[L'invasion gobeline] Les premières marées vertes

Elenwënas de la première ennéade de Fävrius
14e année du Onzième Cycle – Printemps
Muraille Nord d’Alëandir

- Je sais qu’avec le printemps, nous ne devrions pas avoir de mal à trouver de quoi nous nourrir en chemin ta voix tranche à travers le vent, les conciliabules, et les atmosphères mêlées de la forêt et de la ville mais soyez certains d’avoir avec vous assez de provisions pour en cas de souci tenir au moins le temps du voyage. ta main se pose dans la crinière de Vìrin, l’appelant à se tourner vers votre destination Et rappelez-vous ! Soyez vigilants ! Nous n’en savons pour l’instant pas assez sur la menace pour nous permettre de la minimiser.

La brise chasse les derniers nuages de devant l’astre du jour, les premiers rayons de l’astre du jour se heurtent à vos armures et aux maigres harnachements de vos montures. Aucune appréhension ne se lisait sur votre visage. Rien de plus que de l’agacement. Après avoir fait face aux invasions naines, humaines, et à la menace Drow ; aujourd’hui, alors que vous regagniez enfin des parts de ce que les grandes guerres vous avaient pris, il était hors de question que vous en abandonniez la moindre once à de la peste verte.

- Badammên
          Allons !

Les claquement de sabots des chevaux et les premiers bonds des Faïras couvrirent largement les ténus cris d’encouragement du petit escadron. Ce n’était pas une bataille que vous étiez excités à l’idée de mener. Vous ne nourrissiez aucune peur qu’il faille réussir à surmonter. Quant à la grisante perspective d’être confrontés aux limites de ce qui était finalement votre art,  quant à l’occasion de vous surpasser… seul aspect un tant soit peu positif des véritables batailles, il ne laissait place qu’à une sourde exaspération.
La missive reçue de Solith en début d’ennéade était pour le moins alarmante. Dix Cycles durant et les gobelins avaient toujours été une part du paysage d’Anaëh. Des créatures parmi d’autres. Certes, ce que vous saviez d’eux laissait imaginer qu’ils soient tout sauf des voisins agréables… mais ils s’inscrivaient dans l’équilibre naturel. Ils n’avaient jamais été un problème chez vous comme ils l’étaient au Zagazorn, alors pourquoi maintenant ? Et ils fallait que leur population décide d’exploser au petit Printemps, alors que la forêt était au plus fragile !

- Je n’aime pas ça. les sourcils froncés derrière ton masque, tu confies au Commandant des armes d’Alëandir, ton second dans cette expédition Quand l’Œuvre s’affole de cette manière, ça ne présage jamais rien de bon.

Ta voix claire souffle bien sombrement, écho qu’elle se fait d’une forêt dont à demi-conscience, tu ressens l’actuelle détresse.

Qu’est-ce que ça fait exactement ? Tu n’y as jamais véritablement réfléchi. Tu le sais c’est tout. Ce genre d’impressions, tu en avais déjà étant petit, et le Voile n’a fait que les renforcer sans plus te donner d’explications. Ah tu aurais aimé y être aussi sensible que les Ornedhels, partager la profonde communion qui conditionnait leur vie. Tu es certain qu’il y a un nombre incalculable de choses que tu aurais mieux compris ainsi. Et puis… avec un tel soutien de la forêt, qui donc aurait pu te tromper ? Qui aurait pu échapper à ton œil et prendre à revers tes hommes ? Si seulement tu entendais l’Anaëh comme les Noss, tu n’en aurais été qu’un plus formidable Commandant. Ou alors peut-être au contraire l’hérésie que voient les Noss dans votre vie Citadine te serait-elle devenue évidente ?

- Je ne sais pas trop comment l’expliquer. Je sens juste dans mes tripes que quelque chose ne tourne pas rond.

Et tu es certain que lui aussi, et que tous les elfes au sein de l’Œuvre ont connu ce genre de sensations. On ne s’en rend simplement pas compte tant que rien n’est venu y toucher. Pour toi ça a été le Voile pour d’autres la séparation d’avec l’Anaëh. Et Aegden n’avait certainement été marqué dans son Souffle par aucun des deux.

- Je suis certain que des instincts de ce genre, tu en as aussi. On ne s’en rend simplement pas compte avant qu’ils ne nous soient retirés ton sourire est caché derrière ton masque ou qu’I Ëmel décide de nous mettre face à eux.

La Mère… que pouvait-elle bien vouloir de vous actuellement ? Si la réaction Solith n’avait pas été dramatique sans raison, et qu’il s’agissait bien d’une invasion en bonne et due forme, comment deviez-vous réagir ? Devriez-vous considérer ces créatures sans le Souffle comme une menace à l’équilibre de l’Œuvre ou n’étais-ce là qu’un changement parmi tant d’autres et un rééquilibrage à laisser entre les mains de la forêt ? Simplement détruire ce que vous perceviez comme une menace est une idée qui à première vue te révulse. Purement et simplement. Mais peut-être une fois face aux choses ton avis changerait. C’est pour cela après tout que tu avais décidé d’y accompagner l’escadron dépêché.

- J’espère juste qu’ils ne m’abandonneront pas au moment de prendre de véritables décisions.

Tu ne tiens pas avoir à décider seul du nombre de vies à prendre. Tu ne le veux définitivement pas.

Il n’y a pas de raison…

- C’est ici que nous nous arrêterons pour ce soir. Plus se rapprocher des montagnes sans savoir exactement à quoi nous avons affaire serait trop dangereux.

Une pause bienvenue après de longues heures de chevauchée trop pauvres en événements. Quelques créatures sorties de leur torpeur hivernale avaient été votre seule véritable distraction. Le reste, seulement votre devoir, et c’était dommage. Le spectacle de l’Anaëh se couvrant de ses premières fleurs était absolument magnifique, mais il était difficile de sereinement en profiter lorsque non seulement vous aviez des choses plus sombres à penser, mais qu’en plus vous étiez plus concernés par le repérage des essences comestibles de cette époque que par celui des plus beaux motifs floraux.

Rompus à l’exercice, il vous avais fallu aussi peu de temps pour établir un campement sommaire et rassembler de quoi manger qu’il vous en faudrait lorsque viendrait le matin pour tout remballer et remonter en selle. Et le malaise ambiant n’en devenait que plus profond. Tout paraissait normal. Absolument normal. Et pourtant il vous avait été promis une scène de fin des temps. Une scène de fin des temps dont des créatures insignifiantes étaient censées être à l’origine. C’était une drôle de guerre, voilà tout, une qu’aucun d’entre vous ne semblait finalement savoir par quel bout prendre.

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Oglicos de la première ennéade de Fävrius
14e année du Onzième Cycle – Printemps
Sud des monts Telions

- Que chaque chevaucheur de Faïra prenne cinq cavaliers avec lui ! ta voix lutte, forte de l’enseignement d’une jeune Chanteuse, contre le vent Que chacun note les emplacements de cavités suspectes, les potentielles traces d’activités gobeline alentoures et tout ce qu’il peut être intéressant d’autre à savoir. Rendez-vous à la tombée de la nuit sur le plateau deux lieues au Nord d’ici.

Les groupes se composent d’eux-mêmes, et Aegden toujours à ta suite, vous prenez la direction du Nord-Est, la plus proche de Solith sur votre terrain de recherche. Pour peu que les événements décrits dans les missives de Solith aient été vraies…

- Qu’est-ce que…

Entre les arbustes arrachés et calcinés gisaient de nombreux cadavres de rongeurs aux trois quart grignotés. Des graines de fruits de printemps encore entouré de bien trop de pulpe amenaient une touche de couleur à un tableau que l’état de ce qui aurait dû être de larges parterres de fleurs rendait bien triste. Si tu n’étais pas sûr au départ des mesures à prendre, la vision qui s’offrait à toi était sans équivoque. Qu’elles fussent créées par La Mère ou pas, les créatures à l’origine de ce massacre étaient un pur fléau.
Tu défourailles ton sceptre. Il est temps d’entamer les choses sérieuses. Tu te laisse bercer par la pulsation ambiante, y scrutant la moindre arythmie, la moindre perturbation. Tu soumets jusqu’aux cadavres à l’expertise de tes arcanes, pour en estimer le niveau de décomposition, et donc l’âge. Vìrin elle aussi soulève l’œil et tend les oreilles, les nasaux dilatés, usant de ses sens de prédateur pour te guider là où chez les chevaux c’est leur instinct de préservation qui se faisait un indice.

- Par-là ! Les pistes semblent mener à ces grottes.

-Il va en venir d'autre, mais si on peux profiter d'un certain effet de surprise c'est déjà ça.fit-Aegden à mis-voix en jetant un  regard vers le soldat qui venait de tirer. 

Autant mettre toute leurs chances de leur côtés. Les gobelins étaient peux être faibles, mais comme l'avait dit Artiön à leur départs, mieux valait ne pas minimiser la menace.

Là où l’extérieur était une abomination visuelle, l’intérieur des grottes était une véritable intoxication olfactive. Ton masque ne te protégeait qu’à peine des relents de chairs putréfiés, à moitié rongés par la salive acide dont certains étaient encore fraîchement couverts. Instinctivement, ta main vint flatter l’encolure de Vìrin, compatissant que tu étais au cauchemar que cela devait être pour elle, dont l’odorat était bien plus fin que le tien. Heureusement pour la Faïra, ce ne fut jamais que des attentions gratuites de plus pour un animal dont la définition d’odeur agréable ou pas différait vastement de la tienne.

- Si les monts Telions ressemblent un tant soit peu aux Norns, il y a de grandes chance que les caveaux se creusent en un labyrinthe de tunnels plus petits. Se débarrasser des gobelins risque d’être plus difficile que prévu.

Le pas ralentit, devenu plus précautionneux, alors que les sens de tous et de toutes se faisaient scrutateurs. Tu te creusas ta place en milieu de peloton plutôt qu’en tête, déjà abandonnant ton rôle en tant qu’heru Laergûl, le chercheur, pour celui d’Enda’Otha. Les lames étaient devant. Le guérisseur au centre. Les arcs derrière. Et les muscles étaient tendus. C’est que pour un Sourd, Aegden semblait avoir été autant touché par l’atmosphère que vous tous.

Un bruit de pas feutré. Un grognement. Le sifflement d’une flèche. Tout était allé extrêmement vite. Vous deviez votre première victime à un tir de réflexe de l’un de vos archers. Et finalement… à voir le cadavre auquel une mort preste venait d’être administrée, aucun d’entre vous ne se sentait particulièrement coupable.

- Il marque un point. Il est temps d’abandonner les montures. avec toutes les précautions du monde, vous descendiez de vos destriers Tu as vu vers où est-ce qu’il se dirigeait ?

L’archer te pointe une direction du nez, et tu acquiesces d’un hochement de tête. Seulement avant que le petit groupe ne s’enfonce plus, tu t’interposes. Le temps de quelques tours de sceptre. L’exercice est toujours un peu plus ardu qu’avec ton ancien focaliseur, mais tu t’habitues plutôt vite à ce nouveau bâton, l’affection que tu as pour celui qui te l’a offert aidant.
L’arme s’imbibe d’une lumière qui n’éclaire pas, et dès lors qu’elle est assez intense, un geste sec de ton bras libre en coupe les rayons. L’espace d’une fraction de seconde, les aurores s’empare des corps de tes camarades, et une fois éteintes, leur laissent la sensation d’être plus éveillés que jamais. Ils voient mieux, ils entendent mieux, ils – malheureusement – sentent mieux, épris d’une conscience renouvelée, surnaturelle, de leur propre corps.

- Allons-y maintenant.

La fébrile lueur des champignons portés par vos archers a vite fait de devenir votre source principale de lumière, mais pour toi ce n’est que de bien maigre conséquence. L’oreille et l’esprit tendu tu avances, et si ni les bruissements ni les pulsations que te dévoile ta magie ne te trompent… ils sont proches, et ils sont nombreux.
Votre porteur de bouclier le premier, Aegden ensuite, les archers dès que l’agitation commencerait à monter. Tu signes un semblant de stratégie, compte à rebours de la main... et l’assaut est lancé.

Ils sont entrés. Oh oui ils sont entrés mon précieux, oh oui ! Crois-tu qu'ils nous verront ? Je ne sais mon précieux, je ne sais... Les lapins se mangent tendres, moelleux et après plusieurs heures après la chasse ! Mais ces lapins, mon précieux, ces lapins ils sont bien plus grands ! Et ils ont bien plus de viande, oh oui ! Pour les cuisiner il faudra les découper avant, pas comme les petits rats qu'on leur a laissé. Les petits rats, eux, n'étaient pas bons ! Que dis-tu, mon précieux, qu'aller dans les endroits où ils vivent est mieux ? Oh non... ils ne nous offrent pas grand chose... Ils ne font pas honneur au Gobelin-Dieu ! La seule viande bonne à manger là-bas, mon précieux, c'est eux ! Et on a déjà goûté... Oh oui, un pas trop grand ! C'est ssssssucculent ! Ici, mon précieux, si tu veux manger de mon bon râgout... il faut chasser ! Il faut chasser du grand. Et là, le grand, il n'est pas intelligent. Héhé tu sais, mon petit précieux, quand tu seras en âge de prier en chaque geste le Gobelin-Dieu, je t'apprendrai à faire du râgout. Mais je te disais que le manger n'était pas intelligent... car vois-tu, il entre là où il faut. Il aime les pièges, ce manger-là. Ils ne sont pas beaucoup, oh oui pas beaucoup, alors que nous on est nombreux ! On est nombreux, beaucoup beaucoup plus qu'eux, et on aime le manger ! Qu'ils approchent, oh oui mon précieux... qu'ils approchent et ils ne pourront pas tous nous frapper.

La flèche partit à peine fut-elle encochée, mettant fin à la courte vie du gobelin chargé de faire le guet - pouvait-on penser... en réalité il avait dû s'absenter pour bien moins honorable besogne quotidienne. Les quelques elfes abandonnèrent leurs montures, parlèrent rapidement à voix basse puis avancèrent progressivement à travers le tunnel. A la fin de celui-ci, plongés dans le noir, deux gobelins se regardèrent, un sourire carnacier dévoilant leur dents pointues jamais lavées. L'un après l'autre ils reculèrent vers une vaste salle naturelle où attendaient une centaine de gobelins dans un silence de mort. Une petite pierre roula sur le sol, donnant le signal que la nourriture était en approche. Nombreux furent le gobelins à trouver moyen de grimper à la paroie pour se positionner... juste au-dessus de l'entrée.

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L'elfe s'agenouilla sur le sol meuble et toucha du bout des doigts les empruntes laissées sur la terre. Restant proche de la terre, il fit quelques pas pour voir quelles étaient les autres traces laissées sur le sol. Du bout des doigts il prit un peu de terre, la fit tourner dans sa main puis la porta à son nez fin. L'elfe releva alors les yeux et darda son regard là où les cheveaux - et une autre monture qu'il connaissait moins, peut-être un faïra - s'étaient dirigés. Un bruissement derrière lui lui fit tourner les yeux mais pour autant pas la tête. Il savait qui était près de lui.

"Certainement des cavaliers venus d'Alëandir. Le protecteur de Solith a averti le Trône Blanc qu'il y avait de sérieux problèmes avec les gobelins et ils ont dû vouloir venir voir par eux-mêmes ce qu'il en était.
- Ils seraient donc allés voir par eux-mêmes dans les cavernes plutôt que de venir voir tes frères de pierre ?
- C'est ce que je crains.
- Ils sont idiots.
- Généralement ce sont les gobelins les idiots. Mais là leur nombre devient trop dangereux. Et à croire que l'un d'entre eux sert de chef pour qu'on puisse avoir des problèmes.
- Ca... c'est rare qu'ils ne s'entretuent pas.
- Préviens les autres que des groupes de cavaliers traversent cette partie des monts, il faut les arrêter et les emmener à Solith avant que leur bêtise ne les mène à leur perte.
- Et toi ?
- Moi ? Il se releva tout en écoutant la forêt. Je n'ai pas l'impression que notre Mère aie pour intention que ceux-là meurent."

Sur ce, le citadin courut à travers les bois, s'aidant de la Symphonie pour éviter les ennuis. Notamment depuis qu'il avait retrouvé la force et la volonté de parcourir la Prime Oeuvre et d'avancer dans sa propre vie, il remarquait qu'il n'avait jamais spécialement de mal à traverser des endroits pourtant impressionnants pour les citadins qui n'y avaient jamais été. A croire qu'il avait pris une très bonne habitude avec les Noss... Quoi qu'il en soit, il avait entre quatre et six cheveaux et un faïra à retrouver, ainsi que leurs cavaliers. Et à partir du moment où il trouva les cadavres de rongeurs, il n'eut aucun mal à deviner que les elfes étaient partis droit dans la caverne non loin. Il soupira avec l'un de ces regards qui en racontait long sur son désespoir puis entra à son tour dans la grotte. Il trouva les montures, s'avança encore sans faire de bruit et finit par tomber sur le pauvre être qui avait reçu une flèche dans la tête. Au moins était-il mort directement... Le protecteur s'abaissa rapidement pour porter une main sous l'aisselle dégoûtante du macabée pour en déterminer la chaleur et remarqua qu'il était encore chaud. Il devait être arrivé juste après eux. Mais lui ne se risquerait pas à aller beaucoup plus loin sans lumière et avec un risque énorme de se prendre une flèche lui aussi au moindre bruit qu'il ferait, d'autant plus qu'avec le manque de lumière à l'intérieur ainsi que le simple fait d'être sur le qui-vive risquait de le faire passer pour l'un de ces gobelins. Bien ! Comment prévenir du danger sans se mettre en avant ni provoquer une chasse gobeline mortelle ?

...

...........

Non, vraiment, c'était à se demander quel était le con qui avait décidé d'entrer là-dedans sans savoir quelles pouvaient être les tactiques de chasse de ces gobelins. Certainement pas un chef militaire. L'elfe regarda la paroie du tunnel autour de lui, la tâta... puis, finalement, il se décida à encocher une flèche à l'arc court qu'il tenait. Plus qu'à espérer que la flèche fasse assez de bruit avant de se briser...

La flèche partit contre un bord de la paroie, ricocha sur un second bord plus loin puis se tomba sur le sol, certainement en miettes vu le bruit qu'elle avait fait. Par précaution, Telenwë se plaqua contre le mur en priant pour que ces idiots aient compris le message... ou s'inquiètent suffisamment pour les chevaux pour revenir en arrière.

"Quoi, je n'ai tiré sur personne, non ? Tu devrais me remercier au lieu de me montrer les crocs..."

Et au faïra de s'y mettre... La journée avait bien commencé, pourtant. Elle avait bien commencé jusqu'à cet instant précis !

Non… non non non non !

Pourquoi ? Pourquoi avait-il fallu que vous soyez trahis par votre propre frère ?

La légion de pulsations à l’intérieur de la grotte s’excite violemment, et à d’instinct votre bouclier comprend qu’avancer n’est plus le plan. Les archers reculent d’un bond, de multiples flèches encochées, l’un regardant en avant, l’autre pointant en arrière.

- C’est une flèche elfe ! Concentrez-vous vers le fond ! tu attrapes le petit sifflet à ta hanche à la va-vite, en tirant un son sourd d’un vif mouvement de bras Gîlorn tiens bon !

Les tintements d’une multitude de griffes, de crânes et de dents se cognant au pavois font monter la tension, les aurores s’emparent de ton focaliseur, et quelque part en amont, le galop de Vìrin laisse entrevoir un futur répit.

- Fais-moi confiance Aegden et tiens la retraite !

S’il s’était agi d’une menace, Vìrin serait venue à votre rencontre longtemps avant que tu n’aies à l’appeler. Pour qu’elle ne s’en soit pas pris à l’elfe derrière vous, il fallait qu’il soit venu avec des intentions pacifiques… bien que la manière dont les événements se soient goupillés puissent laisser à penser le contraire.

- Vìrin ! Droite !

Le Faïra au galop bondit contre la paroi droite, attrapant au passage un ventru bonhomme verdâtre venu profiter de l’ouverture laissée par l’absence de partenaire sur ce flanc de Gîlorn. Ton bâton vrille entre tes doigts, et les aurores touchent les entrailles du félin comme elles ont touché les vôtres. Le coup de patte suivant du Caengal s’en trouva d’autant plus puissant.
Le félin grogne ; un frisson d’effroi court parmi la myriade d’insignifiants adversaires… pour se transformer en une clameur aigüe et rageuse. Les assauts redoublent d’intensité, et les volées de flèches augmentent en cadence, et précautionneusement, vous continuez de reculer.
Les plus téméraires des petites créatures accrochent leurs ongles sales sur les aspérités de la paroi de granite pour essayer de se creuser une place au sein de votre formation par le haut, mais tu veilles. Que ces vermines n’aillent pas croire que le guérisseur n’est pas capable d’activement prendre part à l’offensive.

Le premier crâne ayant osé fondre trop près de toi fut cueilli par la tête de ton sceptre et joyeusement fracassé. Le second lui eut droit à une fin moins preste, victime de ta magie. Petits corps trop nerveux pour leur propre bien. Tu frissonnes à la sensation des arcanes traversant ton corps, la pierre de Yutar amplifie ta propre pulsation, l’iridescence court autour de ton focaliseur, et ta poigne se referme sur le vide.

Trois. Pris de violents spasmes. Couverts d’étincelles. Electrocutés par leurs propres neurones.

L'elfe, en signe de non-agression, posa l'arc à côté de lui et releva lentement les deux mains. Le faïra ne semblait pas être très enclin à le laisser repartir tranquillement mais au moins ne lui sautait-il pas à la gorge... journée de merde. Vraiment. Avec un soupir Telenwë concentra son ouïe sur le côté obscur du tunnel afin d'essayer de comprendre quelles étaient les conséquences de son petit stratagème improvisé. Et ce n'était pas beau. Pas vraiment beau, même. Une chance, tout de même, est que les cris étaient existants et intelligibles. En plus d'être dans sa langue natale, bien sûr. Par contre bientôt le vacarme de nombre de petites créatures aux voies aiguës et aux dents pointues se fit entendre, ce qui désespéra encore plus le protecteur. Bon... quand ils seront sortis de là, il devra y avoir une sacrée discussion.

Le son d'un sifflet, le faïra qui courut jusqu'à l'elfe qui l'appelait. Désormais hors de danger l'etenirili reprit son arc et regarda vers le fond où il ne voyait absolument rien, puis les chevaux qui commençaient à montrer leur inquiétude. Que faire ? Assurer l'arrière ou aider à l'avant ? Après un long regard vers le lieu de la bataille, il se décida à reculer vers l'extérieur. Une fois à l'air libre il prit le temps d'écouter le Chant, monta sur une petite bute puis émit un long code, mélange de sifflements et de cris d'animaux, de sorte à ce que le vent en porte le son au plus loin. Les autres étaient prévenus des cavaliers qui allaient arriver et des gobelins qui risquaient de leur courir après. Il ne lui manquait plus qu'à s'assurer que cesdits cavaliers iraient dans la bonne direction... Alors, tranquillement, il redescendit dans la grotte.

A l'intérieur, l'elfe pouvait commencer à apercevoir les six énergumènes reculer à vitesse constante en toute discipline militaire. Ils étaient encore assez loin pour lui donner le temps de finir ce qu'il avait à faire. Telenwë s'approcha donc des cheveaux tout en prenant dans une sacoche une pierre d'un bleu très foncé aucunement polie. Il la tint dans sa main, paume dirigée vers le ciel, et commença à chanter. Doucement, juste pour que les animaux l'entendent. En elfique, cela ne voulait rien dire ; en cheval non plus d'ailleurs. Ce n'était que sonorités et intonations. La seule signification était dans la volonté du mage quant au message qu'il espérait faire comprendre. Ils devaient garder leur courage et galoper à travers la forêt en direction du nord. Arrivés au grand chêne sec et brisé, il faudra aller vers l'est. Une fois la pente descendue, un chemin dont l'entrée est marquée par un autel de pierres se présentera à eux. Il faudra y aller. Il les retrouvera après ce monticule de pierres.

Malgré la douce lumière qui auréolait sa pierre, l'elfe était incapable de savoir s'il avait été bien compris. Plus qu'à espérer que l'instinct des montures amèneraient ses frères au bon endroit. Un dernier regard pour les combattants qui étaient désormais proches de la sortie. Sans demander son reste, conscient que rester ne ferait que créer un conflit qui n'était bon d'entamer à cet instant précis, il rangea la pierre dans sa besace et courut à travers les bois.

Vos victimes s’additionnent, les cadavres de peaux-vertes s’amoncellent au sol sans pour autant que leur nombre n’ait visuellement l’air de diminuer. Pour chacun des leurs tombés au combat, les cris de rage des suivants montent en puissance. L’un après l’autre ils se remplacent, maintiennent continu le flot de nouveaux arrivants, tant qu’ils le peuvent. La lumière approche, la grande salle, entrée de la gorge dans laquelle vous vous étiez engouffrés se dévoile comme la sortie de la Tourmente.
Tu prends une grande inspiration, tu rassembles tes forces, ton sceptre décrit de larges cercles entre tes mains, et le temps de quelques pas tu te retiens de relâcher les arcanes accumulées. Tu comptes sur les carquois presque vides et les épaules de vos trois avants pour te porter jusqu’au moment opportun. Ta magie renforce toujours leurs corps, ils pourraient encore tenir longtemps, pour peu qu’ils ne laissent pas de faille trop béantes.

Les chevaux hennissent de terreur à la vue de la marée verte, l’exiguïté meurt avec vos possibilités de la contenir. Tu frappes ton bâton au sol. La magie crépite autour de toi, crache des éclairs d’arcane vers la gueule béante du couloir d’où vous veniez, en plein sur les derniers – trop nombreux – gobelins à vos trousses. Et à ce moment les créatures s’arrêtent, prises d’une commune crise de convulsions.

- En selle !

C’était trop. Pour eux. Ils ne s’en rendaient compte que maintenant. Ceux que les spasmes avaient épargnés n’eurent d’autre choix que de battre en retraite, horrifiés qu’ils étaient par l’image apocalyptique de leurs congénères les yeux retournés et les membres distordus.

Tu déglutis, te hisses à la va-vite sur Vìrin, et refermant le convoi, tu t’en retournes vers le lieu de rendez-vous avec tes camarades. Le galop des bêtes est vite redevenu trot, et le trot vite redevenu marche. Après ce genre de surprise, le poids avec lequel tombe le calme le rend d’autant plus surréaliste. Machinalement, tu fouilles la sacoche accrochée sur le flanc du Faïra, en sors une feuille de papier de riz et une mine. Et te laissant porter par ta monture, tu t’attelles à la cartographie des zones que vous aviez traversées.

Ta tranquillité est brusquement perturbée que lorsque la pulsation de la monture de Gîlorn commence à s’affoler.

- Une seconde ! ton regard se porte dans la même direction que celle de l’animal Il me faudrait quelqu’un pour m’accompagner vers le Nord.

- Mes tripes. et le comportement étrange d’un cheval habituellement parangon de sérénité et de patience Quelque chose là-bas perturbe la monture de Gîlorn, et dans une situation comme la nôtre, je fais confiance aux animaux pour nous donner des indices.

Les délibérations vous forcent à l’arrêt, le temps que l’un de tes compères se propose de te suivre. Evidemment, c’est le cavalier dont le compagnon s’affole le premier à faire un pas vers toi ; auquel tu t’opposes vivement.

- Pas toi. Bethril risque de devenir difficile à gérer si s’avancer la rend trop anxieuse.

Le fantassin recule, tête basse, légèrement déçu, et c’est Aegden finalement le premier à se proposer de prendre ce risque en ta compagnie. Aran et Mainyth prenant dignement leurs responsabilités certains diraient. Deux figures importantes prenant des risques inconsidérés diraient d’autres. Mais au moins le risque dans votre cas n’avait rien de si terrible.

- Vous trois, rejoignez le point de rendez-vous et informez-les de notre direction. Si nout ne sommes pas revenus d’ici à la tombée de la nuit, terminez la cartographie de la zone sans nous et prenez la route de Solith.

S’il devait vous arriver quelque chose de toute façon, ils vous croiseraient certainement au moment de rejoindre la Cité.

- Aegden, pas de temps à perdre.

Tu lances Vìrin au galop, prenant soin de ne pas la pousser plus que le cheval à votre suite ne pourrait supporter. Les routes de montagne sont traîtresses, et même lorsqu’elles paraissent aussi praticables que celles se dessinant devant vous, un cheval aura beaucoup plus vite fait qu’un Faïra de se blesser une patte. Hiril Lothren soit louée vos partenaires sont des bêtes de confiance, au pas assuré et à la vigueur remarquable. Assez remarquable au moins pour que le danger alpin ait été écarté à la faveur d’un environnement qui devait être plus familier au Lëandrin et à son destrier : la forêt.

- Si l’on ne croise rien de remarquable par ici, ta voix s’élève par-dessus le bruit du galop je vais commencer à regretter cette décision.

Et comme pour répondre à ta détresse, les bois s’écartèrent soudainement en une petite clairière baignée par le soleil de l’après-midi. Le cimetière d’un immense chêne en fin de vie, l’espace qu’il aura au cours des siècles colonisé de ses racines, et qu’il refuse jusqu’au bout de rendre à la vorace jeune végétation qui attend impatiemment à ses pieds. Tu contemples un instant, profitant du moment pour te recentrer quelque peu…

- À vrai dire tu poses le pied à terre pour te dégourdir un peu les jambes Maintenant qu’on est là… je ne sais plus trop quoi te proposer.

"Cela dépend de ce que tu entends par "sortir de l'ordinaire", jeune elfe."

Sortit de derrière des fourrées un elfe faisant dans les deux mètres, habillé de brun et de vert. Une longue cape marron tombait depuis ses épaules, le capuchon rabattu sur sa tête, ne laissant entrevoir qu'une mèche blanche et la peau claire du gars qui, visiblement, les attendait. Si les habits étaient tout à fait citadins, l'elfe devait être pour autant habitué à passer son temps à parcourir la forêt, vu l'état dans lequel ils se trouvaient : terre, traces d'herbes, salissures d'arbres... même du sang à certains endroits. De visible, les quelques armes qu'il portait étaient une épée d'un bel ouvrage, un arc court et des flèches. Tout en s'avançant vers le vieux chêne, qui était plus proche de lui que les deux autres elfes, il reprit la parole.

"Content de te revoir, Artiön. Cela faisait quelques années. De même pour toi, même si je te connais moins. Pardonne-moi mais malgré le fait de t'avoir déjà croisé, ton nom refuse de revenir à ma mémoire..."

Il fit un signe de tête aux deux étrangers, s'attardant sur Aegden. Son regard était dur mais pour il prenait soin de ne laisser aucune émotion filtrer à travers son visage multi-centenaire. Tranquillement, les bras croisés, il s'adossa contre le vieil arbre.

"Vous êtes venus ici... à deux ?"

Peut-être aurait-elle été plus utile, ou au contraire, peut-être aurait-elle posé problème. Tu n’en savais rien, tu n’en sais toujours rien, et tu n’avais pas voulu en prendre le risque. Mais peut-être aurais-ce effectivement été plus judicieux. Au moins à calmer un cheval, vous auriez eu autre chose à faire que désespérer d’être entourés de choses trop coutumières. Et bien sûr dès lors que tu aurais fini par accepter cette situation ne pas sortir de l’ordinaire, qu’elle se ferait aspirer à travers la porte par les vents de l’exceptionnel.

Les bruissements des feuillages attirent à peine ton attention qu’une familière silhouette confirme son identité d’un éclat de voix. Comme si les informations que l’on te ramenait d’Eteniril n’étaient pas suffisantes, l’habit de celui qui se faisait maintenant appeler Telenwë ne laissait aucun doute ni sur l’univers dont il était originaire, ni sur celui au sein duquel il évoluait. Et effectivement, les deux n’avaient que peu de choses à voir l’un avec l’autre.

- Aegden, voici… tu prends une seconde de réflexion Telenwë, c’est bien ça ? Anciennement Neraën Yeldoreï, Protecteur d’Eteniril.
Telenwë, voici Aegden, le Mainyth d’Alëandir.

Est-ce que c’était la présence de Neraën qui avait autant excité la pauvre Bethril ? Voilà qui aurait été bien surprenant à une telle distance. À moins que telle distance il n’y ait pas eu tout du long. D’une manière ou d’une autre, la mathandil avait dû le voir se diriger dans cette direction, et si c’était le cas, alors il y avait de grandes chances qu’il soit celui qui vous ait valu ces quelques minutes d’improvisation… Ce serait une conversation pour une autre fois.

- Si par « ici » tu entends dans le Telion, nous sommes une petite trentaine à être venus constater les dégâts. Sinon, il n’y a que nous. J’ai préféré ne pas mobiliser tout le groupe pour enquêter sur ce qui aurait pu être un simple caprice de cheval. Tu poses les mains sur tes hanches Mais ta présence ici est loin d’être une coïncidence, n’est-ce pas ?

A la présentation du jeune maynith, Telenwë eut un signe de tête plus appuyé. Pas que le grade lui importait beaucoup, juste que le fait qu'ils soient officiellement présentés apportait une appréciation en plus. Quant au fait qu'il ait changé de nom... ce n'était aucunement le moment de partir dans une histoire aussi compliquée.

"Si par « ici » tu entends dans le Telion, nous sommes une petite trentaine à être venus constater les dégâts. Sinon, il n’y a que nous. J’ai préféré ne pas mobiliser tout le groupe pour enquêter sur ce qui aurait pu être un simple caprice de cheval. Mais ta présence ici est loin d’être une coïncidence, n’est-ce pas ?
- En effet."

Il laissa volontairement un moment de silence, se doutant que les deux penseraient à ce qui s'était passé dans la grotte aux gobelins. Raison pour laquelle il se montrait si fermé, d'ailleurs. Alors qu'il regardait Artiön, celui qui était son roi, il hésitait entre aller lui mettre une droite et le serrer dans ses bras tant il était content qu'il ait survécu. Il lui aurait plus volontiers mis une droite, en fait. Juste parce qu'il avait mis plusieurs vies en danger et que, d'un point de vue citadin, mettre en danger de mort le roi en plus du maynith d'Alëandir... hé bien ça ne le faisait aucunement.

"Cela fait plusieurs ennéades que j'aide citadins comme noss à comprendre ce qui se passe avec les Gobelins et à trouver un moyen d'arrêter qu'ils détruisent tout ce qui les entoure. Eteniril a été avertie bien avant Alëandir et, sincèrement, je pensais croiser des tiens à Solith plutôt qu'en plein milieu des monts. Quant au fait que le roi vienne en personne... tu fais trop d'honneur aux Gobelins, bien qu'Ilyn sera très certainement heureux de discuter avec toi en-dehors d'un Haut-Conseil."

Un sourire en coin accompagna cette dernière phrase, signifiant qu'il plaisantait. Même si, en vrai, c'était une réalité.

"Quoi qu'il en soit, il vaut mieux ne pas rester ici. Les peaux vertes pullulent de partout et on découvre chaque jour d'autres cachettes. Ici n'est pas le pire mais il vaut mieux se mettre à l'abris. Du campement nous repartirons jusqu'à Solith, ce sera plus simple. Où sont les autres ?"

Il attendit d'avoir la réponse pour siffler un coup, deux longues notes qui se perdirent dans la forêt. Un très léger bruissement se fit alors entendre, sans pour autant que quiconque ne se montre.

"Ils nous rejoindront au camp. Suivez-moi."

Sans même s'aassurer que les deux autres le suivaient, il se retourna et marcha d'un pas rapide vers l'est. Une chose de bien était qu'il n'y avait pas beaucoup de chemins empruntables par des montures, donc cela restait facile d'accès. Et cela permettait de voir qui arrivait. Une fois qu'ils arrivèrent relativement loin du chêne, Telenwë reprit la parole.

"Vous n'avez pas eu trop de soucis pour arriver jusqu'ici ?"

Sa question, ordinaire au ton de sa voix, ne l'était en réalité pas vraiment. Il profitait juste d'être dos aux autres pour laisser un air semi-amusé peindre son visage.

- Cela fait plusieurs ennéades que […] Haut-Conseil.

- Qu’il s’agisse de l’Annon ou d’une invasion gobeline, j’aime voir les choses de mes propres yeux. tu croises les bras sous ta poitrine Rien ne vaut l’expérience de première main.

Surtout lorsqu’il s’agissait finalement de stratégie paramilitaire. Quelle valeur auraient eu tes ordres si tu ne savais pas la réalité du terrain ? À ce moment tu aurais tout aussi bien fait de tout déléguer aux Protectorats et aux gradés de ton armée. Seulement si tu devais tout déléguer, à quoi bon avoir un Roi ? Tu t’amuserais presque de voir le Protecteur ayant si longtemps pris autant de risques à traiter avec les Noss s’inquiéter à demi-mot de ce que tu puisses t’exposer à des gobelins d’entre toutes les créatures de ce monde. D’ailleurs, il fallait le dire, tu t’amuserais presque de ce qu’il considère les gobelins d’entre toutes les créatures de ces montagnes, comme un véritable danger. C’est que l’invasion devait avoir été plus terrible encore que tu n’oses l’imaginer…

- Ils nous rejoindront au camp. Suivez-moi.

Comme Aegden, tu emboîtes le pas sans broncher, mais laisse la distance se creuser entre Neraën et toi. Vìrin à ta gauche, ton pas est d’abord ralenti par la fouille des sacs que la Faïra porte en bandoulière, puis par le début de l’écriture d’un court message sur une feuille de papier de riz froissée. À partir de là tu ne te formalises plus beaucoup de ce qu’il se dit autour de toi, entendant sans écouter le semblant de discussion qui se joue alors que tu écris.
Attentif ou pas, la dernière réaction d’Aegden aura suffi à te tirer un pouffement de derrière ton masque. Tu accélères alors le pas, conduisant toujours le félin, pour te retrouver à une distance plus respectable du reste du groupe.

- Pour ce qui est du chemin des monts à la clairière, pas le moindre souci. Au cœur du Telion par contre, disons que notre première rencontre avec les gobelins aurait pu être écourtée si nous n’avions pas déjà eu à improviser. C’est que les Aigles seraient fiers de vous ! Mais au final, nous sommes toujours vivants, les gobelins non.

Tu termines la dernière boucle exagérément calligraphiée de ton message avant de stopper ton pas de nouveau.

- Attendez une minute !

Tu reposes la feuille à l’intérieur de la sacoche, et fais légèrement tourner la bandoulière autour de l’encolure du félin pour lui mettre le bagage sous le museau.

- Pour Gîlorn. tu poses ton front contre celui de la bête puis pointe la direction de votre ancien lieu de rendez-vous du doigt Puis tu reviens me trouver. tu flattes l’épaisse crinière de ta partenaire puis laisse glisser ta main le long de ses vibrisses hypertrophiées Je compte sur toi.

Vìrin t'offre un guttural raclement de gorge, équivalent du ronronnement pour un chat de cette taille, puis moyennant une gentillette bousculade, s'en retourne au galop vers la montagne. Tu reprends alors place auprès de tes deux camarades, en condition maintenant pour caler ton pas sur le leur.

- C’est bon, les autres nous rejoindront à Solith après avoir terminé leur tour de terrain.

Et surtout, ils ne s’inquiéteront pas de ne pas vous voir réapparaître au soir Aegden et toi.

Ca y était. A peine étaient-ils présentés l'un à l'autre, déjà il rendait Aegden ronchon. A croire qu'il avait un don pour cela... Bon, d'un autre côté, il l'avait légèrement fait exprès. Il nota tout de même le minimum d'humour que semblait posséder le jeune commandant et c'est un rictus amusé qui s'inscrivit rapidement sur son visage, avant de disparaître afin de se retourner vers Artiön. Que faisait-il donc ? Ah... il envoyait un message... pourquoi pas.

"C’est bon, les autres nous rejoindront à Solith après avoir terminé leur tour de terrain.
- Comme tu veux. Tu m'aurais demandé avant, je t'aurais répondu que des éclaireurs étaient déjà dépêchés pour aller les chercher."

A nouveau il afficha un sourire en coin, n'en voulant pas à Artiön pour cette idée. C'était même logique venant de sa part. Au moins attendront-ils le retour du faïra ainsi que l'assurance que le premier message soit bien passé avant de partir pour la cité. Peut-être seraient-ils obligés de rester au camp jusqu'à l'aube, vu la journée qui défilait à vue d'oeil. Une fois que l'ancien maynith fut revenu auprès d'eux, il se retourna pour montrer à nouveau le chemin vers leur lieu de destination.

"Comment cela, vous avez eu à improviser avec des gobelins ? Si c'est que vous en avez rencontrés dans le Telion tu veux dire ? Pas étonnant. Généralement ces créatures passent leur temps à se taper dessus et restent dans des endroits isolés, là ils sont suffisamment organisés pour soit sortir en ville, soit se mettre d'accord pour tendre des embuscades. En ce moment ils apprécient écoeurer les Anedhels avec des cadavres, espérant qu'ils entreront dans une de leurs grottes jusqu'à une salle où ils se réunissent et attendent silencieusement que le groupe soit entré pour lui tomber littéralement dessus. Je vous en parle mais je doute fortement que vous tombiez dans un piège aussi grossier... autant des civiles oui, mais des mayniths, non. Au moins vous êtes tous en vie, c'est le principal."

Et voilà, c'était dit. Et dans le fond, il était soulagé que ce fichu épisode dans la grotte n'ait coûté aucune vie d'elfe. Il en parlerait peut-être plus tard mais Artiön et Aegden avaient de quoi remercier l'Anaëh elle-même : sans son inquiétude, ils seraient très certainement en train d'être dépecés pour servir de râgout à ces sales bêtes.

Le chemin continua ainsi, à discuter à mi-mots, Neraën laissant mariner ses invités surprise quant au fait d'avoir été l'arché qui les avait brusquement faits sortir de la grotte ou non. Ils marchèrent bien une heure, descendant la longue pente, avant d'être interceptés par un jeune elfe qui portait le même type de vêtements que le protecteur - mais en légèrement plus propres. La monture d'Aegden fut confiée à l'adolescent et les trois elfes continuèrent à travers en-dehors de tout sentier battu, rejoignant un chemin très étroit menant à la source d'une rivière. Dans cette alcôve de pierre ainsi que dans la forêt alentour se trouvait un camp. Taledhels et ornedhels s'y côtoyaient, bien qu'il était aisément remarquable que les deux ne pouvaient s'empêcher d'avoir chacun leur côté du camp. Parmi les citadins présents était facilement reconnaissable un prêtre de Calimenthar, penché sur une grande carte. Les noss n'étaient que très peu présents en cet instant.

"Peut-être voudrez-vous vous reposer un peu avant d'attaquer les choses sérieuses ? De toute façon, vu l'heure et le fait qu'on attendra le faïra, nous ne partirons que demain matin pour Solith. Donc autant prendre vos aises si vous en avez envie."

Loué soient le masque sur ton visage et l’éducation de la lignée Hrònmectar. Le soir commence à pointer à l’horizon, et Vìrin, en fonction de son succès à la chasse, ne devrait probablement pas tarder à arriver. Le réconfort de sa présence, et un possible retour à ton message te feraient le plus grand bien après avoir dû supporter la route vers le campement Etenirili.

Qu’importe à quel point tu aimes ton cadeau de mariage, tu es on ne peut plus soulagé d’avoir enfin l’opportunité de tomber l’armure.  Soulagé de t’être débarrassé du poids de cuir et de métal sur tes épaules, et pourtant à peine allégé, tu ferais tout sauf te reposer. Tu avais besoin de laisser respirer ta peau, mais pour ce qu’il s’agissait d’énergie, tu en avais encore à évacuer. Tu en avais beaucoup à évacuer.
L’habit réduit aux sous-collants de coton et de laine que tu portais sous tes protections, tu t’écartes quelques instants du camp, prenant soin cependant de rester en vue, et ces quelques instants de presque-solitude tu en profites pour terminer d’épuiser ta musculature. Une poussée à la fois. Une traction à la fois. Ce n’est qu’une fois complètement en nage, vaincu par les congestions, et les muscles gonflés et gorgés au point que la douleur ait presque forcé ton corps à l’auto-anesthésie que tu te décides à t’arrêter. Désormais ta pensée est claire.

Tu cherches celui qui vous a accueilli, ton regard se posant en même temps qu’un sourire presque désolé sur Aegden avant que ta main ne vienne coloniser l’omoplate de l’Etenirili.

- Tu as une seconde la pression de ta paume dans son dos est sans équivoque, ce n’est pas une question, c’est un ordre Il faut qu’on parle.

Tu entraînes l’ancien Aigle un peu en retrait, pour te poster face à lui. Tes bras harassés se croisent sous ta poitrine, pressant tes énormes pectoraux ensemble. Tes épaules s’abaissent et se roulent légèrement vers l’avant, ouvrant ton large dos dans toute son envergure. Oui, Cìryon ne te surnommait pas Grawmîn* pour rien.

- Que ce soit en tant que Roi, ou en tant qu’ami, je refuse catégoriquement que tu t’adresses à moi de cette façon. tes sourcils se froncent plus que tu ne te l’autorises habituellement Que tu t’amuses à ne partager le sens de vos sifflements qu’au dernier moment est une chose. Je peux survivre sans Vìrin. même si l’idée qu’il puisse penser normal que tu aies à expressément lui demander la signification d’ordres vous concernant directement te paraît d’une profonde imbécilité Mais que tu te permettes te remettre en question mon jugement après avoir délibérément mis mes hommes en danger de mort est inacceptable. Ton menton se soulève légèrement, appuyant la différence de taille entre vous deux En tant qu’ancien militaire, tu devrais savoir qu’en particulier dans une situation délicate, soit on fait les choses jusqu’au bout, soit on ne fait rien. J’ai conduit mes hommes dans ce boyau parce que je nous savais en capacité de gérer les gobelins qui s’y trouvaient. Je savais les gobelins être nombreux de l’autre côté de ce couloir. Et par l'arc bandé d'Hiril Löthren ! Je manie une magie qui me permet d’évaluer ce genre de choses! Les choses se seraient passées de manière autrement plus simple si mes hommes avaient pu se contenter de suivre leur plan d’action plutôt que d’avoir à composer avec des gobelins alertés par un intrus trop bruyant. tes bras se décroisent, et tes mains se posent sur tes hanches Donc si pour la suite, tu pouvais abandonner cette attitude de petit prétentieux condescendant et simplement te rendre utile, je t’en serais gré.

D’abord le Haut-Conseil, puis ça… c’est comme si depuis qu’il avait changé de nom, Telenwë s’appliquait à faire mauvaise première impression. C’est qu’il avait de la chance encore que tu continues de t’accrocher à ce souvenir d’il y a 300 ans.

Traduction:

L'etenirili laissa les deux autres se poser puis, tout en faisant tomber sa capuche en arrière, alla voir le prêtre habillé de rouge et de brun. Ils discutèrent un long moment sur les cartes posées sur ce qui leur servait de table, Telenwë apportant les informations qu'il avait pu récolter et écoutant les nouvelles arrivées dans la journée. Il n'afficha jamais le moindre sourire. Au contraire même, c'était comme si une certaine tristesse s'était à nouveau emparée de lui. Mais de cela, lui-même comme son confrère semblaient s'y être habitués. Le protecteur ne vit pas le temps passer jusqu'à ce qu'Artiön ne l'invite, ou plutôt ne l'incite, à parler en tête à tête. Les deux elfes étant désormais à part, le roi se laissa à ressortir sa consternation. Telenwë lui laissa le temps de dire ce qu'il avait à coeur de dire avant de répondre quoi que ce soit. S'il regardait Artiön dans les yeux, le daranovan pouvait percevoir qu'il n'y avait ni prétention, ni condescendance, ni peur, ni colère... ni regret. Le calme et la sincérité étaient cependant bien présentes.

"Et moi je savais ce qui vous attendait là-bas, Artiön. J'étudie ces créatures avec des éclaireurs, des mages et des noss depuis plusieurs ennéades. J'ai déjà vu un groupe avoir la même mentalité que vous les premiers jours que nous avons essayé de comprendre quelle était la source du problème, dont plusieurs mages tout à fait capables de se défendre et habitués à travailler ensemble. Ils savaient qu'il y en aurait beaucoup, étaient prudents et sûrs d'eux... comme toi. Finalement seul un non-mage en est revenu et il s'en est fallu de peu pour que ce ne soit pas le cas. C'est ainsi que nous savons en partie comment ils ont tendance à procéder et bien qu'ils aient été la seule équipe à ne pas revenir, je ne souhaite pas que d'autres Enfants de la Mère subissent le même sort. Encore moins des personnes que j'apprécie. Aussi, même si j'avais su à ce moment-là que tu faisais partie de ceux pour lesquels la Symphonie craignait, j'aurais agi de la même manière. Je vous aurais empêché de vous laisser encercler. Ils savaient que vous étiez là à peine étiez-vous entrés dans leur grotte. La prochaine fois, si tu préfères, je te mettrai mon poing dans la figure. Ce sera plus rapide, cela vaudra mieux que des paroles laissant transparaître ma colère et en prime j'aurai sûrement plus mal que toi. D'ici-là, je te conseillerais volontiers de te reposer de ta route tant qu'il est encore temps. La route sera longue demain et je parie que plusieurs seront curieux de rencontrer leur roi ou le protecteur taledhel de l'Anaëh, ce soir."

Il n'attendait pas de remerciement. Ni plus d'explications ou encore moins des excuses. Aussi se détourna-t-il après avoir accordé un bref hochement de tête envers Artiön et s'en retourna vers les cartes, sans rien dire. Il les regarda un instant, eut un regard vers le prêtre puis lui indiqua qu'il allait s'éloigner quelques temps. Il saurait le retrouver si d'ici une heure il n'était pas revenu. Puis, remettant le capuchon sur sa tête, il partit vers l'est.