Vers des contrées moins vertes [PV Lyo / Haldren]

1ère ennéade de Karfias
17e année du Onzième Cycle
Petit matin - Porte Sud d’Alëandir

À la fois pris d’une atroce excitation et d’une terreur sans pareille, tu attendais que les pièces s’assemblent. Ce serait la première fois, la toute première fois que tu mettrais le pied en dehors des frontières de la Prime Œuvre. Et pour quoi ? Pour avoir ne serait-ce que la moindre idée de si l’entreprise dans laquelle tu hésitais à lancer l’Anaëh avait une raison d’être. À la recherche d’une quelconque épiphanie, d’un rêve ou d’un cauchemar, et d’un espoir d’y voir plus clair. Aviez-vous quoi que ce soit à gagner à vous allier à ceux que l’or a corrompu pour vous protéger ? Aviez-vous quoi que ce soit à gagner à tenter de détourner des hommes et des femmes au Souffle déjà perdu de votre ennemi mortel ? Y trouveriez-vous le moindre succès, et ce succès serait-il à la hauteur de l’effort – de l’effort psychologique surtout – que représentait une telle alliance ?

Après tout, il fut un temps où pour des raisons similaires, le Trône Blanc s’allia avec Diantra.

Engoncé dans tes cuirs de voyages, la main droite à moitié recroquevillée contre la corne de brume te servant à appeler Vìrin, tu attends, encore et toujours. Tu as fait des au-revoirs. Ta femme et ta fille te font confiance. Maintenant c’est à toi de faire confiance à d’autres… et voilà qui risque de devenir plus difficile que prévu s’ils sont si lents à répondre à ton appel.

Probablement est-ce tôt dans votre relation, et tôt dans sa relation avec Anaëh pour l’exposer aussi directement à ce qu’il était, mais compte tenu de là où vous allez, il n’y a parmi les tiens pas meilleur accompagnateur qu’Haldren. Il connaît les contrées Vaanies. Il connaît leur fonctionnement apparent, et plus précieux encore, il connaît leur ventre. Leur face cachée. S’il ne succombe pas dans cette vie à la tentation, ses conseils seront précieux… et sa protection s’il veut bien vous l’accorder encore plus.

Probablement est-ce tôt suite à sa rémission, mais connaissant ton ami, se sentir à nouveau utile ne pourra que lui faire le plus grand bien. Au moins en dehors des frondaisons de la forêt Lyorindel n’aura pas à se soucier de négocier avec des Ornedhels. Peut-être le voyage lui forgera-t-il une opinion plus basse encore des sang-mêlés et des mortels d’Ithri’Vaan, mais au moins trouvera-t-il là quelque chose d’autre à penser, et toi par la même occasion, auras-tu l’occasion de rebâtir ta confiance en lui. Tu sais à quel point Thaar est réputée être traître, et tu sais que tu risques d’avoir si ce n’est à te reposer sur lui, au moins à composer avec lui au cours de pourparlers dans la capitale Vaanie. C’est d’abord une mission de reconnaissance, ensuite une mission d’infiltration, jonchée de potentielles rencontres diplomatiques. Une mission du genre de celles au cours desquelles l’épervier est censé exceller.

- Guide-nous Mère, que nos Choix ne soient pas faits contre nos engagements envers toi.

Tu souffles dans un murmure, avant de t’appuyer contre un arbre proche. Non. Tu n’en reviens toujours pas d’être prêt à faire ce que tu vas faire.

Ce matin tu te lèves pour la dernière fois une heure avant l’aube, tu fais tout ce que tu peux pour ne pas réveiller Liatril, tu ne doutes pas que la prêtresse a besoin de sommeil ; déjà parce qu’elle doit te supporter et puis parce que son travail n’est sûrement pas de tout repos. De la mission qui se prépare tu sais surtout que vous ne partez pas en vous présentant en Ithri’Vaan avec vos rangs officiels, en tout cas ça risquait de changer surtout pour Artiön. Du coup tu ne sors pas ton uniforme de l’armée royale, à la place tu prends des vêtements de voyage tout ce qu’il y a de plus classique, rien de luxueux, c’est au final très inspiré de ton uniforme d’éclaireur. C’est pensé d’abord pour le confort et si ça impressionne, ce qui relèverait du miracle, ce n’est qu’un effet secondaire, tu parachève ta tenue en fermant ton manteau grâce à ta broche d’argent et tu te glisses hors de la maison de la prêtresse, tu pars avec de l’avance, plus que nécessaire pour arriver à l’heure, c’est devenu une habitude, disons que tu n’es plus vraiment aussi rapide qu’avant alors tu prends des précautions pour ne pas faire attendre les autres désormais. Mais aujourd’hui tu t’es levé bien plus tôt que nécessaire car tu dois faire quelque chose avant de partir hors de l’Anaëh pour tu ne sais combien de temps ; passer par l’Estel. Après tout tu ne va pas entendre la Symphonie alors autant aller à l’endroit où tu l’entends le plus distinctement, devant l’arbre tu observes les quelques animaux matinaux qui jouent dans ses branches avant d’aller t’asseoir à son ombre qui commence à s’étendre. Le bruissement des feuilles te calme, te berce et après quelques minutes tu fermes les yeux et tu adresses une brève prière à I Mîngely pour qu’elle veille sur votre voyage et la mission qui va suivre.

Alors que le soleil réchauffe lentement ton manteau tu rouvres les yeux et tu te concentres, assis en tailleur tu plies les rayons de lumière qui passent devant tes yeux et tu en formes une petite boule que tu fais danser entre tes doigts. Tu ignores les quelques passants qui te regardent étrangement, ce n’est pas comme si tu le faisais souvent de toute façon alors tu t’en moques et puis tu en as besoin : c’est un moyen comme un autre de se détendre avant de plonger dans l’inconnu. Ce voyage t’angoisse, c’est une première fois et comme toutes les premières fois il faut que tu trouves quelque chose à faire, alors certes tu aurais pu dormir davantage mais le problème c’est que tu n’as pas réussi à dormir plus de trois heures d’affilé et tu n’as pas envie de prendre le risque alors que l’heure du rendez-vous est si proche. D’ailleurs tu te lèves avec quelques difficultés, tu n’oses pas t’appuyer sur l’Estel, puis tu prends la direction de la porte Sud. Tu le vois de loin, ton ami, en même temps ce n’est pas bien difficile, tu lui fait signe au cas-où il ne t’a pas vu même si ça t’étonnerait un peu.

« Bonjour ‘Tiön, alors, prêt pour le grand voyage ? » Dans ta voix se ressent une assurance que tu es pourtant loin de ressentir mais en faisant semblant peut-être que tu finiras par te persuader que tout va bien se passer.

- En toute honnêteté, tu regardes le sol un instant, avant d’accrocher le regard de Lyorindel pas le moins du monde.

Tu aurais préféré ne jamais avoir à mettre le pied à Thaar. Tu aurais préféré que Thaar n’existe pas. Que la Prime Forêt n’ait jamais eu à subir les caprices de Calimenthar, et que les autres peuples n’aient jamais profité des brèches creusées par l’aveugle. Tu aurais aimé que l’Anaëh soit restée le jardin paisible que La Mère l’avait voulu. Un monde n’ayant à se soucier que de ses propres dangers. Tu aurais préféré que vous n’ayez jamais eu à bâtir ces satanés murs de pierre, que votre science, votre art, vous ayez pu l’explorer sans ressentir le besoin ni de vous protéger, ni de protéger l’Œuvre. Mais hélas, il les temps avaient fait le monde autrement.

- Demain pourrait être le jour où je prends la pire décision de l’histoire de notre peuple. Et pour quelle raison ? Simplement parce que la menace Eldéenne plane, comme elle l’a toujours fait. tu claques la langue J’espère soit trouver une Thaar encore plus crasseuse que je ne l’imagine, soit y trouver un inouï rayon d’espoir, mais si cette fichue Cité pouvait ne pas me forcer à plus compromettre nos valeurs que nous ne le faisons déjà…

Tu soupires, et retrouve le silence alors qu’arrivent d’autres membres de votre convoi. De sommaires salutations, ta silhouette totalement relevée, séparée de son appui de fortune, mais un visage trahissant ta détresse. Non, tu n’es pas tranquille, et ce serait cruel de ta part de faire croire aux tiens que tu l’es. Nul doute que tu pourrais masquer tes inquiétudes sous tes traits guerriers, et parader en tant que la figure de Chef de Guerre inébranlable que tu arbores sur les Champs de Bataille… seulement ce champs de bataille n’est pas concret. Il est idéologique. Et aucun de tes frères et sœurs ne serait rassuré à l’idée d’un Roi ne doutant jamais même de ses décisions les plus délicates.

Parce que ce Roi-là serait un plus terrible dictateur que les fils Garnat.

Et si je t'appelais Groboubou III, hein ? Qu'en penses-tu ?

Difficile de dire si l'étalon avait compris les paroles de l'elfe, mais le regard noir qu'il lui jeta pouvait laisser supposer que l'idée n'emportait guère son enthousiasme. Poussant un soupir résigné, Haldren abandonna cette proposition et décida que les termes génériques de "foutue carne" ou "saleté de rosse" dont il se servait généralement en pareilles circonstances suffiraient amplement cette fois encore. L'idée de devoir partager les prochains jours avec cette monture certes splendide mais assez rétive lui promettait des maux de fesses pour le moins désagréables. Piètre cavalier, Haldren préférait toutefois ne pas faire le chemin à pied jusqu'en Ithri'Vaan et l'invocation d'une de ses abominations issues des Ombres risquait de manquer de discrétion. Une intense réflexion l'avait amené à accepter que se trimbaler sur une sorte de sanglier mutant noir comme l'ébène ne constituerait pas le meilleur moyen de demeurer discret.

Or Haldren souhaitait absolument rester très discret durant ce voyage.

Lorsqu'il avait reçu la missive indiquant que le roi souhaitait sa présence durant cette ambassade dans les contrées Vaanies, Haldren n'avait pas pu s'empêcher de ressentir un frisson de crainte car il savait que sa vieille ennemie, Krish la catin d'Uriz, disposait de puissants alliés dans cette partie du monde. Toutefois il comprenait bien la logique de se faire accompagner durant une mission diplomatique en terre inconnue par l'un des rares elfes y ayant vécu. Avec un peu de chances, la personnalité imposante du suzerain d'Anaëh attirerait tous les regards et permettrait à l'archimage de demeurer soigneusement en retrait. Quant aux objectifs à attendre de cette ambassade, Haldren les comprenait mal mais doutait qu'il soit possible de s'appuyer efficacement sur des gens aussi peu fiables que les seigneurs d'Ithri'Vaan dont la principale force venait de leur habilité à ne jamais trop s'engager dans un camp contre un autre.

Mais à tout le moins, cela démontrerait que l'Anaëh ne s'enfermait pas dans une autarcie hautaine.

Quitter l'Anaëh pour le première fois depuis plusieurs années constituerait également une épreuve, d'autant plus que l'ancien eldéen allait se retrouver sur un terrain connu : Thaar et sa part d'ombres, ce vaste monde du crime organisé dans lequel il s'était longuement baigné pour en tirer de juteux profits. Approcher cette coupe de ses lèvres constituerait une épreuve, un test non seulement envers lui-même mais surtout envers Elle. Tout cela expliquait l'appréhension qui le taraudait et son quasi-mutisme alors qu'il se fondait dans le groupe d'elfes accompagnant Artiön.

D’autres pas de monture retentirent non loin indiquant la présence d’un énième cavalier. Les elfes déjà présents purent bien vite reconnaître l'elfe qui s’approchait. Aegden leur offrit un bref signe de tête en guise de salutation.

-J’espère que je ne suis pas en retard. Fit-il en avisant la petite troupe déjà réunie. Je m’excuse si c’est le cas.

Si Aegden avait tendance à arriver en avance lors d’un rendez-vous donné, ce jour-là serait une exception, même s’il était encore tôt à en voir la position du soleil dans le ciel. 

Il lui avait fallu terminer deux ou trois points concernant l’organisation de la milice pendant qu’il serait loin. En soit, choisir un second et lui faire confiance pour se débrouiller aurait suffi, mais le mainyth voulait être sûr et certain que tout se déroulerais sans accro de ce côté-là. S’il pouvait partir l’esprit tranquille concernant au moins la gestion de l’armée lëandrine c’était un poids en moins.

Partir ne lui plaisait déjà pas énormément, c’était  peux dire. Jamais il n’avait mis les pieds hors d’Anaëh et jamais il n’aurait pensé le faire un jour. Cela lui rappelait une conversation houleuse qu'il avait eux avec une amie partie hors d'Anaëh il y avait longtemps. Son opinion n'avait pas beaucoup changé depuis...

Il était d'ailleurs déjà quasiment certain de détester leur destination. Les vagues connaissances qu’il pouvait en avoir n’aidaient pas. Seul point positif: les mortels devraient faire très forts pour faire pire que ce à quoi il s’attendait.
Malgré tout, le devoir passait avant ses états d’âme, alors si l’Aran considérait qu’il devait faire partit de l’expédition, il en serait.

D’entre toutes choses, il y en avait au moins une pour te rendre un semblant de sourire, et c’était le silence d’Haldren. À ton pensif il était pensif et demi, et dans votre condition, c’était une situation qui t’était des plus rassurantes. Vous marchiez vers un passé qui lui avait été difficile à surmonter après tout. Volé à « Uriz » par Kÿria, il n’en demeurait pas plein possesseur de sa liberté de Choix, et l’esprit encore imbibé des plaisirs passés. Les sirènes de l’avarice et de la luxure pourraient le reprendre à tout moment… et c’est autant pour cela que parce qu’il était le meilleur guide que vous puissiez trouver que tu avais tenu à ce qu’il soit de l’aventure. Une énième épreuve et l’occasion de construire ou détruire votre confiance en lui, voilà ce que c’était.

- Ne t’inquiète pas Aegden, c’est nous qui sommes très en avance, et Milynéa n’est pas encore arrivée.

Autant que la perspective de partir explorer la possibilité d’accords contre-nature, tu détestais celle d’avoir à retirer à Alëandir d’importants personnages de son paysage au même moment. Mais quelle autre solution avais-tu ? Remplacer Aegden par un autre soldat ? Mais à ce moment, lequel ? Vous étiez peu nombreux, et pour être parés à toute éventualité il vous faudrait être capable malgré votre petit nombre d’opposer une défense digne de ce nom à de potentiels agresseurs. Aegden était l’un des meilleurs lanciers de la milice Lëandrine. Vous deviez être capables de faire honneur à votre couverture en tant qu’elfes d’arts et de sciences, et Aegden était un excellent danseur. Et surtout, là où les récents événements te forçaient à douter de Lyorindel et que ta confiance en Haldren était encore un chantier en construction, tu savais au moins pouvoir t’appuyer en toute quiétude sur le roux. Ils sont trop peu les soldats d’Alëandir avec qui tu partageais ce genre de lien.

- Ah, les voilà.

Milynéa et Eärnil vous rejoignent enfin, quelques minutes à peine avant l’heure butoir, partagent le cortège de salutations, et c’est à ce moment, après avoir été certain que la Dame Blanche ait pu voir l’ampleur de ton angoisse, que tu t’autorises à la masquer, et reprends ta digne place de Commandeur. Droit de posture, la poitrine bombée, ton focaliseur en main, tu t’imposes au cortège, forçant en silence leurs yeux et leurs oreilles à se diriger vers toi.

- Frères, Sœurs, heri Lythandas, heru Eärnil, nous nous dirigeons vers l’Ithri’Vaan sachant qu’en ce moment même, les Eldéens s’appliquent à asseoir leur domination sur Sol’Dorn, dans le but présumé d’en faire un avant-poste militaire. ton regard parcourt l’assistance De bien sombres – si je puis me le permettre – perspectives autant pour nous, que pour les Princes-Marchands de Thaar, soucieux des implications de la présence d’une telle force armée à leurs portes. tu fronces les sourcils Frères, Sœurs, c’est là un projet dont nous ne pouvons malheureusement pas éviter l’arrivée à fruition. Cependant, à défaut de les empêcher de s’asseoir, nous avons encore l’opportunité de les empêcher d’accumuler en puissance une fois assis ; d’assez ralentir leur croissance pour que de notre côté de la frontière, nous ayons le temps de préparer une contre-offensive suffisante à rendre futile toute tentative d’assaut, tout en rendant bien moins attractifs leurs échanges avec les Vaanis. Et si nos frontières sont bien gardées, et si les échanges avec Thaar trop peu alléchants, l’Elda n’aura d’autre solution que de reculer une fois de plus, et de nous offrir à tous encore quelques temps de repos. À partir d’aujourd’hui, Frères, Sœurs, nous sommes des explorateurs à la découverte de Thaar, et des diplomates à la recherche de solutions pour enrayer la prolifération de la maladie qu’est la culture Eldéenne.

Tu fais un pas de recul, observes rapidement les bagages de tout un chacun, et reprends.

- Seulement, au vu du climat actuel, cela nous ne pouvons nous permettre de le faire ni en tant que délégation diplomatique, ni en tant que guerriers. C’est pour cela que j’ai demandé de faire en sorte qu’il vous soit taillé des vêtements dans le style Vaani, et que je tenais à ce que vous apportiez avec vous vos instruments pour les musiciens, et tes costumes à toi Aegden. ton regard se tourne vers la Princesse Marchande Milynéa Lythandas ici présente sera notre hôte et notre gardienne en terres Vaanies, et en tant que représentante des Arts et des Sciences à Thaar, elle nous invite en tant que les artistes et les savants que nous sommes. En conséquence, après que nous ayons rejoint ses hommes à la frontière, nous abandonnerons en même temps que nos tenues, nos identités de militaires. tu déglutis De la frontière, nous serons escortés par les hommes de Dame Lythandas jusqu’à Naélis, où nous embarquerons immédiatement sur un de ses bateaux pour rejoindre Thaar. Pour ce qu'il s’agit de la suite, chaque chose en son temps.

C’est vers Aegden en particulier ensuite que se porte ton regard, car en tant que danseur, c’est de lui tout particulièrement que tu auras besoin pour assurer ta couverture.

- Une fois la frontière passée, je serai Noruì Anurrim ; acrobate de son état.

Et dans le vain espoir de détendre une situation bien trop anxiogène, c’est d’une caricaturale révérence que tu termines ton discours.