Salle du Trône - Les Tourments des Anciens | Artiön [Caranthir]

Le regard de Caranthir se détourna du Roi, se perdant sur l'horizon qui se profilait à travers les fenêtres du palais. Fermant ses yeux quelques instants, il ne se priva pas d'une longue inspiration avant que ses iris se tournent désormais vers les fondations du trône. Les mains toujours jointes au bas de son ventre, l'un des pouces laiteux du vieil Elfe caressait doucement sa peau, de la base de l'autre pouce jusqu'à l'index. Se raclant imperceptiblement la gorge, Caranthir reprit la parole, comme il avait été invité à le faire.

« Votre Majesté semble bien entourée. La plupart des conseillers de cette aile du Palais ont servi sous le règne de Heru Dyarque aep Lanthaloran, Aran aep Anaëh. Cette même majorité a servi, avant lui, Rima-Marcil, son prédécesseur. Mais également Orelindë et Telrunya avant elle. »

Caranthir se détourna du trône. D'un pas lent, il s'avança vers l'une des rosaces de la Salle du Trône. A travers le verre, il était clairement possible de voir une bonne partie de la cité. L'effervescence de la plus ancienne cité du monde contrastait avec les nombreux malheurs que sa population avait été témoin au cours du simple dernier siècle. Il y avait eu plus de passation de pouvoir en un siècle qu'il n'y en avait eu en un cycle. Le Premier Peuple n'aimait guère le changement lorsqu'il était brutal.

« Il m'est difficile, Votre Majesté, et ce depuis notre dernière entrevue, que vous ne disposiez pas de conseillers talentueux et consciencieux. Et bien que j'ai pleinement conscience que la raison qui vous ait mené l'autre jour vers l'aile logistique ne soit rien de moins qu'une raison d'État, un doute - non, deux, en réalité - subsistent. »

Sans s'écarter de la fenêtre, il se tourna suffisamment pour refaire face entièrement au Roi, le regardant dans les yeux tandis qu'il continuait de s'adresser à lui. Conscient que les paroles qui suivaient pouvait être perçues comme arrogantes, il s'inclina en les prononçant.

« Votre Majesté n'était point venue demander mon avis sur Hécil. Votre Majesté était venue chercher un amont, non pas un avis sur Hécil, mais un avis sur sa propre décision d'accorder à cet Elfe le droit de demeurer parmi nous. Une fois l'avoir entendu, vous m'avez proposé de me tenir à votre droite. De vous conseiller. Pourquoi avoir demandé au simple intendant que je suis un avis sur votre décision, et pourquoi lui avoir proposé de demeurer à vos côtés, Votre Majesté ? »

Le regard de Caranthir avait suivi Artiön qui était descendu de son trône pour le rejoindre jusqu'à la fenêtre. Se tenant côte à côte, les deux grands Elfes échangeaient parfois des regards, tantôt leurs mirettes se posaient sur la cité en contrebas. Caranthir écouta son Roi, prêtant attention à la moindre de ses paroles, au moindre mot employé. Lorsqu'il eut achevé de parler, le Grand Elfe Blanc tourna légèrement sa nuque, fermant les yeux, balançant avec lenteur et parcimonie son visage.

« Vous dites vrai, Votre Majesté. Mon âge m'a permit de côtoyer plus de rois, reines et de protecteurs dans ce palais qu'aucun autre Elfe ici. Ce qui est de l'histoire pour les uns ne sont que des souvenirs pour moi. Quant à mon expérience, Votre Majesté, elle m'a fait fréquenter tant de préférences culinaires au sein des familles royales que je me suis accoutumé à relever les petits détails qui trahissent les péchés mignons. »

Lorque Caranthir s'était présenté au Palais la première fois à la recherche d'un emploi, on lui avait proposé les cuisines. Il lui fallait vivre, et à l'instar de n'importe quelle personne sainement constituée, il trouvait le travail vivifiant, garantissant à celui qui s'y livrait une dignité particulière. Acceptant le poste, il s'était vu finalement envoyé très rapidement à l'aile logistique, en tan qu'assistant de l'intendant principal. Ce dernier se rendit bien vite compte que nouveau secrétaire était d'une perspicacité redoutable. En réalité, Caranthir était bel et bien perspicace, mais là n'était pas la raison pour laquelle il excella dès ses débuts. Non, la raison était bien plus simple.

Il s'entretenait régulièrement avec les serviteurs chargés d'acheminer les mets des cuisines jusqu'à la table du roi et de ceux de son sang, les chargeant de recueillir jusqu'à la moindre expression et aux moindres paroles. L'excellence de l'intendant reposait sur son réseau d'espions à l'intérieur du palais, et dont les allures secrètes génératrices d'adrénalines ne concernaient, au final, que des questions triviales. Quelle était la viande favorite de la reine ? Quels étaient les légumes préférés de son époux ? Le parfum dont se couvrait l'aînée du conseiller, quel était son arôme ? Il fallait bien un secret pour être un intendant efficace comme Caranthir souhaitait l'être. Tel était le sien.

« Contrairement à ce que l'on pourrait dire, Votre Majesté, les goûts culinaires ne trahissent en rien le caractère d'une personne. J'ai fréquenté de nombreux individus, et j'en ai vu encore plus. Il est rare, dans ce domaine, d'être sujet à la surprise. Rare mais guère impossible, comme Haldren l'a prouvé, bien que je n'ai point rencontré cet Elfe. Depuis que je sers vos prédécesseurs, Sire, j'ai eu l'occasion de fréquenter des rois religieux, des rois mages, et des rois guerriers. J'ai vu ces rois être de bonnes personnes, essayant de prendre les bonnes décisions, mais en étant de mauvais rois. Je les ai vu être de mauvaises personnes, prenant des bonnes décisions en étant bons rois. »

Caranthir se détourna légèrement de la fenêtre, posant son regard sur le roi.

« J'ai bien peur, Sire, que tous ceux qui se sont essayés à être les trois simultanément se soient eux-mêmes condamnés à un échec cuisant, plongeant ainsi l'Anaëh dans le chaos qui leur coûta, bien souvent, la vie. Il me semble, Votre Majesté, que le Roi ne devrait décider en fonction de ce que son éducation, son pouvoir, sa foi, ou ses guerres lui ont inculqués. Le Roi règne, Sire, il n'est pas le commandant d'une armée, il n'est point le représentant d'un culte, il n'est guère le fils de ses géniteurs. Il doit s'affranchir de ces ancres qui le retiennent en arrière, de ces voiles qui le poussent à analyser les situations comme un échiquier militaire, ou comme une lutte de foi. Aucun de vos prédécesseurs, Sire, n'a su dissocier le mage, le prêtre, ou le commandant, du Roi. »

Le Grand Elfe Blanc, prononçant les mots suivants, s'inclina légèrement.

« C'est pourquoi, Sire, je considère votre élection comme une erreur. La même qui fut commise lors de l'avènement de vos prédécesseurs. Vous m'avez dit, Sire, que j'étais le premier hormis vos parents ou vos proches, à avoir cerné votre pensée. La raison à cela, Votre Majesté, est qu'elle ne diffère point, à l'heure actuelle, de ceux qui ont siégé avant vous sur ce trône. La seule différence, Sire, c'est que vous avez la malchance de cumuler les trois. Cela n'augure, Sire, à mes yeux, rien de bon pour l'Anaëh. »

Caranthir se redressa, rejoignant ses mains au bas de son ventre. Il baissa les yeux quelques instants.

« En sachant cela, Sire, vous comprenez peut-être mieux mon refus de vous conseiller lorsque vous me l'avez demandé. J'ai longtemps vécu en ne nourrissant aucune autre volonté que celle d'entretenir l'humilité, la tranquillité et la sérénité. Après notre précédente rencontre, Sire, je me suis demandé si mon inaction ne me rendait pas aussi coupable que les Protecteurs qui persistent dans l'erreur. Je ne crois pas, Votre Majesté, que l'ignorance soit une excuse suffisante. Aussi, permettez-moi, Sire, de formuler une requête, qui ne sera point le fruit d'une demande de votre part. Je souhaiterai vous assister dans vos décisions à l'avenir. »

Passant du sol à la cité, oubliant combien de fois il l'avait fait depuis qu'il avait été introduit dans la salle du Trône, le regard de Caranthir se perdit sur les bâtiments blancs. Mais cette fois, il ne rechercha ni l'effervescence, ni l'agitation d'une capitale. Il chercha ni l'Astre Princier dans le ciel, ni les lunes voilés par la clarté de l'océan bleu. Ses yeux étaient plusieurs siècles auparavant, dans un lieu bien plus humble et différent que la salle du trône de la capitale des Elfes. Et face à eux ne se trouvaient ni la première cité du monde, ni son Roi, mais ses géniteurs.
Je ne serai point votre pion. Ni le vôtre. Ni celui d'un vieillard décrépi mort il y a trois cycles.

Avalant sa salive, Caranthir se relâcha. Ses yeux se fermèrent et sa respiration devint irrégulière, saccadée. Son cœur s'emballa, et sa remarquable aura, qu'il s'affairait à chaque instant de voiler, se libéra, le baignant de toute sa splendeur. Sous ses paupières rabattues, ses iris cherchèrent leurs repaires. Ses mains se délièrent, se retrouvant au bas de son dos. Son menton se posa sur le haut de son torse, avant de se redresser, surplombé de ses lèvres fines entrouvertes par lesquelles s'échappait un fin soupir.
Mes accomplissements ne seront jamais votre fait. Je n'emprunterai pas le chemin que vous avez tracé. Je suivrai ma propre route, et atteindrai mes propres sommets, même si cela doit me prendre l'éternité.

Reprenant doucement son souffle, Caranthir expira doucement, voilant de nouveau son aura. Il avait apprit très tôt à la dissimuler. Cette dernière était telle qu'il lui était impossible de la soustraire aux sens des mages qui l'entouraient. Mais le voile dont il l'affublait était suffisant pour qu'aucun qui ne l'entoure ne se doute de sa puissance. A cet instant, il avait failli. Sans regarder le Roi, il lui répondit.

« Je n'ai point recommandé, Votre Majesté, qu'un Roi devait oublier ce qui l'avait, jusqu'à son couronnement, façonné, et fait son expérience de vie. J'ai recommandé qu'un Roi ne devrait pas régner selon son expérience passée. Un roi-mage, Sire, n'est guère plus enviable qu'un roi-guerrier, ou qu'un prêtre-roi. Quant à ces trois mentalités, Sire, que faire le jour où les choix que vous devrez faire mettront en opposition certaines de vos facettes ? Que ferez-vous lorsque le roi-guerrier et le prêtre-roi s'opposeront ? Vous tournerez-vous à nouveau vers l'intendant logistique ? Le roi-mage contentera les mages. Le roi-guerrier sierra aux soldats, et ainsi de suite. Mais en vous évertuant à satisfaire chaque caste qui compose votre Royaume, Sire, vous finirez par vous aliéner l'ire des uns et la déception des autres. Quant à ceux que vous aurez satisfait de vos choix, ils seront les déçus de votre choix suivant. »

Caranthir s'arma d'un tout petit sourire, puis regarda le Roi.

« Il ne me semble pas qu'être Roi, Sire, puisse s'apprendre avant de l'être. Un Roi doit se servir de son expérience passée de soldat, de mage, de prêtre, oui. Mais il ne doit pas régner selon qu'il soit soldat, mage, prêtre. Vous me direz que certains de nos Rois étaient protecteurs, qu'ils avaient une expérience du pouvoir et de la responsabilité que ce dernier affuble celui qui le détient. C'est vrai. Mais peut-on vraiment comparer un protectorat avec l'Anaëh ? Glorfindel, Roi de l'Anaëh et protecteur d'Holimion avant cela, n'était-il pas le Haut-Prêtre de Tari ?

Prenez la décision de permettre à Haldren de demeurer parmi nous, Sire. Ce n'était ni la décision du mage, ni celle du clerc, et encore moins celle du soldat. Car votre décision finale, même si elle s'approchait de ce que le clerc ou le mage réclamait de vous, n'était pas un savant mélange de ces idées. De la même manière, vous n'avez pas volontairement fait abstraction de votre passif de commandant en pesant le pour et le contre. Votre décision, Sire, n'est pas due au fait que vous ayez mélangé ces trois aspects de votre personnalité, et observé le résultat. Comment le pourrait-elle, Sire, alors que ni le soldat, ni le mage, ni le clerc n'ont eu affaire, dans le passé, à un cas similaire ? Sans précédent, comment une décision aussi importante pourrait-elle refléter une école de pensée qui, par définition, se base sur l'expérience ?

Plus simplement, Sire, il vous aurait été impossible d'apporter une réponse convenable, si votre question était « Que ferait le soldat ? Que ferait le mage ? Que ferait le prêtre ? Que ferait chacun d'entre eux face à un Drow redevenu Elfe ? » Comment pourraient-ils le savoir, Sire, eux qui n'ont jamais été confronté à ce cas ? Est-ce le commandant qui a reçu Haldren ? Le mage ? Le prêtre ? Non, sire, c'est avec Heru Aran que cet Elfe a eu une audience. Et c'est Heru Aran qui a rendu sa décision. Le commandant l'aurait mis à mort. Le prêtre l'aurait laissé vaquer à ses occupations, et aurait oublié son nom l'instant d'après - pourquoi se soucier d'un Fils de la Mère plus que d'un autre ? -, quant au mage, il en aurait fait un sujet d'expérience. Cette décision, Sire, a été votre première décision en tant que Roi. Je dois dire qu'elle est remarquable. »

Après un tel monologue, Caranthir se racla la gorge, serrant son poing et le porta à ses lèvres en un geste éduqué. Il garda le silence un instant.

« Comme vous l'avez mentionné, Votre Majesté, nous n'avons pas été convenablement présentés. Si tel est votre désir, Sire, je satisferais votre curiosité du mieux que je le pourrai. »

En ressentant l'aura arcanique du Roi de l'Anaëh, Caranthir ferma les yeux. Elle était belle, conséquente, entretenue, et dotée d'un grand potentiel. Bien que la jeunesse du Souverain des Elfes était déjà derrière lui, il lui était toujours possible de gagner en puissance, d'entretenir son potentiel afin de surpasser son niveau actuel. A nouveau, Caranthir inspira par le nez longuement. Il avait donné au Roi l'opportunité d'en apprendre plus à son sujet. Une parole donnée ne devait pas être reprise.

« Il y a plusieurs siècles, j'ai fais la promesse de n'agir que selon mon désir, et de suivre ma propre voie. Ce serment, je m'y suis engagé à la fin de mon adolescence, alors que je débutais ma vie d'adulte. Je l'ai renouvelé alors que ceux envers qui je m'étais ainsi engagé étaient sur leur lit de mort. »

Dans la voix de Caranthir, il n'y avait aucune once de tristesse, de mélancolie ou d'amertume. Son timbre était parfaitement linéaire, monotone, dénué d'émotions et de sentiments. Déliant une main, il regarda ses ongles, inspectant leur limage et leur propreté. Ses doigts se lièrent, la paume vers le sol, les ongles vers le ciel. Une fois qu'il fut satisfait de son inspection, il entama l'analyse de l'autre main.

« Certaines personnes entrent dans nos vies, Votre Majesté, et d'autres y sont par défaut. Parmi elles, des gens vous voudront du bien, d'autre du mal ; d'autres vous souhaiteront le meilleur. Le problème survient lorsqu'ils opèrent la confusion entre ce qui serait le meilleur pour vous, et ce qui serait le meilleur pour eux. »

Une fois qu'il estima l'état de ses ongles satisfaisants, il passa une main dans ses cheveux, lentement. Sa crinière, d'un mélange de blond platine pâlissant vers le gris, chutait comme une seule forme vers la base de sa nuque. Se détournant finalement de la fenêtre, il fit face au Roi. Les deux Elfes devaient être les deux plus grands de leurs congénères de tout le palais. Tous deux immenses, faisant approximativement la même taille, ils pouvaient se regarder dans les yeux là où, avec les autres habitants de l'Anaëh, ils devaient se dévisser le cou et tourner le regard vers le sol afin d'apercevoir leurs interlocuteurs.

« On en vient presque à souhaiter l'indifférence et l'ignorance. Mais afin de ne point entretenir cette néfaste confusion, j'ai donc pris la décision de ne faire que ce dont je nourrissais le désir. Voilà pourquoi, Sire, je ne me suis jamais approché du trône. Quant à qui je suis, Votre Majesté, je m'appelle Caranthir Treis'Saevherne. J'ai un jeune frère, dont je suis l'aîné de six siècles. Je n'ai point d'épouse - mes plus sincères félicitations pour votre mariage, Votre Majesté, veuillez me pardonner ma rudesse. Mes passions, à part mon travail et la magie, sont la peinture, la musique, et la cuisine. Tout particulièrement la cuisine. »

Caranthir regarda la main tendue de son Roi, et sans retarder davantage la poignée de main, se livra à l'exercice non sans incliner la tête en même temps. Tandis que leurs poignes s'étreignaient, Gwënseidh songea intérieurement qu'il s'agissait là d'un geste qu'il n'appréciait guère, le trouvant quelque peu barbare. Mais il savait également que c'était une pratique universelle, et ne s'en formalisa point outre mesure. Relevant la tête, l'Elfe Blanc ne manqua pas de l'incliner de nouveau à la mention de la Reine. Et puis il retint un sourire.

Il ne blâma point son Roi pour le raccourci qu'il venait d'opérer. Choisi par le Haut-Conseil. Bien sûr, il était possible de s'étonner qu'un Elfe, militaire de carrière, dénué d'expérience en tant que seigneur-protecteur, puisse se porter candidat. Caranthir ne s'en était point formalisé, et ne le ferait guère. Son opinion sur le rôle de Roi était, comme il l'avait exposé à son interlocuteur, on ne peut plus claire : le passé importait peu, l'expérience également. Rien ne préparait à être Roi, cela devait s'apprendre avec le temps. Les plus légitimes, qu'on aurait pu voir occuper la place, ne s'étaient guère présentés : Daenor Edenost Thoràndrion, le plus vieil Elfe de l'Anaëh, descendant du premier Roi des Elfes, Tyral ; Anornedellon Nedi Lûcannui, régent du Royaume, puissant mage et protecteur de la Quatrième Saison.

Le Roi ne l'avait peut-être pas encore compris, bien que c'était pour cette seule raison que Caranthir avait finalement demandé de l'assister, de le conseiller, pour l'Anaëh : être Roi n'était guère un bienfait. C'était une malédiction, un fardeau. Le Haut-Conseil n'avait pas choisi celui qui les dirigerait. Il avait désigné, par défaut, un Elfe qu'il considérait inexpérimenté pour placer sur lui le fardeau de la Royauté afin de s'en décharger. Mais cela devait s'achever. Ce cercle vicieux du fardeau du pouvoir, initié presque un siècle auparavant devait prendre fin. Les calamités et les désastres s'étaient abattus sur ceux qui avaient osé prendre la place de Roi. Orëlindë, Dyarque, Anorn, et à présent, Artiön. Le cercle devait s'achever. Alors que Gwënseidh portait ses yeux sur son Roi, il se fit la promesse de mettre un terme à ce cyclone néfaste, d'une manière ou d'une autre.

« Ce sera pour moi, Votre Majesté, un grand plaisir et un grand honneur que de vous nommer par votre prénom. Mais comme vous le voyez, il est question de réforme de personnel. C'est une affaire qui concerne le Royaume. L'honneur et le plaisir seront miens lorsque je rencontrerai Sa Majesté la Reine, Sire. Je n'ai aucun doute qu'elle vous accompagnera, à mon image, dans votre quête d'être un bon Roi. »

D'un geste mécanique, Caranthir réajusta sa tunique blanche et son ceinturon aux couleurs de l'or. Il détacha ses yeux du Souverain de l'Anaëh, et s'inclina de nouveau comme il avait l'habitude de le faire ; la main droite sur le cœur, la gauche aux doigts formant un poing, au bas de son dos. Une fois la révérence faite, Caranthir lui adressa une dernière fois la parole avant de reculer de plusieurs pas, condition nécessaire à un demi-tour sur les talons en direction de la porte.

« Si Votre Majesté veut bien m'excuser, il me faut aller préparer l'arrivée de celui, ou celle, qui me remplacera à l'intendance. Tout doit être absolument parfait. Je ne le supporterai pas autrement. J'intimerai que l'on ne change point les commandes, si le contenu sied, jusqu'à présent, à Votre Majesté. Autrement je demanderai à ce que le contenu des livraisons soit adapté. »