[Demeure Al'Serat] Une résidence princière | El thithi, Aerianna et Ascanio

Automne - 8e ennéades de Barkios
17e année du XIe Cycle
Domaine des lanternes bleues

La rumeur s'était emparée des profondeurs. Là, dans le domaine des Al'Serat, des étrangers allaient être logés pendant plusieurs ennéades !

Le quartier avaient été sécurisé par les prêtres d'Uriz et la toute jeune Garde Draconique. Des membres de la Doth'ka et de la Garde d'ébène avaient aussi été affiliés à cette tâche de la plus haute importance. Rien ne devait leur arriver, il en allait de la réputation d'Elda autant que de son établissement stable en Ithri'Vaan... Ainsi que de la suite de leurs plans. Autour du domaine, deux autres manoirs de moindre importance avaient été réquisitionnés pour loger les suites de ces Altesses en vadrouilles ainsi que les dix gardes autorisés à la suivre chacun d'eux jusque dans ces niveaux inférieurs.

Le long de la façade de pierre noire, des lanternes aux flammes bleutées brûlaient dans de petites alcôves, un trait esthétique mis en place du temps d'un aïeul paranoïaque qui permettait également de voir facilement qui s'approchait des murs. Le nombre des serviteurs avait été doublé avec des esclaves parlant l'Oliyan, contrairement à ceux qui travaillaient là d'ordinaire. On remplaçait des tentures, les draps. On nettoyait. On préparait.

Zaïch'Ker, l'Intendant chenu croulant sous de trop lourdes robes vertes, gérait le changement avec son habituel flegme pragmatique. Comme un chef d'orchestre, le vieil homme savait qu'il n'aurait que bien peu de répit dans les ennéades à venir. Heureusement, l'homme avait appris l'Oliyan pour sa fonction et les quelques esclaves ramenés d'Anaëh par les maîtres des lieux lui avaient également donner l'occasion d'apprendre de bons rudiments d'elfique pour s'assurer de la bonne tenue de la demeure.

Mis à part le bureau et l'atelier, la totalité du domaine avait été mis à disposition des invités, de la bibliothèque aux chambre en passant par la salle d'entrainement et les étuves. Les commodités d'Elda avaient cela d'agréable que des conduites d'eau froide et d'eau chaude traversaient le domaine de façon à ce que chaque chambre dispose de sa propre salle d'eau avec une cuve alimentée en permanence. L'éclérage avait aussi été renforcé pour être agréable à des surfaciens. Aux habituelles lampes à huiles et autres lampes alchimiques aux abat-jours cristallins avaient été multipliés. Les plaques sporadiques de mousses, champignons et plantes luminescents avaient été étendus sur la quasi totalité des plafonds exceptés dans les chambres ou ils avaient été laissés aux murs et des rideaux installés pour en cacher la lumière.

Enfin, des guides avaient été sélectionnés et formés pour accompagner les Princes et Princesses dans la Cité et leur présenter les lieux s'ils le souhaitaient... tout en leur faisant éviter les endroits les plus dangereux.

Au soir du dernier jour de la 7e ennéade, tout était fin prêt te les gardes aux portes de la cité avaient reçu l'ordre de prévenir immédiatement le palais et de conduire les invités venus de Thaar jusqu'aux Lanternes Bleues pourvu qu'ils disposent de l'invitation et qu'ils soient bien la personne nominativement attendue.

Toute la ville d'Elda est ouverte au jeu pour les PM excepté la Chambre Magmatique dont l'entrée leur reste règlementée

Le choix de la chambre est à la discrétion des joueurs... Mais il n'y a qu'une chambre de maître qui est plus confortable et plus spacieuse que les autres.

Bàrkios, quatrième jour de la huitième ennéade
An dix-sept du onzième cycle

Deux jours de retard.

Deux jours de retard qui auraient pu être évités si l’argenté n’avait pas pris tout son temps pour me transmettre cette lettre. Il ne pouvait réellement avoir pensé que je souhaitais ignorer une lettre de Krish Al’Serat ? Il ne pouvait réellement avoir pensé que j’allais lui répondre que je n’avais pas de temps à lui consacrer ? Il avait pris l’habitude de cette Aerianna qui cherchait simplement à souffrir, il n’y avait que ça comme explication. Deux mois pleins durant lesquels je n’avais été que l’ombre de moi-même et il était déjà perdu. Bon, la mort de cet incapable de père n’avait pas dû l’aider à y voir plus clair, mais j’avais du mal à comprendre comment il avait fait pour se tromper à ce point. Alors j’avais réuni une escorte, alors j’avais choisi une garde rapprochée, et sans l’eldéen argenté j’étais partie de Thaar vers Esion. J’aurais voulu cette décision comme une punition, vraiment, mais il m’avait fait comprendre si rapidement qu’il ne pouvait venir qu’il m’avait même enlevé cette satisfaction.

Tout du long de la route on m’avait fait comprendre que j’avais du retard, qu’au moins un autre Prince Marchand était parti avant moi, Ethirëlon Nas’olen. Si j’avais frémi en entendant ce nom ce n’était vraiment qu’à cause du vent qui déplaçait les navires, pour rien d’autre. Je n’étais pas tellement surprise qu’il vienne, il n’était pas du genre à être si différent des drows, même s’il avait pris des elfes ce côté… moins empressé ? Je ne savais pas exactement à quelles retrouvailles m’attendre mais ce n’étaient pas les plus importantes ni les plus dangereuses. Celles avec Krish Al’Serat et surtout avec Myr’Hennis Vect emportaient sûrement les prix respectifs. J’appris d’ailleurs pendant le voyage que ce n’était pas qu’un mariage, que c’était aussi le mariage entre la reine du Puy et celui qui en serait le roi consort. J’avais disparu si longtemps ? J’espérais que ce ne soit pas ça, j’espérais que ce soit surtout que le monde avançait bien vite plutôt que moi bien lentement.

Je n’excluais pas que les deux soient vrais.

Mais si le segment du voyage en navire n’était pas très amusant, le pire venait encore. Comment faisait un peuple vivant sous terre pour traverser ce genre de désert avec une armée ? Déjà avec la petite bande escortée qu’était la mienne j’avais l’impression qu’il n’en finirait jamais et qu’on mourrait tous là quand nos réserves d’eau s’épuiseraient. Et même ceci, c’était sans compter le soleil qui faisait cuir tous ceux qui portaient exactement le même astre. Au moins à Geresh, s’il était toujours présent, il y avait toujours une gigantesque étendue d’eau non loin et on trouvait facilement un abris. Je me plaignais régulièrement mais en réalité j’étais la seule à en avoir un, d’abris, alors qu’on veillait à mon état de santé. J’étais la seule qui devait arriver en très bonne santé après tout. Enfin, la seule une fois qu’on avait omis cette dizaine de gens que j’emmènerais avec moi dans les profondeurs du Puy. C’était un assortiment simple, des hommes bien équipés, celui qui gérait la petite troupe et un trio de jeunes femmes bien surprenantes que j’avais trouvées sur les quais de Geresh quelque part avant ma disparition.

Puis le Puy s’offrit à mon regard et je ne le quittai pas des yeux jusqu’à ce que je sois convaincue que vraiment il y avait un volcan juste là et que c’était là qu’Elda se situait. Ce n’était pas beau, ce n’était qu’un volcan, même si je ne savais pas vraiment ce qu’était un volcan avant de le voir, mais c’était assez impressionnant. Et de plus en plus impressionnant alors qu’il se rapprochait. Le Puy. J’espérais quand même qu’il soit plus beau à l’intérieur, ou bien était-ce pour compenser que les eldéens étaient si bien formés ? Pas tous, bien sûr, mais je ne pouvais pas m’empêcher de penser à ceux… celles que j’avais rencontré. Le Vatna grossissait encore, en tout cas, il n’attendait pas que je finisse de me poser des questions. Heureusement, car les deux jours de retard seraient devenus cinq. Ou trois. On m’indiqua que j’avais bien trois jours de retard et je me repliai sur moi-même, frustrée. Une journée venait de disparaître de je ne savais où, c’était insupportable.

Ce genre de pensée m’occupa l’esprit alors que j’entrai dans la cité et présentai l’invitation, j’étais bien Aerianna Hiisi et je ne demandais rien de particulier si ce n’était de m’extraire à ce désert bien insupportable. Ce n’était toujours pas beau, d’ailleurs, mais ça s’améliorait, jusqu’à ce que finalement on m’amène là où l’on devait m’emmener. Les Princes Marchands logeaient dans des quartiers beaucoup plus agréables à l’œil. Enfin, de ce que je pouvais en voir, je n’étais pas nyctalope et tout ceci manquait cruellement et logiquement de sources de lumière. Et puis, certaines étaient des champignons ? J’eus le doute jusqu’à ce qu’on me le confirme et le doute s’épaissit encore jusqu’à ce que je me souvienne du palais de Myr’Hennis Vect à Baaz’Hima, j’avais déjà vu ce genre de chose et je m’en étonnais encore… On me guida encore un peu trop longtemps à travers une architecture peu commode jusqu’à ce qu’enfin on s’arrête.

Le pied-à-terre fut ce manoir-là et je soufflai de soulagement.

Je n’étais pas la première arrivée, j’avais presque le choix de la chambre mais j’avais surtout besoin de me reposer quelque part. Alors j’écoutai d’une oreille ceux qui s’adressaient à moi, alors je choisis la chambre d’honneur – elle était proche de la suite du maître qui avait déjà été réquisitionnée et surtout libre –, alors je demandai aux esclaves qui me furent assignés de faire leur travail. Je ne savais pas qui ils servaient vraiment mais ils obéissaient, c’était déjà ça, et j’avais décidé pour ne pas me ruiner la santé de partir du principe qu’ici on ne me voulait pas de mal. On me déshabilla et je plongeai dans un bain chaud pour y rester bien trop longtemps. J’étais là, enfin, et j’aurais quelques ennéades pour profiter d’un endroit où je pouvais avoir un avant-goût de ce qui m’attendrais après. J’étais une Princesse Marchande et on me jugeait suffisamment importante. Il n’y avait que cette histoire de suite du maître qui me tracassait. Si j’étais aussi importante que les autres en cet endroit j’aurais dû sûrement me battre un peu. Mais si c’était Ethirëlon dedans ?

Il y avait aussi le retard pour me tracasser, finalement.

Trois jours de retard.

Automne fin de la huitième ennéade de Barkios de l’an 17 : XI

La nouelle avait d’abord terrassé Myr’Hennis mais avant que ce dernier ne puisse retomber dans la même léthargie qui avait suivi la mort de Nahala, la colère avait pris le dessus, dans la Chambre Magmatique, en sortant du Haut Temple du Père, il montra finalement un signe de vie après plusieurs minutes à ne rien faire ou dire devant un messager qui commençait à s’inquiéter.

« Merci, tu peux disposer. » Après un bref salut le messager partit au pas de course et avant qu’il n’ait tourné le dos, le Grand Architecte se tourna vers les membres de sa garde personnelle qui l’accompagnaient. « Ashal envoies deux drows chercher Shyn’rae et viens avec moi. »

Le commandant hocha la tête, désigna deux soldats qui se précipitèrent dans le sillage du messager avant de suivre son maître, les autres gardes étant plus proche de ce dernier qu’à l’ordinaire. Myr’Hennis passa par un passage secret la dizaine de daedhels disparurent promptement de la circulation, une fois sortis de la Chambre Magmatique le Grand Architecte s’arrêta et se tourna à nouveau vers Ashal.

« Mobilise l’entierté de la garde et ramène tout ce beau monde chez Krish, prends Pa’Vren avec toi. » Devant l’hésitation du commandant de sa garde personnelle Myr’Hennis poursuivit. « On ne sait pas qui était dans le coup, ceux qui protègent les Princes Marchands ne sont peut-être pas dignes de confiance et les assassins peuvent en profiter pour affaiblir l’Ithri’Vaan. »

Après un rapide salut Ashal disparut dans un autre couloir alors que Myr’Hennis poursuivit avec sa poigné de soldats. Ils ressortirent finalement non loin de leur objectif et au grand soulagement de l’architecte, rien n’avait bougé, visiblement la nouvelle de la mort de la reine ne s’était pas encore répandue. Il entra dans le manoir sous le regard étonné des gardes qui ne s’étaient pas attendus à le voir ici maintenant. Lorsque Zaïch'Ker s’enquit de la raison de sa présence il le regarda avec un air désolé.

« Fait venir les Princes Marchands et immédiatement, j’ai quelque chose à leur dire, il en va de leur sécurité. » Une fois les concernés présents il prit une grande inspiration. « Je vous conseille vivement de quitter le Puy, Krish a été assassinée et vous devenez des cibles potentielles dans ce qui pourrait se transformer en guerre civile. La nouvelle ne s’est pas encore répandue, ma garde est en route pour assurer votre protection mais plus vous restez longtemps ici et plus le risque augmente. »

Le mariage arrivait, et j’avais décidé dans la journée quelle robe je porterais.

Elle était résolument d’inspiration eldéenne, même s’il avait fallu l’ajuster au niveau de ma poitrine qui avait beaucoup à envier de celles de toutes celles qui m’avaient entourée pendant quelques jours, et j’espérais que Krish la trouverait à son goût. L’affaire entendue je m’étais repliée dans mes quartiers pour me reposer. Le Puy n’était pas de tout repos et un certain nombre d’activités plus éreintantes qu’on ne s’y serait attendu. Sashi en particulier ne s’arrêtait jamais et nous entraînait toutes jusqu’à ce qui pouvait l’amuser. Aucune n’était réticente en réalité car les plaisirs du Puy ne nous seraient bientôt plus accessibles et qu’il fallait en profiter. Heureusement la plupart existaient en Ithri’Vaan, que ce soit à Thaar ou Geresh, et s’ils n’étaient pas toujours d’aussi bonne qualité, s’ils n’étaient pas toujours aussi exotiques, ils feraient l’affaire quand nous rentrerions en début du mois prochain. Ou c’était ce que je pensais, c’était ce que nous pensions, avant que je ne sois conviée auprès du futur marié.

Myr’Hennis Vect nous attendait Ethirëlon et moi-même dans l’entrée de la demeure Al’Serat et je me rapprochai de lui pour l’entendre, ne perdant mon sourire qu’en voyant que son visage n’en arborait pas. J’avais toujours une petite crainte quand je le voyais car j’étais sûrement des seuls à avoir vu cette jalousie qu’il éprouvait envers les conquêtes de sa future femme. Je ne savais pas s’il avait toutes les raisons de craindre qu’elle ne passe trop de temps avec moi, mais au vu de la dernière révélation de l’eldéenne et de ce document que je gardais caché c’était fortement possible. Je le craignais, donc, et encore plus lorsqu’il n’affichait aucune expression particulière comme en cet instant précis. Il devrait être heureux, il devrait apprécier le moment, je l’apprécierais à sa place. Seulement on pouvait se faire des monticules d’idées, on pouvait réfléchir à tout ce qui pouvait expliquer une situation à laquelle l’on était confronté, on pouvait trouver des explications, on pouvait craindre tant de choses…

… parfois la réalité était pire que la pire des choses qu’on avait imaginé.

Krish a été assassinée. Mon visage resta de marbre par miracle, il ne l’aurait pas dû. C’était impossible, pas Krish, pas la veille de son mariage, pas maintenant, pas après m’avoir donné tout ça. Krish a été assassinée. Je fermai les yeux un moment, peut-être pour empêcher les larmes de couler. Elle était trop importante pour disparaître, elle avait été là à chaque fois que… elle avait été la première de tous les Princes Marchands, elle n’était pas Reine à l’époque. Krish a été assassinée. J’osai ouvrir les yeux, amenant mon poignet essuyer les deux larmes qui tentèrent de fuir. Ce soirée… une ennéade à Geresh… les Grands Jeux… Krish a été assassinée. Je souris à travers les larmes en baissant la tête, c’était triste, mais il y avait eu de belles choses, c’était ça que je devais garder. Comme je garderais ce qui était à elle en Ithri’Vaan, comme je garderais son fauteuil au Conseil de Thaar. Krish a été assassinée.

« Je suis désolée, Myr’Hennis. » Je n’étais pas que désolée, j’avais entendu tous les autres mots. « Merci. » Quand la garde de Myr’Hennis Vect arriverait la mienne serait prête et les onze âmes que nous étions nous en iront faire le même trajet que j’avais fait une poignées de jours plus tôt, seulement dans l’autre sens, pour rentrer. Pour rentrer vers ce qu’elle m’avait légué et faire semblant d’être assez douée pour prendre sa place. Savait-il ce qu’elle m’avait donné ? Viendrait-il me le reprendre un jour quand il l’apprendrait ? Serait-il seulement encore là quand je mettrais mes mains dessus ?

C’est une blague ?

J’avais affiché un air relativement perplexe lorsque l’on était venu me chercher au nom de Myr’Hennis. Je m’étais demandé ce qu’il pouvait bien me vouloir sachant qu’il devait avoir autre chose à faire mais j’avais tout de même obtempéré gracieusement, m'était levé du lit confortable sur lequel j'était étendu et j’avais suivit des drow visiblement insensible à mes petites manières.J’avais un instant fixé de travers la princesse de Geresh qui se trouvait déjà là lorsque j’arrivais mais ne fit aucune remarque, me focalisant sur celui qui nous avait appelé.

J’avais probablement pâlis lorsque Myr’hennis avait lâché ses mots. Je m’étais même inconsciemment mordillé le bord de ma lèvre inférieure. J’avais beau avoir l’habitude des complots en tout genre, cette nouvelle faisait l’effet d’une douche glacée. J’en oubliais de garder ce sourire qui me caractérisait si bien. Non là je n’étais vraiment pas d’humeur à sourire.

Krish était morte. Une partie de moi avait fini par l’apprécier mine de rien l’eldéenne au caractère d’acier… Mais au-delà de la pointe de tristesse de la savoir aux bras de Teiweon, il y avait autre chose : Nous étions désormais nous vaanis en danger. Il fallait partir au plus vite.

Moi qui détestais les mariages…

Je notais tout de même dans un coin de ma tête que Myr’hennis voulais nous garder en vie. Cela pouvait servir, en plus de démontrer qu’il ne nous prenait visiblement pas pour les responsables de ce crime…

-Je suis désolé. Répétais-je à la suite de la princesse de Geresh. Je regardais l’entrée par laquelle nous étions arrivés. Combien de temps avant que la garde de Myr’hennis arrive et que nous soyons en relative sécurité ? Sait-tu qui sont les responsables ? Je me retournais vers le grand, trop grand drow. Pour qui somme nous devenus des cibles potentielles ? Histoire que même avec ta garde, dont je te remercie Myr’hennis, fit-je une main sur le cœur,  nous puissions si possible les éviter et partir sans mal d’ici ?

Derrière mon éternel air de prince pragmatique, j’avais peur.

Etrangement, Myr’Hennis se surprit d’être touché par la déclaration d’Aerianna. En réalité il était venu pour mettre Ethirëlon en sécurité et vu qu’il partageait la demeure avec sa collègue, maîtresse de Geresh depuis peu, autant en profiter. Il hocha lentement la tête pour accepter les condoléances de l’humaine. D’un visage toujours sombre, fermé, l’eldéen accepta également celles du souverain de Baaz’Hima. Quant à ses questions, il fut content de voir qu’il pouvait répondre à chacune d’elles, enfin il se rendit ensuite compte qu’il ne pourrait pas répondre avec une précision digne de ce nom à certaines mais au moins il pourrait dire quelque chose, ce qui était toujours ça.

« Oui je sais, Sak'esh et Tam'Ya Hune'Baenre, deux Prima Sanguis mais il est certain qu’ils ne sont pas seuls, je ne sais pas encore qui les a aidé mais ça n’importe pas, je les tuerais tous de toute façon. » Sa voix s’était refroidie au point d’en devenir glacée au fur et à mesure que les mots passaient ses lèvres. « Vous êtes des cibles potentielles pour tout le monde, les assassins peut-être plus que d’autres. Vous êtes des Princes Marchands, vous avez tous les deux une place au Conseil de Thaar, vous êtes des moyens de pressions pour obtenir l’aide de vos cités respectives, voir de Thaar elle-même, dans une guerre civile et c’est bien pour ça que vous devez partir dès que ma garde sera arrivée. »

Il lança un coup d’œil aux escaliers qui permettaient de descendre à l’étage et donc vers les chambres que les deux princes marchands avaient occupés.

« Ethirëlon, je suis le Grand Architecte du Puy, le maître des roches et des souterrains, on ne croisera personne et si c’est le cas, ma garde s’en occupera. D’ailleurs, Krish voulait te faire un cadeau, j’ai demandé à ce que l’amène ici, il devrait arriver en même temps que mes soldats, allez rassembler vos affaires nous partons dès qu’ils sont là. »

J’allais obtempérer, mais pas avant d’ajouter un mot à l’attention de celui qui ne se marierait pas.

« Si vous avez besoin, un jour, Geresh vous est ouverte. »

Je ne savais pas trop ce que je lui proposais, mais il souhaitait se venger et si je n’avais rien compris à ses autres explications, je pouvais deviner que ce n’était pas une mince affaire, je pouvais deviner qu’il y risquait beaucoup, il était un eldéen après tout. Je le lui avais proposé pour Krish mais aussi pour ce qui devait l’habiter à cet instant, ce qu’il ne m’avait jamais montré avant mais que j’imaginais le dévorer de l’intérieur. Mais ce n’était pas mon affaire, alors je ne restai pas et après avoir envoyé une esclave réunir tout le monde me ruai dans la chambre pour prendre tout ce que je devais garder avec moi. Il n’y avait pas grand-chose, mais je dus vérifier par trois fois que j’avais bien les deux choses qui comptaient plus que tout le reste. Puis je fis rentrer une esclave et elle me vêtit comme le long voyage qui venait me l’imposait. En quittant la pièce je me demandai si Krish y avait déjà dormi avant de m’essuyer les yeux et de partir pour de bon.

La garde de Myr’Hennis Vect arriva et j’étais aussi prête que je ne pourrais jamais l’être alors que les trois jeunes femmes m’encadraient et que Kamis suivait non loin.

J'hochais la tête, sans rien ajouter de plus et tournais les talons. J'entendis les mots prononcé par la dame de Geresh sans vraiment les entendre. Quelque part il était évident que nous avions une dette envers Myr'hennis, même si cela me déplaisait fortement. J'aurais fait pareil à sa place.

Je partit donc rassembler mes affaires. En voyant la malle dans laquelle reposait les vêtements que j'avais fait transporter jusqu'ici je réfléchis une minute à peine avant de décider. S'il fallait faire vite, je ferais vite. Je ferais racheter d'autres tenues une fois à Baaz'hima mais je ne m'encombrerais pas avec ces futilités. Je ne pris même pas la peine de changer celle que je portais. De toute façon je n'avais pas de tenue faite pour un départ en catastrophe...

Au final, c'est Pyk'sou sur mon épaule, qui par miracle semblait ne pas vouloir s'envoler je ne savais où,et avec seul mes objets les plus précieux, soit mon violon, que je retrouvais le chemin de l'endroit où nous attendais l'ex futur marié.

Je retint un soupir de soulagement à l'arrivé des gardes de Myr'hennis. C'était toujours agréable de savoir des épées prêtes à vous défendre non loin.

Je lançais un regard vers Aerianna.

-Allons-y.

Ainsi allaient les humeurs de ceux qui vous observent. Les plus grandes épreuves aux plus fervents. Les plus fervents avançant de jour en jour à travers les épreuves, jusqu’à ce qu’un jour la pente ne soit trop raide. Jusqu’à la chute. Fataliste, égoïste ou insensible, tu ne sais pas lequel des trois, mais la nouvelle de la mort de ton amie te heurta bien moins que les mots qui avaient été les siens là-bas à Sol’Dorn. Ainsi en allait-il des puissants, voilà tout. Et peut-être d’ailleurs un jour viendrait-il où ce serait ton tour.

Mais tu y penserais une autre fois. Pour l’instant, il te restait une mission à accomplir en l’honneur de celle qui s’était éteinte, un dernier vœu à exaucer pour que ses Braises puissent lâcher prise et à jamais trouver repos au Nahali. Il fallait que tu assures la continuité de l’Eda Vengeur.
Une minute de silence, c’est tout ce que tu avais pris avant que tes pieds ne se soulève pour ne plus toucher le sol, et qu’engoncé dans tes robes comme un sombre fantôme au visage pâle et à la joue rougie tu ne glisses à travers les couloirs du Puy. Les Princes-Marchands, tu savais leurs noms, tu savais le visage de ceux ayant daigné le montrer, et tu savais leur résidence. Ce que tu avais à leur dire, tu aurais préféré le faire de manière plus officielle. Attendre que le Feu d’Uriz fut marié à son clampin pour faire résonner l’appel à la guerre divine dans la salle, aux yeux de tous, et surtout de ceux que tu menacerais d’en devenir les cibles… mais il te faudrait finalement faire autrement. Parce que de cérémonie de mariage, il n’y en aurait pas.

L’agitation n’était pas encore à son comble, mais la nouvelle commençait lentement à se propager dans le ventre du Vatna. Bientôt la mort d’un tout jeune Règne laisserait place au chaos, et bientôt, il te reviendrait à toi ainsi qu’aux piliers de ce tout jeune règne de contenir la colère des vôtres. Ou de la rediriger. De trouver un ennemi commun…

- Halte ! ta voix de basse s’impose au petit contingent faisant route vers la sortie J’ai un message pour les Vaanis.

Tu poses le pied au sol, et t’avance en direction des deux crânes que tu reconnais être ceux du Prince de Baaz’Hima et de la Princesse de Geresh. L’autre… l’autre tu ne sais pas qui il est. L’autre tu n’as pas été prévenu de son arrivée, et donc tu ne saurais le reconnaître parmi la flopée d’esclaves humains se promenant dans le Puy. Pourtant c’est l’autre celui qui t’intéresse le plus.

- Quelqu’un pour traduire ? ordre plus que question, auquel le premier répondant te suffit Les Principautés Vaanies et l’Elda avaient des accords. Pas de sang versé ni par nous tes yeux vides ne regardent que vaguement dans leur direction, car tu as préféré donner à tes oreilles les meilleures chance d’entendre ni par vous, et nous tenions nos forces armées loin de vous. Malheureusement il semblerait que ces termes aient été brisés. tu laisses les mots résonner sans pour autant laisser le silence s’installer, car tu sais à quel point il serait dangereux Notre ancienne triumvir a été assassinée sur les terres des Principautés de Thaar. et là, il te faut tout ce que tu as en toi pour maintenir ton calme et ne pas éclater de rire face à cet heureux concours de circonstances Tout nous porte à croire que les Princes ne sont ni commanditaires ni bénéficiaires de l’assassinat, mais notre peuple… maintenant d’autant plus qu’il vient de perdre sa Reine, s’agite et réclame justice. tu fais un pas en arrière Que le Conseil de Thaar offre à nos armées de circuler librement à travers les Septmonts, que nous puissions nous venger des suppôts de Kerhel de Naélis. Autrement, c’est le Prince des Sept-Monts qui sera tenu pour responsable des événements ayant eu lieu sur ses territoires.

Des Eldéens. Auprès des deux Vaanis tu ne reconnais que des Eldéens. Le concours de circonstance continue de se tisser en votre faveur. Tout cela devient bien trop facile.

- D’ailleurs, Ascanio n’aurait-il pas dû être des nôtres ?

Raison de plus de l’inculper. Qu’il soit en retard ou tente de vous duper, l’occasion d’affoler les cœurs de ses compatriotes était trop belle. Le Père avait repris son avatar, mais ce faisant il avait propagé son feu.

J’étais beaucoup trop perturbée par tout ce qui nous arrivait pour m’inquiéter de voir un eldéen flotter jusqu’à nous et nous parler d’un autre assassinat. Combien y en avait-il ? Je reconnus à peine le titre de triumvir, me rappelant avec une larme que c’était le titre de Krish lorsque je l’avais rencontrée. Je n’avais jamais été si consciente du terrain miné qui existait entre l’Ithri’Vaan et le Puy d’Elda que maintenant, j’avais pris ce pacte de non-agression comme quelque chose de naturel et d’acquis, quelque chose qu’on méritait. Alors j’en viendrais dans les prochaines heures à une conclusion peut-être un peu trop hâtive. Tous ceux qui n’étaient pas venus étaient des idiots, tous ceux qui n’étaient pas venus mettaient en danger une paix sur laquelle reposait la survie de Thaar, un danger dont personne n’avait besoin quand j’avais vu tellement d’hommes et femmes en armes en si peu de temps dans la cité sous le volcan. Ascanio était de ceux-ci, mais il aurait dû être là ?

C’était quelque chose à garder, une première arme si je voulais confirmer ma place au sein du Conseil.

Je pris les devants et m'avançai d'un pas vers l'eldéen volant comme s'il ne me parlait qu'à moi. « Le Conseil de Thaar… » Je m’interrompis, personne ici ne devait savoir quoi que ce soit, surtout pas Ethirëlon, et peut-être pas même Myr’Hennis. Je n’étais pas dans le Conseil ou on ne savait en tout cas pas encore que j’y avais ma place, je ne pouvais encore m’avancer. Je jetai un regard en coin au Prince Marchand de Baaz’Hima avant de me reprendre. « Je vais rentrer directement à Thaar, j’en informerais son Conseil et le Prince Ascanio sitôt arrivée. Si vous êtes retenu à Baaz’Hima, Prince Ethirëlon. » C’était ce que les eldéens avaient besoin de savoir, la réalité pouvait encore être toute autre. La seule question que je me posais désormais était si je devais prendre le risque de jouer avec Ethirëlon, mais heureusement je n’avais pas besoin de réponse tout de suite et écouter ses prochains mots pouvait en apporter une. Je sentis le contact d’une main sur mon bras, Ehni s’impatientait, elle voulait partir.

Il aurait été tellement plus simple d’être la seule à être venue, il avait fallu que lui ne soit pas un idiot.

-Rien ne me retient à Baaz’hima lorsqu'il y a autant en jeu. Répondis-je à la jeune femme avec froideur avant de reporter mon attention sur le drow volant. Au moins on ne pouvait nier que celui-là avait le sens de la mise en scène… Je ne sais pas où se trouve Ascanio. 

Ma bouche se fendit d’un rictus agacé. Je ne savais pas ce qu’avait fichu cet idiot de prince de la soie. Avait-il répondu qu’il serait présent ici sans pour autant se montrer ? Dans quel but ? Insulter Krish ?
Il me ne me semblait pas qu’Ascanio soit de ceux qui appréciaient les eldéens. J’espérais malgré tout que ce que semblait insinuer notre interlocuteur était faux.

-Mais soyez assuré que le Conseil entendra votre requête le plus vite possible et prendra les mesures nécessaires avec l’attention qui leur est dûe. Il n’est pas plus dans son objectif de verser le sang Eldéen que Thaari Vous en avez ma parole, en tant que membre dudit Conseil.

Je posais machinalement une main dans les plumes de la chrivine qui plantait ses serres bien trop profondément dans mes épaules, ruinant un peu plus mon habit au passage. Le petit animal semblait aussi tendu que moi, même si je n’en montrais pas grand-chose.

En tout cas si le drow voulais que sa mise en garde soit entendue, il fallait qu'il nous laisse partir maintenant...J'en avais assez de ces galeries mal éclairées.