Mais les châteaux, un à un, s’ouvraient sans malice ; ils rendaient les armes, aussi fatigués que les loyalistes par cette guerre sans le nom, sans les mort et sans grand sens. Or cette bonne foi appuyée sur autant de gages, cette tranquillité qui recouvrait peu à peu le pays, donnait de nouveau l’impression à Gaston d’être plongé dans quelque chose d’absurde. Ces hommes qui l’avaient trahi de la pire des façons avaient demandé son pardon et sa réconciliation. Les interrogatoires, les débats, les témoignages de chacun s’étaient recoupés pendant de longues ennéades. On avait fait un inventaire exhaustif, douloureux, du manquement de chacun. Très peu parmi les séditieux lui avaient fait le plaisir de nier sottement. Ils confessaient, parfois gauchement, parfois grognant, mais ils confessaient.
Or que faire aux hommes qui attisèrent les flammes de la guerre civile avec la même ardeur qu’ils réclamèrent la paix ? Ceux-là qui méritaient mort et ignominie faisaient désormais appel à sa pitié, se livrant sans retenue. Ils le mettaient face à un dilemme impossible, parfaitement kafkaïen. Alors… Alors Gaston avait temporisé. Entre les sessions de justice, il y eut les sessions de gouvernement. Il s’enquérait de l’état de chaque fief, des chasses aux brigands, mais bientôt ceux qui n’étaient pas morts ou enrôlés, face aux forces retrouvées des pays de la marche, seraient repoussés dans les forêts, leurs domaines naturels. Il fallait trancher, alors.
Tous les témoins avaient été entendus, tous les complices confrontés, l’écheveau chaotique de cette conspiration s’était peu à peu délié. Restait à Gaston de rendre son jugement. Mais avant qu’il pût le faire, il reçut une annonce du marquis de Serramire. Celui-ci, en route vers le sud pour faire rendre gorge aux traîtres à la couronne, demandait passage sur ses terres pour ses armées et lui-même. Jamais le marquis ne fut aussi aise d’apprendre la venue d’une oste serramiroise dans ses contrées. Les corbins se firent offrir un sauf conduit et à leur chef une invitation à la table de Gaston.
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| | | Aymeric de Brochant
Humain
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| Sujet: Re: Penser printemps Ven 1 Déc 2017 - 12:35 | |
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Conquérir le Médian avec près de mille hommes, voila qui n'était guère vraisemblable. Pourtant, c'était ainsi, à la fraiche, que s'en était allé le marquis de ses pénates. Non qu'il eut espéré emporter l'Avosne avec sa coterie de bousiers ; il prévoyait seulement de gravir cette montagne pas à pas. Or voila que l'homme entrait en Etherna : ce serait son marchepieds.
Depuis la rébellion, le marquis avait en effet fait de son voisin et ancien rival, sinon un ami, du moins un débiteur. Gaston avait accepté la main tendue de Serramire quand toutes les autres lui présentaient le glaive ; il avait par la suite triomphé de ses séditieux à l'Ouest. Adonc, Aymeric jugea bon de venir lui rappeler le bon souvenir des engagements passés en échange de l'aide serramiroise durant l'hiver. Etherna, il n'y entra pas sur la pointe des pieds ; il s'y invita proprement.
Envoyant ses hérauts alors même que son oste, à travers la forêt d'Hedda, passait la frontière, le marquis usa à foison de son rang de sénéchal : ce n'étaient point là les armes de Serramire qui entraient chez leur voisin, mais celles au service du Roy. Adonc, quand il se vit accorder un sauf conduit jusqu'aux frontière olysséennes, Aymeric eut un sourire narquois, lui qui avait d'ors et déjà passé Romeno.
L'accueil du Berdevin devait cependant lui faire passer ce sourire. Malgré la défection de ses contempteurs, la reddition générale s'étant suivie, le marquis d'Odelian se trouvait encore aux prises avec ses séditieux d'Etherna. Il avait récupéré leurs places fortes, mais les hommes, eux, demeuraient encore suspendus à la justice du vainqueur. Cette justice, Gaston s’apprêtait à la rendre, quand Aymeric l'eut attendu prêt à partir en guerre.
La guerre, cependant, ne manquerait de venir ; c'est ce que conçut le marquis lorsque convié à Caernyl, il s'entretint avec son voisin. Les désirs de Gaston s'entre déchiraient entre la potence et le billot, et l'homme semblait avoir conservé une rancune tenace. Pouvait on lui en vouloir ? Voila dix ans que la mauvaise race éthernienne lui chiait dans les bottes, à lui et feu ses frères. Les étêter bellement n'était pas la pensée la plus saugrenue ; elle manquait seulement d'à propos.
En sus d'être la moitié d'un ami, Aymeric était aussi la moitié d'un opportuniste. Il avisait cette coterie au sang bleu, dont les familles chercheraient à venger la mort pendant dix ans encore, tant il est vrai que leurs rébellions multiples avaient enseigné au monde la nature rétive des étherniens. Cette même nature, le marquis pouvait la mettre à plus grande contribution que la seule richesse des bourreaux.
« Adonc, offrez céans à ces hommes le choix suivant, proposa-t-il en privé à son voisin Gaston, qu'ils me suivent et me servent pour restaurer la paix du Roy en l'échange de leur vie. Faisons usage du mal contre le mal, envoyez ces traîtres affronter les rebelles du Médian sous mes ordres. Que dites vous de cela ? »
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| | | Gaston Berdevin
Humain
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| Sujet: Re: Penser printemps Ven 1 Déc 2017 - 13:55 | |
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Brochant entrait sur les terres odélianes. L’homme était son voisin, mais Gaston aurait été bien en peine de se rappeler la dernière fois qu’il eut mis ses panards dans les domaines Berdevin. Son ombre, pourtant, s’était frayé depuis longtemps un chemin sur leurs routes. Elle n’avait cessé de croître depuis sa sortie du cachot. Serramire avait eu le bon goût d’être un moribond alléchant pour ses voisins. La couronne avait tenté d’assouvir ses pays, Etherna s’était jeté sur sa capitale, même Odélian avait eu l’idée stupide de mettre sous son joug une Oesgardie insensée. Et à présent, Brochant entrait sur ses terres. Il paraissait tout petit, comparé à son ombre. Il avait, malgré des années de campagnes qui avaient rudoyé ses traits, malgré ses étoffes et son équipage tout guerriers, toujours ce quelque chose d’un parfait honnête homme. De seigneur courtois. D’eau endormie. Le bonhomme était amical, s’aperçut Gaston une fois en tête à tête. Mais le Berdevin voyait surtout l’ombre qui suivait l’être humain. Il était comme la moitié d’un ami. Et son ami venait avec une proposition pour résoudre ses soucis. Il fallait utiliser ces traîtres contre d’autres traîtres. C’était aussi simple que ça. Il retrouvait là les manœuvres coutumières au Corbin, il en avait déjà usé contre les Etherniens. Alors qu’ils s’apprêtaient à se jeter sur lui, il les guida sus à ses propres ennemis. Et depuis ce n’était plus les Bastylle qui gouvernaient le nord mais bien les Brochant. Mais cette fois-ci, la situation était autre. Il ne s’agissait pas d’envahisseurs qu’il fallait séduire, mais de félons qu’il fallait punir. Certes, la différence entre les deux concepts pouvait passer pour purement théoriques. Et pourtant le sang nordique du grand blond n’arrivait à l’abandonner. Et plus pragmatiquement, l’idée de mettre au service du marquis de Serramire les quelques deux cents seigneurs et chevaliers fieffés étherniens qui l’avaient trahi lui paraissait suicidaire. Le Corbin avait beau avoir soutenu les Berdevin contre cette sale race, il était désormais le sénéchal du royaume. Roderik, le chancelier du royaume, avait vite pris les habitudes de la cour royale : il avait fui. Le régent Cléophas, disaient les rumeurs et les ambassadeurs, ne tarda à foutre le camp une fois son champion disparu. La légitimité effilochée de la régence ne reposait plus que sur une seule personne, le sénéchal de Brochant. Or quand Etherna et la couronne fricotaient, les résultats n’avaient jamais été très bons pour Odélian. Et quand elle fricotait avec Serramire, c’était encore pire… Non, Gaston serait ravi de se débarrasser sur son voisin de ces encombrants seigneurs, mais pas comme ça. « Doux seigneur, minauda Gaston en plissant le regard, que ces hommes fassent pénitence pour racheter leurs crimes, cela est bel et bon, mais je craindrais trop qu’un d’entre eux ne trame un mauvais coup. Et vous avez pour vous, des hommes sans reproche. De plus, je ne pourrais demander à mes ostes de combattre avec des gars dont ils se défient déjà. La sérénité dans nos rangs, et l’estime respective entre allés, sont des facteurs trop importants. » Il trouvait surtout cette punition vraiment trop négligeable. Ceux qui reviendraient des terres du roi s’offriraient une pluie de gloire. Les plus chanceux auront amassés butin et rançon. Ils redeviendront un problème aussi sec. Or la troisième rébellion des Etherniens devait être la dernière. « Mais la paix du Roy ne souffre pas uniquement de ses ennemis intérieurs, seigneur. Il y a bien d’autres maux que les ogres du Médian et du sud. Les elfes d’Elda, les hommes des Wandres, les serviteurs du Karam’Stra et de je ne sais quelle divinité nécromante, toutes ces engeances sont bel et bien réelles. Qui sait quand ils frapperont à nouveau ?... Des tribus entières d’hommes des bois ont surgi d’Aduram cet hiver même sur mes terres ! Comment dire sans douter ce qu’ont en tête les rois d’Anaëh et les pillards du Landnostre ? La justice m’ordonne de tuer tous ces parjures pour laver le sacrilège des serments qu’ils brisèrent en me désavouant, en prenant les armes contre moi ! Mais Néera enseigne la tempérance, et l’état de la Péninsule nécessite qu’on l’assiste dans sa survie. Aussi voilà mon idée : ceux qui battront leur coulpe et avoueront leur parjure et leur félonie, ceux qui demanderont mon pardon et la rémission de leur crime, je leur laisserai ce Choix. Leurs vassaux, fabulus et clients seront déliés des serments qu’ils leur devaient, leurs biens seront confisqués et placés sous ma garde. Il leur sera interdit de fouler mes domaines sans mon autorisation explicite. Ils feront vœu de pauvreté, de bravoure et d’obéissance aux commandeurs que vous choisirez et auront pour quête rédemptrice de protéger vos marches de toute menace : monstres, sorciers, barbares ou elfes, qu’importe ! Ils accompliront ce devoir pendant cinq ans, une année pour chacun des Cinq divins. Passés ces cinq années, et s’ils n’ont pas failli à leurs vœux, je leur donnerai mon pardon et les accorderai de nouveau leurs titres, leurs honneurs et leurs droits. »
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| | | Aymeric de Brochant
Humain
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| Sujet: Re: Penser printemps Ven 1 Déc 2017 - 14:50 | |
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Son sourire revint bien vite au marquis. Il s'était figuré forcer la main à son voisin et à sa justice, voila que le premier oubliait la seconde pour mieux négocier avec son voisin du Nord. À celui qui s'était invité en armes à la table de son hôte, on demandait maintenant des faveurs ; vous le pensez bien, Aymeric accepta l'offre de son commensal.
« Je prie la DameDieu que leur nouveau pays, en sus du repentir, fasse oublier à ces hommes leurs mauvaises manières », avait-il lâché laconiquement. Peut-être il y avait-il du vrai là dedans : Jérôme n'avait-il pas mené une vie douce et casanière dès lors qu'il avait quitté Etherna ? Les seigneurs originaires de cette lande ne s'étaient ils inféodés docilement, une fois en Oesgardie ? « La terre elle-même, peut-être y poussait les hommes à la mauvaiseté », se plut à imaginer secrètement le marquis, qui gagnait de fait deux cent hommes d'armes pour la défense de ses marches. Qui sait ? Bientôt tout Etherna se retrouverait dans la marche serramiroise : le rêve de Clairssac serait accompli, mais pas de sa main, et au bénéfice d'un autre. L'ironie des Dieux n'a guère de limite.
« L'offre est juste, seigneur, aussi je l'accepte en ces termes et tâcherais durant ces cinq années à réapprendre à ces hommes le droit chemin et le sens de la vertu. » Il tâcha de se figurer combien après avoir bataillé si longtemps contre les sauvageons du Landnostre cette coterie éthernienne nourrirait de rancune envers leur Némésis. Si les circonstances avaient fait d'Aymeric et de Gaston des alliés, il n'oubliait cependant ses désirs de ramener Odelian dans le giron serramirois ; ce jour là, une horde de chevaliers aguerris et revanchards ne serait de trop.
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| | | Gaston Berdevin
Humain
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| Sujet: Re: Penser printemps Ven 1 Déc 2017 - 17:21 | |
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Les assurances du marquis ne parvinrent pas à lénifier son pair odélian. Tout juste put-il esquisser un sourire en forme de moue. La noblesse exsangue d’Oesgardie allait jouir d’une nouvelle grappe d’Etherniens. Grand bien leur fasse, le marquis manquait d’hommes d’épée par là-haut, et Gaston les trouvait terriblement encombrants ici-bas. Dans cinq ans, ils lui reviendraient changés, lavés de leur traîtrise et grandis par cette haute cause. Où ils reviendraient lui causer des soucis. Dans tous les cas, ce seraient des soucis pour dans cinq ans, et en attendant, mettre la pogne sur tous ces domaines, et leurs taxes, leurs banalités, leurs péages et leurs amendes étaient ce qu’il fallait à son Etat pour reprendre du poil de la bête. Ainsi la cour de justice de Caerlyn prit lieu, et Gaston déclara aux félons ce qu’il avait énoncé au marquis de Serramire. Il avait, après tout, promis son pardon pour ceux qui l’avaient désavoué en paroles seulement. Ils n’avaient écopé que d’un vague pèlerinage et le serment d’accomplir un haut fait de courage. Mais eux n’avaient eu que des mots. Alors c’était cinq ans, ou le billot. L’annonce surprit – d’aucuns, espérant qu’il accorde un Choix comme il l’avait fait précédemment, s’y attendaient, mais soufflèrent soulagés – mais personne ne s’attendait à ce que le marquis d’Odélian pleure et les prenne dans ses bras comme un grand père gâteau. Le choix fut donné à tout le monde, sauf quelques exceptions. Le fait est qu’aucun d’entre eux n’avait versé le sang d’hommes du Berdevin. Sauf Caerlyn. Enfin, pas exactement. Mais il avait fait assassiner ignoblement, à l’aide de ses âmes damnées, des proches de Guillaume de Clairssac et la femme de ce dernier, la dame de Lourmel. La mort de Maélyne avait scellé la carrière criminel du félon. Caerlyn et les siens, pour ce massacre, étaient impardonnable. Commise, dégradation et étêtement était le seul sort qui put leur être offert. Une autre de ces exceptions, l’exact inverse de Caerlyn, était celle de Guillaume de Clairssac. Ce dernier, d’après les auspices du Premier Barde, devait être libre de tous les choix. Il pourrait rejoindre la maison de son seigneur s’il le souhaitait, remplacer sa sœur pendant son absence et tant qu’elle n’aura pas juré foi et hommage à son nouveau suzerain, le seigneur de Romeno, partir libre ou rejoindre les autres dans leur quête rédemptrice. Peu refusèrent, cette alternative sauvait la face, bon gré mal gré. De plus, le fait de ne pas être décapité dans le déshonneur avait quelque chose d’attirant pour beaucoup des seigneurs. Leur départ se fit au compte-goutte. Un par un, les hommes du marquis accompagnaient les pénitents sur leurs domaines pour noter et sceller les biens, droits et deniers que chacun laissait à la garde du marquis, quitte à lui de rendre, dans cinq ans, ce qu’il avait confisqué. Et de départ en départ, de gentilhomme en château-fort, le marquis faisait valoir ses nouvelles prérogatives, acceptaient les hommages des fieffés, les serments de fidélités des serfs et des vilains, en tant que leur nouveau seigneur. Ses fidèles et ses parents, derrière lui, recevaient l’office des prévôtés, à charge d’être les agents zélés de leur patron, de faire valoir ses droits, de relayer ses ordres et de rendre sa justice. Et au-dessus d’eux, les baillis de Caerlyn, de Romeno et d’Ack avaient le devoir d’encadrer le nouvel ordre. A chaque nouvelle révolte enrayée des seigneurs locaux, le Berdevin resserrait son emprise. Il dégageait l’intermédiaire. Ses agents étaient stipendiés en fiefs d’argent, ils étaient révocables et acquis. Le temps était à la discipline, le temps était à la loyauté. Le temps était à l’ordre. Et l’ordre de marche était le suivant : le redressement de la marche était l’impératif principal. Les recettes de ces nouveaux fiefs ne seraient pas allouées au renforcement des ostes étherniennes mais au renflouement du Trésor. Il fallait endiguer la disette ; aussi, les stocks des domaines nouvellement acquis furent le sujet d’un examen scrupuleux, l’instauration d’un maximum sur la livre de farine était imposée sur tout le pays. Les nouvelles recettes fiscales devaient servir à l’achat de denrées alimentaires descendant d’Alonna et de Serramire. Et pour faciliter la négociation, la chaîne de l’Etau fut levée afin d’interdire la navigation jusqu’au port missédois d’Isgaard. De son côté, la Vinère, le fort contrôlant le pont de la Verrine, descendit sa herse rendant inaccessible le trajet jusqu’à la possession missédoise. Du côté des routes, le coût des péages des vicomtés d’Ack et de Caerlyn se démultiplièrent pour ce mois. Le message était clair : il fallait vendre ses denrées de bouche ici ou rebrousser chemin. Payer les droits de douane revenait à vendre à perte. Le reste du commerce gardait les mêmes règles, la stabilité étant à l’ordre du jour, sinon trois choses notables. Le pacte qu’avait manigancé et appliqué Duncan, un conseiller du baron Jérôme, qui offrait une exemption de toute taxe dans l’Etherna, fut cassé par le marquis. Mieux encore, on fit savoir dans tout le pays que les Langecins et les Missédois étaient astreints aux mêmes taxes que les autres mais qu’en plus ils seraient refoulés à la mer. Non contents d’être considérés comme les premiers spéculateurs qui, par leur achat effréné de vivres, provoquèrent la famine d’Etherna, ils étaient également déclarés ennemis du roi et ce tant qu’ils n’auraient pas rendu les terres qu’ils avaient dérobé et payé pour les sévices qu’ils avaient causé. Car en ces temps troublés, le marquisat cherchait à renforcer ses liens fraternels. On rappelait à la noblesse d’épée, qui ne connaît guère la faim, qu’entre leurs biens et une meute de vilains affamés, il n’y avait que le régime. Pour la populace, on ne jouait pas sur l’appartenance sociale, non, on actionnait des leviers tout aussi grégaires mais un peu différents. On s’en prenait aux boucs émissaires naturels. Les étrangers, ces suderons qui, pas plus tard que le mois dernier, pactisaient avec des sorciers, volaient leur or et leur boustifaille, qu’avaient-ils fait pour eux dernièrement, à part toutes ces choses affreuses ? Et les mistels, les sangs-mêlés, ces odieux mulâtres, n’étaient-ils pas de mèche avec ces cosmopolites hérétiques ? Tous ces gens étaient bientôt regardés d’un sale œil. Les rumeurs sans queue ni tête grondaient, sous le regard bienveillant du marquis. Après les premiers lynchages et pogroms contre des soi-disant sang-mêlés ou sorciers, les autorités réagirent. La cour nomma des inquisiteurs chargés de parcourir le pays à la recherche des déviants supposés. Sectateurs du Karam Stra, herboriste louche, généalogie défaillante étaient autant de chasses aux sorcières que l’Etat était heureux d’encadrer. Après tout, ne valait-il pas mieux que le pays s’amuse un peu avec les minorités plutôt que penser à leurs vrais problèmes ? Cerise sur le gâteau, on renommait le port de Seram en Havramblère. A la gloire, naturellement, de la bataille d’Amblère, contre les goules et les noirauds. Enfin, parce que je fatigue, les ambassadeurs odélians à Scylla annoncent la nouvelle politique commerciale défavorable à ses adversaires Langehack et Missède et offrent aux questeurs de ce comté de ranimer l’alliance commerciale et militaire qui avait été fondé par Aetius de Scylla et Grégoire d’Odélian.
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