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| La montée et la descente des eaux | |
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Aymeric de Brochant
Humain
Nombre de messages : 714 Âge : 33 Date d'inscription : 22/02/2014
Personnage :.: MANUSCRIT :.: Âge : 35 ans Taille : 6 pieds Niveau Magique : Non-Initié.
| Sujet: La montée et la descente des eaux Ven 1 Déc 2017 - 14:24 | |
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5ème jour de la 6ème énéade de Favrius, 10ème année du 11ème cycle.
Cela faisait plusieurs énéades que le marquis s'en était allé aux côtés de ses hommes pour mener la guerre dans les fiefs rebelles de l'Avosne. À l’effervescence de l'effort de guerre et du départ des troupes s'étaient succédé le silence puis le labeur. Des mois durant, on avait martelé que le printemps serait celui de la GUERRE ; c'était certes le cas, mais la GUERRE, elle, avait quitté la marche serramiroise. Adonc, les slogans bellicistes s'étaient faits tumultes dans le lointain, tandis qu'au pays, les semailles avaient pris le relais.
En effet, il n'importait guère à la populace qu'un quelconque seigneur du Médian reçoit sa juste punition, ou qu'un chérubin lotis dans une tour mervaloise puisse regagner son landau à Diantra. En revanche,la bouffe, voila ce qui préoccupait la gueusaille.
Ces aspirations misérables, Arnaud les comprenait ; il ne les partageait certes pas, lui qui aurait toujours bonne chère à sa table, mais il les comprenait - c'était déjà ça. Sur ordre de son père, il lui avait ainsi incombé de veiller au bien-être de la gueusaille. Lui qui avait durant deux années écumé les routes aux côtés de son géniteur et de ses capitaines pour apprendre l'art de la guerre troqua ainsi la compagnie des hommes d'armes pour celle des clercs et des marchands.
C'était, une fois de plus, séance de doléance sous les hautes voûtes de Castel-Tolbioc. Depuis le début du mois, la gueusaille se pressait au portes du château pour quémander la levée des corvées, prétextant l'imminence des semailles. Le jeune Arnaud, sur conseille de ses clercs, avait en effet commandé le creusement de tranchées aux abords des fleuves. La crue de l'Elbre et des autres rivières, rengorgées par la fonte des quantités improbables de neige tombée cet hiver, avait fait de la lande serramiroise un équivalent du boueux terreau arétan, et il n'y avait d'autre remède à ce mal que de trainer les champs à l'aide de grandes saignées. Naturellement, la populace y était rétive : elle entrevoyait d'ors et déjà les sillons à creuser pour ensemencer la terre, alors quelques uns de plus ? On se méfiait des étrangetés nées du cerveau juvénile d'Arnaud.
Cependant, les eaux montaient, et bientôt ceux qui avaient douté de ces saines précautions s'employèrent à ouvrir dans leurs prés d'importants drains. Le péril écarté, la roture put sereinement s’atteler aux semailles, c'est pourquoi le jeune seigneur avait été surpris qu'on vienne à nouveau demander audience, lui qui pensait en avoir terminé avec le sujet.
Les eaux étaient montées, et avec elle le prix du pain ; dans la bonneville de Serramire, les bourgeois s'écharpaient entre eux. D'aucuns s'étaient empressé à l'automne d'écouler leurs stocks dans le Sud, en prévision de l'hiver, et en avaient tiré un coquet bénéfice. C'était pourtant dérisoire comparé aux mauvaiseté qui se déroulaient en ce moment. La pénurie se saisissant du fief, la bourgeoisie spécula ; bientôt, c'est l'émeute qui naquit dans les halles de la cités.
Le grain que les vilains avaient vendu à l'automne leur coutait aujourd'hui le double, le triple ; après quelques rapt de farine, le guet embarqua toute une harde pour les mener au devant du nouveau seigneur. Redoutant la jacquerie, Arnaud décréta du plafonnement du prix du pain, au grand dam des marchands. La mesure prendrait fin aux premières récoltes ; en outre, il interdit la vente en dehors des frontières du duché. Point n'était question de disperser les dernières réserves au plus offrant (et donc aux suderons), quand le Nord souffrait de la disette.
Il fut accordé également aux villages de Serramire le droit de chasse temporaire dans le bois aux loup, à raison d'un veneur pour vingt foyers. Tel un démiurge, Arnaud s'affala dans sa cathèdre. Son père lui avait promis une épreuve semblable à la guerre dans le ménagement de la populace ; il ne s'était guère trompé. Les Cinq soient loués, le jeune homme en avait terminé.
Le surlendemain, il apprendrait la nouvelle de premières maraudes sigoles, ainsi que l'ordre de rassembler le reste de l'ost. L'effroi se saisissant de lui, il se retourna vers ses aides : le père Bréguet et le capitaine Vanhardt. Otto mènerait ainsi à la frontière septentrionale les chevaliers pénitents venus d'Etherna, pour qu'ils renforcent la garde frontalière. Quant à Ignace Bréguet, il s'employa à consigner les missives ordonnant la formation de l'Ost ; à eux deux, les familiers apprirent ainsi une leçon élémentaire au jeune Brochant : déléguer.
C'est d'un œil apaisé qu'Arnaud vit ainsi reparaître le chapelain de son père : assurément, le vénérable allait lui annoncer que les préparatifs se trouvaient être en ordre, et qu'il pouvait se tranquilliser. « Votre mère, seigneur, elle est... »
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| | | Aymeric de Brochant
Humain
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| Sujet: Re: La montée et la descente des eaux Mar 20 Fév 2018 - 11:09 | |
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4ème jour de la 4ème énéade de Barkios, 10ème année du 11ème cycle.
Une bruine printanière arrosait l'assemblée toute vêtue de noir. Arnaud frissonna. Était-ce la pluie, ou bien les autres circonstances, qu'étaient à l'origine de ces tressautements ? Il n'avait cure de le savoir : le jeune seigneur s'était d'ors et déjà intimé de ne pas trembler aux obsèques de sa mère. Adonc, c'était de la pluie qu'il tremblait ; des goûtes d'eau, non des larmes, qui mouillaient ses joues. C'était plus commode.
C'était non sans ironique qu'il accueillait, reconnaissant, ce crachin masquant son chagrin. Avisant sa fratrie coude à coude, transis de pleurs, Arnaud se figurait d'ors et déjà comment les trouvères conteraient les funérailles, comment, si n'avait été cette putain de flotte, la maison de Brochant aurait trôné droite et fière face à la mort. Quelle absurdité! Lui-même devrait être le seul à se soucier des apparences en ce moment, à en juger par les gros sanglots de Tiphaine, Aimon et Margot, ses plus jeunes frères et sœurs.
Celui qui ravalait à grand peine son chagrin, mordant dans ses joues lorsqu'un hoquet menaçait de poindre, s'agaçait de la faiblesse des siens. Seul son cadet, à sa droite, tâchait de faire un peu semblant - Arnaud le surprenait cependant à renifler régulièrement. En cet instant, un fossé abyssal s'était creusé entre Aristride et lui-même, quoiqu'il n'eut que deux ans de plus que lui. La mort de leur mère les réduisait à leur condition enfantine, tandis qu'elle l'élevait, lui, à celle d'un homme, se plut à penser Arnaud, toujours convaincu que les ruisseaux sur ses joues procédaient de la pluie.
Le grand-prêtre Manfred acheva l'oraison funèbre, et petit à petit, l'assemblée se retira. Vidé de ses invités, l'endroit reprit peu à peu le charme qui avait présidé à son élection. C'est ici que l'on enterrerait la maison de Brochant, avait décidé Arnaud. La seule pensée d'aller rejoindre les gisants poussiéreux dans la crypte des vieux ducs l’écœurait, lui qui avait grandi au beau milieu de la guerre civile. Pas question non plus d'aller dans le mausolée du palais séraphin - l'hydre, du reste, eût fait peur à Aimon. Fort heureusement, les précédents marquis, "les intérimaires" comme se plaisait-on à les nommer en pensant que la maison de Brochant, elle, durerait moult générations, avaient eu la décence d'épargner au Château Noir une signature de leur court passage.
La décrue fut, paradoxalement, assez rapide. Le seules maisons des vassaux, des barons, des Trente, tout cela aurait pu aisément remplir trois fois le grand hall de Castel-Tolbioc. Alors la petite cour du belvédère ? Fort heureusement, il y avait la guerre. Elle avait aspiré hors du pays une grande partie de son sang bleu et des familiers du marquis, ce qui donnait aux obsèques de dame Mahaut l'envergure de celles qu'on eut attendu pour un petit vavasseur. Là encore, c'était commode. C'était la guerre, épargner les caisses demeurait bienvenu.
C'était d'autant plus vrai que l'énéade précédente, Arnaud avait assisté au départ des hommes pour le Médian. Ces renforts, il aurait du les envoyer auprès de son père le plus tôt possible. Las, le jeune seigneur avait espéré un temps que la mort de sa mère ramènerait au pays Aymeric, parti batailler au nom du Roy plus au Sud. Ses espoirs avaient été cruellement douchés, et peut-être que le délai s'associait à de la rancune. Les funérailles avaient précipité le départ des hommes ; on redoutait qu'elles n'affectaient leur moral, mais surtout, que la cour ne soit trop petite.
Avec le départ des renforts, la cour avait été amputée de son meilleur capitaine, Otto Vanhardt, restreignant le nombre des proches familiers à peau de chagrin. Non loin se tenait encore le vieux Bréguet ; à sa vue, l'amertume ne manqua de monter aux lèvres d'Arnaud. Il maudit un peu plus son propre père de l'avoir laissé avec les enfants et les vieillards.
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| | | Aymeric de Brochant
Humain
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| Sujet: Re: La montée et la descente des eaux Lun 5 Mar 2018 - 8:52 | |
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Le reste du mois...
Le départ des troupes laissa Arnaud esseulé au sein de Castel-Tolbioc, ses derniers espoirs de rejoindre la guerre s'en allant avec Otto. Dans l'antique forteresse serramiroise ne restaient plus que le vieil Ignace Bréguet, lequel, s'il était érudit, n'était pas toujours associé aux affaires courantes du marquisat. Le jeune seigneur, cependant, à l'image de la rancœur qu'il nourrissait pour son propre père, s'abîma dans le travail avec une ardeur revancharde, ne laissant guère de répit au vénérable chapelain.
Ce dernier, fort heureusement, put bientôt compter sur le soutien du scylléen Adèlphe, l'argentier de serramire, qui s'en revint d'une nouvelle expédition en Estrévent. L'homme, renouant avec son héritage suderon, avait troqué depuis la fonte des glaces ses registres de fermage pour ceux de transaction. Après l'hiver rigoureux, et avec la fin des guerres dans le Nord, celui-ci se retrouvait enfin expurgé de ses maux. Le banditisme y avait été éradiqué tant par les hommes que par le froid, et grâce aux accords passés entre Serramire et ses marches, le commerce fleurissait à nouveau.
Ce dernier ne se restreignait d'ailleurs au Nord. Si les expéditions menées à l'automne passé avaient subi quelques déconvenues en Nanie, elles avaient grandement rapporté dans le lointain Estrévent. Adonc, forts de leurs succès, les hommes s'étaient à nouveau embarqué sur l'Olyia dès la débâcle consommée. Parti chargeant de grands arbres pour la compagnie Savarius, Adèlphe en était revenu les bras pleins de grain et de farine, destiné à l'Oësgardie. Là bas, c'était le vieux Roland qui s'assurerait de sa bonne distribution, pour permettre aux vilains d’entamer les semailles, et aux artisans de travailler le ventre plein.
En conséquence, lorsqu'il était revenu en Serramire, le scylléen avait ramené avec lui les nouveaux produits sortis des fourneaux oesgardiens. Il ne s'agissait là d'épées ou de plastrons, mais bel et bien de charrues, les meilleures qui soient, que l'on s'employa à répandre dans les campagnes serramiroises. C'est qu'avec la descente des eaux du mois passé, les semailles avaient été délayées. Cependant, tandis que le pays tournais définitivement le dos à l'hiver, il accueillait une nouvelle saison aussi clémente que la précédente n'avait été exigeante.
De tout ceci (les semailles, les charrues, le commerce avec les marches et le lointain Estrévent), Arnaud n'en avait autrefois conçu qu'un intérêt bien vague. C'était cependant un jeune homme discipliné et consciencieux, si bien qu'à la veille de l'été, il s'était découvert un goût pour les comptes bien tenus, les registres en ordre - et accessoirement, les impôts proportionnellement bien perçus.
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