Dépendre de la haine [PV T'sisra]

2nde ennéade de Karfias
17e année du Onzième Cycle
Quartiers de la Grande Bibliothèque de Thaar

Elle s’ennuyait probablement plus qu’elle ne voulait bien te l’avouer – ou peut-être même se l’avouer – la marchande qui fut ta première interaction extérieure à la cour de la Dame Blanche en cette Cité. Même humaine, et donc plus soumise au temps que ne le serait n’importe quelle autre race, elle se comportait comme si elle l’avait, d’une quelconque manière, vaincu. Elle se comportait comme si elle avait tout vécu, comme si elle avait tout vu, comme si rien de ce que pouvait lui offrir le chaos de cultures qu’était Thaar n’était plus neuf pour elle. Elle rêvait d’exotisme, de choses nouvelles et étranges, de gens inhabituels, de personnages qu’elle-même, autoproclamée fatiguée du faste qu’elle continuait pourtant à poursuivre éperdument, trouverait étranges.

Et puis vous étiez arrivés.

Des elfes d’une authenticité comme elle n’en avait jamais connu. Des elfes différents de ceux qu’elle croisait habituellement dans la ville. Des elfes dont la diction porte encore les accentuations de l’Anaëh, dont les mouvements ont encore ce côté animal, authentique, qu’elle retrouvait dans l’art que tu lui présentais. Le premier jour ce fut une simple démonstration de force, puis il y eut danses, puis il y eut chants, et chaque fois, en échange de cela pour toi il y avait une quantité que tu comprenais aujourd’hui totalement inappropriée de pièces de métal dont elle n’avait finalement que faire.

Tu n’en aurais pas eu grand-chose à faire non plus si tu n’avais tenu à tirer le plus possible chose utile de ton expérience de la capitale de la débauche. Seulement ici tout se monnayait. Y compris et surtout le savoir.

La Grande Bibliothèque des Soieries n’avait absolument rien à envier à celle de la Capitale de votre Royaume, ou même à celles d’Ardamir et de feu Lanthaloran… si ce n’est leur gratuité. Si ta tenue du jour était plus réservée qu’à ton habitude, peut-être l’était-elle-même trop aux yeux des fortunés aux toilettes aussi exotiques qu’extravagantes qui t’entouraient. La tunique beige rentrée dans ton pantalon était loin de la fantasmagorie de leurs robes. Ton pantalon lui-même, pour autant que sa coupe soit seyante et son tissu d’excellente qualité ne portait pas de motifs bien exceptionnels, et les guêtres nouées autour de tes jambes ne recouvraient volontairement pas de chaussures. Le sceptre au dos, ton écarteur à l’oreille et les pendentifs de tes colliers elfiques te tombant au creux de la poitrine et les cheveux noués en une longue tresse aux allures guerrières, tu faisais plus figure d’aventurier curieux que de riche notable. Et dans le paradoxe qu’est Thaar, le prix de ton entrée dans l’antre du savoir n’en fut que plus élevé.


Dans ta fierté Taledhelle, tu aurais souhaité que ce ne soit pas le cas, mais tu ne pus nier le jeu en valoir la chandelle. Des collections entières de vieux grimoires rédigés dans un Nisétien plus ou moins commun, dont les formes les plus simples, à cause de l’âge de ton peuple, t’étaient finalement plus accessibles que l’oliyan lui-même. Des collections entières de vieux grimoires traitant de tes sujets d’études favoris. Du corps et de ses humeurs à la métamorphose au sein du vivant, tu passas de longues heures à consulter des ouvrages dont les données et les méthodes se heurtaient souvent à la vérité cultivée par ton peuple. Parfois pour le pire, souvent pour le meilleur.
Un autre point de vue. Des expériences parfois moins scrupuleuses. Des données traitant d’applications de sciences avec lesquelles vous êtes familiers au sein d’autres races. D’utiles comparaisons anatomiques auxquelles, loin des autres peuples, vous n’aviez pas forcément accès… tout était bon à prendre et à analyser. Tu ne pouvais en ressortir que grandi.

- Je peux emporter celui-ci ?

- Si vous avez de quoi le payer.

Ta cagnotte en avait pris un sacré coup. Tu en déduis que soit l’anatomie comparée Nisétienne est un sujet particulièrement populaire ici ; soit il suffit qu’un livre soit un peu plus vieux que toi pour ragaillardir les ardeurs commerçantes des Bibliothécaires. Quoi qu’il en soit, ta sacoche plus légère de quelques souverains et plus lourde d’un livre, tu t’en retournais vers le Palais de…

- Non. tu marmonnes pour toi-même, sans pouvoir retenir l’elfique La sale bête n’aurait pas osé.

Tu t’engages à grands pas à la suite d’un convoi dirigé par un petit homme joufflu semblant bien trop satisfait de lui pour te rassurer. Le gardant, lui et l’objet semblant faire sa satisfaction, sa milice. Sous quelques épaisseurs de draps, un grognement qui même étouffé te rappelait trop de souvenirs pour qu’il s’agisse d’une coïncidence.

- Monseigneur ! tu prends sur toi pour héler le petit homme sans dévoiler d’entrée de jeu ton envie de répandre ses entrailles au sol Excusez-moi ma curiosité, mais votre bête fait un bien drôle de bruit. ton accent elfique est toujours marqué, mais force d’entendre les conversations dans les rues, ton oliyan s’est profondément amélioré Ce doit être une créature rare pour faire un son aussi particulier n’est-ce pas ?

- Oh si vous saviez ! l’homme sourit jusqu’aux oreilles Quand je l’ai vue, je n’en revenais pas. Jamais je n’ai vu une telle bête sur les marchés de Thaar. Qu’Arcam m’oppose son jugement si je mens, mais si je vous dis que le Beau-Dieu m’a frappé au moment où mes yeux se sont posés sur elle ! il arrête son convoi, trop fier pour réfléchir plus loin que le bout de son nez Voyez-donc comme elle est magnifique.

Tu souris, te forçant une mine fascinée alors que ton cœur se resserre pour chaque centimètre de plus dévoilé par les miliciens soulevant les draps de sur la cage de l’animal. Certes, elle est magnifique, mais tu l’as connue bien plus belle, bien plus majestueuse. Cette chose endolorie, prostrée, luttant de toutes ses forces pour ne pas être aveuglée par les rayons du soleil et grognant sans force son mécontentement… ta pauvre partenaire payait bien cher sa désobéissance.

- Vìrin… tu murmures

- Une Vrine ? l’homme dans un égoïsme presque innocent s’adresse à toi C’est comme ça que cette chose s’appelle ? Et bien ! C’est une bonne chose que vous les elfes en sachiez autant sur les choses de la nature ! il se passe les doigts dans la moustache l’air d’apprécier la sonorité Une Vrine ! Mais oui une Vrine ! C’est logique !

- Exactement ! tu t’approches de la cage, dans un calme exceptionnel sachant ton état Vous me permettez de la voir de plus près ?

- Mais êtes-vous donc fous ? Certes vous me paraissez bien fait, et la bête est adoucie par les drogues, mais approchez-vous trop près et elle vous arrachera tout de même le premier bout de chair passé à portée !

- Ne vous inquiétez pas pour moi…tu passes ton bras entre les barreaux de la cage et flatte l’encolure d’une bête venue chercher tes caresses vous voyez ! Je suis un passionné de ces bêtes, j’ai fini par les comprendre. D’ailleurs… ton visage se durcit légèrement depuis le temps que j’espérais en tenir une de si près, je sais comme elle vous a charmé, mais… contre une digne somme, accepteriez-vous de vous en séparer ?

L’homme saute littéralement de son piédestal pour s’approcher de toi, tout hautain. Le visage à peine plus haut que ton ventre, il te défie pourtant du regard avec une assurance provocante, un insupportable sourire aux lèvres.

- Haha ! l’homme jubile On n’apprend pas au vieux myynark à faire la grimace ! Je sentais que cet animal me promettrait une offre juteuse ! Alors, qu’avez-vous ?

Tu fouilles dans ta sacoche pour en tirer une bourse d’argent, en dévoile le contenu au petit homme pour qu’il puisse en jauger, et au changement dans sa pulsation, couplé aux légères tensions courant des muscles faciaux qu’il force dans leur expression d’origine tu peux deviner qu’il est à la fois surpris et en colère de te constater en possession de ce qui aurait dû être assez de richesse pour plus que lui rembourser son achat.

- Voilà ce que j’ai.

- Hmh… il fait mine de réfléchir Voilà qui est juste pour une bête aussi rare. Je crains de ne pouvoir me contenter de si peu.

Tu manques de claquer de la langue. Il ment. Tu le sais. Le marché des bêtes auquel se livre cette Cité est bien trop abject pour que tu n’aies pas retenu les ordres de prix hélés par les acheteurs. Tu plonges la main dans ta sacoche à la recherche de plus avant de te rendre compte que ce que tu avais de plus la Bibliothèque te l’as pris.

- Si vous êtes intéressés par les recueils du savoir antique des…

- Pas la peine. Je n’ai guère d’attrait ni pour l’histoire ni pour les sciences.

- Certainement pourriez-vous en tirer bon prix.

- Certainement, mais sans expertise je crains de trop y perdre.

La Caengal grogne, tentant d’une patte mollement passée entre les barreaux de te défendre de son acquéreur… en vain.

- Combien vous faudrait-il de plus ?

- Si vous parveniez à rassembler une fois et demi votre première proposition, ce serait un marché convenable.

- Ne pourriez-vous pas me faire suivre par une part de votre milice le temps que je termine de rassembler la somme afin que marché puisse être conclu ici et maintenant ?

- N’y voyez pas là quelconque insulte, mais je ne ferais pas suivre par ma milice un homme qui semble en avoir mangé deux comme mes miliciens à son dernier repas !

Et sur ces mots il s’en retournait vers son convoi, pour lancer son départ.

- Quand vous aurez de quoi faire l’échange, demandez Medhat le marchand de fourrures ! Mais ne soyez pas trop long ! Les abattages sont dans deux jours !

Et te laissant intérieurement rageur face à son ultimatum, il repartait pour toujours triomphant… ou du moins le pensait-il. Le marchand de fourrures venait de se faire un dangereux ennemi. Un ennemi qui s’il ne trouvait pas d’autre solution, n’hésiterait pas à faire usage de la force.

L’Ithri’vaan ne lui avait pas manqué. Pas du tout. Thaar était toujours… Thaar. Fidèle à elle-même, à la fois magnifique et hideuse, une douceur empoisonnée, un arrière-goût doux-amer. On l’aime autant qu’on la déteste, et à chaque fois que l’on y vient jamais on en repart déçu.
Cette fois encore, la daedhelle y était de passage, habituellement accoutumée à ne pas quitter les quartiers populaires, elle ne s’y était pas attardée ce coup-ci. T’sisra avait tout droit filé jusqu’à la Grande Bibliothèque thaarie, n’ayant pas souhaité s’arrêter dans une quelconque échoppe ni faire un détour par un des nombreux marchés.

Ainsi, elle avait passé une bonne partie de la matinée au sein d’une des plus belles et fournies bibliothèque au monde. Sa tenue peu commune pour le quartier et plus propice au combat qu’aux sorties mondaines avait attiré l’œil d’un des archivistes. Après tout, les d’érudits ne portaient ni maille ni cuir en général, et encore moins d'armes disproportionnées. Cependant, certains atours, comme la cape ornée d’une fourrure de ralir laissait présumer d’une certaine richesse.
La nécromancienne avait payé le prix fort afin de consulter d’anciens ouvrages. Tout d’abord certains concernant de vielles légendes oubliées et fantasques, dont quelques-unes étaient devenues des contes pour enfants, puis son attention s’étant portée vers des livres bien plus anciens et particuliers, l’archiviste ne l’avait plus quittée. La bougresse s’intéressait à l’antique civilisation dont aujourd’hui ne restait plus que les ruines maudites d’une cité évitée par tous, ce fut donc une excellente de raison de lui faire payer l’accès à d’autres ouvrages, pas particulièrement plus intéressants que ceux qu’elle avait déjà parcourus jusque-là d’ailleurs.
L’archiviste observait l’aventurière recopier certains mots, voire des passages entiers, dans son propre grimoire. L’exercice auquel se livrait la daedhelle lui plaisait de moins en moins, surtout lorsqu’il comprit ce qu’elle cherchait réellement : non pas conserver quelques bribes d’informations, mais compiler et notifier des mots traduits, afin d’étudier la langue plus en profondeur hors de la bibliothèque. Et ainsi se terminèrent ses recherches, puisqu’elle fut poliment congédiée par son surveillant qui n'avait pas manqué de lui notifier que quiconque souhaitait apprendre devait le faire sur place et débourser le prix exigé.

Et la voilà dehors, rendue à la ville, poussée vers l’ombre d’un bâtiment proche par les rayons d’un soleil ardent. La voyageuse avait pris place sur une margelle, elle pestait en relisant les maigres informations linguistiques qu’elle avait pu consigner dans son grimoire. Si seulement sa bourse avait été plus lourde, l’archiviste ne l’aurait jamais reconduite à la sortie aussi tôt.
Et tout en ruminant, ses yeux se posèrent sur le convoi s’étant stoppé à quelques coudées à peine d’elle. De sa margelle, la noiraude un peu pâlotte observait la scène avec un pincement au cœur, puisque si le joufflu ne voyait qu’une belle fourrure dans sa cage, l’elfe en revanche semblait avoir une complicité certaine avec l’animal. T’sisra avait glissé son grimoire dans son sac, avançant vers les deux hommes en pleine négociation à pas feutrés, une oreille trop curieuse et tendue pour n’en perdre aucune bribe, car l’espace d’un instant seulement, elle l’avait vu : un ouvrage dont les écritures sur la couverture laissaient présager de sa provenance.

Tandis que le marchand s’éloignait en laissant l’elfe planté au milieu de la rue, T’sisra s’était avancée assez raisonnablement dans son dos pour entamer une discussion.

- Une vrine, mh ? Intervint la daedhelle avec ironie. C’est ce que j’aime le moins avec cette cité, l’idiot du village y réussit. Et un crétin fortuné reste un riche quoiqu’on en pense. Affirma-t-elle en levant les yeux vers son interlocuteur. Et il n’a pour valeur que celle qui est sonnante et trébuchante.

La daedhelle se fendit d’un sourire discret mais compatissant, tendant une main amicale à l’elfe.

- Votre seul avantage, c’est que, pour le moment en tous les cas, il ne sait pas ce sur quoi il a mis la main. La daedhelle marqua une courte pause. Accepteriez-vous que je vous aide ? En échange, je ne demande qu’une chose, que vous me laissiez lire votre livre. J’ai besoin d’apprendre au moins quelques bribes de cette langue.

Un fin sourire s’étira sur le visage de la nécromancienne, et les yeux rieurs, elle ajouta :

- Après tout, nous sommes à Thaar et la tradition veut que tout se négocie.

Chaque pas des chevaux du convoi alourdissait ta respiration, te rendait un peu plus nauséeux, et nourrissait ta colère. Tu aurais pu faire de lui ton chien dès l’instant, au nez et à la barbe de sa garde. Tu aurais pu le forcer à choisir entre sa vie et elle de ta partenaire… mais tu n’as pas osé. Thaar est retorse, et tu n’as pas envie de te montrer aussi retorse qu’elle… du moins, c’est ce que tu essaies de te faire croire. C’est ce que tu as envie de croire. Tu te veux être cette figure de justice, à la droitesse inébranlable. Tu te veux être ce grand Roi toujours capable de prendre les meilleurs décisions. Mais vient un temps où il devient difficile d’oublier avoir été élevé entre la caserne et les mouroirs. Vient un temps où il devient difficile d’oublier que la justice passe parfois par la fin d’une vie.

- Je n’ai pas les Chants ici tes poings se serrent alors que tu murmures l’elfique mais ta Voix est plus grande encore, I Mîngely, et aujourd’hui plus que jamais j’ai besoin de ta guid...

Tu te retournes, sur le qui-vive, quand se lève derrière toi une voix dont tu n’aimes pas le ton. Ton visage ne dissimule plus ta colère, lorsque la suite de ses mots excite ton désir d’une sainte vengeance. Et tu te retrouves à presque boire les paroles d’une femme que tu ne connais ni d’Iben ni d’Alm, une indignée mise sur ta route par la main des Dieux. Un signe peut-être ? Si seulement les choses pouvaient être si simple…
Ton visage se décrispe légèrement, et toujours dans le plus gênant des silences, tu scrutes la potentielle alliée de circonstance pour constater une fois de plus comme le destin aimait s’adonner à la mesquinerie. La pâleur de sa peau et la noirceur de sa chevelure auraient presque pu te confondre, mais c’était bien à une Drow que tu faisais face. Aucun Arïn ni aucun hybride ne possédait une pulsation aussi… aussi régulière. D’autres comme elle, tu en avais déjà vu, et tu en avais déjà vu mourir. Elle était jeune, voilà tout.

- Pose ta main. dans un seul geste, tu défourailles ton focaliseur, le tourne deux fois entre tes doigts et le frappe entre vous deux, à portée de la main tendue de la Noirelfe Reste calme tu adoptes toi-même un toi étonnamment placide j’ai juste besoin d’entendre ta proposition une seconde fois.

Elle pose sa main sans la moindre hésitation. Elle accueille les légers courants traversant ses muscles sans la moindre hésitation. Elle te fait exactement la même offre, le regard droit dans le tien, sans la moindre nouvelle tension, si ce n’en est qui soient entièrement naturelles. Elle ne ment pas, ou si elle ment, elle ment très bien, mais au point où tu en es… De l’honnêteté portée par le sang d’Elda tandis que l’héritage d’Anaëh batifole dans la souillure ; il n’y a bien qu’à Thaar que cela arrive.

- Désolé. tu ne l’es pas du tout De mauvaises expériences que j’aimerais ne pas avoir à revivre. endormir votre méfiance une fois vous avait valu la fièvre noire Mais au point où j’en suis… toute aide est la bienvenue.

À défaut de la poignée de mains que tu lui avais refusé, tu baisses la tête, les yeux fermés, en guises de salutations. Non, ta méfiance n’est pas endormie le moins du monde pour autant. Fut-elle l’une des « Doeben » dont Milynéa parlait si souvent, elle n’en restait pas moins une Sombre. Seulement le temps est court, elle est déjà ici, son aide est une option, et comme toute option elle mérite d’être explorée.

- Une fois la « virne » tu roules des yeux loin de cet idiot, je veux bien vous aider avec votre lecture s’il le faut. tes yeux désignent le lointain, invitant le jeune Sombre à suivre ta marche. Que vos discussions paraissent plus naturelles Mais avez-vous la moindre idée d’un comment ? Je ne me vois pas récolter une telle somme en si peu de temps pas avec ton sens déplorable du commerce et foi des prunelles scrutatrices de l’Hirnuit, ces satanés manoirs des Soieries ont des yeux et des oreilles.

Tout comme tout le reste de Thaar. Et tu as bien peur que le moindre accrochage avec une des riches figures de ce monde ne vous soit préjudiciable, à toi et aux elfes qui ont accepté de te suivre.

Les courants remontaient le long de ses doigts, filaient dans sa paume et grimpaient le long de son bras pour se perdre dans sa poitrine. Puis ils s'évanouirent tout simplement. La daedhelle avait au moins appris une chose sur ce curieux personnage, aux valeurs tout aussi éloignées de celles de cette ville que l’étaient les siennes. Et c’était peut-être là son meilleur atout, car la noiraude avait peut-être un peu plus l’habitude de côtoyer ce genre d’énergumènes cupides. Ainsi, elle avait d’ores et déjà le début d’un dessein en tête.
Cependant qu’elle écoutait l’elfe souligner ses mauvaises expériences et écorcher le terme employé par le bonhomme joufflu pour qualifier l’animal, T’sisra l’observait de pied en cap sans s'en cacher. Il lui rappelait certains elfes croisés par le passé, Fenris et Arãva. S’il en avait un petit côté, sans doute par la stature, il lui semblait tout de même assez éloigné d’un autre que Renarde avait nommé Estiam. Alors non, s’il venait tout droit d’Anaëh, nul doute qu’il n’était pas un de ceux vivant en clans, dans l’harmonie la plus naturelle possible avec leur environnement. La drow pariait sur un citadin. De toute manière, à part Renarde, aucun noss n’aurait l’audace, ou le grain de folie, nécessaire afin de venir jusqu’à Thaar.

- Et je n’ai guère plus d’argent à mettre dans la balance. Ajouta la drow en opinant du chef pour continuer sur la lancée de l’elfe. En revanche, nous pouvons suivre notre marchand discrètement jusqu’à son échoppe ou… Sa propriété. Enfin, là où le convoi se rend. Vous m’avez comprise.

La noiraude jeta un œil audit convoi qui s’éloignait lentement et sûrement sous le regard curieux de quelques passants. Commençant dès lors à marcher, elle invita l’elfe à la suivre d’un signe de la main.

- Il vous connaît vous, mais pas moi. J’ai bien une idée. Une idée, sans heurt ni violence, qui nous permettrait de résoudre votre problème sans faire de vague. Affirma la noiraude en jetant un coup d’œil à son nouveau comparse. En revanche, il faut agir aujourd’hui même, avant que ce crétin ne se rende compte de la véritable nature de sa trouvaille. L’Aduram est toujours dangereuse, l’Anaëh est hors de propos, alors depuis que Nelen est dite inaccessible… Le prix d’un fairä doit être beaucoup plus élevée qu’à l’accoutumée. Je gage qu’une fois au courant jamais il ne vous le cédera, autrement qu'en échange d'une somme effarante.

La voyageuse l’avait prononcé avec un accent à couper au couteau, mais contre toute attente elle avait bel et bien employé un mot elfique et pas autre chose : « fairä ». Son regard vagabondait d’autochtones en habitants, sans que pourtant ils fussent réellement dignes de son intérêt, cela dénotait plutôt une certaine méfiance, notamment à l’encontre des quelques gardes et miliciens qui lorgnaient sur sa lame étrangement longue.

- Et avec toutes ces péripéties, j’en oublie les manières d’usages. Je m’appelle T’sisra Do’ath, et vous ? S’enquit la noiraude en lorgnant sur l’elfe avec un léger sourire. Qu’est-ce qui vous amène à Thaar ? C’est la bibliothèque ? Elle marqua une brève pause, visiblement pas certaine de ce qu’elle avançait. De quel coin venez-vous ? Si ce n’est pas indiscret, bien sûr.

Tout en descendant la rue, filant le convoi à une distance raisonnable, elle s’adonnait au babillage et à la causette. De toute façon, il n’y avait pas grand chose d’autre à faire, sans compter qu'afficher un air aussi louche que sérieux en gardant un inquiétant silence attirerait sans doute l’attention. Mieux valait se fondre dans la masse, qui plus est, faire oublier à l’elfe ses tracas du moment, ou tout du moins essayer, lui semblait être la plus judicieuse des options.

Tu l’écoutes, ton scepticisme plus profond à chaque pas. Une solution qui n’impliquait ni heurts, ni violence, ni finances. Ici à Thaar ? Un sourire désabusé se dessine sur tes lèvres. Et c’est qu’elle semble y trouver un certain plaisir la Noiraude, parce que si elle est bien peu douée pour convaincre avoir une solution, elle possède un indéniable talent pour faire monter les enjeux. Il y a deux minutes à peine, Vìrin était à quelques souverains d’être libérée. Maintenant elle était à quelques souverains d’être libérée, à condition que personne dans la suite de son acheteur ne lui rappelle la séparation d’avec Nelen. Bien. Il ne restait plus qu’à espérer que cette solution sans heurts, ni violence, ni finances ne soit efficace.

- Noruì. c’est fou comme en peu de temps, tu t’étais approprié cette déformation du surnom que te donnait ton épouse Noruì Anurrim. une manière comme une autre d’être auprès d’elle, même aussi loin Je suis ici avec le reste de ma troupe de spectacle. La Princesse-Marchande Milynéa Lythandas apprécie beaucoup notre spectacle, alors elle nous a invités pour que nous puissions le faire découvrir à Thaar et le nourrir de nouvelles influences. tu soupires un rire presque sincère Et ne t’inquiètes pas, je suis conscient qu’elle le fait surtout pour l’argent, mais pour nous c’était l’occasion de découvrir de nouvelles choses… du moins c’est ce qu’on espérait avant de constater à quel point cet endroit est pourri.

Tu feins de laisser vaquer ton regard à l’observation du bien trop opulent paysage des Soieries durant l’espace d’un instant, et ton inquiétude première t’agresse à nouveau l’esprit. Tu choisis de la taire pour cette fois, espérant trouver un semblant de catharsis dans le partage de ta fausse réalité.

- Mais passons... tu soupires je viens de Daranovar. Cité dans les montagnes. Environnement plutôt rude. tes yeux se perdent encore une fois dans le paysage, puis reviennent à elle, et là tu ne peux plus le passer sous silence C’est pour ça qu’il est assez difficile pour moi tu marques du regard la distance entre ses yeux et les tiens de passer inaperçu. Tant que je suis là, je ne vois pas comment on pourrait être discrets.

C’est à ce jour à peine si tu connais un seul elfe qui puisse te regarder directement dans les yeux, alors quand il fallait en plus ajouter à ça ta corpulence… oh des hommes de ta corpulence il y en a certainement plus à Thaar qu’il n’y en a en Anaëh, mais d’entre ceux-là, ceux dont le haut du crâne te touche le menton ils ne sont déjà plus légion. Tu n’es pas une vision bien commune, et cela si tu en es extrêmement fier, tu es aussi conscient que ce n’est pas toujours un avantage.
Alors tu espères profondément être juste incapable de concevoir quelles idées la daedhelle a derrière la tête. Il est évident qu’elle connaît cet endroit mieux que toi. Elle connaît la mentalité des gens d’ici mieux que toi. Peut-être comme cette voisine de Milynéa les riches de Thaar sont-ils si vite ennuyés que même une vision aussi exceptionnelle que celle d’un géant elfique marchant aux côtés d’une daedhelle aux cheveux noirs sera vite oubliée. Peut-être sont-ils tellement habitués à l’extravagance qu’il suffit de feindre la coïncidence pour que les conducteurs d’un convoi oublient celui qui s’y était intéressé. Peut-être l’égocentrisme était-il ici à ce point fort que le monde disparaissait autour de ces fortunés chaque fois qu’ils clignaient des yeux.

Et pourtant, tu sais les hommes de Milynéa dissimulés quelque part, à s’assurer que méfiance venue des autres ne te tue pas.

- Mais j’imagine qu’avant de partir d’Elda vous étiez habituée à vous cacher en pleine vue. tu souris en sa direction Je me trompe ?

À moins qu’elle ne soit comme toi cachée derrière une façade, tout, de son langage corporel à son langage verbal trahissait une fracture avec le monde qui lui avait – son accent le trahit toujours – offert sa voix. Et sachant, grâce à Haldren, à quel point horrible pouvait être la société Eldéenne pour ceux dont le corps, comme celui de T’sisra, refusait son propre héritage.

Ou alors son corps n’avait-il jamais fait que suivre ce qui avait toujours été sa pensée ?

Des saltimbanques divertissant une princesse marchande... Ses sourcils s’étaient froncés un bref instant, sa langue avait instinctivement claqué contre son palais. De toute évidence, les puissances de Thaar n’attiraient pas l’intérêt de la noirelfe et encore moins sa fascination ou sa sympathie.
« Passons » comme il disait, oui passons. Il y avait plus urgent à faire et plus intéressant à raconter. Daranovar, la cité des plateaux, voilà qui retenait son attention. De mémoire, cet endroit devait se trouver par-delà une chaîne de montagnes au Sud-Est de l’Anaëh. La noirelfe se perdait en souvenirs et se remémorait quelques racontars concernant les territoires elfiques, rien de bien précis, voire plutôt fantasques. Mais elle revint bien vite à Noruì, secouant légèrement la tête.

- Pas vraiment, je suis… Comme je suis. C’est ainsi. Répondit la puysarde dans un haussement d’épaules. J’ai quitté le Puy lorsque ma tante a fait main basse sur le domaine de mon géniteur, ce fut l’occasion rêvée de mettre les bouts de toute manière. J’ai toujours eu un problème avec les dieux et les dogmes. Bien évidemment, dans une société fanatique, c’est une opinion qui a de fortes chances de se révéler létale. Mais c’était il y a quelques années déjà, à vrai dire je viens tout droit du Zagazorn et je suis arrivée en ville il y a peu.

T’sisra ralentissait le pas au fur et à mesure qu’elle parlait. Noruì n’avait pas tord, mieux valait garder une distance plus que raisonnable entre eux et le convoi.

- Continuons de raser les murs, tant que nous restons loin ça ne devrait pas poser de problème. Une fois arrivés, j’aurais besoin de votre bourse. Je vais aussi m’essayer au négoce, avec les plus convaincants de mes arguments. Fit-elle dans un hochement de tête déterminé avant de revenir à l’elfe. Et donc… Vous êtes un artiste. Quel genre de spectacle produit votre troupe ?

La daedhelle plissait le front sous la réflexion, tandis que les souvenirs de son épopée au Sud de ces montagnes lui revenaient en mémoire.

- Et à quoi ressemble-t-elle, Daranovar ? Si je ne me trompe pas, c’est une cité située au Nord d’une chaîne de montagne au Sud-Ouest d'Anaëh ? Demandait T’sisra en se tapotant le menton de l’index. Je ne suis pas une spécialiste en cartographie elfique, vous vous en doutez bien.

Effectivement, tu avais au moins cela de juste, elle avait quitté le Puy. Ses raisons cependant, elles étaient bien différente. Et tu dois bien te l’avouer, bien que tu sais à quel point abject sont les dogmes Eldéens, l’idée d’une personne en heurts avec le divin plutôt qu’avec les divinités t’était complètement étrangère. Ah, des inimitiés entre les elfes et les dieux, tu en as vu se jouer. Des inimitiés entre les elfes et La Mère elle-même, toi qui a fait une bonne partie de ton éducation dans les Sanctuaires auprès du culte de Kÿria, tu as eu l’occasion d’en voir autant grandir que mourir. En tant qu’Aran à Thaar, tu comprends parfaitement en quoi les Voies peuvent parfois devenir étouffantes… mais de là à tout remettre en question…

Démarche aussi étrange qu’égocentrique à tes yeux ; mais démarche que tu peux comprendre, surtout venant d’une enfant d’Elda.

Tu préfères ne pas réagir à cette part de son discours, sentant qu’il s’agissait là de toute façon de considérations trop personnelles et des décisions prises pour des raisons trop évidentes pour qu’une discussion ne vous apporte quoi que ce soit. Tu te contentes plutôt de lui sourire, franchement cette fois, et enfin, lorsqu’elle mentionne le Zagazorn. Si c’est une menteuse, alors elle est extrêmement douée, parce que tu doutes que ta fascination pour le Royaume des Ondurs soit lisible sur ton visage. Un sourire qui s’élargira un peu plus encore alors qu’elle fait allusion à quelque argument particulièrement convaincant qu’elle ait dans la manche – Sans heurts, bien sûr, tu attends désespérément de voir – avant de revenir à des choses moins sombres.

- La troupe dans son entier fait un peu de tout. Du ballet au théâtre en passant par le drame en musique. les souvenirs des spectacles improvisés des Lanthalorans de la milice de Daranovar t’arrachent un rire timide Mais le peu d’entre nous qui sommes présents ici sommes les pierres angulaires pour tout ce qu’il s’agit de danse… donc pour Thaar, ce sera danse acrobatique.

Tu as une pensée pour Aegden, avec qui vous aviez passé de longues heures ces derniers jours à imaginer et à construire ce qui serait certainement un spectacle semi-improvisé. Le pauvre danseur serait certainement de vous tous celui qui y tiendrait le rôle le plus difficile. Quoiqu’après tout, quoi de plus naturel, puisque d’entre vous tous il était aussi l’artiste le plus accompli.

- Oh… un peu de calme ! ce genre de virage serré au sein d’un conversation n’était pas sans te rappeler quelqu’un Vous avez pris des cours de conversation à Naélis ou quoi ? tu ris jaune Mais oui, Daranovar est une Cité des Hauts-Plateaux du Sud-Ouest. Ça en fait d’ailleurs probablement la plus difficile d’accès de toute la Prime Œuvre, mais La Mère et L’Amant m’en soient témoins, l’effort en vaut largement chandelle. tu soupires, depuis que tu es à Alëandir, Daranovar te manque Difficile par contre de correctement la décrire à quelqu’un qui n’est pas habitué à l’architecture elfique… mais on peut essayer. tes doigts viennent chercher ton menton La Cité se divise en quatre quartiers : celui des institutions, où l’on va retrouver le Palais et les quartiers généraux des milices ; celui des artisans ; celui de la Grand-Place ; et celui des habitations. C’est probablement le quartier des institutions le plus représentatif de la Cité. Comme tout le reste il est majoritairement bâti dans la pierre blanche des Hauts-Plateaux, mais c’est surtout là qu’il y a les plus grands bâtiments, et que du coup les particularités architecturales sont les plus visibles. tu claques de la langue, à la recherche d’une manière d’expliquer Daranovar est un réseau de cercles reliés. Les bâtiments et les places prennent généralement des formes vaguement circulaires, systématiquement reliées soit par des murailles, soit par des routes pavées séparées entre elles par de grands jardins. C’est vraisemblablement la Cité à la structure la plus « ordonnée » d’Anaëh, ce qui n’est finalement pas forcément vu d’un bon œil par les elfes des autres Protectorats. Il faut dire que l’architecture de la Cité est un ode à sa culture très militariste. Et pour peu que son agencement ne suffise pas à le dire, l’esthétique de la ville le fera. tu ris une nouvelle fois Notre milice a toujours été notre fierté, et par conséquent son imagerie est présente un peu partout dans la ville. Le contour de la porte principale du Palais de Daranovar par exemple est constitué des pans de la cape d’un épéiste sans visage ! tu soupires, l’œil mélancolique Enfin. C’est vrai que tout cela peut sembler un peu austère dit comme ça, mais il faut vivre la ville pour la comprendre. Au final, protégée par ses gardiens de pierre, Daranovar est très chaleureuse, et avec les jardins revigorés par le Voile, elle est encore plus magnifi… ton regard attrape le convoi que vous suiviez s’apprêtant à s’enfoncer dans la cour d’un des manoirs et ton expression change brusquement Je crois que nous sommes arrivés à destination.

T’sisra écoutait sans dire un mot, ne relevant pas la référence aux conversations naélisiennes, trop occupée à intégrer les informations qu’on lui présentait, sans pour autant pouvoir se représenter une quelconque image de la cité ainsi dépeinte. Au moins, elle en apprenait un minimum sur la façon dont Daranovar, la cité militaire, avait été pensée et divisée en quatre grands quartiers distincts. Et elle savait désormais que, théoriquement, la cité des plateaux était moins « naturelle », car l’impact des autochtones s’était fait plus fort, contrairement aux autres cités « moins ordonnées ». Du point de vue d'un elfe en tous les cas.
Un jour, peut-être, elle aura l’occasion de s’en faire une idée plus précise, mais pour l’instant Noruì parlait avec passion, et elle ne souhaitait pas l’interrompre sur sa lancée. Et de toute façon, le marchand s’en était chargé sans même s’en rendre compte, puisqu'il était enfin arrivé devant chez lui.

- Il semblerait bien. Confirma la daedhelle en voyant la cage s’engouffrer dans la cour d’une grande bâtisse. On dirait que le commerce des fourrures rapporte bien, c’est une demeure vraiment impressionnante.

La noirelfe tendit la main vers l’elfe, paume ouverte vers le haut. Son regard s’étant fait presque complice, elle reprit :

- Prêtez-moi votre bourse Noruì, ce sera le gage de ma crédibilité auprès du négociant. Et peut-être même un moyen de lui faire baisser sa garde, qui sait ? Demanda-t-elle sans attendre de réponse. Je vais tenter ma chance, croisons les doigts pour que mon plan fonctionne. Et je vous le promets, je ne serai pas longue.


La bourse du taledhel en poche, la daedhelle descendit la rue bondée, se frayant un chemin entre les passants, en direction de la bâtisse du marchand. Et quel impressionnant signe d'opulence elle était, rien que les grandes portes de bois qui donnaient sur la cour intérieure valait sans doute plus que la demeure d'un roturier. Et c'était bien ce portail que la noiraude se dépêchait de rejoindre, avant qu'il ne se referme complètement.

- Halte-là ! Lui lança un milicien en barrant de la passage de la propriété.

- Pas de panique, je viens voir votre maître. Se justifia T'sisra en levant les mains en signe d'inoffensivité, dont l'une d'elles tenait la bourse bien remplie de l'elfe. Voyez, je suis ici pour affaire. Insista-t-elle en agitant la bourse dont le contenu tintait en rythme.

Cherchant du regard le maître des lieux par-dessus l'épaule du milicien qui barrait la route, elle fit un signe de la main tenant la bourse pour se faire remarquer.

L’heure fatidique était venue. C’était le moment pour la stratégie de la daedhelle de porter ses fruits, et le moment pour toi de te mettre en retrait en espérant que les choses se passent bien. C’était le moment aussi de découvrir si cette providentielle rencontre était effectivement trop belle pour être vraie, et si T’sisra n’était qu’une autre manipulatrice à la peau sombre.
Pour tous tes doutes, tu n’hésites pas une seule seconde à confier ce que les gens d’ici appelleraient tes richesses à la Drow. Tu lui confierais même plus que cela. Avec une bourse engraissée des quelques pièces que tu pensais originellement garder pour toi, tu lui prêterais un objet qui pour peu qu’elle se trouve en mauvaise position pourrait la sauver.

- Prends ça. tu détaches une corne percée de ta ceinture Si tu joues deux courtes graves tu fais au même moment démonstration de tes doigts sur les trous dans la corne et une longue aigüe, elle l’identifiera comme un appel à l’aide. tu lui prêtes l’objet et recule d’un pas Je reste dans les parages. Rajoute une courte aigüe si tu as besoin de moi.

Tu t’écartes, pour faire mine de nonchalamment continuer ton chemin alors que la daedhelle part à son tour à la rencontre de cet imbécile de marchand. À cette heure, les rues, même celles de quartiers aussi sélectifs que les Soieries fourmillent de passants sans réels objectifs. En trouver un avec lequel lancer une discussion vapide pour justifier de ta présence par ici ne devrait pas être bien difficile.

Là où se jouerait l’action les choses se goupillaient. La « petite monnaie » que tu avais confiée à T’sisra n’était pas passée inaperçue aux yeux du milicien, qui bien qu’il barrât toujours le passage, se fit moins agressif dans son attitude envers celle qui lui promettrait peut-être la perspective d’une augmentation de salaire. À condition qu’excité comme il était de sa dernière trouvaille, son employeur soit en état de constater sa présence.

- Arrêtez de vous agiter. le milicien attrape le regard de l’un de ses collègues et lui intime de se rapprocher Je m’occupe d’aller le faire chercher.

- Quel est le souci ? s’enquiert le collègue s’étant rapproché

- Mademoiselle ici présente voudrait faire affaire avec Le Maître.

- Ah ? Le second un instant dubitatif change instantanément d’attitude à la vue de la bourse Je m’occupe de le faire mander.

Le bonhomme trapu se dirige à ce qui représente pour lui de grandes enjambées vers la cour intérieur, pour finalement y disparaître durant quelques minutes, durant lesquelles sont collègue à la porte se montre légèrement tendu. Un peu plus d’une dizaine de minutes, c’est ce qu’il aura fallu pour qu’enfin le marchand de fourrure ne se présente.

- Alors ? Qu’avons-nous là ? le petit homme inspecte de haut en bas, l’air contrit, celle dont la facture de la tenue ne laisse pas à penser qu’elle ait à dépenser des sommes dignes de son temps Il m’a été fait dire que vous vouliez faire affaire. J’espère ne pas avoir été privé de mon précieux temps pour rien, sinon j’en connais dont la paie risque de souffrir ! les minuscules yeux mesquins du petit homme fustigent ses employés, pour soudainement se mettre à briller comme ceux d’un enfant alors qu’il sourit à la Drow Que voulez-vous donc ? Une belle fourrure pour remplacer votre vieille cape c’est ça ?

En guise de réponse aux salutations, la daedhelle inclina légèrement le buste, une main sur la poitrine et un sourire discret au coin des lèvres. Ses yeux plongèrent dans ceux du marchand, dont elle sentait le cœur battre à ses oreilles. Elle contemplait ce corps grassouillet et fragile, en proie à tous les excès que Thaar lui fournissait.

- Je vous l’accorde, ma cape a connu des jours meilleurs il y a de cela des années, cependant je ne viens pas pour la remplacer. Commença la drow en serrant doucement la bourse dans sa main gauche. Votre réputation de peaussier vous précède, vous pouvez me croire sur parole, et je sais donc que vos bêtes ne restent pas en vie très longtemps.

T’sisra fit un pas vers l’avant en écartant légèrement les bras pour introduire la suite.

- Thaar à autant d’yeux et d’oreilles que de personnes pour écouter et répéter ce qu’il s’y passe. Et que me rapporte-t-on ? La question était purement rhétorique, elle marqua tout de même un temps d’arrêt, mais pas de quoi le laisser intervenir non plus. Sur le chemin pour votre demeure, un passant soulève les couvertures et draps couvrant un animal en cage. Et pas n’importe lequel. On m’a susurré que votre homme était trop pauvre pour ne s’offrir rien qu'un instant de négoce avec vous, ce qui n’est pas mon cas.

La nécromancienne tendit sa main libre au marchand, un sourire discret se dessinant progressivement sur son visage. Elle se demandait par la même occasion si les hommes de Thaar serraient les mains des femmes ou s’ils préféraient le baisemain des bourgeois et nobles de péninsules.

- Je suis T’sisra Do’ath, puysarde d’origine. Lança-t-elle pour enfin se présenter. Aurais-je le plaisir de pénétrer votre propriété ?

Encore une pause marquée, et à peine le marchand ouvrait-il la bouche qu’elle reprenait innocemment.

- Contrairement à certains qui vous alpaguent en pleine rue, j’aimerai que notre entrevue ne soit pas sujette à discussions et racontars, j’ose supposer que vous non plus par ailleurs, étant donné le mal que vous avez dû vous donner pour vous bâtir une telle réputation...

Sans oser désigner la direction de la cour, elle attendait la réaction du petit homme joufflu qui allait, enfin, pouvoir s’exprimer. Quant à la daedhelle, elle espérait désormais bien pouvoir entrer et observer l’animal de près avant de discuter de quoique ce soit avec Medhat.

La virne. Encore la virne. Vu l’intérêt qu’avait suscité l’animal en si peu de temps, peut-être vaudrait-il mieux qu’il le garde vivant encore quelques temps. Lui qui ne pensait pas faire affaire particulièrement exceptionnelle en soutirant une bête d’entre les mains de contrebandiers de bas étage, voilà que la chance lui souriait ! Depuis combien de temps n’avait-il pas conclu une affaire par lui-même ? Beaucoup trop longtemps à l’échelle de sa courte vie. Mais enfin ! C’était l’occasion de retrouver le feu de la négoce, de faire s’envoler les prix, de s’agripper aux dernières propositions avant que les clients ne changent d’avis et ne calment leurs folies…

- Et bien ! les doigts de l’homme s’agitent C’est que la ville est fidèle à sa réputation ! Les rumeurs courent vraiment vite !

Mais est-ce bien étonnant ? Depuis qu’ils ont fait main basse sur Sol’Dorn, les Puysards sont partout, voient tout et savent tout. Comme dans le temps. Avant que les Princes-Marchands ne prennent l’autorité et libèrent la Cité. Sauf que cette fois, si les Puysards voient et savent tout, ils ne contrôlent pas tout. Trop occupés à montrer patte blanche pour ça. D’ailleurs, à trop vouloir montrer patte blanche, ils font de parfaites victimes commerciales…

- Une Puysarde ! Ceci explique cela ! ses goûts vestimentaires atroces par exemple Ne vous seriez-vous pas donné la peine de le préciser que j’aurais eu du mal à vous croire fortunée.  un signe de tête rieur vers ses gardes leur intime la suite Donnez-vous la peine d’entrer !

Le portail s’ouvre devant la Daedhelle, non sans hésitation, alors que les pupilles des gardes la suivent avec une extrême attention. Le petit homme avec une apparente nonchalance se dirige vers l’arrière de sa cour intérieure à petits pas presque sautillants.

- Si vous voulez bien me suivre. Nous serons bien plus à l’aise au salon.

Bien plus à l’aise, et bien plus à l’étroit. Deux, quatre, six, douze… le nombre d’yeux posés sur T’sisra augmente à chaque seconde, seulement quelle importance s’ils ne peuvent pas agir à temps pour le protéger. Certes, le salon ne lui laisserait que peu de marge de manœuvre s’il souhaitait s’enfuir, mais le petit homme était de toute façon bien conscient de ne pas être des plus athlétiques. Au moins dans un environnement plus contrôlé, sa garde rapprochée aurait autant plus de raison de lui fournir proche couverture, et autant d’occasions de plus de le venger s’il venait à lui arriver quoi que ce soit.

- Je constate par contre que les rumeurs ayant cours dans la Cité sont toujours aussi fantasques. il glousse Je tiens tout de même à ce que l’on sache, tant pour sa dignité que pour la mienne, que l’homme était loin d’être sans-le-sou. D’ailleurs dans le peu de temps qu’il a eu, il m’a fait une offre assez juteuse… sur laquelle il s’est engagé à renchérir d’ici après-demain.

Nouveau prix sur lequel il espérait que la Drow renchérisse à son tour. Et il espérait qu’elle fasse honneur à la nouvelle réputation de ses semblables et dépense sans compter. Qu’il n’ait pas pris le risque de s’approcher de ces Sombres personnages en vain.

La noiraude laissa échapper un léger rire, le marchand voulait transformer ceci en une vente aux enchères ? Soit. Ce n’était pas si surprenant, et elle s’attendait à ce qu’il fasse grimper les prix en usant de quelques arguments fallacieux dans les prochaines minutes. Cependant, elle avait encore une carte importante à jouer, mais il fallait attendre le bon moment. Pour l’heure, elle suivait son hôte au travers de la cour intérieure.

- Vous possédez une demeure impressionnante. Commenta la drow en détachant son fourreau à l’approche de l’entrée. J’imagine que vos affaires sont au beau fixe.

En passant la porte, elle tendit son arme au milicien qui la gardait et s’arrêta tout net devant lui.

- Prenez en grand soin, j’y tiens beaucoup. Insista la drow en fronçant légèrement les sourcils et en dressant l’index. Surtout pas d’âneries avec.

Et sans attendre de réponse, elle franchit la porte pour déboucher dans un hall décoré d’une multitude des têtes animales empaillées sur un fond de tapisseries rouge vif. La daedhelle était très loin de partager les goûts décoratifs de son hôte, du sol au plafond en passant par les meubles, tout ici transpirait d’un luxe indécent. On trouvait même des fioritures dorées jusque sur les poignées de portes, c’en était agressif pour la rétine.

- C’est… Très chargé en décoration. Mais ça doit plaire aux thaaris, non ? Je n’ai pas l’habitude d’observer ce genre… D’« assemblages décoratifs ». En revanche, ça impressionne, je vous l’accorde.

À peine sa remarque terminée, qu’on lui indiquait un fauteuil sur lequel elle prit place. Faisant mine de s’intéresser aux billevesées de Medarth, elle rebondit enfin sur sa première offensive.

- Qu’entendiez-vous par « une offre assez juteuse » ? Demanda la nécromancienne en mimant les guillemets avec les doigts. Et par « surenchère », évidemment. Vous attirez ma curiosité. Comment pouvez-vous être certain qu'il reviendra ? Et s'il ne revenait pas ?

La question était visiblement posée sans arrière-pensée. Cependant, au vu du nombre de miliciens qui la surveillaient, il y avait fort à parier que Medarth soit un paranoïaque maladif, assez pour qu'il commence à se demander s'il ne venait pas de peindre une cible dans le dos de son premier client, et accessoirement tuer son premier angle d'attaque dès son introduction.

Elle n’était plus armée, elle était assise, sa gade était placée et les négociations étaient lancées. Medhat jubilait intérieurement. Peut-être pas qu’intérieurement d’ailleurs, mais quelle importance ? Il tenait la position avantageuse, et il en profiterait jusqu’au bout. Qu’avait-il à perdre au final ? Dans le pire des cas un manteau dans la fourrure de cette virne se vendrait pour sûr à prix d’or.

- De quoi vivre quelques ennéades d’une vie confortable. le peaussier attrape un verre de vin tendu par un majordome, tandis que son jumeau se voyait proposé à la daedhelle Et la promesse que les ennéades se transforment en mois d’ici après-demain. il sourit toutes dents dehors. Au moins on le lui reprocherait pas de ne pas avoir les dents blanches Et croyez-moi, il reviendra. Nous les marchands nous savons renifler il hume l’air du bout du nez un client prêt à tout pour obtenir un produit.

Demain, après-demain, après après-demain, qu’importe. La virne vivrait. Elle vivrait assez longtemps pour que le peaussier tire autant que possible des poches d’un étranger ayant visiblement mis la main sur une mine d’or. Et s’il arrivait à obtenir surenchère chaque fois, peut-être faudrait-il qu’il s’intéresse directement à la mine d’or ? L’elfe reviendrait. Medhat en était sûr et certain. De moins il le pensait. C’était probable. Et si finalement il ne revenait pas ? Et si on l’empêchait de revenir ? Avait-il déjà perdu sa mine d’or ?
Le marchand avale une gorgée de vin de travers et tousse un coup, attirant à lui toute une suite de servant s’évertuant à faire mine de l’aider comme s’il y risquait véritablement sa vie. Et après quelques tapes dans le dos, c’est comme s’il ne s’était rien passé pour l’éhontée énergumène.

- Puis croyez-moi, si vous aviez vu l’elfe que j’ai vu, je plains celui qui essaierait de l’empêcher de revenir chercher sa virne ! il glousse Alors j’espère non seulement que votre offre est bonne, mais que vous surveillez vos arrières ! Quoique… venant d’une Puysarde, le contraire m’étonnerait.

Un sourcil arqué, la noiraude laissa ensuite échapper un léger rire, ce petit homme, pourtant si agaçant, l'amusait décidément de plus en plus. Ses yeux parcouraient toujours le salon et son horrible décoration ostentatoire, cependant jamais son regard ne croisait celui des miliciens présents dans la pièce, qui eux ne cessaient à aucun instant de l'épier. La noirelfe prenait ainsi bien garde de leur notifier qu'ils ne l’intéressaient visiblement pas le moins du monde.

- Votre conviction m'amuse, autant qu'elle m'impressionne, je dois le reconnaître. Souffla la noiraude en secouant doucement la tête. Enfin, alignons-nous sur cette belle et fructueuse perspective, pour vous en tous les cas. Je me vois dans l’obligation de surenchérir, j'en conviens, et ce pour votre plus grand bonheur.

T’sisra comptait bien le laisser profiter de sa supériorité argumentative et de son piédestal doré. Plus il asseyait sa force de persuasion, plus elle aurait de quoi retourner la situation facilement. D’autant qu’elle voyait mal comment le bougre allait refuser sa proposition.

- Avez-vous déjà acheté un cheval ? Par vous-même j'entends. Demanda-t-elle en se penchant légèrement vers l’avant, avec un air un peu plus sérieux sur le visage. Je suppute que vous savez comment cela se déroule, puisqu’à l’inverse du commerce de fourrure, on se doit d'examiner l’animal lorsqu’il est encore en vie et pas seulement ce qu’il en reste. La noiraude se redressa dans son fauteuil, les mains sur ses genoux. D’autant que je compte bien faire usage de cet animal de son vivant.

La deadhelle se redressa dès la fin de sa phrase, et les miliciens se décollèrent de leur mur dans la seconde. Sur l’injonction du négociant, elle lui emboîta le pas, et tout en traversant la demeure pour revenir dans la cour, Medath commençait à ressentir la désagréable, mais très commune, sensation d’avoir des fourmis dans les pieds.

- J’ai hâte de voir le spécimen que vous détenez-là, lança-t-elle en mettant le pied dehors, vraiment !

La cage et son locataire trônaient tristement là, au milieu de la cour. Ce spectacle renforçait sa volonté à ne pas quitter le manoir du peaussier sans le fairä.

Pour son plus grand bonheur effectivement, ses doigts se rejoignant deux à deux dans un applaudissement silencieux en disaient tant. Ne restait plus maintenant qu’à savoir combien. Combien exactement pourrait-il espérer soutirer à la Noirelfe, et combien de temps pouvait-il se permettre de lui faire jouer le jeu…

- Oh ! un sourcil du petit homme décolle brusquement En réalité non jamais. Ma famille possédait déjà de belles bêtes avant même que je sois né ! et en tant que peaussier, il ne s’est jamais vraiment profondément embarrassé de ces questions Mais pour avoir déjà observé les soigneurs à l’œuvre, j’imagine que ce n’est pas bien différent de quand j’inspecte une fourrure. Vous vous intéressez juste à d’autres parts de l’intégrité de l’animal.

Le marchand se lève d’un bond… et le regrette aussitôt. Saletés de picotements. C’est qu’un peu plus et il serait presque tombé. Mais qu’à cela ne tienne, les fourmis s’en iraient en creusant des trous dans la bourse d’une mignonne petite daedhelle !

- Venez-donc la voir si cela peut vous rassurer. il lui sourit, tout fier C’est un animal en pleine santé, je vous le garantis ! Enfin, s’il on oublie les drogues qu’elle a dans le sang. Mais il faut bien un moyen de contrôler ces animaux le temps du transport après tout !

Il rit sans retenue et d'un rire gras, donnant le pas en direction du milieu de la cour, où trônait fièrement la prison du félin à moitié endormi. Les sourcils du marchand se froncèrent tout aussi brusquement dès lors que l’excitation commença à passer. Ces satanés picotements refusaient de s’arrêter. C’est que si ses humeurs recommençaient à lui jouer des tours, il faudrait probablement qu’il pense à bientôt retourner se faire masser. Ce qui n’était pas pour lui déplaire.

- Allez-y. il sourit à nouveau À vous l’honneur de soulever le drap. Vous ne serez pas déçue, je vous le promets !

T’sisra inclina le buste avec un léger sourire. À elle « l’honneur » de soulever le drap recouvrant la cage. Si elle n'était pas dans Thaar, elle lui aurait sûrement déjà décollé la peau du crâne et sorti les yeux des orbites.
Alors, elle traversa la court, en prenant garde de ne pas distancer son hôte trainant légèrement la patte. Les fourmis lui remontaient jusque dans les chevilles, ce devait être désagréable, et pourtant, elle le voyait, du coin de l'œil, arborer un sourire. Sans doute, l’appât du gain le poussait à ne rien laisser paraître.

- Voyons voir cela…

La daedhelle tirait d'une main le drap qui recouvrait la cage, approchant l'autre du cou de l'animal drogué. La pauvre bête ne devait pas vraiment comprendre ce qui lui arrivait, et s’il était sous l’effet de drogues, elle pouvait lire dans ses yeux qu’il ne se sentait pas particulièrement rassuré.

- C’est… Un beau spécimen. Mais son regard ne me semble très vif...

Sa main libre effleurait la patte du fairä et remontait le long de sa cuisse musculeuse. À l’approche du ventre, son poil immaculé commençait à se défaire, et après quelques caresses, la daedhelle retirait, visiblement involontairement, des poils par dizaine, dévoilant une épaisse plaque rougeâtre qui se desquamait au toucher. Ce n’était pas particulièrement beau à voir, aussi, elle fit un pas de côté, frottant ses doigts pour se débarrasser des poils devant les yeux du négociant. Puis, désignant la plaque rouge, elle arqua un sourcil presque incrédule.

- En bonne santé ? Avez-vous la moindre idée de ce que c’est ? Demanda-t-elle sans lâcher le drap. Parce que je peux vous affirmer que c’est tout sauf un signe de bonne santé. Avez-vous été en contact avec l’animal ? Ou en contact avec une personne qui l’a été ?

La noiraude afficha une grimace qu’elle effaça bien vite.

- Avez-vous des maux de tête ? Des picotements dans les mains, ou les pieds ?

Il allait de soit qu’elle connaissait déjà la réponse. Mais elle allait laisser Medath s’inquiéter un petit peu de sa condition. Et si l’envie lui prenait de s’agiter, elle était prête à lui faire perdre toute sensation en dessous des chevilles.

Le cœur du marchand battait de plus en plus la chamade au fur et à mesure que l’Eldéenne s’approchait de l’animal. Présenter de la marchandise à des acheteurs par lui-même… depuis combien de temps ne l’avait-il pas fait ? Le rush d’adrénaline alors que ses trouvailles allaient être inspectés, la satisfaction de voir les acheteurs combattre la stupéfaction devant la qualité de ses fourrures… tous ces souvenirs en un clin d’œil lui étaient revenus en tête, et il était convaincu que ce moment en serait un à rajouter au lot. Certes, entre l’obscurité dans laquelle elle était maintenue et les drogues somnifères, la virne n’était pas au mieux de sa forme, mais elle l’était assez pour être dangereuse. Ça et son poil n’en restait pas moins d’une luisance, d’une force et d’une douceur exceptionnelles, quand la vigueur de la fourrure était le premier signe de l’état de santé d’un mammifère.

- C’est… Un beau spécimen. Mais son regard ne me semble très vif...

- C’est normal, ce sont les calmants. le petit homme piétine sur place Faites tout de même attention à vous. C’est qu’elle y résiste tout de même, l’animale !

Du moins elle y résistais. Quand elle s’était montrée calme et participante devant l’elfe, la virne était d’une apathie étrange face à la daedhelle. Comme soudainement épuisée, incapable de rechigner face à des caresses qui – à l’absolue horreur du peaussier – tiraient avec elles des touffes entières de poils. Il n’attendit pas que la plaque rouge soit dévoilée pour commencer à paniquer, et lorsque la potentielle cliente s’en retourna pour lui reprocher à lui cet état de fait, il était déjà sur la défensive, et ses gardes dans le même état.

- Que lui avez-vous fait ! il hurle d’une voix éraillée Elle était en parfait état il y a quelques minutes à peine ! Ça vous amuse hein ! De tromper d’honnêtes gens ! De ruiner leurs affaires ! les poings du petit homme se serrent Vendre cet animal vif aurait pu me rendre riche ! du moins, plus riche encore qu’il ne l’était Et là… et là… Garde ! il plante son regard sur l’un de ses hommes Oui toi ! Va me chercher l’équarisseur ! Et vous ! il pointe du doigt la drow, appelant les lames de ses servants plus près d’elle Je savais que je n’aurais pas dû faire confiance à l’une de ces satanées Eldéennes ! Sale race d'escrocs !

Son propre état il n’en avait rien à faire. Trop occupé à plaindre la valeur en chute libre de son dernier acquis, ses jambes lancinantes étaient la dernière de ses préoccupations. Qu’elles n’en viennent pas à défaillir, et il ne le remarquerait probablement pas.

La nécromancienne roula des yeux et retint un soupir. À la place, elle affichait un rictus d’agacement. Et Medath, qui perdait toute sensation dans les pieds, n’aurait bientôt plus qu’à se tortiller au sol comme un misérable ver.
Cependant, son attention se portait désormais sur les gardes qui approchaient, et face à cela, elle se contentait de faire signe à tout le monde de se calmer, n'affichant pas d'intentions belliqueuses.

- Y a-t-il, parmi vous, quelqu’un de plus raisonnable et plus sérieux que votre maître ? Demanda T’sisra, un sourcil arqué, le regard passant de l’un à l’autre à la recherche d’un interlocuteur. Sans vouloir vous alarmer, il ne s’agit plus de négoce, mais d’une question de santé, comme en témoigne l'état de Medath. Conclut-elle en désignant le marchand qui finissait par être incapable de tenir debout.

Et sans avoir lâché le drap, elle désigna à nouveau la plaque rouge que portait l’animal.

- Je gage que vous ayez la même chose aux pieds. Affirma-t-elle en opinant en direction du marchand de fourrure. Quant à vous autres, je vous demanderai bien de m’aider, mais je crains qu’il ne vous arrive la même chose si vous vous approchez trop. Et encore, il faudra que ceux qui ont approché de l’animal aujourd’hui viennent me voir tout de suite.

La noiraude laissa enfin le drap retomber contre les barreaux de la cage. Les hommes étaient courageux et capables de bien des choses, mais face à la maladie, ils étaient faibles. C'était bien une chose qu'ils ne pouvaient combattre avec des armes, et qui les traînait dans la tombe plus rapidement qu'on ne le pensait.
Ses yeux se plantèrent dans ceux du marchand, si l'avarice et la cupidité l'avaient rendu fou, au moins une partie de ses hommes devait tenir à leur propre vie.

- Êtes-vous donc prêt à entendre raison, ou préférez-vous terminer ainsi ? Et peut-être bien sceller le destin de vos hommes avec le vôtre. La noiraude observait désormais les gardes. Et vous autres, vous estimez que votre paye en vaut réellement la chandelle ?

- Sorcière ! Sorcière ! l’homme jette sa chaussure à la figure de la Drow Arrêtez ça !

Les jambes de Medath ont peut-être faibli, mais ni ses poumons ni ses cordes vocales ne semblent vouloir prêtes à abandonner la partie. Les hurlements de colère du peaussier se font un insupportable fond sonore. Et effectivement ses pieds à lui aussi sont atteints de la même plaque rouge, absente au départ autant de la peau d’un animal dont il avait vérifié l’état que de la sienne.

- Avec tout mon respect madame. la lame de l’un des gardes s’approche encore Pour autant que Medath ne soit pas une lumière il darde des pupilles vers l’homme-enfant s’égosillant au sol à côté d’eux il reste intraitable sur la qualité de ses fourrures. L’homme n’a pas conservé sa fortune en ne rien faisant. le visage déjà dur du milicien se refroidit encore Alors quand vous semblez si certaine de pouvoir « gérer » ce problème, rien ne nous prouve que vous n’en soyez pas à l’origine.

- Mais tuez-là ! Tuez-là et sa sorcellerie s’en ira avec elle !

L’homme, prenant soin de ne pas relâcher plus que de raison son attention sur la Puysarde, cherche un de ses collègues du regard, lui intimant silencieusement de briser une formation de toute façon bien déraisonnable lorsqu’il n’y avait qu’une personne à contenir.

- Va chercher les soigneurs, précise bien qu’il s’agit d’une urgence. Et vous, son attention pleine et entière se retourne sur T’sisra Medath ayant été le seul ici à être entré directement en contact avec l’animal, il risque de vous falloir plus que des mots pour prouver votre innocence, et c’est sans parler de vous laisser traiter qui que ce soit.

Les soigneurs, l’équarisseur, peut-être même des guérisseurs, une fois un second garde parti, ce n’était plus qu’une question de temps avant que tout ce petit monde n’arrive et que la vérité n’explose… et probablement au prix au moins de la vie du pauvre félin.

Le soulier volant s’écrasa misérablement contre son poitrail, cognant contre son armure. Le négociant geignait comme un gosse, les hommes étaient sur la défensive et s’apprêtaient à passer à l’action sous l’impulsion de ses jérémiades. La deadhelle relâcha sa prise sur le négociant qui se tortillait à ses pieds.

- Soit. Souffla-t-elle dans un soupir. À Thaar, fais comme les thaaris. Vous avez voulu me rouler, vous avez échoué. J’ai tenté de faire de même, ça n’a pas été un franc succès non plus. Bien que j’ai du mal à croire que vous me l’auriez cédé.

Délaissant le petit homme qui pouvait enfin se redresser, T’sisra se mit à avancer vers les deux gardes qui lui barraient la route, dont celui qui s’était adressée à elle, et à mesure qu’elle approchait, leurs bras se faisaient si lourds que leurs armes s’abaissèrent sans qu’ils l’aient souhaité.

- À vrai dire, je pense même que vous vouliez utiliser mon offre pour soulager votre premier acheteur de plus d’or que vous n’auriez pu l’espérer. Et je vous l’accorde, confronter vos client afin de transformer ceci en vente aux enchères était une excellente idée. C'est ce que vous aviez planifié ? L'interrogea-t-elle sans même lui accorder un regard. Et, pas d’inquiétude, d’ici trois ou quatre jours, son poil aura entièrement repoussé. Il sera sans doute même plus soyeux.

Le milicien qu’elle venait de dépasser, comme si de rien n’était, commençait à peine à relever son arme qu’une force ésotérique, obéissant au mouvement de la noiraude, l’en empêcha. Si Medath avait compris rapidement ce à quoi il avait à faire, les autres étaient en train de le réaliser. Les mages ne courent pas les rues, même dans les beaux quartiers de Thaar, encore moins ceux qui s’apparentent à des nécromanciens. La noiraude avait profité de cette prise de conscience collective pour parcourir les deux ou trois mètres qui la séparaient de son arme posée contre le mur à côté de la porte d’entrée. Prise de conscience accompagnée d'un frisson pour au moins deux d'entre eux, ainsi que d'un certain soulagement de se trouver en des lieux civilisés.

Thaar, l’antre des marchands et des politiciens. Le terrain de jeu des professionnels de la corruption et de l’entourloupe. On se crachait dessus devant les autres, on se jetait des fions à la gueule en public pour gagner du pouvoir politique ou des parts de marchés, mais au final, ça n’empêchait jamais les adversaires de se serrer la main et plaisanter à l’abri des regards. Toute cette divine comédie, régie par le court de la monnaie, faisait de cette gigantesque cité un lieu n'étant pas adapté du tout à une personne comme la daedhelle, et ses misérables tentatives n’iraient pas bien loin. Quelle idiote elle avait été de penser pouvoir s’en sortir face à des marchands thaaris, dans ce monde où la maîtrise d’une rhétorique malhonnête était nécessaire.

- Maintenant que nos stratégies sont tombées à l'eau, je passe mon tour pour ce lot, Medath. Conclut-elle dans un hochement de tête dans sa direction. Vous avez bien joué, mieux que je ne pourrais jamais le faire en matière de négoce à la thaarie.

Medath, pris de rage se refusa à prononcer le moindre mot. Elle avait tenté de l’humilier, lui, Medath le peaussier ! Cette sorcière ! Non. Il n’avait pas envie de se contenter de quelques misérables flatteries en guise d’excuse. Il voulait des supplications. Il voulait qu’elle se mette à genoux devant lui pour demander sa liberté, qu’elle soit faite l’esclave de sa famille pour les cinq prochaines générations… seulement quand l’ennemie était une nécromancienne de cet acabit, il fallait s’y résoudre, tout cela n’était pas bien réaliste. Alors il est resté silencieux, les lèvres pincées à observer certains de ses miliciens se résigner. Pas tous. Non pas tous. Pas leur porte parole. Pas son gardien le plus fidèle. Lui s’était trouver forcé à reculer… mais non… pas tous… elle ne pourrait pas tous les retenir à la fois. S’il le voulait, il pourrait faire en sorte qu’elle soit exécutée ici et maintenant. Mais le voulait-il vraiment ?

Un sourire mauvais s’était dessiné sur le visage du marchand. Les lois de Sol’Dorn. Les lois de Sol’Dorn joueraient en sa faveur. T’sisra Do’Ath mourrait des mains de ses propres congénères une fois qu’ils apprendraient qu’elle avait sorti les armes la première et brisé leur prétendue trêve… et il n’aurait pas à plus bouger le petit doigt, ni à sacrifier de ses hommes pour que les choses soient faites.

- Je ne m’en plaindrai pas, le milicien toujours sur ses gardes adresse à la Puysarde mais vous abandonnez bien vite. il fronce les sourcils, incertain de s’il s’agit ou pas d’une ruse de plus C’est à se demander en quoi exactement vous intéressait cet animal. En particulier vivant.

- Parce que c’est une monture. une voix affaiblie par la vieillesse le coupe Et une monture bien entraînée.

L’un des soigneurs, un vieil homme à l’allure paradoxalement chétive et incroyablement énergique s’approche de la bête sans le moindre égard ni pour sa suite, ni pour la drow. L’homme tire les draps sans hésitation, et de ses yeux perçants il scrute l’animal. Libérée de l’emprise de la nécromancienne, la faïra grogne doucement, cherchant péniblement à se mettre dans une position qui lui aurait pu – si elle en avait eu la force – de sauter. Pas intimidé le moins du monde, celui qui était plus habitué à côtoyer les animaux que ses congénères pensants se contenta d’essayer de décoder les mouvements de la bête.

- Déjà que c’est un grand spécimen… mais regardez ses cuisses et ses épaules un seul instant. Une hypertrophie musculaire pareille… c’est qu’il doit être habitué à soulever des charges bien plus lourdes qu’il ne le ferait à l’état sauvage. les doigts du médecin viennent gratter le haut de son crane couvert d’une crinière brune filace Soit des marchandises, soit un cavalier plutôt lourd, soit plusieurs cavaliers à la fois. S’il s’était agi de grosses proies, ce sont les muscles de son cou qui seraient hypertrophiés à la place.

- Comment… avec une fourrure pareille…

- Si après autant d’années de métier il suffisait toujours d’un peu de poils… il soupire Mais quoi qu’il en soit, un animal aussi reconnaissable et aussi rare, ce n’est qu’une question de temps avant que son propriétaire ne se présente ici pour le récupérer.

À moins que ça n’ait déjà été le cas ? Le visage du soigneur se tourne vers la Puysarde. Une Eldéenne et un faïra… quel drôle de duo cela aurait-il fait ! Dans le cas où elle serait la maîtresse de l’animal, voilà qui devait la changer des félins à pointes ! Mais il s’égarait le vieil homme. La situation était plus grave qu’il n’y paraissait. Il y a peu de chances que le propriétaire d’une telle monture n’ait pas les moyens de la récupérer… et l’expérience lui avait prouvé à lui – et aurait dû prouver à Medhat – qu’il ne faisait jamais bon être le dernier possesseur d’une des montures exotiques volées dont se débarrassaient les marchands de bêtes.

- Certainement à ce moment-là pourriez-vous en tirer une confortable somme, le docteur s’adresse au marchand à terre avec un regard entendu, conscient que s’il ne voulait pas voir s’envoler une partie de sa paye, il valait mieux ne pas faire perdre trop d’argent à cet avare ne pensez-vous pas Monsieur ?

La daedhelle passait son fourreau à la ceinture sous les yeux attentifs du fidèle garde de Medath. En revanche, elle ne quittait plus le petit bonhomme à l’air revanchard du regard. Elle voyait bien sa colère entre les rides de son visage, et en retour la nécromancienne affichait un air des plus neutre. Évidemment, il souhaitait comprendre pourquoi l’affaire était si vite tombée à l’eau, mais la noiraude n’eut pas le temps d’en placer une que le soigneur avait débarqué et prit la parole.

Le vieil homme parlait d’or, et ce qu’il disait éclairait non seulement la lanterne le peaussier, mais aussi celle de la daedhelle. Les pièces du puzzle se mettaient en place, et elle commençait à établir des certitudes petit à petit.

- Vous êtes, et de loin, le soigneur le plus qualifié que j’ai eu le plaisir de croiser. Lança T’sisra en approchant de quelques pas, restant à une distance raisonnable des gardes. Je suis impressionnée, avoua-t-elle en inclinant légèrement le buste, une main sur la poitrine, en guise de respect, vraiment.

Le pot au rose avait été découvert, plus rien ne servait à se livrer à une quelconque rétention d'information.

- Je suis certaine que vous douterez encore plus de ce dont je vais vous faire part, Medath, cependant, je ne vous ai menti à aucun moment. J’ai simplement fait le pari que vous tireriez les mauvaises conclusions de vos propres constats. Et vous m'avez donné tort.

La noiraude prit une profonde inspiration et souffla longuement par les narines en observant le fairä.

- Pour répondre à votre interrogation, à savoir la raison pour laquelle j’ai si vite abandonné… C’est que je ne suis pas venue ici pour vous faire du mal. Au contraire. Insistait la noirelfe avec un sourire en coin. Dites-vous que je suis la plus civilisée, et la moins prompte à tuer, des nécromanciennes que vous aurez l’occasion de croiser au cours de votre vie.

T’sisra jeta un œil au fougueux vieillard, le désignant d’un geste de la main.

- Peut-être pourra-t-il le confirmer, mais ce que vous appelez « vrine » est un « fairä », ou « caengal » dans votre langue. Expliqua-t-elle en mimant les guillemets. Et je pense pouvoir affirmer sans me tromper que vous avez d’ores et déjà croisé son propriétaire légitime.

Elle se mit alors à marcher lentement, faisant quelque pas, comme on le fait lorsque l'on est perdu dans ses pensées, bien qu’en réalité elle se servait de cela pour garder un œil sur chacun des hommes dans cette cour.

- Ça peut vous paraître à peine croyable, mais si l’elfe que vous avez croisé sur votre route vient en personne récupérer son fairä, il est fort probable que vous passiez un sale quart d’heure. Malgré votre garde. Alors, c’est en partie ce pourquoi je voulais vous racheter cet animal, parce que j’espérais sincèrement éviter des morts inutiles. Une autre raison, est aussi que j’ai mal au cœur rien que d’imaginer le caengal transformé en manteau par vos soins. La noirelfe marqua un temps d’arrêt. Croyez-moi, les elfes ont quelques difficultés à contrôler leurs émotions. Alors, si vous souhaitez ne prendre aucun risque, mon offre tient toujours, je vous laisse la bourse et tout son contenu, ce qui est arrivé aujourd’hui ne sortira pas d’ici, et vous pourrez toujours vous vanter d’avoir vu au travers des sortilèges d’une nécromancienne. Conclut-elle avec un sourire en coin et un regard pour le négociant. Et si cela ne vous convient pas, et bien je vous laisserai négocier avec l’elfe, en espérant que tout se déroule bien, pour vous comme pour lui et sa monture.

Le médecin accueille le compliment de la daedhelle avec un rire chaleureux. Depuis qu’il était l’employé de Medhat, ces mots ne lui étaient plus véritablement étrangers, pour son plus grand plaisir. Seulement ces mots le renvoyaient à une époque où il n’avait pas le choix. Les animaux ont beau toujours avoir été sa passion, s’il a l’œil aussi perçant, c’est parce que…

- Oh vous savez, du temps où je travaillais à Qiryah, j’avais intérêt à être qualifié si je ne voulais pas mourir !

La chose est dite avec un apparent humour et une impressionnante décontraction. Un jeu d’acteur développé à travers les années et bâti d’un côté pour le convaincre lui-même que ses vieilles années n’avaient pas été si terrible, et de l’autre pour rappeler à tous ceux qui l’entouraient qu’ils avaient de la chance de vivre et qu’ils feraient mieux de ne pas risquer leur existence à tort et à travers. Cette fois-ci la fortune leur avait souri. Personne n’était mort et que personne ne meure était toujours une possibilité.

- Et qu’est-ce qui vous dit que c’est lui le véritable propriétaire ? toujours au sol, le peaussier continue de babiller Qui vous dit que ce n’est pas juste un elfe qui parle aux animaux avec leur espèce de magie de la forêt ! son ton s’échauffe de plus en plus à chaque mot Et qui vous dit qu’il me fait peur ? Hein ? Un gros tas de muscles sans cervelle ! Comme si je devais avoir quoi que ce soit à craindre d’un espèce de bellâtre géant ! Medath frappe du poing au sol pour appuyer ses propos À tous les coups un grand dadais qu’a soulevé de la fonte pour plaire aux nénettes au lieu de s’en faire une épée. Tout à parier qu’il tiendrait pas dix secondes le duel contre le plus incapable de mes jeunes gardes !

Une poignée de regards désolés se portèrent sur le petit homme. À ainsi se donner en spectacle il les décrédibilisait eux tous, et à ainsi mettre de côté le danger que pouvait représenter un potentiel propriétaire séparé de sa bête… il mettait aussi de côté ceux qui étaient morts pour le protéger des conséquences de ce genre d’erreurs par le passé. Le marché de la contrebande est ainsi. Parfois des animaux volés sont revendus. Parfois les gens à qui ils sont volés tiennent plus que l’on ne pourrait l’imaginer à leurs bêtes. Et parfois, comme c’était déjà arrivé avec le feu Prince-Marchand de Qirya, cela donnait lieu à de spectaculaires vendettas. Certes, elles sont rares les personnalités avec le même pouvoir que Vel’Do Hel, mais beaucoup moins de moyens suffisaient à causer de lourds dégâts. Et puis… d’entre les quelques hommes présents ayant vu l’elfe quelques temps auparavant, aucun n’avait véritablement le désir de découvrir s’il savait ou pas se battre.

- Dame Do’Ath. le leader de la milice s’avance une nouvelle fois Encore une fois, je crains que nous ne pouvions nous résoudre à conclure cette affaire si facilement. il soupire Si d’aventure l’elfe n’était pas le légitime propriétaire de l’animal, et que nous acceptions votre marché, alors nous nous retrouverions sur la liste noire du vrai sais aucun moyen de pression. l’homme range son épée dans son fourreau et croise les bras devant sa poitrine Et même s’il l’était, nous n’avons aucune garantie que vous lui rameniez l’animal. D’ailleurs, j’ai du mal à comprendre ce qui pourrait pousser une Puysarde à ramener à un Elfe visiblement tout droit sorti d’Anaëh  sa monture ! il roule des yeux, agacé par les râles incessants de son employeur Enfin, vous m’excuserez d’être dubitatif mais après tout, nous autres sommes payés pour garder Medath en sécurité, et pour éviter qu’il ne perde de l’argent. Ce n’est pas un risque que nous pouvons nous permettre de prendre.

- J’ai dit être originaire du Puy, pas que j’y vis.Quant à établir l’identité du propriétaire légitime, et bien je suis en mesure de la faire.

La daedhelle passa la main dans sa besace pour en tirer la corne percée que Noruì lui avait confiée plus tôt. La levant à hauteur d’yeux, pour que le garde puisse se rendre compte de quoi il s’agissait, elle reprit :

- Nisétis m’intéresse. Avoua la drow en sachant bien l’effet que cela ferait. L’elfe possède un ouvrage, ou au moins la copie, d’un livre écrit dans une langue morte et oubliée. Si je lui ramène le fairä, il me prêtera son bouquin, et je pourrais peut-être en copier certains passages. La daedhelle s’apprêtait à porter la flûte d’os à ses lèvres. Cet instrument, c’est le sien.

N’étant pas musicienne pour deux sous, elle se contenta de boucher les trous du bas avant de souffler dedans deux fois de suite. Si l’exécution était ridicule, au moins les notes étaient courtes et basses. L’animal s’était contenté d’émettre un grognement en levant la tête, et c’était bien tout ce qu’il pouvait faire dans son état.

- Je suis certaine que ça aurait été plus démonstratif s’il n’était pas aussi… Amorphe. Constatait la daedhelle avec dépit en rangeant la flûte dans sa besace. En tout cas, c’est le mieux que je puisse faire pour vous convaincre. Désormais, la décision vous appartient. Quel que soit votre choix, je m’en accommoderai. Et si les choses dégénèrent avec l’elfe, ce sera votre problème, pas le mien. Moi, je m’en lave les mains.

Le regard de T’sisra oscillait entre le garde et le négociant, ils étaient arrivés au bout des discussions et désormais, il leur faudrait prendre une décision.

Combien de temps encore te faudrait-il attendre ? À ce rythme-là tu aurais épuisé tous tes sujets de discussion avant que cette situation ne soit arrivée à résolution. Il fallait voir le bon côté des choses. Au moins à travers les racontars des passants, qu’ils fussent des esclaves ou de riches propriétaires tu en apprenais un peu plus sur Thaar, sur ses outrageantes traditions et surtout, sur Medath le peaussier. Medath n’était pas connu pour sa patience, et encore moins pour son honnêteté, cependant tous s’accordaient à dire que du temps où il faisait affaire par lui-même il était un véritable requin. Medath était aussi un écervelé conscient de son étourderie au point d’en devenir paranoïaque. Il n’était pas bien perspicace, mais il le savait, alors il surcompensait en se méfiant d’absolument tout. Plus tu en apprenais sur le marchand, et plus tu t’inquiétais pour Vìrin… et à y penser, plus tu t’inquiétais pour T’sisra. Même à Thaar, les drows reconnaissables comme de culture Eldéenne n’étaient pas particulièrement appréciés, surtout maintenant qu’ils semblaient essayer de montrer patte blanche. Ton acolyte d’aujourd’hui était peut-être plus en danger que tu ne l’imaginais.

Ton oreille était tendue vers les murs du manoir qu’elle venait de pénétrer, au cas où elle aurait besoin de ton intervention. Tes pas hésitaient à te mener plus loin à la recherche d’autres outils de diversion. Ton instinct te disait… ton instinct te hurlait au contraire, de te rapprocher des murs dissimulant le manoir aux passants et de chercher ta porte d’entrée. Prétendant le prendre en appui comme bâton de marche, tu avais défouraillé ton sceptre et commencé à attendre, les oreilles alertes, d’entendre quelque chose. Et ce que tu attendais ne vint jamais.
Jouant nonchalamment de ton focaliseur, tu t’apprêtais à t’écarter finalement, quand sous le brouhaha des Soieries se détachèrent deux courts souffles de corne… et rien d’autre. Que la colère de Calimenthar s’abatte sur toi si T’sisra… tu préfères ne pas y penser. Il était peut-être temps d’intervenir, alors tu interviendrais.

Jouant de ton imposante carrure pour dissimuler le méfait, tu t’es placé l’air de rien entre les gardes du grand portail et celui de la porte personnelle, coupant le contact visuel entre les deux partis. Ton langage corporel est exactement le même que celui arboré durant les dernières dizaines de minutes, lorsque tu conversais avec les passants… seulement cette fois il n’y avait personne pour te répondre.

- Aussi éreintant qu’ennuyeux comme travail, ne m’en parle pas.

Ce n’est qu’au moment où tu refermais la porte derrière toi que les collègues de l’homme pourraient constater le garde endormi et dépossédé de ses clefs. L’état d’alerte fut donné, les portiers communiquèrent à grands hurlements ton entrée à la seconde ligne de défense, et ainsi commença ta course vers le centre de la cour intérieur. Virìn était là, juste derrière la haie séparant cette part des lieux des jardins de l’entrée. C’était l’affaire de quelques mètres. Juste quelques mètres à trouver abri derrière les cabanes de jardins, les statues et les arbres et à pousser aussi fort que tu le pouvais sur tes jambes pour te propulser vers elle. Ton sceptre en main comme un sabre, lancé dans un impressionnant sprint, tu bondis vers les pulsations.

- En admettant que ce soit bien l’instrument de l’elfe, au moins maintenant on sait que le caengal est le sien, mais pour ce qu’il s’agit de…

L’agitation coupe le milicien dans sa lancée, attire son regard vers l’entrée, mais le temps qu’il ne comprenne ce qui se passe, ta silhouette apparaît déjà par-dessus la haie. Tu t’écrases face à au guerrier, le visage toujours plus haut que le sien malgré tes genoux pliés par l’impact, lâchant l’air provocateur une flèche interceptée à main nue durant ta chute, et tendant ta faux-lame, autour de laquelle dansaient les énergies arcaniques, vers l’épéiste.

- Tout le monde stop ! plutôt que de répliquer, l’homme lève les mains en l’air, sans reculer, le regard porté derrière toi plutôt que sur toi C’est bon, je veux bien croire que ce soit sa caengal. Maintenant s’il on pouvait tous se calmer et clore cette histoire…

Medath, toujours rampant, était aussi abasourdi que s’il avait reçu un coup sur la tête. Le soigneur, toujours aussi enjoué recevait les clefs de la cage et s’approchait du félin. La garde s’était déplacée de manière à vous isoler ensemble T’sisra et toi. Ton sceptre entre tes doigts retrouvait sa position de sceptre, mais ta méfiance restait entière.

- Vous donnez l’argent, j’ouvre la cage, il récupère le caengal. Vous êtes escortés jusqu’à la sortie le guérisseur propose et tout est oublié. son regard se tourne vers Medath en même temps que celui du chef milicien. Ni l’un ni l’autre ne semblent voir cette proposition comme autre chose qu’un ordre Qu’en dites-vous ?

Quant à toi, pour toute réponse, tu tournes ton regard vers T’sisra.