La Grande Quête : Bludgald, Vendetta naine en Alonna

Une aube rougeâtre c'était levé sur la plaine Alonnaise. Le disque flamboyant du Zharrat s'élevait paresseusement à l'horizon, rependant ses rayons sur une mer de nuages vaporeux qui donnaient au cieux un teint de feux. Spectacle éphémère, majestueux et redondant que la troupe de nains en maraude pouvait ainsi apprécier jours après jours depuis plus d'un mois maintenant.
Les jours c'étaient allongés mais traînait toujours dans leur sillages les relents glacés d'un hiver qui n'en finissait pas. Une épreuve loin d'être insurmontable pour ceux qui venaient du Grand-Nord, même si il n'en restait pas moins peu agréable de dormir à la belle, aglutiné autour d'une pâle flammèche juste bonne éviter engelures et prédateurs trop curieux.

Dans le campement de fortune, le silence n'était troublé que par les différentes tonalités de ronflements naniens, chacun y allant de sa note personnel. Plus ou moins grave, plus ou moins sifflante, plus ou moins longue et traînante. Si bien qu'à force d'habitude, Thorgrel aurait put citer chacun de ses compagnons à l'esgourde.

Depuis des lunes maintenant, il jouait le rôle de sentinelle, gardant son quart toute la nocte durant, car le Wyrmdrengi ne trouvait plus sommeil réparateur. Son repos constamment troublé par plétores de sombres songes le laissant ruisselant de sueur au petit matin était devenu une épreuve qu'il préférait aujourd'hui plutôt fuir qu'affronter avec vaillance.
Des rêves chimériques l'assaillaient avec une violence palpable. Chaque fois qu'il fermait de la mire, son esprit s'en retrouvait à affronter les jours fous qui avaient précédé la chute du Zagazorn. Tantôt se retrouvait t'il dans la peau d'un de ses frères devenus fou sous l'ire dévastatrice du Père-Créateur, tantôt revivait t'il en boucle la mort non feinte de sa mère et la disparition de ses proches, tantôt encore jouait t'il le rôle même du torrent de lave qui emporta avec lui des milliers d'âmes. Et au paroxysme de cette onirique folie, indubitablement, le nain se retrouvait en face de sa Némésis : le Dragon Noir. Ce dernier, sans mots, lui promettait une éternité de souffrance avant de l'avaler dans son énorme claquoir. Une image qui restait imprimer avec force dans sa rétine et cela bien après son réveil.

Cela avait pour sûr, grave conséquence sur son moral. Aussi irritable que la roche ponce qui blesse le mineur de fond, Thorgrel lentement c'était refermé sur lui même depuis le jour ou tous ensembles, ils avaient quitté l'Oësgarde.
Leur voyage n'avait pas était de tout repos dans cette région en proie à des troubles propres au jeune peuple des hommes. Les nains durent affronter à maintes reprises canailles et brigands. Un puissant blizzard les ralentis tant qu'ils durent s'installer plus d'une ennéade dans un affleurement rocheux assez grand pour les contenir tous. Durant ces jours, Skanuk et Darez durent mettre à l'oeuvre tout leurs talents de trappeur pour dénicher à peine de quoi combler les estomacs.

La région qu'ils traversaient aujourd'hui, était bien plus clémente. Le vignoble s'étendait à perte de vue. Des cèpes vigoureux pointaient en direction du ciel, on avait depuis bien longtemps travaillé le bois et les viticulteurs locaux c'étaient pour la plus pars déjà occupé d'arquer les sarments à l'aide du jonc. Peu habitué à ce type de culture, Thorgrel était resté un long moment à admirer la forme courbés des bois qui offraient ainsi une pleine exposition de leurs bourgeons au soleil. Dans quelques temps, les vertes tiges feraient leurs apparitions et on récolterait le fruit aux premiers jours de l'automne.
Mais le vin était une boisson d'homme, pas de nain. Ses arômes sucrés et son goût rond en bouche avait toujours provoqué chez lui un puissant sentiment d’écœurement. Rien ne valait la bière naine en se monde, absolument rien.  

Ensemble, les nains marchaient depuis trois heures maintenant, ils n'avaient encore rien avaler et on pouvait entendre les gargouillis gutturale des ventres s'élever. Nobrum, cadet de cette expédition et fils du redoutable Bolgrim fût le premier à s'exprimer à ce sujet.

« Rien à becqueter, pas même un couinar dans les collets depuis deux jours. On va finir par gueuleter ces maudites vignes si ça continue.»
« Ferme ton gueuloir, tu jactes comme un chiar hums, tes anciens doivent s'en retourner dans leurs tombes.» lui répondit sans ménagement Nuzzour Armevent.
« Peut être, mais eux ils s'enfournent du cuissot de gronar toute la journée durant dans les Halls et à ce rythme, on va tous les rejoindre pour participer à la liesse.» lui rétorqua le Fier-Marteau, impétueux.
Nuzzour s’apprêtait déjà à lancer une cinglante réponse quand Thorgrel pointa un doigt direction l'aval. Une masure de pierre trônait fièrement dans le val. Elle possédait une enceinte de pierre, à peine plus qu'un gros muret, mais on pouvait sans l'ombre d'un doute y voir les signes d'une certaine richesse paysanne. Des charrettes de bonnes fractures, une écurie impressionnante et une étable venait compléter le tableau. Déjà les aboiements des chiens s'élevaient dans l'air.
« Allons voir. » grommela Torse-Gris en se tournant vers Thorgrel.
« Oui, allons voir ! Ca renifle d'ici la bonne mangeaille ! » s'excita le jeune à l'estomac vide.
« Mh...» acquis le Wyrmdrengi.
Et les nains se remirent en marche, prêt à se sustenter.

C'était la bien belle bâtisse en effet.
Les nains à mesure qu'ils avançaient purent juger de la qualité de l'ouvrage, d'un œil expert pour certains. La muraille de moellons s'étendant aux abords de la demeure était de solide conception, aucunes lézardes ne venaient en balafrer les joints de chaux et le lierre grimpant n'avait pas sa place sur les faces lisses des pierres de tailles. De leur point de vue descendant, les nains purent aussi apprécier l'édifice en lui même. Une maison paysanne comme ils en avaient peut croisé jusqu'ici. L'énorme porte de bois de chêne trônait,  sceller au centre de jambages et d'un linteau richement décoré. Des bas-reliefs sculpté finement,  représentant le travail des hommes et des femmes du coin et chichement agrémenté de symbole lié à leur profession : Une serpette et une scie entrecroisé se dessinant sur une grappe de raisin.

Malgré cet étalage manifeste de richesse, les nains détournèrent bien vite le regard, au fond peut impressionné par cet art éphémère et imparfait qu'était celui des hommes.
Car tous se souvenaient encore des milles boyaux de rubis étincelants, des salles d'émeraudes, de saphirs et de diamants,  qui tapissaient les fresques des Grands Halls de Kirgan.
Aucuns nains ne pouvaient les oublier.
Un souvenir si vivace et ponctué d'une telle beauté qu'il en devenait aujourd'hui semblable à une lame vous transperçant le palpitant sans relâche. Le travail de cycles et de cycles ou s'étaient succédé les plus talentueux des artisans du peuple des montagnes, aujourd'hui réduit à néant.
Le monde  ne connaîtrait jamais plus tel ouvrage.

Cet simple pensé arracha un grognement comteplatif à Thorgrel tandis que Nobrum frappait déjà à grand coup de paluche sur la porte du domaine viticole. Des coups puissants, qu'il répétait sans relâche, pour être manifestement sûr, que tout le monde les entendent.
Il y ajouta même de la voix.
« Ou-da ! Ou-da les Longuets ! Ou-da quelqu'un ?! »

Dans un premier temps, seuls les chiens lui répondirent et avec force. Il semblait aux nains, qu'une meute entière de pistards se trouvait maintenant entre eux et la cour qui s'étendait derrière la muraille. Les canidés grattaient le sol, jappaient, grognaient sans relâche. On pouvait même voir l'un ou l'autre museaux aventureux renifler sous l’entrebâillement de la porte.
Si la majorité des Faucheurs n'y prêtèrent même pas attention, ce ne fût pas le cas de la Bête. Torse-Gris se tenait non loin du Wyrmdrengi, figé comme tel le roc, son regard animé d'une braise peut banal, les muscles de son coup sailliant, un grognement rauque naissant dans la gose. Tout son être dégageait l'aura meurtrière qui avait fait sa réputation et le Thane Poing-de-Fer en connaissait la raison : Skanuk avait sainte horreur des meutes de braillard depuis le jour ou son jeune frère Abonok se retrouva au menu d'une bande de pistar assoiffée.
Le nain semblait vouloir réduir au silence le brouhaha ambiant par la seule force de sa pensée.
Et cela fonctionna, en apparence du moins.
Le frottement d'un loquet de bois mirent fin à l'hallali. Deux globes oculaires visqueux et injectés de veinules sanguines se dessinèrent derrière l'entrée.
« Père, père, qui c'est donc ?! Hein ? Qui c'est dit ? Donc dit qui c'est ?!»
« Ca puire le cuir ! Ca puire le gras ! »
« Père, père ! C'est d'chasseurs hein ? Dit donc, dit !»
« Vos clapes les marmots ou vous prendrez eul'jonc !»
Et les voix enfantines ce turent aussi rapidement que celle des chiens.
« C'est pour quoi ? » repris sur un ton grave leur interlocuteur.

Nobrum s'éclairçit le glissoir rapidement avant d'enchainer de son plus beau parlé des hommes.
«Ohla bon sile, nous sommes simples voyageuls, venus de loin et nos ventles clis famine. Seliez vous donc disposel à nous cédel quelque un de vos mets pour évitel à ma tloupe et moi même, de moullil panse vide.»
Silence.
« Qu'est que fout une bande de nains aussi loin d'chez eux ?»
« Des nains !»
« C'est des nains ! Père, des nains !»
« AAAAAH DES NAINS ! DES NAINS ! »
« Père, Père ! On a jamais vu d'nains !»
« Y sont laids qu'on dit ! »
« Y font caca de l'or qu'on dit ! »
« Y font des bébés avec des cailloux ! »
« VOS GUEULES LES MARMOTS ! »
Un claquement sec semblable à celui d'une badine retentit, et de nouveau, le silence.

« Vous avez d'quoi payer ? On chie pas des lingots nous » tonna la voix du patriarche.
« Poul sûl mon bon. » acquiesça Nobrum en tapotant une bourse qui cliqueta à sa ceinture.
Cela eut l'effet escompté, la porte se déverrouilla dans un bruit de fer sonore. L'homme qui se tenait devant eux n'avait pas était gâte par la nature, il mesurait presque un mètre de plus qu'eux et semblait avoir été engendré par un mulet. Dans son sillage, un attroupement d'une dizaine d'enfants d'âges différents aux yeux écarquillés qui semblaient avoir perdu tout leurs mots. L'un d'eux portait une marque rouge sur la joue.
« C'est tout droit. Pas d'grabuge hein ? Suivez moi les petits gens.»

D'instinct, Thorgrel n'aima pas cet homme. Il dégageait un puissant sentiment de perfidie mêlé à une brutalité sourde. Ce devait être un idiot ayant fait fortune grâce à un coup du sort ou possédant un haut lignage dans cette fange qu'était la paysannerie humaine. Le Wyrmdrengi attendit que chacun de ses compagnons s'engagent en direction de la maison, puis il cracha un énorme glaviot brunâtre, l’œil sombre et suivit le pas.

« Qu'a t'il dit ? Petit gens ? »
« Il semblerait bien. »
« Le fils de truie. »
« Ces humains, tous les mêmes. »
« Taisez vous donc, on aura bientôt la panse pleine ! »
« Ferme ta clape Nobr...»
S'exprimant rapidement et à voix basse dans leur langue natal, les nains n'avaient point prit le temps d'observer autour d'eux. Leur hôte du moment c'était retourné et semblait les fixer avec insistance, l'oeil torve et toujours injecté de sang.
« On dirait qu'il a comprit.»
« J'en doute. »
« Ce doit être son air habituel, un air idiot.»
« Bien plus probable.»

Le vigneron semblait nerveux, sa troupe de marmot complètement surexcité toujours dans son sillage, il passa une main dans son col pour en libérer la pression. Si ce dernier avait comprit les nains, il n'en montra aucuns signes, se contentant de lever les mains au niveau de sa bouche.
« Mahaut ! R'mmène ta grosse croupe ! On a d'invité ! »
Dans l'air ambiant régnait déjà les effluves du déjeuner, à l'odeur on y devinait celle du bouillon stagnant au dessus de l'âtre et de la viande qui lentement cuisait à la broche. La salle par laquelle était rentré Thorgrel et sa troupe possédait un très haut plafond et se retrouvait chichement décoré. Pas de luxe ostentatoire, mais un mobilier de bonne qualité, vaisselier, chaises et une énorme table rectangulaire, taillé dans un bois de chêne séculaire. Des fûts s'entassaient au fond, une demi douzaine d'un hectolitre et plusieurs tonnelets à leurs pieds. Certains meubles étaient couvert de poussière, signe que l'endroit n'était point utilisé quotidiennement.
Une porte sur la gauche s'ouvrit avec fracas, dévoilant les courbes peut ragoutante d'une ogresse au faciès encore plus repoussant que celui de son mari.
« Et quoi encore ?! Ta encore ramassé du traîne-misère hein ? On est pas au temple de la bonne Néera ic...Oh. Des nains.»
« Oui mère ! Des nains !»
« Mère, mère ! Pleins de nains !»
« Mère ! Regarde celui la, il est plus poilu que toi au visage ! »
« Mère mère des...»
« VOS GUEULES LES MARMOTS ! »
Sa voix grasse s'accordait parfaitement à son allure, néanmoins, la maitresse de maison se feignit d'une courbette de salut en direction des Faucheurs. Un hideux sourire lui déforma le visage, dévoilant une dentition jaunâtre et plusieurs dents manquantes. Elle avait pourtant l'air bien plus acceuillante que son époux.

« Maîtres nains. » reprit t'elle, mielleuse. « Bienvenue au domaine des Trois-Chais. Je suis Mahaut Bonckel et vous avez déjà rencontrer mon époux, Balan. C'est grand honneur que de vous avoir sous mon...notre toit ! »
Le dénommé Balan grogna un salut, appuyant à peine les propos de sa montueuse épouse qui s'empressa de lui taper dans la couenne en lui sifflant nerveusement.
« Incline toi un brin goret, il existe pas plus soiffard que ces barbus du Nord. Ils ont de l'or ?»
« Oui.»
Nouveau coup dans la couenne et Balan s'inclina cette fois ci, à contrecoeur. La culotte était sans conteste porté par la bougresse qui devait régenter cette entreprise d'une main de fer.
Nobrum, toujours guidé par son estomac, se chargea à son tour des présentations.

« Bien melci bonne dame. Nous applécions pouvoil plendle un peu de lepos. Je suis No...»
Thorgrel toussota bruyamment, coupant le cadet et lui faisant un signe de tête entendu. Peu de temps avant, il avait ordonné que chacun se targuent d'une identité différente pendant le temps ou ils se trouveraient en dehors du Zagazorn. Un anonymat relatif représenté selon lui un avantage dans des terres ou l'honneur avait peu cour.
«...Nothan, je suis Nothan. Voici Dathan, Skathan, Nuzthan, Blathan et Tholthan. Nous sommes malchand et souhaitelions nous lestaurel. Votle époux nous as coldialement invité à votle tablet.»
La couverture était on ne peut plus légère, des marchands nains se déplaçaient rarement à pied, bardés d'armes et vêtus d'autours crasseux. Mais ces gens n'avaient clairement pas rencontré moult nains dans leur vie, cela suffirait donc, de plus, ils semblaient bien plus intéressé par la clinquante que par l'origine de leurs invités.
« Ca fait beaucou d'than tout ça.» grommela Balan, toujours sombre.
« Poul sûl bon Balan nous...» commença Nobrum.
« Sommes flèles. » termina Thorgrel, fixant avec animosité le vigneron.
La tension c'était élevé dans l'air. Le Wyrmdrengi était agité de soubresauts, son poing s'étant machinalement refermé sur le manche de son hachoir. La Maîtresse de maison dut le perçoir et prit les devants afin d'étouffer toute dispute dans l’œuf.

« Parfait ! Veuillez prendre place, j'étais entrain de préparer un pot-en-viande et quelques jacassantes. Les enfants, installez la table ! Balan, va ceuillir une demi dizaine de poularde dans leur lits, l'eau boue toujours et j'aurais le temps de les déplumer afin que tout le monde mange à sa faim, en suite, met un tonneau de traminer en perçe ! »
« Un tonneau ?!»
« Tu m'as bien entendu ! Et que ça saute ! Nos invités doivent avoir la gorge sèche en plus de l'estomac vide ! »

Les nains sourirent pour la première fois, c'était bien vrai. Thorgrel lui relâcha la pression qu'une fois l'homme disparut, puis prit plaçe sans mots à une table bien trop grande pour lui.

Ce fût un repas plus que généreux auquel eurent droit les nains.
Leur hôte était aussi bonne gargotière que laide bavette parmi les hommes et bien heureusement pour eux ! Elle commença par un bouillon simple mais goutteux, de gros morceaux de carottes barbotaient avec navets, poireaux et céleris, le tout agrémenté de dés de viandes grasses et juteuses. Les langues s'étaient tus tant les panses quémandaient leurs dû. Le silence quasiment religieux qui s'installa ne fut troublé que par les bruits de sussions grossier des Faucheurs qui portaient bolinettes aux gosiers. Même les pisse-laits hums s'étaient calmés, tous autant qu'ils étaient, concentrés sur une tâche unique, précise et on ne peut plus facile. Quelque uns néanmoins se perdirent en contemplation indiscrète, lançant de courte œillade à la troupe de burinée barbus.
Puis arrivèrent les choses sérieuses.

Une dizaine de poularde autrefois pimpante se présentèrent quasiment en même temps et dans le plus simples des appareils : rôtis et légèrement arrosé de leurs propres jus.
L'odeur qui s'était répandu dans la salle vigneronne fut à tombé pour ceux qui n'avaient eut le droit qu'à du rat et du blaireau ces derniers jours, même le taciturne Skanuk se laissa porté par la liesse à l'idée de manger une viande tendre et juteuse. Trois saladiers remplis de rutabagas grillés complétèrent le tableau.
Mahaut fit un signe à Balan qui s'empressa  de remplir sa prime mission, percer le tonneau. Les nains purent alors goûter à la récolte de la dernière année, une cuvée nommé vieille vigne, issu d'un traminer rosé qu'on avait récolté tôt et maturé peu de temps afin d'en chasser le coté sucré. L'ogresse se lança dans un discourt précis et élogieux des biens-faits de sa production, mais cela n'impressionna pas Thorgrel pour un souverain.

A vrai dire, lui n'écoutait plus depuis longtemps, il avait à peine goûté aux mets qui défilèrent devant lui. Ayant du mal à stabiliser le flux de ses pensées, son esprit était entièrement tourné en direction leurs missions, sa mission. Les ennéades étaient passés à un rythme enflammé, les obstacles s'étaient dressés sur leurs routes comme une armée de poux sur le dos d'un bélier. Ainsi ils avaient accumulés un retard considérable et cela l'affectait grandement, lui qui s'imaginait déjà toucher les sables de l'Itrhi'Vaan en cette période, ce retrouvait à peine à quelques centaines de kilomètres de Lante. Loin d'être découragé pourtant, il tentait d'imaginer les différentes solutions à leurs portées afin d'accélérer le rythme. Mais la côte était encore loin et il ne possédait aucunes notions des allez et venus des bateaux qui parcouraient ces partis du monde.
Portant le godet à ses lèvres, il grimaça en humectant ses lèvres du liquide blanc-rosâtre sulfuré qui faisait la renommé des lieux. Ses compagnons furent moins avares que lui sur la dégustation, ils vidèrent d'une traite leurs verres et en réclamèrent bien d'autres tandis qu'ils mangeaient.
Balan sembla se détendre pour la première fois, impressionnés par la descente monstrueuses des nains. Tentant de suivre le rythme afin de ne perdre la face, l'ivresse pointa rapidement le bout de son nez et vint égailler la fin du repas.
Une fois les plats vidés, s'élevèrent cacophonie de rots qui firent s'esclaffer de rire petits et grands.
Puis commençèrent, les choses très sérieuses.

Le tonneau n'était pas encore vide, mais les nains durent atteindre leurs points de suffisance concernant le raisin. Chacun sortis une petite fiole, un objet on ne peut plus personnel qui contenait liqueur, bière de garde et autres concoctions propres aux clans et aux goûts de leurs possesseurs. Alors vinrent les rires devant les faciès ébahis du vigneron et de son épouse qui se demandaient bien ou les nains pouvaient encore stocker tout cet alcool.
« Qu'esst s'que c'esst donc qu'ça per Dame hein ? » baragouina Balan en tendant un doigt en direction de Nobrum.
« Cela bon Balan, c'est mon tlésol, on l'appel Grizdal en Zagazoln. Une bièle qui doit felmentel plêt d'un siècle. Celle la est plus vieille que moi ! Tient, goûte y donc. »
« Tu ne devlais pas Nobr...Nothan. C'est pas fait poul les hums, y ont pas l'habitude.» commenta Darez Brave-Tempête, moqueur.
Mais Balan n'écoutait plus, trop happé par cette curiosité toute naine. Il en lapa une lampée, grimaça et s'ébroua avant de tendre la fiole à sa femme qui eut plus ou moins la même réaction.
« Per la con d'Tyra. Ca picote par ou ça passe, pouah ! »
Et les nains rirent de concert, sauf le Wyrmdrengi. Balan reprit, visiblement plus qu'éméché.
« Eh ben ssi qu'on m'avait dit cela ci ces jours ci, j'aurais pas crut, juré. Mais z'êtes bien génééreux les naniens, plus que ceux qu'jai connu ! Aye. »
« Ah ! Tu as connus des notle Balan ? Laconte donc. » questionna Nobrum.
« Oooh c'était y du temps maint'nant savez. J'tais pas toujours dans l'vigne moi, qu'jtais soldat avant que j'pousaille la Mahaut ci présente ici même. Que oui. Puis j'me suis prit une lance wandraise dans l'vaisselier, qu'jai faillit y caner ! »
« Vîl engeance que ceux qui viennent des Wandles. » commenta sérieusement Nobrum.
« Comme t'dis, comme t'dis. Ca s'rait pas passé comme ça !  Ca auraait pas dut !  Mais certains d'vos compatriotes avait pas l'âme à nous aider plus qu'cela...»
L'ivresse embrumait les sentiments, mais Thorgrel lui, était loin d'être ivre.
« Que veux tu diles l'humain ? » C'étaient les premiers mots qu'il prononçait depuis qu'il était assis à table et ils furent piquant. Mais Balan ne parut pas le remarquer et continua, élevant de la voix.
« Eh ben mon bon m'ssieur, j'étais dans l'troupe du bien bon Hanegard Kastelord. Un graand lui, un grand, bien beau. Qu'jaurais suivis jusqu'a l'fin qu'jvous dis ! Mais m'a fin à moi j'la trouva à Fort Norkan. Et on était paaas loin d'royaume d'Tyra la bas. Une fois qu'ces laches d'Lantais ont quitté l'coin, on c'fait canné. Pourquoi qui sont partis hein ? Pourquoi ? C'taient pas d'flèche mais y avaient l'bras fort ! Mais non mon bon m'ssieur, non non non, y ont suivis leur parjur' d'chef, ce Poing d'Fer qu'a crut s'prendre pour l'putain d'fils d'Othar en personne. Cul d'poule que sale temps qu'c'était en suite ! Mais voyez, m'ssieurs les barbus, vous, VOUS, vous m'faite r'donner goût dans eul'race naine. Oui oui.»

Un sourire béat naquis sur les lèvres de l'homme qui leva maladroitement son godet de vin dégoulinant. Happé dans sa tirade il ne distingua point le faciès des nains qui lentement s'étaient figé. Semblable à des rocs maintenant, traits tirés, sourires disparus, répendant un silence lugubre qui fut distingué seulement par l'ainée des marmots.
Le mot qui suivit sortit de la bouche de Thorgrel, qui dents serrés, siffla rauquement dans sa langue natal. «...Bludgald. » Le bruit métallique des haches quittant leurs harnois remplaça le bruit des esclaffes.
Puis débutèrent les choses sanglantes.

Il y a de cela plus de deux années, Thorgrel avait juré qu'aucun sang ne serait versé entre les murs de Fort Norkan, pourtant l'injure du Kastelord avait levé une rancune, marqué au fer rouge dans l'esrit du nain. Aujourd'hui, les murs du Fort Norkan étaient loin et les nains avaient la mémoire longue, Balan par son comportement et ses dires, personnifiait avec brio la cible de cette vengeance latente. La hache de Damoclès venait de tomber et elle était porté par les mains habiles du Wyrmdrengi.
« Mais que...» eut le temps de bafouiller Mahaut.
« Ficht...» eut le temps de souffle Balan le laid.
Le Thane Poing-de-Fer avait grimpé sur la table, renversant godet et assiettes de terre cuite. D'un bond il se jeta en direction du vigneron qui eut à peine le temps de lever les mains afin de protéger son faciès. L'acier nain abbatiat sans demander son reste, tranchant les deux paluches et s'enfonçant dans un bruit sec dans le torse de l'homme n'émit qu'un grognement rauque. Le sang jaillit de toute part, éclaboussant son épouse d'on les yeux écarquillés ne témoignaient que terreur et incompréhension.
Les hurlements de peur naquirent simultanément des gorges de la dizaine de marmot. Leur père était entrain de mourir devant leurs yeux, transformé en épouvantail de chair.
Thorgrel trônait au dessus de la scène, le regard fou, sa hache dégoulinante. La frustration, la rage et la haine accumulé de ces derniers jours suintèrent de tout son être, pour la première fois, il souriait.

Dans son dos, les Faucheurs s'étaient eux aussi relevé, Skanuk, Brarud et Darez portaient déjà l'arme au clair. Nobrum et Nuzzour quand à eux, semblaient un brin dépasser par les événements bien que leurs poings se fussent resserré autours des manches de leurs hachoirs.
C'est la Bête des Torses-Gris qui s'exprima, sa voix grave couvrant les cris.
« La Dette est elle levée Guzandrakka ?»
Skanuk sous entendait la suivante : Balan devrait t'il être le seul à payer par son sang en ce jour ? Thorgrel porta son regard sur l'ogresse qui semblait toujours figé par le choc.
« Na Skanuk. Ils tomberont tous.»
La Bête acquiesça et sans un mot se dirigea d'un pas rapide vers l'extérieur.
Nobrum quand à lui semblait hésitant, la mine grave.
« Thorgrel...et les enfants ?»
Le Mange-Dragon tourna un instant la tête et tous ses compagnons purent lire la folie flamboyait dans son regard, ses traits tirés par un rictus carnassier.
« Ils tomberont tous Nobrum. Les fautes des Pères entaches l'existence des Fils.»
« Ou-da Thane...Ou-da...»
Le cadet tira son arme sans rien de faire de plus, baissant la tête.

« Meurtrier ! Assassin ! Balan ! Balan ! Courez les enfants, courez ! »
C'est la voix grasse de Mahaut qui s'éleva enfin, l'ogresse s'agitait et tendit une main faiblarde en direction d'un couteau à viande. Thorgrel ne lui laissa pas le temps de le saisir, sa hache frappa à nouveau, s'enfonçant dans l'épaule de la femme qui les avaient accueillis sous son toit. Elle hurla de douleur, le sang ruisselant sur ses vêtements, puis tenta, désespérée, de frapper le Poing-de-Fer dans les mollets. Ses forces l'abandonnant, elle sombra avant que Thorgrel ne lui ôte la tête des épaules d'un balancement d'acier.
Sautant lestement à terre, il saisit une fiole et s'en rasada le glissoir à bière bruyamment.
Les enfants courez sans but, tentant de se cacher derrière les tonneaux, dans le vaisselier ou encore sous la table. Les plus jeunes brayaillaient le regard vide, sans pouvoir bouger, appelant plaintivement leurs parents trépassés.
Les nains fermaient les axes menant à l'extérieur, empêchant la fuite. Mais certains semblèrent hésiter et cela ne plut pas à Thorgrel.
« Qu'avez vous donc ? Les pisse-laits vous effrayent t'ils tous ? »
« Ils sont innonçent Thorgrel...» tenta Nuzzour qui semblait afficher la même réticence que Nobrum à trancher de jeunes membres.
« Il est trop tard Nuzzour. Un jour ils grandiront et deviendront nos ennemis. Tu le sais.»
« Ou-da...Mais...»
« CE SONT DES HUMS ! » explosa Thorgrel qui d'un geste vif, envoya une de ces haches de lancés en direction d'une adolescente aux cheveux bouclés. Elle gigota, toussa un glaviot de sang et s'effondra. « Les Malfaits, tous autant qu'ils sont, restent des erreurs de la nature. Ils ne respirent que grâce à un concours de circonstance divin ! » Nouveau lancé de hache qui s'enfonça dans le visage d'une jeune homme qui tentait de se protéger avec une chaise.
« Quand le Forgeron rate ne serait ce que la trempe de sa lame. Il la détruit. Point de place pour les faiblards et les poquards en ce monde ! »
Darez et Brarud s'activèrent, ceux la possédaient une haine farouche envers les hommes, les déconsidérant complètement. Mais il était au dessus des forces de Nobrums et Nuzzour de s'activer.
Le massacre ne dura que peu de temps, les souffrances furent brèves.

Thorgrel toisa la scène, le regard sombre, la folie l'ayant quitté aussi vite qu'elle était apparut.
Il se tenait au dessus des corps de Balan et Mahaut.
« Ramassez vos armes, prenez avec vous les vivres et l'alcool nécessaire, ils n'en auront plus besoin.» Le Thane Poing-de-Fer fouilla sa bourse et en sortit un souverain qu'il lança d'un coup de pouce en direction des cadavres. « Pour le service. »
Skanuk choisit se moment pour réapparaître. Il était lui aussi maculé de sang, de la tête au pied et porté dans une main une dizaine de masse poisseuse. Thorgrel leva un sourcil et la Bête s'exprima en premier.
« Plus d'aboiement. Je n'aime pas les aboiements, Thorgrel.»
« Je le sais Skanuk.»
« Thorgrel, que faisons nous maintenant ? Nous ne pouvons rester ici.» commenta Doigt-de-Chêne « Nous risquons d'avoir leurs milices et autres troupiers aux trousses.»
« Ou-da. Allons attacher les chevaux, nous continuerons en charrette. »
« Et pour aller ou, Thorgrel ? » questionna Nobrum, le regard vide.
Le Wyrmdrengi passa la porte et porta son regard au loin.
« Il me coûte de choisir cette voix. Mais nous devons trouver un abri sûr. Nous irons à Külmazad.»
Les Faucheurs grognèrent et pestèrent pour certains. Tous connaissaient la réputation des nains du cru et personne n'avait envie de se retrouver à la table de l'Ancien Sourcil d'Airain. Car il avait toujours un prix à payer quand l'on traînait dans les pattes de ce vénérable nain à l'âme corrompu. Peut être allaient t'ils tous au devant de danger encore plus grand.