Un avenir qui ne sera pas [lettre]

À Son Altesse Renaud d’Érac,

Des hommes se présenteront à Érac pour amener mes sœurs Antonia et Paula. Elles seront en sécurité dans un endroit tenu secret où, j’espère, elles pourront se refaire une vie lorsqu’elles seront prêtes. Je n’ai pas l’intention de les revoir, mais je les soutiendrai comme je peux. Je ne me sens pas digne d’être à leurs côtés, car une fois de plus elles doivent payer pour les erreurs de leur aînée. J’ai vraiment espéré que ce mariage ait lieu et qu’elle ait droit à une belle vie. J’ai failli à ma promesse, mes promesses. Nous aurions pu construire tant de choses ensemble. J’ai espéré la paix, mais le pouvoir corrompt les hommes et fait ressortir ce qu’il y a de plus sombre en eux. Ceux qui m’ont fait tomber viendront certainement vers vous à un moment ou un autre pour vous tendre la main et proposer des alliances. Je ne vous dirai pas quoi faire, mais prenez garde, car ils sont passés maîtres dans l’art de la tromperie.

Je doute que nos chemins se croisent à nouveau dans un avenir immédiat, mais il est difficile de prévoir de quoi demain sera fait. Je tenais toutefois à vous remercier une dernière fois, car vous m’avez cru. Ce faisant, vous vous êtes peut-être fait des ennemis, mais vous m’avez apporté quelque chose qui vaut plus cher que tous les trésors du monde, l’espoir. Pendant un moment, j’ai cru en mes chances et j’ai été moins seule. Oui, la défaite n’est que plus amère, mais qu’est-ce la vie sans espoir? Je peux vous le dire, elle n’est rien.

Que les Dieux vous gardent,

Tibéria.

Les sanctions royales à l'encontre du couple ducal de Soltariel étaient tombées, et elles empêchaient la famille de Tibéria, tout comme elle, de s'élever au sein de la noblesse péninsulaire, tout en ayant confisqué tous leurs biens. Cela avait mis un coup d'arrêt brutal aux fiançailles entre Antonia et Renaud, qui n'avait plus aucun intérêt à se marier avec elle. Pire, cela lui avait valu quelques inimités, preuve en avait été le regard des plus noirs que Louis lui avait lancé durant le procès, alors que le Duc se trouvait maintenant sans les possibilités que lui offraient ce mariage. Même lorsqu'il était revenu pour assister à la parodie de justice qui avait été, il avait lancé Antonia, et sa sœur Paula, à Erac, pour leur éviter ce pugilat. Renaud faisait des allers retours entre Erac, Velteroc, et Diantra, mais il devait s'avouer qu'il était amer. Un  couple ducal qui tombait, voila qui était une porte ouverte qui permettait aux vassaux de s'en prendre à leur seigneur pour tout, et surtout pour rien, et voila que la couronne cautionnait cela. Dès lors, les règles de la féodalités s'en retrouvait bien affaiblit en péninsule, et il fallait redoubler de vigilance, ce qui n'aidait en rien Renaud à mettre sa paranoïa de côté.

Aujourd'hui, il recevait une lettre de Tibéria, lui expliquant qu'elle allait récupérer ses sœurs. Il comprenait sa démarche, et cela le soulageait aussi quelques peu, car bien qu'il ne se voyait pas les mettre dehors, l'ancienne Duchesse avait raison quand elle disait qu'il s'était fait des ennemis, ou du moins des détracteurs. Navré pour la noblesse, et aussi pour elle, car après l'avoir côtoyé, il s'était bien rendu compte que la pauvre n'était coupable que d'avoir été fort mal entourée, il devait prendre ses distances s'il ne voulait pas finir par tomber lui aussi.

Bien entendu, il était hors de question de répondre par écrit à la lettre qu'elle lui avait envoyé, afin qu'aucune rumeur vienne à s'ébruiter sur un échange entre les deux. Il confia donc un message verbal à l'émissaire, chose qui pouvait être contré au cas ou cela se saurait. Il expliqua à la Duchesse qu'il était peiné pour elle, et qu'il était naturel pour lui de l'avoir cru, car elle n'était coupable d'aucun des reproches qu'on lui faisait. Que tout cela n'avait été qu'un complot pour l'abattre. Il se doutait ceux qui l'avaient fait chuter viendrait le voir un jour ou un autre, et que s'il ne rejetterait aucun accord commerciaux, il se méfierait de conclure une alliance. Il lui disait aussi que promesses tenues ou non, il était sans doute plus judicieux de les ramener près d'elle, de se renforcer de leurs présences communes, plutôt que de les éloigner, et s'affaiblir.

Alors c'était sans doute hypocrite étant donné que lui même avait assassiné son frère de ses propres mains, mais cela ne le dérangeait pas. Lui même se sentait bien seul, et il ne savait pas du tout comment reconnaitre les personnes sincères, et pouvant fournir une véritable alliance. Encore une fois, lui même étant un opportuniste, c'était l'hôpital qui se moquait de la charité, mais peut être qu'en son fort intérieur, il commençait doucement à changer.