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 La Troisième Voie

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MessageSujet: La Troisième Voie   La Troisième Voie I_icon_minitimeMar 16 Avr 2019 - 6:47

Sissthylias Al’Chaszmyr

Calimehtarus 12 Barkios de l’An 14:XI, pendant les festivités marquant la fin des grands jeux de Thaar, dans une auberge d’un quartier Doeben.

Quand il servait encore Mos’ank Do’Hel comme milicien, Truan avait reçu des mains de son maître une Anedhelle au sang pur nommé Celebrían. Les esclaves originaires de la Prime Forêt avaient toujours été une ressource prisée des principautés et le Streea Jabuuk du IVème Ost, qui dirigeait Qiryah à l’époque, avait voulu récompenser un soldat fidèle et expérimenté. Truan s’était vite entiché de son nouveau bien, mais c’était Munbebi, sa compagne, qui avait le plus jeté son dévolu sur elle. À l’instar de ses parents, Sissthylias nourrissait une tendresse sincère pour Celebrían ; Natha en était témoin, c’était elle qui l’avait quasiment élevée. Une fois, l’Anedhelle lui avait expliqué ce qu’était le mal de l’éternité ; depuis, chaque fois qu’un vague à l’âme la rattrapait, la Doeben souriait mélancoliquement à l’idée que, si le sang faible de Celebrían avait couru dans ses veines, son heure aurait pu sonner.

Relevant légèrement son front, qu’elle avait posé sur ses bras croisés quelques minutes plus tôt, Sissthylias loucha sur sa chope en essayant de se souvenir si elle l’avait terminée ou non ; elle décida très vite de vérifier la chose empiriquement et, après s’être redressée sur ses coudes, elle tendit sa sénestre pour saisir la hanse devant elle.

« Yanit, appela-t-elle d’une voix traînante le tenancier qui darda sur elle des prunelles fatiguées. J’ai soif. »

Elle agita le gobelet vide au-dessus de sa tête pendant quelques secondes, avant de laisser retomber sa main et de grimacer quand le bois du récipient frappa celui de la table.

« Shu, Siss’, râla Yanit en contournant son comptoir pour s’approcher de sa cliente par trop régulière. Je t’ai déjà dit de faire gaffe au mobilier.

Oh, ça va, » soupira-t-elle en se redressant à moitié. Elle lui tendit sa chope et il la prit avec une grimace agacée. « Ne fais pas cette tronche, waeles. Je paie, non ?

Pas assez pour que j’apprécie supporter ta tête de morgal. »

Elle leva les yeux au ciel, puis fouilla dans les poches de son pantalon avec sa dextre. Quelques secondes plus tard, elle lançait une pièce d’argent vers le Doeben, qui l’attrapa au vol, la jaugea rapidement avant de grogner et s’éloigner.

« Je la préfère fraîche ! » lui rappela-t-elle dans son dos… seulement pour le voir lui répondre avec un geste fort peu élégant de la main. La daedhelle eut un haussement d’épaules fataliste ; elle savait bien que son attitude commençait à sérieusement agacer le tenancier, mais elle s’en souciait comme d’une guigne. Le mâle la préférait quand elle était vaillante et hautaine, mais en l’occurrence, Sissthylias avait décidé de s’accorder un peu de répit bien mérité après les grands jeux et il n’était rien qu’elle appréciait autant pour se détendre que de boire beaucoup trop pendant un laps de temps relativement court.

Elle avait déjà convenu avec les Dieux qu’elle retrouverait son mordant dans quelques jours ; les mortels pouvaient bien patienter.

Elle donna une claque sur les fesses de Yanit lorsque ce dernier eut enfin daigné lui apporter sa commande et ricana bêtement quand il l’injectiva. Une bonne rasade du breuvage tiède plus tard, elle reposa sa chope et darda un regard vide autour d’elle. La nuit était déjà bien avancée et la plupart des clients de Yanit étaient partis ; il ne restait que quelques ivrognes — dans lesquels elle s’incluait bien volontiers — pour tenir la jambe au propriétaire. Est-ce qu’eux aussi, ils ont été assignés à la mauvaise équipe pendant la grande mêlée ? se demanda-t-elle avec aigreur. Elle secoua la tête pour chasser cette pensée. Heureusement que Celebrían n’est pas là, songea-t-elle en ricanant intérieurement. L’anedhelle était moins patiente encore que Yanit quand il s’agissait de ses « épisodes ». Finalement, il n’y avait bien que Truan et Munbebi pour la laisser tranquille lorsqu’elle broyait du noir ; en vérité, ses parents la laissaient tranquille la majorité du temps.

Toutes à ses maussades pensées, Sissthylias accrocha du regard une silhouette voûtée à côté de l’âtre crépitant de l’auberge et elle ne put retenir le sourire carnassier qui vint chatouiller ses lippes. De là où elle se trouvait, elle ne pouvait voir que son impressionnante chevelure aile de corbeau. Après s’être assuré que Yanit vaquait à ses occupations sans plus faire attention à elle, la daedhelle se leva pour s’approcher de l’étrange créature. Qu’une femelle éphémère s’aventurât, seule, dans un quartier Doeben était déjà cocasse, mais c’était la protection que lui avait octroyée Yanit qui l’intriguait le plus. Sissthylias ne voyait pas ce qui pouvait justifier pareil traitement de faveur : elle était infirme, avait des yeux débiles et donnait l’impression que la moindre bourrasque un peu violente pouvait la jeter à même le sol ; pourtant, chaque fois qu’elle pénétrait dans sa taverne, Yanit accourait pour la guider auprès de son âtre.

« Bonsoir, ssin, l’alpagua-t-elle en s’asseyant sur un tabouret à côté d’elle. Yanit a oublié de s’occuper de toi ? »

Tirée de ses réflexions, la créature étrange eut un mouvement de recul avant de darder ses prunelles laiteuses dans la direction de la daedhelle qui ne cacha pas une grimace importunée. Elle n’avait jamais remarqué la cécité de l’humaine.

« Yanit sait que je ne cherche qu’un peu de tranquillité quand je viens dans son établissement, » répondit-elle d’une voix éraillée qui complétait admirablement bien son allure extérieure. Elle tourna la tête légèrement de côté, comme pour mieux entendre quelque chose, avant de s’ébrouer faiblement. « Que me veux-tu, Sissthylias ?

Tu connais mon prénom ? s’étonna la Doeben avant de se remémorer sa conversation avec le maître de céans. Oh, non, je vois. Tu as juste une bonne ouïe… ce qui, dans ta condition, est utile, j’imagine. »

Et Sissthylias d’agiter sa sénestre sous le nez de la femelle, qui n’en prit pas ombrage si elle s’en rendit compte. « Tu es saoule.

Et je m’ennuie, » abonda l’accusée. Elle but une nouvelle gorgée de sa chope avant de continuer. « Tu es la seule chose un tant soit peu intéressante ici.

Chose, releva l’aveugle. Est-ce donc ce que je suis, pour toi ? »

Passant au dessus des accusations de son interlocutrice pour le moment, elle préféra réorienter la discussion pour tenter de percer le mystère qu’elle représentait.

« Tu es une esclave ? » lui demanda-t-elle en posant ses coudes sur ses jambes pour mieux la détailler du regard. Et la daedhelle de préciser sa pensée : « Ça expliquerait pourquoi Yanit te laisse tranquille. Tu dois appartenir à quelqu’un d’important. »

Cette fois, l’éphémère sourit et cela réjouit Sissthylias, qui y vit une invitation à continuer plus avant ; Yanit, qui prenait enfin conscience de la scène, n’était cependant pas de cet avis et après avoir lâché son juron favori, il planta sans autre forme de procès la sang-mêlée avec laquelle il conversait pour se porter au secours de son étrange protégée.

« Siss ! rugit-il en lui attrapant le bras gauche. Je t’avais pourtant prévenu, tu laisses cette femelle tranquille. »

Il avait usé de la langue d’Elda ; surprise par ce changement de dialecte, Sissthylias allait pour lui répondre en se pliant elle-même à cette fantaisie, mais la « femelle » fut la première à réagir.

« Tout va bien, Yanit, lui assura-t-elle. Sissthylias peut rester. »

Yanit darda un regard interloqué sur l’éphémère et Sissthylias supposa qu’il avait dû utiliser l’Eldéen chaque fois qu’il voulait dire quelque chose sans être compris par son improbable cliente. La daedhelle esquissa un sourire carnassier en se demandant les secrets qu’il avait ainsi pu trahir aux oreilles d’une parfaite inconnue. Pauvre petit aubergiste, pouffa-t-elle intérieurement. À Thaar, il faut toujours partir du principe que tout le monde parle toutes les langues… Il avait joué de malchance, car leur interlocutrice n’était clairement pas originaire des Principautés et à l’Ouest, rares étaient ceux qui prenaient la peine de s’instruire sur le dialecte des noirelfes.

« Tu viens de te faire un ennemi, » nota doctement Sissthylias quand elles furent à nouveau seules. Elle avait vu dans le regard de son compatriote une flamme qui ne mentait pas ; à la façon dont il s’était crispé et avait battu en retraite, elle doutait cependant qu’il tentât quoique ce fût et cela ne faisait que rajouter aux mystères qui intriguaient déjà tant la Doeben. « J’ai l’impression qu’il a peur de toi. »

Une heure plus tard, Sissthylias aussi aurait eu peur, si elle n’avait pas été si ivre.

La créature ne lui dit pas son nom, si bien que la daedhelle lui en avait-elle donné un qui correspondît à ce qu’elle dégageait : Aja, qu’elle avait dérivé de ajak qui voulait dire « se souvenir ». Or, Aja se souvenait de tout et surtout de choses qu’elle n’avait aucune chance de connaître.

Sissthylias n’avait pas tardé à inventer un terrible jeu à boire de cette improbable rencontre ; elles devaient toutes deux énoncer un événement du passé de l’autre et celle qui se trompait avalait une gorgée du breuvage signature de Yanit avant de livrer un secret à la gagnante. L’épée louée ne s’émouvait pas de tout ce qu’elle avait pu révéler à l’éphémère — sur elle, ses parents, la vie des Doebens et même certaines facettes méconnues du Puy. De son côté, elle était juste parvenue à apprendre qu’Aja ne s’appelait pas vraiment Aja et qu’elle n’était l’esclave « d’aucun mortel » … ce qui ne voulait pas dire grand-chose.

« Shuuuu râla-t-elle cependant après une énième défaite. J’étais pourtant sûre de moi, cette fois. Tu es certaine que tu n’es pas un homme ? »

L’alcool ne l’aidait pas à trouver les bonnes questions.

Après s’être acquittée de son dû, elle éructa ostensiblement, puis posa sa chope vide et, dans un éclair de lucidité, retint son bras d’en commander une autre. Elle se connaissait bien assez pour savoir qu’une goulée de plus serait la goulée de trop et qu’il valait mieux s’arrêter là ce soir… pour recommencer au petit matin.

« Aja, ce fut un plaisir, la salua-t-elle en se levant maladroitement.

Tu me dois un secret, » lui répondit seulement l’éphémère.

La noirelfe ricana devant tant d’opiniâtreté, prit le temps de la réfléxion, puis entreprit de remonter la manche de son bras droit pour dévoiler une impressionnante balafre sur laquelle elle darda des prunelles pleines d’ambiguïtés.

« Regarde, » lui intima-t-elle. Voyant que son interlocutrice ne lui faisait pas l’heur de s’exécuter, elle fronça les sourcils avant de se rendre compte de l’incongruité de sa demande. Avec autorité, elle saisit donc le poignet d’Aja et, faisant fi de ses tentatives d’échapper à sa poigne, lui fit poser sa paume sur ses chairs boursouflées. « Tu la sens ? Cette marque, c’est ce qui me lie aux Dieux, c’est ce qui me protège de Kerhel, c’est ce qui fait de moi une daedhelle et… »

Elle ne parvint pas à terminer sa phrase ; au dernier moment, un puissant haut-le-cœur lui comprima la gorge, en même temps qu’une sourde douleur dans son bras. Les yeux écarquillés, elle contempla ses chairs suinter un sang noir, visqueux et fétide. La senteur était si infecte que son estomac n’y résista pas et elle vomit aux pieds d’Aja.

« Siss ! » rugit Yanit dans leur dos.

La Doeben, cependant, n’en avait cure. Elle dardait désormais sur son interlocutrice de la soirée un regard un peu fou.

« Qui es-tu ? Que m’as-tu fait ? »



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MessageSujet: Re: La Troisième Voie   La Troisième Voie I_icon_minitimeLun 22 Avr 2019 - 21:01

Celebrían

Arkuisa 23 Barkios de l’An 14:XI, dans la demeure de Munbebi à Qiryah.

Celebrían appartenait à Truan et Munbebi depuis bientôt trois siècles et de l’anëdhelle qu’elle avait un jour était, il ne restait plus rien ou presque. S’ils la possédaient toujours aux yeux de la loi Vaanie, les deux daedhels s’étaient épris de leur propriété au-delà du raisonnable — comme seuls des noirelfes savaient le faire, diraient certains — et elle était désormais leur concubine, une seconde mère pour leur fille et la cheffe de leur milice privée. Ancienne éclaireuse de l’armée d’Ardamir, elle était une guerrière accomplie et prenait son rôle très à cœur.

À Qiryah, plus personne ne remettait en doute que lorsque Celebrían parlait, c’était pour porter la voie de ses maîtres. Or, depuis quelques jours, Celebrían ne parlait plus beaucoup, sinon pour partager ses craintes à Sissthylias, de retour dans la demeure familiale après presque un an de vadrouilles.

« Tu ne devrais pas la garder, grondait-elle d’ailleurs justement se positionnant en garde face à l’héritière. Elle est plus dangereuse que tu veux bien le croire.

Aja n’est pas méchante, » la détrompa Sissthylias avec patience. Elle tenta une estocade sur sa maîtresse d’arme, qui parvint sans difficulté à dévier son attaque. « Elle me paraît même un peu simplette, parfois.

Je sais que tu dis cela pour me provoquer, » siffla l’anëdhelle. Elle raffermit ses appuis. « Encore. » La daedhelle fit deux pas de côtés, le regard rivé sur la hanche droite de son adversaire… avant de se tendre avec autant de cécité que son corps était capable de développer pour frapper sur la gauche. Habituée aux stratagèmes grossiers de son élève, Celebrian n’eut aucun mal à lui opposer une solide parade. « Rassure-moi, quand tu te bats sérieusement, tu fais montre d’un peu plus de subtilité ?

Peut-être que j’essaie d’endormir ta méfiance, sourit la mercenaire, ou que j’espère que me mettre une raclée te défoulera un bon coup et que tu arrêteras de tourner en rond en maugréant comme tu le fais depuis que je suis là.

Je ne maugrée pas, la contredit l’anëdhelle. Je répète souvent la même évidence en priant pour qu’elle finisse par trouver son chemin jusqu’à toi. Ton Aja est dangereuse, dalhar. Tu sais qui elle est, n’est-ce pas ? Ce qu’elle a fait ?

Je sais ce qu’elle m’a fait, » répondit la noirelfe qui commençait enfin à s’agacer d’entendre l’esclave radotait à nouveau. Elle raffermit sa prise sur la poignée de son arme. « Je sais ce que j’ai ressenti au moment où elle m’a touchée. » Elle lança une nouvelle attaque, cette fois au niveau des épaules de l’anëdhelle, qui esquiva d’un pas sur le côté. « Il est hors de question que je la laisse m’échapper avant d’avoir compris exactement ce qu’il s’est passé à ce moment-là.

Tu n’aurais jamais dû lui montrer ta marque, grogna à nouveau Celebrían.

Dis ça à ma main, histoire de voir si ça l’intéresse, » répliqua Sissthylias.

Et la noirelfe de tenter de porter un coup de poing à son agaçante adversaire. Surprise effectivement par cette attaque imprévue, l’anëdhelle dut museler ses réflexes séculaires pour ne pas embrocher son agresseuse purement et simplement. Elle serra les dents, encaissa, puis fit payer cher sa petite mesquinerie à la fille de ses maîtres. Elle frappa avec son front le nez de l’impudente, qui manqua s’étaler par terre sous la violence du choc.

« Shu ! râla-t-elle en se massant appendice nasal.

Écoute-moi bien, Sissthylias Al’Chaszmyr, parce que c’est la dernière fois que je vais te le dire, » énonça Celebrían sans plus rien cacher de sa colère. Elle avait avec une célérité digne d’elle posé sa propre lame sur la discrète pomme d’Adam de la daedhelle. « La femme que tu as ramenée dans la demeure de ta mère est dangereuse. Elle est le Vaisseau de Tari, une créature de Kerhel que le Puy ne fait plus l’erreur de sous-estimer depuis plusieurs siècles. Je ne sais pas ce qu’elle t’a fait, mais je refuse qu’elle s’approche de Truan et Munbebi. » Elle rengaina son épée, puis darda sur sa protégée un regard où transparaissait toute l’inquiétude que pouvait lui inspirer la présence du Vaisseau de la Voilée. « Un mot de toi et je la tue, pour notre salut à tous.

Sauf que ce mot, je ne le prononcerai pas, s’entêta une Sissthylias un brin vexée par la tournure qu’avait prise son entraînement.

C’est ton choix, soupira Celebrían. Tout comme ce sera le mien de m’en passer, le moment venu. »

Les deux femmes se séparèrent ainsi, la graine de la discorde désormais plantée.

Le pire, pour Sissthylias, était qu’elle comprenait la réaction de l’anëdhelle et elle avait conscience que ses conseils étaient les bons, mais dans le même temps, elle ne parvenait pas à effacer de son esprit l’image de ce sang noir et visqueux qui suintait hors de son corps.



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MessageSujet: Re: La Troisième Voie   La Troisième Voie I_icon_minitimeDim 28 Avr 2019 - 11:24

Le Vaisseau de la Voilée

Tariho 81 Verimios de l’An 14:XI, dans la demeure de Munbebi à Qiryah.

Bientôt deux mois avaient passé depuis que Sissthylias l’avait emmenée avec elle à Qyriah et la marque de la Doeben continuait, pour la gardienne, d’être une véritable obsession. Elle savait par ailleurs que l’épée-louée nourrissait des sentiments similaires à son égard ; l’une comme l’autre conservait un souvenir impérissable de leur rencontre.

« Parle-moi d’elle, lui intima Sissthylias. Parle-moi de la créature de Kerhel que tu appelles la Voilée et que Celebrían nomme Tari. »

Elles marchaient d’un pas lent dans le domaine de Munbebi, ainsi qu’elles avaient pris l’habitude de le faire chaque soir. C’était un rituel que la daedhelle semblait apprécier tout particulièrement et elle le mettait à profit pour poser à l’aveugle toutes les questions qui lui passaient par la tête loin des oreilles indiscrètes.

« Son respect pour l’Aînée est grand, Sissthylias, mais Elle n’est pas Sa créature. » Elle marqua une légère pause, esquissant un fin sourire que son interlocutrice aurait été bien en peine d’expliquer. « Celebrían le savait, jadis. Elle l’a seulement oublié.

Celebrían a surtout ouvert les yeux, lui rétorqua Sissthylias avec agacement.

Elle a fait le Choix de les fermer, » la détrompa la gardienne.

Elle n’avait pas besoin de voir la mercenaire pour deviner que sa réponse n’était pas à son goût ; elles demeurèrent donc silencieuses, le temps que Sissthylias digérât ses propos.

« Tu ne m’as pas répondu, finit par souligner la fille de Munbebi et de Truan. As-tu honte de ta Déesse, pour esquiver mes questions ?

Je ne t’ai pas répondu, convint Son Vaisseau, parce que tu n’es pas prêtre à entendre mes réponses. Tu ignores tant et trop de choses pour comprendre. La Voilée est une parmi Cinq.

Dans ce cas, parle-moi de tes Dieux. Parle-moi des Cinq. »

La gardienne se figea, avant de darder son regard aveugle sur sa turbulente aînée. Dans sa voix, elle n’avait entendu aucune moquerie, aucune méfiance ; seulement de la curiosité et peut-être un peu d’anxiété. Elle acquiesça, rattrapée à son tour par l’ampleur de sa tâche. Elle inspira avec lenteur et à mesure que l’air de l’Enfant gonflait ses poumons, mille et mille réminiscences se bousculaient dans son esprit fatigué.

« L’Aînée nous ouvre les yeux sur nos racines, qui nous relie à la terre qui nous a vus naître et à ceux qui nous ont aidés à grandir. Elle nous apprend l’importance du foyer, qui nous protège et nous réunit et nous permet de perdurer, car il est le lien avec ceux qui nous ont précédés et notre promesse à ceux qui nous succéderont. Elle nous a donné la tradition, qui nous modèle et nous contraint, mais nous guide tout au long de nos vies.

» Le Guerrier nous ouvre les yeux sur les dangers qui nous menacent, sur les injustices qui nous guettent et sur les valeurs auxquelles nous ne devons jamais transiger. Il nous apprend à trouver en nous le courage et les ressources et l’intelligence de nous défendre. Il nous a donné la colère, qui obscurcit notre jugement, mais nous permet de surmonter les épreuves.

» Le Prisonnier nous ouvre les yeux sur ce qui est beau. Il nous apprend à le chercher partout où se pose notre regard, à le créer là où s’égarent nos mains, à le ressentir à chacune de nos respirations. Il nous a donné l’insatisfaction, qui nous soumet à nos passions, mais nous pousse sans cesse en avant.

» L’Enfant nous ouvre les yeux sur nos instincts que nous viennent des Cinq et sur ce qu’ils nous offrent et sur ce qu’ils nous prennent. Elle nous apprend qu’à chaque action, il convient d’opposer les conséquences. Elle nous a donné le Souffle, qui seul permet Choix qui nous rend responsables de nos fautes tout autant que de nos bienfaits. Il est l’écho de nos erreurs passées, qui nous permet d’éclairer nos actes à venir des retombées de ceux que nous avons déjà fait. Il est le réceptacle de notre mémoire qui nous permet d’imaginer l’avenir.

» La Voilée nous ouvre les yeux sur l’importance de notre mémoire. Elle nous apprend qu’elle demeure, en tout temps et en tout lieu, notre plus grande richesse, car elle la seule chose que nous possédons qui se démultiplie quand on la partage. Elle nous apprend que nos vies ont une fin, car il n’appartient qu’aux Dieux de vivre éternellement. Cependant, Elle seule nous donne une certitude : qu’à l’heure de notre mort, Elle viendra réclamer notre Souffle, riche de tous nos souvenirs, et qu’en Son Royaume il perdurera et prospérera. »

Sa diatribe terminée, la gardienne poussa un léger soupir.

Sissthylias, elle, demeura silencieuse longtemps encore après que l’éphémère se fut tu, indécise sûrement sur la meilleure réponse à apporter à ce qu’elle aurait dû tenir comme une hérésie.

« Les tiens ont renié la promesse de la Voilée, finit par lui apprendre Son Vaisseau. Cette marque que tu portes dans ta chair, elle cheville ton Souffle à ton enveloppe, si bien que lorsque viendra l’heure de ta mort, ta mémoire sera perdue et il ne restera rien de toi que les souvenirs biaisés des ennemis d’Elda. »



Dernière édition par Mémoire le Ven 21 Juin 2019 - 6:20, édité 1 fois
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MessageSujet: Re: La Troisième Voie   La Troisième Voie I_icon_minitimeMer 8 Mai 2019 - 18:22

Sissthylias Al’Chaszmyr

Oglicos 43 Barkios de l’An 15:XI, dans la demeure de Munbebi à Qiryah.

Cela faisait plus d’un an que Sissthylias avait « recueilli » Aja, ainsi qu’elle continuait à appeler la gardienne. Les ennéades avaient filé à une vitesse folle et chaque jour qui avait passé, la Doeben en avait appris un peu plus sur cette éphémère étonnante, sur la Voilée qu’elle pensait servir et sur le reste de son panthéon.

« Les Cinq sont des dieux étranges, » avait récemment affirmé Sissthylias à Celebrían. Le regard qu’avait dardé l’anëdhelle sur elle avait convaincu la daedhelle qu’elle avait fait une erreur en s’ouvrant ainsi à la guerrière, qui tolérait la présence d’Aja tant qu’on ne la lui rappelait pas trop souvent. Que sa protégée évoquât les idoles qu’elle avait jadis adorées avant que leur véritable nature s’imposât à elle ne pouvait donc que l’inquiéter. L’héritière de Munbebi avait levé les yeux au ciel, puis avait essayé de changer de sujet… en vain, évidemment. Celebrían était au moins autant butée qu’elle.

« Étranges ? avait-elle répondu d’une voix sourde. Ils sont des illusions, dalhar, des créatures de Kerhel, des mensonges qui nous enchaînent.

Bien sûr, avait abondé l’épée-louée en levant ses mains devant elle pour apaiser l’ancienne Ilethienne.

J’ai lutté trop longtemps pour me libérer d’Eux pour accepter que tu te laisses leurrer. »

Il avait fallu une bonne demi-heure à Sissthylias pour calmer tout à fait Celebrían ; dans les ennéades qui avaient suivi, la guerrière anëdhelle avait insisté pour qu’elles priassent Uriz ensemble presque quotidiennement. La daedhelle s’était pliée à ce qu’elle tenait pour un caprice, mais elle n’avait jamais été particulièrement dans ses hommages au Père des Batailles. Elle Le respectait et Le louait chaque fois qu’elle le devait, mais ses litanies étaient moins destinées à s’attirer Ses faveurs qu’à apaiser Ses éventuelles colères. Il en allait différemment de Celebrían qui ne se pardonnerait sans doute jamais son ascendance et passerait le reste de son éternité à vouloir se montrer digne de Lui. Sissthylias ne s’était jamais demandé ce qui avait décidé l’anëdhelle à renier les Dieux de son enfance pour embrasser le panthéon d’Elda.

Aja semblait savoir quelque chose à ce sujet. Elle avait évoqué « le destin tragique » de Celebrían, deux jours plus tôt ; Sissthylias l’avait interrogée plus avant, mais la gardienne s’était murée derrière ses énigmes, ainsi qu’elle le faisait systématiquement. Qu’il était frustrant de la côtoyer ! Par trop souvent, elle donnait l’impression de posséder toutes les réponses, mais jamais elle ne les partageait spontanément. Il n’y avait bien que lorsque la doeben l’assomait de questions sur les Cinq que, soudainement, elle se montrait loquace. Ses leçons troublaient l’épée-louée plus qu’elle n’osait se l’avouer, car pour chaque vérité sur le monde et les dieux que la daedhelle tenait pour acquise, une phrase d’Aja suffisait à faire voler en éclats ses certitudes.

La veille Truan avait rapporté que, là-bas au Puy, les Eldéens se préparaient tous pour la Dernière Guerre ; quand elle avait répété ses propos à Aja, la gardienne avait esquissé un sourire sans joie aucune. « Les guerres n’auront jamais de fin ; il ne peut pas y en avoir une dernière, car le Guerrier aura toujours un peuple à armer.

Alors il faudra qu’Uriz tue ton Guerrier, » avait-elle répondu en fronçant les sourcils.

Elle n’était pas particulièrement attachée à la grandeur du Puy et le concept même de la Dernière Guerre ne lui parlait pas, mais la facilité avec laquelle Aja dédaignait aux daedhels la possibilité de parvenir à réaliser leur dessein séculaire lui était instinctivement désagréable.

« Uriz ne peut pas tuer le Guerrier, Sissthylias, car s’il le faisait, Il se tuerait lui-même. »

C’était ces paroles, jetées à sa figure comme un gant de défi, que la Doeben ressassait sans cesse depuis. Elle avait à peine fermé l’œil, fouillant dans sa mémoire à la recherche d’une preuve qu’Aja délirait, mais c’était le souvenir d’une conversation qui lui était finalement revenu : « Là bas en Anaëh, Kerhel se fait appeler Kÿria et son règne sur les consciences est sans partage, » lui avait un jour dit Celebrían. Or, si Kerhel était l’Aînée dont lui avait parlé Aja, n’était-il pas censé de supposer qu’Uriz était le Guerrier ?

Si Celebrían n’avait pas été si obtuse, Sissthylias lui aurait posé la question ; elle savait cependant qu’elle n’aurait pas le temps de finir la moitié de sa phrase que l’anëdhelle se mettrait en quête de la gardienne pour la tuer. L’épée-louée préférait éviter que les deux femelles en vinssent à s’affronter.

« Aja ? » appela la doeben en pénétrant dans la chambre de l’éphémère.

Le soleil disparaîtrait bientôt derrière l’horizon, mais déjà la spartiate cellule d’Aja était plongée dans la pénombre. Sissthylias avisa le repas de son étrange protégée, qui comme à son habitude avait à peine touché à son déjeuner. Cela arracha un soupir contrit à la fille de Munbebi, qui décida de reporter à plus tard son sermon. Depuis son arrivée à Qiryah, Aja avait perdu du poids, assez pour que cela se vît en tout cas. Cela voulait dire qu’elle s’occupait moins bien de la gardienne que ceux qui l’avaient précédée. Ce n’était pas forcément étonnant, mais cela agaçait tout de même Sissthylias, qui avait encore trop de questions sans réponses pour risquer que son initiatrice mourût d’inanition.

« Je vais finir par te verser ton assiette dans la bouche, » se contenta-t-elle de la menacer avant de s’approcher de la couchette au milieu de la pièce et de s’y asseoir.

Elle darda ensuite un regard ennuyé sur la gardienne, qui n’avait toujours pas réagi. Sissthylias comprit qu’elle devait être en train de prier sa Déesse et cela lui donna une idée. Celebrían me tuera, songea-t-elle en esquissant un sourire avant de compléter sa pensée : seulement si elle l’apprend. Prenant une grande inspiration, l’héritière de Munbebi tendit sa dextre pour secouer gentiment l’épaule d’Aja ; c’était, ainsi qu’elle avait fini par s’en convaincre, la manière la plus efficace d’attirer son attention ; tant pis si la principale concernée détestait quand elle se permettait ce genre de familiarité.

« Est-ce que je peux prier avec toi ? » lui demanda-t-elle avec un détachement qu’elle n’était pas certaine de ressentir.

D’abord, la gardienne ne réagit pas.

Surprise, Sissthylias resserra sa prise, avec la volonté de la forcer à pivoter pour lui faire face. Aja avait les yeux fermés, mais l’éphémère était aveugle, donc cela ne voulait pas dire grand-chose.

« Qui souhaites-tu prier ? » s’entendit-elle enfin demander.

La daedhelle haussa les épaules, embêtée d’être ainsi interrogée par Aja. Elle consentit cependant à répondre. « Les Cinq, souffla-t-elle sans parvenir à avoir l’impression de fauter. C’est bien pour ça que tu m’as parlé d’eux tout ce temps, non ? » Elle esquissa un rictus agacé. « Il faut que j’en choisisse un, c’est ça ? Je peux bien commencer par ta Voilée, alors.

N’aie crainte, enfant, lui annonça Aja en dardant sur elle des prunelles soudainement vert écume, car tes prières ont déjà été entendues. »

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