Le chemin des pierres [ PV Yriaë ]

Le vieux loup

Courant entre les arbres, la jeune Yriaë était quasiment à bout de souffle. Elle venait de parcourir une longue distance, souhaitant échapper à une meute de loups, qui pour une raison dont on ignore, a décidé de la poursuivre sur des miles. La jeune apprentie venait de faire un parcours sans faute lorsque finalement, une racine cachée dans l’ombre la fit chuter plutôt violement mais surtout lamentablement au sol.  C’était l’erreur à ne point commettre car cela a permis à la meute de l’encercler rapidement. Retournée sur le dos, elle regardait ces prédateurs qui s’approchaient de plus en plus, menaçant de la happer à ses jambes. Elle leurs criait dessus, souhaitant se montrer menaçante avant de marmonner quelques incantations. Mais ceux-ci ne firent qu’apparaitre de jolies fleurs rapidement piétiner par la vingtaine de pattes. On entendit alors le hurlement d’un loup et les autres se mirent à baisser la queue et à reculer. Soulagée, Yriaë savait que son maître s’approchait, mais cela signifiait que c’était la fin de l’exercice. « Tu as échoué, encore. » Lui dit-il en apparaissant près d’elle. « Je sais… je n’y arrive pas. J’ai beau essayer… Je n’y arrive pas !! »

L’apprentie se releva, mais baissa les yeux. S’en voulait-elle d’avoir encore échoué ? Ou s’en voulait-elle de ne plus être assez motivée pour réessayer ? « Yriaë… » Pouvait-elle entendre, relevant toutefois la tête pour voir s’éloigner son maître déçu.

Le vieux loup prit quelques instants, loin de son apprentie, loin de sa protéger pour réfléchir. Il se remémora ses anciens enseignements, ceux qu’il reçut lui-même lorsqu’il avait le même âge qu’Yriaë. Pourtant, il ne se rappelait pas avoir souffert d’un tel manque de confiance. Perdu dans ses pensées, il finit par baisser sa garde. Ce n’est qu’une branche cassé sous l’effet d’un pied posé au mauvais endroit qu’il revint à lui. Dorénavant face à face, ces deux elfes se regardèrent un instant. Le Vieux loup ne s’attendait pas à faire rencontre aujourd’hui alors qu’il venait de quitter un clan quelques jours auparavant. « Je suis ravi de vous croiser, Fille. » finit-il par dire.

De son côté, Yriaë n’avait pas suivi son maître et finit par s’engouffrer dans les bois, de son côté, marchant sans réelle destination. Sans doute avait-elle besoin de solitude.

D’un regard compatissant, le vieux Loup afficha un sourire. « La forêt peut prêter l’oreille lorsque l’on est plus capable de lui prêter la nôtre. » Répondit-il à l’encontre de cette Fille. « Seulement, il faut vouloir lui parler pour que son attention soit acquise. » continua-t-il en l’invitant de la main à s’assoir près de lui. Il avait l’habitude qu’on vienne lui demander conseil mais rarement avait-il lui-même conseillé de le faire. Cette Fille semblait en avoir réellement besoin, le vieux Loup l’aiderait au mieux en inculquant la parole de Kÿria. « Que disent donc vos troubles ? »

De son côté Yriaë continuait de marcher. Se promenant entre les arbres, tête baissée alors que son visage affichait une vilaine moue. Elle réfléchissait à ce qui l’empêchait de continuer, à ce qui l’empêchait de réussir. Cela faisait maintenant plus de deux siècles qu’elle était l’apprentie du vieux Loup. Deux siècles qu’elle avait quitté son clan pour le suivre. Peut-être était-ce ça le problème, après tout, elle les avait quitté précipitamment, cherchant son père entre les arbres en hurlant son nom. La petite Naaru qu’elle était n’avait déjà pas connue sa mère, mais n’était qu’un poids pour son père.

Marchant sans réellement faire attention, une voix vint la ramener à elle. Quelqu’un semblait chantonner. Elle le cherchait un instant, se dirigeant au son qu’elle entendait. Yriaë souhaitait trouver cette personne, par curiosité, bien évidemment mais elle ne refuserait finalement pas un peu de compagnie, surtout si celle-ci différait de son maître. Marchant entre les arbres, le son se fit plus fort, plus proche, pourtant elle ne vit personne. Elle s’arrêta, cherchant du regard cet elfe qui chantait ne se rendant pas compte qu’il était au-dessus d’elle, perché sur une branche.

« Quel épineux sujet qu’est l’éducation des êtres que la Mère nous octroie. » Le vieux Loup n’a jamais eu de Fils ou de Fille. Mais il guida plusieurs apprentis qu’il finit par aimer comme ses propres enfants. Oui, ces esprits jeunes et fougueux sont difficiles à guider, oui il faut parfois avoir une certaine poigne pour les remettre sur le droit chemin. Une mère seule peut très bien y arriver si toutefois celle-ci n’est pas empreinte à un trop grand chagrin. Le vieux Loup sentit en elle cette détresse qu’il souhaitait absolument effacer. « Un enfant de la Mère nécessite beaucoup d’attention. » Le vieux Loup avait par habitude de parler lentement, espaçant ses phrases. « Et l’attention, vous lui en portez assez à en croire la détresse et l’inquiétude que vous ressentez pour lui. » Il refit une pause. « Il entend différemment ? Hum… » Un air interrogateur apparu sur son visage, il réfléchissait. « La magie est une énergie qui parcoure librement ces lieux. C’est un don tout comme un privilège de pouvoir entendre cette énergie de la Mère. » Il laissa passer encore quelques instants. « Si je puis me permettre, Fille, pourquoi son père n’est-il pas auprès de lui ? »

De son côté, Yriaë n’avait toujours pas bougé. Mais il ne fallut pas longtemps pour que sa solitude se transforme rapidement en une formidable rencontre. Là, devant elle, se trouvait un enfant, ou plutôt un jeune adolescent. Yriaë le surplombait de plusieurs dizaines de centimètres mais cela ne semblait pas le gêner. Celui-ci, peu timide, lui adressa directement la parole, comme s’ils se connaissaient depuis toujours. En réponse, elle lui offrit un sourire dans un premier temps. « Voilà donc d’où vient ce chant si mélodieux. » Finit-elle par dire. « Je ne souhaites que l’entendre à nouveau… Alors, je t’en prie, chante jeune Frère, chante. »

Il pouvait exister plusieurs situations qui entraînaient ce genre de séparation. Deux clans dont les ainées sont en conflit alors que les enfants finissent par s’aimer. Un clan enclin à la sédentarité alors que l’autre ne fait que passer. Il existe bon nombre de situation qui malheureusement peut amener à la séparation de deux êtres qui s’aiment. « Si votre cœur estime que votre Fils a besoin de rencontrer son père, je serais d’avis de le soulager en le laissant le rejoindre. Chaque enfant de la Mère a besoin d’être guidé, si vous estimez ne plus en être capable, Fille, alors je vous conseillerais de le laisser suivre le chemin que la forêt lui aura tracé. » Ses mots sonnèrent profondément autour d’eux, comme si la voix du Vieux Loup s’imprégnait de la puissance de la Forêt.  Comme si la Forêt elle-même s’adressait à la jeune femme alors que le doux chant de la symphonie venait soulager ses maux.

Yriaë de son côté écouta attentivement le chant du jeune enfant. Il dit pouvoir l’entendre, il dit pouvoir le comprendre et le transmettre. Cela intrigua fortement l’apprentie druide, sa curiosité en fut des plus attisé. « Sais-tu que la Mère façonne chaque être à son image, jeune enfant ? » Commença-t-elle après s’être légèrement approché pour ainsi pouvoir chuchoter. « Elle a plusieurs visages, certains de ses attraits sont plus connus que d’autres. Tu as sans doute hérité de l’un de ses aspects les plus rares. Tu es différent, mais cela fait de toi quelqu’un d’unique, quelqu’un d’important aux yeux de la Mère. N’en soit pas triste, n’ai pas honte de cette différence car c’est ce qui fera ta force lorsque tu auras appris à la maîtriser. » Un sourire rassurant vint s’afficher sur son visage. « As-tu d’autres chants à me faire écouter ? »

L’enfant se montra parfois adolescent. Ce qui fit largement sourire Yriaë. Elle voyait en lui ses années où elle pestait souvent le vieux Druide. Ces années où l’insouciance régnait encore en son cœur. Même si depuis, elle avait grandi, tant en taille qu’en âme, Yriaë ne pût s’empêcher de comprendre cet enfant, si différent. Il l’invita à la suivre, curieuse et ravie, elle ne put qu'emprunter ses pas. Son camp n’était pas si éloigné, et alors qu’ils venaient de parcourir l’œuvre durant une vingtaine de minutes, l’imposant chef se montra. Elle croisa le regard qu’il jeta à l’enfant et elle pût alors comprendre toute l’ampleur qu’il devait subir. Pourtant, elle ne dit point mot, même si elle était l’élue de Kÿria, elle n’était encore qu’apprentie. C’est là qu’elle aurait voulu voir apparaître le vieux Loup. Mais rien d’un quelconque canidé n’apparût dans sa vision.

De gestes simples mais emplit d’un grand respect, elle salua le chef, puis les autres membres du clan. Un léger sourire s’afficha sur son visage, puis elle prit le bras d’Estiam pour l’entraîner un peu plus loin. « Tu sembles appartenir à un clan de tisserands. » lui dit-elle après avoir remarqué les outils que transportaient certains elfes. « Serais-tu prêt à me montrer votre art ? Je suis curieuse de connaître… d’apprendre ce que les enfants de la mère peuvent faire de leurs mains. » Commença-t-elle, excitée à l’idée d’écouter le jeune adolescent. « Raconte-moi votre histoire, je veux tout savoir ! Dis-moi tout ce que tu sais ! » La jeune apprentie allait certainement mettre le vieux Loup en colère d’être partie aussi longtemps, mais la curiosité était trop forte. Prenant la main d’Estiam, elle l’invita à s’assoir avant que son regard ne plonge dans le sien, ses oreilles aux aguets, prête à dévorer le moindre mot qui sortira de sa bouche.

L’apprentie druidesse n’eut même pas le temps de lui dire qu’elle trouvait son travail remarquable. Ce tissu d’un bleu éclatant était si doux au touché qu’une brise qu’on ressentait sur son visage. Happé par une elfe qui devait sans doute être sa mère, Yriaë le regarda partir en se levant. Son regard suivait cet adolescent et elle se mit à espérer qu’il finira par accepter sa différence. Elle ne connaissait point son nom mais son visage et son sourire étaient dorénavant gravés à jamais dans sa mémoire.

Quant au tissu, elle voulut dans un premier temps le confier à un membre du clan, mais alors qu’elle tendit sa main, le hurlement d’un loup se fit entendre dans la forêt. L’apprentie fit volte-face et s’y engouffra en courant, emportant avec elle le travail de cet enfant.