La Sagesse des Anciens [PV Celenengîl@Caranthir]

Quatrième ennéade de Bàrkios
Onzième année du Onzième Cycle
Palais du Trône Blanc ; Aile logistique
Après midi ; suite au Poids du Jugement

Qu’on ne vienne pas te prendre à déprécier une seule seconde le chef d’œuvre d’armure que t’a offert ton ami pour fêter et ton mariage et ton intronisation, mais t’extirper de l’exosquelette d’or et de cuir t’avait été d’un affolant soulagement.
Les pas résonnaient de nouveau depuis quelques heures autour de la Salle du Trône. Le Palais avait repris son rythme, comme si de rien n’était, alors que les affaires que tu venais de négocier étaient potentiellement on ne peut plus graves. Et ils le savaient tous. Ou du moins presque tous. Les conseillers les plus proches du Trône, les décideurs touchant aux dossiers délicats, les Anciens du Palais, tous ceux à qui l’on confiait d’entourer et de guider l’Aran, ils le savaient, et malgré tout, c’est comme si leur vies ne s’en trouvaient pas bouleversées le moins du monde. C’est que si tu as l’expérience de la milice, tu n’aurais pas pensé avoir encore autant à apprendre pour être un Politique efficace.

Personne ne t’avait prévenu qu’être un politique efficace, c’était être capable de gérer l’intégration au sein du peuple elfique d’un archimage millénaire s’étant repenti devant La Mère de son passé d’Eldéen.

Au moins – grâce soit des enseignements militaires – même dépassé, tu sais garder la tête haute et faire figure d’assurance. Non seulement parce qu’en tant que Haute-Autorité au sein de ton peuple tu leur dois d’être un pilier sur lequel ils peuvent s’appuyer, mais aussi parce que la résignation te sied extrêmement mal. Il ne convient pas, lorsque l’on a les épaules aussi larges que les tiennes, de les laisser mollement tomber, ou pire, de se recroqueviller.
À quoi ressemblerais-tu si la robe et le pantalon de soie blanche, cintrés à t’en épouser le physique, se chiffonnaient en de disgracieux plis, à cause d’une attitude trop abattue ? Que dirait Edraelä si tu gâchais ainsi les complexes arabesques qu’elle a pris le temps de bleuter et de dégrader de ta poitrine jusqu’aux bordures de la traine du manteau ? Et surtout, que diraient ceux qui ne tolère que ton physique soit autant forci, que justement parce que tu trouves ta prestance dans cette force ?

Et c’est qu’aujourd’hui et en cet instant en particulier tu n’avais pas le droit de succomber à tes faiblesses. Pas face à celui dont tu venais mander les conseils.

Tu tires ton focaliseur de son fourreau, et continuant d’avancer du pas légèrement chaloupé qui est le tien, tu te laisses aller à quelques passages de bâton entre les doigts de ta main gauche. La sensation de la pulsation de ton focaliseur s’alignant avec la tienne t’arrache un sourire. Un peu de magie sans but, un peu d’exercice sans épreuve, à la manière du chanteur qui fredonne t’arrache au temps qui passe alors que tu fais chemin à travers les couloirs de pierre blanche. Séparé du temps qui passe, tant et si bien qu’au moment où tu te présentes à ta destination, le sceptre est toujours entouré de discrètes aurores.

Il t’est toujours déconcertant, même quand ce n’est plus une surprise, de te retrouver véritablement face à face avec un de tes congénères. Cependant, si tu approches de l’elfe blanc avec autant de déférence, ce n’est pas parce que ses yeux sont au même niveau que les tiens, mais bien parce qu’il est difficile de faire différemment face à un homme de presque un Cycle et demi ton aîné.

- Salutations, heru Caranthir. ta main droite contre ton cœur, tu te penches en avant en une courte révérence Je vous prie de m’excuser le dérangement durant votre office et de pardonner ma brusquerie, mais il est une question d’importance dont j’aimerais m’entretenir avec vous.

Tu te redresses, et après qu’il t’ait rendu les salutations suggères du menton et des épaules la direction de places assises où vous seriez plus tranquilles.

- J’aimerais avoir votre avis quant à la conduite à adopter face au mage repenti Haldren.

Et qui de mieux qu’un mage de son acabit, quelqu’un ayant pu observer Tebryn de près et accompagné autant de gouverneurs pour t’offrir son expertise sur un pareil sujet ?

Position particulière qu’était celle de l’intendant. Responsable de l’approvisionnement du Palais et donc mis au courant de toutes sortes de congrès, de déplacement et de réunions, même les plus exceptionnels ; et dans un même temps souvent laissé dans l’ignorance du sujet autour duquel s’arrangeaient lesdits événements. Une position finalement à la fois pivotale au sein de l’Institution, et extrêmement discrète. Choix étrangement pudique, pour quelqu’un de son acabit.

Probablement n’étais-ce là que le témoignage d’une modestie conservée à travers les âges. Daenor, le seul elfe dont tu connaisses l’existence qui rivalisait d’ancienneté avec lui, n’était au final aujourd’hui rien de moins que ce qu’il avait été quelques deux Cycles plus tôt. Il avait eu le temps pour enseignant, et en cela sa connaissance s’était agrandie et son jugement affûté, mais sa rigidité et son penchant à l’effervescence sont contés comme ayant toujours été.
Tu ne connais pas Caranthir. Jusque-là, vous vous êtes croisés sans vous voir. À l’intronisation il ne fut ni de ceux qui vinrent te faire chaleureux accueil, ni de ceux qui te fouettèrent le dos de leur glacial accueil. À vrai dire, le simple fait qu’il ne se soit pas imposé à toi d’une quelconque façon au moment où tu prenais tes marques au sein du Trône Blanc t’est testament de ce que tu penses être chez lui à la fois une certaine forme de pudeur et une saine résignation. Le conseil des anciens n’est après tout jamais aussi précieux que lorsqu’il est demandé.

- Je ne sais pas exactement ce que votre position au sein du Trône Blanc vous permet de savoir ou pas, tes oreilles se soulèvent, et tes pupilles glissent jusqu’à la porte fermée derrière vous comme si elle allait soudainement s’ouvrir sur la foule alors au cas où vous ne seriez pas de ceux mis au courant, je me permets de vous l’apprendre : tu déglutis cérémonieusement avant de reprendre le mage Haldren dit Hécil est un fils d’Elda. Responsable entre autres de l’orchestration de carnages comme ceux que nous avons connu à Ellyrion et à Eraïson. un sourire empreint de lassitude s’imprime sur ton visage Mais il témoigne que force de sang versé pour le plaisir de leur dieu guerrier, il a fini par grandir en dégoût pour ses actes et la philosophie même de son peuple.

Il ne te faut pas plus d’un court instant pour que tout ce qu’il t’a montré ce matin te revienne, que les souvenirs et les attitudes de l’ex-Drow viennent rendre ton jugement plus confus qu’il ne l’était déjà avant que tu ne l’aies rencontré de visu. Tu claques de la langue. Tout était tellement invraisemblable que les mots se refusaient presque à s’arracher de ta gorge.

- Voilà bientôt un an que le Culte de Kÿria l’accompagne dans ce qui semble être – et j’ai eu du mal à y croire, mais c’est aussi ce que semble dire une rapide étude de sa constitution – un retour à l’état d’elfe depuis son ancienne condition de drow. tu fronces les sourcils Seulement je crains qu’un pareil individu, s’il se trouvait qu’il ait réussi d’une quelconque façon à nous duper, ne représente un danger beaucoup plus grand pour notre peuple que n’aurait jamais pu l’être Tebryn en son temps.
C’est avec lui que je m’entretenais ce matin. et c’est sa présence qui a motivé l’absence de tous les officiers de l’Aile du Trône J’ai pu entendre et voir son histoire et ses motivations, et j’aurais aimé pouvoir mettre entièrement ma foi en La Mère et accorder ma confiance au repenti… mais à repenser au manque de volonté qu’il semble mettre dans sa propre intégration et à ses régulières disparitions… je n’arrive pas à me satisfaire pleinement de ma décision de le relaxer. tu soupires Vous qui avez vu se succéder les Rois et eu l’occasion d’observer Tebryn… que pensez-vous qu’il soit le plus judicieux de faire ?

Un Drow fait Elfe. C'est un événement sans précédent au sein de l'Œuvre. Dans quelle expérience pourrait-il puiser qui puisse l'aider à te conseiller ? Tu as eu affaire à Haldren. Tu as été mis au courant des conditions de sa présence en Anaëh par le Culte de Kÿria. Toi, et quelques éléments du Palais triés sur le volet. Tu espères qu'il en fait partie, voilà tout. Tu espères qu'il en a fait partie et que tout le poids dont tu viens de te décharger n'est pour lui que redites. Tu espères que ce sont des problématiques auxquelles il a déjà réfléchi. Et s'il n'apprend tout que maintenant... tu ne peux qu'espérer qu'après avoir vu deux Voiles, la clarté de la réflexion d'un Souffle excède d'assez loin la tienne.

Ton cœur manque un battement, ta respiration se coupe, et tu te reprends juste avant que les larmes ne te montent aux yeux.
Tu le détestes. Tu le détestes d’avoir prononcé ces mots. Tu le détestes de t’avoir ainsi décontenancé, toi qui tenais tant à prouver à l’Ancien que « jeunesse » s’il on peut encore t’affubler d’un tel terme n’est pas dénuée de patience. Et tu te l’appropries, mais la remarque ne t’est même pas directement adressée. Tu te sens percé à jour, alors que qu’il ne fait que poser les termes appropriés sur un raisonnement. Tu es à cran. Plus à cran que tu ne le pensais.

Le Commandant ne pardonne pas

Car le commandant porte sur ses épaules la charge des vies de ses soldats. Le commandant est la bannière dans laquelle les lames essuient le sang qui les recouvre. Le commandant est le bouclier derrière lequel se dissimulent non pas les guerriers, mais les gens du peuple. Il est la figure de l’armée, la garantie qu’ils puissent vivre chaque jour un jour de plus. Et parce que cette garantie est la promesse qu’il leur fait, il ne peut se permettre de prendre le moindre risque.
Pardonner c’est prendre un risque, alors le commandant s’y rechigne. Pour le commandant, il vaut mieux mourir rongé par l’amertume que voir mourir un seul de ceux qu’il a fait vœu de protéger.

Le Clerc aime donner son amour

À l’image de sa déesse Mère. Comme celle qui a pris le risque d’être honnie de ses enfants pour que leur affection ait la moindre valeur ; Comme la Créatrice qui a pris les armes lorsqu’est venu le temps de protéger son Œuvre ; Comme celle qui même dans leurs plus grands écarts s’évertue à appeler à elle ses enfants, dans l’espoir qu’au moins l’un d’entre eux lui réponde ; le Clerc prendra sans hésiter dans ses bras celui qui se veut son frère. Car pour le Clerc, chaque miracle n’est qu’un miracle de plus.

Le Mage est prêt à tout pour savoir

Et au péril de sa vie, le mage poursuivra la connaissance. L’appétit du mage pour sa science est sans limite. Sa passion pour les mystères le tirera toujours plus loin de ses limites premières. Seulement le mage est un fou conscient de sa folie. Le mage s’il veut tout savoir sait qu’il ne lui est pas donné de tout apprendre. Le mage joue un jeu dangereux avec ses propres limites, balançant précautionneusement entre sa morale et son avidité, pour préserver sa personne jusqu’à de nouvelles découvertes.

De métier tu as été le Commandant. De passion tu es le Mage. D’éducation tu es le Clerc. En toi cohabitent les trois facettes, et depuis toujours tu puises en chacune pour répondre au mieux aux exigences de la Vie. Seulement aujourd’hui tu es l’Aran, le Roi. Et le Roi que tu veux être ne peut se contenter d’être l’une des facettes à la fois. Tu es le Commandant, le Clerc et le Mage. C’est là ta plus grande force en tant que Souverain ; mais c’est aussi là ta plus grande faiblesse devant les questions difficiles.

- Je vous remercie Caranthir. l’eau finit par te monter aux paupières, et tes yeux se mettent à briller sans se résoudre à pleurer Je prie I Mîngely que nous n’ayons jamais à le regretter.

Tes doigts s’entrecroisent, ton regard refuse de s’arracher à celui de l’Elfe Blanc. Il était tellement calme. Trop calme pour quelqu’un à qui l’on venait d’annoncer une nouvelle pareille. Non il n’était pas resté imperturbable. La surprise, l’intensité de sa réflexion, ses tentatives de t’atteindre, sur son visage tout cela, pour qui s’en donnait la peine, était lisible. Mais tout était si discret. Tout était si contenu. Comme si rien n’était complètement nouveau. Comme si tout n’était que dans la continuité de réflexions qu’il se serait déjà faites.

Tu l’envies.

Tu envies sa capacité à choisir d’entre Le Commandant, Le Clerc et Le Mage, qui devait obtenir gain de cause. Aucun de tes Conseillers jusque-là n’avait été aussi décisif, et I Mîngely sait comme tu en aurais eu besoin. Un nouveau Cycle commençait. Les choses prenaient chacune leur place. Par le passé c’est un Caranthir qui guidait le Roi dans ses décisions difficiles ; Aujourd’hui, c’était un autre Caranthir que tu espérais prendre sa place.

- Mais heru, il faut que je sache. Pourquoi ne demandez-vous pas à être mis au courant des informations partagées au sein des Hautes-Instances du Trône Blanc ? Nous… tu poses tes deux mains à plat sur tes genoux Je serais rassuré d’avoir quelqu’un comme vous sur qui compter dans des situations comme celle-ci.

Le semblant de sourire n’a rien pour te rassurer. Le poids du silence te conforte dans ton idée. Avant même que ses lèvres ne se séparent tu t’es résigné. Ne passe pas un Cycle parmi les fruits et les légumes qui n’en a pas décidé ainsi. Alors toi qui n’était qu’un Roi remplaçant le précédent, qui étais-tu pour espérer que cela change ?
Tu accueilles son annonce sans surprise ni amertume. C’est là l’usage qu’il a décidé de faire du don d’Elenwë. C’est son Choix. Et c’est le Choix qui permet de se préserver. Probablement est-ce là le secret de sa longue existence. La recherche de la tranquillité, de la paix, loin de l’effervescence des hautes sphères où s’empilent les décisions à prendre, mais assez proche des nouvelles pour être tenu au fait de son temps. Loin du tumulte qui forcerait son esprit à s’éroder, mais en pleine capacité d’aider celui qui lui amènerait la problématique nouvelle qui l’arracherait à l’ennui.

- Je comprends. tu te lèves Et je vous remercie pour tout.

Tu lui fais la même révérence qu’à ton arrivée, et la ponctue d’un aimable sourire. Puis tu soupires, laissant échapper la vapeur d’une journée bien trop chargée en émotions. Tes doigts quittent ton cœur pour venir chercher les premières et dernières gouttes d’eau prêtes à perler de tes yeux avant que tu ne te redresses. Quand ta poitrine est haute à nouveau, ton menton l’est aussi.

- Je saurai où vous trouver, heru Caranthir.

Tu hoches la tête une dernière fois, partage un dernier regard, et puis tu te retournes, et entames le pas vers tes quartiers. Tes premiers temps sont affreusement chargés. Maintenant que ton esprit ne l’est plus, tu n’as plus d’excuse pour t’y dérober.