Deux cons dans une taverne | Cosimo Tête-Pelée

Mi-deuxième ennéade. Verimios. An X.

« Aaaah Soltariel. Qu’est-ce que cette cité m’emmerde.
- Ouais t’as raison. En plus ça pue la merde
- C’est normal. J’ai entendu dire qu’il y avait une épidémie de chiasse au palais.
- Sérieux ? HAHAHAHA. Je n’ose même pas imaginer l’état dans lequel doivent s’trouver ces nobliaux à la con.
- Ouais, mais en attendant, toute la merde qu’ils évacuent, c’est dans c’canal qu’il la balance. L’auberge qu’on a choisit est vraiment mal placée. J’comprends maintenant pourquoi il pratique un prix aussi bas l’aubergiste.
- Ouais, c’est certain. On balancerait bien la duchesse dedans, qu’elle se rende un peu compte de ce qu’elle inflige à ses habitants.
- Les Soltaris n’ont pas l’air de s’en plaindre. Puis eh, qu’est-ce que tu crois toi ? Tu penses qu’à Sybrondil c’est différent ? Pas du tout, la merde est balancée dans la flotte, c’est là le lot de toute cité à canaux.
- Ouais, mais je préfère quand même Sybrondil. L’air marin semble apaiser l’odeur, ici y’a quasiment pas de vent. Enfin soit… TAVERNIER ! UN POULPE GRILLE ! ET QU’CA FRETILLE ENCORE DANS L'SIETTE !
- Du poulpe ? Ah j’ai horreur de ça, ce sera sans moi.
- Tu ne sais pas c’que tu rates ! »

Les deux Sybronds prirent leur repas, l’un mangea du poulpe, l’autre une simple de miche de pain.

« Bon c’est pas tout ça, mais j’ai du boulot.
- Ah ouais ?
- Ouais, la comtesse veut que je fouine un peu du côté d’une certaine compagnie de mercenaires qui serait en ville.
- Des mercenaires ? Ici ? Sans doute pour la guerre.
- Y’a quelque chose de louche là-dedans…
- Quoi ?
- Ce n’est pas le genre de travail qu’on me refile d’habitude. »

Puis un peu plus tard, en début de soirée, dans cette même auberge.

« Bah alors ? Tu n’étais pas parti fouiner autour de ces mercenaires ?
- Si mais je ne les trouve pas.
- Ah bah c’est con ça dit donc ! T’as ratissé toute la ville ?
- Toute cette putain de ville jusque dans le trou de cul de ta mère figures-toi.
- Mais ils ne se sont pas volatilisés quand même !
- Je n’en sais rien. Mais en attendant j’ai faim. TAVERNIER, DU POISSON GRILLE !
- Va falloir attendre un peu mon p’tit gars ! J’ai toute une compagnie à servir moi !
- Mais merde, je crève la dalle moi ! Je l'emmerde ta compagnie, alors magnes-toi le cul ! »

La réaction de celui qui semblait être le « chef de la bande » ne fit que rendre notre Sybrond plus colérique encore. Il était rare lorsque quelqu’un osait parler aussi librement de son visage défiguré. Surtout lorsqu’on connaissait l’histoire derrière la cicatrice.

« Qui c’est qu’tu traites de tronche à carpaccio ?! » Répliqua immédiatement le camé, faisant fi de tout danger que pouvait bien représenter cette vingtaine d’hommes qui avaient cessé d’avaler leur bière au goût de pisse pour offrir de noirs regards aux deux cons.

« Toi l’tavernier ! Ça fait des plombes qu’on loge ici dans ce taudis qui pue la merde, alors la moindre des choses quand on est face à ceux qui font tourner l’commerce, c’est qu’tu nous serves en premier ! » Des plombes alors qu’en réalité, cela faisait à peine deux nuits qu’ils squattaient l’auberge. Pourtant, cela leur avait paru être une éternité tant la maison avait mauvais accueil.

« Dit… C’n’est pas eux la bande que la comtesse t’a d'mandé d'surveiller ? » Avait répliqué son camarade, murmurant à peine ses mots. L’espion fit volte-face et n’hésita pas à envoyer une torgnole à celui qui venait de dévoiler deux informations importantes.

« Par le con de Tyra, ça t’arrive d’être discret ?! » Beugla-t-il avant de porter à nouveau son regard vers la joyeuse 7ème compagnie. Il espérait qu’ils n’aient rien entendu car cela remettrait vraiment à mal sa prime mission qui était de les surveiller, pas de se bastonner avec.

Ce mauvais drôle ne semblait pas vouloir se taire. Or Cosimo avait faim, et cet esclandre risquait de retarder la bonne marche des fourneaux de l’auberge. Et voilà qu’il lui répondait, l’avait pas froid aux yeux le cave ! Le capiston se leva, et foudroya l’aubergiste terrifié du regard :

« - Toi tu restes à tes fourneaux, j’attends mes tourtes et mon omelette de six œufs ! »

Puis pointant un doigt menaçant vers l’excité qui gâchait leur repas :

« - Et toi Carpaccio, ouais toi, je vais te faire donner le bâton céans si tu fermes pas ton claque-merde. »

Les clients du lieu commençaient déjà à se replier prudemment vers les coins, dégageant l’espace entre les deux tables. Un silence pesant régnait maintenant sur le cabaret. La gifle sonore que le dorénavant surnommé Carpaccio envoya son acolyte surpris les routiers au premier chef, mais ils avaient vécu assez d’entourloupes dans leurs vies de chats pour renifler les relents de merde. Cosimo n’avait pu saisir que le mot de « comtesse » au-dessous de ses invectives, mais il n’entendait pas en rester là :

« - Discret de quoi ? », cracha-t-il entre ses dents.

Autour de lui, ses comparses se raidissaient imperceptiblement, les mains glissant vers le poignard ou le coutelas.

Il était dorénavant des plus tiraillé entre son irrésistible envie d’envoyer ce chiabrena dans le canal à merde et son devoir de mener sa mission à bien. Le camé s’efforçait alors à garder son calme, quasi olympien face à la horde qui semblait prêt à lui sauter à la gorge.

C’est là, qu’il usa de son talent caché.

En quelques fines murmures inaudibles sortant de ses lippes qui bougeaient à peine, l’incantation commença. Son regard se tourna vers le tavernier qui était resté coi depuis le début de cet échange. Si certaines auberges s’accommodaient parfaitement avec les bagarres, ce n’était nullement son cas au vu de son taudis qu’il avait déjà du mal à entretenir : imaginez alors ce que le lieu pourrait devenir si deux dizaines d’hommes en armes se mettaient à se mettre sur la tronche avec deux mages.

Les murmures de l’incantation prirent fin et le tavernier bougea enfin, venant servir les deux suderons qui n’hésitèrent pas à arborer un fier sourire qui sentait bon la victoire.

« Ça ne te regardes pas, merdaille. Occupe-toi de ton cul veux-tu ?!
- Hum… si j’étais toi, je ne les provoquerais pas trop.
- Parce que tu crois réellement qu’ils me font peur ?! Ils sont peut-être une vingtaine, mais on a connu pire.
- Ce sera encore à moi de sauver tes p'tites miches j’imagine. »

Le Camé n’avait cessé de fixer le drôle depuis que son poisson grillé avait été servi. Il le savourait d’ailleurs miette par miette pendant qu’il incitait toujours le tavernier à ne pas servir les autres hommes. L’immatérialité avait du bon, parfois.

La suite des évènements termina d’ulcérer proprement les routiers. Cet avorton d’aubergiste avait donc la tête mal faite, pour se plier aux ordres de deux hommes face à vingt ! Cosimo fronça les sourcils, il y avait définitivement une couille dans le pâté. Mais c’était bien là le problème : pendant que l’autre balafré se régalait, son assiette restait désespérément vide. Et ça, le capitaine ne pouvait le tolérer.

Les deux caves qui les narguaient étaient peut-être des figures importantes du cru, de la pègre ou d’une guilde de tire-laines. Ils avaient l’air sûr de leur bon droit et restaient bien trop calmes face à la meute de compaings pour ne pas avoir quelques tours dans leur sac, ou des protections bien placées. Mais on les corrigerait quand même comme il se doit. Quoi de mieux pour signaler haut et fort la présence de la compagnie en ville ? Il s’agissait de pisser à tous les carrefours pour marquer son territoire. Le spectacle servirait de leçon : il ne serait pas dit qu’on insulte les chauffeurs de pâturons sans conséquence.

« - Par la Damefoutre, ces coqs nous narguent ! Qu’on leur tranche le bec ! », éructa Tête Pelée.

La table fut renversée promptement, les tabourets et les pichets volèrent en rang serré, suivis de la meute hurlante. On ferait rendre gorge à ces deux-là. En bon capitaine, Cosimo supervisa la charge en haranguant ses affreux, prêt à aller corriger ces impertinents une fois qu’on les aurait immobilisés. Il en profita pour saisir le patron par le col et lui fracasser le faciès contre le comptoir. Ça lui apprendrait à négliger le client.

L’action fut aussi rapide qu’attendue ; les hommes foncèrent tout droit sur les deux Sybronds attablés. Mais faute à pas de bol, son comparse se fit vite la malle, ne souhaitant en aucun cas être roué de coups ou pis encore : finir en saucisson. Et même en temps que mage, il lui était difficile de maîtriser autant de gaillards assoiffés de bagarres.

Le camé rompit immédiatement le lien qui l’unissait au patron pour tenter de s’accaparer de l’esprit de ce qui semblait être le chef de ces gorilles ; mais en vain ; voilà qu’il sombra déjà dans l’inconscience grâce à l’un des coups bien placé d’un des sbires de la Tête-Pelée.

Il se réveilla que bien des heures plus tard pour se rendre compte qu’il était attaché dans un lieu qu’il ne connaissait pas. C’était bien ballot, lui qui se devait de surveiller cette bande de singes, voilà qu’il se trouvait lui-même prisonnier de ceux-ci.

Son regard se porta sur les alentours, à la recherche d’une moindre victime qu’il pourra contrôler pour le libérer. N’eut-il cependant pas le temps de le faire que cinq des précédents types l’encerclaient déjà.

Voilà que le Camé se retrouvait dans une bien fâcheuse position. Les pieds nus, la chaleur de l’âtre, même éloigné, lui fit déjà prendre conscience du danger. Voir ainsi les quelques flammes s’agiter lui rappela soudainement de mauvais souvenirs. La peau de son visage ne pouvait que témoigner de ce qu’il avait vécu auparavant. Une cicatrice qu’il ne pouvait, lui-même, pas apercevoir mais qui était pourtant vu de tous.

Il la devait à Victoria. Et Victoria n’hésiterait pas à recommencer s’il venait à vendre la mèche. Il était donc le cul entre deux chaises comme on dit : il devait faire un choix, soit affronter le danger, là, maintenant, soit le repousser à plus tard lorsque la Comtesse apprendrait qu’il a parlé, et dieux savent qu’elle l’apprendre bien un jour, tôt ou tard.

Son regard se fit plus sévère. Il aurait pu tenter de s’immiscer dans l’esprit de leur chef, mais ses comparses auraient très certainement flairé l’embrouille assez rapidement. Et dire que l’autre con qui maîtrisait le feu s’était barré les jambes à son coup en gueulant comme une fillette face à de vilains messieurs. Sur ce coup là, il lui aurait été très utile.

« Discret sur le prix d’une nuit avec ta mère. » Claqua-t-il avec une simplicité et un calme étonnant. « Cramez-moi si cela vous chante, je ne vous dirais rien. »

Les derniers mots du coquin trahissaient bien qu’il avait quelque chose à dire. Les yeux du capiston se rétrécirent en deux fentes cruelles :

« - A ton aise mon bon. On va voir si t’es vraiment un dur à cuire.»

Le jeu de mot était éculé depuis tant d’années qu’il l’employait, mais gardait toujours cette saveur d’à-propos dont Cosimo ne se lassait pas.

Là, on allait œuvrer en vrais artistes ! Toutes les bestiasses qui couraient sur cette terre craignaient le feu, et les humains n’y faisaient pas exception. Les amateurs venaient d’emblée coller les pieds de leurs victimes dans les braises. Grave erreur, du travail bâclé. Il fallait chatouiller les petons de quelques flammèches pour donner un avant-goût, y aller progressivement, que le patient puisse imaginer à son aise le tourment à venir. Et pousser petit à petit, avec doigté, jusqu’à ce que les doigts de pieds se tortillent, comme une pucelle à qui on apprend les jeux de l’amour. Etre doux, mais ferme, le patient devait sentir l’inévitable. Quand la corne des pâturons se mettait à cuire, une tenace odeur de cochon grillé emplissait la pièce. Puis la plante des pieds, là où la peau est fine, se mettait à chauffer jusqu’à ce que les nerfs hurlent l’alarme. Les cloques arrivaient ensuite, cerise sur le gâteau ! On jouissait à fond et le patient éjaculait généralement son or ou sa cache de farine.
 
C’était exactement ce traitement que subissait le Sybrond. Cosimo se délectait du spectacle, une pièce cent fois jouée avec le même triomphe final. Il en aurait presque eu une demi-molle.

Les cris ne mirent pas bien longtemps à arriver. Surtout au vu du procédé plus que lent qu’adoptèrent ces couilles-molles. Il sentit la chaleur lui chatouiller les pieds avant de finir par complètement cramer ses cornes. Il tenta de tenir, de supporter la douleur croissante. Serrant les dents puis se laissant finalement aux hurlements, le Camé tenta de s’extraire de ses liens, en vain.

« TRES BIEN ! AAAAAAAA, AAAAARÊTEZ !!! ARRÊTTTEEEEEZ ! JE VOUS DIRAIS TOUT, AAAAAAA. » Finit-il par crier, tentant de remuer ses pieds pour s’éloigner des flammes. Sa chaise recula et ce fut le soulagement malgré la douleur qui continuait de l’accabler ; celle-ci était moindre.

On l’incita alors à parler, ce qu’il finit par faire lorsqu’il reprit un temp soit peu son souffle et son calme : « J’ai été engagé par la Comtesse. La Comtesse d’Ydril ; Dame Aléandra di Systolie. Elle voulait avoir des informations sur le nombre de soldats qui s’apprêtaient à marcher sur ses terres et m’a demandé de rôder auprès des compagnies de mercenaires pour évaluer si ceux-ci seraient achetable ; pour avoir ainsi plus de forces de son côté. » Il arrêta ensuite de parler, soupirant, soufflant, respirant bruyamment. « Vous savez tout maintenant. »

On fit reculer la chaise de l’âtre. La confession du balafré laissa les routiers interloqués. La situation était fâcheuse : si le patient ne mentait pas, les mercenaires venaient de torturer le suivant d’un employeur potentiel. Ce que venait de balancer le sybrond était trop gros pour ne pas receler une part de vérité. N’empêche, l’anguille ne s’était pas complètement dégagée de sa roche. Cosimo se pencha sur son invité, toujours entravé :

« Baste, il fallait le dire plus tôt, on aurait pu éviter ces désagréments ! Si on est achetables ? Ma foi oui ! »

Et plutôt deux fois qu’une, les caisses de la compagnie commençaient à se couvrir de toiles d’araignée. La campagne tardait à débuter, et le capitaine hésitait ces derniers temps à licencier une partie de la troupe, faute de quoi leur assurer une pitance.

« Mais pourquoi ces manières d’espion ? Quand tu vas faire tes emplettes, est-ce que tu rôdes devant le boulanger pour déterminer si son pain est à ton goût ? Pourquoi ne pas venir barguigner directement avec nous ?»

Ce coquin cachait quelque chose.

« Parce que… Comme dit, je me devais d’inspecter la came avant… Et excusez-moi si vous avez plus l’air de résidus tout droit sorti du trou-du-cul d’un kerkand plutôt que des mercenaires… »

Décidément. Il cherchait la bouse celui-là, à croire que la séance de réchauffement n’avait pas suffi ; mais le Camé était comme ça, il ne pouvait s’empêcher de retenir son franc parlé. Heureusement, son subterfuge semblait avoir marché. Encore fallait-il maintenant qu’il mène sa stratégie à bien ; et que la drôlesse de compagnie se montre intéressé d’être engagé par un camp contre lequel il se battait. C’est là qu’il se dit finalement que son idée n’était pas si bonne que ça, mais ce n’était rien, il finirait bien par trouver comment régler ce léger souci.

« Y’a moyen d’avoir un peu d’eau là ? Avant qu’on ne cause boulot ? Vous inquiétez pas va, ça paie bien mais là j’ai le gosier asséché. » Il espéra avoir quelques gouttes d’eau, puis au moins, ça lui laissait un peu de temps pour trouver une nouvelle entourloupe. « Eh sinon. Z’avez quoi contre les espions ?! »

Le drôle ne manquait pas d’air, mais la saillie fit ricaner Cosimo. Dans le fond, il n’avait pas tort. Les routiers étaient le résidu des guerres qui blessaient depuis longtemps la Péninsule. Hommes et femmes jetés sur les routes, qui décidèrent un beau jour de prendre les armes plutôt que de subir à longueur d’année les affres des conflits. De brebis, ils devenaient loups. Laboureurs ruinés et artisans spoliés gonflaient régulièrement les rangs de la compagnie. Et ceux-là n’avaient plus grand-chose à perdre.

« Détachez moi ce zigue, et qu’on lui donne à boire. Et ouvrez les fenêtres, ça chlingue ici ! »

Le capiston se saisit d’une chaise et se plaça entre la cheminée et l’espion. L’ombre de sa maigre carcasse s’étendit sur la pièce. Il jaugea silencieusement le camé pendant qu’il se désaltérait. Silencieux, les autres compaings s’alignaient en retrait. Un geste de Cosimo, et ils tomberaient à bras raccourcis sur leur invité. On n’était jamais trop prudent.

« Les espions ? Rien en particulier, mais certaines personnes paient grassement quand on leur en livre un, pieds et poings liés.»

Menace à peine voilée, mais la compagnie servait depuis un an à l’ombre des bannières royales, et savait de quel côté se trouvaient ses soutiens.

Sa soif enfin épanchée, le Camé regarda un instant le chef de bande avec une attention particulière. Il venait de lui titiller sa curiosité ; certains seraient prêts à payer cher pour retrouver des espions. Celui-ci a déjà dû avoir à faire face à ce genre de proposition pour en venir à mettre ce fait sur le tapis. Curieux de nature, et poussé par une envie de savoir quel espion cette tête-pelée avait déjà capturé, le Sybrond se faufila doucement dans son esprit, parcourant les souvenirs les plus récents. Tout était assez flou bien que sa caboche semblât être rempli de souvenirs de bière qui coulait à flot, de sacs d’or et de putes qui vagabondait seins à l’air. Cela avait tout l’air d’une fête d’après-guerre. Le bougre aurait il participé à la purge du Médian ? Sans aucun doute car le Camé n’avait accès qu’aux souvenirs les plus récents.

Il fouilla encore, discrètement, sans attirer l’attention même si son hôte du moment pouvait ressentir comme une légère sensation dérangeante, comme s’il était épié. Un souvenir attira alors son attention ; un certain Kelbourg, un homme que cette brute semblait respecter mais craignait également un peu. Celui-ci semblait lui proposer un marché ; certains mots lui parvinrent ; espion, sud, ponts, destruction, paiement… C’était flou mais ces quelques mots l’aidèrent déjà à comprendre certaines choses.

« Vous êtes ici pour en trouver un n’est-ce pas ? Un espion… à la demande de… D’un certain… Attendez, j’ai du mal à m’en rappeler… ça rime avec bourre… KELBOURG ! VOILA! Haha... quel nom de merde quand même! »

Accompagner les chauffeurs de pâturons avait été une partie de plaisir. Bertrand avait appris à les connaître durant toute leur campagne dans le Médian à dévaster les plaines et les chaumières. Les moeurs de ces reîtres étaient légères. Bien assez pour satisfaire l'appétit destructeur de son seigneur d'Argonne. Il l'avait envoyé avec d'autres limiers pour se greffer aux mercenaires le temps d'une mission bien particulière. Leur rôle était double pourtant. Il s'agissait de retrouver la trace du ou des commanditaires des sabotages de Beltrod, mais aussi de garder un œil sur la guerre en cours dans le sud. Pour l'heure, ils n'avaient fait que gratter la surface en profitant de la jovialité exprimée par les compaings.

Mais là, après le raffut provoqué par quelques coquins suderons, Bertrand recouvrit l'aplomb de limier qu'on lui connaissait pour s'intéresser de plus près à l'interrogatoire entamé par le capitaine. Son sang ne fit qu'un tour à l'évocation du nom de son seigneur. L'homme savait quelque chose et venait de vendre la mèche. A son tour de se jeter dans la mêlée.

– Crache ta salive l'affreux, que sais-tu de cette histoire ? Lança-t-il à la raclure. Soit tu causes, soit tu crèves.

Il ne montra aucun signe d'impatience, ni même d'agacement. Et ce, pour bien faire comprendre au peigne-cul que même si la tête pelée lâchait l'affaire, il le retrouverait pour lui faire cracher salement tout ce qu'il aurait besoin d'entendre.

« Nan mais n’vient pas me menacer toi là-bas ! » S’écria-t-il à l’encontre de l’homme, resté muet jusqu’à présent. La Camé comprit alors bien vite qu’il venait de faire mouche: sans doute que ce chiot qui venait d’aboyer tendrement était dressé par ce fameux Kelbourg. Cela n’éveilla que d’autant plus la curiosité malsaine de notre Sybrond.

« Je ne sais pas plus que ce que les souvenirs de ce crâne d’œuf à bien pu me fournir. » Continu a-t-il sur un ton plus calme. « Néanmoins… Avant que tu ne décides de me trouer la peau, saches que je suis peut-être disposé à vous aider. Après tout, je sais déjà que c’pas moi que vous cherchez. » Il ria comme un con avant d’enchainer : « Cependant je connais pas mal de monde dans l’milieu et mes capacités à fouiller les esprits pourrait vous être utiles. » Il reprit une gorgée d’eau tout en s’en renversant la moitié sur la tronche. « Bon par contre, en échange, vous me faites un prix sur vos services. » Il attendit quelques instants, scrutant les visages de ceux qui l'entouraient. Un sourire malicieux apparu sur son visage puis, il reprit une dernière fois la parole: « Bon alors, vous cherchez qui? Quoi? Comment? Quels sont les infos? Allez-y, je vous écoute mes p'tits pères. »

Le connétable de Sainte Berthilde avait en effet chargé les compaings de tirer au clair l’affaire du sabotage des ponts de Beltrod. Et quelques de ses porte-épées accompagnaient depuis les routiers, camarades bienvenus dans la compagnie. Les Argonnois et les routiers faisaient campagne ensembles depuis le début de la guerre du Médian, ça vous créait des liens solides. Il laissa donc Bertrand intervenir à son aise.

Mais ce coquin d’espion ne dissimulait pas sa sorcellerie, et ça fichait Cosimo en rogne. Qu’on lui pénètre le crâne à coup de dague ou de massue, c’était de bonne guerre. Mais ces pratiques éthérées, rien que de la putasserie de premier ordre ! Le balafré prenait bien trop ses aises. La voix de Tête Pelée se fit sifflante :

« - T’avises pas de recommencer ton cirque, où tes petons iront refaire un tour à la broche, capisce ? »

Et l’autre qui voulait un prix, pour quoi, se faire pendre par les Royaux !

« - Et qu’est ce qui te fait penser qu’on veut aller se faire trouer pour ta comtesse ydrilote ? La partie semble mal engagée pour elle mon bon.»

Au jeu du qui gueule le plus fort, les deux loustics semblaient s'être bien trouvés. Si le capitaine avait des sacrés avantages à sa solde, l'autre donnait aussi une drôle de sensation ; celle de fouiner dans la tête des gens en vous montrant un visage assez malsain pour foutre l'envie à quiconque de se faire passer à tabac. S'il en éprouva le besoin immédiat, Bertrand se retint, pensant bien que le clanpin pourrait peut-être leur être utile à défaut de pouvoir répondre précisément à leur interrogatoire. A cela donc, Bertrand laissa au capitaine le rôle du mauvais bougre pour tenter de montrer une once de sympathie au misérable. Alors au lieu de montrer les crocs, cette fois, le limier s'assit entre les deux et sortit une petite bourse remplie de piècettes.

– Une mission de sabotage dans le Velteroc, ça te parle ? s'enquit-il. Il y a de ça plus d'un mois maintenant, des ponts ont été détruits du côté de Beltrod. Les saboteurs ont été retrouvé, mais on cherche le commanditaire à présent, histoire de lui faire payer la réparation des ponts si tu vois ce que je veux dire.

Il jeta un regard complice au capitaine des reîtres. Lui aussi avait souffert, avec sa compagnie, de la destruction de ces ponts. En rebroussant chemin pour franchir le Mélian à Valdrant, l'ost avait été bien plus exposé à l'embuscade. Pour la suite, tout le monde la connaissait désormais. Même l'affreux balafré qui leur faisait face.

– Alors si tu sais quoi que ce soit sur l'affaire, je te propose de coopérer et pour la suite, disons que t'auras ta récompense et qu'on s'évitera de crier sur tous les toits que ta comtesse espionne les hommes du Roi. T'en dis quoi l'affreux ?

« Absolument pas »

L’expression de son visage était des plus claire: il était troublé par ce que venait de lui révéler le limier Berthildois. Des sabotages de ponts dans le Velteroc ? Il en avait pas entendu parler, ce qui l’intrigua au plus haut point. Son réseau suderon lui permettait généralement d’obtenir des informations plutôt précises mais là, ce qui l’étonna le plus, c’était de voir ces nordiens venir chercher le coupable ici, en Soltariel, plutôt que dans le comté de Velteroc.

« Enfin, bien sûr que j’ai entendu parler de cette histoire. A cause de ces sabotages, vous en avez perdu des têtes parmi vos hommes ! Mais je croyais que les coupables étaient des Velteriens loyaux envers l’autre manchot. Ça m’étonne de vous voir venir fouiner ici, en Soltariel. » Il marqua une pause, réfléchissant toujours à ce qu’il a bien pu rater. « Qu’est-ce qui vous a poussé à croire que le responsable se trouve dans le sud ? »

C'est que le bougre était foutrement curieux pensa Bertrand. Outre l'aspect peu reluisant du type, il se montrait dès lors comme une fouine assoiffé par les découvertes. Sans doute en avait-il déjà trop dit pour faire marche arrière. Il n'y avait plus qu'une chose à faire : faire confiance à ce gars aux allures de clochard pour tenter d'élucider le mystère. Ce n'était plus comme s'ils avaient le choix. Depuis leur arrivée, c'était bien la seule piste qui s'était offerte à eux.

– Ce qui nous pousse à le croire ? S'enquit-il aussitôt. Plusieurs éléments convergent tous dans la même direction. On a pas mis longtemps à mettre la main sur les saboteurs qui n'étaient autre que des velteriens à la recherche de quelques pièces. Hors, ceux-là, au lieu de les occire, on les a recruté à notre tour pour mieux les brosser dans le sens du poil afin qu'ils nous donnent quelques précisions.

Il eut le regard malin.

– Le gars qui les avait recruté connaissait bien son affaire apparemment et possédait une petite fortune. Puisque les mercenaires ont touché en une fois, une paye de plusieurs mois. Le type à l'accent suderon et au teint bien de chez vous, aurait ensuite bien évoqué son envie de vouloir faire chier les ost nordiens. Alors avec de tels moyens et une telle envie, peu de doute que nos pensées se soient tournées vers ce bon vieux sud.

Il demanda qu'on lui apporte un godet avant de reprendre.

– Qui choisir ? Le régent venait de mourir et le duc de Soltariel s'était enfui on ne sait où sans prévenir quiconque, et ce, en pleine guerre. Faut avouer que c'est louche non ?

Après avoir vidé son verre d'un seul coup, Bertrand jeta un œil sur les compaings qui écoutaient la conversation. Eux aussi devaient être curieux de connaître le fin mot de l'histoire.

– Il paraîtrait qu'un espion aurait réussi à s'insérer dans le castel d'Hautval afin de récupérer plusieurs documents dont le contenu nous échappe encore. Bon à savoir quand on sait que les sabotages ont eu lieu peu de temps après.

HRP:

« L’castel d’Hautval vous dites? Ah ouais, carrément… Nan mais à c’niveau, je connais peu de personnes susceptibles de réussir sans se faire trouer le cul une deuxième fois. »

Il marqua une légère pause.

« Ecoutez, l’identité du type que vous recherchez, je la connais pas. Mais ! Je peux vous filer des tuyaux sur les espions soltaris, combien ils sont, où ils crèchent, pour qui ils bossent… Enfin… je ne connais pas tout le monde évidemment, les meilleurs sont généralement introuvables et personne ne savent à quoi ils ressemblent. Mais qui sait, en en choppant un, il peut nous filer des infos sur un deuxième, et ainsi de suite jusqu’à votre gusse. Vous en pensez quoi ? »

Il y eu un temps de réflexion. Dans l’idéal, il est certain, qu’il aurait été préférable d’avoir le nom du responsable tout de suite, non, là, l’espion Sybrond proposait tout autre chose : le jeu de la chatte qui chasse le rat.

« Alors ? Partant ?

Un couteau s’approcha alors de notre camé et il fut délivré de ses liens. Partons tout de suite. Avait lâché l’un des hommes présents. Et c’est ainsi qu’ils partirent, répartis dans de petits groupes, à la recherche de tel ou tel espion que venait de renseigner notre beau gosse Sybrond.

Ils mirent plusieurs jours à se rassembler de nouveau, la troisième ennéade était bien entamée lorsqu’on retrouva le camé ivre mort dans une taverne.

Plus haut, les limiers Berthildois semblaient faire danser leurs prisonniers tant le bruit des baffes et des claquages de fesses résonnèrent subtilement. Après plusieurs heures de valses endiablés, les limiers descendirent en compagnie de la tête-pelée: il fut décidé qu’ils reparaitraient le lendemain pour Diantra, puis pour le Berthildois.

Code:

Résultats des lancés de D

Result of the throw of dice "1d20" :
14 espions capturés dans le duché de Soltariel (ceux-ci ne sont pas forcément tous Soltaris) => Probabilité que l’espion responsable se trouve parmi eux: 30%

Result of the throw of dice "1d100" :
23 => Milàn Vertesecci - Espion pour la cour ducale de Soltariel figure parmi les derniers a être capturés. => Probabilité qu’il parle : 40%

Result of the throw of dice "1d100" :
33 => Milàn Vertesecci finit par parler après 6 ennéades de détention.