Le parfum de merde [Pv Louis]

HRP:

Mi première ennéade de Karfias, an X du XIe cycle,

De retour dans le pays berthildois, les limiers de Kelbourg ne s’arrêtèrent qu’un bref instant dans la cité de leur seigneur. De là, ils purent montrer leurs prises et s’attirer les faveurs. Après tout ce temps à arpenter le royaume dans le but de retrouver le ou les commanditaire(s) des sabotages de Beltrod, ils arrivèrent avec le sentiment du travail presque accompli. Car pour autant, le travail restait encore inachevé. Les gaillards chopés grâce aux connivences d’un camé sybrond, restèrent encore muets pour la plupart. Fort heureusement, il leur fut accorder le grand honneur de passer sous les mains maîtresses et habiles de celui qui brillait dans l’art et la manière de délier les langues.

A un homme qui se prénomait Alberto Fiaggi, Thibaud lui coupa ses attributs et les lui fit bouffer avant de le rendre aveugle en lui injectant de l’huile bouillante dans ses globes occulaires. De lui, il n’apprit rien d’autre qu’une pauvre mission d’espionnage dans le langecin. A un autre, du nom d’Emilio Spaniati, il le dépeça avec suffisamment de délicatesse pour que le pauvre ère continue de vivre. Cela lui permis d’être assuré quant au fait que ce dernier n’avait point non plus trempé dans des affaires l’intéressant. Alors au troisième, se nommant Milan Vertesecci, il dut avouer qu’il était tombé sur un os. Non seulement le gredin résista à de longues séances de tortures, mais en plus… la peur semblait ne pas être l’un de ses qualités. Grand bien lui fasse, Thibaud redoubla d’ingéniosité afin de le briser de toutes les manières possibles et imaginables, tout en continuant à le garder en vie. Ce n’est qu’au bout du quatrième jour de la première ennéade de Karfias, que l’espion soltaar – rendu infirme, eunuque et brûlé, se mit à passer à table.

Moment fort intéressant que celui-ci lorsqu’on apprit enfin la vérité sur toute cette histoire. Adonc, Franco di Celini, le duc déserteur, l’avait envoyé dans le pays d’Hautval afin d’y soustraire une lettre compromettante qu’il y avait envoyé afin d’y montrer son soutien et son refus de la guerre. Il apprit également, à sa plus grande joie, qu’il lui avait également commandé de recruter des mercenaires afin de saboter les ponts permettant d’accéder à Beltrod par le sud, et de franchir le Mélian à l’est.

-Nous partons pour Cantharel tout de suite, ordonna Thibaud dès les révélations terminées. Et toi l’artiste, tu vas venir avec nous.

Affaibli tant physiquement que psychologiquement, on le fit passer aux aveux en rédigeant une lettre signée de son nom et de son prénom. Dessus, il y écrivit les liens qui l’unissaient au couple ducal, ainsi que tous les ordres reçus et les actions commises. Il ne restait plus qu’à le mener devant le marquis de Sainte-Berthilde. De là, on finirait de lui creuser sa tombe et d’en ouvrir une nouvelle un peu plus grande.

« Et que disent nos silos ainsi que nos moulins ? Seront-ils en mesure de soutenir la production massive de pain pour l’ennéade à venir ? Certains m’ont fait mention de leurs inquiétudes ; ils prétendent que de puiser nos réserves pour l’hiver prochain n’est là, pas la plus judicieuse des méthodes. » Louis marqua une pause légère, puis termina. « Et je veux bien les croire. » C’était là un avis sans connaissance de cause, plutôt qu’une position tranchée.

« Il est vrai que de puiser ces fonds, alors qu’iceux approcheront bientôt le zéro, relève de la plus grande témérité. Toutefois, j’ai su de source certaine que les champs de blé foisonnaient à outrance. La fonte abondante des neiges fit ravage les premiers jours, mais les rigoles que nous avions creusées pour préserver nos champs ont fait leur travail. Comme si ce ne fut suffisant, nous avons souffert de giboulées constantes, inondant nos terres comme jamais. Nous avons cru que ce serait là les présages de désastreuses récoltes … Mais non, notre terre est composée principalement d’argile et lorsque le temps chaud nous prit d’assaut, nous refusant la moindre journée de flotte, c’est cette terre gorgée d’humidité, qui sut nourrir les racines de nos plantations. C'est la combinaison de ces deux facteurs qui ont permis à nos récoltes de s'épanouir. Vous n’avez qu’à jeter un coup d’œil au loin, sire! Le blé et l’orge n’a jamais débordé de la sorte! Nous avons largement de quoi fournir la compagnie des meuniers et renflouer nos réserves pour le prochain hiver. » Il termina sa logorrhée d’un sourire large, les deux mains posées à son dos, alors qu’il déambulait dans le hall du castel aux côtés de son seigneur marquis.

« Là! La voilà! La bonne nouvelle que je désirais tant entendre. Ainsi nous aurons de quoi sustenter l’appétit de nos genses. Eh bien, ils en auront besoin, car les festivités approchent et leurs demanderont de veiller tard et de se lever tot! » Ajouta le Saint-Aimé, d’un ton débonnaire et placardant à sa bouille son éternel avenant sourire. « Sinon ? Mhm ? D’autres soucis vous sembleraient-ils propice à l’examen? Je n’entends pas faillir à la promesse que je tint au peuple, Siméon. Alors aussi bien tout me dire ici, que de m’annoncer la catastrophe une fois arrivée. Cela d’ailleurs aurait le mérite de vous éviter quelques gnons! » Louis s’arrêta dans le portique de l’entrée, où il dominait toute la cours du haut des marches du castel. C’était le bel endroit, pour observer de près tout ce qui se tramait chez lui, comme ces palefreniers, qui accueillaient à la hâte la monture de quelques invités surprise … De Kelbourg …

Merde.

Siméon trouva judicieuse l’idée de ne pas entamer le prochain sujet, alors qu’il vit s’installer sur le faciès de son marquis un froncement sévère de ses traits. Louis inspira profondément, à plein poumons, puis expira pour contenir son agacement. La guerre, avait entre ces deux hommes, eut comme bénéfice de les rapprocher. Hélas, ce n’est pas pour autant que le sanguinaire épouserait l’envie d’aller visiter son seigneur en visite de courtoisie, non. S’il était là, c’est que de un, il avait quelque chose à lui demander et que de deux, cette chose lui donnerait envie de se saouler. Thibaud était comme sa renommée l’indiquait, un porteur de mauvais présage. En frère d’arme pourtant, il alla à sa rencontre en descendant quelques marches pour arriver à son niveau. Une poignée de main solide plus tard, Louis le salua silencieusement d’un hochement du chef et entama le premier :

« Thibaud, mon ami, quel bon vent t’amène ? »  Un vent de merde, se dit-il.

C’est un Louis bien en forme qu’il vit apparaître devant lui. Le retour au pays l’avait considérablement requinqué contrairement à sa personne. De tout temps et en toute circonstance, Louis semblait jouir d’une bonne humeur constante et joviale. Et ce, même si Thibaud savait qu’il ne s’agissait que d’une façade et que si l’on fouinait bien, les carences du marquis pouvaient se faire nombreuses. Mais là n’était l’objet de sa venue. Ce dernier, justement, était encore tenu par ses limiers fraîchement revenus du Soltaar. Sa gueule faisait pitié et son état… n’en parlons pas. Néanmoins, il était encore en vie et le resterait jusqu’à son bon plaisir où celui du marquis dorénavant. Puisque désormais, l’espion était le prisonnier du berthildois et non seulement de Kelbourg.

-Louis, l’heure est grave, lâcha-t-il en guise de première réponse. Mes craintes étaient fondées… Pis encore.

Sitôt, un regard noir percuta le captif à ses côtés.

-Nous devons parler, en privé.

Sans être entré dans les détails, Thibaud suivit le cervidé jusque dans une antichambre précédant la grande salle. Une fois seul à seul, il sortit un petit bout de vélin bien rempli et le tendit au marquis. dessus, l'on y trouvait les aveux du soltaar.

-Soltariel était derrière tout ça, Louis. L’homme que vous avez vu dans la cour est l’espion que mes limiers ont capturé afin de le ramener jusqu’ici. Le couple ducal a commandité la destruction des ponts de Beltrod afin de nous obliger à nous exposer aux troupes velteriennes. Et il n’y a pas que ça…

Cette bonne entente qu’entretenait le marquis envers son vipéré de vassal, avait de quoi franchement torturer l’esprit du Saint-Aimé. C’était chaque fois la même. À chaque poignée de main, chaque rencontre, chaque occasion de le croiser, le même débat intérieur surgissait à son sujet. Les qualités, si l’on pouvait les nommer ainsi, excusaient-elles l’immoralité du Kelbourgeois ? Son inclinaison à la violence, non, au sadisme! Sa propension aux actes malsains? Son absence totale de bonté ou de compassion ? Son âme, s’il en avait une, ne pouvait être autrement que rongée par ce stupre des bonnes valeurs, noircie jusqu’à la moelle par ses vices! Toute cette inconduite faisait de lui une « mauvaise » personne, ceci n’était guère matière à débattre, c’était un fait! Pour autant que cela fut vrai, il n’en restait pas moins que l’horrible personnage possédait, au-delà de toutes personnes connues et vivantes, des capacités sur la défense, l’art de la guerre et la stratégie, qui dépassaient l’entendement.


N’est-ce pas plus simple ainsi, une fois les faits étalés, de comprendre l’issue des migraines de Louis à chaque occasions où ce dernier venait à giberner avec le Boucher?


Ainsi, après avoir achevée sa virile poignée de main en règle, son attention fût déportée légèrement de travers, vers son prisonnier. Sa chose. Son animal de compagnie. Cette pauvre âme torturée … Lorsqu’il le vit, ainsi éclopé, estropié, gâté par les bons soins de son geôlier, Louis eut pitié. Pitié qu’il ait survécut à toutes ces supplices et que son corps n’ait lâché dès les premières tortures. À le voir en si piteuse état, il se douta de son utilité, que sa présence n’était pas le fruit du hasard ou d’une sordide lubie du Kelbourgeois. Louis fit un signe léger de la tête et indiqua à son invité le chemin à emprunter pour plus d’intimité.

Rendus dans l’antichambre, attenante à la grand-salle, il troqua sa bonhomie pour plus de sérieux. Thibaud lui offrit une missive décachetée, qu’il étira pour mieux y dévorer son contenu. Ces mots, qu’il décrit d’un regard attentif, mêlés aux prochaines allégations de son compatriote, donna un haut de cœur à Louis. C’était donc ça, la raison véritable de cette aboulie du Soltar! Grosse comme une vache sur le point de vêler, Tibéria n’avait jamais eu l’intention, ni l’envie, de supporter l’effort de guerre. Au contraire, il se trouvait qu’elle et son encorné de mari, cautionnèrent son déclin! Lorsqu’il eut finit de lire le contenu de cette lettre, Louis redressa son pif vers Thibaud, qu’il dévisageât d’un regard, pour cette fois, tout aussi noircit que le sien. Cette trahison, car aucun mot ne définissait mieux cet acte, l’horripila comme nulle autre nouvelle ne l’eut fait ces derniers mois. Son regard, d’ailleurs, à des lieux de ce que l’on pouvait s’attendre de Louis, était méconnaissable. Une envie de vengeance lui donna l’écume à la bouche, lui faisant même crisper les poings à un point tel, qu’il ancra le bout de ses ongles dans ses chairs.

« Quoi d’autre, Thibaud? »

A peine eut-il fini de révéler l'incroyable qu'il vit l'attitude de son seigneur changer. Il le vit ainsi passer du courtois gentilhomme au suzerain venant de se manger une gifle. Quand bien même la surprise n'en était point vraiment une vue toutes ses craintes émises depuis Diantra, on venait tout juste de perçer à jour une machination qui avait failli coûter non seulement au Berthildois et aux ost nordiens, mais à tout le Royaume. En le voyant de la sorte, obscurci par d'obscènes pensées, Thibaud tâcha de voir si son seigneur tiendrait parole et ne tenterait pas d'apaiser les choses. Car il était là, lui, non seulement pour garder les flammes à bonne hauteur pour qu'elle ne s'épuise pas en entraînant les mémoires de toutes les victimes de Valdrant. A cela, Louis ne prononça que quelques mots qui lui mandèrent de dévoiler la suite.

– L'espion di Celini se trouvait dans le Médian bien avant que nos troupes n'y débarquent, Louis. Celui-ci avait déjà agi dans le castel d'Hautval afin d'y récupérer un vélin écrit par son duc. La lettre est aujourd'hui détruite, malheureusement, mais vous connaissez sans doute assez bien mes talents de persuasion pour savoir ce qu'elle contenait.

Son regard s'éclaira de la plus terrifiante manière.

– Soltariel proposait un marché à Hautval afin que l'épouse de l'Ogre le trahisse et qu'ils s'allient dans la guerre... il scruta de nouveau la réaction de Louis. Ils voulaient une alliance avec l'ennemi du Royaume. Ce pourquoi il y fit envoyer son espion afin de récupérer la lettre. Imaginez bien à quel point la chose aurait pu être fortement compromettante si nos ost étaient allés prendre le pays hautvalois.

Thibaud faisait les cent pas dans l'anti-chambre, donnant l'impression d'être soit possédé, soit complètement inépuisable. Depuis combien de temps n'avait-il pas dormi ? Il l'ignorait. Ses drogues l'empêchaient maintenant de faire la différence entre ses phases de sommeil et ses phases d'éveil.

– Soltariel nous a déclaré la guerre, Louis, ceci est un casus belli. Aymeric doit être au courant de cette affaire. Vous devez vous rendre de nouveau à Diantra afin de révéler au grand jour cette supercherie... que dis-je... ce complot !

Son poitrail de gonfla autant d’air que d’amertume. Cette seconde nouvelle, toute aussi conséquente que la première, lui sembla plus douloureuse encore. Tout ce temps à battre la campagne accompagné de la plus infâme bleusaille, Louis et ses comparses s’étaient gausser de ces poltrons de Suderons, les harpaillant à outrance de tous les noms! Et ils s’étaient bien bidonnés à leur inventer milles et unes raisons pour justifier leur absence sur le champ de bataille. Là, toute suite, il se souvint bien de celle où ils durent annuler leur présence, ayant un conflit de date avec une cueillette aux fraises. Ou celle où ils durent tenir les latrines toute une ennéade à cause d’une dégustation vin et fromage gâté. Pis encore, cette fois où leur armée ne sut enfilé leur harnois à cause d’une soirée de ribote entre hommes bien viriles! Ces railleries pourtant n’estompèrent en rien la gravité de cette nouvelle et même, au contraire, agit comme du sel sur une plaie ouverte, aggravant cette réalité qui se plantait fièrement face à lui : un ennemi se profilait à nouveau devant le Berthildois.

Si Thibaud y porta attention, probablement qu’il put entendre ses chicots entreprendre un chant peu mélodieux, se frottant les unes contre les autres avec agacement. Puis, il déglutit lourdement son âpre mécontentement de sorte à ne pas tout ravager dans cette pièce où ils se trouvaient, ne trouvant autre chose à répondre qu’un : « Je vois... » Il lui tourna dos, patienta un instant, quelques secondes à peine, puis revint s’approcha de Thibaud pour l’esquiver et s’approcher de la sortie. En salutations, il ne lui témoigna que ces quelques insignifiantes paroles : « Tu m’excuseras, j’ai à faire. Merci pour ces informations et pour ta créature … Tu peux en disposer comme bon te semble, mais je pense qu’elle me sera utile au procès de la chienne obèse. » Avait-il seulement déjà été aussi obscène et cru en son parlé ? Sur ces sages paroles, Louis laissa son invité pour mieux conquérir son écritoire personnel, dans le salon juxtaposant ses appartements personnels.

En ce sixième jour de la toute première ennéade du mois de Karfias, dixième année de ce cycle.

Adressé à son excellence Aymeric, Régent et Sénéchal du Royaume Péninsulaire, Duc de Serramire et Régent d’Oesgard, salut à vous.

Bon sire, bien que nous nous sommes entretenus depuis quelques temps déjà, je me retrouverai dans l’obligation de me montrer preste dans ma correspondance. À cette heure pile, alors que l’astre solaire achève son ascension au ciel, j’apprends la terrible nouvelle que nous avons été, au courant de notre campagne, poignardé de la pire façon par ceux que nous croyions comme les alliés du Royaume, ici nommé Soltariel! La Damedieu soit louée, nos limiers ont su me rapporter les outils nécessaires afin de prouver la culpabilité du couple ducal : Franco di Celini et sa femme Tibéria de Soltariel.

Au moment même où je vous étale cette terrible nouvelle, ma main en trémule encore de la rage qui m’habite. Cette trahison, je l’ai au travers la gorge plus profondément encore que celle dont j’entretenais pour notre ennemi commun que furent les félons du milieu. J’accuse donc Soltariel de félonie, de traîtrise, de lèse-majesté, de sabotage et de tentative de meurtre la vaillante piétaille que constituait l’armée coalisée du Berthildois et de l’Éraçon. De surcroît, je profite de cette lettre pour vous annoncer ma venue à Diantra, où j’insiste à tenir une place à ce procès afin d’y étaler de long en large les griefs que j'entretiens à l’encontre de cette perfide Duchesse.

Je saigne Aymeric, tout comme l'ensemble des miens qui bientôt, découvrirons qu'ils ont perdus des êtres chers, de vaillants soldats, des stratèges émérites, des pères de famille, pour le plaisir d'un couple à l'âme noircie par la perfidie. Vous plus que quiconque êtes à même de comprendre la douleur que peut provoquer ce genre de révélation.


Avec tout mon respect, me hâtant de retrouver la Capitale afin de voir le jour se lever sur cette débâcle, je vous recommande bon Sire, à la Damedieu.

Louis, Marquis de Sainte-Berthilde, Seigneur de la Toranne, d’Erignacc et du prieuré de Saint-Aimé