Rien ne sera comme avant [Caleb]

Kÿrianos , 1ère ennéade de Bàrkios, Année XXI, XI Cycle
Île de Méca | Ancienne boutique d’Holden.

Le second souffle avait accosté la veille au port de Meca - au grand soulagement de son équipage, qui semblait réellement avoir besoin d’un congé bien mérité après des ennéades en mer plutôt chaotiques. Mais le chaos était loin d’être terminé. À peine mit le pied-à-terre, la nouvelle du retour de la Duchesse en compagnie du Rokvenha avait commencé à circuler. Ceux qui l'avaient aperçu n’en croyaient pas leurs yeux, et les rumeurs en tout genre se répandirent extrêmement vite. Certains voyaient là une confirmation de la relation entre la rose et le Rokvenha, d’autres au contraire, croyait que le Rokvenha avait réussi à enlever de nouveau la Duchesse… Tandis que d’autres se moquaient ouvertement de leur ennemi, mentionnant à demi-mot qu’il n’avait pas été capable de garder sa propre femme à ses côtés. Des rumeurs fugaces, toutes plus incroyables les unes que les autres avait alors fait son chemin.



Adélina, quant à elle, ne semblait guère se soucier de tous les dires que sa présence sur l’île apportait. Caleb avait prêté sa chambre à l’auberge aux deux cousins, question de leur donner un peu de temps pour se remettre sur pied. Les deux y avaient passé la nuit, sans causer aucun émoi - préférant le relatif confort de la chambre au bar bondé de gens. Ce n’est que le lendemain, qu’ils sortirent de cette pièce, prenant un rapide repas avant de se mettre en marche dans les rues de la ville pour aller retrouver ce qui leur appartenait désormais. Le chemin ne prit que quelques minutes avant de rejoindre l’échoppe d’Holden. Cette dernière n’était guère dans le meilleur état - il fallait dire que le pirate semblait apprécier plus son temps en mer que de prendre soin de son bien. D’ailleurs Adélina eut bien du mal à comprendre comment ce dernier faisait. Observant silencieusement la devanture alors qu’ils attendaient le Rokvenha, Aubry décida d’interrompre les pensées de sa cousine avec une question qui le tenaillait depuis un moment.



« Pour le coup, tu connais son nom? »
Adélina haussa un sourcil en entendant la question de son cousin. Ce dernier se passa la main dans les cheveux, l’air assez mal à l’aise. « Enfin, je me dis que c’est la moindre des choses… Après tout, vous êtes… »
« Oui. » Répondit-elle tout simplement. Adélina reporta son regard vers l'échoppe, semblant rêveuse. Aubry n’insista pas plus, sa curiosité pas réellement satisfaite, mais il se dit que cela devait être une coutume mécane de cacher ainsi son identité. Le nordien aperçut finalement le Capitaine qui approchait d’un air qui lui semblait nonchalant.



« Le voilà. »



Adélina eut un léger sourire avant de tourner la tête vers la direction que son cousin indiquait. Elle attendit que ce dernier les rejoigne avant de lui adresser la parole. « Il ne semble pas avoir de mouvement. Mais connaissant, Holden cela ne m’étonnerait pas de recevoir une mauvaise surprise. » Sans attendre plus longtemps, Aubry glissa la clé dans la serrure, avant d’ouvrir la porte pour s’y engouffrer. La pièce était noire et poussiéreuse, l’on pouvait aisément voir qu’Holden n’avait pas particulièrement pris soin de sa bâtisse. Adélina entra à sa suite, détaillant la pièce sous tous ses angles. Dans ses souvenirs, elle était plus grande, plus éclairée… Les étagères étaient presque vides, ne comportant que quelques biens ici à première vue. Aubry s’engagea vers une des portes, l’ouvrant quelque peu brusquement pour s’assurer que l’échoppe était sans occupant. Adélina tourna sur elle-même dévorant la pièce du regard. C’était difficile d’imaginer que tout cela était à elle maintenant. Une vie bien différente de son château et encore plus que celle du palais du Soltaar. La jeune femme put entendre Aubry lui dire que tout était sûr, et cette dernière s’engagea dans le couloir à son tour, explorant les lieux. L’échoppe était plus grande qu’elle le semblait. Le premier étage n’était composé que de trois pièces. Celle où vraisemblement Holden accueillait ses “clients”, une gigantesque pièces remplie d’étagères et une cuisine à l’arrière. La cuisine était sans frivoliture, une grande table ou quelques bandages gorgés de sang pourri gisait, des armoires brisées contenant quelques pièces. Adélina ne put s’empêcher de plisser du nez alors que l’odeur l’atteint. Décidément, Holden n’avait pas passé du bon temps la dernière fois qu’il était à Meca. Sans attendre quoi que se soit, elle monta rapidement à l’étage, pour voir deux nouvelles pièces - l’une qui était une chambre et deux autres pièces plus loin où était entreposé un réel basard de meubles et malles en tout genre. Adélina soupira en voyant le travail qui serait à faire, mais au moins, il aurait assez de place pour que les deux péninsulaires puissent refaire leur vie. Adélina se retourna finalement avant de descendre les escaliers, allant retrouver Caleb qui vagabondait au premier étage. « Il y a du travail à faire. Question de tout répertorier ce qu’il avait. » Et trouver sa planque… Mais ça, c’était un détail qu’elle ne dirait pas à haute voix, pas tant qu’elle se sente réellement chez elle. Après tout, la nordienne avait déjà dit au Rokvenha qu’elle se trouvait dans l’échoppe, ce n’était pas comme si elle lui cachait quoique se soit. La jeune femme s’approcha d’une étagère avant de déplier un vêtement qui s’est trouvait avant de le déplier pour y trouver un long manteau noir ajusté.

Au lendemain de son retour à Méca, Caleb était déjà sur le pont de son boutre pour aider son équipage. Les ordres avaient été donnés, ils devaient rapidement décharger les marchandises et les écouler en grande partie, ne gardant que quelques exemplaires - les plus coûteux et les plus intéressants - pour les entreposer dans l’échoppe que Adélina avait obtenu de Holden.

Ceci fait, après quelques caisses descendus et pas mal de sueur versée, le Capitaine quitte les siens pour rendre visite à la jeune femme qui lui avait donné rendez-vous devant cette fameuse boutique. Le “comment” d’un tel cadeau ne l’intéresse pas, tout ce qu’il voit de cette histoire est là une manière d’élargir son cercle d’activité et de déléguer les affres de la gestion à une tierce personne de confiance qui lui est loyale. Plus d’or, plus de renommée, plus de pouvoir encore une fois, voilà ce qui l’intéresse au final.

La démarche lente, la tête dans les nuages et les mains dans les poches, Rokvenha déambule le long des quais en se laissant porter par les cris des marins et les sons ambiants de la mer et des mouettes. Une étrange sensation de bien-être semble s’emparer de lui à cet instant, le calme et le repos étant les bienvenus après ces derniers jours et des ennéades chaotiques.

Au loin, il remarque Adélina et son cousin qui l’attendent et son pas s’accélère légèrement pour avaler les derniers mètres le séparant du duo. “Me v’là héhé “ Le Capitaine est vêtu d’une tunique aux manches longues, légèrement évasée au col laissant percevoir ses nombreux tatouages, dans un style assez décontracté et simple. “J’ose croire qu’il t’as pas r’filé son taudis et y foutre de quoi tout faire péter quand tu vas l’ouvrir hein ?” Lance-t-il d’un ton entre l’amusement et le sérieux.

Quand la porte s’ouvre, il laisse Auby entrer en premier et attend avec Adélina qu’il observe en silence. Il était au courant des rumeurs et autres racontars de l’île quant au retour de la jeune femme et ne s’en plaint pas. Voir son nom associé à une si belle femme à la noble éducation est plaisant à ses oreilles. Adélina est faite pour être remarquée, de par sa prestance et ses manières. Et puis, que certains pensent qu’il ait de nouveau arraché la jeune femme aux mains du Duc lui convient tout autant et lui sert d’argument pour agrandir encore sa renommée. Quoi qu’il en soit, Adélina dans les yeux du Rokvenha resplendissait depuis leurs retrouvailles et sentait que de l’avoir emmené sur cette île était ce qu’elle avait désiré par- dessus-tout.

Finalement, Aubry donne le feu vert et les deux entrent alors, à tour de rôle. Caleb observe les lieux, les mains toujours dans ses poches, bien moins intéressé que Adélina. Il vagabonde, fouine, mais laisse la jeune femme se faire ses idées et ses plans quant à ce lieu. Quand elle revient vers lui, un sourire aux lèvres, il la regarde en retour. “Ca t’convient ? T’penses pouvoir en faire un quelque chose d’ce trou-là ?” Il sort alors sa main droite de sa poche et la passe dans ses cheveux en se recoiffant sommairement. “Si t’as besoin d’gars pour t’aider à r’mettre en place des choses ou autre, hésite pas… Ils cracheront pas sur quelques p’tits souverains en plus histoire d’pouvoir picoler en ton nom héhé.”

Il se promène encore dans le local et remarque quelques marchandises encore entreposées, peu de choses intéressantes en apparence, mais il se retourne vers Adélina et désigne les quelques épices et étoffes de son annulaire orné d’une pierre précieuse. “En parlant d’ça… J’ai gardé quelques trucs pour toi, c’qui se r’vend l’mieux, tu m’diras quand j’peux te les emmener et puis, pendant qu’tu fais ton rangement, si tu peux m’faire la liste de c’que t’as et c’qui t’manque ou c’que tu veux… Ca pourra m’servir.”

C’était une étrange sensation de se retrouver dans cette échoppe. Difficile de dire que cela lui appartenait. Adélina s’était promis de rester positive, que tout cela était déjà mieux que de recommencer sans quoique se soit. Elle était mieux ici qu’en estrévent - cela était un fait. « Je crois oui… » Son regard se porta de nouveau sur la pièce dans laquelle ils se trouvaient. La jeune femme avait bien du mal à passer outre la poussière, les toiles d’araignée qui s’était formée en l’absence d’un propriétaire. Ce n’était définitivement pas un palace… Mais c’était un toit qu’ils avaient la chance d’avoir. « Ceci dit, on pourra au moins te redonner ta chambre et un peu de paix » Adélina lui fit un léger sourire avant de continuer son examen. Aubry sortant de la pièce pour retourner dans la cuisine, regardant quelles provisions, était disponible. « J’aurais probablement besoin d’aide - mais nous n’avons pas beaucoup avec nous. » Commenca-t-elle « Je ne suis partie qu’avec quelques souverains et mes bijoux. Rien de plus. Si la tiare, bracelets, bague peuvent rapporter quelque chose, c’est tout ce que l’on aura pour les temps à venir. » Le regard de la jeune femme se porta sur sa bague que le Rokvenha avait au coup. Elle n’avait pas calculé cette dernière, ni le collier de sa mère ornée de saphir. Ces derniers seraient définitivement vendus qu’en cas d’extrême urgence, au vu de la valeur sentimentale qu’elle avait. « Aubry n’avait qu’une cinquantaine de souverains sur lui… » Ce qui était déjà bien pour n’importe qui, mais qui ne durerait pas des années non plus, surtout si ces derniers tentaient de bâtir un commerce. Adélina haussa les épaules avant de se tourner vers le capitaine, un léger sourire aux lèvres ; « Je serais créative, c’est tout. »



Lorsque Caleb pointa du doigt une des boîtes, la jeune femme s’approcha de ce dernier, observant ce qu’il pointait. Puis, reprenant un air sérieux, la jeune femme reprit; « Je crois que nous pourrons en reparler dans quelques jours. La première étape sera de voir ce qu’il y a dans cet endroit et leurs valeurs. » Adélina replia le manteau avant de le déposer dans l’une des étagères. « Je vais rapatrier les esclaves que je t’ai achetées. J’offrirais une place à l’une d’entre elles ici, et les autres seront renvoyées en péninsule. Je connais quelques personnes qui pourraient être intéressées à acheter des marchandises… Mais je dois lancer des premiers contacts, voir comment être compétitive dans un milieu déjà difficile. À moins que tu connaisses déjà certaines personnes ? » La nordienne se retourna vers le mécan, l’observant silencieusement pendant quelques secondes avant de rétorquer : « Qui plus est, je m’attends à recevoir de la visite. Je ne crois pas que nous soyons les seules personnes à qui Holden ait fait du tort… » Autant cela pouvait être une opportunité, autant cela pouvait être un danger, mais c’était un fait qu’elle ne pouvait laisser de côté.

Rokvenha continue son inspection, passant au dessus de quelques affaires entassées et manquant de perdre son équilibre sur d’autres, ce qui ne manque pas de le faire partir dans une envolée colérique en frappant de son pied dans une chaise placée au mauvais endroit.

Distrait, il écoute d’une oreille les réponses de sa compagne et laisse ses yeux se porter sur les pièces et éléments de décors environnants. Une lueur se perçoit alors dans son regard et son sourire s’étire en revenant à Adélina, la regardant sans rien faire de plus que sourire durant quelques instants. “C’est sûr qu’toi et ton Cousin ça va vous changer d’la vie des beaux palais, mais vous pouvez garder la chambre tant qu’vous en avez besoin.” Il porte alors la main à son coeur dans un geste sur-joué du bon prince. Le capitaine avait laissé sa chambre aux deux péninsulaires pour qu’ils puissent avoir un toit sur la tête et surtout, pour ne pas les laisser traîner dans sa cabine.

“J’me doute que t’as pas encore l’moyens d’faire ce que tu veux, mais concernant les bras qu’t’auras besoin, j’les payerai moi le temps de…” Il étire un large sourire, en prévision de la réaction de Adélina, mais aussi de Aubry avant de reprendre avec un clin d'œil. “J’sais qu’on pourra s’arranger toi et moi sur l’remboursement héhé.” Son regard amusé se tourna aussitôt vers Aubry comme pour le chercher après cette remarque et il leva ensuite les mains d’un air innocent.

“Puis j’ai un dernier p’tit quelque chose pour vous deux.” Il s’approche alors d’Adélina et plonge sa main dans une de ses poches de laquelle il extrait une bourse de cuir visiblement bien remplie. “C’est une partie d’la r’vente de tes broches pour les cinq donzelles. L’reste m’a servit à payer mes gars en grande partie, tiens.” Il lui tend alors les souverains qui tintent. “J’veux pas qu’toi ou ton cousin vendez vos biens personnels pour vous en sortir, z’êtes pas des mendiants d’Méca. Gardez vos bijoux et aut’ possessions j’me charge du reste l’temps que vous arrivez à vous faire votre trou.”

Il hoche alors en direction des deux d’un air compris et finit alors. “J’ai pas d’noms à te donner là, mais ici à Méca, tout s’vend et tout s’trouve… Si t’as besoin de quoi que ce soit, tu me le dis et bientôt, si La Mère d’mers le veux, tu seras la seule à détenir des marchandises qu’beaucoups te réclameront.”

Le visage de la jeune femme s’éclaira alors que ses yeux se posèrent sur la bourse que tenait le Rokvenha. Sur le moment elle ne put dire un mot, comme sous le choc. Son regard se porta ensuite sur le Capitaine qui reprit la parole, lui disant qu’il les supporterait aussi longtemps qu’il le faudrait. Ses lèvres s’ouvrirent légèrement alors qu’elle prit la bourse. Elle eut l’impression que ces derniers tintèrent sous ses doigts. Adélina expira doucement alors qu’elle observait la bourse, surprise, écoutant vaguement ce que Caleb lui disait. Ce fut Aubry qui prit d’abord la parole, répondant pour les deux Lourbiers; « Je vous remercie, Capitaine. Nous ferons bon usage de votre générosité. » Adélina quant à elle, ne sut quoi dire. Son regard ancré dans celui de Caleb, on aurait dit que d'innombrables pensées se bousculaient dans sa tête. Puis, sans attendre, cette dernière lui sauta dans les bras, sa main joignant sa joue pour l’attirer vers elle. Ses lèvres se posèrent sur les siennes, l’embrassant passionnément. Devant ce spectacle, Aubry ne put s’empêcher de faire un sourire gêné, ses joues devinrent rouge avant que ce dernier ne se retourne pour retourner dans la cuisine, bredouillant une quelconque excuse devant la scène que sa cousine lui avait imposée.


La jeune femme quant à elle, ne sembla guère se soucier de sa réaction. C’était sa façon de le remercier pour ce qu’il faisait. Adélina n’aurait jamais dû douter de lui. Certes, il était imprévisible et parfois dangereux… Mais il lui avait montré l’une de ses rares facettes. Pour elle, il y avait deux hommes… Le Rokvenha. Un homme dangereux, paranoïaque, parfois éprouvé d’une folie sourde et brutale… Et il y avait Caleb. Caleb ne sortait que lorsqu’il était seul. Un cadeau qu’il lui offrait de plus en plus. Elle sépara les lèvres des siennes avant de lui faire un léger sourire, caressant doucement sa joue en lui lançant un sourire doux. « Merci » murmura-t-elle. Adélina réalisait sa chance. Soudainement, elle entendit un bruit. La jeune femme se redressa soudainement, l’air grave. Elle tapota les mains du Capitaine pour que ce dernier la dépose, avant de s’éloigner rapidement de lui pour aller à l’entrée de son échoppe. L’ancienne duchesse s’arrêta net lorsqu’elle vit un mécan devant elle. Ce dernier portrait un tricorne et un pourpoint usé par le sel. Son sourire était malsain. Non pas due aux dents pourrîtes qui lui manquait, mais juste parce qu’on avait l’impression qu’il avait un double sens.


« Alors, les rumeurs sont vraies… » Croassa-t-il.


La jeune femme lança un regard suspicieux à l’homme devant elle, l’incitant néanmoins à continuer alors qu’il s’approchait de cette dernière, comme pour admirer un bien des plus précieux.

« La duchesse a abandonné son mari pour redevenir la rose… »
Adélina releva le menton, supportant sans problème son regard avant de prendre la parole ;
« Je n’ai jamais cessé d’être la rose. »
Le forban éclata de rire, ce qui ne sembla pas déranger la nordienne, qui avait toujours cet air déterminé, puis, il continua ;
« Aye. Aye. Si tu l’dis. »
Il s’arrêta à un souffle de la nordienne, regardant sans gêne son visage, semblant essayer de la déchiffrer.
« T’as attiré l’attention de bien des gens, la rose… Ces mêmes gens qui te surveillent en ce moment. »


Adélina haussa un sourcil, elle savait que son nom était partout. La nordienne n’était pas dupe. Aussitôt qu’elle passait, les mécans la jaugeait, se demandant ce qu’elle faisait réellement là. Alors le fait, que même les hauts placés écumaient le moindre de ses faits et gestes n’étaient guère une surprise.


« T’as bien du taf pour devenir une des nôtres… Et malheureusement pour toi, pas le droit à l’erreur. J’espère que t’es au courant… »


La jeune femme fit un rapide signe de tête, confirmant les dires du pirate devant elle, le sourire de ce dernier sembla s’agrandir, mais la jeune femme ne lui laissa guère le temps de répondre, sa voix fendant le silence. Confiante, elle soutint sans problème la proximité de l’homme avant de s’exprimer telle la dirigeante qu’elle avait été ;
« Je suis venue ici pour refaire ma vie. Pas pour causer de problème. »
« Si tu l’dis… »
« Je n’ai qu’une parole… » Rétorqua-t-elle aussitôt. Le pirate hocha la tête… « Et c’est la seule chose qui compte ici. » Le pirate éclata de rire, avant de hocher la tête de nouveau ;
« On suivra tes progrès la rose… Mais j’ai bien hâte de voir ton prochain coup… On t'a mis sur un piédestal en péninsule. On va voir si tu es aussi brillante qu’on le dit. » Le pirate releva finalement la tête et aperçut le Capitaine derrière elle, ce qui sembla illuminer encore plus son sourire malsain. « Rokvenha… » Dit-il, saluant le Capitaine du Second Souffle. Puis sans attendre, le forban tourna les talons pour sortir de la boutique, laissant les deux êtres derrière lui. Reprenant la route, les mains dans les poches en sifflotant. Adélina le suivit du regard à travers la vitre, silencieuse, le visage grave. Ce n’était pas réellement une menace, mais bien un message. Adélina avait attiré l’attention. Beaucoup trop d’attention. La jeune femme se retourna finalement vers Caleb, l’observant un moment, une expression indescriptible sur son visage. « Est-ce que tout le monde à ce genre d’attention ? Où ai-je réussi le traitement spécial? »

Il n’a pas le temps de répondre à l’ancien chevalier que l’alonnaise lui saute au cou et l’embrasse. En retour, d’abord surprit de ce geste, les bras grands ouverts, il les rabat autour d’elle pour l’enlacer et répondre à ce baiser, souriant. Peut-être que le cadre privé de cette échoppe l’avait suffisamment satisfait pour accepter pareil geste, peut-être qu’il en avait aussi l’envie, quoi qu’il en soit il ne rompt l’instant qu’à la demande de sa compagne, la libérant alors de son étreinte.

Quand des bruits se font entendre à l’entrée de la boutique, Rokvenha suit alors la propriétaire des lieux en se recoiffant d’une main. Ses yeux cherchent alors Aubry qui s’est enfui pendant leur baiser et son visage exprime l’amusement en le voyant ainsi invisible.

Puis, il arrive alors devant cette scène. Adélina face à un pirate, une de ses premières rencontres avec les locaux. Rokvenha glisse les mains dans les poches et appuie son épaule contre l’encadrement d’une porte, suivant l’échange avec attention. C’était sûr, il aurait imaginé ça un peu plus tard que le matin même de leur retour, mais c’était une évidence que la “Rose” recevrait pareille visite et message de la part des mécans. A leurs yeux, elle est une étrangère, venue soit disant pour devenir l’une des leurs, mais Méca n’oublie pas et Méca n’est pas dupe. Adélina est une noble péninsulaire, ex-femme du Duc de Soltariel et pour Méca, elle devra faire ses preuves deux fois voir trois fois plus que le simple individu perdu en mer.

Il suit alors l’échange et quand le marin le salue d’un sourire malsain, Rokvenha rend la pareille d’un signe de tête et d’une main qu’il sort de sa poche. Etrangement, il est calme et pas protecteur de sa Rose, non, il reste là en retrait et la laisse s’opposer à cet homme. Il redresse même sa main pour intimer à Aubry de ne pas intervenir quand ce dernier se place à ses côtés. “Laisse, elle doit y passer.”

Enfin, le marin sort comme si de rien n’était, sifflotant en reprenant sa promenade. Caleb se redresse et s’approche de la jeune femme en souriant. “Tout l’monde y passe, aye… Chaque nouvelle tête est connue et doit s’montrer digne d’pas êt’ coulée quand il a posé l’pieds sur Méca, c’est la tradition mais toi… héhé… Toi t’as aussi l’droit à un traitement plus spécial et tu sais bien pourquoi, j’vais pas t’faire un dessin.” Il désigne l’extérieur de la boutique d’un signe de menton, un geste vague pour contextualiser ses propos. “Les autres et l’Seigneurs surtout qui sont garants d’la sécurité des habitants d’l’île voient en toi et ton cousin deux potentiels espions envoyés par l’Duc… J’vais pas t’refaire l’histoire d’amour qu’il existe entre nous et l’duché d’Soltariel hein ? Et pour eux, tant qu’tu n’auras pas montré patte blanche, tu seras toujours une nobliaude d’la péninsule et encore pire, l’ex-femme d’Duc… C’est comme ça, va falloir qu’tu t’fasse à cette idée.” Il se retourne et regarde Aubry. “Un peu pareil pour toi, même si bon… T’es moins concerné.” Il revient alors pour parler aux deux. “Une faute, pas deux… Vous voilà prév’nus même moi j’peux rien faire contre ça, tu souhaites êt’ mécane alors à toi d’faire en sorte d’passer cette étape là. Considère ça comme un premier rite d’passage.” Il lui sourit alors, convaincu que le message est bien comprit et qu’Adélina ainsi que son cousins feront le nécessaire.

La jeune femme resta silencieuse, observant le mécan parler. Pas une seule fois, elle l’interrompit. Pas une seule syllabe ne sortit de ses lèvres. Adélina semblait analyser ce qui venait de se passer et de comprendre l’ampleur d’un tel message. Cet homme n’avait peut-être aucune importance à Meca, mais cela ne changeait pas que le message qu’il portait était le même que bien des gens. La noble n’était pas dupe. Elle avait vu le regard des gens, les murmures qui se soufflaient sur son passage. Adélina avait été mariée à l’ennemi… Par conséquent, elle était l’ennemie. Le fait qu’elle soit arrivée à Meca sans mourir était déjà bien. Cela ne changeait guère que le message qu’elle venait de voir l’avait profondément choqué. Savoir que l’ensemble d’une population l’attendait à la moindre erreur amenait son lot de nervosité. Adélina expira soudainement, regardant autour d’elle, semblant éviter le regard des deux hommes qui lui faisait face. Il était évident qu’elle n’allait pas bien, et Aubry fut le premier à réagir.



« Lina… »
« Aubry, je crois qu’il est temps d’aller chercher les cinq femmes sur le Second Souffle et les ramener ici pour leur faire notre proposition. »
« Lina… » Répéta-t-il avant de s’avancer d’un pas.
« Je vais bien, Aubry. » Répondit-elle sèchement, ce qui surprit quelque peu son cousin qui s’arrêta net. Puis, semblant se détendre, elle reprit : « Sur le chemin, si tu entends parler d’un prêtre de Néera ou d’un apothicaire, cela me sera utile. »



Aubry fronça les sourcils, avant d’incliner rapidement la tête, comme pour signifier qu’il avait compris. Sans rajouter quoi que ce soit, elle retourna dans la pièce adjacente sans jeter un regard aux deux autres hommes, les évitant même volontairement. Le chevalier resta silencieux à son tour pendant quelques secondes. Il avait compris ce qu’elle voulait faire avec les deux autres demandes. Si l’une était pour dissoudre le mariage qui la liait toujours devant les dieux, l’autre était beaucoup plus sinistre. Croyait-elle vraiment que Norbert avait poussé encore plus loin son attaque ? Aurait-il osé aller plus loin ? Légèrement en colère, le nordien tourna à son tour la tête vers le Rokvenha avant de s’adresser au capitaine. « Je crois que vous devriez lui parler… » Le nordien regarda la porte que venait de traverser la jeune femme, avant de rajouter ; « Et si vous pourriez m’aider à la convaincre de s’entraîner un peu avec moi. Je crois que porter une arme et apprendre à réellement se défendre lui serait utile. Surtout avec ce qui s’est passé en Ydril. » Aubry lui lança un regard entendu, espérant que sa cousine lui avait raconté toute l’histoire. Puis, tourna les talons pour sortir de la boutique, se disant que le Rokvenha ne laisserait pas sa rose seule après ce qu’il venait de se passer. Adélina, quant à elle, était de retour dans la pièce avec les innombrables étagères, s’assissant sur une table l’air perdue dans ses pensées. Elle avait peur, oui. Mais c’est l'inquiétude qui se propageait dans son esprit. La jeune femme n’était pas dupe, elle savait pertinemment que cela ne serait pas facile. Surtout à Meca, mais elle avait eu un certain espoir que les gens avaient pu voir la même chose que Caleb avait vu en elle. Ses mains se posèrent sur le bois, alors que son regard fixait la pierre du sol. Une chose était certaine, rien ne sera plus comme avant. La nordienne releva finalement son regard vers la porte, là où se tenait le Rokvenha. « Je vais leur montrer… »

Rokvenha observe Adélina et son cousin. Ses mains reste enfouies au fond des poches et son air désinvolte ne le quitte pas, laissant ainsi la jeune femme encaisser la dure réalité de sa nouvelle vie.
Il n’est pas perturbé par cette scène et encore moins par le message délivré par le marin. Il en est ainsi sur l'île et le fonctionnement sera toujours le même après le cas d’Adélina passé. Les nouveaux sont mis à l’épreuve et doivent ainsi prouver leur loyauté aux mécans en reniant leurs origines passées.

Il continue alors d’écouter l’échange entre la jeune femme et son cousin, suivant du regard l’un et l’autre. Lorsqu’Adélina quitte la pièce et qu’Aubry s’approche de lui pour lui demander un service, le capitaine opine du chef et sourit vers l’ancien chevalier. “Aye, j’lui dirai.” S’entraîner à se défendre est une nécessité sur l'île où vivent des hommes et des femmes qui ne jouent leurs vies que par la lame et la violence. “J’lui en ai d’jà parlé, elle a d’ailleurs l’un d’mes poignards normalement.”

Puis finalement, il suit ensuite Aubry et retrouve la jeune femme. Quand elle se montre déterminée et résolue à prouver aux autres qu'il sourit. “J’m’en fais pas trop pour ça, ma Rose… Par cont’ ici on a pas d’Néera ou d’ces choses-là… ”Il lui sourit comme s’il venait de soulever un point, une première erreur et pas des moindre. “Chacun prie c’qui veut, aye, mais… Pas d’prêtres, pas d’temple aux croyances d’en dehors.” Il claque alors des mains comme pour revigorer ceux qui l’entourent et s’avance en direction de la sortie. “Bien bien bien… J’ai encore à faire et mes gars ont b’soin d’un p’tit coup d’main. On t’ramène le reste dès qu’on a déchargé et si t’as b’soin d’quoi qu’ce soit hésite pas hein !”

En s’approchant de la sortie de l’échoppe, il regarde une dernière fois le local et souffle du nez comme pour chasser une idée mal venue.

La jeune femme hocha rapidement la tête en regardant Caleb sortir de la boutique. Une fois qu’il fut hors de vue, ses épaules s’enfoncèrent, alors que son regard se porta sur le sol poussiéreux. Au plus profond d’elle-même, la noble savait que recommencer à zéro ne serait pas facile. Que cela soit à Thaar ou à Meca il y aurait eu des difficultés. Elle s’était imaginé qu’avec Caleb, cela aurait été différent - ou même un peu plus facile - mais Meca était la solution qui lui semblait encore plus compliquée. Le pirate avait raison. Elle était observée avec attention. Le moindre détail pourrait lui valoir un aller simple à Soltariel - là où elle ne voulait même pas imaginer la sentence qui l'attendait et Caleb ne pourrait rien y faire… C’était étrange de voir à quel point une chose aussi simple, aussi stupide l’avait autant secoué. La jeune femme soupira de nouveau avant de se redresser, allant rapidement dans le bureau d’Holden, observant les alentours avec un air triste - cette pièce était un réel fouillis. Des parchemins un peu partout - des bouteilles vides laissaient s’échapper un relent d’alcool. Plissant du nez, elle s’approcha du bureau pour regarder le parchemin sur le bureau. Le tout était barbouillé de noms et de chiffres. Peut-être que cela était un registre de ce que les gens lui devaient ? La jeune femme souffle du nez avant de remettre le parchemin sur le bureau, connaissant Holden cela était probablement le contraire. C’étaient les gens à qui il devait de l’argent… Cela ne serait d’ailleurs pas surprenant qu’un de ces jours un groupe armé jusqu’aux dents entre dans l'échoppe pour réclamer justice.



Elle soupira avant de prendre une boite qui traînait et se mettre à genoux pour ramasser les bouteilles. Si Adélina voulait que cet endroit soit habitable, elle devrait elle-même mettre la main à la pâte et apprendre. Une bonne heure passa avant qu’Aubry ne revienne avec les jeunes femmes à l’air piteuse. La nordienne les invita à entrer dans la pièce qu’elle avait commencé à nettoyer, avant de les inviter à s’asseoir sur l’un des canapés poussiéreux. Aubry, quant à lui, sortit rapidement de la pièce, laissant les jeunes femmes ensemble. La nordienne ne perdit guère de temps, se hissant sur le bureau devant elle, un air légèrement triste au visage. Elle connaissait que trop bien le sentiment d’être prisonnière, de savoir que ses mouvements n’étaient pas siens… La jeune femme expira doucement avant de prendre la parole, annonçant de ce fait le ton de la conversation; « Je comprends que cette situation ne vous enthousiaste guère. Vous me l’avez fait comprendre sur le navire et je ne perdrais pas de temps à vous faire de beaux discours… »Si deux soutenaient son regard sans problème, les trois autres ne pouvaient que fixer leurs pieds en tentant de cacher le tremblement de leurs mains. Pendant ces quelques jours en mer, Adélina avait visité ses jeunes femmes, leur apportant nourriture et eau. Elle avait aussi appris à les connaître vaguement. « J’ai acheté votre liberté. Vous n’êtes plus prisonnière, ni esclave. » La stupéfaction sembla atteindre les jeunes femmes alors qu’elles posèrent toutes leurs regards sur la jeune femme devant elles. « Néanmoins, j’ai une offre à vous faire. » La jeune femme leur fit signe de s’asseoir, quelqu’une obtempèrent alors que deux d’entre elle, restèrent debout. « Aussi, j’aimerais vous offrir de travailler pour moi. » La nordienne leur fit un léger sourire avant de continuer ; « J’ai besoin d’aide pour créer mon commerce. De gens qui peuvent aller en péninsule sans risquer leur vie pour créer des contacts, des liens avec les marchands. Je connais assez bien quelques villes pour vous dire qui allez voir, et comment les approcher… »


« Et qui es-tu pour en savoir autant ? »
Adélina se tourna vers la vaanie qui avait pris la parole, sa peau hâlée, dorée par le soleil et son accent trahissant ses origines.
« Mon nom est Adélina ou la rose comme on m’appelle ici. »
« … La duchesse? »


La nordienne ne fit qu’hocher la tête. Si pour le moment elle était encore duchesse, cela ne serait pas bien long avant qu’elle ne passe à la prochaine étape pour se débarrasser d’un titre qu’elle n’avait jamais dû avoir. Par contre, les femmes devant elle la regardaient comme si elle leur avait révélé une information inimaginable. Adélina soupira, se disant qu’elle leur devait un peu plus d’informations.


« Je veux recommencer une nouvelle vie. Loin du duché. Le mariage avec le Duc était une erreur… Cet homme est… » Elle s’arrêta un moment, se demandant comment continuer avant de continuer ; « Cet homme est mauvais et je veux m’éloigner le plus de lui. Je crois qu’il ne me pardonnera pas le complot dont j’ai été victime et je suis en fuite. » Si certaines femmes semblaient réellement surprises, une parmi eux semblait particulièrement triste, regardant avec attention les bleus qui ornaient les bras de la jeune femme. Néanmoins, la jeune femme continua; « Pour retourner à notre discussion… En échange de vos services vous serait bien entendu rénuméré, et je vous offre un pied-à-terre dans mon échoppe lorsque vous serez à Meca. Sinon… vous êtes libres de partir. Là. Maintenant, personne ne vous retiendra. Je ne vous mentirais pas, cela ne sera pas facile, mais je peux vous assurer au moins un certain confort, voir même une certaine sécurité. »



Les deux vaanies se relevèrent rapidement. L’une d’elles sortit de la pièce sans demander son reste, tandis que l’autre resta silencieuse un moment, observant la duchesse pendant quelques secondes. Puis sa voix brisa le silence ; « J’ai mon propre commerce à Thaar… Si jamais tu souhaites t’étendre plus loin, vient me voir. Mon nom est Nadima. Mon échoppe est tout près du marché aux chaînes. » Nadima tendit rapidement la main vers la duchesse. Adélina se leva rapidement pour l’attraper, lui faisant un léger sourire.



« Je te dois la vie. »
« Fais attention sur la route. »



La thaarie hocha rapidement la tête, restant silencieuse un moment avant de reprendre ;

« Fais attention à toi, Adélina… Je ne suis pas certaine que cela soit l’endroit le plus facile pour recommencer à zéro. »
« Tu as raison… » Commença la noble avant de rétorquer ; « Mais ici, j’ai des gens qui tiennent à moi et qui me protégeront. »



La thaarie resta silencieuse, ne semblant pas savoir comment répondre, elle ne fit qu’un léger sourire, avant de tourner les talons, fermant la porte derrière elle.

La pièce était incroyablement sombre, un mince filet de lumière traversait les fenêtres crasseuses, alors que les quelques chandelles allumées n’aidaient pas réellement à l’ambiance sinistre de la pièce. Les murs en pierre usés par le temps et le sel encadraient les quatre femmes qui se trouvaient dans cette pièce depuis quelques heures déjà, chacune racontant son histoire, son passé. Si l’une d’entre elles était particulièrement silencieuse, les autres n’avaient aucun problème à se délier la langue, racontant à l’alonnaise leurs vies respectives. La plus vieille d’entre elles, Amsa, venaient d’estrévent. Une mercenaire embauchée par le commerçant qui avait convaincu Adélina de venir avec lui. Cette dernière, malgré ses vingt-sept années, avait un vécu particulièrement impressionnant, voyageant de rivage en rivage, elle suivait ce dernier depuis les quatre dernières années, parcourant Mer Oliyenne et Océan d’Eris, allant de bourgade en bourgade. Adélina ne put s’empêcher de jalouser la liberté de cette femme. N’ayant aucun lien imposé, profitant de sa liberté, et offrant ses services à ceux qu’elle désirait.



La deuxième, une rouquine originaire de Naélis, se nommait Kiara. Des traits fins et un visage parfaitement dessiné, cette dernière était une commerçante ayant tout perdu lors de la guerre de Naélis. Alors que les sombrelfes se dirigeait vers la ville, cette dernière avait abandonné la cité pour se réfugier en péninsule. De là, elle avait voyagé, prenant petit boulot après petit boulot pour survivre, errant pendant de nombreuses années. Kiara était extrêmement positive, et depuis qu’elle avait retrouvé sa liberté, cette dernière affichait un sourire radieux. L’aventure ne semblait guère lui faire peur, au contraire, elle voyait cela comme un défi. La troisième semblait à peine plus âgée qu’Adélina et était extrêmement timide. Son regard ancré sur le sol, elle n’avait jeté que quelques regards aux autres femmes qui l’entouraient, trahissant l’inconfortable position dans laquelle elle se trouvait. Adélina ne la força guère, se disant que peut-être que cette dernière désirerait partir éventuellement. Néanmoins, elle leur annonça son nom, Isabella, une jeune femme venant de Tylère, mais ne participa guère plus à la conversation.



« Pour le coup, comment tu as réussi à mettre les mains sur un commerce alors que t’es en fuite ? » Commença Kiara, avant de se caler un peu plus dans le fauteuil.
« Un homme nommé Holden a répandu des rumeurs sur moi en péninsule. Évidemment que cela a remonté aux oreilles des nobles, et à cause de lui et de ses mensonges me voilà Persona no gratta chez moi. Pour se faire pardonner, il m’a donné son commerce. »
« Et il est encore en vie ? »
Adélina fit un rapide signe de la tête ;
« Non, mon cousin, Aubry l’a tué. »
« Celui qui est venu nous chercher dans la cale ? » Demanda Kiara avant de se tourner vers la porte comme pour tenter d’entrevoir ce dernier.
« Oui, celui-là même. »
« Il est pas mal… » Continua la rouquine, ce qui fit pouffer de rire Amsa et Adélina alors Isabella sembla rougir comme une tomate en regardant ses pieds. Kiara se retourna finalement vers l’alonnaise avant de reprendre ;
« C’est vraiment un taudis ce truc. Va falloir mettre en ordre. »


La jeune femme acquiesça avant de porter un regard découragé sur la pièce.
« En effet. Je dois avouer que je ne suis pas réellement douée pour organiser tout cela. Je sais gérer un duché, mais incapable de faire le ménage correctement. » Dit-elle en haussant les yeux aux ciels, ce qui sembla faire rire les femmes - et même la timide Isabella qui osa finalement lever les yeux sur Adélina.
« T’inquiètes, si tu veux, je peux même te donner quelques conseils sur comment l’organiser. J’avais une boutique comme cela avant la guerre. » Continua-t-elle rêveuse.
« Ouais, bon, avant de commencer, j’étancherais bien ma soif… »
« Ah! Oui! Je crois qu’Aubry a ramené quelques victuailles dans la cuisine. Allons nous servir. »
Kiara et Asma se levèrent rapidement avant de sortir de la pièce, mais avant qu’Adélina ne puisse les suivre, Isabelle l’arrêta doucement, l’interpellant de sa douce voix.



« Puis-je vous parlez ? » Demanda-t-elle, gênée. « En privé ? »
« Oui bien sûr. » Adélina vint s’asseoir à ses côtés, lui lançant un regard bienveillant.
« Je dois vous avouer quelque chose, Votre Altesse. »
« Je t’en prie, Isabella. Je ne suis plus Duchesse. Appelle-moi Adélina. »
« Oui, Vo… Enfin Adélina… » La jeune femme se mit à bouger nerveusement ses mains, son regard se plantant sur ses dernières.
« Je fuyais aussi quelque chose… » Osa-t-elle finalement avant de lever son regard vers la nordienne. Adélina perdit rapidement son sourire devant le sérieux de la situation.
« Mon mari est un homme violent et je ne pouvais continuer ainsi. »



Adélina eut l’impression que son sang se glaça alors qu’Isabella lui raconta sa vie. À peine âgée de 21 ans, cette dernière avait été mariée à un forgeron de Tylère. Un homme rustre qui avait visiblement des problèmes de boisson. La pauvre jeune femme avait eu une vie peu attrayante, souvent victime des éclats de colère de son mari. Elle avait rencontré le marchand au port, ce dernier l’invitant - comme il avait fait avec Adélina - à construire une nouvelle vie loin de tout cela. La nordienne fut particulièrement touchée par ce récit, et ne put s’empêcher de la prendre dans ses bras, tentant tant bien de rassurer cette dernière.



« Tu n’as pas à me raconter le reste si tu ne le souhaites pas. »
« Non, mais tout cela pour dire que… Je ne veux pas voyager… Je veux juste être le plus loin possible, là où il ne peut me retrouver. »


Adélina lui fit un sourire triste, avant de prendre la main de la jeune ydrilote, la serrant légèrement dans la sienne.


« Il ne peut pas te toucher ici. »
« Je sais… C’est pour cela que je voulais te faire une autre offre. »
Adélina l’invita d’un léger sourire à continuer ;
« Je ne suis pas une bonne aventurière comme Kiara et Asma… Je ne pourrais jamais me promener ainsi et ce n’est pas moi. Par contre…» Isabelle releva finalement le regard pour soutenir celui d’Adélina. « Je sais comment tenir une maison. »



D’abord surprise, la nordienne resta sans voix avant d’éclater de rire, serrant de nouveau la main de la jeune femme.
« Alors je t’engage définitivement! Je suis vraiment inutile dans une maison ! Tu pourras m’enseigner en même temps. »


La réaction d’Adélina sembla réaliser la pauvre Isabella, qui se détendit rapidement, osant même retourner un sourire à sa nouvelle employeuse.

« Allez, viens. On va manger un morceau avant de faire quelque chose de ce taudis. »