Entre cendres et verdure [Yriaë, Lœthwil]

Septième ennéade de Verimios, an X du 11ème cycle

Les journées s'écoulaient sereinement au sein du temple de Kÿria, dans une routine assez monotone mais finalement reposante pour Hecil qui avait trop souvent connu la folie chaotique des intrigues politiques du Puy d'Elda, où chaque seconde peut devenir la dernière en cas de mauvaise manœuvre.  Il ignorait toujours quel serait son sort, la Haute-Prêtresse ne semblant pas pressée de trancher bien qu'elle lui ait indiqué la veille avoir parlé de son cas avec certaines des personnes haut placées dans la hiérarchie elfique de l'Anaëh. N'ayant pas pu obtenir plus d'information sur le détail de ces entretiens, l'hybride-elfe n'avait pas insisté.

Lors de cette discussion, la Haute-Prêtresse lui avait également conseillé de se rendre au-delà des murs de la cité pour voir ce que les elfes nommaient pudiquement "la zone de renouvellement", c'est-à-dire là où s'était déroulée la fameuse bataille du lac d'Uraal. Guère convaincu au début par cette proposition, Hecil avait fini par accepter autant par curiosité que pour découvrir de nouveaux lieux dans ce monde qu'il découvrait un peu plus chaque jour. Sans être en prison au sens propre du terme, l'hybride-elfe passait tellement de temps au temple que le changement le tentait fortement.

Ce matin là, il quitta donc le sanctuaire, non sans avoir prévenu préalablement quelques prêtres du lieu où il se rendait. Sa "liberté surveillée" imposait d'agir avec franchise pour ne pas donner lieu à des soupçons de trahison que des elfes telles que la colérique Halya verrait dans chaque manquement de sa part. Les prêtres ignorant le détail de son histoire et supposant qu'il souhaitait simplement se rendre en pèlerinage sur une terre martyrisée mais rendue depuis à la nature ne firent aucune objection à sa demande, et bientôt Hecil marcha d'un pas léger dans les rues de la cité capitale que tant de ses congénères rêvaient de dévaster. Ses cheveux où se mêlaient l'ivoire et le noir, ainsi que sa morphologie plus massive que celle des elfes ne manquaient pas d'attirer l’œil toutefois il s'était rendu compte que la plupart de ses cousins retrouvés ne faisaient pas preuve d'une curiosité mal placée face à ces spécificités.

Il lui fallut une bonne heure de marche pour quitter les murailles puis arriver là où il le souhaitait. Non pas que la zone de renouvellement soit si malaisée à trouver, il suffisait tout simplement de prendre la direction dans laquelle la Nature semblait le plus peiner à imposer sa loi. Moins luxuriante, moins fournie qu'ailleurs, entrecoupée de carrés d'herbes médicinales, la zone de renouvellement laissait un gout amer en bouche, mélange de destruction et de renouveau élaborant un fragile équilibre que tout stimuli externe risquait de briser à nouveau. Nul besoin d'être très imaginatif pour deviner à quoi devaient ressembler cette zone à la fin du siège, même si depuis l'oeuvre de Kÿria tentait vaillamment de reprendre possession des lieux.

S'asseyant en tailleur au milieu d'un petit bosquet, Hecil se mit à méditer comme il en avait pris l'habitude depuis son arrivée à Alëandir. Que souhaitait donc lui monter la Haute Prêtresse en l'incitant à venir ici ? Des champs de bataille, il en avait connu des dizaines et même la désolation que l'on devinait encore dans la zone de renouvellement ne pourrait jamais égaler les paysages désertiques des ruines de Nisétis hantées par des hordes de deux-fois nés, victimes éternelles de la furie déclenchée par les osts de l'Elda. Fallait-il y voir un message sur la patience de la Nature face à la folie destructrice ? Yutar et Ellyrion pouvaient déjà lui apporter cette leçon. Alors quoi ?

Tout entier pris par sa méditation, Hecil ne fit pas attention à la présence qui approchait.

Voilà plusieurs ennéades qu’Yriaë s’était perdue. Non pas qu’elle avait oublié son chemin, ni qu’elle avait oublié le visage de l’œuvre de la mère… non l’égarement était d’un autre ordre. Et ce qui était d’autant plus difficile à vivre était de connaître les raisons d’une telle perte. Yriaë n’était plus celle que l’Anaëh avait connu pendant plus d’un millénaire. Dorénavant, la druidesse partageait sa vie avec une toute autre entité que son animal totem. Un être bien plus abject et machiavélique qui n’hésitait pas à s’adonner à diverses tortures dès qu’elle se sentait menacée d’une quelconque façon. Le vieux loup en avait fait l’amère expérience, sans oublier Sirir qui en avait payé de sa propre vie…

Voilà huit ennéades que l’incident avait eu lieu aux abords de l’Annon alors que la druidesse s’apprêtait à rejoindre son aimé pour mener un ultime combat. Jamais ne s’était-elle présentée au rendez-vous fixé par Estiam, jamais n’était elle venue prêter main forte à ces noss qu’elle avait pourtant convainque de venir se battre à ses côtés. La honte, voilà ce qu’elle ressentait au quotidien et elle grandissait à chaque heure qui passa. Honteuse de ne pas avoir accompli son devoir, honteuse de s’en être prit à des Frères, honteuse de ne pas avoir la force -et peut-être même pas l’envie- de contenir cette créature qui la dévorait de jour en jour.

Depuis qu’elle était en marche, deux autres druides avaient tentés de l’arrêter, deux de plus qui voulaient la sauver, dorénavant deux protecteurs de l’œuvre disparus. Yriaë se sentait coupable, terriblement coupable de ne pas être en mesure de combattre telle menace, elle qui a déjà dû faire face à une guerre ravageuse, la voilà désormais dépossédée de tout moyens de lutte face à son esprit pervertis.

« Pourquoi fuis-tu ?
-La réponse n’est-elle pas évidente ?
-Esssst-ce moi que tu fuis ?
-Je fuis toute trace de civilisation ou de clans qui seraient susceptible de te contrarier.
-Ce n’est pas amusant si je n’ai perssssonne avec qui jouer.
-C’est ton problème, le mien, c’est d’éviter que tu répandes plus de malheur encore.
-Mais tu aimes ça, je le ssssais.
-Tu ne sais rien sur moi, absolument rien.
-Naïve que tu es.
-Tu ne sais rien.
-Au contraire, je ssssais tout de toi, car je ssssuis toi. »

Un rire se fit entendre puis enfin revint le calme et le silence. La Druidesse continua son chemin, tenant de contourner chaque présence qu’elle estimait dangereuse. Loin l’idée qu’elle était effrayée d’être attaquée mais au vu des agissements de l’arachnide, il était préférable pour Yriaë se chercher la solitude absolue.

C’est à cet instant que la Symphonie d’ordinaire devenue si silencieuse exprima une vive curiosité. Yriaë s’arrêta net. Son cœur se serra et la peur s’empara immédiatement d’elle. Elle devait réagir au plus vite et fuir cet endroit en se transformant en son animal totem. Son but était simple : priver tout moyen à l’arachnide de prendre le contrôle et seule sa transformation en Fanuël lui permettait un temps soit peu d’avoir mainmise.

« Tiens donc. Qu’esssst-ce que cela ? »

Trop tard… Le visage de l’elfe millénaire changea radicalement, passant d’une peur panique à un sourire et un regard des plus malicieux. Yriaë n’avait plus le contrôle de rien, elle n’était dorénavant qu’un vieux souvenir enfouît perdue dans les limbes de son esprit où elle cherchait désespérément une porte de sortie, mais en vain.

L’arachnide s’approcha, doucement, furtivement tout en restant à l’écoute de la moindre bribe d’information que lui transmettait la symphonie. La curiosité pouvait être maladie, dans ce cas-ci, elle était plutôt transmissible.

Là se trouvait un homme… un semblant d’homme elfe. Pourtant, malgré une couleur de peau claire et des cheveux d’un beau jais, il avait la morphologie d’un drow. C’est là que le regard de l’arachnide pétilla : elle allait pouvoir jouer.

D’un bond, elle surgit entre les arbres et sauta sur sa proie qu’elle bascula vers l’arrière avant de s’éloigner en riant. Habillée d’une vieille robe déchirée à plusieurs endroits alors que ses cheveux étaient des plus ébouriffés, on aurait pu facilement comparer la druidesse à une sorcière mal lavée. Ce qui était un peu le cas.

« Interessssant »

Hecil méditait paisiblement, le calme envahissant son être alors qu'il se disait qu'au fond les raisons ayant poussé la Haute Prêtresse à l'envoyer dans ce lieu ne comptaient guère. Il y trouvait une sérénité plutôt appréciable, un état de paix intérieure qu'il lui arrivait d'atteindre de temps en temps depuis le Choix et qui lui faisait prendre pleinement conscience de la perte que son peuple avait subit durant l'Exode. A quoi bon la puissance du Puy, les complots machiavéliques et les osts avançant tambour battant si l'on perd cet équilibre intérieur dans lequel les tourments paraissent d'un coup bien éloignés ?

Sa méditation fut rompu lorsqu'il se retrouva projeté en arrière. Roulant sur lui-même avec agilité, il se redressa et fit face à...

...à quoi en fait ?

Elle ressemblait à une elfe, n'eut été sa tenue débraillée et ses cheveux auxquels le terme "ébouriffé" ne rendait pas justice. Moins poétique mais plus gastronome, Hecil les compara à une choucroute mal lavée. Le reste de l'elfe était à l'avenant et sa dernière douche devait remonter à la dernière averse tombée dans cette partie de la forêt. Se faire agresser par cette espèce de clocharde en puissance alors qu'il méditait sans déranger personne agaça au plus haut point l'hybride.

Non mais dites donc ! En voilà des manières !

S'étant relevé, il recula un peu pour garder l'agresseuse à distance tout en invoquant une lanière d'ombres qui s'enroula autour de son poignet droit, prêt à jaillir comme un serpent pour agripper la folle si elle lui sautait à nouveau dessus. Hecil ne souhaitait pas la blesser, mais ils se retrouvaient tous les deux seuls dans cette partie de la zone de renouvellement et cela imposait de disposer d'un sortilège défensif bien placé.

La folle... la folle...

Quelque chose clochait chez l'inconnue. Pas au niveau physique non, mais au niveau mental, au niveau de l'équilibre dans l'aura psychique qu'elle émettait tout autour. Si les yeux d'Haldren ne voyaient qu'une elfe débraillée, ses sens magiques repéraient pas moins de deux présences dans ce corps gracile. Cette sensation, peu perceptible tant de tels effets sont profondément enfouis en chacun, fit néanmoins mouche chez l'archimage qui avait rencontré quelques mois plus tôt la reine elfe de Naelis souffrant d'un dédoublement de personnalité suite à des rituels drows sur lesquels les âmes sensibles feraient mieux de ne pas s'intéresser. La dualité entre Glinaina et Ust n'était certes pas similaire à celle de l'elfe, mais Haldren retrouvait néanmoins certains facteurs communs, une systémique de cette folie soit innée soit causée par des facteurs extérieurs.

Un éclat de lassitude passa dans son regard d'émeraude.

Oh merde... pourquoi dois-je me taper toutes les elfes schizophrènes de cette partie du monde ?

De nouveau, l'ancien eldéen recula un peu pour garder la menace potentielle à distance. Avec des personnalités multiples, mieux valait rester prudent tant il ignorait quelle personnalité dominait dans le couple et quelles étaient ses intentions. L'attaque subie juste avant semblait indiquer une personnalité dominante plutôt antipathique ou dotée d'une faible capacité à juguler son agressivité naturelle. Toujours sur ses gardes, Haldren tenta d'établir un dialogue avec au moins l'une des deux moitiés de la folle.

Excusez-moi, mais... qui êtes-vous, toutes les deux ?

Voilà une rencontre qui allait se révéler être des plus intéressantes. Cette curiosité de la nature avait bien plus d’une surprise à offrir : l’ombre qu’il invoqua autour de son poignet ne pouvait prouver qu’une chose ; sa maîtrise de l’art de la magie. Et quelle magie ! Jamais n’avait-Elle encore eu l’occasion de faire face à l’immatérialité. C’était une première et cela ne faisait qu’attiser la curiosité malsaine de l’arachnide. Cet intriguant personnage ne s’était d’ailleurs pas contenté de faire apparaître son jouet, il avait également sondé l’esprit de la folle ; grave erreur.

Sa seconde erreur aura été de s’adresser à elles. Oui à elles et non à Elle. Car s’il y avait bien une chose que l’arachnide ne supportait aucunement, c’était d’être dans l’ombre de la véritable Yriaë. Rares étaient pourtant les fois où Elle prenait possession, où Elle dominait, mais lorsque celles-ci se présentaient, Elle aimait être la Seule.

« Qui NOUS ssssommes ? » Ria-t-elle en retour. « La véritable question que tu devrais poser est plutôt : qui ssssuis-je ? »

Son regard se noircit alors que ses poignets se serrèrent. Croyait-il réellement l’impressionner avec sa maîtrise de l’immatérialité ? Croyait-il que la puissance qu’il dégageait suffirait à la faire fuir ou à la forcer de la laisser en paix ? Fou était-il s’il s’était permis de croire cela.

« Je ssssuis Anwa Incánussssë. » Dit-Elle dans un murmure audible de sa seule personne alors que ses pas la menèrent doucement vers sa curiosité. Il avait montré sa puissance, c’était dorénavant à son tour de faire le spectacle.

Ses traits se serrèrent, son regard se transforma puis vint un sourire qu’on aurait aisément pu qualifier de pervers, voir de malsain. Doucement, la végétation qui entourait les deux être se mirent à dépérir à chacun des pas qu’Elle faisait. Tout devint mort. Tout devint noir. Et alors que l’arachnide s’approcha de plus en plus, qu’Elle fit spectacle de sa toute-puissance, Elle daigna enfin répondre à cette fameuse question :

« Qui ssssuis-je donc ? » Un pas de plus, un arbre mort. « JE. » un autre pas, deux autres arbres tombés. « SSSSUIS. » un autre, et la clairière entière s’était noircie. « ANWA. » plus proche encore et la mort s’étendait. « INCANUSSSSE. » Elle n’était dorénavant plus qu’à quelques petits mètres du mage immatériel. Tout deux se trouvaient dorénavant au bon milieu d’un vaste champ en décomposition.

Il s’était montré irrespectueux, Elle avait réagi en conséquence.

A l’avenir, il serait plus opportun de mieux choisir les mots employés.

HRP:

Admettons-le, depuis son arrivée en Anaëh notre héros sans peur ni reproche fait preuve d'une patience peu commune et qui aurait stupéfié ceux l'ayant connu durant sa longue période puysarde où sa caractéristique première se définissait comme un égocentrisme mégalomaniaque encore enseigné de nos jours dans les écoles de philosophie cognitive. Récemment pourtant, Hecil s'était fait régulièrement tabassé, malmené, menacé ou trimbalé comme un sac de patates avec une patience qui aurait causé l'admiration des moines zen adeptes de yaourts au lait de yak. Lui, un ancien Triumvir de l'Elda dont la seule volonté pouvait changer l'avenir de milliers de drows, se voyait réduit à un état de quasi-serviteur et il lui fallait toute la force de ses convictions envers Kÿria pour accepter cet état d'avilissement.

Mais là, merde ! Non ! pensa-t-il intérieurement en voyant le cercle de mort émaner de son adversaire. Il n'était pas venu méditer peinard dans cette zone en pleine reconstruction naturelle pour se faire agresser sans raison par une clocharde bipolaire schizophrène, quand bien même il s'agissait d'une archimagicienne.

Car oui, Hecil sentait toute la puissance émaner de l'elfe qui lui faisait face, une puissance aussi grande que la sienne et qu'il ne fallait surtout pas sous-estimer, une puissance apte à ébranler les fondations de l'Anaëh si elle se voyait employée à de mauvais desseins. Mais également une puissance tiraillée entre deux volontés rivales au sein d'un même corps, une puissance bridée par l'impossibilité pour l'un des deux esprits de l'exploiter pleinement avec la vitesse de réaction qu'impose la haute magie. Anwa ne se trouvait pas seule aux commandes, et quand bien même la seconde personnalité ne semblait pas en mesure de la stopper pour le moment, le peu de résistance dont elle faisait preuve devait créer un effet semblable à celui d'une corde mouillée sur un arc... la flèche part moins loin.

En tout cas, ce qu'arrivait déjà à faire Anwa malgré ce "partage" de personnalités laissait présager de bien sombres heures si elle accédait à l'ensemble des pouvoirs de son hôte forcée. A Naelis, la disparition de Glinaina au profit d'Ust aurait créé un sacré chaos politique, ici en Anaëh le danger pouvait se révéler encore pire bien que plus insidieux. Haldren se souvint qu'un des noss à Yutar avait évoqué des disparitions mystérieuses de druides depuis quelques mois. Se pouvait-il qu'Anwa ait quelque chose à voir avec cela ? Son agression injustifiée laissait bien deviner un caractère atrabilaire et destructeur.

Hecil hésita... il pouvait certes se téléporter à Alëandir et sonner l'alerte, prévenir la Haute Prêtresse qu'une druidesse folle se baladait non loin de la capitale, mais le temps qu'une expédition soit lancée pour contenir le danger, Anwa risquait d'avoir disparu dans l'infinie boisée en attendant une meilleure occasion pour frapper. L'autre solution comportait plus de risques car il lui faudrait alors se confronter à un esprit férocement malveillant. Toutefois, que penserait donc Kÿria si elle le voyait tourner talons face à un danger menaçant la forêt ?

Anwa Incánussssë ? Ce n'est pas toi qui m'intéresse mais l'autre, répondit avec un dédain tout aristocratique l'ancien eldéen.

La vague télékinésique jaillit à l'instant même où une expression de colère indignée put se lire sur le visage de l'elfe, Anwa n'ayant apparemment pas bien reçu cette marque de dédain calculée volontairement à dessein de lui faire perdre temporairement sa concentration. Le bâton que portait l'elfe et qui luisait doucement de magie, le désignant comme son focalisateur, lui fut arraché et se retrouva projeté à une dizaine de mètres de là.

Tu n'es pas la bienvenue en ces lieux, Anwa Incánusë !

La main de l'archimage jaillit et se plaqua sur le front de l'elfe. Une confrontation physique entre les deux archimages risquait d'avoir des conséquences désastreuses pour la zone environnante, sans parler du risque de blessures. Or, si Hecil ne tenait pas spécialement à voir la perfection de son corps remise en cause par des entailles impromptues, il ne tenait pas non plus à blesser physiquement son adversaire. A l'inverse, un duel mental ne rayonnait que dans la trame des arcanes invisible au commun des mortels. Un observateur arrivant à cet instant aurait juste vu un hybride et une elfe face-à-face, pareils à deux statues de cires immobiles.

L'hybride et l'elfe ne se voyaient plus par leurs yeux mais à travers le filtre de leur esprits, et Anwa apparut alors à Hecil dans toute son horreur. Grouillante de pattes, moche à vomir et couverte de touffes de poils rêches, l'araignée qui enserrait dans ses rets l'elfe donnait surtout envie de lui taper dessus avec une tapette géante. Mobilisant son pouvoir dans un bras de fer mental avec Anwa, l'archimage tenta de la forcer à relâcher son emprise sur Yriaë tout en hurlant pour essayer de réveiller celle-ci de sa semi-torpeur.

Réveille-toi, druidesse ! Reprends le contrôle !

L’action fut aussi rapide qu’inattendu. Anwa ne s’attendait pas à ce que l’hybride réagisse –ou qu’il soit si malin, d’ailleurs. La voilà dorénavant délesté de son bâton, totem druidique mais également focalisateur. Dans le désarroi le plus total, l’arachnide voulu faire volteface et courir pour le récupérer, car sans celui-ci, la voilà dorénavant délesté d’une grosse partie de sa puissance.
Mais elle n’eut pas le temps, car son adversaire fut aussi rapide que fourbe ; le voilà dorénavant dans son esprit. Plus un geste, plus aucun mouvement, la druidesse était comme paralysée, figée d’effroi par cette intrusion. Elles étaient déjà deux à occuper l’espace, voilà qu’un étranger s’était invité à la fête, ce qui mena Anwa à ressentir plus de rage encore.

La scène –si toutefois, cet instant pouvait porter ce nom- était cocasse. L’homme mage faisait dorénavant face au véritable visage du monstre : une seconde personnalité dont la forme, mi-arachnide-mi-humaine ne prêtait pas à quelconques mamours. A ses pieds se trouvait la véritable Yriaë, celle qui avait le même corps et le même visage que la druidesse qu’il croisa dans « le monde réel », moins crasseuse toutefois, précisons-le, prisonnière d’une cage formée de toiles épaisses et semblait se débattre pour en sortir.

L’appel d’Haldren fut entendu mais n’obtint aucune réponse si ce n’est qu’un cri aigu provenant de la monstruosité à huit pattes.

« Allez vous-en ! » Lâcha Yria dans un dernier cri de désespoir. « Je ne peux pas... » Cette fois-ci, elle murmurait, se laissant doucement sombrer dans le chagrin. « Elle est trop forte. »

L’arachnide ria d’un franc rire avant de s’adresser à l’étranger ; « Sors d’ici. Je ne te permets pas. SORS D’ICI, ELLE EST A MOI. »

C’est à cet instant que des souvenirs commencèrent à se former autour d’eux. On y voyait le vieux loup, mentor d’Yriaë, tenter en vain de la soigner, la scène continua alors sur des séances de tortures toutes plus violentes les unes que les autres. « Regarde ce dont je suis capable. »

D’autres souvenirs apparurent et cette fois-ci, il put assister au meurtre de Sirrir, un autre druide, qui lui, était suffisamment épris d’Yriaë pour tenter de la secourir ; encore une fois, en vain. « Je suis capable de bien pire, alors SORS D’ICI. »

Yriaë de son côté commença à perdre pied face à ces scènes douloureuses. Le vieux loup figurait parmi les druides les plus respectés de l’Anaëh, et Elle en avait fait un monstre. Sirrir était un druide avec qui elle partagea beaucoup, pourtant Elle l’avait tué de sang-froid.

Se laissant doucement sombrer, Yriaë fit apparaître inconsciemment d’autres souvenirs. Un visage se forma petit à petit puis un elfe, grand, fort, musclé et huilé à souhait fit son apparition. Sa longue tresse blanche ne laissait aucune place au doute : il s’agissait d’Estiam.

Son visage lumineux semblait appeler la druidesse encore et encore, mais malgré son appel, le regard d’Yriaë semblait s’éteindre.

HRP : un jet de dé sur 20 a été effectué (en accord avec Yriaë) afin de savoir quel serait le résultat des tentatives de Hecil pour la libérer. De 1 à 6 Anwa est détruite, de 7 à 12 Anwa perd le contrôle mais reste présente, de 13 à 18 Anwa garde le contrôle, 19 ou 20 c'est Yriaë qui est détruite. Et le résultat est... il faut lire le post pour le savoir !

Hecil eut une légère moue face à la scène de torture pour le moins répugnante du vieux loup que fit revivre Anwa sous ses yeux. D'autres scènes toutes plus cruelles les unes que les autres se succédèrent alors que l'arachnide extrayait de la mémoire d'Yriaë les horreurs qu'elle l'avait forcé à accomplir sous son contrôle. L'elfe emprisonnée dans le cocon de toiles épaisses sombrait peu à peu face au poids de la culpabilité, car au-delà de la violence des actes en eux-mêmes, il s'agissait de druides lui ayant été proches pour autant que Hecil puisse en juger. En tout cas, s'il avait encore eu le moindre doute quand à la nature psychopathe d'Anwa, ces scènes auraient suffit à l'effacer définitivement.

Tu crois m'impressionner, arachnide ? demanda posément l'ancien eldéen.

Pour un Triumvir de l'Elda, ces scènes de tortures, aussi horribles soient-elles, demeuraient de joyeux amusements pour enfants comparées à certaines des pratiques que les prêtres de Kiel faisaient subir à leurs prisonniers lors des rituels consacrés à honorer leur divinité démente. Néanmoins il fallait admettre qu'Anwa avait su faire preuve d'une imagination fertile durant ces atrocités malgré le peu de matériel de torture à sa disposition, preuve qu'un bon artisan ne se définit pas uniquement par les outils à sa disposition.

La véritable surprise pour Haldren vint de l'apparition de Loethwil à ses côtés, musculeux et divinement huilé, simplement vêtu d'un pagne en fourrure qui lui moulait le paquet. Que venait donc faire le Noss dans l'esprit de cette folle ? Et surtout vêtu ainsi ? Certes Loethwil ne brillait pas par sa capacité à s'habiller décemment, toutefois sa présence indiquait l'existence d'un lien entre lui et la druidesse. Étaient-ils amants ? Ou simplement faisait-elle partie de sa famille ? De ses amis proches ? Trop de questions et trop peu de réponses, qu'Anwa balaya de l'actualité immédiate en invoquant de nouveaux souvenirs pour remuer plus profondément encore le couteau dans la plaie de la culpabilité d'Yriaë.

Assez ! rugit l'archimage en concentrant toute la puissance de sa volonté sur l'arachnide.

Un champ de force apparut autour d'Anwa, la forçant à se recroqueviller et faisant éclater en une multitude d'infinies fragments les images d'horreurs qu'elle avait invoqué autour d'eux. La sueur coulant sur son front de par l'effort nécessaire pour maintenir sous son emprise mentale une puissance comme celle qu'il affrontait, l'archimage s'adressa à l'elfe qui gisait avachie comme un sac de patates dans la cage.

Libère-toi ! Cette cage fait partie de toi, druidesse ! Je ne peux pas la briser, toi seul peut y arriver !

Dans un premier temps il n'y eut pas de réaction puis les yeux de l'elfe s'entrouvrirent comme si sa volonté tentait de reprendre le contrôle de son corps. Un tressaillement parcourut ses bras qui se crispa dans un effort pour se redresser avec autant de difficultés que si une montagne entière lui avait pesé sur les épaules.

Libère-toi ! Elle n'a d'emprise sur toi que par ta culpabilité ! Acceptes le passé, tu ne peux rien y changer mais tu peux éviter d'autres meurtres !

Hélas Yriaë resta muette et amorphe et ses paupières se refermèrent lentement (jet de dé à 13) tandis qu'Anwa ricanait sadiquement derrière le champ de force, bien consciente que l'intrus ne pourrait pas demeurer éternellement bloqué ainsi avec elles et qu'après son départ elle retrouverait le contrôle de ce corps. A défaut d'autres solutions, Haldren se résigna à employer un moyen toujours efficace bien que manquant de la subtilité habituellement nécessaire aux sorciers. Sa tentative pour briser la cage mentale de la druidesse ayant échoué, il lui fallait néanmoins la neutraliser le temps que de l'aide plus conséquente lui arrive en renfort.

L'ancien Triumvir coupa brutalement la connexion mentale, se retrouvant de nouveau dans la zone de renouvellement face à la clocharde dépenaillée qui reprenait elle aussi ses esprits. Hecil se rabattit donc pour cesser le combat sur la méthode dite de "la patate de forain", également appelée "le revers patriarcal" dans certains milieux autorisés, son poing jaillissant dans un magnifique uppercut qui cueillit la druidesse net sous le menton et l'envoya aux pays des rêves. La jeunesse agitée d'Haldren l'avait amené plus d'une fois à participer à des échauffourée de tavernes au Puy, et il eut un sourire satisfait en constatant qu'il n'était pas trop rouillé dans ce domaine. Puis il grimaça et se massa la main en geignant car cela faisait affreusement mal aux jointures des doigts.

Et merde, j'en fais quoi désormais de cette timbrée ?

L'idée de l'abandonner à son sort se révélait tentante mais peu en ligne avec les préceptes moraux que Hecil tentait désormais de suivre. La tuer constituerait certes une solution au problème Anwa sans cependant être réellement envisageable. Si ? Non, Yriaë n'est pas Maélyne, la résurrection ne fonctionnera pas dans son cas. A défaut de solution plus durable, Hecil invoqua des cordages d'Ombres et s'en servit pour saucissonner l'elfe afin d'éviter qu'à son réveil elle ne recommence pas à l'attaquer. Il lui fallait trouver Loethwil puisqu'elle le connaissait, lui seul semblait en mesure de l'éclairer sur l'identité de l'inconnue et lui indiquer quoi en faire. Cependant, revenir en ville avec ce paquet encombrant pouvait poser problème et causer quelques échauffourée, sans compter que l'hybride ignorait si l'elfe était considérée par les citadins comme une meurtrière à arrêter.

Mais comment trouver le noss ? Il se trouvait probablement à Alëandir puisqu'il y avait tout récemment donné son magnifique spectacle son et lumière sur la place Tyral. Une idée germa dans l'esprit de l'hybride en se remémorant sa dernière rencontre avec son geôlier temporaire... et il invoqua une créature d'Ombres dont la forme se trouvait être très particulière et en tout cas peu courante. Entre ses mains apparut une fée aussi ténébreuse que la nuit, d'une vingtaine de centimètres de haut environ, très semblables à celles qui avaient accompagné Loethwil et Hecil en Annon puis à Yutar quelques ennéades auparavant. Semblable ? Oui, à un détail près : le visage de la créature était une réplique exacte en miniature de celui d'Hecil lui-même.

Implantant dans l'esprit de la fée d'Ombres des images de Loethwil, l'archimage lui désigna la direction de la cité d'Alëandir.

Trouve-le. Trouve-le et guide le jusqu'ici.

Une fois la créature partie, Hecil s'assit en tailleur et se mit à veiller sur Yriaë. Il ne lui restait plus qu'à attendre, à espérer que sa créature trouverait Loethwil et que ce dernier comprendrait le message.

Ici tout était nouveau. Les sons déformés émanant d’une végétation dans un perpétuel duel avec la pierre, les reliefs étranges, irréguliers, sans réelle logique, qu’étaient les bâtiments, les odeurs contradictoires qui se côtoyaient… Ilweran explorait avec amusement ce qui avait été ton monde pendant de longues années. Fort d’une métamorphose durant laquelle il fut éloigné de toi, le dragon-fae exerçait son indépendance dans les rues et le ciel d’Alëandir, s’imprégnant d’une culture bien différente de celle des elfes qu’il a jusqu’ici connu. Il n’y a guère que tôt le matin, lorsque tu allais te recueillir auprès de l’Estel, chercher la guidance de la Sylve et te tenter à écouter les Chants venus du lointain qu’il t’accompagnait. Chaque jour tu te rassurais d’entendre que l’urgence n’était pas encore sur vous. Pour ce que tu en savais, tu aurais le temps de faire honneur aux responsabilités confiées par le Régent ; ça et tu aurais le temps de te donner du temps.

Les dernières années avaient été intenses. Physiquement. Mentalement. Psychologiquement. En une poignée de saisons, tu avais médité plus de neuf siècles et demi de vie. Aujourd’hui, grâce à La Mère, tu en cueillais à peine les fruits que tu étais déjà prêt à les dévorer. C’était trop tôt. Bien trop tôt. À Alëandir tu as des connaissances, des camarades, des amis, de la famille qui doivent te redécouvrir, et que tu dois redécouvrir. Tu ne peux pas te faire Gardien de l’Œuvre si tu n’es pas Gardien de tes frères. Tu ne peux pas être Gardien de tes frères si tu t’arraches à eux pour agir en solitaire.
Après tout, ce sont Amdir, Ringeth et Rhewil les véritables Veilleurs du tout jeune Rigwenn’do. Tu n’en es qu’un messager. Comme le sont les Druides. Tes alliés ne t’en voudraient pas de te laisser aller à tes errances, tant que la forêt n’appelle pas. Après tous les efforts que tu venais de déployer, tes alliés ne t’en voudraient pas de prendre le temps de te reposer.

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Ton épaule craque, un frisson traverse ton corps. Les jointures des phalanges d’un grand elfe à l’apparence nerveuse s’enfoncent sans ménagement dans le moindre sillon de ton dos. Parfois… souvent même, tu te trouves forcé de souffler la douleur, et chaque fois que tu soupires, tu regrettes un peu plus l’adresse de Delgerenil. Mais peut-être si tes séances d’exercices étaient plus souvent suivies d’un massage comme celui offert par le Lëandrin ton bras se remettrait-il plus vite. Ne dit-on pas après tout qu’il faut souffrir pour guérir ?

Comble de la provocation, c’est lorsque viendrait le temps pour ton bienfaiteur d’adoucir l’exercice, et à peine les odeurs des essences imprégnées dans ta peau que ton cœur commencerait à accélérer son battement, pris de malaise. Quelque chose n’allait pas. Quelque chose perturbait ton univers de perception, quelque chose de minuscule, mais d’ô combien marquant. Une magie étrangère, non… une magie connue. Tu tenterais de garder ton calme jusqu’à ce que le masseur ne laisse échapper un cri de surprise, et force tes yeux à se rouvrir sur une créature d’ombre à l’apparence digne d’une mauvaise blague.
Tu te redresses, sourcils froncés et claque de la langue, toujours persuadé être le dindon de la farce, te demandant ce que pouvait bien te vouloir le seul être à ta connaissance capable de maîtriser de ce genre de sortilèges ; jusqu’à ce que tu te rendes compte de la détresse qu’affichait le visage de la créature d’ombre, miroir de celui de L’Egaré. Ce n’était pas une farce. C’était un appel à l’aide.

- Veuillez m’excuser, c’est une urgence.
- Mais, heru, vous…

D’un large mouvement de tes paumes,  tu tiras de longs filaments aqueux sur ton chemin jusqu’à la sortie de l’établissement, où d’un saut tu les tressas en l’oiseau de glace qui t’emporta dans le ciel d’Alëandir à la poursuite de la créature d’ombre, vers l’extérieur de la Cité.
C’est vers Ilweran, sentant ta contrariété, qu’allèrent tes pensées suivantes. Même s’il s’y épuisait, il ne te rattraperait pas à temps, et les Sombres harmoniques que tu entendais susurrer la sylve, maintenant que la hauteur te délivrait de la chambre d’écho de pierre te poussaient à lui urger de te laisser te charger seul de ce qui t’attendrait là-bas. Pourtant tu fis tout de même un détour, vers le petit dragon, pour le prendre dans ton sillage. Peut-être n’étais-ce pas raisonnable, mais tu en ressentais le besoin. Il n’était plus un poupon, et ce n’était pas vers un second Yutar que tu allais. Il était temps pour lui de vivre le danger avec toi plutôt qu’à travers toi.

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Tu te tins face à lui durant quelques instants, la mine grave. Debout de toute ta hauteur, les orteils creusant la terre ; les muscles encore engorgés par la conjugaison des efforts fournis plus tôt à l’entraînement, puis durant le voyage ; la peau portant toujours le lustre des essences que l’on venait à peine d’y étaler ; la pudeur à peine sauvée par le morceau de tissu reposant confortablement sur un langot bien encombré. Ta respiration était lourde, et la lente ronde aérienne d’Ilweran autour de vous rendait la situation d’autant plus dramatique.
Tu t’imposais à l’hybride comme une force de la nature plus que comme un elfe, mais ton regard traduisait de l’incompréhension plus qu’il ne l’accusait de quoi que ce soit.


Tu ne tardas pas à aller te saisir du corps d’Yriaë, la prenant doucement dans tes bras, comme craignant de la réveiller. Et c’est autant pour la protéger elle que pour vous protéger d’elle que tu te montrais aussi précautionneux. Il ‘y avait qu’une puissante magie de Vie pour laisser de pareilles traces. Yriaë n’allait pas bien.

- Hecil. Tu retrouves contact visuel avec l’ancien Eldéen Que s’est-il passé ici exactement ?

Et pendant ce temps, à Alëandir, un pauvre masseur se demandant si tu penserais à venir récupérer tes vêtements.

Combien d'heures s'étaient écoulées depuis le départ de la fée d'Ombre en direction d'Alëandir ? Pas tant que ça aurait dit Hecil qui avait néanmoins perdu toute notion du temps. Par chance l'elfe dormait toujours lorsqu'enfin le noss les retrouva, vêtu en tout et pour tout d'un morceau de tissu ne répondant même pas aux exigences minimales de la pudeur. Bien évidemment, Hecil ne serait pas Haldren s'il n'avait pas entamé la discussion par une remarque à ce sujet.

Dis donc Loethwil, se balader quasiment à poil avec le service trois-pièces en évidence, c'est ma marque de fabrique. Tu n'essayerais pas de marcher sur mes plates-bandes, là ?

L'ancien drow le plus sexy de tout l'Elda n'épilogua toutefois pas plus sur le sujet, la véritable problématique à traiter n'étant pas leur tenues vestimentaires respectives mais la druidesse folle au sujet de laquelle le noss attendait des explications.

Ce qu'il s'est passé ? J'étais venu voir la zone de renouvellement et je méditais tranquillement quand elle -l'hybride désigna Yriaë- a surgi de nulle part pour m'agresser. Elle prétend s'appeler Anwa Incánusë et ceci -cette fois il désigna le cercle de mort autour d'eux où gisait pitoyablement de la végétation en décomposition- est son oeuvre.

Pendant les explications de Hecil, Loethwil avait pris précautionneusement dans ses bras le corps de la druidesse. La prudence restait de mise, car même sans son focalisateur que Hecil avait mis de côté par sécurité, Anwa pouvait d'un coup rejaillir et attaquer à vue. L'araignée ayant agressé l'hybride sans aucune raison un peu plus tôt, nul doute qu'après la mandale de forain qu'il lui avait envoyé, elle serait d'autant plus énervée.

Cette druidesse souffre d'une sorte de schizophrénie. J'ai pu plonger dans son esprit et j'y ai bien vu deux personnalités, celle d'origine se trouvant prisonnière de cette Anwa... on dirait une sorte de femme-araignée assez dégueulasse, je n'ai aucune idée d'où elle est apparue mais cela vient probablement d'un profond traumatisme ou d'une magie incontrôlée... bref je te passe les détails. N'arrivant pas à bannir Anwa de la tête de cette elfe, j'ai du l'assommer pour éviter qu'elle ne cause plus de dégâts.

La fée d'Ombres revint se poser entre les mains de l'archimage qui la désinvoqua après l'avoir remercié pour son aide. Non pas que les créatures de cet autre plan d'existence soient particulièrement à cheval sur la politesse, mais Haldren estimait que les bonnes manières devaient être respectées envers tous et toutes.

Des souvenirs de toi se trouvant également dans son esprit, j'ai pensé que tu la connaissais et que tu serais mieux à même que moi de savoir quoi faire.

Tu n’es pas venu ici par plaisir, et si tu prends plaisir à remplir ton devoir devant la Prime Déesse, cette situation particulièrement est loin de t’être agréable. Né de nouveau ou pas, ta patience en ces conditions est trop fragile pour t’autoriser à rire des plaisanteries d’un nabot Eldéen craignant de devoir remettre sa virilité en doute.
Ton premier amour va mal, mal au point de s’être retournée contre l’Œuvre qu’elle aime tant. Tout pousse à croire que ce n’est pas un mal nouveau. Toi qui sais ce que c’est que de lutter contre des pulsions violentes, meurtrières même, tu ne peux qu’imaginer la lutte intérieure ayant précédé un tel accès de brutalité, comme tu peux imaginer celle qui doit se jouer encore en ce moment. Ce n’était pas un mal nouveau, mais depuis quand ? Depuis quand se battait-elle ? Depuis les débuts du ralliement ? Depuis le jour de votre séparation ? Peut-être depuis encore plus longtemps… et tu n’avais rien vu.

À aucun moment tu ne t’en étais soucié, parce qu’à aucun moment tu n’aurais pu imaginer qu’elle soit en proie à ce genre de démons. Quand elle se tenait loin des rassemblements des clans, tu l’imaginais veiller sur vous, pas vous fuir. Son absence lors de la prise de Yutar, tu en avais été déçu, mais tu restais convaincu que ses raisons étaient bonnes. Comment ? Comment une élue, choisie par l’Anaëh en tant que l’une de ses favorites, pouvait-elle en être arrivé là ?

Un mauvais pressentiment t’en fit porter le blâme.

C’est la mort dans l’âme que tu changeas ta prise sur la druidesse pour libérer ton bras faible, et que de ton bras faible tu te retrouvas à invoquer tes compagnes élémentaires. Pas de fée incandescente cependant. Seulement des jumelles d’écorce de pierre, et une aquatique solitaire.

- Anwa Incánussë tu dis…

Tu t’assieds, reprends Yriaë contre toi des deux bras, ton pouce caressant sa joue. Anwa Incánussë, la maîtresse de l’esprit… l’usurpatrice.

- Je ne connais pas une créature en Anaëh dont la magie aurait été capable de lui infliger ça. Tu baisses les yeux vers la druidesse endormie En Aduram peut-être, mais je suis absolument sûr qu’elle n’y a jamais posé le pied. Pas la peine de réessayer de bannir Anwa par la force, on ne chasse pas facilement un Souffle de son propre corps.

Ton front se pose contre celui d’Yriaë, ton pouce continue de la cajôler, et la fée des eaux se rapproche. Ton focaliseur à ton oreille s’imbue d’une douce chaleur, qui se propage par la suite sur ta peau, partout où courent les traits d’or. Plus que cristalline, l’onde constituant l’élémentaire se fait étincelante, et d’un mouvement de la fée, une part des courants mystique vient vous envelopper Yriaë et toi. Des arceaux se forment autour de vous, dessinant une sphère parfaite, à cela près que son mur ne fut pas plein. À l’intérieur de la sphère l’atmosphère s’allège, se faisant apaisante caresse.

- Elle et moi avons une histoire tu confies à l’hybride, sourire mélancolique au visage Avec un peu de chance, je pourrai l’atteindre et la ramener à la raison. Tu soupires Et si les mots ne suffisent pas, je risque d'avoir besoin de toi. et tu le pensais très sincèrement Il faudra que tu me ramènes au plus près d’elle.

Et à partir de ce moment, plus un mot n’échappa d’entre tes lèvres. Ton cœur était avec Yriaë, et ton esprit était en prière. À la Mère tu implorais qu’elle vienne rassurer sa fille, à la Dame-Ecume tu priais qu’elle apaise son Souffle, à l’Amant tu suppliais qu’il lui rappelle ce qu’est l’amour et à Mëlien tu adressais tes remerciements pour t’avoir accordé par ses eaux sa force de guérison. En espérant que cela suffise.

Et dans ta détresse il y avait une chose à laquelle ni toi ni lui ne sembliez penser. Pas de faux piège cette fois. Pas de drogues. Pas de marché. Seulement toi au plus fort de ta vulnérabilité. Le simple fait qu’Ilweran se soit tranquillement posé aux côtés de l’Egaré laissait aisément comprendre que par lui tu ne te sentais plus menacé. Restait à aussi prier La Mère que tu ne te sois pas trompé face à ce qu'elle t'a inspiré face au Drow repenti.

Le choc assomma la druidesse au point de sombrer dans l’inconscience le plus complet. Là, un nouveau combat s’engagea ; Yriaë pouvait à nouveau faire face à l’arachnide. Celle-ci, toujours prisonnière de son cocon de toile s’affaiblissait d’heure en heure et continuerait de se consumer tant qu’Anwa gardait le contrôle.

« Tu vas finir par me perdre. » Chuchota-t-elle à l’encontre de son double maléfique.
« Et je sais que ce n'est pas ce que tu veux.
- Bien sssssûr que non. Tu m’es préccccieuse.
- Alors libères-moi.
- Non ! Impossible tant que je ne me serais pas délectée d’un peu de sang frais !
- Tu ne gageras pas facilement face à ce mage, il est trop puissant pour toi.
- Perssssonne ne peut me vaincre ! PERSSSSONE M’ENTENDS-TU ?! »

L’arachnide se fit menaçante et s’était approchée au plus près de l’enfant de la Mère. Ses multiples yeux la scrutaient et quiconque pouvait lire un regard d’arachnide aurait pu aisément comprendre l’inquiétude grandissante qui naissait au plus profond d’Elle. Car même si Elle se délectait de chaque moment où Elle prenait possession du corps, Anwa ne se voyait pas vivre sans Yriaë. Et si cela venait à arriver, la druidesse ne serait plus qu’un archimage mélancolique errant de bois en forêts dans un seul but : faire part au monde qui l’entoure la haine et la peine qu’elle ressentait. Le champ de mort ne ferait que s’étendre encore et cela, Yriaë ne pouvait le permettre.

Le duel de regard prit fin lorsqu’une voix familière vint capter l’attention d’Yriaë, une voix qui résonna d'un lointain endroit.

« Estiam ? »

La réaction de l’arachnide, cependant, fut tout autre. Elle poussa un cri strident et se mit à faire les cents pas, accumulant colère et haine jusqu’à ce qu’enfin, elle en posséda suffisamment pour se libérer de l’état inconscient du corps.

Là, ses paupières s’ouvrirent subitement sur la vue d’un visage beaucoup trop près à son goût. D’un geste rapide et vif, Anwa se redressa pour ensuite maintenir Estiam fermement au sol, ses mains autour de son cou.

L’étreinte se referma de plus en plus tandis que le visage de l’elfe se crispa sous la force qu’elle déploya pour étouffer l’archimage.

« Tu ne me la reprendra pas. ELLE EST A MOI ! »

Ce n’est pas Yriaë que tu venais de réveiller. Du moins, pas exactement. Anwa te considérait visiblement comme un danger, une menace à éliminer, et elle ne prit pas la peine d’attendre avant de se mettre à l’œuvre. Privée de focaliseur, sans sa magie, qu’importe, l’arachnide n’avait pas la patience d’attendre une meilleure occasion. Ses doigts se saisirent de ta gorge, te forçant une déglutition douloureuse, et menaçant de t’étouffer.

Si c’est un duel de force brute qu’elle voulait, elle choisissait mal son adversaire.

D’un mouvement conjoint du torse et des jambes, tu te soulevais, arrachant en même temps Anwa de tout contact avec le sol, avant de te saisir de ses bras et de totalement renverser la situation. Ses deux poignets dans ta main gauche, forcés contre son sternum, et ses pieds maintenus au sol par ton genou, tu la retenais non seulement de tout ton poids, mais avec aussi avec plus de force qu’il n’en faudrait pour maintenir quelqu’un d’un gabarit bien supérieur au sien. Non, la magie n’avait pas été ta seule dans l’Aduram.
Les rubans de la sphère d’eau s’accélérèrent autour de vous. Une goutte éclaboussa ton cou rougi, et en apaisa quelque peu la douleur. D’autres suivirent, perlant aléatoirement sur elle comme sur toi. Il fallait que tu arrives à passer au travers de l’exosquelette de l’arachnide, pour atteindre ses parties souples. Il fallait que tu tranches à travers la colère que renvoyaient en écho les plantes souffreteuses autour de vous dans leurs soupirs agonisants. Il te fallait aider celle que tu aimes à vaincre sur elle-même.

- Je dirais plutôt le contraire. Tu affiches un sourire fier, presque provocateur Tu es à elle.

Tes yeux plongent dans ceux de la druidesse, y cherchant une étincelle de sens, tentant de s’accrocher à la moindre parcelle de douceur qui se cache derrière la folie.

- Arrête de te battre Yriaë. Tout ira mieux si tu arrêtes de te battre contre ta propre colère. Tu souffles, raffermissant encore un peu ta prise sur une Anwa se débattant bec et ongles Tu as été choisie par l’Anaëh, oui. Tu as une mission envers l’Œuvre. Et pour accomplir cette mission, tu as besoin de tout ce que tu es. À lutter contre toi-même, tu finiras juste par te détester… et tu vois toi-même là où ça te mène.

Et il n’y a personne de mieux placé que toi pour en parler. Toi qui as été touché par la Dissonance, dont l’Aduram a fait glisser jusqu’à la surface les plus féroces pulsions. Tu as été mis face à ce que tu es et que tu ne voulais pas être, et tu en as souffert. Un temps. Tu en as souffert parce que tu t’étais retrouvé face à des vérités déjà présentes depuis bien longtemps, mais que tu avais simplement choisi de taire. Le genre de vérités qui poussaient à la folie les elfes fatigués de lutter avec elles. Le genre de vérités à l’origine du mal de l’éternité, rongeant le Souffle de ceux qui n’ont plus rien d’autre de nouveau à penser pour s’en dissimuler.

- Je sais ce que c’est que de faire un monstre d’une part de soi-même, et crois-moi, tu ne te sentiras jamais aussi bien qu’après avoir accepté que ce qui a donné naissance à Anwa est une part d’Yriaë tu rapproches ton visage du sien, la mine fermée Ne laisse juste pas cette part de toi devenir tout ce que tu es. Tu es bien plus que ça.

Maintenue au sol par une force colossale, Anwa ne put s’empêcher d’émettre un rire sardonique. Son regard plongé dans celui de l’archimage, Elle n’hésita pas à le provoquer. « Que croyais-tu ? Bien évidemment que je ssssuis à elle, tout comme elle est à moi. Vas-y. Qu’attends-tu ? Fais-lui mal. » Un nouveau rire, plus franc, plus exprimé.

Mais là où l’elfe mâle aurait pu la broyer plutôt aisément au vu de la force qu’il pouvait déployer, c’est par la voie des mots qu’il tenta de toucher Yriaë en plein cœur. « Elle ne t’entends pas. Tu parles en vain, Elfe. » Pourtant, au fil des goutes qui ruisselaient sur son corps et au fil des mots prononcés, son visage se raidi, transformant ses traits en une grimace de douleur. Le contrôle lui échappait, et cela, Anwa ne le supportait pas. Au fil des gouttes, une à la fois, Yriaë reprit place petit à petit. Le corps de la druidesse se mit à convulser sous le poids toujours pesant de l’archimage.

Cela ne dura que quelques instants, quelques petites minutes tout au plus mais à la fin, ce fut l’inertie totale. Les bras et jambes perdirent de leur force alors que le visage s’apaisa. Le regard changea également, laissant la douceur prendre le relais sur la malice et la haine. Ses lèvres, moins crispées se mirent alors à murmurer quelques mots.

« J’ai échoué, Estiam. J’ai échoué car l’œuvre m’a choisie alors que moi, au lieu de la choisir elle, je t’ai choisi toi. »

D’autres gouttes vinrent mouiller son visage tandis que sa voix se fit plus tremblotante.

« J’ai fait des choses horribles, Estiam. Je ne pourrais jamais… jamais me le pardonner. »

Ressentant soudainement l’envie de caresser l’une des joues de son aimé, Yriaë tenta de libérer l’une de ses mains, en vain. Ce qui amené la druidesse à en être que plus attristée encore.

« Il faut que cela cesse. Pardonne-moi. »

Son regard se ferma et son visage se raidit. La femme amoureuse venait de dire adieu à son amour, laissant place à la druidesse, qui durant un instant s’enquit de la terre et du chant lointain de ses Frères. En dernier lieu vint la mage ; l’archimage. Une puissance qui pouvait se montrer destructrice, bien plus encore sans aucun focalisateur ; mais elle se devait de réparer ses torts, elle se devait de redonner vie, même si pour cela, elle devait se nourrir de son corps.

Un flux d’énergie se concentra de plus en plus autour d’Yriaë alors que le sol fleurissait. Et au plus la vie s’étendait, au plus celle-ci la quittait.

Elle t’entendait. Si Anwa t’entendait alors Yriaë t’entendait. Quoi que puisse dire l’arachnide, tu n’abandonnerais pas celle que tu aimes pour autant. Elle est haine, elle est colère, elle est frustration, mais elle est aussi mensonge. Tu ne cèderais pas aux mensonges. Les mensonges finissaient toujours par se briser. Ton souffle se faisait plus long chaque seconde qui passait. Les battements de ton cœur restaient en suspens à chacun de ses mouvements. Tu attendais que l’être complet ressurgisse, que la douceur refasse surface, que celle qui pense te réponde.
Les premiers mots prononcés par Yriaë finirent par t’arracher les larmes qui embuaient tes pupilles.

- Tu n’as jamais eu à choisir Yriaë. Ta voix se fait murmure, oxymore de la force avec laquelle tu la tiens toujours Tu n’as jamais eu à choisir…

La Mère ne punit pas l’amour. La Mère elle-même a aimé. Si La Mère vous a offert de connaître ce sentiment, c’est pour que vous puissiez librement jouir du bonheur auquel il donnait naissance. Si La Mère vous a offert de connaître ce sentiment, c’est parce que la puissance des liens qu’il crée n’a pas d’égal. La Mère vous a fait libre pour que vous connaissiez l’amour. La Mère vous a fait libres pour que vous puissiez l’aimer ; et La Mère vous a fait libre de vous aimer, car en vous aimant vous célébriez d’autant plus profondément sa Création.

Le langage des mots, le langage des sons, le langage des signes, le langage des sensations, la Symphonie des arbres, ils existaient pour unir la Prime Œuvre. Mais l’amour, l’amour véritable était l’union parachevant tous ces liens. L’amour véritable leur donnait un autre sens. L’amour véritable quand il était nourri nourrissait en retour les cœurs qui le pratiquent. Et les cœurs qui le pratiquent n’en devenaient que plus capables d’aimer. Et les Souffles ainsi liés ne pouvaient que plus aimer celle qui leur avait tant offert.

- Je ne t’en veux pas Yriaë. Tu n’as pas à chercher mon pardon. Tu n’as besoin que du tien. tu desserres ta poigne, la soulève et la prend contre toi, désespérant de l’arracher au reste du monde Tu n’as pas échoué. Quoi que tu aies pu faire, aussi horrible que ce soit, tu n’as pas échoué. Pense à tout ce que tu as déjà fait de bon, pense à tout ce que tu pourrais encore faire pour l’Œuvre durant l’éternité que tu as devant toi ! tu la serres contre ton torse, lui pose une bise dans le cou, et les eaux se font toujours plus vives autour de vous Rien ni personne n’est inexcusable. Il n’est pas question de pouvoir pardonner, seulement de le vouloir.

Mais elle continuait, elle continuait de fuir, elle ne t’écoutait pas, elle donnerait raison à Anwa, et pour quoi ? Pour faire reverdir l’herbe morte, pour rendre aux fruits saisis leur jus, pour rendre aux fleurs leurs pétales. Autant de choses qu’elle ferait si facilement pour peu qu’elle ait eu son focaliseur en main. Autant de choses qu’elle pourrait faire encore mieux, et des siècles durant, si elle restait en vie. Elle ne faisait pas amende honorable, non. Elle ne payait pas ses dettes. Elle jetait sa vie en l’air, pour fuir la culpabilité.

- Yriaë, stop ! Arrête ! ton étreinte se resserre, comme si tu pouvais ainsi l’arracher à la trame Tu n’as pas à choisir, Meloia… tu as… tes sourcils se froncent … tu as gagné… et en désespoir de cause, tu lui voles un baiser à la fois d’une extrême tendresse et plein d’amertume, probablement le dernier qu'il vous sera à jamais donné d'échanger choisis, choisis l’Anaëh. tu déglutis avant de reprendre, la voix éraillée par les sanglots Mais vis ! Sers l’Œuvre pour le reste de ton existence plutôt que de la jeter comme un déchet !

Le mouvement des flots qui vous entourent prend halte brusquement, et l’eau retombe sur vous comme la pluie, alors que tu te retournes, donnant vers l’ancien Eldéen du coin de l’œil.

- Son focaliseur Haldren tu hurles, en panique Rends-lui son focaliseur !

Je tiens à préciser en préambule de ce post que son intérêt vis-à-vis de l'évolution du rp peut s'apparenter à celui d'une ammonite pour les variations du cours de la saucisse à la bourse de Francfort. En soi, une scène de ménage entre Loethwil et Yriaë pourrait être marrante, mais comme les injures ne fusent pas et que la vaisselle de grand-maman ne sert pas de projectiles, il me sera difficile de motiver Hecil à s'y intéresser.

Hecil donc était resté assis en tailleur peinard sans bouger, en mode "je m'en bats les couilles et le flanc gauche". Il ne lui manquait plus qu'une pizza et une maillot de supporter du club de foot d'Alëandir pour compléter le tableau. Beauf, vous avez dit beauf ? Ce n'est que lors du cri de Loethwil qu'il daigna enfin se bouger le fondement et attraper le focaliseur de la druidesse qu'il lui plaça de force dans la main, non sans se demander si ce n'était pas complètement crétin comme idée.

Soit Yriaë utilisait le focaliseur pour stabiliser son pouvoir et se calmer, soit Anwa reprenait le dessus et la situation risquait de dégénérer encore plus. Obéissant mais pas con, l'hybride fit donc plusieurs pas en arrière, bien décidé à ne pas prendre de risques inutiles dans cette histoire à laquelle il ne comprenait finalement pas grand chose. Cette action d'une rare intensité me permettra de clore ce post de remplissage et à repasser la main aux deux vrais héros de l'histoire.

C’était extrêmement dangereux et elle connaissait entièrement les risques. Mais ce qu’Elle avait fait, tout ce mal, toute cette haine et cette mort qu’Elle avait répandu au travers de son être, de sa magie, de sa connexion avec la symphonie… Bien trop de malheur avait été répandu par sa faute, et elle était prête, Yriaë, la druidesse, la gardienne de l’Oeuvre choisie par la Mère… Prête à rattraper ses erreurs et à rendre à ce champ en décomposition une seconde vie au péril et au prix de la sienne.

C’était son compter l’intervention de son aimé, qui, par divers subterfuges tenta de la déconcentrer et de la ramener à lui. Des simples mots jusqu’aux tendresses pour finir par un baiser si rarement échangé depuis qu’ils s’étaient tous deux avoués leurs sentiments. Ce contact, si court soit-il rappela à Yriaë au combien elle l’aimait, au combien elle l’avait tant cherché mais surtout au combien elle l’avait fui depuis leurs retrouvailles.

Anwa était apparue peu de temps après le front mais elle prit naissance bien des siècles auparavant. Les racines du mal remontaient bien avant qu’Yriaë ne deviennent gardienne car sa rencontre avec le jeune elfe, cette si courte rencontre avait déjà marqué son cœur et son esprit au point où, sans l’avoir jamais avoué, elle douta de sa véritable vocation.

Car pour Yriaë, défendre l’Anaëh ne pouvait se faire qu’en solitaire, sans former aucune attache car les gardiens se devaient de se donner corps et âme à l’œuvre qu’ils avaient décidés de protéger. Jamais n’avait elle songé que ces deux moitiés pouvaient coexister en harmonie… jusqu’à ce jour, jusqu’à ce fameux baiser au goût si amer, au goût de trop peu.

L’énergie qui s’entoura, la traversa, s’estompa peu à peu.

Son regard miroitant chercha celui d’Estiam alors que l’hybride génétiquement modifié (HGM pour les intimes) posa son focalisateur entre les mains. La chaleur se concentra cette fois-ci au travers de celui-ci et la zone ne fit que refleurir de plus belle.

« Ninya melmë… »

Sa main vint enfin quérir la joue tant désirée, y apposant une fine caresse avant que ses paupières ne viennent à se fermer, laissant ainsi la druidesse sombrer dans un doux sommeil réparateur.

Pourtant ce sommeil s’annonça agité au vu du combat qui lui attendait… Debout face à une immense étendue d’eau, l’elfe fixa l’horizon puis son reflet qui s’afficha de manière assez troublée à la surface du liquide bleuté. Yriaë put y apercevoir les deux parts d’elle-même : la druidesse amoureuse de son destin, de sa vocation, de son rôle auprès de l’œuvre de la mère ; mais aussi la seconde partie d’elle-même, celle qui se baptisa Anwa. Celle-ci représentait la haine et la rancœur de ne pas pouvoir assumer ses sentiments plus personnels. Oui, l’arachnide représentait le côté sentimental de la druidesse, celui qu’elle avait très longuement refoulé.

« Tu ne peux vivre ssssans moi et tu le ssssais.
- Oui, je le sais, et je ne désire pas vivre sans toi car tu es moi et je suis toi. Je suis l’enfant de l’œuvre, toi tu es l'enfant de la vie. Je suis la sagesse et la dévotion, toi tu es l’amour et la passion et l’un ne va pas sans l’autre. La sagesse n’est rien sans l’amour et la dévotion n’est que synonyme de passion. A présent je l’ai compris et je l’accepte ; je veillerais sur l’œuvre tout comme je veillerais à aimer librement celui que j’ai toujours tant désiré. J'ai dorénavant comprit ton message. Va à présent, ma soeur. »

Le bois de cerf revint aux mains de la druidesse, et ton souffle se coupa. Tout se décidait maintenant. Les visages sans yeux de tes élémentaires la surveillaient avec une froide sévérité, tandis que ton cœur espérait ne pas avoir à exploser. Tu aimes Yriaë de tout ton être, mais de la même manière qu’elle a pu devenir un monstre parce qu’elle craignait son amour pour toi empiéter sur celui qu’elle vouait à l’Œuvre, tu étais prêt à te faire arme de justice si ce monstre te prouvait être tout ce qui reste d’elle. Il y a peu de situations plus douloureuses que de se préparer à l’idée d’être le meurtrier de sa moitié. Ce que Lœthwil endurait, Estiam n’y aurait peut-être même pas survécu.

Le cœur d’Estiam se serait certainement arrêté trop tôt pour l’autoriser à profiter du contact de la paume de la Gardienne de l’Œuvre contre sa joue. Lœthwil lui eut tout loisir de lui poser un ultime baiser dans le cou de celle qu’il tenait entre ses bras.

- Merci tu te retournes vers l’hybride Comme quoi ton retour à tes racines n’aura pas profité qu’à toi.

Une mélodie nouvelle traverse les jardins ressuscités. Un ode que n’avait jusque-là jamais encore attisé la druidesse. C’était pour elle autant que pour toi. C’était pour vous, pour les deux Gardiens faits un. C’était pour célébrer votre amour. Bercé par la Symphonie, Ilweran glissa de ton épaule vers le ventre de celle que tu portais, pour se lover entre vous deux.
La mélodie était pour vous, mais elle était aussi pour lui. L’hybride qui venait de vous rassembler. L’Eldéen qui avait su aller outre son orgueil, et demander de l’aide pour apaiser plutôt qu’affronter. L’Archimage ayant accepté d’agir comme s’il n’avait pas été assez puissant pour éliminer son agresseur.

- Je m’occupe de l’emmener au calme. Tu appelles une fois de plus la sphère d’eau curative des doigts, vous imposant à Yriaë et toi son joug le temps du chemin Si ça te dit, tu es mon invité.

Tu pris donc le chemin des quartiers extérieurs de la Cité, et durant de longues minutes tu en longeas presque les bordures extérieurs, jusqu’à atteindre une habitation individuelle, aux murs partout percés de gigantesques fenêtres et rongés par des plantes à fleurs et à fruits détonnant d’avec ce que l’on pouvait trouver ailleurs dans les jardins, dont les tiges trouvaient leur source dans une cour attenante. À l’intérieur la décoration était éparse, l’ameublement peu fourni, si ce n’était en étagères. Raison pour laquelle l’endroit paraissait plus chargé qu’il ne l’était réellement, l’omniprésence de livres, de grimoires, de parchemins, remplissant autant les étagères et les bibliothèques qu’ils ne traînaient à gauche et à droite. Le fruit d’une vie de recherches, d’hypothèses, mais aussi de contemplation et de loisir. Des pages dont les contenus allaient de traités de magie aux dessins et descriptions de créatures d’Aduram, en passant par des rappels des conseils de tissage de ta mère et des partitions incomplètes.

- Bienvenue chez moi. Tu laisses tes yeux se perdre dans ton propre capharnaüm Mets-toi à l'aise.

Avec la plus grande des délicatesses, tu arrachas de là où elles avaient pu s’imbiber toutes les gouttes laissées sur ton passage, et brisas la sphère aqueuse. Yriaë fut confortablement installée dans ton lit, face à une fenêtre donnant sur l’une des parties les plus denses des jardins. Ici, la Symphonie résonnait encore fort. C’est sans s’en rendre compte pour cette exacte raison que Lomiòn avait choisi l’endroit. Petit, tu t’endormais tellement plus facilement ici qu’à l’Académie.

Ilweran garda place auprès d’Yriaë tandis que tu fouillais tes placards à la recherche des derniers trésors qui y étaient cachés. Tu laissas tomber le langot pour offrir tes jambes et le bas de ton torse à l’exosquelette végétal, tandis que le haut de ton corps trouverait le confort d’un manteau d’un tissu à la fois extrêmement doux et extrêmement fin, dont la teinte légèrement jaunie laissait ton corps aisément apparent.
Les muses avaient fait des merveilles de son imagination. Tu étais tombé amoureux de la dernière création de ta mère dès la première fois où tes yeux s’étaient posés dessus. Te donnant une apparence ambigüe, quelque part entre l’élégance des Cités et la fraîcheur Sauvage, te faisant presque ressembler à une immense version des petits êtres ailés qui te parrainaient depuis ta nouvelle naissance, et portant même, pour peu que tu décides d’y ajouter le chapeau en aileron pensé pour l’accompagner, quelques gouttes d’esthétique Vaanie… l’habit était un véritable résumé de ta vie.

- J’ai encore du mal à croire qu’on en soit arrivé là. tu confies à l’ancien Eldéen, décidant de laisser ton chapeau à sa place sur les étagères Dire que j’ai toujours pensé un jour me retrouver dans la situation inverse. Tu jettes un œil sur la belle assoupie Je n’aurais jamais imaginé Yriaë perdre pied une seule seconde. Même sous la pression elle m’a toujours paru tellement et maintenant seulement tu comprenais le malaise d’Halyalindë devant ta face cachée sereine.

Sans mot dire, Hecil suivi les deux elfes tout en s'étonnant sur l'existence d'une demeure à Alëandir appartenant à Loethwil. Le viril chef noss aux muscles huilés et au muatra gigotant ne vivait-il pas exclusivement au sein de la forêt, entouré de jeunes éphèbes en pagne dévoués à satisfaire tous ses caprices les plus pervers ? Apparemment non, il pouvait également choisir de regagner le confort de son logement citadin pour fumer la pipe au coin du feu tout en caressant un vieux matou ronronnant sur ses genoux.

D'un coup, Loethwil vient de perdre dix points de charisme.

Accusant la déception, l'hybride l'accompagna et découvrit une demeure à laquelle le terme de capharnaüm ne rend pas pleinement justice. Sans doute l'architecte avait-il conçu cela de manière rationnelle à l'origine mais des siècles de présence d'un archimage associés à l'envahissement de la nature donnait à l'ensemble une touche... excentrique. Un agent immobilier elfe tel que Glewindel Plaza aurait probablement vanté un bien attrayant nécessitant quelques menus travaux pour en exploiter tout le potentiel, idéalement placé non loin des centres d'intérêts de la capitale.

Mais soyons honnête, dans son état actuel c'était juste un foutu bordel.

Ayant réussi à mettre la main sur un fauteuil et après en avoir débarrassé les livres qui l'encombraient, Hecil s'assit et suivit du regard Loethwil tandis que ce dernier allongeait Yrïae qui ne s'était toujours pas réveillée. Après le choc émotionnel et la dépense anarchique d'énergie magique, rien de vraiment surprenant, il fallait surement s'attendre de la part de la druidesse à de longues journées de sommeil plus ou moins comateux dont elle ne s'extrayerait péniblement que pour satisfaire des besoins naturels.

Sinon Loethwil devra se débrouiller pour la torcher, ne comptez pas sur Hecil !

L'ancien eldéen ayant remarqué qu'il venait d'utiliser depuis trois paragraphes le même principe narratif et craignant de fatiguer le lecteur par ses digressions incessantes, il revint au sujet et à Loethwil qui en avait fini dans l'immédiat avec Yrïae, laissant la druidesse à la garde vigilante du dragon-fae. Beaucoup de choses venaient d'arriver en peu d'heures, beaucoup de choses dont il ne comprenait même pas la moitié tant restait flou à ses yeux le lien exacte unissant la mystérieuse druidesse au noss en armure végétale.

C'est ta femme ?

Franc, direct, subtil.
Oppan Haldren style.
Haldren style.

- J’aurais aimé que ce soit si simple.

Elle était celle que tu aimais depuis toujours, un fantôme du passé dont le souvenir t’avait accompagné durant de longs siècles. Elle était le visage auquel tu pensais lors de tes pèlerinages, quand aucun autre ne trouvait tes faveurs. Elle était ton lien avec l’Anaëh, une figure de perfection et de symbiose avec l’Œuvre. Elle avait été un souvenir négligé, un fantasme inassumé, alors qu’en ce temps-là, en Estrévent, la Solitude te poussait entre les bras d’autres.

Yriaë était celle que tu ne pouvais qu’admirer, celle que tu n’aurais jamais. Celle que tu ne pouvais pas toucher. Yriaë était le rêve d’un adolescent, une grande druidesse dont la délicate démarche avait marqué le cerveau en plein changement. Il fut un temps où Yriaë était ton béguin.
Ce n’est qu’en côtoyant la mort, lorsque le Mage Noir lui-même s’amusa de ta pugnacité, que tu réalisas la place qu’elle occupait en ton cœur. Ce n’est que là que tu réalisas qu’elle ne fut pas mise sur ta voie par erreur. Ce n’est que là que tu te rendais compte qu’il t’était possible de construire quelque chose avec elle.

Et elle t’avait détruit.
Et tu l’avais détruite.
Et vous deviez entièrement vous rebâtir tous les deux.
Vous le feriez ensemble.

- Ça fait quelque temps maintenant qu’elle et moi nous sommes rapprochés, tu jettes un coup d’œil en arrière, vers elle mais elle était jusque-là mariée à l’Anaëh et à l’Anaëh seule. tu t’assieds à ton tour Je pense qu’elle réalise à peine qu’éprouver des sentiments pour quelqu’un n’est pas trahir son premier vœu. Alors… c’est particulier comme départ, mais je pense qu’aujourd’hui, on commence enfin à réellement construire quelque chose.

Et encore une fois, c’était grâce à lui. Douce ironie du destin.