Au détour d’une promenade [pv Thithi]

Le Conseil de guerre avait pris fin un peu plus tôt dans la journée. Si en soit, cette réunion des puissants n’avait pas été une révolution, elle avait toutefois réussi tout autrement à bouleverser la dame suffisamment pour qu’elle ne s’y éternise pas au contraire d’autres seigneurs qui maniaient avec délice l’art d’avoir la langue bien pendue. Même si elle avait été assise entre le duc d’Erac qu’elle commençait à connaître, elle n’avait pas été tout à fait à l’aise de se trouver tout aussi proche du seigneur de Kelbourg dont la réputation et les idées vis-à-vis des femmes n’était plus à faire.

Ainsi après quelques déboires, elle réussit finalement à rejoindre son campement. Peste soit celui qui avait organisé et structuré la position des ost les uns par rapport aux autres mais c’était vraiment de la merde. Les messagers eux-mêmes commençaient à peine à s’y retrouver dans tout ce bordel... certains n’avait vraiment pas d’idée...

Dès son arrivée, tout un petit rassemblement de ses vassaux s’était établi et l’avait attendu. Elle en fut en soit un peu surprise mais elle comprenait également que ses hommes souhaitaient savoir ce qu’on allait faire d’eux une fois que Chrystabel aurait rendu les armes.

Aliénor alors les fit se présenter dans sa tente et leur annonça qu’il avait été décidé que tant qu’à profiter du printemps hors de chez eux, que les nordiens n’allaient pas en rester là et allaient libérer l’ensemble des terres du Roi en continuant plus loin leur balade de santé. Il fut assez drôle de les voir heureux de savoir qu’ils allaient devoir encore risquer leur peau un peu plus longtemps et que le retour n’était pas pour tout de suite. Aliénor en tout cas leur demanda de prendre leurs dispositions et leur annonça qu’elle allait accompagner le Sénéchal du Royaume avec quelques hommes pour l’escorter afin de réunir l’ost de leur bon Roi. Ce serait une occasion pour le Comté d’élargir ses relations économiques dans un même temps. Aliénor les confiait ainsi aux mains de son Sénéchal qui visiblement, ne s’était toujours pas décidé à lui adresser un mot et qui se contenta de simplement acquiescer de la tête. Le représentant de l’ordre du calice proposa alors que 3-4 de ses hommes accompagne la régente dans son périple, ce qu’elle accepta bien volontiers. Il ne lui restait plus qu’à prier les Cinqs de faire de ce petit mensonge une réalité. Avec un peu de chance, le Sénéchal du royaume accepterait sa compagnie.

Les formalités étant réglées et les tâches réparties, elle avait décidé de s’accorder un peu de temps pour elle et surtout pour digérer la découverte qu’elle avait faite. Elle prit son cheval et galopa sans but avant de s’arrêter enfin quelques peux pour le repos de sa monture. Elle le laissa paître à ses côtés pendant qu’elle faisait les cent pas en bougonnant sur son infortune sur Louis de Saint-Aimé, sur la Barronne d’Alonna, sur Arnaud de Stern et son vieux bouc de grand-père, sur cette staticité des troupes à Chrystabel, sur ce putain de merdier... Elle s’arrêta alors net, entendant du bruit parvenant de buissons non loin de là. D’un geste souple et rapide, elle prit son arc sur sa scelle et une flèche dans son carcois qui ne quittait jamais son dos quand elle sortait du campement, qu’elle encocha et banda avant de mettre en jou la cible qu’elle avait entendue.

- Qui va là ?!

On lui avait suffisamment recommandé la prudence à cause des brigands qui profitaient de la situation pour ne pas hésiter à piller dans les environs.

– Qui va là ?! Qui Va là ?! Pesta Thibaud en sortant du bois couvert de sang. Qu'est ce que ça peut foutre !

En s'approchant de l'andouille qui avait eu l'audace de poser la question, il reconnut non pas un homme, mais un femme aux traits familiers. Cette gourgandine pas bien haute, il l'avait vu au conseil de guerre un peu plus tôt et même en de rares occasions depuis Beltrod. La première fois qu'il l'avait aperçu, il s'était demandé quelle mouche avait piqué les arétans pour laisser opérer une telle absurdité. Bon nombre de ses hommes en avaient d'ailleurs profité pour avancer que les arétans s'étaient vus privés de couilles depuis que la dernière Wenden avait fait un caprice pour jouer à la guerrière. Si ces ragots ne l'amusaient guère et ne le faisaient même pas tousser, c'est que l'événement était bien trop important pour se permettre de telles fantaisies. L'Alonna s'y était déjà mis en leur refourguant la mégère qu'il avait fourré, et voilà qu'Arétria en remettait une couche. Bon sang de Roderik ! Ce peigne cul avait vraiment choisi le bon moment pour flancher.

Il arriva doucement au près de sa monture qui était restée attachée à un arbre, puis se saisit d'un bout de chiffon sur lequel il s'essuya les mains imbibées de sang. Et ce, comme s'il revenait d'une basique cueillette de champignons.

–  Baissez donc votre arc, vous risqueriez de vous blesser jeune dame. Il serait dommage que la dernière Wenden trépasse à cause de sa propre flèche tirée dans le pied.

Pour le reste, il ne se soucia plus guère de la jeunette et récupéra un petit couteau courbé dans une besace flanquée sur sa selle.

S'il y avait bien une personne qu'elle ne s'attendait pas à croiser ainsi, c'était bien le seigneur de Kelbourg. A vrai dire, il n'y avait personne à ses yeux de plus antipathique que lui. Pour être honnête, elle commençait à se demander si cet homme était pourvu d'un coeur ou si la Damedieu a abandonné l'idée en se disant que finalement, ce n'était pas la peine. Pourtant la seule personne à priori qui aurait gagné l'estime de ce monsieur, semblait n'être autre que son frère. Peut être un jour comprendrait-il que le même sang coulait dans leurs veines.

Aliénor regarda pour le moins éberluée le spectacle affligeant que lui offrait le seigneur de Kelbourg. De prime abord, elle se demandait s'il avait encore bu. En outre, elle se demandait d'où pouvait bien provenir tout ce sang. En soit, elle espérait qu'il était entrain de chasser mais en revenant sans cadavre d'animal, elle se disait que cette possibilité était finalement peu probable. Après tout, avait-elle donc envie d'en savoir plus ? Finalement pas vraiment non, elle devait l'avouer et conclut alors ses réflexions ici.

- Comment ça qu'est-ce que ça peut foutre ? Ça fout que j'ai envie de calme ou sinon d'une compagnie agréable seigneur de Kelbourg. Je ne suis pas sûre que vous soyez capable seulement d'une telle chose.

Elle lui laissa le temps de rejoindre son cheval qu'elle n'avait pas remarqué en arrivant, tant elle avait été uniquement préoccupée par sa petite situation personnelle. Elle s'en voulut quelque peu. Ses sentiments et la frustration qui y était liés la pousseraient-ils donc à en obstruer jusqu'à son jugement ? Elle en doutait. Manque d'attention sans doute. Qu'à cela me tienne après tout.

– Baissez donc votre arc, vous risqueriez de vous blesser jeune dame. Il serait dommage que la dernière Wenden trépasse à cause de sa propre flèche tirée dans le pied.

Aliénor leva alors les yeux au ciel. Eh bien sa première remarque misogyne n'avait pas trainée... Etait-il donc incurable ? La jeune femme n'en avait pas la moindre idée.

- Ou je pourrais aussi bien vous retirer vos attributs masculins histoire de vous faire ravaler votre langue bien pendue.

Elle relâcha néanmoins sa position et rangea sa flèche dans son carquois ainsi que son arc sur sa selle avant de se retourner vers le malotru qui l'avait gêné dans son intimité.

- Qu'est-ce qui vous mène donc dans un lieu aussi reculé du campement ? Je n'ai eu vent d'aucun bordel ou taverne dans les environs.

Quitte à avoir de la compagnie non désirée, autant tenter d'en profiter pour nouer de nouvelles connaissances.

Face aux diatribes professées à son encontre, Thibaud sourcilla. Non point qu'il en fut décontenancé au point que les mots lui échappaient, mais bien que son indifférence totale à l'égard de l'arétane prit de plus bel si bien qu'il ignorait encore s'il prendrait la peine de lui répondre. C'est que la rouquine se faisait insistante et vulgaire de surcroît. Pensait-elle qu'en lui parlant de la sorte, comme à un chien où un ivrogne de bas étage, il se confesserait bon gré afin d'expliquer la raison de sa présence ? C'eut été mal le connaître. Pis encore, l'arétane n'écoperait de rien d'autre qu'un reniflement de nez et d'un nouveau crachat sur le bas côté.  Ce monde allait mal. La maladie semblait présente partout, dans chaque bosquet, sous chaque masures. Les femmes quittaient leur nids pour arborer des armes et des armures bien trop lourdes pour elle. A cela, Thibaud souffla comme pour évacuer toute la peine du monde.

Avant de disparaître de nouveau sous le couvert boisé, il daigna seulement jeter un œil du côté de la jeune femme toujours sur ses gardes.

– J'ai vu des jeunes femmes là-bas, dit-il en signalant une partie de la forêt. Je m'en vais les baiser, puis les vider, et enfin les empailler afin de les mettre dans ma grande salle des trophées lorsque cette guerre aura pris fin et qu'il me sera possible de retrouver le confort douillet de ma demeure.

Il sourit de la façon la plus malsaine possible. Se payer la trogne de la demoiselle n'avait pas eu de prix, surtout si elle s'imaginait qu'il lui disait la vérité.

– Quant à vous, petite dame de Wenden, vous devriez songer à ne pas partir seule. Avec tous les hommes qui ont accepté de vous accompagner, ça ne devrait guère être ardu d'en trouver d'assez loyaux pour vous empêcher de finir violée dans un buisson. Votre frère aurait été du même avis je jure.

Thibaud disparut aussitôt dans l'ombre du bois dense et marcha quelques pas avant de trouver la carcasse encore chaude d'un chevreuil. Un carreau d'arbalète lui traversait le gosier de part en part. Agenouillé devant l'animal, l'empaleur se saisit de son couteau courbé avant d'ouvrir le bas ventre. Si-tôt fait, les entrailles se déversèrent devant lui et répandirent une forte odeur insoutenable. Il prit dans ses mains, boyaux, foie et estomacs qu'il rangea avec précaution dans l'une de ses sacoches. Dans une autre, il y ajouta le reste des organes vitaux du chevreuil en prenant soin de gober les yeux en guise de prémices au prochain déjeuner.  

– J'ai vu des jeunes femmes là-bas, dit-il en signalant une partie de la forêt. Je m'en vais les baiser, puis les vider, et enfin les empailler afin de les mettre dans ma grande salle des trophées lorsque cette guerre aura pris fin et qu'il me sera possible de retrouver le confort douillet de ma demeure.

Aliénor releva un sourcil pour le moins relativement excédé. Non mais parce qu'en plus de cela le bougre s'amusait à tenter de se payer sa tête. Non mais je vous jure ! Elle allait lui rendre bien fissa la monnaie de sa pièce.

- C'est votre femme qui doit en être ravie. Voir ainsi exposé publiquement les infidélités de son cher époux... Sans doute préférerait-elle que vous lui fassiez l'insigne plaisir de lui conférer le même état que la baronne d'Alonna... celui d'une veuve éplorée.

La jeune femme eut un petit sourire. S'il y avait bien un art qu'elle savait maîtriser, c'était bien celui de l'ironie. Il était si facile ainsi de tacler quelqu'un qui pensait se trouver en force dans une joute verbale. Toutefois elle savait bien qu'il y apporterait une réponse. Comme dans l'art de la guerre, le seigneur de Kelbourg était réputé pour aimer avoir le dernier mot. Sa surprise d'ailleurs lorsque la voix de la jeune femme s'était élevé pour lui répondre n'en provoqua qu'une plus grande délectation aux yeux de la jeune femme, bien suffisante au regard de la réponse qu'il allait lui apporter.

– Quant à vous, petite dame de Wenden, vous devriez songer à ne pas partir seule. Avec tous les hommes qui ont accepté de vous accompagner, ça ne devrait guère être ardu d'en trouver d'assez loyaux pour vous empêcher de finir violée dans un buisson. Votre frère aurait été du même avis je jure.

Aliénor rigola de la pique envoyée. Il la connaissait tellement mal. Aliénor n'était pas une femme à aimer être accompagnée, surtout lorsqu'elle avait besoin d'un moment à elle.

- Fort heureusement, je me suffit à moi-même question défense seigneur de Kelbourg et je ne suis pas le genre de femme à me promener sans quelques assurances Aliénor alors lui désigna la dague qui ne quittait jamais sa hanche. C'était sans compter sur les poignards qui se trouvaient dans ses bottes ou encore d'autres petits outils bien utiles pour se défendre qu'elle logeait à chaque recoin possible.
Nous n'avons pas eu le plaisir de jouter l'un contre l'autre à l'épée mais si tel était le cas, vous pourriez en juger par vous-même. Ce sera peut être l'occasion d'y remédier une fois que tout ce bordel sera terminé et que nous serons rentrés chez nous.

Elle le regarda alors avec perplexité retourner dans les buissons qu'il venait pourtant de quitter, son couteau à la main. Aliénor leva les yeux au ciel et le suivi, de telle manière à ce qu'elle le trouva entrain de dépecer l'animal. La jeune femme le regarda faire en silence avant de s'agenouiller à côté de lui.

- Joli prise et beau tir que celui-ci. J'ai toujours eu une préférence pour l'arc plutôt que l'arbalète pour la chasse, je le trouve beaucoup plus maniable et silencieux. Par ailleurs l'un comme l'autre sont relativement tout autant inutiles si un animal venait à charger.

Peut être qu'avec ce début d'échange, les tensions qui avaient débuté cet échange allaient s'apaiser quelque peu.

C'est qu'elle lui collait aux basques la mégère ! Impossible de s'en dépatouiller, elle lui fit l'effet d'une enfant incapable de quitter les chausses de ses parents. Pas étonnant que son aîné ait acquiescé à la demande du régent pour s'en aller dans le sud. Cette gamine d'Arétria était arrivée à sa position par le plus grand des hasards. Comment Arétria en était arrivé là ? Par la succession de morts quasi mensuelle de tous ses prétendants. Le temps d'Anséric de la Rochepont était bien loin, jugea-t-il avec amertume. Ce temps-là, Arétria avait eu encore un semblant de dignité.

La voir s'installer à ses côtés, en jouant la fier à bras, l'exécra au plus haut point. L'entendre jacter pour parler d'armes, manqua de le faire sortir de ses gonds. Il s'imagina lui flanquer une monumentale gifle en pleine gueule pour réclamer le silence et que la jeune donzelle s'en ailler faire chier un autre. Pourquoi lui ? Pourquoi tant d'acharnement ? Après le conseil, il avait souhaité un peu de paix en s'en allant chasser au bois. Mais elle était comme ses propres filles, bavarde et ennuyeuse à mourir.

Qu'avait-il fait de mal pour qu'on le mette autant à l'épreuve ?

Ça le démangeait. Ça le dévorait peu à peu. Ça le consumait littéralement... Se concentrer sur l'animal devenait de plus en plus compliqué. Chaque nouvelle lettre prononcée, chaque nouveau mot, devenait une torture à laquelle il était de plus en plus difficile de se soustraire. Il bouillait d'une envie irrépressible de la faire taire à tout jamais, mais se ravisa du mieux possible.

– Pensez-vous réellement que votre avis sur la chasse m'intéresse ? N'avez-vous donc pas des fidèles sujets à assommer d'autres réflexions aussi pertinentes ?

Il la regarda droit dans les yeux avec insistance.

–  Ne comprenez-vous donc pas que votre existence même m'indiffère ? Que vous ayez réussie à poser votre cul à la régence d'Arétria ne fait point de vous une personne respectable, devant qui chaque homme serait obligé de s'agenouiller. Ses yeux devinrent bien sombres. Savez-vous à qui vous parlez en ce moment-même ? Savez-vous ce que j'ai fait à vos semblables durant la guerre d'Atral ? Voudriez-vous le savoir ? Je gage que vous n'oseriez plus jamais m'adresser la parole en découvrant le massacre du bois d'Argonne. Les vôtres y sont tous passés, éventrés, étripés et empalés sur des centaines de pieux. Je le sais parce que j'y étais. J'ai ordonné ce chaos.

Elle semblait avoir du mal à comprendre les choses. Sans-doute qu'une méthode un peu plus brutale l'aiderait à y voir un peu plus clair. Qu'elle s'imagine encore après cela que le monde était merveilleux et bon l'aurait probablement amusé encore plus.

Le visage de la jeune rouquine se referma à mesure que le seigneur de Kelbourg vomissait sa haine. Si la jeune femme pouvait faire encore preuve d'innocence du fait de son manque d'expérience dans bien des domaines, elle n'avait jamais compris la méchanceté encore plus si cette dernière était gratuite. Elle pouvait largement comprendre que l'on prenne de mauvaise décision ou que l'on fasse de mauvaises actions pour de bonnes raisons mais elle n'avait jamais réussi à se sentir convaincue que l'on pouvait être vile par nature, comme ça, sans explication aucune. Peut être avait-elle tort.

Au final, elle en venait à cette conclusion. Bien loin de l'image d'ours mal léché qu'elle avait du seigneur de Kelbourg qu'on lui avait toujours décrit avec respect comme un grand homme de guerre. Elle avait beau chercher, elle comprenait de moins en moins qu'un muffle de la sorte ait pu un temps soit peu gagner le respect de ces hommes, y compris de son propre frère Roderik.

Aliénor aurait pu lui lancer de nouveau une pique cinglante, l'enfoncer encore plus. Ou encore s'énerver, presser les poings, jurer de le tuer. Néanmoins la réplique avait été d'une telle férocité que la jeune femme ne trouva ni colère, ni rage, ni dédain à éprouver. Au final elle avait pitié pour cet homme violent et qui n'avait visiblement rien d'autre dans sa vie que cette violence gratuite dont il venait de faire preuve. A quoi bon au final user de sa salive pour quelqu'un de ce genre là ? La jeune femme murmura alors un faible "Très bien, soit." en soupirant et se leva en silence. S'il avait massacré les siens, ce n'était pas pour autant qu'ils ne lui témoignaient pas le respect dû à un illustre guerrier. Aliénor se demandait bien pourquoi alors que ce dernier se permet si ouvertement de piétiner l'image de son peuple.

Aliénor retourna alors hors des buissons et retrouva la plainte où l'attendait sa monture sans autre regard derrière elle.