Le butin de la victoire [Renaud]

A l'évocation d'une missive à l'intention du Duc, et vu le sceau qui attestait de la noblesse de l'expéditeur, on laissa les deux comparses franchir la poterne, tout en leur demandant de laisser leur compagnie armée de coté. On s'occupa d'ailleurs des hommes d'armes en les emmenant se rafraichir, et se restaurer, les lois de l'hospitalité étant d'usage à Erac. Les chevaux, épuisés par le voyage, furent prit en charge par des palefreniers aux regards courroucés, et emmenés aux écuries, ou on les bichonna avec amour. C'est qu'Erac élevait les meilleurs destriers de bataille de la péninsule, et cela faisait qu'on ne rigolait pas avec la santé des montures au sein du Duché, la réputation n'était pas usurpée. On introduisit les deux compagnons dans un salon, leur demandant d'attendre la pour savoir si le Duc pouvait les recevoir. On leur amena de quoi se sustenter et s'abreuver

Renaud était à l'entrainement, dans les sous-sol de la citadelle, quand on vint le trouver pour lui annoncer la nouvelle. Il s'adonnait à cet exercice quotidiennement, non pas parce qu'il adorait cela, mais pour l'image qu'il renvoyait à ses vassaux. Erac était une terre martiale même si elle ne faisait pas partie du septentrion, et les chevaliers pullulaient littéralement au sein du Duché. Même si c'était par obligation qu'il s'astreignait à cela, l’entrainement était payant, aussi, bien qu'avec des traits fins, la musculature du Duc était bien présente, et il avait acquis quelques talents de bretteurs faisant de lui un combattant compétent, le rendant redoutable, même s'il ne tiendrait bien entendu pas la comparaison avec un vrai guerrier, un de ceux qui font cela par passion. Torse nu comme à son habitude, il prit sa chemise qui trainait, jetée nonchalamment sur une chaise à côté de l'air d'entrainement, et il s'essuya la sueur qui perlait de son front et de son torse. Il se demandait ce que Scylla lui voulait, n'ayant pas eu de rapports autres que lors de la campagne. Sa curiosité piquée au vif, il accepta donc l'entrevue, et demanda à ce qu'on les fasse attendre, le temps qu'il soit présentable.

C'est donc bien plus tard, titre oblige, que Renaud entra dans le petit salon ou se trouvaient les émissaires scylléens. Renaud prit la missive, et il la lu attentivement. Pensant tout d'abord qu'il s'agissait d'une demande d'échange, ce qui était au final à la fin, il fut surprit de lire qu'on lui parlait de rançons pour les velteriens capturés au combat, se demandant en quoi cela le concernait. Continuant sa lecture, il comprit rapidement ou voulait en venir le Vicomte, et il devait bien se rendre à l'évidence que Lohie avait eu a une brillantee idée. Renaud prit toutefois le temps de la réflexion, laissant le silence qui s'était installé au début de la lecture perdurer, cela pouvant rendre nerveux les émissaires. Il les dévisageait tout en songeant à l'idée, et enfin il prit la parole

"Savez vous de quoi il retourne dans le message que le Vicomte m'a envoyé ?"

Ne les laissant pas terminer, il continua dans la foulée

"Il me demande de prendre en charge le paiement des rançons des hommes que l'armée de Scylla à capturé. J'avoue que je trouve l'idée séduisante. Quelles sont vos instructions ? avez vous les prix demandés ? et la manière dont il souhaite procéder ? ou dois je juste lui répondre et attendre en retour ?"

Renaud n'avait pas loupé non plus que, parmi les deux noms cités, il y avait celui du frère de Nimmio. Il l'aurait volontiers racheté afin de pouvoir le torturer, et le mettre à mort, mais celui-ci était déjà condamné par la couronne, il se demandait donc pourquoi on lui proposait de le racheter

"Le Vicomte parle de Jesbel, le frère de l'ogre" Renaud ne citerait plus jamais le fait que cet homme tait Comte, et éviterait de prononcer son nom "Je pensais qu'il l'avait remis aux autorités royales, qu'en est il ?"

Ainsi donc, le petit clerc qui lui faisait face pouvait négocier, voila qui était une bonne chose

"Fort bien, fort bien, les hommes de confiance se font de plus en plus rare, le Vicomte est un homme chanceux"

Il fallait dire que Renaud était plutôt du style paranoïaque, et qu'il ne donnait pas sa confiance aisément, au contraire. A aujourd'hui, il n'avait d'ailleurs aucun ami, et la seule personne avec laquelle il pouvait éventuellement tisser un lien était Ernest, voir peut être Etienne, mais rien n'était fait. Renaud écoutait, ayant la confirmation que le frère de l'ogre se trouvait toujours entre les mains de Scylla. Il prit le second vélin qu'on lui tendit, et il en prit connaissance tout en gardant son oreille attentive aux dires du clerc

"J'en fais naturellement partie, c'est un fait"

Ne pas faire partie de la chevalerie, en étant eracon, n'était pas logique, l'un n'allait pas sans l'autre au sin du Duché. C'était une mauvaise idée que de racheter Jesbel, déjà parce que la couronne pourrait l'exiger sans dédommagement, même si elle s'en garderait surement. Ensuite parce qu'il serait difficile pour le Duc que d'avoir ce prisonnier sans vouloir le faire souffrir, ce qui allait à l'encontre des règles de ladite chevalerie. Les prix demandés étaient on ne peut plus bas, ce qui étonna le Duc. D'ordinaire, on avait plutôt l'impression que les rançonneurs exigeaient de fortes sommes pour rentabiliser leurs campagnes, hors ce n'était pas le cas du Vicomte. Mais l'envoyé de celui-ci avait dit qu'il était la pour négocier, alors, autant chercher à faire baisser encore les prix. Après tout, même si le Duché n'était pas exsangue, les sanctions royales ne l'aiderait pas à s'enrichir. Il releva tout de même un impair de taille

"Il n'y a pas de Baron de Velteroc, et Jesbel ne l'a jamais été, et ne le sera jamais"

Une condamnation à mort de la part de la couronne ne permettait nullement de prétendre à un titre, c'était l'évidence même. Jesbel ne pourrait donc pas prétendre au titre de son défunt frère, Tyra puisse le faire souffrir dans son Royaume. Le trône était vacant pour l'instant, mais Renaud allait en prendre la régence, en attendant de trouver un candidat pour prendre le titre. Peut être ce Philippe de Montvif, s'il se montrait à la hauteur

"Je ne vais pas payer la rançon de Jesbel, je préfère ne pas avoir affaire avec cet homme. Vous m'en voyez navré, je laisse le soin au Vicomte de le livrer à la couronne. Par contre, je vais en effet m'acquitter du paiement pour les autres"

Le sire de Riveruin l’intéressait le plus vu sa position au sein de l'ancien Comté, maintenant baronnie. Mais les autres pouvaient valoir le jeu, et s'attirer quelques sympathies de la part des velteriens, et un signe d'apaisement, une main tendue vers eux, pour bâtir un futur commun, au delà des rancœurs. D'ailleurs, Renaud n'en avait aucune envers les Seigneurs de Velteroc, mais uniquement à l'encontre de la maison de l'ogre.

"Si je paye les rançons pour tous, la somme totale de sept mille écus satisferait elle le Vicomte ?"

Les prix étaient bas, mais il fallait toujours négocier, pourtant, Renaud ne souhaitait pas non plus descendre trop les prix, ne voulant pas être perçu comme quelqu'un d'avare. Mais après tout, il allait payer pour tous, et en une seule fois, ce qui soulagerait les démarches de rançons multiples. Et pire, si la rançon ne pouvait être payée, de devoir nourrir les malheureux en attendant qu'elle soit réunie.

"Je pense que l'offre est correcte, d'autant que vous n'aurez pas à vous rendre dans chaque châtellenie pour demander la rançon."

Les économies faites en évitant ce voyage, même si elles ne seraient pas équivalentes au rabais demandé, pouvait aussi valoir la chandelle.

La négociation était suspendue aux lèvres du clerc de Scylla. Allait il accepter l'offre du Duc ? il fallait dire que déjà le prix n'était pas bien lourd, mais Renaud y était allé fort sur la baisse qu'il avait demandé. Bien entendu il s'attendait à une contre offre. Payer les rançons des velteriens devrait normalement lui valoir leur reconnaissance, ou du moins ils devraient se sentir débiteurs, c'était autre chose des eracons qui, bien qu'étant dans le camp des vainqueurs, s'étaient vus accablés d'un impôt supplémentaire pour payer les sanctions royales. La populace ne verrait pas forcément d'un bol œil de voir l'argent du duché payer les rançons de leurs adversaires d'hier, des hommes qui avaient faits des veuves et des orphelins en Erac, et qui se retrouvaient libérés sur leurs deniers. C'est qu'à part lorsqu'ils parlaient des moissons à venir, ils ne pensaient qu'à l'instant présent, et qu'ils ne comprenaient rien à la politique.

Après avoir dit qu'il comprenait les réticences de Renaud à récupérer Jesbel, Porcelet accepta l'offre du Duc, à son étonnement, même si, naturellement, il n'en montra rien. Voila qui lui ferait faire une belle économie, et des hommes qui lui seraient reconnaissants à moindre coup, quelle aubaine. Il devrait remercier le Vicomte d'avoir eu l'idée de lui proposer cela avant d'aller voir les familles des intéressés, c'était fort appréciable de sa part. Mais avant de se frotter les mains, il faudrait compter avec l'esprit du clerc, des plus affutés. Celui-ci revint à la charge, demandant en compensation, d'offrir des destriers eracons au Vicomte. Un cheval coutait beaucoup, mais un destrier eracon valait les yeux de la tête. C'était donc un troque astucieux, pouvant faire passer la baisse de prix, c'était habile. C'était de bonne guerre, et ce n'était pas non plus une demande folle. Pourtant, Porcelet venait de commettre un impair, car en parlant de Pont-l'Amor, il ravivait une défaite cuisante des eracons, sous le commandement de Leandre, surtout que le Vicomte avait combattu dans le camp adverse. Les mots de Renaud furent bien froid l'espace d'un instant

"Un destrier eracon à Pont-l'Amor, dans le camp adverse,voila qui est ironique. Peut être la pauvre monture ne voulait pas prendre part au massacre des siens"

Pourtant, le passé était ce qu'il était, une page noire du Duché s'était déroulée, et avait continué jusqu'à ce que Renaud ne reprenne en main Erac. Maintenant, il devait malheureusement purger les sanctions engendrées par les échecs de son père, et de ses deux frères. L'avantage était qu'il serait difficile de faire pire, le Régent l'avait souligné lors d'une discussion avec Renaud. Le jeune Duc espérait parvenir à redresser le Duché, et le remettre la ou était sa place, soit à la meilleure place sur la scène politique. Lui même s'était réconcilié avec le couronne, et celle-ci l'avait reconnu, c'était déjà un bon début, et l'espoir était revenu après la victoire contre le médian. Il y avait encore beaucoup de chemin à faire, et Renaud avait des lacunes à combler. Prenant donc sur lui face à l'impair de Porcelet, il finit par sourire, après avoir fait semblant de réfléchir alors qu'il savait déjà qu'il accepterait sa demande. Cela ferait également une belle mise en avant pour le Duché

"C'est entendu, j'offrirais deux destriers de mon écurie personnelle au Vicomte. J'espère qu'il comprendra le geste comme une volonté d'effacer le passé, et d'avancer vers un avenir meilleur pour tous."

Le petit clerc pourrait souffler, s'il s'était rendu compte de son impair, en entendant cette phrase de Renaud. Le Duc continua

"Quand comptez vous repartir ? Il faudra un peu de temps pour réunir la somme demandée. Allez vous rester avec nous pour le repas ?"

Puis s'inquiétant pour l'argent qu'il allait remettre au clerc, il finit par demander

"Avez vous suffisamment d'hommes pour escorter tout cet argent ?"

Renaud désirait oublier le passé, malheureusement, c'était impossible, et chaque fois qu'il pensait y parvenir, cela lui revenait en pleine figure. Il avait alors compris qu'il devrait faire attention à faire le moins d'erreurs possibles, et Néera savait qu'il en avait déjà fait pas mal, et qu'il en referait d'autres. Résolument tourné vers l'avenir, pour les raisons ci-dessus, le Duc voulait montrer une nouvelle image d'Erac, renouer (en complète contradiction avec ce qui avait été dit avant) avec le faste d'antan, replacer le Duché sur le devant de la scène politique. La tâche semblait insurmontable, mais il espérait avoir les épaules pour. Malheureusement, encore une fois, son esprit paranoïaque le desservait grandement, l'empêchant de se lier d'amitié avec sincérité. Tout cela faisait la complexité du personnage qui travaillait d'arrache-pied. Tout cela pour en venir aux allusions du petit clerc sur les frères d'armes, et l'amitié apparemment déjà amorcée. En effet, ils avaient participé à la même campagne, et Renaud y avait combattu, mais pas à Christabel, ou on lui avait demandé de rester en retrait aux côtés de Louis. Cela l'avait bien arrangé, lui qui avait été dépucelé à la guerre lors de la bataille de Valdrant. Il avait détesté cela, même s'il y avait étonnamment fait bonne figure. L'instinct de survie, et l'entraînement quotidien rituel lui avait sauvé la vie, mais s'il pouvait éviter d'autres batailles, il ne cracherait pas dessus.

La visite de Porcelet, porteur du message de Lohie, amenait Renaud à se dire qu'il devrait revoir ce Vicomte, qui semblait habile en politique. Les mots utilisés par son clerc étaient-ils dit purement pour la forme, ou y avait-il une once de vérité ? L'avenir le dirait, du moins si les deux hommes étaient amenés à se revoir.

"Nous avons effectivement combattu ensemble durant la dernière guerre, rappelant aux ennemis de la couronne que notre bon Roy avait toujours de loyaux serviteurs à ses côtés."

Renaud croyait dur comme fer qu'Erac devait être au plus proche de la couronne, que cette union de Diantra avec le Duché était un socle inébranlable. La couronne n'avait-elle pas d'ailleurs commencé à perdre de sa puissance et de son faste quand des conflits étaient survenus avec Erac ? Porcelet était un homme avisé, il ne rejeta pas l'offre du Duc de renforcer sa troupe.

"Il n'y a pas d'abus, c'est moi qui vous l'ai proposé. Rester donc parmi nous le temps que la somme soit réunie, je ferais mander un sergent qui réunira une petite troupe pour vous escorter jusqu'au lieu de votre choix."

Il serait en effet navrant que la rançon ne soit volée