Berges de l'Oliya| Briller par le savoir [PV T'sisra]

Fin de la 2nde ennéade de Karfias
17e année du Onzième Cycle
Extérieur de Thaar
Suite de ce RP

Comme un sauvage. Tu avais préféré ne pas renchérir là-dessus. Tu avais préféré ne pas renchérir sur quoi que ce soit en réalité. Vìrin était de retour auprès de toi, cette sale bête désobéissante, et c’est tout ce qui comptait. Hors de question qu’elle te soit dérobée à nouveau. Hors de question qu’elle tombe victime de peureux. Et hors de question qu’elle tombe victime des drogues. Tout du long du chemin, ton attention avait été partagée entre la féline et vos alentours, tes yeux scrutant tour à tour les lésions laissées par ces barbares sur l’animal et les agresseurs potentiels qui faisaient leur vie autour de vous.
T’sisra était là. Ni plus ni moins. Elle était une présence devenue trop familière beaucoup trop vite. Elle te suivait avec la nonchalance de ces gens habitués à se raccrocher à des groupes changeants au fur et à mesure de leurs pérégrinations. Pour autant que tes pupilles glissent régulièrement vers elle, la seule raison pour laquelle tu la trouvais effrayante, paradoxalement, c’était qu’elle ne le soit pas.

Sans jamais priver la Faïra du contact de tes deux mains à la fois, tu avais fini…vous aviez fini par enfin rallier les frontières extérieures de l’immense Cité de Thaar, de l’autre côté des bidonvilles. Les paysages bucoliques, semblables à ce que serait un oasis aménagé se déployant devant vous, intellectuellement tu les savais appartenir à la Principauté, et tu les savais caractéristique de cette partie des contrées Vaanies. Tu avais même pu les observer de loin au moment de votre voyage en bateau. Mais après des jours enfermé dans la ville la plus anxiogène que tu n’aies jamais connu, la brise d’été te paraissait presque aussi fraîche que celle des montagnes.
Libéré de l’effervescence urbaine, tu profitais du reste du chemin pour défourailler ton sceptre, et sans complètement t’arrêter, simplement en ralentissant quelques peu le pas, tu continuais par ta magie de rendre de ses forces à ta partenaire. Au fur et à mesure que vous vous approchiez des berges du delta de l’Oliya, l’animal marchait de plus en plus droit, et tu semblais par la même occasion retrouver autant de ton énergie et de ta sérénité.

- Elle semble plutôt bien s’accommoder de ta présence.

Ce que tu partages à la drow te surprend toi-même. Tu aurais imaginé ta partenaire devenir de plus en plus agressive avec T’sisra au fur et à mesure qu’elle retrouvait du poil de la bête. Tout du long tu avais été prêt à la contenir, elle était une monture de guerre après tout, et des drows elle en avait mis à mort plus que tu ne pouvais le compter sur une main… mais la proximité de la brune ne semblait pas l’inquiéter le moins du monde. Sa pulsation était régulière, apaisée – du moins autant qu’elle pouvait l’être en terre inconnue – ce qui finalement t’était immensément rassurant. Après tout, lorsqu’il fallait identifier qui étaient les gens de confiance, Vìrin avait toujours été une mesure efficace.

- On devrait être tranquilles là-bas. du nez tu désignes une plage de rochers plongeant dans un bras d’eau claire, visiblement éloigné des routes passantes

En quelques minutes vous y étiez.
Une de plus et Vìrin s’était trouvé une place sur un rocher plat.
Une de plus encore et tu avais retiré ta tunique pour profiter de la fraîcheur du bord de l’eau, appuyé contre l’animal.
Trente secondes de plus, parce qu’une minute aurait certainement été de trop, tu tendais à ta camarade le fameux livre, non sans dissimuler quelques réticences. C’était un livre d’anatomie comparée, mais il restait la production d’hommes de science Nisétiens. Tout ce qui y était dit n’était pas particulièrement reluisant, en particulier lorsqu’étaient abordées les expériences ayant mené aux conclusions présentées. Autant de choses que les scientifiques d’Anaëh ne s’autoriseraient jamais à faire, et feraient semblant de ne jamais avoir pensées.

- S’il y a quelque chose que tu as du mal à comprendre, je suis là. tu proposes, le regard porté vers le fleuve, et les doigts s’affairant à défaire ta longue tresse Les méthodes d’apprentissage de l’oliyan chez nous sont assez vieilles pour qu’il y reste encore des traces du Nisétien. tu ris

Ta respiration ralentit. Ton regard devient plus contemplatif. Ici dans cette nature muette, tu essaies de te reposer de l’étouffante urbanité Thaarie. Et tu comprends soudain mieux ce que peuvent ressentir les Noss au sein des Cités.

Sur le chemin, T’sisra ne s’était pas épanchée outre mesure. À vrai dire, elle était même restée plutôt silencieuse et observatrice. Les quartiers thaaris défilaient les uns après les autres, et ce qu’elle y voyait l’intriguait autant que d’autres choses l’agaçaient profondément. Les étals, parfois resplendissant d’épices colorées, de poteries, bijoux ou décorations, exposaient le travail d’orfèvres et d’artisans de talent, puis laissaient place à des commerces moins reluisants comme l’esclavagisme par exemple. Plus loin encore, la richesse apparente s'effaçait au profit de petites ruelles insalubres, semblant être devenues le lieu d'habitation des plus pauvres. Thaar elle-même était une pièce de monnaie, une pièce possédant deux revers bien différents.

Lorsque Noruì eut commenté l’absence de réaction du fairä quant à sa présence, la daedhelle s’était contentée de lui dire qu’elle avait toujours aimé les animaux, et qu’en règle générale, ils ne lui en faisaient pas voir de toutes les couleurs. Ce qui lui rappelait le cheval qu’elle possédait cinq ou six ans auparavant, lorsqu’elle était venue jusqu’ici. T’sisra avait dépeint l’équidé comme un animal brave, qui l’avait portée jusqu’aux confins des Terres Stériles, mais n’en était malheureusement jamais revenu.

Approchant d’un endroit que le taledhel jugeait convenable, ils coupèrent court à cette histoire de monture équine.

- On devrait être tranquilles là-bas.

Plus que tranquille en effet. D'un coup d’œil par-dessus son épaule, T’sisra distinguait quelques habitations éparses un peu plus loin dans le paysage. Sans doute appartenaient-elles à des fermiers, des cultivateurs ou bien même des pêcheurs, compte tenu de la proximité avec l’un des bras du delta oliyan.
Revenant à un Noruì qui lui proposait son livre ainsi que son aide, tout en se trimballant à moitié à poil, la noiraude se confortait dans l’idée que les elfes devaient facilement être perçus comme des drôles de personnages par ici.

- Je doute que se balader à moitié à poil à la mi-journée, surtout en plein été, soit une excellente idée. Même pour un elfe. Si vous parvenez à éviter l’insolation, vous allez ressembler à une écrevisse d’ici deux heures, fit-elle sur un ton léger, mais sentant la nécessité d’en rajouter une couche derrière, elle s’empressait d'insister, et puis la route n’est pas si loin que ça non plus, mh ?

Le livre en main, elle s’installa sur le rocher plat le plus proche, à peine à quelques pas de celui où trônaient Vìrin et Noruì, pour commencer à le feuilleter avec précaution.

- Enfin... Vous faites comme vous voulez. Concéda-t-elle dans un haussement d’épaules avant de se plonger vraiment dans l’ouvrage. Ça ne m’a pas l’air d’être l’exemplaire original, à vrai dire, je doute qu’ils s’en seraient séparés s’il l’avait été.

Tournant les pages les unes après les autres, elle constatait, une fois de plus, qu'aucun de ses symboles n’avait des sens à ses yeux, et les mots qu’ils formaient encore moins. Plus étrange encore, ils ne ressemblaient pas particulièrement à ce qu’elle avait pu voir ce matin dans d’autres livres. De son sac de cuir, elle tirait un épais bouquin dont la couverture abîmée dénotait à la fois de son ancienneté et de sa robustesse, que des épreuves par lesquelles il était passé. La daedhelle l’ouvrit directement à la page qui l’intéressait afin de comparer les symboles avec ceux de ce traité d’anatomie.

- Ça n’a pas l’air d’être ce que je cherche. Commenta la nécromancienne un brin dépitée. Ça y ressemble, certes, mais… Je ne sais pas.

À mesure qu’elle tournait les pages du livre de l’elfe, à la recherche d’autres éléments de comparaison, son air circonspect devenait de plus en plus perplexe, puis sans prévenir, elle referma son grimoire et le rangea aussitôt dans son sac. T'sisra faisait partie de ces mages qui n'exposent pas leurs recherches, à qui que ce soit, et préférait ainsi ne laisser les yeux d'aucun étranger se poser sur le contenu de son grimoire.

- J’imagine qu’il fallait bien s’y attendre. C’est le problème avec les langues mortes, difficile de trouver des sources fiables à coup sûr. Savez-vous de quand datent les écrits de ce livre ? Demanda-t-elle en le soupesant. Je commence à me dire que ce que je cherche est trop ancien ou trop particulier, même pour la Grande Bibliothèque de Thaar.

La mémorable maîtrise verbe de Dagobert lui revenait en tête en des termes forts bien compréhensibles : « Cette fois, c’est sûr, j'l'ai dans l’cul. ».

Le soleil de Thaar… tu as déjà connu bien pire. Les hivers Daranovans ne sont peut-être pas exactement chauds, mais entre les rayons frappant la montagne et leurs reflets renvoyés par la neige et la glace, de manière insidieuse, dissimulée par le froid, la brûlure de l’astre du jour était bien pire. Et aucun adulte n’en avait jamais souffert. C’était là l’un des avantages de votre race.
De toute façon, vu l’épaisseur du tissu de la tunique que tu venais d’enlever, ce n’est pas elle qui t’aurait sauvé du soleil.

- Et puis la route n’est pas si loin que ça non plus, mh ?

- Je ne vois pas le problème. tu réponds aussi légèrement qu’elle avait engagé la conversation Ce ne sont pas deux yeux qui me feront fondre.

Mais si elle s’en inquiétait tant que ça, tu pouvais au moins la rassurer quant au devenir de ta peau. Tes mains plongent dans ta sacoche, fouillant à la recherche d’une petite fiole de verre, que tu extirpes du sac avec satisfaction. Tes doigts jouent un instant avec le récipient de la substance couleur de miel, et quand ils en ont fini, tu apportes la fiole ouverte jusqu’à tes narines. L’odeur fleurie et sucrée t’arrache un rictus satisfait, après quoi toujours dans cette même bonne humeur, tu verse un peu de l’huile sur chacune de tes mains.
Avec une solennité hurlant ton besoin de te détendre, tu t’appliques le produit sur le visage, les bras et le torse, t’offrant toi-même un léger massage par la même occasion. Plus difficilement – et pour le faire tu es obligé de te lever – tu soumets ton dos au même traitement. Tu inspires longuement, tu expires lentement, et tu cueilles une chaleur solaire devenue presque agréable sur ta peau aux dorés renforcés.

- Si tu cherches des ouvrages plus anciens que celui-ci effectivement tu risques d’avoir du mal. tu défais tes guêtres en même temps que tu lui parles Enfin, je dis ça mais en réalité, je n’ai aucune véritable certitude de l’âge de ce livre-là. Mais j’imagine que vu la langue dans laquelle il est écrite et les sujets abordés, il doit dater de quelque part entre le 8e et le milieu du 10e Cycle. Plutôt entre mi 9e et mi 10e d’ailleurs.

Ce qui te servait de chausses dénoué, tes doigts viennent se poser à la ceinture de ton pantalon… et pendant quelques secondes, tu débats avec toi-même de la suite. Est-ce que le livre, même loin de ce qu’elle cherchait, occuperait assez T’sisra pour qu’elle ne trouve rien à redire ? Tu en doutes, pour le peu de temps que tu avais passé avec elle, il te semblait bien que T’sisra trouverait toujours quelque chose à redire. La question serait donc plutôt de savoir l’importance que tu accordais à ce qu’elle avait à redire. Tu claques de la langue, ta décision prise, après Thaar, tu avais bien mérité de prendre un peu tes aises.

- Vu la réputation de Nisétis auprès des autres peuples, il y a de grandes chances que la majeur partie de son savoir ancestral ait été réduit en cendres.

Tes doigts terminent de défaire tes ceintures, et pantalon, sacoche et guêtres trouvent leur place auprès de ta tunique. Le temps de soumettre tes jambes au même traitement que le reste de ton corps, tu t’allongeais, reposant ta tête contre le flanc du félin lové au sol dans son oreiller de cheveux blonds désordonnés, et profitant pleinement pour la première fois du climat Vaani sans arrières pensées négatives.

Et Vìrin se mit à ronronner.

La daedhelle tournait les pages de l’ouvrage, une à une, avec la lenteur de la lectrice qui écoute et réfléchit plus qu’elle ne lit réellement. De toute manière, la noirelfe ne comprenait pas un traître mot de ce foutu livre, en revanche, les quelques croquis possédaient un certain intérêt. L’auteur de cet ouvrage « scientifique » avait dû découper autant d’elfes et de drows que d’humains. En revanche, les recherches concernant les nains étaient très loin d’avoir été développées. Sans doute le manque de sujets d'études.

- Mh, aux alentours du cycle dernier en somme. Souffla T’sisra en acquiesçant doucement, sans que son attention ne quitte les écrits. Je pense que c’est assez éloigné de ce que je cherche. À vrai dire, je suis déjà incapable de dater le peu d’éléments de comparaison que je possède, mais j’ai la ferme conviction que c’est très, très ancien.

Ses doigts tapotaient à un rythme régulier la dernière page. Ses recherches à la Bibliothèque de Thaar semblaient d’ores et déjà compromises. Et le peu d’anciens textes qui l’intéresseraient à coup sûr ne lui seraient peut-être même pas accessibles. La noiraude n’en aurait ni les moyens, ni le pouvoir ou la crédibilité requise.

- Vu la réputation de Nisétis auprès des autres peuples, il y a de grandes chances que la majeur partie de son savoir ancestral ait été réduit en cendres.

Opinant à nouveau du chef, elle ne quittait plus de ses pensées. Si Thaar n’était pas la solution, Nisétis pourrait-elle l’être ? Impossible. Combien de cupides explorateurs avaient déjà tenté leur chance ? Combien d’entre eux n’en étaient jamais revenus ? Rien que d’envisager l’idée de se rendre dans cette cité maudite lui arracha un frisson. Tout le monde craignait ces ruines, même les drows, et à raison. D’autant que d’après certains ragots, un dragon se serait dirigé vers l’Est. Quand bien même la rumeur lui semblait difficile à croire, cela faisait toujours une raison de plus de ne pas se lancer dans une expédition de ce genre.
En fin de compte, elle ne voyait pas d’autres solutions, mis à part… Prendre la route pour Naélis.

- J’ai peut-être bien une idée tout compte fait. Oui, je sais où mettre la main sur des écrits nisétiens de la première heure ou au m…

T’sisra s’interrompit pour se redresser d’un coup et pointer le taledhel du doigt.

- Là, je ne suis pas du tout d'accord. Trancha la drow en signifiant justement de l’index ledit désaccord. À moitié pourquoi pas, mais complètement non. Remettez votre pantalon. Un peu de pudeur, voyons… Soupira-t-elle en secouant la tête. Aller, dépêchez-vous d’enfiler ça.

La daedhelle désignait le tas de vêtements de Noruì de l’index, jetant un coup d’œil aux alentours.

- Votre compagnonne féline attire déjà bien assez l’attention pour que vous en rajoutiez une couche Noruì. Et puis, merde, un peu de pudeur enfin !

Des écrits Nisétiens de la première heure… des écrits Nisétiens de la première heure… probablement pas. Même lui n’en possédait probablement pas. Nul doute par contre que le Nisétien de la dernière heure, s’il devait croiser des ouvrages écrits dans la vieille langue, soit capable de les traduire. Peut-être y avait-il finalement autre chose à tirer d’une amitié avec Nakor que des maux de crânes et des moments aussi embarrassants qu’attendrissants.

- Ne… ton cœur saute un battement, et tes sourcils auraient décollé s’ils n’étaient pas aussi durement fixés sur ton visage C’est bon ! Un peu de calme !

C’est moitié amusé par sa réaction, moitié agacé par ton moment perdu que tu te saisis de ton pantalon. C’est sans le moindre enthousiasme que tu l’enfiles, te préparant mentalement à subir durant les prochaines minutes la désagréable sensation du tissu frottant contre une huile que ta peau n’avait pas encore entièrement absorbé. Tu serais poisseux quelques temps, mais il faudrait t’y faire.

- Après m’être autant fait traiter de coincé d’elfe dans les rues de Thaar, j’aurais pas pensé qu’un peu de peau poserait autant problème. tu soupires à ton tour et marmonne dans la barbe que tu n’as pas C’est bien la peine de se faire tailler des sous-vêtements…

Toute démonstration d’égo mise de côté – parce qu’il ne servait à rien de se voiler la face, s’exhiber dans des sous-vêtements taillés comme les tiens en était une – après ce que tu avais vu et entendu de Thaar, tu n’aurais pas imaginé la moindre personne ici trouver offense à ce que tu te dénudes pour profiter du bord de l’eau. Parce que ce n’était pas quelque chose de bien exceptionnel là d’où tu venais… et malgré tout, c’étaient vous les elfes qui portiez la réputation de créatures pudiques à l’excès.

Tu laisses lourdement tomber ton postérieur sur un rocher proche plutôt que de t’allonger à nouveau contre la faïra, une jambe pliée, à moitié ramenée contre ta poitrine tandis que l’autre pendait dans le vide. Ton regard se tourne vers la daedhelle à tes côtés, à la fois inquisiteur et toujours marqué par la surprise.

- Dis-moi. le ton est joueur, presque amical C’est comme ça chez les drows ?

Parce que si tu n’aurais pas imaginé que les Vaanis accorde tant d’importance à la presque nudité d’un corps, que la remarque vienne d’une drow t’était plus étrange encore. Mais tu ne savais rien de la culture Eldéenne en réalité. Rien d’autre que ce qu’en racontaient des prisonniers de guerre trop peu bavards, les spéculations d’elfes les ayant croisé dans les terres mortelles, les spéculations d’elfes qui comme toi ne les connaissent que de la guerre et les illusions du Mage d’Ombre réfugié. Voilà trois siècles que l’image des drows en tant que créatures chaque seconde victimes de leur emportement, presque incapables de se tempérer et cultivant cet état de fait se cimentait dans le folklore Sylvain. Peut-être au contraire étaient-ils encore plus comme vous que tu ne le suspectais. Peut-être au contraire étaient-ils encore plus comme vous qu’Haldren ne te l’avait fait réaliser. Peut-être eux aussi luttaient-ils contre des passions difficiles à contenir. Plus difficiles encore à contenir que les vôtres. Et s’ils luttaient, alors cultiver la pudeur aurait tout son sens.

- À quoi est-ce qu’elle ressemble exactement, était-elle si abjecte que ce que le réfugié t’avait présenté la vie en Elda ?

Jetant un dernier regard aux alentours, vides à son grand soulagement, pendant que son comparse daignait finalement se rhabiller, au moins à moitié, la daedhelle déposait le livre d’anatomie comparée sur le rocher, près de la tunique.

- Dis-moi. C’est comme ça chez les drows ?

- Comment ça, « comme ça » ? Demanda la daedhelle avec un sourcil arqué.

- À quoi est-ce qu’elle ressemble exactement, la vie en Elda ?

La noiraude croisa les bras, pas certaine de savoir exactement ce qu’il attendait comme réponse. L’Elda. Si paradoxalement, peu de temps s’était écoulé pour son espèce aux racines elfiques, depuis son départ elle avait vécu tant de choses qu’il lui sembla qu’une éternité s’était déjà écoulée.

- Cela fait bien… Sept ou huit ans, que je suis partie. Quelque chose comme ça, oui. Commença-t-elle dans un haussement d’épaules. Je ne saurais vous dire à quel point les choses ont changée depuis, ou pas. Et de toute façon, je doute être la mieux placée pour vous parler du Puy.

La noirelfe se désigna des pieds à la tête d’un geste de la main.

- La moitié des personnes que je rencontre me prennent pour un demi-sang. Et au Puy, avoir une peau aussi claire que la mienne, des cheveux noirs de jais et des yeux bleus, ça n’est pas le meilleur moyen de s’intégrer à la société. Souffla-t-elle avec un sourire en coin. Cependant, j’ai été la fille d’un puysard fortuné et d’une mère qui a su faire des pieds et des mains pour me placer. J'étais considérée comme une faern, cela a aidé. C’est assez paradoxal dans une société aussi pyramidale qui se veut méritocratique, mais c’est ainsi.

La noiraude prit place sur le rocher à son tour. Les souvenirs du domaine Do’ath lui revenaient en mémoire, c’était là qu’elle avait vécu principalement, un siècle durant.

- Disons que je n’ai jamais été réellement acceptée par mes pairs, donc en dehors de mes études, je ne fréquentais personne. Les réunions religieuses, l’éducation au sexe, les orgies et autres activités, je n’y participais pas. Déclara la drow sur le ton de l’évidence. Vu ce à quoi je ressemble, mon père avait capitalisé sur le fait de me transformer en prédateur pour mon prochain, en espérant qu’ainsi je ferai tout de même rayonner notre nom dans la société. Elle eut un léger rire, qui s’évanouit rapidement alors qu’elle secouait la tête. J’ai eu un train de vie qui s’apparente plus à celui d’un Homme que celui d’un Drow. Je n’ai fait presque rien d’autre qu’étudier et progresser dans la voie que mon paternel avait choisie pour moi. Et sur le temps libre que j’avais, étant donné que je ne sortais que très rarement du domaine, j’étudiais, je m’entraînais ou je passais du temps avec Balir.

T’sisra marqua une courte pause. Sans aller en profondeur, le tableau était dressé et cela justifierait au moins sa réponse.

- Alors, quant à savoir comment on vit au Puy, je ne suis pas la mieux placée pour vous répondre. Qui plus est, au vu de ma position concernant les dieux et les dogmes, je serai considérée comme une hérétique. Conclut-elle dans un haussement d’épaules, en jetant un regard à son comparse avec un sourire discret. Mauvaise pioche.

Les cheveux noirs, la peau claire, les yeux bleus… tu en as vu d’autres des comme elles. Des drows d’Elda, ou du moins tu en avais toujours été persuadé. Certes, ils n’étaient pas nombreux, mais tu n’aurais jamais imaginé que cela suffise à justifier la quarantaine sociale. Comme quoi les racontars n’étaient pas tous faux. Cette citadelle fumante de douleurs passées, présentes et futures c’était le véritable Elda.

- Tout ça n’a pas l’air bien réjouissant. tu souffles un soupir las Je me demande bien combien de drows osent encore rêver un monde moins cruel. tu regardes vers le ciel Plus j’en apprends sur l’extérieur et plus je me dis que j’ai de la chance d’être né chez les elfes. Chez nous on n’a pas à se battre pour exister. On a la chance de se voir offerts le Choix de ce que l’on veut faire de nos vies, pour peu que l’on apporte notre contribution à la vie des Cités.

Tu te gardes bien de t’emporter face à elle, mais pour le peu qu’elle en avait exprimé, tu n’aurais pas le moindre mot suffisant à décrire à quel point exécrable était à tes yeux une société où il était acceptable… louable même ! de transformer des enfants en prédateurs. Et pourtant tu étais Daranovan. Originaire du seul Protectorat d’Anaëh forçant un service militaire.

- Et puis… j’imagine que la réciproque est aussi vraie,qu’un Eldéen trouverait aussi révoltante la manière dont j’ai été élevé… mais je ne peux pas m’empêcher de trouver ça sidérant. Qu’on apprenne à des enfants à se défendre je conçois, mais à écraser jusqu’à leurs propres congénères ? tu claques de la langue retrouvant complètement ton calme par la même occasion Enfin…

Elle ne semblait pas particulièrement porter ses origines en son cœurs, mais ses origines restaient ses origines. L’adage veut que l’affection pour les lieux de notre naissance ne meure jamais entièrement. Tu ne sais pas à quel point le Puy est encore précieux aux yeux de T’sisra. Tu aurais aussi bien pu déjà l’avoir vexée depuis bien longtemps… seulement elle ne te paraissait pas le genre à faire un scandale d’avoir été vexée.

- À la fin il en ressort un peuple assez fort pour terrifier tout Miradelphia, donc on ne peut pas vraiment dire que ça ne marche pas. tu hausses les épaules et les laisses retomber aussi vite Mais sinon, je ne sais pas s’il faut bien le prendre venant de moi, mais dès le départ, tu m’as eu l’air d’une drow tout ce qu’il y a de plus authentique. le coin gauche de tes lèvres remonte Juste un peu jeune.

De jeunes drows dont les cheveux n’avaient pas encore complètement blanchi et les cheveux complètement rougi… tu en avais remis à la terre. Tu en avais remis plus à la terre que la raison ne le voudrait. Cette guerre entre cousins était décidément absolument atroce… ce qui ne t’empêchait pas de profondément désirer la gagner. C’était après tout pour faire un pas vers votre victoire que tu étais ici.

- Mais attends un peu ! tes sourcils se soulèvent Qui est-ce exactement, ce « Balir » ?

T’sisra s’amusait des conclusions et des opinions du taledhel, et avant d’aller plus loin dans la conversation, elle désigna sa longue chevelure de l’index pour revenir dessus.

- Je devrais avoir les cheveux blancs depuis longtemps maintenant, simplement, ils ne blanchissent pas. C’est comme ça. Déclara-t-elle dans un haussement d’épaules. Et Balir, c’est mon père. Il n’est pas mon géniteur, mais c’est la figure la plus paternelle que je connaisse.

La daedhelle dressa ensuite l’index. Elle trouvait toujours saisissant les rapports qu’avaient les étrangers aux drows. Ce n’était, après tout, qu’une vérité parmi d’autres, mais le problème est toujours là : Combien y en a-t-il de ces vérités ? Et laquelle est la vraie ? S'il y en avait une.

- Quant au Puy, je ne l'apprécie pas particulièrement, mais ce n’est pas forcément si affreux. J’ai vécu là-bas, j’y ai grandi et étudié, c’était ma normalité. Ce qui rend l’endroit particulièrement dangereux, c’est lorsque votre vision des choses va à l’encontre des principes qui font la norme. Puisque vous vous exposez dès lors à des représailles. Tout est une question d’idéologie, au même titre, et ça ne m’a pas étonnée de l’apprendre, qu’entre eux, les elfes se sont battus, se battent et se battront encore. La noirelfe pencha légèrement la tête sur le côté et plongea son regard dans celui de son interlocuteur. Et les drows ne terrifient le reste du monde que parce qu’ils sont les plus ouvertement violents. Mais c’est dans notre nature à tous, la seule différence, c’est qu’eux l’ont acceptée au point de la revendiquer, alors que d’autres la cache derrière des idéaux et les carcans imposés par leur société et leur culture. Mais au fond, Drow et Elfes sont aussi violents les uns que les autres, tout comme le sont les Hommes et les Nains.

La noiraude marquait une courte pause. Elle avait pensé, il y a des années, trouver des peuples qui fonctionneraient autrement, mais tous partageaient sensiblement des traits communs qu’ils se reprochaient les uns aux autres.

- Chacun vit dans un paradigme, que l’on partage avec plus ou moins de nos congénères. Alors oui, les peuples partagent une culture et des valeurs communes, ce qui explique que la vision d’un autre peuple avec des valeurs et une culture bien différentes peut se traduire en une incompréhension catégorique, un dégoût immuable. Et ça se comprend, c’est normal. Alors on se complaît à définir qui est dans le camp du bien et qui est dans l’autre, et ça justifie tout. Ainsi va le monde, et ce pour quoi passent et trépassent les mortels. Conlut la daedhel avec un sourire en coin. Donc, oui, je comprends que vous puissiez ne pas apprécier les eldéens, mais... Qui de ceux qui se sont sentis abandonnés et trahis ou bien ceux qui sont restés fidèles à leurs principes il y a des cycles ont raison ? Vaste question, qui malheureusement n’appelle pas de réponse. En revanche, ce que je peux affirmer sans craindre de mentir, c’est que ce sont deux idéologies qui s’affrontent. Et les idéologies ne saignent pas.

- Et ainsi la guerre continua jusqu’à la fin des temps. tu ris, moitié amusé Sacrée vengeance tout de même.

Ton regard se porte sur l’eau s’écoulant vers la mer. Un jour les mêmes gouttes d’eau se retrouveraient en surface de l’océan, le soleil les y arracheraient, les vents les pousseraient jusqu’à l’intérieur des terres, la montagne les accueillerait, elles en traverseraient le sol jusqu’à la rivière, la rivière en rejoindrait une autre, les torrents rejoindraient l’Oliya, et les gouttes d’eau repasseraient à nouveau ici. Plusieurs fois transformées, mais au final inchangées, condamnées à répéter à l’infini le même schéma jusqu’à ce qu’un jour elles soient faites autre chose que « de l’eau ».
Les guerres faisant rage en Péninsules étaient presque du même acabit. La guerre entre vous et vos cousins d’Elda était exactement cela. Le jour où la guerre entre elfes et drows cesserait, c’est que l’un de vos peuples, d’une manière ou d’une autre, aurait cessé d’être.

- Par contre, de là à dire que tous les peuples sont aussi violents les uns que les autres… j’ai mes réserves. Que l’on dise que tous sont capables des mêmes violences, je veux bien l’accorder, mais de là à séparer complètement ce que l’on est de ce que l’on veut être, je pense que c’est aller un peu trop loin. On n’est finalement jamais aussi violent que l’on ne s’accorde de l’être. Le simple fait que l’on choisisse de ne pas se laisser aller à de potentielles pulsions destructrices devrait à mon sens avoir ne serait-ce qu’un peu de poids dans la balance. tu souffles Que l’on considère toutes les races être ou pas toutes aussi violentes les unes que les autres, peut-on vraiment dire de celles qui ont choisi de se contenir qu’elles ne – à défaut d’une meilleure formulation – valent pas mieux que celles qui se laissent joyeusement aller à détruire sans arrière-pensée ?

L’idée t’interloque. Défendre une idéologie violente était une chose ; défendre une idéologie violente à l’excès en était une autre. L’Elda, même s’il était la normalité de ceux qui y vivent, tombait aisément dans le second cas. Et que leur quête de vengeance soit justifiée ou pas par le tort causé il y a des temps immémoriaux, tu peines à voir en quoi leur manière d’exécuter leur vengeance était défendable. Si la descendance ceux qui avaient été fait exilés autrefois après avoir semé la mort au sein de leur propre peuple était toujours ici à ce jour, c’était après tout que la magnanimité des traîtres d’autrefois avait été assez grande pour qu’ils ne fussent pas exécutés. Aujourd’hui, de cette magnanimité les drows ne rendaient rien, choisissant au contraire de lever les armes contre des peuples entièrement étrangers au conflit qui leur a donné naissance. Aujourd’hui les drows étaient un fléau qui s’il n’était pas contenu, arriverait à bout de leur propre existence… comme risquaient d’une toute autre manière de le faire les humains.

Les combats que menaient les drows entre eux et contre le reste du monde n’étaient en rien comparables à ceux qui opposaient les elfes. Du moins s’ils l’étaient dans ce qui en était l’origine, ils ne l’étaient pas en magnitude. Pour autant que les conflits entre Taledhels et Ornedhels fassent énormément jaser, le fait qu’ils fassent autant jaser malgré le peu de morts dont ils sont à l’origine est la preuve s’il y en a de la discipline à laquelle s’astreignent les deux faces de ton peuple. Vous ne tuez pas sans que vous n’y perceviez urgence. Chez vous la mort a une importance et la vie une valeur. Une valeur que l’on ne peut pas se permettre de négliger ou de s’approprier sur un coup de tête.

- La violence sans brides n’a pas sa place dans la nature. ton regard retrouve enfin complètement celui de T’sisra Après tout, le leomenis repu ne chasse pas. tu souris Mais j’imagine qu’à ça on pourrait répondre que certains sont simplement élevés dans une faim qui m’est incompréhensible sans être illégitime tu jettes un caillou dans l’eau et gagner des points auprès de quelque grand philosophe.

La noirelfe se contenta d’un haussement d’épaules un peu exagéré.

- À l’échelle d’un royaume, la violence contenue est un mensonge, elle est simplement dirigée. Si les uns ne souffrent pas de la colère de tel peuple, c’est parce qu’il n’a pas d’intérêt à se montrer belliqueux à ce moment-là. Quand je les dis tous sont aussi violents les uns que les autres, c’est parce que chacun trouvera la justification morale de s’adonner à une violence au moins aussi impressionnante que celle de son adversaire. Je ne vois pas pourquoi émettre un jugement de valeur à ce sujet et à une telle échelle. Je pense que chaque « idéologie », fit-elle en mimant les guillemets, peut se comprendre. Après, qu’on y adhère ou pas, c’est encore un autre débat, puisqu’à ce moment-là, il faudrait prendre en considération des jugements de valeur. Et ça…

T’sisra laissa échapper un rire discret et détaché. Cette discussion lui rappelait étrangement les grands débats de Dagobert, ainsi que les prises de position de Garrick. Se fendant d’un sourire, elle jeta un nouveau coup d’œil par-dessus son épaule.

- Et vous savez, les eldéens ne détruisent pas particulièrement sans arrière-pensée. Leur façon d’être et d’agir n’est pas aléatoire. Leur violence n’est pas sans bride non plus. Leur contrat social est simplement bien différent de celui que vous connaissez.

La noiraude descendit du rocher, son regard était passé de l’elfe au fairä paisiblement allongé et profitant des embruns du delta.

- Enfin, si ça ne tenait qu’à moi, j’aurais fais la paix avec le reste du monde il y a longtemps. Souffla la drow avec un air amusé. Ces guerres là me fatiguent, je ne peux pas dire qu’elles soient stupides, puisqu’elles sont motivées et légitimes pour ceux qui les font, alors je me contente de trouver ça dommage et un peu triste. Mais c’est ainsi que va le monde, et qu’il continuera d’aller.

L’image du Dagobert lui revient encore une fois en tête, la daedhelle finit par rire pour de bon. D’ordinaire, ce genre de discussions ne se faisait ni au bord de l’eau ni avec des elfes, mais plutôt avec des soulards dans les tavernes et auberges.

- La philosophie de comptoir… Il ne nous manque que quelques bières et deux ou trois compagnons humains assez ridés qui puissent nous expliquer pour quelles raisons les choses étaient mieux durant leur jeunesse, et le tableau serait parfait. Et, évidemment, cette opinion n'engage que moi. Conclut la noirelfe en opinant du chef avec un sourire plus franc que d'habitude.

La violence n’est pas contenue, elle est dirigée. Voilà une idée travers laquelle on pourrait aisément refaire le monde… et que tu avais tous les maux du monde à accepter. À l’échelle d’un royaume, que la violence ne puisse jamais qu’être dirigée laisserait à penser que la paix n’amènerait jamais que d’autres formes de conflits – ce qui n’était pas totalement faux – la paix après tout permettait de penser, et penser créait inévitablement des désaccords. Mais pouvait-on déjà dès lors parler de violence ? Au même moment, qu’un peuple victime d’une guerre forcée à ses frontières choisisse de défendre sa vie était-il suffisant à le qualifier de violent ? Peut-on même parler de justification morale lorsqu’il s’agit ni plus ni moins que d’une question de vie ou de mort ?

Les Premiers-Nés eux-mêmes tueraient pour protéger leurs vies. Sont-ils pour autant moraux ou violents ?

Qu’est-ce que la violence ?

T’sisra rit face à ta perplexité, et face à son rire tu souffles du nez comme un bovin agacé. Elle ne comprendrait probablement jamais entièrement d’où tu viens ni le message que tu voudrais lui faire passer, et réciproquement, tu ne pourrais jamais pleinement t’imprégner de ce que lui avait offert son expérience de vie. De la même manière que tu ne pouvais que te tromper en te tentant à expliquer les drows, elle ne pourrait pas mettre le doigt sur ce qu’étaient véritablement les idéologies elfiques. Mais au moins vous étiez d’accord sur deux choses fondamentales : les guerres lorsqu’elles font rage sont épuisantes… et un peu d’alcool n’aurait pas été de trop.

- J’espère bien qu’elle n’engage que toi. tu rends son sourire à la puysarde Parce que je connais des elfes au visage lisse comme celui d’un bébé qui feraient passer les récits de jeunesse de tes compagnons humains pour l’information du jour ! tu soupires en direction du fleuve Et manqueraient probablement de vomir avant de terminer leur histoire. tu ris doucement

Une longue mèche de cheveux frisés vient t’obscurcir le regard. Il y avait de ça, aussi, parmi les raisons pour lesquelles tu tenais Thaar à ce point en horreur après seulement quelques jours. Ta couverture ici te permettait de quelque peu réchapper à tes obligations en tant que Roi… mais tu n’avais personne avec qui le partager. Ou du moins, pas les personnes que tu voudrais. Lyorindel est comme un petit frère, Aegden est un ami, mais avec aucun d’eux tu ne partages le même passif qu’avec tes amis d’enfance. Les remarques pince-sans-rire de Maltlin et les plaisanteries stupides de Cìryon te semblent remonter à beaucoup trop loin. Le Trône t’a éloigné d’eux. Descendre du Trône aurait dû te rapprocher. Mais Thaar t’avait définitivement arraché.

- Tu me diras que c’est triste de dire ça après une discussion aussi éclairée, tu offres un sourire légèrement caustique à ton accompagnatrice mais plus le temps passe et plus j’ai hâte d’être rentré chez moi. Même dans mes pires cauchemars je n’aurais jamais imaginé que la tu lèves les mains pour dramatiser les prochains mots « face sombre » de Thaar puisse être aussi… aussi déprimante. Un peu de liqueur ne serait définitivement pas de trop !

Tu ris pour ne pas pleurer. Thaar, ou comment être déçu par une Cité dont on n’attendait absolument rien.

- Et je vous comprends. Pourtant, j’essaye de faire des efforts. J’essaye de voir le bon côté des choses, en général, mais avec Thaar, c’est difficile. Elle est à la fois époustouflante et répugnante. Cette cité cristallise à la fois beaucoup de ce que j’apprécie et de ce que je déteste le plus.

La daedhelle aimait voir cohabiter les races et les sangs-mêlés, l’aspect cosmopolite de Thaar était une chose qui lui apparaissait comme formidable. Malheureusement, les mentalités viciées par la cupidité et la marchandisation excessive avaient tendance à la désespérer. Et faire comme si cette « face sombre » n’existait pas lui était assez difficile.

- Je ne peux pas me mettre à votre place, mais du peu que j’ai vu de l’Anaeh, je sais que le cœur du monde y bat. Affirma la daedhelle sans que sa voix ne trésaille une seule seconde. Alors Thaar doit vous sembler être un furoncle mal placé. Mais, si votre maison vous manque tant, pourquoi ne pas simplement rentrer ? Quand bien même vos spectacles plaisent à votre Princesse-Marchande… Miyana Lati… Milynéa Lythandas… Avança-t-elle en se remémorant le nom qu’il lui avait donné. Elle trouvera bien autre chose pour se divertir. Et de toute façon, sans vouloir dénigrer vos talents, ces gens se lassent aussi vite de ce qui leur plaît qu’ils jettent leur dévolu sur une nouvelle fantaisie.

T’sisra haussa les épaules. Après tout, au vu de ce qu’on racontait sur les puissants de cette ville, à quoi bon s’embêter à les divertir ? D’ici une ennéade, ou deux, il était plus que probable que cette Princesse-Marchande se soit acoquinée d’une autre troupe ou d’une lubie totalement différente.

- Qui plus est, reprit la drow en désignant la fairä, cet endroit n’est pas le plus adapté à votre comparse. Plus vite vous l’aurez quitté, mieux ça sera.

Pourquoi ne pas simplement partir ? Pour Artiön la raison était simple, mais alors qu’en était-il de Noruì ? Pourquoi l’acrobate dégoûté de ce qu’il avait pu croiser ici s’évertuait-il à allonger son séjour alors qu’il suffirait de tourner les talons pour quitter cet endroit maudit ? Pendant une seconde tu t’étais figé, de peur de n’avoir rien à rétorquer, et puis finalement la réponse t’était venue comme une évidence.

- C’est bête et c’est incroyablement naïf un sourire désabusé te redessine le visage alors que tu jettes un caillou de plus à l’eau mais j’ai la profonde conviction que maintenant n’est pas encore le moment de quitter Thaar. Si ce n’est qu’un peu, l’art a du pouvoir, et j’espère qu’en partageant le nôtre avec la Cité, on réussira à leur transmettre quelque chose qui un jour pourrait provoquer l’étincelle nécessaire à un feu bienfaiteur. tu ramènes un genou vers ta poitrine Et puis, en tout début de séjour, j’ai croisé deux familles d’artisans dans les bidonvilles. Et avec le talent et le cœur qu’ils ont, ils ne méritent pas d’être laissés pour compte de cette façon. Alors tant qu’à être sous la protection d’une Princesse Marchande, j’essaie de profiter de mon statut pour les aider à émerger. Je me sentirais coupable de m’en aller avant d’avoir pu en faire un peu plus pour eux.

Tu te retournes vers Vìrin, plongeant un regard sévère dans celui de la fauve. Elle couine en retour, se recroquevillant un peu plus en réponse à ton attention. Elle savait avoir fait une erreur. Elle avait désobéi à tes commandes, alors que tes commandes étaient simples. Et quelque part… tu ne pouvais pas lui en être plus reconnaissant, seulement, elle s’était mise en danger sans raison, et avait failli y perdre la vie.

- Quant à elle… elle n’aurait jamais dû quitter Anaëh. ton regard s’adoucit Mais puisqu’elle m’a suivi, je ne peux pas non plus la maintenir ici, et la renvoyer seule, ce serait risquer une nouvelle capture. tu te tournes à nouveau vers T’sisra On a un grand spectacle prévu au premier jour de l’ennéade prochaine. Ensuite, ce sera une raison de moins de s’attarder ici. tu te rapproches de la faïra pour lui flatter le flanc et lui confier en elfique Tiens bon ma belle, ce n’est qu’une question de jours.

T’sisra faisait quelques pas dans le sable tout en prêtant l'oreille à Noruì. Elle écoutait les raisons qui le poussaient à rester encore quelque temps, et qu’il qualifiait lui-même de « naïves ».La noirelfe trouvait ça plutôt « gentil ». Mais dans le fond, espérer faire changer qui que ce soit ici, c’était peine perdue, alors tout compte fait, c’était peut-être bien un peu trop candide. Ces vains espoirs lui arrachèrent un sourire. Elle s’était tournée vers l’elfe, les yeux rieurs.

- Et bien, je suis un peu plus pragmatique, alors j’en doute, mais je souhaite tout de même que vous puissiez voir vos espérances se réaliser, et qu'elle ne se révéleront pas être seulement de vaines illusions. Quant à vos artisans, soyez prudent, vous jouissez peut-être de la protection d’une Princesse-Marchande, mais pas eux. Et ici, à Thaar, les coups d’éclat et les essors attisent plus souvent la jalousie que l’admiration. Souligna la drow avec un index dressé. Surtout lorsqu’on n’est pas en mesure de se défendre. La prédation n'est pas qu'inhérente au Puy.

Les habitants de Thaar pouvaient se montrer plus retords qu’on ne pouvait l’imaginer, et elle n’avait aucune confiance en la morale des autochtones. Au contraire, elle voyait la concurrence assez rude pour se terminer très mal. Tout du moins chez les moins fortunés, car les puissants bien installés, eux, ne s’entretuaient pas pour ce qui leur semblerait n'être quelques pièces. S'ils perdaient un jour, ils retentaient leur chance le mois suivant. Tout ceci tenait presque du jeu pour certains. Après sa mise en garde, la daedhelle désigna à nouveau l’animal.

- Si je pars avant vous, puisque je n’ai plus de raisons particulières de rester désormais, je peux raccompagner votre comparse jusqu’aux frontières. Si tant est qu’elle daigne bien me tolérer, et rester dans ses forêts natales une fois sur place. Proposa-t-elle en écartant les bras à la manière d’un marchand de tapis accueillant un client. Mais je comprendrais que vous refusiez, après tout, nous ne nous connaissons qu’à peine et mes origines n’engagent pas à la confiance de s’installer rapidement. Le choix est vôtre et sien.

La jalousie. T’sisra marquait un point. Tu n’y avais jamais réellement pensé. Ces deux familles que tu aidais, là où tu y voyais dans leur potentiel succès un vecteur pour en tirer d’autres d’une situation miséreuse, Thaar verrait peut-être un coup d’éclat immérité. Au lieu de les porter et de s’élever avec eux, les bas quartiers pourraient chercher à les faire trébucher tant qu’il en est encore temps. La loi des rues de Thaar était bien plus complexe que tu ne lui en accordais le crédit.

- Je ferai de mon mieux. tu soupires En espérant que par la grâce d’Arcamenel les choses se passent au mieux.

Revenu près de ta monture, machinalement, tes mains trouvent le livre qu’avait laissé T’sisra. Tu le feuillettes rapidement alors que la presque-Puysarde continue de te parler, et le range nonchalamment dans une sacoche restée au sol quand elle termine sa proposition. Ta main trouve l’encolure de Vìrin, ton regard trouve les yeux endormis de la faïra, et tu te dis que tu aurais aimé pouvoir accepter. Vìrin serait mieux de l’autre côté de la frontière d’Anaëh… s’il on oubliait comme l’éloignement vous faisait tous les deux souffrir.

- Vìrin ne semble pas te craindre. tu confies à la daedhelle Et je lui fais confiance sur les personnes à qui elle offre sa confiance. Dans l’absolu, j’aurais voulu accepter ton front trouve celui de la fauve le temps d’une caresse mais je pense sincèrement qu’une fois hors de surveillance… ou même avant, qui sait, elle ferait le chemin retour. tu ris jaune Je pense que c’est parce qu’elle a compris mon appréhension au moment du départ qu’elle m’a suivi jusqu’ici. Elle cherche à me protéger. Pour qu’elle accepte de rentrer il faudrait que j’arrive à lui faire croire que je n’en ai pas besoin. tu hausses les épaules Malheureusement, je doute fort pouvoir lui mentir.

Mentir à un animal qui a été ta partenaire durant presque l’intégralité de sa vie, et t’a connu au plus haut de tes succès comme pendant les heures les plus graves des guerres que tu as combattu n’était pas à ta portée. Et de toi, Vìrin avait écopé de l’instinct protecteur trop obstiné qui poussait à prendre des risques parfois inconsidérés.

- Il me faudra faire quelques efforts d’organisation, mais je pense qu’il vaut mieux qu’elle reste ici avec moi jusqu’à notre départ. tu souris Et puis comme ça… si je me laisse trop aller, elle sera là pour me rappeler que je ne peux pas sauver Thaar.

L’artiste devait avoir l’habitude d’essayer de ne pas froisser ses interlocuteurs. Un simple « non » lui aurait suffit, mais ce qu’il avançait n’était pas totalement dénué de sens non plus et avait le mérite d’expliquer autant que de justifier cette décision.

- Mieux vaut ne pas mentir. Lui accorda la drow dans un hochement de tête. Ni aux autres, ni à soi-même. Au final, dans sa façon d'être, Thaar n’est pas bien différente de n'importe quelle autre cité, elle est ce qu’elle a toujours été, et vous ne la changerez pas. Enfin… Je vous souhaite bonne chance pour votre spectacle. Et j’espère que les talents de votre troupe plairont au plus grand nombre.

Le regard de la noiraude se portait à nouveau en direction de Thaar. Elle sentait bien avoir fait le tour des sujets de conversation qui les avaient occupés, elle et Noruì. Il était temps de prendre congé et de préparer la suite de son voyage.

- Bon, commença-t-elle par dire en frappant dans ses mains, je ne vais pas vous embêter plus longtemps. Alors, prenez soin de vous et de votre comparse, organisez-vous du mieux possible pour que tout se déroule dans les meilleures circonstances et… Ce sera déjà pas mal. Conclut-elle avec un air amusé sur le visage. Surtout ici, loin de chez vous, dans un monde aux mœurs qui vous paraîtront bien étranges.

La noirelfe commença par faire quelque pas à reculons, dressant la main en signe d’au revoir.

- On se reverra peut-être un jour, qui sait ?

Et elle tourna les talons en agitant la main, sans un regard en arrière.