Le souffle du Firmament

Nakor venait de quitter la forêt d'Anaëh. Il y avait trouvé d'abord Arthur, son ami dragonnier qui avait bien changé depuis. Un peu déjà au début de son séjour chez les elfes et bien plus profondément encore maintenant. Il avait aussi affronté dans un duel amical mais dangereux, l'archimage Loethwil puis découvert le changement amorcé chez Haldren Baenfere, l'ancien drow redevenu sylvain. Il souleva donc son tapis dans les airs et parti en trombe en direction de sa guilde. Que de choses à rédiger dans les mémoires secrètes, au sommet de la forteresse! Le vieil homme se demandait bien comment la vie pouvait encore continuer à le surprendre même après tant de siècles à arpenter les terres de ce monde. Enfin arrivé à destination lors d'un vol sans trop de problème à par quelques oiseaux qui avaient eu l'audace de lui foncer dessus comme les imbéciles qu'ils étaient, il ouvrit les volets de son bureau personnel et entra, replia l'étoffe en coupant ses pouvoirs magiques et prit le temps de savoir pour souffler un peu. On frappa assez vite à sa porte.

"Oui entrez!
- Magistère, je viens m'assurer que vous allez bien. Un thé vous ferez sans doute plaisir? Nous vous avons vu en approche, il est donc tout juste infusé.
- Ho Alfirin, c'est bien aimable, vos tisanes sont toujours revigorantes. J'ai passé un séjour formidable chez vos semblables en Anaëh.
- La cité est-elle toujours la splendeur du monde?
- Comme vous y allez! Mais votre cité va bien, je vous rassure. J'y ai vu un dragon ...
- Un dragon? Par la déesse ...
- Rassurez-vous, un dragon ami Alfirin! Merci de me laisser me reposer, je suis un peu las."

Et le magicien intendant elfe se retira. Nakor bu de longues gorgées de cette tisanes médicinales qui redonnait force et vigueur à ceux qui la buvaient. Il prit le temps de rédiger quelques unes de ses pensées sur un vélin précieux en indiquant lieux et dates, puis le rangea dans son tiroir personnel. Il reviendrait dessus le moment venu.

"Il me faut vérifier nos ouvrages sur Nisetis et les dragons! Sait-on jamais."

Nakor avait toujours l'esprit en ébullition et les effets de son thé commençaient à faire ouvrage. Il se leva donc, saisit son bâton et descendit les escaliers en prenant d'abord bien soin de refermer la porte de son bureau. Il fit frapper son bâton sur les marches du grand escalier. Des apprenties magiciens saluèrent avec un grand sourire et beaucoup de respect le vieux sorcier, c'était un groupe de mages humains. Il y avait de la déférence dans leurs yeux. Le vieil homme n'aimait pas beaucoup cela, car aucun sorcier ne devait être l'esclave ou le maître d'un autre, il fallait être un esprit libre. Mais d'un côté, il comprenait sa position dans la guilde et avait obtenu le respect de tous en les impressionnants tant par ses discours que ses leçons et surtout, ses démonstrations. Il serra la main de deux drows qu'il n'avait pas vu depuis qu'ils étaient parti en mission et s'assura de leur réussite. Il les félicita puis continua sa route. Le mage nain runiste donnait des conseils à quelques pratiquants qui s'initiaient à cet art avec application. Et enfin, il entra dans la bibliothèque. Avec une voix extrêmement basse, l'elfe en charge du calme et de la sérénité dans le lieu, salua dans sa langue maternelle l'archimage et lui demanda s'il pouvait l'aider en quoi que ce soit.

"Je viens simplement visiter notre collection sur Nisetis et sur les dragons. Les ouvrages sont-ils rangés dans des salons distinct Cindanne?
- Non Magistère, ils se trouvent côte à côte dans l'alcôve ouest, salon émeraude.
- Que ferai-je sans vous mon ami?"

Et il s'inclina sur un sourire avant de se diriger vers le lieu indiqué. Il entra enfin dans le petit salon, referma la porte silencieusement et s'approcha de l'étagère principale. Il passa en revu les quelques livres présent, s'en saisit d'un et s'installa machinalement dans le grand sofa avant de presque bondir sur place.

"Par tous les dieux!"

Il plongea son regard sur le corps allongé en assoupi d'un elfe étrange qui l'avait accompagné voilà un temps. Désireux de se rendre en Nisetis, il avait d'abord accompli quelques tâches. Savait-il que le vieillard viendrait ici? Etait-ce une machination pour le tuer? Ou le plus magistral des hasards qui avait poussé Dunrael à s'endormir sur l'un des canapés les plus confortables de toute la bibliothèque. Personne ne venait jamais dans ce salon, au grand désarrois de Nakor : les ruines de Nisetis faisaient peur, elles étaient envahis par les drows et l'histoire comptée dans les quelques livres que le Magistère du Firmament avait réuni ici, donnaient une histoire incomplète et donc moins intéressante pour les jeunes étudiants.

"Dunrael ... ce n'est guère ici un lieu pour dormir ... enfin ... en fait à bien y réfléchir oui c'est un bon lieu pour dormir!"

Et le vieux fou se mit à glousser en ouvrant son tome des archives de Nisetis. L'elfe taciturne se lèverait-il? Resterait-il endormi? Souhaiterait-il parler avec le vieillard? Ou simplement le regarder sans bouger. Nakor allait vite le savoir.

L'elfe décida finalement de s'éveiller et d'adresser la parole au vieux fou. Ce n'était pas chose si simple et commune. Dunraël était un vieil elfe, il avait déjà atteint ou approchait le deuxième cycle. Deux millénaires à vivre sur le sol de cette terre complexe et multiple. Comme tout elfe aussi âgé, il avait un léger complexe de supériorité, considérant sans doute les réflexions et pensées des plus jeunes, comme stupides. Le Magistère s'amusait de la façon dont le maître de l'immatériel le dénommait. Il était en effet un peu hors du temps quand on y réfléchissait. Il souriait à chaque fois qu'il entendait ce nom là. La barbe blanche inclina donc la tête pour répondre à la salutation de son homologue magicien et écouta avec attention. Il fut d'abord surpris de l'entendre demander de l'aide aussi ouvertement et se concentra donc sur la suite. C'est alors, debout que l'elfe expliqua plus en avant ses besoins. Cela fit apparaître un minuscule sourire en coin sur les lèvres du vieux fou.

"Dunraël, mon ami ... je pense que j'aurai payé pour voir ou plutôt entendre votre conversation avec celles et ceux à qui vous avez proposé vos services. Passer de trop nombreuses années sur ce monde peut avoir différents effets aussi bénéfiques que maladroits pour certains. Et je crains que d'avoir passé trop de temps en ermite du monde loin des peuples diverses de Miradelphia ait fait disparaître en vous la capacité d'ouverture nécessaire à la vie dans cette région!"

Et le vieil archimage se mit à rire doucement. Naelis et tout l'Ithri'Vaan étaient un regroupement de très diverses multitudes. Des drows, des humains et parfois des elfes ou des hybrides. Il fallait avoir vécu ici plusieurs années et rester au contact de ces peuples pour pouvoir les appréhender, en comprendre leur fonctionnement et l'accepter comme pas spécialement plus idiot que celui des autres. Mais ça n'était pas bien grave et il n'y avait aucune animosité ni aucun mépris dans les propos de vieillard.

"En effet, je vous ai promis de vous guider jusqu'aux ruines des terres anciennes de l'empire Dragon. Même si, à cette époque, je pensais bénéficier de plus de temps et de sérénité pour vous y amener et rester avec vous tout le temps qui vous serez nécessaire pour y faire ce que vous souhaitez y faire, le monde se rappelle un peu trop souvent à moi. Ce n'est que mon entière faute et je vous demande de bien vouloir m'en excuser mais j'ai des impératifs. Le monde avance, avec ou sans nous et il y a parfois des décisions à prendre, des rencontres à faire et des actions à mener. Enfin ... ce n'est certainement pas à vous que je vais apprendre ce genre de choses. Et puis entre nous Dunraël, les morts de l'empire dragon ... et bien ... comment dire ... ils sont mort depuis plus d'un millénaire! Alors quelques heures de plus ou de moins. J'ai pensé que ça n'était pas au premier plan. Mais je me trompe peut-être. Votre magie de l'Immatériel s'estompe-t-elle si trop d'années se sont écoulés? Auquel cas, un compte à rebours serait-il démarré mon ami?"

Nakor posait ses questions avec sincérité. Il ne pratiquait pas du tout cette magie, qui le rapprocherait un peu trop de quelqu'un qu'il avait appris à aimer autant qu'à détester, à craindre autant qu'à respecter : la mort!