Début Trame de l'Hydre :: Sans tête, le poulet court toujours

C’était … étonnant. Comment une femme éreintée, blessée de surcroît, réussissait à faire montre d’un talent aussi exacerbé pour le combat ? Vazdran l’avait bien aidée à deux ou trois reprises, à endurcir son harnois d’une couche épaisse de givre, ou à percer d’une lance pointue un homme qui chercha à l’atteindre dans son angle mort, mais la vérité, c’est qu’elle cheminait au travers la foule comme le plus agressif des tasses-bœufs. Il vint même à se demander s’il n’avait pas déjà aperçu pareille adresse au combat de son vivant … Enfin, ils arrivèrent à bon port lorsqu’il vit Krish s’arrêter près d’un mur bordélique et d’y faire s’envoler quelques caissons de bois qui y traînaient. Là, plus guère de place au doute : c’était bien l’armure de sa sœur. Le mage s’approcha au pas de course de Krish afin de s’assurer que ses desseins n’étaient guère teintés d’animosité envers sa cadette. Arrivé à son niveau, il la vit, au travers cet épais nuage de poussière … Sa sœur n’avait de signes de vie que son souffle laborieux et les quintes de toux qu’elle s’efforça à encourager pour libérer sa bouche du sang qui pissait encore par sa langue sectionnée. Depuis son vol plané, la pauvresse n’avait réussi, malgré sa résilience hors du commun, seulement qu’à se tourner sur le ventre pour ne pas s’étouffer par son propre sang. Elle avait mauvaise mine et de la voir gire ainsi, il n’était pas improbable qu’elle pousse son dernier souffle dans les minutes à venir.

Krish rengaina sa lame sans une ni deux, puis s’empara d’une lame toute menue pour sectionner les sangles de cuir qui retenait son plastron. Libérée de cette atroce compression qu’exerça le morceau de métal cabossé à la prêtresse, icelle inspira comme à son premier jour, comme si elle suffoqua depuis si longtemps que cette bouffée d’air, malgré qu’elle fût empoissée de poussière, lui parut comme la plus libératrice d’entre tous. Elle cracha, encore et encore, puis tenta de se redresser sur ses genoux, la tête penchée vers l’avant et les cheveux couvrant son faciès endolori par les blessures. Avant que la berserk s’en emporte à nouveau, Vazdran s’approcha de Krish pour déposer une main à son épaule, comme pour prendre la relève.

« Retourne-t-en te battre. Tes fidèles se meurent là-bas. Je m’occupe d’elle. »

« Pas avant qu'elle n'ordonne à ses prêtres d'épargner mes hommes. » Rétorqua Krish sèchement, loin d’être prête à relâcher sa prise de sitôt. Vazdran aurait de loin préféré emporter sa cadette à l’abri des combats, non seulement pour la voir hors de danger, mais aussi car il craignait que l’approcher de trop peu de la rixe ne la fasse s’emporter à nouveau. Tout de même, s’était mieux que de contredire la repentie, qui après l’avoir vu à l’œuvre, aurait bien été capable de les occires tous les deux sur le champ.

« C’est entendu… » Et Vazdran se lança prêt de sa sœur, qu’il couvrit d’une main aux épaules, la voyant aussi chancelante qu’une brindille. Elle était encore sonnée et son regard vide laissait présager qu’elle n’avait plus toute sa tête. Le mage lui chuchota à l’oreille longuement, comme s’il parla à une môme qu’il fallait rassurer. Sans se soucier de ce qui l’entoura, Kel’Zora se redressa aidée par son frère, puis chemina jusqu’au premier prêtre qu’ils rencontrèrent.

« Tous … Les masques, ils … ils sont tous avec nous. Ils … Ce sont des nôtres. » Elle avait avertie le dévot avec bien des difficultés, mais l’ordre se propageât comme un feu de paille, alors que le fils d’Uriz s’en alla gueuler l’ordre ultime. Vazdran soutint le regard de la chef des repentis, puis lui tourna le dos sans autres ambages ni remerciements. Ils auraient pour ça, tout le luxe de rattraper ces politesses une fois le conflit géré …

- Elle doit survivre. " lança Krish au mage qui partait en maniant sa magie de glace avec maestria. Mais il n'y avait pas de temps à perdre. Les combats s'éparpillaient et s'essoufflaient. C'était le moment décisif. Le moment où les rebelles qui avaient encore du cœur au ventre tenteraient de se rassembler pour une dernière percée. Un dernier essai.

Maintenant que les prêtres et les Repentis coopéraient, il n'y avait plus de risque de défaite, mais les pertes pouvaient être lourdes s'ils ne se ressaisissaient pas avant que les rebelles ne frappent pour les emporter dans la tombe, tel de véritables daedhels. Esquivant et avançant bien plus qu'elle ne prenait le temps de se battre, écopant de toujours plus d'estafilades et de coups malgré l'attention qu'elle accordait à ses arrières maintenant qu'elle n'avait plus de mage attitré, elle parvint jusqu'à la placette qui bordaient la porte. Les gardes restés près de l'accès repoussaient ceux qui s'en approchaient trop sans distinction. Mais elle vit surtout celui qu'elle cherchait. Un mastodonte à la gueule fracassé dont la main droite n'avait plus que trois doigts refermés sur le manche d'un espadon de taille aberrante. L'ancien Streea Jabuk du IV balayait bien plus d'ennemis que ses congénères et agissait avec la même férocité que la Haute-Prêtresse.

- Gorhur ! " appela Krish dès qu'elle fut assez prêt. " GORHUR ! " L'homme repoussa un guerrier particulièrement motivé d'un coup de battoir et fit signe qu'il avait entendu. " Encerclement. Base 4. Les Hauteurs en priorité ! Couvertur des derniers Éveillés. NOUS ALLONS EN FINIR RASSEMBLEZ-VOUS ! " termina-t-elle a l'intention de tous.

Se dégageant des combats, les prêtres suivirent peu à peu le mouvement des repentis. Rompus aux stratégies et aux bataille, nulle doute qu'ils auraient effectués une telle manœuvre avant que Krish ne donne le mouvement s'ils avaient eu la certitude plus tôt que le dernier groupe arrivé était constitué d'alliés... Où peut-être aurait-il fallut que leur chef leur permette de se comporter en tigre et non en chiens soumis. En même temps que les combattants se rassemblaient, les blessés étaient ramenés derrière la première ligne, sauvant quelques vies au passage.

La ligne de front devenait de plus en plus nette, permettant à des traits d'arcs et d'arbalète de pleuvoir à une vitesse supérieure.

Puis, un frémissement. Un éclat de lumière clignota sur les toits un peu plus loin dans la rue. C'était le moment. Le point de non retour. Le second de Kel'Zora leva le poing et donna l'ordre de la dernière charge. Les Repentis et les prêtres qui tenaient debout rugirent de concert, faisant preuve le la même rigueur martiale. Chacun conservait son espace de combat sans gêner les mouvements de ses comparses. La charge se déploya naturellement en pique, sur tous les axes qui débouchaient vers la porte.

Le marteau d'un prêtre portant le Soleil d'Uriz gravé dans la chair de sa joue tomba comme celui du Père lui-même, sonnant la fin de cette bataille et la victoire des justes eldéens.

Ceux qui avaient tentés de fuir bêtement s'étaient heurtés à la masse des renforts Repentis, rassemblée en arrière pour leur couper la route. Certains s'étaient surement glissé dans les manoirs, dans les tunnels, les caves, les toits, mais ce n'était plus leur problème pour le moment. Les autres étaient soit mort, soient laissés pour tels sur le champ de bataille, inconscient ou blessés.

Un silence fébrile gela l'atmosphère, cadencé de cents respirations poussives au milieu des gémissements plaintifs. Les Repentis entonnèrent une prière scandée à la gloire d'Uriz et de sa Vengeance Libératrice  auxquels ils dédiaient leur Victoire. D'abord surpris, les prêtres se joignirent à eux. Puis les têtes de ceux qui tenaient encore debout se relevèrent sans distinction. Les yeux se croisèrent, rayonnant d'une joie féroce et fière tandis que les lames revenaient au fourreau.

Alors commença le tri funèbre. Des messagers furent immédiatement envoyés au temple de Kiran et Leetha le plus proche pour que les guérisseurs viennent sur le champ et la priorité fut donné aux blessés qu'il fallait stabiliser. Les combattant parcouraient le champ de bataille pour récupérer les vivants. Assommer ou égorger ceux identifiés comme des rebelles. Sauver dans le doute, quitte à faire un sacrifice décent une fois remis sur pied. Les morts, quel que soit leur camp, pouvaient attendre.

Fébrile à côté des brasiers qui bordaient la porte, respirait à grand coup sous son masque d'argent. Une joie puissante rugissait dans ses entrailles. Une joie d'une intensité telle qu'elle ne l'avait peut-être jamais ressentit. Ses yeux regardaient le carnage et elle devait réprimer un rire sauvage qui n'était pas tout à fait le sien. A la place, elle murmurait une prière à la Victoire en gloussant, offrant un moment d'attention pleine et entière à Uriz.

Un souvenir lui gronda dans le cœur. " Elda doit se Souvenir. Sa Foi est Notre Force.". Ce jour là, elle avait obtenu une chance et elle avait estimé que c'était une punition. A présent elle savait. Elle sentait. Elle vivait. Ils avaient tous fait un pas dans la bonne direction aujourd'hui et malgré le marasme désolant dans lequel se trouvait le Puy. Et à chaque pas qu'ils feraient à l'avenir, la beauté de ce monde terrible se révèlerait plus intense, plus complète. Pour que la mémoire qu'elle avait effleurée soit enfin complété.

Les lâches fuyaient les masques l'argent. Les lâches s'égayèrent dans le dédale, réalisant leur erreur. Les lâches n'eurent guère l'occasion de se racheter quand, au détour d'une rue, ils firent face à leur trépas sous la forme de cornes, de griffes et de crocs. Riant au éclat, le Haut-Prêtre de Zhak'Bar chargeait avec les siens, juchés sur un énorme hanglyosi qu'un subordonné guidait par des ordres secs ou des torsions sur les lames plantées dans son échine. L'herbivore piétina et encorna sans distinction les fuyards. S'ils fuyaient c'est qu'ils avaient été vaincus. S'ils fuyaient c'est qu'ils avaient craché à la face des Dieux. Urgoll'Ven se faisait un plaisir que de lâcher les bêtes et les éléments du Prime Dragon sur ces infâmes. Les rues des splendides Profondeurs virent leurs murs repeints de rouge tandis que la charge bestiale remontait vers l'entrée de la chambre magmatique.

• • • • •

Alors que la fièvre guerrière s'appaisait, repue, là où le plus gros des combats avaient eu lieu, les guerriers les plus éloignés, occupés à séparer les morts des potentiels sacrifices, dégainèrent brusquement. Certains de leurs ennemis encore valides revenaient en courant, le feu - littèralement pour certains - aux fesses, au son de rugissements animales et furieux. Lorsque la vue du charnier lui fut offerte, le Haut-Prêtre sourit encore plus largement, avant de rugir ses ordres aux cavaliers sur ses talons.

"Ilkalik ! Lil' phraktos inbal yikssus."
Halte ! Les Dieux ont rendu leur jugement.

Puis, se tournant vers un curieux masque argenté au glaive levé, dont il apprécia l'assurance malgré les géants et fauves frémissant de rage sortant des rues alentours, les adeptes de Zhak'Bar dardant des regards sauvages sur les survivants, il dit plus doucement :

"Et ainsi fut versé le sang des Impies comme des Glorieux, ces derniers piétinants les abjects sur le chemin du Nahali. Qui est ton chef, scintillant guerrier ?"

Le sourire d'Urgoll'Ven se fit carnassier, alors qu'il contemplait les environs. Ce qu'il aurait donné pour être présent, au coeur des flammes ! Mais le soulèvement avait secoué le temple de Zhak'Bar, les plus influençables tentant dans le chaos de relacher de manière anarchique les créatures du Dieu Dragon afin de servir leurs desseins. Malag'eyl Zuhak n'a pas encore rejoint notre Gardienne, l'hydre a encore une tête pour mordre. Les têtes pensantes - ou plutôt stupides - avaient été exécutées sitôt leurs sbires maîtrisés, tandis que les bêtes libérées avaient dues être abattues ou neutralisées avec force. Entendant le rugissement de la Cité, le Haut-Prêtre de Zhak'Bar n'y était pas resté sourd et avait ensuite organisé ses suivants en une troupe montée de mages.

Ayant obtenu une réponse du guerrier au masque d'argent, Urgoll' prit le contrôles de sa monture et s'avança au milieu des macchabés pour rejoindre les meneurs, dont une dénomée "Shaar", à qui il adressa ces mots, une fois arrivée à son niveau.

"Vendui'. Lil' phraktos zhahen kyorlin dos. Phu' lil' og'elend ventash'ma elghinyrr ?"
Salutations. Les Dieux vous regardaient. Les chefs des hérétiques sont-ils morts ?

Le masque d'argent couvert de trainées sanglantes se tourna vers le nouveau venu. Un grand gaillard aussi impur physiquement que loyal par l'esprit et la foi.

- Tien tien. Le Grand Gobelin a enfin émergé de son trou. " remarqua-t-elle avec amusement, un sourire de chat à l'abri de son masque " Heureuse de vous voir, Haut-Prêtre." ajouta-t-elle en se courbant humblement.

Si elle avait du mal à retrouver les noms et les visages de ceux qu'elle n'avait côtoyé que quelques mois avant sa disparition, un profile comme celui-ci ne s'oubliait pas, même alors qu'elle ne l'avait vu qu'une poignée de fois . C'est qu'il faisait son âge le bougre. Il avait sans doute eu la chance d'être aussi loin du puy qu'elle l'avait été pendant le Voile, où il aurait subit le sort de tous leurs congénères approchant le millénaires de vie : rappelés par Teiweon pour profiter d'une douce mort dans leur sommeil. Dans tous les cas, même en ne revenant au Puy tous les trente-six du mois lors des derniers siècles, elle n'avait pas manqué de repérer quelques têtes intéressantes. La sienne, marquée par le temps et les carnages, était du lot.

- Nous sommes en train de déblayer les corps. Les prêtres d'Uriz ont tué l'une des deux femmes a l'origine de ce soulèvement. Le destin de l'autre n'est pas encore fixé, mai si elle est encore vivante, j'aimerai en tirer des informations avant la fin. "

Elle n'avait pas plus tôt prononcer ces mots qu'une repentis arriva en soutenant un frère d'arme dont le bras avant rapidement été plaqué contre son torse à l'aide d'une ceinture. Krish le reconnu en moins d'une seconde lorsqu'ils arrivèrent à sa hauteur, il n'avait pas besoin d'ouvrir la bouche.

- Ca va aller Eshk' ?
- Oui oui... Rien que de la poisse. Tu as vu Rid'ik ?
- Il est parti avec Gorurh pour tenter de sauver Ferhya. Elle a reçu un coup de lame en pleine poitrine. Il doit être quelque part sur l'avenue. Mais les prêtres des jumelles ne devraient pas tarder et je crois que les autres donnent déjà les premiers soins. Ah. Et au passage, demande à ceux qui le peuvent d'aller à la recherche de Kel'Zora et de son frère. Je ne les ai pas encore vu revenir." ajouta-t-elle en pointant un groupe de repentis et de prêtres d'un revers du pouce. Puis elle s'approcha pour poser une main sur les épaule valide des deux combattants pour ajouter d'un ton féroce. " Et haut les cœurs. Uriz est fier. quinze contre trois-cent et on a tenu le temps qu'il fallait. "

Un éclat de rire passa le masque lisse du blessé et ils s'éloignèrent de leur chef un peu plus droits. Krish, le corps perclus et surement entièrement recouvert de son propre sang, n'était pas non plus au mieux de sa forme. Heureusement, les tenues des repentis cachaient aussi bien les tâches de sang que les blessures et les visages fatigués. Elle se tourna de nouveau vers le Haut-Prêtre pour lui tendre fraternellement le bras.

- Appelez-moi Shaar. Fondatrice de l'Ordre des Repentis. Dites-moi... Vos bêtes supporteraient-elles le goût des hérétiques ? Je ne pense pas que ces parasites méritent des funérailles dignes de ce nom."

Un éclat de rire tonitruant salue la proposition de la Repenti, le Haut-Prêtre s'en tapant la cuisse du haut de son hanglyosi.

"Que le Grand Dragon soit témoin, le ventre de Ses bêtes seront bien remplies de ces charognes pendant des ennéades !" clame-t-il avec bonne humeur.

Avec ce même entrain, il se baisse, attrape le bras tendu et tire, ses cuisses se contractant sur les flancs de l'herbivore tandis que son dos se tend sous l'effort, tirant sur la peau cicatricielle. Affichant un faciès amusé, soudain très près de la chef des masques d'argent ainsi soulevée, le drow pâle plisse ses yeux inquisiteurs et inspire profondément, de toute l'amplitude de son torse de géant. L'expiration qui suit s'accompagne d'un grave grognement goguenard.

"Ah, cet odeur de métal ! Et de sang drow ! Un met de choix, et pas des moindres ! Son sourire se fait carnassier. Rapprochez-vous d'un guérisseur, Repenti ! Vous empestez un fumet des plus enivrants."

Sans autre avertissement, il la lâche et se tourne vers Ses fidèles.

"Récupérez les carcasses des impies dans les rues ! Elles seront livrées à Ses crocs ! Il ajoute, levant les bras à l'adresse du charnier. Quant à celles-ci, regroupez-les. Le Puy a là une plaie à cautériser."

Alors les bêtes montées s'égayent, certaines retournant sur leur pas, d'autres marchant au devant des survivants pour leur porter assistance, mettant à profit la force et les larges dos de certaines créatures afin de déplacer vivants comme morts. Les premiers sont regroupés pour faciliter le travail des prêtres et prêtresses des Jumelles à leur arrivée, tandis que les derniers, quand ils sont identifiés comme rebelles, sont entassés comme du bois mort, leurs visages figés dans des expressions de douleurs et de terreurs, étreints dans leur trépas par la conviction qu'une place les attendait dans les P'leik gelées.

Après plusieurs allez-retour, le dos de son hanglyosi accueillant sans mal six ou sept hérétiques empilés, le Haut-Prêtre s'approche de l'un des monts de chairs impies, descend de l'herbivore et y déverse son tribut avec l'aide des autres fidèles. Avisant la hauteur atteinte, il fait signe de têtes à ses suivants, un air des plus hallucinés sur le visage. Un chant sombre s'élève alors de plusieurs gorges, tandis que les membres des mages de Zhak'Bar se mettent en mouvement.

"O tagnik'zur, kyorl nindolen phlithus siltrin..."
Ô dragon, voit ces chairs honnies...

L'air stagnant des profondeurs du Puy s'anime aux rythmes de leurs gestes, tour à tour subtiles, tour à tour puissants. Les échines frissonnent à la perception de la magie que l'on attire, somme, charge en un point. Un fin tourbillon emportant débris, poussière et hémoglobine se forme, sa colonne pointant sur la masse morte.

"...Vaq' nind waess nind yuih nind vlos..."
Consume leur peau, leurs muscles, leur sang...

Un éclat, soudain. Le cœur des courants s'embrase, aveugle, rugit et dévore les corps ainsi offert. Les silhouettes avachis se noircissent, crissent, se crispent sous la faim avide. La température augmente brusquement autour du tourbillon. La proximité brûlante des flammes réchauffent comme mord les vivants. La peau des mages proches se met rapidement à luire sous son effet, sans qu'ils ne montrent la moindre hésitation. Le corps du Haut-Prêtre bondit dans une dernière torsion, se tendant vers les hauteurs ténébreuses.

"...Xal dosst ssuu'hha plynn tarthe nind chath !"
Que ton souffle emporte leur flamme !

Aussi brusquement que le brasier s'est déclenché, le voilà soufflé, ne laissant que des coquilles noircies et rongées. Dans une gerbe grise, les restes torturés des hérétiques se craquèlent et se dispersent vers les hauteurs en colonne incolore de cendres. Des perfides, il ne reste plus rien que les traces sombres sur la pierre noire du Puy.

Non sans un dernier regard vers le haut, Urgoll'Ven retourne ramasser ce qu'il reste de macchabées indignes.

Si elle s'y attendait... Suspendue au bras du Haut-Prêtre... Ses yeux s'étrécirent. Son dos hurlait, son bras lui semblait sur le point de craquer, mais elle resta stoïque.

- C'est drôle. " cracha-t-elle plutôt avec un sourire aussi carnassier et joueur que celui qui flottait à un souffle de son masque d'argent. " Je ne sens ni le métal ni le sang sur toi. A se demander ce que tu pouvais bien faire pendant qu'on se battait par ici. "

Son genou flancha lorsqu'il la lâcha, l'obligeant à courber l'échine malgré elle. Elle se releva comme si de rien était, un demi sourire curieux au coin des lèvres. Ce Zakh'Barites était une brute. Une sacré brute. Elle le regarda s'éloigner un instant avant de rejoindre ses hommes encore debout. Gorurh était resté, malgré son profile assez reconnaissable pour ceux qui l'avaient connu à la guerre. Ferhya était tirée d'affaire, ce qui n'était pas le cas de Ukir et Zeth'Kala.

- Très bien. Que Nogg les ramènent à la forge et veille à leur conservation. Tous les autres, retrouvez-moi cette foutue lancière avant que les prêtres ne lui tranche la gorge. Je reste ici avec les blessés et les archers en couverture. " Les Repentis s'égaillèrent mais elle rattrapa l'ancien Jabuk à la dernière seconde. " Encore bravo. Tu es arrivé juste à temps. Si tu pouvais vérifier que Valsrik est en un seul morceau, je vous rejoins juste après. " Elle pouvait sans peine imaginer le sourire carnassier du chef de guerre. Ils se serrèrent belliqueusement le bras, elle serra les dents pour ravaler la douleur, puis ils retournèrent chacun à leurs occupations. Celle de de Krish était clair pour l'heure. En bordure du maelstrom de feu - la bave aux lèvres à cause de l'odeur - elle s'appuya un moment contre le mur et tira une aiguille de la reliure du petit journal. Les rugissements des fidèles de Zakh'Bar faisaient danser des ombres sur le parchemin épais et produisaient une litanie guerrière propre à charmer le cœur de l'eldéenne, mais elle n'avait pas le temps de s'y joindre... Et puis remercier le dragon lui paraissait un peu inutile étant donné qu'elle avait l'Attention du Père, qu'elle le veuille ou non, et que le dieu des bête s'était montré des plus absents aujourd'hui.

Au lieu de cela, elle rougit l'aiguille creuse de son propre sang pour tracer de nouvelles entrées après les quatre qui y trônaient déjà.

5 - 28 Favrius - 11:XI

Ukir Do’Hel
Première ligne du premier régiment du IVe Ost et mercenaire de la Charge
Famille à prévenir : Zok'la Shan'Zi, fils résident à Qhirya
Mort au champ d'honneur face aux Rebelles de d’Étude Noire
Puisse Uriz lui offrir la Rédemption.

6 - 28 Favrius - 11:XI

Zeth'Kala
Passé inconnu.
Famille à prévenir : O'Thir, Kera et Urnoth, enfants résidents à Sol'Dorn
Morte au champ d'honneur face aux Rebelles de d’Étude Noire
Puisse Uriz lui offrir la Rédemption.

Avec la chaleur, les quelques lignes séchèrent en un instant et le journal retrouva sa place sous l'armure de sa propriétaire, son gros cuir tâché de sang. Elle s'était à peine remis debout qu'un groupe de prêtres et prêtresses arborant les tenues du sacerdoce des Jumelle envahirent la place. Du coin de l’œil, elle put constater que la roche contre laquelle elle s'était appuyée arborait un beau rouge carmin... Certes. Il valait mieux se faire examiner en fin de compte, mais avant elle avait une dernière chose à déclarer.

Donnant un coup dans l'un des énormes brasiers qui bordaient la porte de la Chambre magmatique pour faire valser les braises qu'il contenait dans un vacarme de tous les diables, elle se hissa dessus pour être vue de tous.

- Regarde moi, Père des Batailles ! " rugit-elle pour happer les derniers regards qui n'avaient pas déjà été attiré par le baroufle de métal et de feu qu'elle avait produit si peu de temps après l'ode des prêtres de Zakh'Bar. " La révolte qui a eu lieu ce jour n'aurait jamais du se produire ! Et en tant que chef de Repentis. En tant qu'Eldéenne. Je tiens pour responsable tous les dirigeants qui ont laissés la Cité partir à vaux l'eau depuis que le IVe Ost à sombré dans l'anarchie. Aujourd'hui, nous fêtons une victoire et nous soignons les blessés. Mais demain matin, à la fin des matines, j'attends l'auto-proclamée Haute Prêtresse Kel'Zora Xaran sur l'Esplanade des Neuf. Je demande une ordalie ! " Les yeux s'ouvrirent, ronds, les mâchoires se serrèrent. " Vous avez vu quelle est la force et la détermination de notre Ordre aujourd'hui, comme le C'nros et le IIIe Ost l'ont vu à Esion et Nisetis face aux nécromans Qôt ! Devant vous tous aujourd'hui, je demande une Ordalie pour tester la force de cette femme qui prétend représenter le Père. Et je vous invite à être là demain. Car la faiblesse de notre peuple n'a que trop durée. Demain. Si je suis encore en vie, j'enjoins tous les Eldéens encore fier de leurs Dieux à venir avec moi, questionner le dernier des Triumvir sur son inactivité blasphématoire. Mais nous n'agirons pas comme les chiens qui ont piétiné nos valeurs aujourd'hui. Nous viendrons sous le pavillon de la foi d'Uriz et des siens pour obtenir les réponses et les actes que nous méritons sans verser inutilement le sang de nos frères en de ridicules querelles alors que les hérétiques prolifèrent jusqu'à Sol'Dorn ! Elda doit se souvenir de sa véritable Puissance, et cela commence dès maintenant ! " Le silence s'abattit un instant. Presque aussi assourdissant que la voix tonitruante de l'eldéenne masquée. Si personne ne lui posait de question, elle descendrait de son piédestal pour retourner au côté de ses hommes, sans cacher que tous pouvaient venir la trouver aux forges de lave le soir même. Si elle était toujours vivante le lendemain matin à la fin des matines, ce serait déjà une première victoire.  

Jarren est retrouvée par les Repentis:

Désormais tâché d'une boue de sang - les Repentis semblaient avoir fait de la dentelle des hérétiques - et de cendre, le Haut-Prêtre du Dragon écoute et se réjouit. L'annonce lui enflamme les veines, comme au jour béni où il prit la vie de son prédécesseur. Il envie la Repenti. Il envie Shaar en la voyant ainsi se rapprocher des Dieux. La chute de la prêtresse auto-proclamée lui parait inévitable après une telle déroute. Par delà ses frères et sœurs drows, Urgoll'Ven fixe la demandeuse d'ordalie.

Quand sa vue lui échappe, il s'en retourne effacer du Puy les cadavres restants sur les lieux. Un suivant monté le rejoint pour lui annoncer que les carnassiers et leurs maîtres ont débusqués des survivants, tandis que les bêtes de bât ont commencé à transporter les cadavres éparpillés dans les Profondeurs en direction du Temple. Satisfait, le Haut-Prêtre le renvoie prêter main-forte puis se tourne vers une dernière pile de cadavre.

Un bon en-cas pour les Dieux.

- Valsrik ! Tu m'entends ? " lança le colossal vétéran en se baissant pour entrer dans la boutique. " Les combats sont terminé. Shaar m'envoie te mettre en sureté, elle se fait encore quelques ennemis avant de nous rejoindre. " sourit-il férocement derrière le masque qu'il n'avait pas retiré.

Cependant, de tous les repentis, c'était surement le plus évident à reconnaitre. Entre l'espadon si grand qu'il en devenait grotesque, la carrure et les doigts en moins, même sans voir sa trogne mutilée, on ne passait pas facilement à côté de Gorurh. Gorurh dont l'un des petits plaisir sur le champ de bataille était de parer les épées ennemis à main nue. Gorurh qui avait maintenu la plus grande bande organisée d'ancien du IVe jusqu'à ce que cette garce de triumvir vienne mettre son nez dans leurs affaires et éclate le dernier semblant de coopération qu'ils avaient réussit à conservé. Gorurh, aussi, qui avait tenu le boutique avec Eshk'Oroth pendant l'absence de Krish et s'était arrangé pour fournir un masque et quelques éléments d'armure pas trop chères au mage qu'il comptait parmi leurs alliés poissards.

Ses larges épaules cachaient beaucoup de la lumière venant de la rue, plongeant la salle de la boutique dans le noir, mais lorsqu'il avisa son mage blanchâtre agonisant sur le sol et le prêtre allongé à son côté, une épée fermement campée dans la main, un gros rire éraillé s'échappa de se cordes vocales déchirées lors d'antiques séances de tortures.

- Je m'occuper de vous protéger. Vous pouvez lâcher ce truc." Joignant le geste à la parole, il se pencha pour soulever précautionneusement Valsrik, le roulé dans sa propre cape pour cacher sa peau blanche, et le jeter en travers de ses épaules. Puis il se tourna vers le prêtre et l'aida à se remettre sur pied. " Je vais ramener ce casse-cou à notre quartier général. Il y sera bien soigné. Si vous voulez nous suivre, ce que vous avez fait pour lui vous en donne le droit, mais c'est maintenant ou jamais. "

Tu n’aimes pas ça. Tu n’aimes pas ça. Être dépendant d’un autre. Être en position de faiblesse face à un autre. Et sans le moindre levier en ta faveur. Quelle que soit la force sommeillant en toi, quelles que soient les montagnes que tu puisses déplacer lorsque tu es au plus haut… au plus bas tu n’es rien. Rien de plus que le potentiel que les autres accepteraient de voir en toi.
Et ça… ça te met la flamme en rage. Ça t’exècre au plus haut point… alors pourquoi ? Pourquoi est-ce que quand l’incendie bout du plus profond de ton âme jusqu’à travers les prunelles de tes yeux vitreux, es-tu incapable de serrer les dents et de te reprendre ? Pourquoi es-tu incapable d’accepter le travail médiocre de ton guérisseur comme son seul devoir face à une Créature aussi importante que tu l’es ? Pourquoi es-tu incapable de lutter contre ce besoin d’exprimer ta reconnaissance à un Sombre dont tu pourrais bien ne jamais plus rien tirer. Pourquoi trouves-tu sa présence si rassurante, alors que tu ne sais rien de lui ? Pourquoi ressens-tu le besoin de te creuser une place auprès de celui qui s’est assommé à rater une guérison, quand la chaleur de tes propres braises devrait te suffire à lutter contre le froid ?

Vlos ressemble à Ran’Lyn. Mais Vlos ne te fait pas peur…

Tu mâches dans le vide, pour te maintenir éveillé. Tes yeux clignent lentement, observant les formes brouillées du plafond, et tu respires, longuement, à la recherche des sensations habituelles constituant ton monde. Toucher sans les doigts. Soupeser sans soulever. Prédire les trajectoires. Anticiper les mouvements des vecteurs. Lentement mais sûrement, les choses te reviennent. Des signaux fébriles, imprécis, mais au moins suffisants à te laisser entendre que ce n’est là qu’un mauvais moment à passer. Il y a de la lumière au bout du tunn…

- Gorurh tu claques la langue, réalisant ta difficulté à articuler Délicat.

Tu rassembles le peu de force que tu possèdes pour te creuser une place un peu moins désagréable sur l’épaule du géant, à la fois soulagé à l’idée de meilleurs soins, et enragé d’avoir à subir la compassion d’un autre encore. Mais au moins lui était des Repentis. Pour lui il était normal que tu aies de la valeur, comme lui a de la valeur pour toi… comme ces face de gobelins d’archers en avaient aussi…
Tes dents se serrent, tes yeux s’humidifient. Tu t’accroches à la colère pour prévenir les larmes. Vous étiez si près. Vous étiez si près de votre écrasante victoire. Vous auriez pu gagner à prix tellement moindre s’il n’y avait pas eu ces imbéciles de Prêtres d’Uriz. Prêtres d’Uriz… dévots du Père des Batailles… dans leurs bouches plus que dans leurs actes.

Les Repentis étaient ton Tremplin. Krish était ta Championne. Cette guerre purificatrice était la voie royale vers le pouvoir et la connaissance qui te permettraient de rendre un peu de sa Gloire passée au Puy. Etaient. Parce qu’ils sont plus que ça maintenant.
Les Repentis sont des rares Drows dont la foi n’est pas dévoyée. Krish est l’une des rares lames comprenant le véritable prix du Sang Sombre. Cette guerre purificatrice est la voie vers le retour de la Gloire du Puy. Eliminer la médiocrité. Eliminer l’imbécilité. Eliminer l’orgueil meurtrier.

Fabriquer un Elda comme une seule armée, genou ployé devant Uriz.

Fabriquer un Elda brûlant de la férocité du Père, et béni de son Panthéon.

Fabriquer un Elda capable de reprendre le monde qui lui appartient.

La larme s’échappe enfin.

Ç’avait toujours été là tes rêves, et tu te rendais enfin compte à quel point tu en étais maintenant proche. Maintenant que tu n’étais plus seul.