Missives et chauve-souris entre Ryth'ten & Na'ri

Ô ma graine de vie aux voiles purifiants.

Tu étais ma raison de tenir. Si mon cœur était serré, répugnant l’idée de ton destin incertain si mon épée venait à se briser. Toi, à l’arrière. Mon âme se déchire d’inquiétude maintenant que je ne suis plus là pour servir de digue à ces torrents de lames cruelles qui ne demandent qu’à se déverser sur vous, sur toi.  

Je me souviens de ce jour où tes doigts sont venus me toucher. De cette nuit où tu m’as attaché au brancard pour recoudre ce que je prétendais être « Qu’une égratignure ». Cette nuit sans étoile où, même fatiguée, tu continuais d’arrache-pied pour me rafistoler. De la sueur qui gouttait sur ton front. De la fatigue qui hantait tes yeux. De tes doigts qui tremblaient, incertaine de réussir à me sauver. Je n’oublierais jamais ma main venant se poser sur ton avant-bras. De ce regard échangé. De cette confiance donnée. De ce courage partagé. De cet aura de sécurité que je t’ai soufflée pour anesthésier ton âme. Te permettre de finir. Malgré les secousses indiquant que l’ennemi approchait. Oui, en ce jour, en cette destinée commune, j’ai su que nos âmes devaient s’entremêler.

Mais les terres sont stériles en cette région. Et la guerre détruit tout. L’armée éloigne les racines. Assit sur mon lit de camp, j’ai pourtant rêvé des milliers de foi nos errances dansantes. Me promettant à chaque fois de prendre mon cheval pour te rejoindre. De déserter pour mieux t’embrasser. De briser ma loyauté envers les armes pour vivre pleinement ma loyauté envers toi.

Et maintenant que je n’y suis plus. Maintenant que je me suis libéré de ces chaînes qui empêchent nos corps de s’enchevêtrer. Je me sens impuissant. Impuissant de te convaincre d’abandonner ces pauvres âmes que tu souhaites sauver. Impuissant alors que tu t’acharnes à ne pas te retirer, toi qui semble ne pas vouloir laisser les autres faire à ta place quand tu peux être source de bras supplémentaires. Et je te regarde, désarmé, assit sur mon cheval, immobile, statique. Je te regarde tenter vainement de sauver des âmes destinées à mourir. Je t’admire en train d’accomplir l’impossible, comme ce jour où tu m’as sauvé la vie. Je caresse cette cicatrice, vestige d’un temps révolu dans l’espoir que tu abandonnes pour mieux plonger dans mes bras.

Je t’attends. Je patiente. Prêt à t’emmener loin si l’ennemi brise vos lignes. Mais le temps est long et le torrent de chaînes des âmes condamnées m’emmène loin de toi. Je ne sais plus où tu es… ce que tu fais… Je ne sais même plus si tu es encore vivante. Moi, si loin, plus loin que là où l’horizon s’arrête. J’ai essayé de gravir la plus haute des montagnes dans l’espoir de pouvoir te voir. Mais même le Puy est invisible. Seule sa cheminée grise se distingue dans le ciel.

Alors je t’envoie cette lettre. Une lettre emplie d’un amour infini pour une vie éternelle. Une lettre destinée à l’âme de ma tendre lumière vigoureuse. En espérant qu’il ne soit pas trop tard …

Je t’aime. Et je viens te chercher.

Ô chère rescapée,

Je noircis ces pages non pas pour te décourager mais bien pour te faire goûter à la réalité du monde qui t’entoure.

Je ne suis pas certain que tu veuilles goûter au monde.
Tu l’idéalises hélas comme un renard caché au plus profond de son terrier.
Et ce n’est pas ta faute. La chaleur du Puy est agréable et il est difficile de s’en extraire.

Tu connais tout de même les horreurs de la guerre,
Tu ne seras donc pas surprise par les quelques anecdotes que je souhaite te faire lire.

L’ivresse de la liberté a un prix et le monde n’est pas si beau qu’il n’y parait.

Nous, esclavagistes, nous sillonnons les guerres, les batailles, les villages éventrés par cet ogre insatiable. Il y a quelques ennéades, j’étais là, l’épée au clair, à regarder cette petite fille humaine piétiner dans la boue. Elle semblait perdue, désarmée, terrifiée, seule pour affronter ce vaste monde. De la boue jusqu’au visage, les vêtements à moitié tâchés de sang et de terre. Qu’importe à qui était le sang. Il y avait ces cordeaux perchés qui attendaient patiemment de pouvoir se repaître de son corps. Ce qui m’a surtout impressionné était le fait qu’elle ne pleure pas, même dans l’adversité. Alors, je l’ai chassé. Dressé sur mon cheval. Je l’ai poussé à fuir vers les bois. Au moins, si elle se fait dévorer, ce sera par les loups.

L’autre fois, dans les brumes épaisses descendant des montagnes wandraises. Il y avait cet homme hurlant à la mort. Là, adossé contre un arbre. Vosciférant des hurlements de désespoirs qu’on l’achève dans une forêt où personne ne l’entendait. Pendant qu’il était en train de se faire dévorer les entrailles par sa femme. Une femme retournée contre lui par quelques actes de nécromancie. Ha… La nécromancie, cet art horrible. Cela m’a rappelé, debout sur mon cheval, d’être toujours armé. Surtout pour le jour où ceux qui me haïssent seront rappelés par les dieux afin de servir sur le champ de bataille. Bref. J’ai pris mon arc et décoché une flèche dans la tête de la dévoreuse. J’ai attendu. Le regard posé sur celui du pauvre homme. Ce dernier me renvoyant un regard empli de pitié. Puis, j’ai tendu mon arc et tiré la corde pour mieux laisser une seconde flèche transpercer son crâne.

Voilà. J’ai beaucoup aimé ta lettre mais quitte à ne pas rentrer de suite, je tenais à te faire part des réalités de ce monde. Il y a des choses belles dans ces contrées. Mais il y a aussi de la tourbe.

Je t’aime,