Le revers du Triomphe [solo]

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Alanya de Saint-Aimé
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MessageSujet: Le revers du Triomphe [solo]   les revers - Le revers du Triomphe [solo] I_icon_minitimeSam 18 Aoû 2018 - 22:14


4ème jour de la 7ème énéade de Verimios, 10ème année du 11ème cycle.

La colonne allait bon train. La route était bien moins mauvaise qu’au départ, et motivée par la promesse du retour la piétaille menait une allure soutenue. On entendait s’élever de la troupe des chants, tous vantant les mérites et la gloire. Certains audacieux et ménestrels du dimanche s’étaient enorgueillis de quelques complaintes – toutes plus épiques les unes que les autres – où ils jouaient alors le premier rôle. « Cela plaira aux dames ! ». Et ils riaient, à s’en fendre les joues crasseuses, à se tordre l’estomac. Il planait somme toute sur l’armée conquérante une liesse qui prenait aux tripes. Même la froide baronne, le cœur serré d’avoir quitté le Berthildois, se prêtait bien volontiers aux gaillardises et à l’insouciance. Elle aurait bien le temps de craindre ce qui l’attendait une fois revenue sur ses terres ! Et si Hermance ne se laissait dérider, Odias lui était de bien meilleure compagnie. Les deux amis conversaient avec légèreté, oubliant les tracas politiques qui pèseraient bientôt sur leurs épaules. Les troupes du Faucon avaient franchi les frontières Alonnaise la veille et depuis, la foule n’avait arrêté de se masser aux abords des villages et des champs, abandonnant les corvées, allant saluer la soldatesque victorieuse et le retour de leur suzeraine. Elle avait vu quelques hommes s’en aller bequeter leurs compagnes sur le bas-côté. Vite rabroués par leur suzerain et le sénéchal, la baronne quant à elle regardait ces retrouvailles avec bienveillance : cela soulageait son âme car c’était un mari, un père et un fils qu’elle ramenait sain et sauf à sa famille.

Le cortège n’avait eu à souffrir qu’à une trentaine de décès, et à peine plus de la moitié sur lors des batailles. Les autres souffraient surtout de fièvres, et la rigueur des camps n’avait point aider à leur rémission. Si elle avait fait envoyé deux médecins à son arrivée à Diantra, pour la plupart il était déjà trop tard. Et malgré tout, la Broissieux était assez heureuse de ne pas avoir vu le bilan s’alourdir par quelconque défaite ou lors du retour. Tout avait été des plus tranquille. La dernière nuit, elle l’avait passé au milieu de ses hommes, se mêlant avec les seigneurs et les chevaliers aux braves guerriers, festoyant tant bien que mal avec le gibier ramassé en chemin et buvant du vin de son domaine. Le moral n’aurait pu être meilleur, galvanisé par les victoires successives et la confiance de ses gens. Peut-être était-ce pour cela qu’elle allait le cœur léger, ne se lassant jamais de voir ployer les récoltes sous les bourrasques rafraîchies du Nord. Mêle l’odeur n’avait rien à voir avec le bourbier Diantrais.

Et bientôt se dessina, de plus en plus distinctement, les trois murailles de la cité-capitale de la baronnie. Les travaux des berges du fleuve s’étaient achevés et l’activité battait déjà son plein à en croire les entrepôts garnis de caissons et tonnelets. Et à mesure que la distance s’amenuisait, on criait, applaudissait ces hommes et surtout, elle : Alanya de Broissieux, la Flamme du Nord. C’était elle qui avait mené sa patrie vers les sentiers du prestige, offrant le triomphe d’Amblère sur les Puysards puis ce jourd’hui, sur les traîtres du sud. Elle effaçait d’un revers de la main les réserves sur le sexe faible, et gagnait encore un peu plus en popularité auprès des siens ; et c’était là le bien moindre mal ! Elle s’échinait du matin au soir pour être estimée, elle qui n’était point arriver au pouvoir par le sang. Et à présent, Alanya pouvait bien se targuer d’avoir réussi à séduire par ses coups d’éclats et son tempérament farouche. Bientôt elle se plaça en avant de son armée, précédée de peu par Hermance, Odias et les nobles, puis par les dignitaires militaires.

Lorsqu’ils passèrent les portes des Trois-Murs, son souffle resta coupé alors que son destrier remontait vers le castel au petit pas. Les hourras se dégageaient de la foule, où se mêlait marchands, étrangers, mandants et bourgeois. On se pressait pour regarder le passage de cette drôle de délégation, plus encore que dans les campagnes ! Toute la cité avait été décorée de guirlandes fleuries, et bientôt l’arrivée des vainqueurs fût saluée par quelques confettis. Juchée bien haut, la baronne remerciait la foule en accordant quelques sourires et gestes de la main, bien contente de n’avoir à se soucier de traverser pareil chaos à pieds. La place du marché accueillait un large feu dans lequel rôtissait des poulardes et des cochons de lait, rappelant à la compagnie à quel point ils pouvaient avoir faim. La guerre ne remplissait guère trop les ventres, et ils seraient bienheureux ce soir quand ils pourraient jouir d’un véritable festin. Ils se gaveraient à s’en faire rompre la panse ! La grand’rue lui semblait de plus en plus étroite. Le peuple se massait jusqu’aux fenêtres des maisons, dans une cohue d’acclamations et de musique. Pour peu, cet accueil était meilleur que la grande foire elle-même. Finalement la baronne se trouva presque soulagée lorsqu’elle franchit les portes de la dernière muraille, qui se refermèrent juste derrière les dignitaires.

De nombreuses silhouettes nobiliaires se détachaient du castel mais ce n’était rien après cette longue traversée. Ce fût donc heureux mais exténués qu’ils mirent pieds à terre ; et à peine eut elle touchée le sol que s’approcha d’un pas souple, un sourire irrésistiblement accroché au visage, Angélique. Elle l’embrassa longuement, bien plus contente de retrouver les siens encore qu’elle n’avait bien pu l’imaginer. Si elle lui avait longuement écrit durant la campagne, rien ne valait que de serrer le corps de la jeune femme contre le sien. Un regard plus tard, elle s’écarta enfin.
« Là ! Vous ne mangez point à la guerre pour que tu me reviennes si mince ? », si sa voix était douce, elle la connaissait assez pour entendre l’inquiétude poindre derrière ses beaux yeux bleus et son visage porcelaine.
« Tranquillise toi ma sœur, je suis revenue et je me porte bien. C’est là une chose bien plus importante encore ». La baronne la serra encore une fois avant de n’adresser qu’une œillade à sa cour agitée. Ils parlaient et saluaient les revenants, laissant couler quelques mielleuses paroles. Là, ça ne l’intéressait point ! Et sans s’y attendre, quelque chose percuta ses jambes, les entourant tant bien mal. Le cœur de l’Alonnaise quitta presque sa poitrine alors qu’elle s’agenouilla presque aussitôt pour enlacer la petite forme qui s’était projetée contre elle.
« Allons Pénélope ! Je t’avais dit d’attendre pour venir saluer ta mère ». La voix de Hugues semblait essoufflée. La gamine d’à peine deux ans avait dû échapper au grassouillet intendant, qui lui avait couru après en vain. Mais là, elle n’était pas mécontente de la retrouver, elle aussi. La petite lui avait tant manqué depuis son départ que ses yeux se mouillèrent un peu alors qu’elle enfouit son visage dans le petit cou. Les secondes s’égrainèrent avant qu’elle ne se relève, son enfant dans les bras.
« Maman rentrée ! »
« Oui ma fille, je suis à la maison ».
Et à ces mots, ils se dirigèrent vers l’intérieur du château.
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MessageSujet: Re: Le revers du Triomphe [solo]   les revers - Le revers du Triomphe [solo] I_icon_minitimeDim 19 Aoû 2018 - 22:42

Le surlendemain, l’agitation dans la grande ville s’était un peu essoufflée - bien que subsistait encore quelques guirlandes fleuries. Chacun avait repris le chemin des corvées et les champs de céréales commençaient à être fauchés. Les éleveurs, quant à eux, poursuivaient leurs gavages et, malgré les ordonnances militaires l’hiver qui approchait serait bien moins difficile que celui qu’ils avaient quitté. De plus, la nouvelle gestion des ressources et les bailes s’assurant auprès de leurs juridictions de la bonne tenue des réserves permettaient d’envisager sereinement les mois à venir. Voilà de quoi réjouir la baronne, qui s’était levée du bon pied et allait et venait tantôt entre Monsieur Galainier, tantôt le célerier jusqu’au grand questeur, réglant les affaires qui avaient pu attendre son retour. Chaque alonnais avait du bon pain à manger, et l’économie allait florissante avec l’ouverture récente du nouveau port. Les tonlieux renflouaient les caisses et les quelques rapines de la guerre permettait au ministérial économe de placer un brin d’or à l’abris. Si la petite baronnie enclavée trouvait deux nouveaux comptoirs, et poursuivaient ses échanges alors arriverait sous deux ans l’émancipation totale. Toutefois, prudente, Alanya avait préféré revoir à la hausse la réfection de son armée plutôt que de s’enorgueillir de coffres trop pleins ; non pas qu’elle n’aimât pas à se savoir confortable pour manœuvrer économiquement, mais elle demeurait inquiète et méfiante à l’égard de l’affable Corbac – maudit soit-il ! Et durant toute la matinée, elle s’affaira à ordonner au mieux les choses avant la tenue l’après-midi même du conseil. C’était un moment qu’elle redoutait, et bien qu’elle fût ravie de revoir les frimousses de quelques amis, l’appréhension de l’annonce qu’elle avait à faire lui tournait les tripes.

Mais là ! Elle s’occupa tant et si bien qu’elle n’avait pas eu le temps de s’apercevoir que l’heure était venue. Soulagée de n’avoir eu à songer à ses tracas, elle feuilleta les derniers édits avant que ne frappe à sa porte un dodu personnage qui, l’air de rien, avait fait sa place au sein du castel. Hugues portait ses beaux atours trop justes pour son imposante bedaine, si bien qu’on aurait pu craindre de voir sauter le bouton de son veston à n’importe quel moment. Poussant l’effort à son paroxysme, le curieux intendant s’était peigné avec élégance et avait même pour l’occasion mis du parfum. Le voir ainsi apprêté lui tira un sourire. Alors qu’elle baignait dans de constantes cérémonies – à regretter souvent de ne pouvoir se contenter d’une bride d’intimité – elle en oubliait que pour ses gens, recevoir les seigneurs alonnais ou leurs représentants était une attraction. Sa demeure fourmillait, les échansons s’activant à préparer les meilleures cruches, les dames nappant la grande table de blanc, les marmitons préparant un petit festin pour le soir. Oui, tous jusqu’à la garde transpirait l’excitation de recevoir à nouveau ; prise dans l’ambre au départ de son hôte, la châtellerie reprenait peu à peu vie. N’attendant guère qu’il l’y invite, la baronne passa devant son intendant sans lui adresser un mot. Elle connaissait les couloirs aussi bien que lui, et la pierre froide et usée des murs n’avait point tant changer que cela en un mois de temps.

Les portes de la grande salle s’ouvrirent quand beugla le héraut, annonçant l’entrée de la maîtresse des lieux. D’un seul homme, les chaises se tirèrent et tous se levèrent pour accueillir leur triomphante suzeraine. Les plus favorables allèrent jusqu’à applaudir, tandis que ses opposants, eux, préférèrent la sobriété d’un rictus. Elle reconnaissait bien là ses vassaux ! Sans attendre, elle s’installa à sa place – en bout de la tablée -, faisant signe de servir chaque verre. Aussi, le temps que tous reposent leurs céans, les coupes furent pleines d’un liquide rouge et les bavardages reprirent dans une cacophonie ubuesque. Certains nobles ne s’étaient pas vu depuis le dernier conseil, aussi avaient-ils des choses à se dire. Les conversations allaient des vieux souvenirs aux dernières rumeurs, et la Broissieux avait beau tendre l’oreille, elle ne parvenait à suivre. Lorsque tous furent attablés et servis, elle se releva en empoignant son godet, le tendant fièrement vers les seigneurs.
« Merci à tous, seigneurs d’Alonna, de vous être joint à moi ce jourd’hui non seulement pour nous entretenir des affaires courantes, mais aussi pour célébrer notre victoire sur les félons du Médian ! ».
Les vivats ne tardèrent pas et certains se levèrent pour secouer leurs verres au-dessus de la nappe immaculée. « Gloire à la Flamme du Nord ! ». « Gloire à Alonna ! ». Son cœur se serra tandis qu’elle entendait pour la première fois de la bouche de ses vassaux le sobriquet qu’on lui avait affublé lors de la campagne. Le bon peuple était si superstitieux qu’il voyait en l’engagement de sa suzeraine dans les différentes guerres un facteur de réussite. Ils savaient pourtant qu’elle n’avait brandit aucune épée mais cela importait guère plus que le symbole qu’elle incarnait à présent.
« J’ose croire qu’à présent nous aurons la paix que nous méritons, et que nous pourrons nourrir la terre de notre sueur plutôt que de notre sang. A nos frères tombés ! ». Et ils burent de grandes lampées. Les seigneurs les plus vaillants finirent le breuvage, la baronne elle préféra n’y tremper que les lèvres par solidarité. Ils avaient tous trinqué, c’était là le principal. Elle se rassit, rapidement imitée par l’assemblée. « Mais là ! Nous avons fort à faire. Monsieur Galainier, ouvrez le premier sujet je vous prie ».
Mathieu de Galainier, chancelier bourgeois et assidu, se leva et teint devant lui un papier imposant. L’homme, jeune d’âge, s’éclaircit la voix en veillant à poser un regard sage sur la foule. Les prérogatives de ce monsieur échappaient pour beaucoup aux seigneurs locaux, mais cela importait peu du moment qu’il faisait la besogne pour laquelle il avait été nommé par Duncan et Alanya ! Et puis, personne ne trouvait rien à redire ; la nouvelle organisation des affaires de la baronnie rendait le traitement des ordonnances, édits et capitulaires plus rapide et simple – surtout lors des absences de la suzeraine. S’il n’avait la délégation de signature, il était le seul gardien du sceau, aussi veillait-il avec soin aux affaires de tous les ministériaux et grands vassaux. « Icelui, messires, concerne l’enquête menée par son Honneur sur les circonstances du décès de feu son Honneur Duncan du Lys ». Certains sourcils se froncèrent, tandis qu’Alanya rongeait son frein. Le Chancelier lui avait envoyé les résultats de la questure alors qu’elle était en campagne et depuis, elle s’était imaginée mille fois cette scène. Mais rien ne valait plus que d’y être, finalement ! « Son Honneur a laissé à l’intention de son épouse une dernière lettre qui s’est avérée encodée. En voici, messires, une copie ». Il brandit un papier neuf et bellement calligraphié qu’il fit passer par sa droite. « Cette poésie laisse apparaître, d’après nos érudits, le nom de Lourbier ».
« CALOMNIES ! », cria le vieux seigneur de Lodiaker en se levant d’un bond. Sa chaise chuta sur le sol avec fracas tandis que ses poings s’abattirent lourdement sur la table. La garde avança aussitôt dans un concert de cliquetis métalliques avant que la baronne ne les arrête d’un geste de la main.
« Allons Ebehard tranquillisez-vous ! Lorsque le Grand Questeur m’a informé de la nouvelle, j’ai de suite dépêché quelques hommes en Oësgardie d’où nous revenions tout juste. Je pensais qu’il aurait pu s’agir là d’un mauvais coup de votre fille. Nous savons tous ici combien Constance tenait à son pouvoir, et son silence depuis son départ avec Goar ne nous assurait pas de sa disparition ». Quelques murmures parcoururent les rangs tandis que les nobles invités prenaient connaissance de la lettre. La Broissieux ouvrit une petite bourse noire de laquelle elle tira une chevalière surmonté d’une pierre rouge. Nul doute sur la provenance du bijou, si bien qu’Ebehard de Lourbier blêmit et manqua de défaillir sur place. « Mais ceci oui. En fouillant les décombres d’Amblère, nos gens ont réussi à trouver cette bague à un corps calciné. Ma principale accusée retrouvée morte, et votre épouse catatonique, il ne me restait plus qu’un coupable.
« Ebehard de Lourbier, à compter de cet instant, vous serez assigné dans vos appartements et ne pourrez en sortir qu’à la tenue de votre procès qui sera juste et équitable, en vertu de votre rang. La charge seigneurale qui vous incombait sera confiée à votre plus proche parent. Emmenez-le
».
Les soldats se saisirent de ses bras et s’il ne résista pas au début, trop hébétée par les nouvelles qui lui tombaient dessus, il se débattit sur la deuxième moitié du trajet vers la porte. « LÂCHEZ-MOI ! VOUS VOUS TROMPEZ ! ». Et bientôt, ses éclats de voix ne furent plus qu’un murmure dans le brouhaha d’une noblesse chauffée à vif. Tous se regardaient avec circonspection mais aucun ne contesta la décision de leur suzeraine. Ils savaient qu’elle avait agi au mieux.
Aussi on préféra reporter le reste de la séance au lendemain matin.
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MessageSujet: Re: Le revers du Triomphe [solo]   les revers - Le revers du Triomphe [solo] I_icon_minitimeVen 31 Aoû 2018 - 7:13

Le ciel se tintait de rouge et d’or alors que chatouillaient les premiers rayons d’un soleil trop pâle. Une petite brise faisait virevolter les pans de tissus accrochés aux fenêtres restées ouvertes. L’éclat blafard du matin léchait le visage de la baronne qui s’éveillait à peine. La nuit avait été difficile à en juger par le fatras de draps emmêlés et les traits tirés de la jeune femme. Toute la soirée avait été secouée de remords et d’appréhension, si bien que le sommeil ne lui était venu que très tardivement. Et là encore, il n’avait rien eu de réparateur : enchaînant les cauchemars et les réveils essoufflés, elle n’avait dû dormir que deux heures à peine. Alors le teint pâle et terne, les yeux gonflés et la fatigue au moral, le s’extirpa de sa couche tristement vide. Qu’elle aurait aimé que Louis soit avec elle ! Lui aurait su apaiser ses tourments, du moins un peu. Elle allait affronter cette nouvelle journée, plus rude encore que la précédente avec une lassitude qu’on ne lui connaissait pas. Peut-être au fond avait-elle hâte de partir, hâte de fuir ces yeux accusateurs et ses seigneurs ambitieux. Et puis, ses pensées s’échappèrent vers Pénélope et son cœur se fendit. Aujourd’hui, elle laisserait une fille presque orpheline aux bras d’une personne dont elle ignorait tout encore.

L’angoisse ne se dissipa pas alors qu’elle avançait fin prête à travers la grande salle. La pièce ne lui avait jamais paru aussi démesurément grande et silencieuse. A son approche, alors que le héraut s’était époumoné une fois encore, les conversations se turent ne laissant que quelques chuchotis accusateurs. Elle tenta de faire bonne figure, avançant la tête haute et souriante jusqu’à la table nouvellement dressée. Et si l’apparente confiance faisait illusion – du moins un temps -, elle chercha du regard le soutien de ses proches. Sa sœur et son frère la saluèrent poliment, et Angélique se risqua dans un sourire réconfortant. Elle avait cette propension naturelle à l’apaisement, presque maternelle, qui réchauffa la Broissieux. Car au moins si tous se constituait contre elle, elle pourrait compter sur le soutien indéfectible de cette cadette qu’elle n’avait pas vu devenir femme. Fulcran lui était bien plus contrit ; leur relation n’avait jamais été simple et s’ils s’aimaient beaucoup, la rancœur avait fait sa place comme une routine bienveillante qu’ils chérissaient avec amertume. Plus loin, sa mère ne cachait guère son anxiété, les sourcils froncés et muselée par un mariage hasardeux qui lui avait valu la colère de son aînée. Chassé des Trois-Murs, elle ne l’avait pas revue depuis des lustres.

Finalement, alors que ses doigts serrèrent la cathèdre, prête à s’y installer, une main chaleureuse se posa sur son épaule. Un poids amical tandis que le visage d’Odias se détachait de cette grosse paluche. Son ami et le sénéchal avait été mis au courant dès Diantra, et si l’acceptation avait été difficile – particulièrement pour le vieil homme -, ils avaient fini par concéder les choix et le libre arbitre. Ils seraient à présent ses alliés. Le regard azuré du seigneur de Wacume transpirait la sympathie, et on eut pu lire à travers ces prunelles : « Ne t’inquiète plus ». Une phrase muette qui pourtant soulagea la belle, plus sereine à se sentir si bien entourée. Les autres, elle les avait déjà matés à plusieurs reprises et même si sa décision lui fendait l’âme elle irait jusqu’au bout. Il n’était plus question de renoncer, ni céans ni jamais. Alors, quand s’éloigna Odias, elle tira bruyamment sa chaise et s’assit, geste rapidement imité par le reste de l’assemblée. Tous les grands seigneurs étaient représentés, excepté la seigneurie de Lodiaker qui s’était vu privée hier de la famille de Lourbier. Et bien qu’une dépêche ait été envoyé dans la foulée, il était presque impossible que son cousin arrive pour le conseil. Aussi, il avait été convenu avec la magistrature et l’accord des vassaux que l’enclave n’émettrait aucun avis – pour ou contre -, et ne pourrait être victime d’aucune injonction jusqu’à la présence physique d’un représentant.
Quelques vavasseurs se massaient au fond, debout, observant d’un œil curieux la curie. Pendus aux lèvres de la baronne, quelques rumeurs avaient dû circuler depuis son retour. S’il était une chose qui se déplaçait plus vite que le vent, c’était bien les potins de la cour. Et puis, il fallait avouer que le couple ne s’était guère caché durant la campagne. C’était peut-être pour le mieux : le Saint-Aimé avait gagné en sympathie et en renommé auprès des Alonnais, et à l’instar de Duncan il arrivait avec des titres et des terres. Cela avait pour mérite de calmer les réticences des plus vindicatifs. Du moins elle l’espérait car elle s’apprêtait à affronter la foule :

« Messeigneurs, merci d’être resté cette nuit après les événements d’hier. Je tenais, avant d’ouvrir ce conseil, à rappeler à chacun les devoirs envers sa terre et son suzerain et que la contestation, le désordre, le trouble et les crimes seront punis à hauteur de l’affront qui sera perpétré. La noblesse ne protège point de la justice, et il important que chacun de nous participe à l’apaisement de l’Alonnan et du royaume »

« Mais là ! Si quelqu’un ici veut se porter volontairement avocat du seigneur Lourbier, il lui sera accordé une entrevue à sa convenance avec l’accusé. Toutefois, en vous portant garant vous acceptez engager votre nom et votre honneur. Monsieur Galainier sera là à la fin de la séance pour prendre bonnes notes de votre engagement dans le procès qui se tiendra sous peu ».
Le silence fût secoué de quelques mots qui ne lui parvenaient qu’en un brouhaha confus. Hermance Lesdiguières hocha la tête, et l’on eut vu l’ombre d’un sourire se dessiner au coin de ces lèvres boudeuses. Il approuvait sa démarche, et cette entrée en jambe lui avait regonflé un brin sa confiance. S’enchaînèrent pendant près de deux heures, de longues discussions concernant la vie Alonnaise. On souleva la grande réussite de la construction du port fluvial, on parla des accords commerciaux, d’agriculture. Les seigneurs participaient vivement, comme s’ils ne se doutaient de rien ; même Alanya finit par occulter que le plus dur était à venir. Mais, alors que les sujets courants avaient été traités, une bouffée l’envahie à nouveau : il n’est rien de plus terrible que de se retrouver face au moment le plus redouté, sans avoir pris conscience que ce dernier arrivait à grands pas. Et presque aussi vite, le courage la quitta totalement. Lessivée, fatiguée, elle n’osa pas commencer sa diatribe sous les regards désabusés de ses confidents. Le conseil se clos de lui-même peu après, et tous les seigneurs furent remerciés de leur présence…
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MessageSujet: Re: Le revers du Triomphe [solo]   les revers - Le revers du Triomphe [solo] I_icon_minitimeLun 3 Sep 2018 - 22:07


Les larmes, voilà tout ce qu’elle se souvenait du lendemain. Même le temps avait troqué son éclatante pureté pour une couleur plus maussade, comme si lui aussi savait ce qui se tramait dans le cœur de la baronne. Il n’était pas midi lorsqu’elle se retrouva assise dans son bureau, Mathieu de Galainier en face d’elle. « Vous voulez quoi ?! »
La question avait fendu l’air et le cœur meurtris de la belle. Solidement ancrée dans son siège, elle priait silencieusement que l’échange ne dure pas plus long. Elle aurait aimé fuir, simplement. Sans un mot, elle serait partie par la grande porte sans que personne n’en sache rien et aurait prévenu – des jours plus tard – de sa décision. Cela aurait sans doute été moins douloureux que d’affronter le visage interloqué de son ministre et les larmes muettes de la jeune Angélique qui se tenait près d’elle. Etrangement, par pudeur peut-être, la cadette n’osa émettre le moindre son : coupée en deux par la révélation, elle n’osa même pas contester. Peut-être savait-elle que la décision avait été longuement mûrie ; les conséquences de son geste seraient irréparables. Tout allait bientôt voler en éclat dans le castel des Trois-Murs, et rien n’aurait plus la sureté et le réconfort qu’elle trouvait en ces murs. « Je souhaite abdiquer au profit de ma fille, Mathieu ». La voix de la suzeraine, pour quelques heures encore, était sereine mais pincée par la tristesse. Il lui coutait tant de partir ainsi, qu’on en comprenait presque la honte qu’elle avait ressentie la veille. Incapable de se tenir digne face à ses vassaux, elle avait préféré établir ses conditions en comité restreint. Les autres se feraient à son départ, tôt ou tard.
« Mais votre Hon… »
« Non Matthieu. Ma décision est prise. Pour le bien de ma terre, et pour le mien il en sera ainsi ».
Et comme un souvenir indélébile de cette journée effroyable, les pleurs de la débutante ne cessaient d’inonder ses joues rougies. Elle se mordait compulsivement la lèvre, tentant de retenir les gros sanglots qui naissaient au fond de sa gorge. Ses yeux cherchaient ceux de son aînée mais Alanya ne parvenait à se résoudre. La regarder, affronter son jugement et sa peine était un supplice qu’elle n’était pas prête à endurer ; pas dans l’immédiat. Le ministre garda bonne contenance bien que sa mine se tira un peu. Il faisait partie de la vie de la baronnie depuis peu de temps mais déjà il avait noué pour la famille régente une affection particulière. A vrai dire, ils auraient bien pu être cousins, par quelques croisements antérieurs. Et alors que le mutisme retombait dans l’étroit bureau, Angélique chassa l’eau de ses prunelles d’un revers de la main. « P…Pppp… Pourquoi ? ».
Pour la première fois depuis l’entrevue, la baronne se tourna un peu vers la silhouette fluette qui venait de s’exprimer vaille que vaille. Tous ses organes semblaient s’être enfuit, tant le nœud dans son ventre lui semblait grand. Alors elle prenait la mesure de l’égoïsme de son geste. Elle ne faisait ça ni pour sa terre, ni pour sa fille. Si elle partait, ce n’était que pour son plaisir. La honte lui repris, et elle lissa les plis de sa robe. Un geste rassurant, qui lui donnait un semblant de courage, une prémices de témérité. Une mèche si fragile qu’un souffle suffirait à l’anéantir à jamais. N’écoutant plus que son cœur, ses mains se joignirent aux siennes, laissant s’échapper – la tête basse – un long soupir désolé.
« Je t’aime ma sœur, comme j’aime ma propre fille et notre frère. Je vous chéris de tout mon cœur, et pourtant il est un homme que j’affectionne plus encore… ». Ses doigts se serrèrent, jusqu’à en faire blanchir ses phalanges coupables. « Desmond était un choix imposé, Duncan un choix politique. J’eus apprécié Arichis plus que de raison mais c’était une erreur. Aujourd’hui, les Cinq m’ont donné la chance d’aimer à nouveau. Un amour pur, sincère, comme il n’en existe qu’un seul ma sœur ».
« Tu nous abandonnes, nous ton peuple, ta famille pour un homme ?! Mais ici, tu en as aussi des hommes que tu pourrais aimer ! ». La détresse surpassait la logique, et si elle s’énerva un peu la cadette était surtout bouleversée. Elle ne voulait que le bien de la baronne, bien qui lui en coutait de perdre sa présence au quotidien.
« J’eus préféré Angélique, je te le jure… ». A regret, elle lâcha ses mains tandis que la petiote s’effondra une nouvelle fois dans un océan de larmes chaudes. Monsieur de Galainier n’avait pas bougé, regardant la scène avec discrétion afin de laisser aux femmes leur intimité. « Pour consentir à notre union, le Brochant a demandé mon éviction de l’Alonnan… Je signerai avant la cérémonie l’édit de succession, indiquant Pénélope comme légitime baronne et Angélique comme sa régente ». Elle avait la nausée. « Pénélope grandira à mes côtés, à Sainte-Berthilde jusqu’à ses six ans, où elle retournera auprès de sa tante et d’un précepteur qu’elle lui aura choisi… ».
Au moins se préservait-elle d’une séparation avec sa fille. La petite Broissieux viendrait l’enjoindre d’ici une énnéade au plus, et resterait avec Louis et elle-même jusqu’à ce qu’elle soit en âge de comprendre les choses.

Les champs défilaient à l’intérieur du carrosse. Une petite escorte tenait au flanc du véhicule qui chahutait le long des pavés, tandis que la baronne se laissait porter par le cliquetis des fers des chevaux sur le chemin. Le rythme lancinant, presque mélancolique, trouvait écho dans la pluie fine d’été qui s’était invitée au départ de la suzeraine. C’était bien certainement la dernière fois qu’elle reviendrait ici avec son titre, et la dernière fois que les paysans appliqués l’acclameraient sur la route. Lui faisant face un rondouillet avocat qui tenait prêt de lui un rouleau qu’il avait déjà rédigé la veille. L’homme de loi devrait faire signer la belle et son époux la veille des noces afin d’apporter à l’Alonnan l’étrange nouvelle. Elle ne savait trop comment serait accueilli l’annonce – tant auprès de ses vassaux que des petites gens. Secrètement, elle espérait qu’aucun ne lui tienne rigueur des affres de son cœur. Pourtant, elle ne se leurrait pas : revenant marquise, apportant une alliance de poids, elle n’en resterait pas moins celle qui abandonna son pays pour le minois d’un étranger.
Alors, à peine cinq jours après son retour, elle s’apprêtait à dire au revoir à la terre qui l’avait porté. Observant la silhouette majestueuse des Trois-Murs s’effacer au loin, les larmes coulèrent enfin sur le visage esseulée d’Alanya de Broissieux.
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